Et si nous laissions nos enfants respirer ? - Bruno Humbeeck - E-Book

Et si nous laissions nos enfants respirer ? E-Book

Bruno Humbeeck

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Beschreibung

Parce qu’ils sont ardemment désirés et souvent programmés, les enfants mettent d’emblée sous pression leurs parents qui, parce qu’ils doivent assumer la responsabilité totale de leur venue au monde, se sentent, du même coup, responsables de tout ce qui leur arrive comme de tout ce qui pourrait leur arriver. Candidats au burn out, ces parents hyper-responsables deviendront rapidement des parents oppressés et donc oppressants, présentant un ensemble de symptômes désignés à travers le concept d’hyper-parentalité. L’hyper-parentalité n’est pas une maladie, mais une tendance, celle de parents très exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, qui ont décidé de mettre au monde non pas un enfant, mais un enfant heureux et destiné à le demeurer. Mais tout faire pour son enfant, vouloir lui éviter tout ce qui, de près ou de loin, évoque le mal de vivre, provoque l’inconfort ou sème le doute, c’est aussi faire peser sur ses épaules une lourde charge. Dans ce livre, Bruno Humbeeck rappelle qu’une éducation réussie prend le plus souvent la forme d’un savoureux cocktail constitué d’une juste mesure d’intérêt bienveillant, d’un zeste de délicatesse aff ective et d’une énorme dose de sérénité. Jalonné de tests et d’outils de réfl exion, ce livre off re aussi diff érentes pistes de solution permettant de soulager le parent, de soutenir le développement de l’enfant ou de soustraire la relation éducative à la pression excessive lorsque l’hyper-parentalité est mal maîtrisée, mal vécue par l’enfant ou mal canalisée.

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Et si nous

laissions

nos enfants

respirer ?

 

Comprendre l’hyper-parentalité

pour mieux l’apprivoiser

Avenue du Château Jaco, 1 – 1410 Waterloo

www.renaissancedulivre.be

fRenaissance du Livre

l@editionsrl

Et si nous laissions nos enfants respirer ?

Illustration de couverture : © Maxime Berger

Couverture et mise en pages    : Philippe Dieu (Extra Bold)

Imprimerie : VD, Temse (Belgique)

isbn : 978-2507-05544-8

© Renaissance du Livre, 2017

Tous droits réservés. Aucun élément de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans une    banque de données ni publié sous quelque forme que ce soit, soit électronique, soit mécanique ou de    toute autre manière, sans l’accord écrit et préalable de l’éditeur.

Et si nous

laissions

nos enfants

respirer ?

                

Comprendre l’hyper-parentalité

pour mieux l’apprivoiser

Bruno Humbeeck

Illustrations : Maxime Berger

À Eliott, ce petit garçon hyper-créatif qui a deviné que l’intelligence était bien plus utile pour aller au bout de ses 

rêves que pour finir ses devoirs...

Qu'est-ce que l'hyper-parentalité ?

1

DEFINITION

De l’enfant non voulu à l’enfant souhaité, tout un chemin avait déjà été parcouru par la grâce d’une contraception aujourd’hui généralisée. De l’enfant désiré à l’enfant programmé, de nos jours, la voie s’est encore creusée faisant de la procréation un acte de mieux en mieux maîtrisé. La naissance d’un enfant semble désormais répondre à un acte volontaire résultant d’un choix délibéré ou à une exigence impérieuse dictée par une urgente nécessité. La volonté de « faire un enfant » et l’obligation que le couple se donne de faire sauter tous les obstacles biologiques qui se poseraient éventuellement sur le chemin pour y parvenir deviennent ainsi les clés de voûte d’un acte décisionnel impératif qui se manifeste aussitôt que les conjoints expriment ensemble la résolution, en délestant simplement l’acte sexuel qui les unit de toute forme de contraception, de donner naissance à un bébé.

L’enfant, dont l’existence a été explicitement négociée dans le couple avant d’être quasiment programmée dans le cours de son histoire, n’est souvent plus un « heureux événement », encore moins un « accident ». Il est généralement le fruit d’une décision concertée contre laquelle, procréation assistée oblige, rien ne paraît, pour la plupart des couples, en mesure de faire obstacle. L’idée de procréer se définit ainsi le plus souvent comme le résultat d’une résolution à la fois ferme et consciente de deux adultes qui, en prenant la responsabilité de faire, puis d’éduquer un enfant, assument en même temps la responsabilité de le rendre heureux. Dès avant sa naissance, le bébé fait, de cette manière, l’objet d’un investissement exclusivement positif, susceptible, dans la longueur, de s’avérer écrasant.

Décider de la venue au monde d’un enfant est un acte d’engagement lourd de sens. Le voir confronté aux difficultés de l’existence, imaginer qu’il puisse être placé dans une situation d’inconfort ou concevoir qu’il est inévitablement exposé à la possibilité du malheur constituent autant d’épreuves difficiles pour des parents amenés à assumer la responsabilité totale, non seulement de la venue au monde de leur enfant, mais aussi de la qualité du parcours qu’il y réalisera. Ayant quasiment convoqué leur enfant à naître, ces parents risquent de se sentir, du même coup, dès avant la naissance, responsables de tout ce qui lui arrive, coupables de tout ce qui pourrait lui arriver et maîtres de tout ce qui devrait lui arriver.

En « mettant au monde » un petit être dont ils ont, en pesant le pour et le contre, décidé de l’existence, ces parents particulièrement responsables se muent ainsi rapidement en parents oppressés, condamnés à réussir la mission éducative qu’ils se fixent en évitant pour leur enfant tout ce qui, de près ou de loin, évoque le mal de vivre, suggère le mal-être, provoque l’inconfort ou convoque le doute. Bref, tout ce qui, pour le petit être que l’on doit éduquer, relève de l’inconvénient naturel de grandir et de son inévitable cortège de manifestations incommodantes.

L’hyper-parentalité découle ainsi de cette volonté de gommer tout ce qui fait obstacle au sentiment de bonheur continu de l’enfant.

1.1. Ce que n’est pas l’hyper-parentalité

L’hyper-parentalité n’est ni une maladie, ni une tare, ni même une dérive. Elle n’est rien de plus qu’une tendance pédagogique lourde, parfois encombrante, à l’occasion perturbante. Souvent inconfortable pour le parent qui se met sur le dos une insupportable tension, fréquemment gênante pour l’enfant qui sent peser sur ses épaules une insoutenable pression, elle se constitue comme une forme de parentalité excessive qui, à travers la perfection qu’elle vise et les objectifs démesurés qu’elle se donne, tend à attribuer à la pédagogie une puissance infinie et à l’éducation un pouvoir illimité. Or, tous les pédagogues le savent : la pédagogie fait, au mieux, ce qu’elle peut et une bonne éducation, nécessairement imparfaite, se doit de toujours revendiquer pour elle-même le droit de l’être et de le demeurer. Une mère parfaite ne produirait d’ailleurs que de parfaits crétins1, et un père qui aurait la prétention d’avoir découvert LA pédagogie infaillible irait, sur le plan des réalités éducatives concrètes auxquelles il serait inévitablement amené à la confronter, droit dans le mur2. La pédagogie est en effet beaucoup moins une façon de donner des réponses définitives qu’une manière intelligente de se poser des questions éternelles3. Quant à l’éducation, elle n’est que la somme des erreurs plus ou moins rattrapées que l’on commet inévitablement dès lors que l’on cherche à participer à la construction d’un être humain différent de soi4.

Donner à la pédagogie une puissance infinie, c’est se bercer de l’illusion que l’art d’éduquer, une fois qu’il est maîtrisé, offrirait une garantie absolue de succès en mettant définitivement hors jeu tout risque d’échec et toute possibilité de tâtonnement. Conférer à l’éducation un pouvoir illimité, c’est se réfugier dans la conviction qu’une parentalité guidée par un souci constant d’excellence serait en mesure de déterminer des perspectives d’avenir positives pour chacun en neutralisant une fois pour toutes tout ce qui pourrait en contrarier le cours. Ainsi envisagée, la parentalité gonflée des prétentions démesurées qu’elle se donne draine inévitablement son lot de contrariétés

Cette double prétention à la puissance associée à l’illusion de pouvoir obtenir sans peine des succès éclatants et au pouvoir attaché à la conviction d’être en mesure de neutraliser tout ce qui pourrait en contrarier l’avènement contient la substance de tout ce qui fera l’hyper-parentalité. Elle rend le contexte éducatif parfois difficile à vivre pour l’enfant, condamné à l’excellence, et souvent lourd à assumer pour les parents aliénés à l’idée de devoir réaliser un sans-faute dans leur parcours d’éducateurs-essentiels du petit être en devenir. Ainsi envisagée, la parentalité gonflée des prétentions démesurées qu’elle se donne draine inévitablement son lot de contrariétés.

Il faut pourtant se garder de faire de l’hyper-parentalité une maladie. Elle ne contient en elle-même aucun germe pathologique et ne découle ni de la rencontre d’un couple éducateur serein avec un quelconque élément envisagé comme pathogène ni de celle d’un parent sain avec un éventuel autre parent considéré comme toxique. On n’attrape pas l’hyper-parentalité comme on contracterait un microbe, par contagion, pas davantage qu’on ne tombe en hyper-parentalité parce qu’on aurait été victime d’une soudaine affection virale.

C’est pour cela que l’on ne doit pas, si l’on a le sentiment de présenter l’un ou l’autre des signes que nous allons détailler dans les pages suivantes, chercher à « guérir » des formes plus ou moins aiguës qu’elle peut prendre. Il faut juste, si l’on se trouve soi-même dans des zones d’inconfort ou si l’on sent qu’on y pousse un de ses enfants, se donner les moyens d’en réduire les effets pour qu’ils ne génèrent pas trop de souffrance. De la même façon, lorsque l’on s’efforce de soutenir ce type de parentalité menacée d’hypertrophie, il apparaît d’emblée plus efficace, pour ne pas culpabiliser le parent en remuant par exemple trop brutalement le terrain vaseux de son anxiété, de souligner au préalable les aspects positifs de ses intentions pédagogiques avant même de songer à renforcer avec délicatesse la conscience pédagogique dont il doit faire preuve pour que la forme éducative qu’il développe ne produise plus, par ses excès, ni chez lui ni auprès de l’enfant qu’il éduque, un tourment insupportable ou une amertume insoutenable. C’est précisément à cette double tâche préventive que nous nous attacherons tout au long de cet ouvrage : stimuler la conscience réflexive du parent qui se sent en difficulté par rapport aux objectifs impossibles à atteindre qu’il s’est fixés et soulager une parentalité en souffrance parce qu’elle s’est donné des prétentions excessives.

L’hyper-parentalité n’est pas non plus une tare. Cette manière de surinvestir son rôle de parent ne peut en effet pas être fondamentalement considérée comme un défaut dans la mesure où elle ne souligne pas un manque, ne révèle pas une faille et ne désigne pas une faiblesse. Elle se pose davantage comme un trouble de fonctionnement d’une machine éducative trop bien huilée qui, a priori, n’aurait pas dû s’enrayer. N’ayant pas anticipé l’échec, face aux premières difficultés qu’il rencontre ou devant les premiers soubresauts éducatifs auxquels il se trouve confronté, l’hyper-parent a tendance, face à l’inconnu, à se laisser envahir par l’angoisse et, face à l’imprévu, à se remplir d’anxiété. Quand on s’imagine avoir tout pour réussir, la possibilité, même virtuelle, d’échouer en devient d’autant plus anxiogène. Comme nous le verrons, une bonne partie de l’accompagnement de l’hyper-parent consiste à calmer ses angoisses, à diminuer son anxiété et à canaliser ses peurs.

On ne devient généralement pas hyper-parent en commettant des erreurs, mais plus probablement en dosant mal l’intensité de ses préoccupations éducatives. C’est pour ce motif notamment que les méthodes orthogéniques (qui cherchent à corriger) apparaissent d’emblée moins efficaces pour soutenir un hyper-parent croulant sous la tâche irréalisable qu’il s’est lui-même assignée que les méthodes maïeutiques (qui par l’interrogation visent à produire du développement). En cherchant à corriger ou en visant à rectifier, on se heurte à de fortes résistances et on ne produit, dans le meilleur des cas, qu’un effet culpabilisant qui augmente encore la pression qui pèse sur le parent.

Dans le domaine de l’éducation, les conseils ne servent généralement pas à grand-chose. Ceux qui sont prêts à les entendre n’en ont généralement pas besoin et ceux qui en ont besoin ne sont habituellement pas prêts à les entendre. Par contre, accompagner de manière bienveillante un questionnement, amener sans heurt le parent à interroger ses finalités éducatives ou éclairer les zones d’ombre en mettant en lumière ce qui pose question, tout cela permet d’améliorer sa lucidité en le rendant davantage conscient de l’écart entre ce qu’il produit effectivement quand il éduque et les résultats qu’il avait anticipés dans son imaginaire de parent prétendant à l’excellence et candidat à la perfection.

Or, un parent qui éduque en se sentant mieux éclairé et plus à même de discerner les objectifs éducatifs qu’il définit est un parent qui devient capable d’avancer d’un pas plus assuré parce qu’il sait où il va et qu’il ne se laisse pas guider par un horizon à la fois trop lointain et trop flou. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le souci que nous avons eu dans ce livre de diffuser différents outils autoréflexifs susceptibles de jalonner le parcours d’un parent qui éprouve le sentiment de s’être égaré et de ne plus savoir par quel chemin il lui est possible de poursuivre sa route. Les tests qui sont présentés dans cet ouvrage doivent en effet être envisagés comme des instruments autoréflexifs susceptibles de permettre à chacun de s’interroger à propos des attitudes, des conduites et des comportements parentaux qu’il a tendance à manifester. Ces outils de réflexion permettent ainsi d’améliorer individuellement la lucidité pédagogique de chaque parent et, sur cette base, d’améliorer la clarté de la communication qu’ils sont en mesure d’avoir entre eux à propos de l’action éducative qu’ils réalisent ensemble.

Enfin, l’hyper-parentalité ne constitue pas, à proprement parler, une dérive. Cette difficulté parentale ne prend en effet généralement ni l’apparence spectaculaire d’une sortie de route ni même la forme plus discrète d’une erreur de parcours. Pour le parent qui entend y survivre, il n’est donc pas nécessairement utile de changer fondamentalement d’orientation ; il est juste question pour lui de se délester de la tendance excessive qu’il manifeste à ne rien vouloir laisser au hasard dans le parcours éducatif de son enfant. Le parent, soucieux de tout contrôler, prétend accompagner l’enfant sans jamais le lâcher de façon à le maintenir strictement « dans les clous » pour lui permettre de réaliser sans risque le bout d’un chemin qui le conduira au bonheur certain. Parce qu’il est angoissé à l’idée de ne pas parvenir à jouer ce rôle de guide infaillible, l’hyper-parent peut également être tenté de presser parfois un peu trop le pas de l’enfant à la seule fin de se convaincre qu’il se dirige effectivement vers le saint Graal auquel s’apparente la réussite de son existence.

Ce n’est pas toujours si simple de ne concevoir l’éducation que sous la forme d’une voie rapide. Une telle tendance à baliser strictement le suivi pédagogique de l’enfant pour le transformer en itinéraire sans risque peut justifier, à chacune des échappées belles du petit à éduquer, un reflux massif d’anxiété liée à la crainte de le voir s’égarer. Or, les multiples détours pris par l’enfant n’imposent généralement pas de rectifier fondamentalement la trajectoire éducative du parent, mais supposent de lui permettre de continuer à avancer dans la direction qu’il s’était fixée tout en laissant davantage de temps au temps et en se donnant le droit de musarder en chemin. Prendre le temps, emprunter les itinéraires de traverse, ne pas se presser, faire preuve de modestie : voilà sans doute déjà quatre ingrédients majeurs qui résonneront tout au long de ce livre comme des petits moteurs internes qui permettront de contrer la tendance de l’hyper-parent à exiger que le travail éducatif qu’il réalise produise des résultats immédiats, à surinvestir l’importance du parcours scolaire de l’enfant, à encombrer, par peur du vide, l’agenda de l’enfant d’activités multiples et à exiger en permanence qu’il reflète, par des performances sans faille, le désir d’excellence absolu dont il est investi.

Mais avant de découvrir les voies qui permettent de sortir de l’hyper-parentalité, il convient sans doute d’abord de mieux en faire connaître les principaux signes distinctifs. Nous proposons ainsi, dans le point suivant, de détailler le syndrome en utilisant, pour en dresser le tableau symptomatique, une triple métaphore : celle du parent-hélicoptère, du parent-drone et du parent-curling. Lorsque le parent cumule ces trois comportements, il présente alors précisément le profil-type de l’hyper-parent.

Nous verrons également dans les pages suivantes comment ces tendances éducatives se développent, souvent même avant la naissance de l’enfant, dans le parcours individuel de nombreuses parentalités actuelles. Nous tenterons de comprendre pourquoi cette forme de parentalité hypertrophiée se présente fondamentalement comme une figure de la parentalité contemporaine en montrant notamment comment elle se pose comme une conduite éducative familiale qui se constitue à la fois comme le produit de nos modèles sociaux occidentaux et le meilleur garant de son maintien. L’hyper-parentalité s’appuie en effet, nous le constaterons, sur plusieurs valeurs sociétales qui en définissent les lignes de force ou, selon le point de vue, en soulignent les lignes de faille : l’ultra-individualisme, la course à la réussite sociale et la crainte du déclassement en constituent à ce titre sans doute les principaux ferments.

En vérifiant tout à la fois comment elle s’est ancrée dans l’Histoire de la famille et comment elle se construit dans l’histoire de chaque famille, nous comprendrons ainsi les fondements de l’hyper-parentalité. Nous en analyserons ensuite les conséquences en vérifiant comment le contexte éducatif qu’elle impose à l’enfant, les exigences qu’elle suppose pour le parent et la tension qu’elle fait peser sur la relation éducative peuvent en faire le creuset de l’ensemble des sociopathies5 et des troubles pédagogiques contemporains particulièrement inconfortables qui lui sont associés. Enfin, nous montrerons comment il est possible de sortir à bon compte de l’hyper-parentalité en assimilant toutes les leçons que son analyse nous donne pour en conserver les ressorts positifs tout en la délestant de la gravité qui la rend parfois littéralement insupportable. Cette manière de procéder nous permettra d’agir sur l’ensemble des symptômes de l’hyper-parentalité sans avoir à prescrire des médicaments – puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie –, sans chercher à corriger le tir – puisque ce n’est pas une tare – et sans viser à rectifier fondamentalement les objectifs éducatifs initiaux – puisqu’il n’est pas question d’une véritable dérive. Nous le verrons, l’oppression éducative, la fébrilité pédagogique et le pédagogisme à tendance psychotisante qui parasitent parfois l’hyper-parentalité prendront alors le pas sur la sérénité, la patience et la réflexion apaisée, les trois gages essentiels d’une éducation familiale véritablement émancipatrice.

Leçon 1

Pour sortir de l’hyper-parentalité : ne pas en faire toute une maladie, éviter de la considérer comme une tare et ne pas l’envisager comme une sortie de route.

1.2. Ce qu’est l’hyper-parentalité en trois images

Si vous souhaitez vérifier si votre manière d’être parent est grevée d’une forme plus ou moins lourde d’hyper-parentalité, nous vous proposons d’en faire le tour des indices majeurs. Encore une fois, si vous avez le sentiment d’être concerné par un ou plusieurs de ces « symptômes », pas de panique. Il ne s’agit, rappelons-le, ni d’une maladie, ni d’une tare, ni d’une dérive. Il est même normal d’éprouver, dans toute parentalité, la forme atténuée de chacun de ces symptômes. Leur absence complète dans le tableau descriptif d’un fonctionnement parental traduirait par ailleurs, a contrario, une forme d’hypo-parentalité susceptible, nous en parlerons ci-après, de provoquer bien plus d’inquiétude encore.

Cette tendance parentale se manifeste à travers un corpus de symptômes qui, ensemble, définissent le syndrome que nous désignons à travers le concept d’hyper-parentalité. A priori, cette forme d’éducation parentale désigne une tendance de certains parents très exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, qui ont décidé de mettre au monde non pas un enfant, mais un enfant heureux et destiné à le demeurer jusqu’à la fin de leur vie.

1.2.1. Le parent-hélicoptère

L’hélicoptère est un objet volant parfaitement identifié qui permet non seulement de voyager vite, mais aussi de prendre de la hauteur. Particulièrement efficace lorsqu’il est question d’effectuer des missions de contrôle sur un territoire ou de surveiller des personnes ou des objets en mouvement lors d’un déplacement, il est également capable de tournoyer sans fin autour d’un objet particulier, voire de se maintenir très longtemps en stand-by au-dessus d’un endroit strictement défini. L’image de l’hélicoptère convient donc parfaitement pour illustrer l’attitude de ces parents qui éprouvent constamment le besoin d’avoir leur enfant à portée de regard parce qu’ils craignent, si celui-ci échappe à leur champ de vision, qu’il lui arrive quelque chose. C’est la volonté du parent de contrôler tout ce qui se passe dans et autour de la vie de l’enfant qui contribue à l’installation du symptôme que l’on identifie sous le vocable de « parent-hélicoptère».

Dans cette forme de parentalité, l’occupation essentielle du parent consiste à se transformer en hélicoptère humain et à « tourner », de façon souvent un peu « névrotique », autour de son enfant en manifestant à propos de tout ce qu’il vit une vigilance exacerbée et constante. « Que fais-tu ? », « Qu’est-ce que tu lis ? », « À quel jeu joues-tu ? », « Où vas-tu ? », « Qui fréquentes-tu ? »... Un tel parent à hélices va se mettre dans une posture paradoxale dès lors que tout en réclamant ce contrôle, il exprimera dans son attitude une réelle volonté de construire l’autonomie de son enfant. Cette forme de contradiction dans les intentions se manifestera chaque fois qu’il valorisera par exemple explicitement les comportements de liberté et les conduites d’indépendance de son enfant tout en stimulant implicitement des stratégies éducatives de régulation constante et de supervision continue. Cette attitude pédagogique qui lui donne l’impression d’être un parent « cool » et libertaire se heurte alors parfois violemment à son vécu éducatif quand il prend conscience, parce que par exemple l’enfant ou l’adolescent provoque une crise, qu’il adopte des comportements qui génèrent un stress important et mettent le lien éducatif sous tension parce qu’ils peuvent à l’occasion, notamment dans le choix des jeux ou de leurs supports médiatiques, se révéler particulièrement liberticides.

Le parent-hélicoptère se nourrit ainsi régulièrement de ses propres contradictions : « Ne t’éloigne pas de moi et sois autonome », « Explore ton environnement pour apprendre tout en restant à mes côtés » ou encore « Laisse aller librement ton imagination et libère complètement ta créativité, mais uniquement dans les espaces que j’aurai strictement balisés pour toi »... Tous ces messages contradictoires dérivent d’une même attitude ambiguë qui invite à favoriser le contrôle permanent de tout ce qui entoure l’enfant et s’avère susceptible de le menacer tout en promouvant en apparence son indépendance. Les demandes parentales déroutantes qui en découlent vont réclamer à l’enfant un sens de l’accommodation et une souplesse adaptative hors norme qui peuvent alors le transformer en maître absolu de l’oxymore. Généreusement égoïste, égoïstement altruiste, adepte des conduites à risque sécurisantes ou du conformisme original, spécialiste en hyperactivité passive, l’enfant, et plus tard l’adolescent, endosse alors un costume d’arlequin. C’est celui qu’il prend chaque fois qu’il lui est demandé de composer avec le souci sincère d’épanouissement à travers lequel il sent que son parent l’investit et le désir d’aliénation auquel ce même parent le soumet chaque fois que, transformé en hélicoptère, il bride ses mouvements d’émancipation.

Stanislas offre une parfaite illustration de ce type d’enfant à la fois excessivement affectueux et terriblement insupportable qui, sous des airs d’enfant sage, manifeste en réalité un puissant sens de la rébellion. Présenté comme un enfant à la fois hyper-sensible, hyper-mature et hyper-doué (les hyper-parents manifestent souvent cette tendance à considérer leurs enfants comme « hyper-beaucoup de chose »), Stanislas est un enfant unique d’une douzaine d’années. Il inquiète beaucoup son père et sa mère qui viennent consulter parce que les crises de colère de l’ado-naissant tendent à se multiplier et qu’il passe, selon eux, beaucoup trop de temps devant les écrans. Le premier symptôme étant perçu par ailleurs par eux comme la conséquence du second. « Les écrans, c’est bien connu, rendent violents », affirme ainsi d’emblée la maman en soulignant notamment qu’elle s’est forgé cette conviction en lisant beaucoup d’articles sur la question...

Chaque début de soirée devient ainsi l’occasion d’une passe d’armes qui met sous tension la relation éducative en faisant du temps passé devant les jeux vidéo l’enjeu essentiel d’une lutte sans fin. Chaque moment « volé » par Stanislas pour se réfugier dans un jeu vidéo dont la fonction « diabolique » n’a jamais aussi bien porté son nom est ainsi perçu comme un temps dilapidé du point de vue des parents, mais néanmoins âprement négocié par l’enfant qui, pour pouvoir se livrer à cette activité dévalorisée dans la famille, perçoit qu’il doit faire preuve d’une agressivité démesurée. Le territoire virtuel conquis de haute lutte est alors défendu aussitôt que les parents, mis sous tension parce qu’ils ont été contraints de baisser pavillon et d’adopter une attitude contraire à leurs propres convictions, se mettent à lutter pour, cette fois, limiter le temps et « arracher » Stanislas à son jeu dont ils craignent par-dessus tout l’aspect addictif. Les conduites d’opposition de Stanislas entretiennent alors le cercle vicieux qui confirme le parent dans l’idée que le jeu rend l’enfant violent. Et voilà comment l’enfant et ses parents s’enferment dans une logique circulaire qui rend fous les adultes soucieux de tout maintenir sous contrôle en même temps qu’elle trouble le contexte ludique de l’ado-naissant en lestant son plaisir de jouer de la charge excessive d’une anxiété parentale invasive.

Nous verrons plus tard, dans le chapitre consacré aux solutions, comment il est possible de sortir de ce cercle infernal et d’assouplir les convictions éducatives parentales en allant dénicher les racines émotionnelles à partir desquelles leurs opinions se sont formées. Cette manière de procéder qui prend en considération la charge émotive parentale tout en préservant les possibilités d’émancipation de l’enfant constitue, nous le constaterons, une stratégie de remise en cause d’un schéma éducatif inconfortable particulièrement efficace pour produire un changement sans créer d’insécurité. Pour le moment, Stanislas et ses écrans nous sont surtout utiles pour comprendre comment les injonctions paradoxales peuvent être à l’origine de cercles vicieux qui enferment ceux qui s’y inscrivent dans des logiques aliénantes susceptibles de renforcer les convictions de chacun (« Les jeux vidéo rendent agressifs », « Mes parents sont des empêcheurs de jouer à fond »).

Le parent-hélicoptère, en tournoyant autour de son enfant, entend donc à la fois contrôler ses mouvements et mettre sous surveillance les territoires qu’il fréquente de façon à les sécuriser au maximum. C’est cette tendance à le maintenir à portée de regard qui amène par exemple le parent contemporain à s’inquiéter chaque fois que son enfant – s’il a douze ans ou moins – s’éloigne de lui de plus de trois cents mètres. Cette « zone de sécurité » était, il y a dix ans, de trois kilomètres et pouvait même, il y a une trentaine d’années, être portée à près de trente kilomètres. Un enfant pouvait alors partir pêcher en allant à vélo dans le village voisin sans susciter la moindre inquiétude de la part de ses géniteurs.

« Ils ont abandonné mes enfants en pleine jungle... » : telle est la une d’un quotidien très populaire en Belgique francophone (La Dernière Heure). Et, sous le titre, le visage effondré d’une maman défaite, rongée par l’angoisse que l’on devine insoutenable, ne fait qu’amplifier l’aspect dramatique de l’information. Deux enfants abandonnés dans une jungle : voilà effectivement une épreuve qui a de quoi angoisser toute maman normalement constituée. La lecture complète de l’article relégué en page 9 laisse entendre qu’en réalité l’événement est bien moins spectaculaire que ce qu’en suggère l’image. Ce qui est décrit comme une jungle n’est en effet rien d’autre que... Uccle. Et pour ceux qui connaissent un peu Uccle, une commune particulièrement embourgeoisée de Bruxelles, la métaphore ne peut manquer de faire sourire, surtout quand elle est utilisée pour décrire la situation effectivement vécue par ces deux enfants de neuf et dix ans, déposés par le bus à une distance d’à peine trois cents mètres de l’arrêt officiel. Uccle et son univers impitoyable ne peuvent effectivement faire trembler une maman que si elle est atteinte d’une forme plus ou moins aggravée d’hyper-parentalité, et la panique qui a saisi les deux apprentis-Mowgli indique qu’ils se sont tellement adaptés à la présence de leur parent-hélicoptère que l’idée de s’éloigner de quelques centaines de mètres de la zone sécurisée devient pour eux-mêmes insoutenable.

Ce phénomène de réduction des distances de sécurité explique notamment les regroupements de parents qui forment littéralement des « grappes » à la sortie des classes tant ils sont scotchés au portail de l’école. C’est par ailleurs une tendance similaire à l’hyper-contrôle qui amène le plus souvent ces mêmes parents à espérer voir un jour leur(s) enfant(s) doté(s) d’une puce électronique qui permettra, en toutes circonstances, de le(s) « tracer ». Et c’est encore et toujours cette même tendance qui invite le parent contemporain à « envahir » le champ scolaire de son enfant plus souvent qu’à son tour, c’est-à-dire à peu près chaque fois qu’il pressentira que celui-ci, devenu élève, pourrait y être exposé à ce qu’il perçoit comme une menace physique ou psychique.

Le contrôle permanent du mouvement et la gestion constante des déplacements amènent également l’adulte atteint d’hyper-parentalité à véhiculer son enfant en voiture pour plus de 80 % de ses déplacements. Les enfants, dans un tel contexte éducatif, tendent alors à se déplacer effectivement davantage sur quatre roues qu’en utilisant leurs pieds. Par ailleurs, même quand il laisse son enfant se déplacer en transports en commun, l’hyper-parent n’entend pas non plus perdre le contrôle. C’est précisément ce qu’illustre cet enfant de douze ans aperçu dans un train entre Charleroi et Ottignies (un trajet d’une cinquantaine de kilomètres). Durant la durée du trajet, cet enfant a été dix-sept fois en communication téléphonique avec sa mère qui, en suivant la succession des différents arrêts du train sur une carte, se rassurait continuellement sur l’évolution de son parcours.

TEST

Êtes-vous un parent-hélicoptère ?

Pour chaque item, notez avec une couleur distincte sur le curseur les réponses qui révèlent votre tendance à contrôler les comportements de votre enfant en fonction des différentes périodes d’âge qu’il a dépassées, qu’il a atteintes ou qu’il va atteindre. Cette manière de procéder vous permettra d’évaluer l’évolution de votre attitude parentale. Ainsi, si votre enfant a, par exemple, plus de douze ans, notez pour Q3 votre attitude actuelle et pour Q1 et Q2, chaque fois dans une autre couleur, celle que vous pensez avoir eue. Si votre enfant a, au moment du test, entre six et douze ans, notez pour Q1, celle que vous pensez avoir manifestée, pour Q2 celle que vous manifestez et pour Q3, celle que vous pensez avoir lorsqu’il aura atteint cette période d’âge. Si votre enfant a moins de six ans, ajoutez à l’évaluation de la manière dont vous estimez votre tendance actuelle au contrôle, celle que vous anticipez en imaginant votre attitude lorsqu’il aura atteint les deux autres tranches d’âge. Cette manière de procéder permet de mettre à jour la manière dont vos éventuelles attitudes de parent-hélicoptère sont susceptibles d’évoluer en fonction du niveau de maturité de l’enfant.

Q1

Q2

Q3

Moins de six ans

Entre six et douze ans

Plus de douze ans

Quand votre enfant n’est pas avec vous, éprouvez-vous le besoin de savoir où il se trouve ?

Absolument

Pas du tout

Quand votre enfant n’est pas avec vous, éprouvez-vous le besoin de savoir avec qui il est ?

Absolument

Pas du tout

Quand votre enfant n’est pas avec vous, éprouvez-vous le besoin de savoir à quelle heure il revient ?

Absolument

Pas du tout

Éprouvez-vous le besoin de connaître toutes ses fréquentations ?

Absolument

Pas du tout

Êtes-vous attentif/attentive aux contenus des dessins animés qu’il regarde ?

Absolument

Pas du tout

Choisit-il ses jeux ou ses livres librement ?

Absolument

Pas du tout

Quelle est la proportion de déplacements qu’il réalise avec un adulte ?

0%

100%

Quand il n’est pas sous vos yeux, avez-vous peur qu’il lui arrive quelque chose ?

Jamais

Souvent

Son état de santé vous préoccupe-t-il en dehors de ses périodes de maladie ?

Jamais

Souvent

1.2.2. Le parent-drone

Le drone associe à l’aptitude au survol de l’hélicoptère la précision du mouvement d’un avion-cible capable de localiser un point précis et d’y larguer tout ce qu’il est en mesure de transporter. Identifier rigoureusement tout ce dont l’enfant pourrait avoir besoin et le lui apporter, détecter exactement le moindre de ses désirs et y répondre précisément, repérer la plus petite de ses envies et s’y plier rigoureusement ; voilà précisément ce à quoi s’attachent les hyper-parents en s’obligeant en permanence à fournir à leurs enfants ce qu’il y a de mieux pour les combler, rendre leur développement optimal ou les mettre dans des conditions de vie idéales. Ce deuxième symptôme qui définit l’hyper-parentalité manifeste en quelque sorte une forme aggravée de « parentage-hélicoptère » et est généralement désigné à travers le concept de « parent-drone».

Ce trouble du comportement parental évoque l’attitude du parent qui ne tolère que ce qui lui semble, à ses yeux d’adulte, le meilleur pour son enfant sur le plan éducatif comme sur celui de son développement individuel. La meilleure école (et tant pis pour la mixité scolaire), le meilleur jeu (plutôt un jeu éducatif ennuyeux qu’un jeu vidéo amusant), le meilleur dessin animé (plutôt Kirikou que Bob l’éponge), le meilleur cours particulier, le meilleur « tout ce que vous voulez » pourvu que ce soit le meilleur et que cela contribue à rendre son enfant encore meilleur. En effet, et c’est sans doute là un des problèmes majeurs, à force de toujours vouloir le meilleur pour son enfant, on finit par désirer, comme une forme de retour sur investissement, qu’il soit lui aussi le meilleur.

Il va sans dire que l’enfant soumis à une telle exigence risque de craquer sous la pression. La compétitivité qui marque les rapports sociaux et professionnels, dès lors qu’elle se manifeste sur le terrain des relations familiales, prend inévitablement une coloration affective. Être le meilleur constitue une manière de revendiquer le droit d’être le préféré, si l’enfant fait partie d’une fratrie, d’être adulé s’il est enfant unique. Gare toutefois si l’enfant peine à justifier son statut et éprouve le sentiment d’être fondamentalement décevant, en dépit du fait que le meilleur lui a été donné, parce que d’autres, en ayant éventuellement reçu moins, parviennent à le devancer. Les pannes de l’estime de soi consécutives à ces blessures peuvent occasionner des dommages considérables chaque fois que l’enfant, tétanisé par l’idée de ne pas répondre pleinement aux attentes, n’ose plus agir et, craignant tout ce qui suggère le risque d’un échec, opte pour l’idée de ne plus bouger.

C’est précisément ce qui est arrivé, de manière particulièrement spectaculaire, à Simon. Pour se contraindre à ne plus bouger, cet enfant d’une dizaine d’années n’a par ailleurs pas lésiné sur les moyens. Simon présente effectivement une étrange paralysie de la main droite, aggravée par une atrophie des doigts. Les multiples examens radiologiques et neurologiques passés par l’enfant n’ayant rien révélé de significatif, ses parents se sont lancés, en désespoir de cause, dans l’exploration de la planète psy6. En effet, quand rien ne s’explique par le corps, les psychologues ont généralement le réflexe d’aller chercher ce qui, inconsciemment ou consciemment, se passe dans la tête. Les pédagogues, eux, vont davantage partir à la découverte de ce que l’enfant, à travers l’éducation implicite ou explicite qu’il a reçue, a pu prendre comme leçon pour en arriver à adopter un comportement étrange ou une attitude atypique qui rendent, à lui-même ou à ceux qui l’éduquent, l’existence plus ou moins inconfortable. Les psychopédagogues emmêlent les deux types d’investigation en tentant de débusquer ce que l’enfant, par les apprentissages qu’il a réalisé à l’école ou en famille, a bien pu se mettre en tête. C’est pour comprendre cela que les entretiens, en psychopédagogie, regroupent généralement la fratrie et les parents en prenant pour thème l’éducation familiale et scolaire afin de mesurer l’écart entre la façon dont elle est pensée d’un point de vue parental et la manière dont elle est vécue par chacun des enfants.

Lors de cet entretien d’exploration du vécu éducatif familial, la maman de Simon en vient ainsi rapidement à évoquer son propre passé de brillante violoniste. Elle explique alors qu’elle a voulu mettre Simon à son tour dans les meilleures conditions possibles d’apprentissage en lui proposant des cours particuliers de musique avec un professeur de renom. Malheureusement, la brillante progression initiale de Simon a été brutalement enrayée par l’irruption de la « maladie » et son impact sur la dextérité de l’enfant. La maman exprime, en décrivant l’historique du processus morbide, un vécu émotionnel particulièrement intense tandis que Simon montre, au contraire, en l’écoutant, une indifférence étonnante. Entre deux larmes, elle évoque ainsi la profonde détresse ressentie, selon elle, par Simon lorsqu’il s’est rendu compte qu’il ne pourrait plus jouer. Elle rajoute que sa propre expérience lui permet, sans doute mieux que n’importe qui, de se mettre à la place de son enfant sevré de violon et qu’il ne lui est dès lors pas difficile de concevoir la chape de désespoir qui n’a pas manqué, à son idée, de s’abattre sur son pauvre enfant. Pendant cette longue tirade, Simon, par un comportement non verbal exprimant clairement l’indifférence, semble contredire fondamentalement les propos de sa maman. C’est là précisément tout le problème quand un individu se met à la place d’un autre et prétend, à partir de la position qu’il s’imagine occuper, faire preuve d’une empathie absolue. L’autre, celui dont on prétend avoir pris la place, bien souvent, ne trouve alors plus de place.