Pratiquer la démocratie à l'école - Bruno Humbeeck - E-Book

Pratiquer la démocratie à l'école E-Book

Bruno Humbeeck

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Beschreibung

Comment créer des espaces de parole stimulants pour l'élève?

Dans cet ouvrage, il sera question de détailler la didactique des conseils de coopération, des espaces de parole régulés, des espaces de dialogue concerté et de différents autres lieux de stimulation de la prise de parole de l’élève au sein de sa classe, de façon à rendre concrètement ces techniques disponibles pour les enseignants qui souhaitent les mettre en œuvre dans leur classe ou au sein de leur école.

Cet ouvrage offre des techniques et méthodes didactiques simples à mettre en œuvre pour construire un espace de parole démocratique au sein de la classe.

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« Ben si l’école, ça rendait vraiment les enfants libres et égaux,

Cela ferait longtemps que le gouvernement aurait décidé

que c’est pas bon pour les marmots »

Renaud Séchan

Sommaire

Titre
Introduction
Partie 1 - Des mots pour dire : démocratie, classe et prise de parole
Partie 2 - Petit historique de la prise de parole démocratique à l’école...
Partie 3 - Les conseils de coopération
Partie 4 - Les six chapeaux de De bono
Partie 5 - Les espaces de parole régulés
Partie 6 - Espaces de dialogue concerté
Pour ne surtout pas conclure...
Copyright

Introduction

L’idée de démocratie est fondée sur la prise de parole libérée et protégée de chacun. Il ne suffit pas à cet égard d’ouvrir les vannes, de déclarer que tout le monde peut prendre la parole librement pour décréter que le lieu d’expression, parce qu’il est accessible à tous de la même manière, sera naturellement investi de la même façon par chacun.

L’idéal démocratique ne se réalise pas spontanément. Il se construit au contraire patiemment et méthodiquement en soumettant la prise de parole à un contrôle qui protège l’expression des plus fragiles et évite que ceux qui se sentent les plus puissants prennent trop de place. Apprendre la démocratie à l’école, c’est non seulement apprendre à exprimer un point de vue et à l’argumenter en vue éventuellement de persuader les autres ou d’influencer leurs comportements, mais aussi et surtout apprendre à se taire pour laisser la place aux points de vue des autres et leur permettre de posséder la même chance de persuader ou d’influencer que celle que l’on s’attribue à soi.

Mettre en place un espace de parole démocratique au sein de la classe consiste donc tout autant à se donner les moyens d’encourager l’expression de chacun qu’à faire taire ceux qui prendraient la parole trop longtemps, intempestivement ou au détriment des autres. C’est pour cela que l’idée d’installer des formes d’expression démocratique parmi les élèves ne s’improvise pas mais suppose au contraire de disposer de techniques de mise en scène du groupe et de méthodes didactiques qui permettront de réguler la distribution de la parole en permettant non seulement à ceux qui ont envie de s’exprimer de le faire mais aussi à ceux qui en ont besoin d’oser le faire.

En effet, dans un espace de parole totalement libre, sans règles et ouvert à tous, quatre-vingts pour cent du temps de parole est monopolisé par vingt pour cent des membres du groupe appelés à échanger. Ceux qui se donnent le pouvoir de prendre la parole se sentent investis d’une puissance suffisante pour prétendre que celle-ci aura un poids déterminant et s’attribuent assez d’autorité pour considérer qu’ils seront en mesure d’exprimer ce qu’ils veulent dire. Ceux-là, les dominants, dans un groupe, n’ont généralement pas besoin de règles. Ils parviendront sans mal à prendre l’initiative de parler dans une discussion débridée quitte à hausser le ton ou à argumenter avec suffisamment de brio pour que, forts de la puissance de leur voix ou de la force de leur éloquence, ils trouvent leur place – quitte à prendre celle des autres – dans l’échange.

Pour ceux-là, la prise de parole dans les groupes n’est pas un problème et la démocratie se réduit à l’idée qu’ils se font d’un lieu où il leur est possible de parler. Pour eux, l’idéal démocratique, parce qu’il se plie sans mal à leur volonté, n’a pas besoin d’être construit. Il n’est pas nécessaire de le protéger d’une armature de règles et de principes. Leur parole n’a pas à être libérée parce qu’elle trouve d’emblée dans les espaces mis à leur disposition l’opportunité de s’exprimer. Elle n’a pas non plus à être protégée parce qu’ils ne se sentent généralement pas menacés pour avoir révélé ce qu’ils souhaitaient dire.

Les autres, les dominés ou les transparents, ceux qui peinent à s’exprimer, pensent n’avoir ni le pouvoir ni la puissance ni l’autorité pour le faire au sein d’un groupe qui les intimide, leur donne l’impression de ne pas les écouter, au mieux parce qu’ils ne s’y sentent pas suffisamment pris en considération, au pire parce qu’ils s’y sentent méprisés. Pour eux, évidemment, la parole ne s’émancipe pas des conditions de son expression. Ils ne se sentent libérés pour parler que si les règles qui fondent l’armature du lieu de parole leur donnent le sentiment qu’elle sera parfaitement protégée et qu’ils n’auront en aucune façon à subir d’éventuelles conséquences liées à leur prise de parole. Ceux-là n’envisagent de libérer leur parole que si ceux qui les invitent à parler leur donnent suffisamment de garanties pour qu’au-delà de l’expression et quelle que soit la qualité de celle-ci, ils éprouvent le sentiment que leur parole sera pleinement, totalement et durablement protégée.

C’est pour cela qu’il ne faut pas attendre des premiers qu’ils demandent d’autres espaces de parole que ceux qui s’ouvrent naturellement à eux. L’absence de règles et l’aspect débridé des échanges leur conviennent généralement parfaitement parce qu’ils perçoivent que l’absence de régulation des échanges contribuera généralement à renforcer encore davantage leur position dominante. Pour eux, la démocratie est perçue comme une évidence chaque fois qu’elle confirme le droit qu’ils se donnent naturellement de prendre la parole...

Il en va évidemment tout autrement pour les seconds qui ressentent le groupe comme une menace parce qu’ils ne maitrisent ni la position qu’ils y occupent, ni la manière dont ils y sont perçus, ni la mesure dans laquelle ce qu’ils disent pourrait influencer ce qu’ils y vivront. C’est pour cela qu’il ne faut pas attendre d’eux qu’ils prennent la parole dans les espaces d’expression mis à leur disposition. À leurs yeux, le jeu de la prise de la parole apparait bien trop risqué chaque fois qu’ils redoutent, en parlant, de susciter de l’indifférence, d’augmenter la virulence de l’agressivité ou de prêter davantage le flanc aux moqueries au sein d’un groupe dont ils craignent les réactions. Pour eux, la démocratie est considérée comme une illusion tant qu’elle ne leur donne pas la possibilité de s’émanciper de leur peur de s’exprimer et d’avoir à en éprouver les conséquences.

C’est pour cela que dans les espaces de parole non régulés, quels que soient le sujet abordé et l’objectif visé, ce sont généralement toujours les mêmes qui parlent et les mêmes qui se taisent. Spontanément, les prises de parole débridées se font effectivement, au mieux, dans une atmosphère de joyeux désordre anarchique et, au pire, dans une ambiance tendue contaminée par des jeux de pouvoir tyrannique. C’est comme cela que l’on s’y prend pour induire une défiance vis-à-vis d’un idéal démocratique qui semble toujours donner les clés du pouvoir à ceux qui parlent fort, s’expriment avec éloquence ou communiquent à coup de formules percutantes.

L’enjeu est donc de taille puisqu’il est question, en somme, par ce qui fait l’objet de ce livre, de rendre aux élèves une confiance suffisante dans les principes qui fondent nos démocraties. L’école apparait incontestablement comme l’institution privilégiée pour initier, consolider ou rétablir cette confiance. C’est là en effet que les enfants et les adolescents apprendront les procédures à travers lesquelles le vivre-ensemble démocratique s’installe dès lors qu’il est question d’apprendre à coopérer, collaborer ou simplement coexister au sein d’un monde qui donne de la place à tout le monde et permet à chacun d’occuper la position dans laquelle il parviendra le mieux à s’épanouir...

Nous verrons concrètement au cours de cet ouvrage comment la démocratisation de l’enseignement a progressivement conduit l’institution scolaire à se poser elle-même comme espace d’enseignement des principes de la démocratie. La pédagogie institutionnelle notamment, à travers les conseils coopératifs, s’est préoccupée de lui faire réaliser un pas supplémentaire dans cette direction en faisant de l’élève un apprenant actif capable de participer à l’élaboration des rouages à travers lesquels les règles, les normes et les lois permettent à l’école de faire société en favorisant le « vivre-ensemble ».

Nous verrons ensuite comment les formes pédagogiques articulées autour de l’idée de coopération active ou de collaboration participative ont contribué non seulement à faire évoluer le modèle mais aussi à le faire pénétrer dans tous les courants indépendamment de celui que mettait en scène plus précisément la pédagogie institutionnelle.

Ce développement nous amènera à expliciter trois techniques concrètes de mise en place d’espaces de parole au sein de l’école.

La première, en s’articulant autour des techniques éprouvées par les « chapeaux de De Bono », mettra en scène des groupes de discussion orientés vers une solution qui s’attachent plus précisément à recueillir les points de vue des élèves par rapport à une situation éprouvée, une difficulté perçue ou un problème partagé de façon à dégager une solution, prendre une décision ou choisir une option de façon à adopter une position commune après avoir pris en considération l’ensemble des points de vue sans en rejeter un seul à priori.

La deuxième, articulée autour de l’expression des émotions, permet non seulement de maitriser le climat des classes mais aussi d’y prévenir les différentes formes de harcèlement ou d’y réagir efficacement lorsqu’ils s’y manifestent. La méthodologie des espaces de parole régulés a été conçue pour libérer et protéger la parole de ceux qui, dans le groupe-classe par exemple, subissent des secousses émotionnelles dont ils n’osent pas parler.

La troisième mise en place pour favoriser le recueil des opinions permet de réaliser une concertation au sein des classes de façon à ce que chacun éprouve le sentiment que son avis, qu’il soit singulier ou partagé, a été pris en considération. Les espaces de dialogue concerté dont la méthodologie est développée ici révèlent par exemple toute leur utilité quand il est question, au sein de la classe ou dans l’école, d’aménager les règles qui doivent être appliquées pour se les rendre plus vivables.

Pour chacun de ces espaces de parole, il s’agira à chaque fois, après un petit exercice de précision sémantique, d’en comprendre concrètement les fondements puis d’en décrire précisément le fonctionnement de façon à pouvoir les mettre en place effectivement sans avoir, pour cela, à subir une formation lourde et chronophage. Il n’y est en effet généralement question que de principes à accepter, de techniques à appliquer et de procédés à mettre en œuvre. En outre, nous reprendrons également les questions les plus récurrentes qui se posent lorsque l’espace de parole – régulé ou concerté – est effectivement mis en place.

Ces questions qui commencent toutes par « qu’est-ce qu’on fait quand… ? » ou « que doit-on faire si… ? » ont notamment été recueillies au cours des FAQ1 mises en place dans le cadre de la dissémination du dispositif de prévention des violences visibles et invisibles associé à l’application « CyberHelp » ou dans celui, plus spécifique, des espaces de dialogue concerté mis en place dans le contexte pandémique lié au Covid-19 tel qu’il a été vécu dans les écoles.

En agissant de cette façon, nous espérons que ce livre constituera en quelque sorte un mode d’emploi à travers lequel il sera possible de mettre concrètement en place des espaces de parole ouverts à tous et mis à la portée de chacun de façon à ce que l’école ne soit plus envisagée seulement comme une institution qui enseigne les principes démocratiques mais comme un lieu d’apprentissage où l’élève les apprend réellement en les éprouvant et en participant activement à leur mise en œuvre. C’est comme cela, selon nous, que l’on parviendra le mieux à donner ou à rendre aux enfants et aux adolescents une confiance suffisante dans les institutions amenées à mettre en scène un idéal démocratique dont il apparait, par les temps qui courent, de plus en plus urgent de voir les principes se mettre concrètement en mouvement...

Notes

1. Les foires aux questions sont mises en place de manière systématique dès qu’un territoire, une région, une académie ou toute forme d’ensemble d’écoles se mobilisent collectivement pour développer, en tenant compte des spécificités de chaque implémentation, un projet de prévention des violences visibles et invisibles, scolaires et périscolaires ou un projet de développement éducatif durable qui place la concertation des élèves au centre de son développement.

PARTIE 1

Des mots pour dire : démocratie, classe et prise de parole

« La démocratie devrait assurer au plus faible les mêmes opportunités qu’au plus fort. »

Gandhi

1. QU’ENTEND-ON PAR « DÉMOCRATIE » ?

Étymologiquement, le terme de démocratie repose d’emblée sur une ambigüité. Le mot renvoie en effet à l’idée du « kratos » associé au « demos », c’est-à-dire du « pouvoir », de la « force » liée au « peuple ». Cette force n’est en soi ni bonne, ni mauvaise, ni souhaitable, ni détestable. Elle est liée au nombre et au poids que la masse, en se constituant, peut exercer sur le pouvoir. S’il avait été question de signifier une forme politique désignant l’autogouvernement du peuple par lui-même, il aurait fallu composer le terme à partir de celui d’« archie ». C’est comme cela qu’ont été construits les termes comme « monarchie », « oligarchie » ou « anarchie » en s’appuyant sur la déclinaison de suffixes dérivés de la notion d’arché. Cela aurait donné quelque chose comme « démarchie » et le terme aurait alors désigné le fait de donner au peuple l’opportunité de participer, plus ou moins complètement, à l’exercice du pouvoir.

Cette origine étymologique qui confond l’idée de la force avec celle de gouvernement entretient encore de nos jours une confusion dont les effets ne sont pas anodins pour comprendre tant l’histoire de la démocratie que celle, plus spécifique, de la démocratie telle qu’elle est envisagée au sein de l’école dès lors qu’il est question de la concevoir comme une forme politique soucieuse de réellement faire participer les élèves au pouvoir ou comme une façon de gérer ce qui se passe parmi eux et avec eux quand le groupe qu’ils constituent prend la forme d’une classe.

La tendance à confondre la notion de force avec celle de gouvernement explique la méfiance voire la défiance dont a longtemps été nimbé le terme de démocratie et l’histoire complexe qui décrit le développement de ce qui était perçu comme une tendance à délaisser au peuple une puissance mal contrôlable en l’autorisant à prendre le pouvoir.

Platon considérait la démocratie comme le « gouvernement des méchants » et Aristophane comme celui des « ignorants et des infâmes ». Aristote se montrait tout aussi méfiant lorsqu’il décrivait la démocratie comme « le moins bon des gouvernements et le meilleur des mauvais » tandis que Cicéron l’assimilait à une forme de « despotisme de la multitude »... Bien plus tard, les penseurs des lumières ne se montraient pas moins circonspects lorsque, théorisant les bases de la Révolution française, ils n’en considéraient pas moins, à l’instar de Voltaire, que la démocratie, incontrôlée, signifiait, ni plus ni moins, que le « gouvernement de la canaille »...

Tout cela explique évidemment que, née sur ces fonts baptismaux bancals, la démocratie peut se mettre à désigner beaucoup de choses terriblement différentes et prendre des formes tellement distinctes qu’elle peut aussi bien servir de support à des modes de participation de tous au pouvoir qu’être utilisée comme creuset pour la mise en place des pires dérives despotiques.

Pour notre part, nous veillerons toujours, dans ce livre, à évoquer de manière distincte la mise en place des espaces de parole qui visent clairement à faire participer les élèves au pouvoir en leur déléguant une partie de la gestion de la classe et de l’école (de manière directe, sélective ou représentative) et les espaces de parole mis en place par les adultes pour gérer ce qui se passe au sein des groupes dont ils ont la responsabilité éducative.

Dans les premiers, l’enseignant ou l’éducateur cherche volontairement à partager, voire à déléguer une part de son autorité aux élèves alors que dans les seconds, il affirme au contraire son autorité de façon à éviter que les jeux de pouvoir qui se manifestent au sein du groupe génèrent de la souffrance chez l’un ou l’autre des élèves. Dans le premier cas, il est question d’apprendre activement à vivre un processus démocratique. Dans le second, il s’agira davantage de gérer le groupe de façon à éviter les dérives démocratiques qui se manifestent inévitablement lorsque le pouvoir se met à y circuler et investit certains d’une telle puissance qu’il les incite, pour la manifester, à se mettre en position d’écraser ceux qui n’ont d’autre choix que de se soumettre ou de se démettre.

Ce double objectif, de mise en scène des principes de démocratie active participative et de prévention du harcèlement, suppose des manières différentes d’agir avec le groupe d’élèves. C’est pour cela qu’il est important de bien savoir ce que l’on fait quand on ouvre un espace de parole au sein de la classe parce que des objectifs distincts supposent, dans ces deux cas, des méthodologies et des techniques didactiques différentes.

Nous envisageons donc dans cet ouvrage la démocratie comme une forme d’autogouvernement qui permet, dans la classe et à l’école, d’une part, de contrôler les excès de puissance associés à l’exercice de l’autorité (par l’enseignant ou par qui que ce soit d’autre) et, d’autre part, d’éviter que les jeux de pouvoir en viennent à contaminer le climat de la classe en générant de la souffrance émotionnelle chez ceux qui sont amenés à les subir.

2. QU’ENTEND-ON PAR « CLASSE » ?

Le mot « classe » est aussi un terme ambigu. Il est en effet utilisé indifféremment non seulement pour évoquer l’endroit dans lequel se déroule principalement l’enseignement quand il se réalise par un enseignant à un groupe d’élève mais aussi pour désigner le groupe d’enfants amenés à être mis en situation d’apprentissage.

La classe n’est donc pas qu’un lieu. Ce n’est pas qu’une pièce dans laquelle on regroupe des élèves pour leur « faire la leçon ». Non, la classe, c’est surtout ce groupe et la situation spécifique dans laquelle il se trouve quand il réunit autour d’un enseignant des élèves appelés dans cette configuration à recevoir un apprentissage « scolaire ».

Ainsi, une famille regroupant des frères et des sœurs en plus ou moins grand nombre, des amis en réunion ne constitueront jamais, quels que soient les contenus échangés et la nature des apprentissages réalisés par les uns ou les autres, à proprement parler une classe parce qu’il y manque un enseignant qui, par son statut, transforme ce groupe en élèves.

De la même façon, un enseignant entouré d’élèves forme une classe même s’il réalise son enseignement loin de l’école, sous un arbre, en pleine forêt ou sur une plage. Ce ne sont ni les lieux ni l’effet de groupe qui créent la classe mais le statut mutuellement reconnu d’un enseignant et de ses élèves qui se sont mis en configuration d’apprendre en se distribuant les rôles en fonction d’une configuration pédagogique qui concrétise explicitement l’acte d’enseignement.

La classe en tant que groupe existe dès que la rencontre ou la réunion enseignants-élèves se réalise réellement, physiquement ou virtuellement. Cette existence donne au groupe-classe une consistance dans la durée au point que l’on évoquera sans peine l’évolution du climat qui le caractérise. Le « climat de classe » constitue en effet une composante essentielle de l’apprentissage scolaire au point que plus de quatre-vingt-cinq pour cent des directions d’école considèrent comme une priorité d’agir pour qu’il soit vécu positivement par tous les élèves.

Nous entendrons donc par « classe » dans cet ouvrage le groupe d’élèves encadré par un enseignant qui partage une expérience collective vécue par chacun en fonction d’un climat plus ou moins positif qui en détermine l’atmosphère.

3. QU’ENTEND-ON PAR « ESPACE DE PAROLE » ?

Un espace de parole est un lieu au sein duquel la prise de parole spontanée est non seulement autorisée mais aussi stimulée et encouragée. Il ne s’agit donc pas dans un espace de parole de répondre à une interrogation ou de poser des questions mais bien de prendre la parole de façon libre en vue d’exprimer une émotion, d’expliciter une opinion ou de faire part d’un point de vue.

Les espaces de parole ne constituent pas une évidence au sein de l’institution scolaire. Longtemps, il n’a été question pour l’élève de ne parler en classe que lorsqu’il était interrogé ou, plus tardivement, lorsqu’il a été invité à questionner l’enseignant pour manifester le besoin de recevoir davantage d’explications.

Dans l’institution scolaire, un espace de parole au sein duquel l’élève est mis en position de s’exprimer apparait dès lors comme une construction récente qui manifeste le souci d’entendre les élèves s’exprimer librement et participer activement à la mise en mouvement d’un idéal démocratique qui donne à chacun l’opportunité de dire ce qu’il pense ou ce qu’il ressent.

Un espace de parole ne se confond pas cependant avec le « café du commerce » au sein duquel la prise de parole apparait fondamentalement débridée et orientée librement autour de sujets qui viennent spontanément à l’esprit des interlocuteurs. Un espace de parole n’est pas un lieu de conversations à bâtons rompus. Il ne se constitue pas comme un endroit au sein duquel chacun parle pour le plaisir de parler sans règles, sans objectif précis et avec pour seul ciment le plaisir d’être ensemble.

Dans un espace de parole, au contraire, chacun des participants sait pourquoi il est là et la mise en place du cadre de communication répond à des finalités qui ont été suffisamment réfléchies pour que la configuration des échanges et la disposition du lieu correspondent aux objectifs préalablement fixés.

Au sein d’un espace de parole démocratique, la prise de parole apparait non seulement comme libérée mais aussi comme suffisamment protégée pour ne pas porter préjudice à celui qui l’exprime. C’est pour cela que les espaces de parole dont il est question dans le présent ouvrage se réalisent en suivant un ensemble de règles de fonctionnement qui régulent l’expression de tous et permettent à chacun de s’engager dans l’échange d’opinions, le partage d’émotions ou la communication de points de vue sans s’exposer au risque de voir ce qui est dit invalidé, ou rejeté, par le groupe en fonction du pouvoir que la puissance du groupe ou l’autorité de ceux qui s’en posent comme les leadeurs donne à ceux qui s’attribuent la force de faire taire les voix qui ne vont pas dans leur sens.