Prévention du harcèlement et des violences scolaires - Bruno Humbeeck - E-Book

Prévention du harcèlement et des violences scolaires E-Book

Bruno Humbeeck

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Beschreibung

Comment prévenir le harcèlement scolaire et périscolaire ? Comment réagir efficacement face à ce phénomène ?

Brimades, rejet, ostracisme, moqueries, insultes, harcèlement, cyber-harcèlement… Toutes ces formes de violence visibles ou invisibles, scolaires ou périscolaires, échappent, pour la plupart d’entre elles, au contrôle des enseignants et des éducateurs qui, dans l’état actuel du fonctionnement des écoles, ne disposent pas de moyens méthodologiques pour en repérer l’occurrence, en prévenir la manifestation et en contrôler les effets délétères.

Que faire ? Comment agir efficacement pour la prévenir ? Comment réagir ensemble pour contrôler le phénomène ? Qui sont les harceleurs ? Qui sont les harcelés ? Comment sortir du cycle de harcèlement ? Comment aider son enfant qui en est victime ? Comment l’enseignant peut-il intervenir au sein de sa classe lorsqu’il est confronté à ce type de phénomène ? Comment mettre en place un projet d’école efficace pour en formaliser la prévention et en maitriser les composantes ? C’est à ces questions essentielles que cet ouvrage propose de répondre en donnant aux enseignants comme aux parents des pistes concrètes.

Ce livre permet ainsi notamment de détailler le programme méthodologique mis à la disposition de l’ensemble des écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les outiller et leur permettre de faire face à cette douloureuse problématique.


À PROPOS DE LA COLLECTION OUTILS POUR ENSEIGNER

La collection Outils pour enseigner explore les tendances actuelles de la pédagogie et de la didactique et propose des ouvrages concrets et d'accès aisé pour la construction de savoir-faire et de savoir-être.

Des outils de formation qui joignent la théorie à la pratique, pour les enseignants du fondamental, les étudiants en pédagogie, les inspecteurs, les formateurs ainsi qu'aux éducateurs, animateurs et parents.

Depuis 2012, la collection Outils pour enseigner a entamé une grande phase de relooking. Ne tardez pas à découvrir les nouvelles couvertures !

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TABLEDESMATIÈRES

Titre
Copyright
Avant-propos
PARTIE 1 - Comprendre
1. Deux romans édifiants pour comprendre la violence entre enfants
a. Pourquoi des romans ?
b. « Sa majesté des mouches » : la violence comme un jeu d’enfants
c. « La guerre des boutons » : le plaisir ludique des guerres enfantines
d. De la violence enfantine romancée à la description du harcèlement postmoderne
e. Changement de paradigme dans l’éducation familiale et scolaire
2. Histoires naturelles : fondements éthologiques de la violence enfantine
3. État des lieux : violence visible et invisible en milieu scolaire et périscolaire
a. Définition du harcèlement sous toutes ses formes
b. Prévalence du phénomène de harcèlement
c. Conséquences du harcèlement et du cyberharcèlement
PARTIE 2 - Prévenir, agir et réagir
1. Maitriser la violence : des règles, des normes et des lois
2. Le roi comme outil de prévention et d’intervention
3. L’école comme territoire à contrôler : la régulation des espaces
a. Cours de récréation, couloir et toilettes : des espaces de « vacance de pouvoir »
b. Objectifs généraux et opératoires du dispositif de prévention
c. La régulation des cours de récréation
4. La classe comme groupe à maitriser : les espaces de parole régulés
a. L’espace de parole régulé : médiation des interactions violentes au sein du groupe
Médiation au sein du groupe-classe des situations de harcèlement scolaire
b. Agir sur le climat de classe pour prévenir et intervenir
5. L’école comme lieu de diffusion de la loi : les conseils de discipline
6. Projet d’école, coéducation, fonction inclusive de l’école et communauté éducative
a. La coéducation comme principe organisateur des relations école-famille
b. La communauté éducative comme principe pédagogique
c. La fonction inclusive de l’école comme exigence sociale que l’école se donne à elle-même
Bibliographie

ARCHAMBAULT J. et CHOUINARD R., Vers une gestion éducative de la classe.

BOGAERT C. et DELMARLE S., Une autre gestion du temps scolaire. Pour un développement des compétences à l’école maternelle.

COUPREMANNE M. (Sous la direction de), Les dynamiques des apprentissages. La continuité au cœur de nos pratiques. De 2 ans ½ à 14 ans

DAUVIN M.-T., LAMBERT R., L’apprentissage en questions. S’interroger pour améliorer nos pratiques.

DEGALLAIX E. et MEURICE B., Construire des apprentissages au quotidien. Du développement des compétences au projet d’établissement.

DE LIÈVRE B. et STAES L., La psychomotricité au service de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte. Notions et applications pédagogiques.

DRUART D., JANSSENS A. et WAELPUT M., Cultiver le goût et l’odorat. Prévenir l’obésité enfantine dès 2 ans ½.

DRUART D. et WAUTERS A., Laisse-moi jouer… J’apprends !

DRUART D. et WAELPUT M., Coopérer pour prévenir la violence. Jeux et activités d’apprentissage pour les enfants de 2 ans ½ 12 ans.

EVRARD T. et AMORY B., Réveille-moi les sciences. Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 14 ans.

EVRARD T. et AMORY B., Les modèles. Des incontournables pour enseigner les sciences ! Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 18 ans.

GIASSON J., La lecture. Apprentissage et difficultés. Adapté par G. VANDECASTEELE.

GIASSON J., La lecture. De la théorie à la pratique. Adapté par T. ESCOYEZ.

GIASSON J., Les textes littéraires à l’école. Adapté par T. ESCOYEZ.

GIBUS, Chant’Idées. Écouter, comprendre, exploiter chansons et poèmes de 2 ans ½ à 12 ans.

HARLEN W. et JELLY S., Vivre des expériences en sciences avec des élèves du primaire.

HEUGHEBAERT S. et MARICQ M., Construire la non-violence. Les besoins fondamentaux de l’enfant de 2 ans ½ à 12 ans.

HINDRYCKX G., LENOIR A.-S. et NYSSEN M. Cl., La production écrite en questions. Pistes de réflexion et d’action pour le cycle 5-8 ans.

HOHMANN M., WEIKART D. P., BOURGON L. et PROULX M., Partager le plaisir d’apprendre.

Guide d’intervention éducative au préscolaire.

HUMBEECK B., LAHAYE W. et BERGER M., Prévention du harcèlement et des violences scolaires. Prévenir, agir, réagir…

JAMAER Ch. et STORDEUR J., Oser l’apprentissage… à l’école !

LACOMBE J., Le développement de l’enfant de 0 à 7 ans. Approche théorique et activités corporelles.

LEMOINE A. et SARTIAUX P., Jouer avec les mathématiques. Jeux et activités traditionnels de 2,5 à 8 ans

MEURICE B., Accompagner les enseignants du maternel dans leurs missions.

MOURAUX D., Entre rondes familles et École carrée… L’enfant devient élève.

PIERRET P. et PIERRET-HANNECART M., Des pratiques pour l’école d’aujourd’hui.

REY B., CARETTE V., DEFRANCE A. et KAHN S., Les compétences à l’école. Apprentissage et évaluation.

STORDEUR J., Comprendre, apprendre, mémoriser. Les neurosciences au service de la pédagogie.

STORDEUR J., Enseigner et/ou apprendre. Pour choisir nos pratiques.

TIHON M., Jouer aves les sons. La métaphonologie pour entrer dans la lecture.

TERWAGNE S., VANHULLE S. et LAFONTAINE A., Les cercles de lecture. Interagir pour développer ensemble des compétences de lecteurs.

TERWAGNE S., VANESSE M., Le récit à l’école maternelle. Lire, jouer, raconter des histoires.

WAELPUT M., Aimer lire dès la maternelle. Des situations de vie pour le développement des compétences en lecture de 2 ans ½ à 8 ans.

WAUTERS-KRINGS F., (Psycho)motricité. Soutenir, prévenir et compenser.

Le présent ouvrage suit la règle typographique qui impose l’accentuation des majuscules. Il tient compte également des simplifications orthographiques proposées par le Conseil Supérieur de la langue française et approuvés par l’Académie française en 1990.

Pour toute information sur notre fonds, consultez notre site web : www.deboeck.com

Conception graphique de la couverture : Annick Deru

© De Boeck Éducation s.a., 2016

Fond Jean Pâques, 4 – 1348 Louvain-la-Neuve

EAN 978-2-8041-9582-3

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Avant-propos

Les violences visibles et invisibles liées au phénomène de harcèlement concernent un enfant sur trois à l’école. Elles ont non seulement un impact direct sur le climat de la classe et de l’école, mais elles exercent également leurs nuisances sur le bienêtre et le développement de l’enfant avec des conséquences parfois dramatiques, tout en bouleversant l’équilibre des relations entre l’école et la famille. C’est donc toute l’écologie de l’éducation qui se trouve mise à mal par les mécanismes du harcèlement scolaire.

En vue de restaurer les alliances éducatives entre les multiples partenaires de l’éducation, le Service des Sciences de la Famille1 de l’Université de Mons (Belgique) qui rassemble nos travaux a mis en œuvre de nombreuses initiatives dans une perspective de coéducation. Cette notion mobilise les pratiques qui se manifestent dans les institutions d’éducation et de développement dans une visée inclusive. L’inclusion sociale n’est pas simplement le versant opposé à la discrimination ou l’exclusion sociale. Elle favorise largement la participation de tous les membres d’une société tout en tenant compte de leur épanouissement individuel et identitaire. Telle est la gageüre des pratiques coéducatives.

Dans l’univers des relations entre l’école et la famille, la coéducation visera notamment à renforcer les synergies entre ces deux pôles dans l’intérêt de l’enfant, tout en délimitant et en respectant scrupuleusement les rôles et les territoires de l’une et de l’autre. Au-delà des discours et des concepts, la coéducation se traduit bien en pratiques et en processus opératoires qui favorisent l’inclusion de tous les acteurs de l’éducation. Il ne s’agit pas de recettes ou de méthodologies d’application nouvelles, mais bien plutôt d’un cadre pédagogique dans lequel les pratiques les plus anciennes et habituelles sont repensées en tenant compte de leur objectif inclusif : relire l’ancien pour en faire du neuf.

Voilà sans doute le secret le plus efficient de la coéducation. Repenser les pratiques anciennes qui ont engendré les mécanismes de l’individualisme à tout crin contre les synergies du groupe, de l’épanouissement de soi par l’éviction des autres et de l’autorité d’un groupe par l’humiliation de ceux que l’on désigne comme différents. Reprendre ces mêmes pratiques mais en les revisitant pour en faire des processus d’inclusion favorable au mieux vivre ensemble. C’est sans doute aussi cette originalité des pratiques de la coéducation qui ont amené le Ministère de l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles à opter pour ce principe dans un projet de prévention et de prise en charge du harcèlement et du cyberharcèlement depuis septembre 2015.

Concrètement, le présent ouvrage vise d’abord à repenser les phénomènes de harcèlement scolaire pour mieux en comprendre les mécanismes. Il permet ensuite de parcourir les pratiques de territoire (cour de récréation, couloir…), les modalités de régulation par les règles, les normes et les lois, mais aussi les pratiques de classe et d’école, tout en tenant compte de l’ensemble de la communauté éducative pour en redéfinir les contours et en préciser les applications dans une perspective inclusive. Il ne s’agit pas de conseils, d’avertissements avisés ou de bons principes éclairés. Il s’agit bien plus de pratiques éprouvées et toujours remises sur le métier par les acteurs du terrain de l’éducation et dont les modalités principales vous sont présentées.

Nous vous en souhaitons une bonne découverte et une excellente mise à l’épreuve.

Willy Lahaye et Bruno Humbeeck, Université de Mons.

1. Les travaux de recherche et supports documentaires produits par le Service des Sciences de la Famille sont accessibles à l’adresse suivante : www.sciencesdelafamille.be

PARTIE 1

COMPRENDRE

Le cadre d’analyse

1. Deux romans édifiants pour comprendre la violence entre enfants

a. Pourquoi des romans ?

b. « Sa majesté des mouches » : la violence comme un jeu d’enfants

c. « La guerre des boutons » : le plaisir ludique des guerres enfantines

d. De la violence enfantine romancée à la description du harcèlement postmoderne

e. Changement de paradigme dans l’éducation familiale et scolaire

2. Histoires naturelles : fondements éthologiques de la violence enfantine

3. État des lieux : violence visible et invisible en milieu scolaire et périscolaire

a. Définition du harcèlement sous toutes ses formes

b. Prévalence du phénomène de harcèlement

c. Conséquences du harcèlement et du cyberharcèlement

1. Deux romans édifiants pour comprendre la violence entre enfants

a. Pourquoi des romans ?

L’intuition des romanciers, c’est bien connu, les amène généralement à imaginer anticipativement ce que les scientifiques s’efforceront de penser ensuite rationnellement. Près d’un siècle avant que la violence entre enfants soit conceptualisée par Olweus (1993) à travers la notion de bullying ou que Pain (1999) n’évoque les rapports entre élèves à travers les notions de violence scolaire, de harcèlement et de brutalité, Pergaud (1912) et Goldwing (1956) en avaient ainsi proposé une mise en scène spectaculaire dans deux récits.

Le premier roman, « Sa majesté des mouches » (Golding, 19561), nous signifiait qu’une collectivité d’enfants, livrée à elle-même et complètement soustraite au contrôle des adultes, ne se constitue pas comme un monde de « Bisounours », mais devient très vite, au contraire, un univers impitoyable au sein duquel tous les comportements qui manifestent et régissent les rapports de domination sont autorisés. Le second roman, « La guerre des boutons » (Pergaud, 19122), nous rappelait comment, dans un groupe d’enfants, dès qu’il se met en congé du pouvoir des adultes, l’humiliation tend à être utilisée comme une arme de destruction massive pour s’inscrire dans une guerre intestine. Tous les coups sont ainsi autorisés pour autant qu’ils permettent à l’individu de se constituer comme une personne signifiante au sein de son groupe d’appartenance.

Ces histoires importantes ne sont pas des récits destinés à dénoncer ce contre quoi il faudrait lutter. Au contraire, ces deux ouvrages visent juste à montrer l’état d’enfance et la manière dont il se constitue au sein d’un groupe de pairs quand les adultes ne s’en préoccupent pas. Ils décrivent ainsi une enfance qui joue, cruelle ou jubilatoire, et déploie naturellement dans ses jeux une violence qui est consubstantielle au groupe humain quand il n’est pas structuré par des règles, des normes ou des lois qui en maintiennent davantage son gouvernement à l’abri des guerres de pouvoir.

Nous proposons ci-après d’envisager le spectre de la violence entre enfants à travers ce qu’en racontent ces deux romans. Ce faisant, nous envisagerons les représentations de l’enfance qui s’y associent et nous montrerons comment le paradigme au sein duquel nous évoluons actuellement rend celle-ci, de nos jours, à la fois inacceptable dans ses fondements et intolérable dans ses principes. Nous serons ainsi parvenus à poser les bases de ce qui demeure indispensable à toute pédagogie collective : la maitrise par l’adulte de tout ce qui peut dans les rapports entre enfants générer chez l’un ou plusieurs d’entre eux de la souffrance psychosociale.

C’est à cela que servent les voyages dans les romans. Prêter à penser là où les scientifiques donneront à réfléchir dès lors qu’ils transformeront en concepts les mots et les images que véhicule la lecture romanesque. C’est pour cela qu’un ouvrage qui se prétend scientifique ne perd certainement rien à chercher son impulsion dans le contenu d’une ou de plusieurs œuvres imaginaires qui, sans rien chercher à démontrer, ont indiqué le sens et le fondement d’une problématique dont le temps s’est ensuite chargé de faire évoluer la forme, nécessairement mouvante.

« Sa majesté des mouches »

b. « Sa majesté des mouches » : la violence comme un jeu d’enfants

Golding, tout comme Pergaud d’ailleurs dont nous parlerons plus loin, était enseignant. L’un et l’autre connaissaient les enfants. Pour le meilleur sans doute, mais pour le pire aussi. Ils les fréquentaient quotidiennement sous la forme qu’ils prennent quand l’école les transforme en élèves. Plus que Pergaud sans doute, Golding avait cependant aussi l’âme d’un révolutionnaire. Professeur dans un lycée prioritaire, il rêvait de se procurer « quelques tonnes de TNT » pour faire sauter Eton, l’école privée la plus aristocratique d’Angleterre. Heureusement pour la santé des petits bourgeois d’Eton, comme tous les romanciers, Golding avait l’imagination fertile et il pouvait sans dommage se contenter de vivre en rêve ce à quoi ses idées le poussaient. Il ne fit dès lors jamais rien exploser d’autre que nos illusions sur l’état d’enfant en dynamitant les mythes de l’innocence enfantine et des vertus supposées de la civilisation.

En écrivant en 1954 « Sa majesté des mouches », un roman sous forme d’anti-utopie radicale, le futur prix Nobel, n’ignorait certainement pas qu’il cristallisait, sur fond de guerre de pouvoir, tout le sadisme des jeux enfantins. En mettant en scène un groupe d’enfants naufragés, livrés à eux-mêmes, libérés de la présence des adultes, sur une ile qui jusqu’à leur arrivée était déserte, il aurait pu en effet nous dépeindre une petite république d’enfants idéale organisant ensemble, en s’appuyant sur une solidarité naturelle, les conditions de leur survie dans un environnement à la fois hostile et paradisiaque. Il a pris le parti au contraire de nous indiquer ce qui se passait quand le vernis de civilisation de petits Anglais impeccablement éduqués se mettait à fondre sous les effets conjugués du soleil des tropiques et de la soif de pouvoir. Face à la pauvreté des arguments de raison qu’incarnent Ralph et Piggy, Jack en parfait petit mâle dominant, en est ainsi venu à imposer le culte de la force dans les rapports de domination. Le pouvoir des forts et l’extermination des faibles ont, de cette manière, sanctionné progressivement le reniement du groupe aux principes démocratiques en même temps qu’il mettait en évidence la friabilité de la cohésion sociale lorsque les règles ne parviennent plus à structurer le groupe.

En mettant en évidence la propension innée des enfants à opter pour le statut de chasseur plutôt que pour celui de gibier et en réduisant en cendres l’Eden initial, Golding, à travers sa Robinsonnade désenchantée en terre d’enfance, nous a offert sa vision de la vie collective enfantine : c’est un écrivain qui, pour avoir été lui-même un gamin solitaire et introverti, savait quels degrés d’inhumanité peuvent parfois se cacher sous les rires et les blagues des cours de récréation.

« La guerre des boutons »

c. « La guerre des boutons » : le plaisir ludique des guerres enfantines

« La guerre des boutons » se présente comme un récit jubilatoire. Louis Pergaud, son auteur, le décrit comme « un livre heureux », conçu dans la joie et « écrit avec volupté »3. L’ouvrage met en scène des gamins incontrôlables qui jouent à la guerre avec une incroyable liberté. À ce titre, il fait incontestablement sourire le lecteur. Le ton est, à chaque page, celui de la comédie. Rien n’est pris au tragique. Logique du point de vue de l’auteur : la guerre entre enfants est par essence ludique. Rien ne peut donc y être évoqué sur le mode dramatique. Tout y est léger, merveilleusement léger. Autant que peuvent l’être l’enfance et ses vicissitudes.

Lebrac, Petit Gibus, Grand Gibus, Camus… Dans ce petit monde, chacun, à son tour, trinque, mais personne ne souffre. L’humiliation se déguste, mais n’altère pas. Les injures fusent, touchent, mais ne blessent pas. Les coups pleuvent, atteignent leur cible, mais ne meurtrissent pas. L’enfant tombe et se relève à chaque fois, indemne, comme si tout ce qui ne le tuait pas le grandissait inexorablement.

Et quand les enseignants humiliants, les parents maltraitants, en rajoutent une couche, la caisse de résonance qu’ils offrent aux douleurs de l’enfant ne fait, en définitive, que renforcer ce dernier dans son désir de jouer à celui qui fait le plus mal. « Poil de Carotte » (Renard, 1894) présentait, à peu près à la même époque, la maltraitance intrafamiliale sur un mode léger. « La guerre des boutons » utilise un registre similaire pour évoquer la violence que l‘enfant fait subir à ses pairs. Comme si, pour parler de la souffrance psychologique telle qu’elle est endurée par les enfants, il fallait nécessairement se donner préalablement les moyens d’en sourire.

Le récit ferait pourtant de nos jours incontestablement frémir plus d’un parent et alarmerait plus d’un enseignant. En effet, les enfants, dans leurs affrontements, n’y comptabilisent pas que « les boutons », ils s’y massacrent aussi à coup d’injures, d’humiliations et de violences physiques. Les pleurs, sporadiques, ne durent pourtant que le temps d’un chagrin d’enfant(s). Les plaies, qu’elles soient physiques ou psychologiques, ne sont jamais, apparemment, que superficielles. Prises en charge par le groupe des pairs, elles se cicatrisent instantanément et ne font jamais naitre que le désir de se rejeter à corps perdu dans cet éternel jeu d’enfant qui prend l’allure d’un combat intraspécifique permanent.

Affichant sa volonté d’écrire un « livre sain, qui fut à la fois gaulois, épique et rabelaisien ; un livre où coulât la sève, la vie, l’enthousiasme… », Louis Pergaud, jeune maitre d’école désillusionné, fait volontairement l’impasse sur ce qui semble participer de la nature fondamentale de l’enfant : la volonté farouche d’humilier, le désir permanent d’agresser, le souci constant d’installer sa domination sur l’autre, le plaisir continu de prendre le pouvoir sur celui qui, parce qu’il appartient à un autre « clan » est, si pas délesté de sa valeur humaine, à tout le moins dénié dans l’idée qu’il pourrait souffrir individuellement.

Les germes de la guerre sont effectivement bien présents dans ces combats d’enfants. Tout ce qui fonde l’agressivité intraspécifique et la rend possible s’y rassemble pour favoriser l’affrontement sur fond de lutte territoriale.

d. De la violence enfantine romancée à la description du harcèlement postmoderne

Dans l’univers enfantin décrit par Pergaud et même dans l’univers pourtant mortifère décrit par Golding, rien ne parait, en première lecture, vraiment grave. Tout semble nécessairement léger. Toute cette agitation est, somme toute, réduite à n’être qu’une longue récréation. Celle que prennent les enfants quand ils s’ébaudissent à l’abri des regards adultes et s’appliquent à s’amuser sérieusement. Et, de cette manière, en prenant la forme de jeux puérils, les faits de guerre prennent un air anodin qui prête davantage à rire qu’à penser. La nostalgie d’une époque révolue où tout semblait plus simple fait le reste. Elle nous inciterait presque, dans un tel contexte, à regretter cette période bénie où les enfants, après s’être fait copieusement molester, s’endormaient en comptant les boutons et en répertoriant fièrement leurs blessures.

Cependant, personne, à notre époque, n’accepterait de laisser se déployer un tel déferlement de violence. Les temps ont changé. L’enfant souffre davantage d’être confronté à la souffrance. Les enfants humiliés, loin d’être, comme dans « La guerre des boutons », adoubés pour leur héroïsme par leur groupe d’appartenance, se voient au contraire, anéantis sur Facebook et renvoyés à leur isolement. En outre, le contexte familial d’injonction au bonheur perpétuel (Bruckner, 2002) ne prédispose pas les familles à tolérer le déploiement d’états de souffrance émotionnelle chez l’enfant. Les parents, confrontés à l’image de la souffrance de leur enfant, s’effondrent littéralement et ne parviennent pas à jouer leur rôle de contenant. Quant à l’école, sommée de réagir, elle ne sait plus que faire pour contrôler cette horde d’enfants belligérants qui échappent, le temps d’un jeu, à sa maitrise. Bref, personne ne tolèrerait de nos jours l’engagement des enfants dans cette « drôle de guerre » et la souffrance, au moindre de ses signes, se glisserait immanquablement partout, chez chacun des acteurs du monde scolaire et périscolaire pour s’amplifier dans la forme et gagner en intensité dans le fond.

Quelle évolution le champ des représentations liées à l’enfance a-t-elle bien pu subir pour que la perception de la violence qu’un enfant fait subir à un autre enfant en vienne à changer aussi fondamentalement de statut ? Comment une scène d’humiliation décrite comme jubilatoire dans un contexte est-elle assimilée à un creuset de souffrance intolérable dans un autre ? Qui a changé ? L’école et sa fonction éducative ? Les enfants et leur mentalité ? Les parents et leurs exigences ? Pour répondre à ces questions fondamentales, il convient assurément de se méfier des réponses simplistes. C’est ce que nous tenterons de faire dans le point suivant en analysant tout ce qui, dans cette évolution, manifeste un véritable changement de paradigme dans l’éducation familiale et scolaire ainsi que dans tout ce qui alimente le contexte de coéducation qui lie l’une à l’autre.

e. Changement de paradigme dans l’éducation familiale et scolaire

Dans le domaine de la pédagogie comme dans bien d’autres d’ailleurs, c’est sans doute davantage dans la conjonction complexe de plusieurs facteurs interdépendants que se trouve l’explication de tout changement de paradigme.

Nous proposons ci-après d’en relever trois en précisant pour chacun d’eux comment l’évolution qu’il manifeste a pu influencer les représentations que l’on se fait de la violence entre enfants.

L’épanouissement individuel et identitaire de l’enfant est présenté comme l’objectif éducatif explicite majeur qui doit être poursuivi par l’ensemble des adultes qui se préoccupent de son évolution. Tout ce qui freine, module ou perturbe ce cheminement vers le développement personnel optimal de l’enfant doit dès lors impérativement être évacué de sa trajectoire. Dans une telle optique, l’estime de soi et l’humour s’assimilent au contraire des socles de développement essentiels parce qu’ils tendent à préserver la construction identitaire et à favoriser la prise de recul en cas d’échec (Humbeeck, 2001). C’est pour cela notamment qu’une estime de soi blessée ou affaiblie de l’enfant ou de l’élève apparait vite aux yeux des parents comme un dommage majeur qu’il faut à tout prix éviter. C’est en cela aussi que l’humour dont l’usage est survalorisé chez l’enfant apparait rarement suspect dans les situations de violence symbolique dont nous parlerons ci-après.

Le contexte d’hyperparentalité qui conduit les parents à surinvestir le lien qu’ils nouent avec l’enfant au point de vouloir contrôler tout ce qui peut lui arriver4, de ne concevoir pour lui que le meilleur en toute circonstance5 et de ne tolérer chez lui que la recherche d’émotions positives (la joie) en évacuant tout le registre émotionnel qui s’en éloigne (tristesse, colère, peur) dans le seul but de le conduire à une réussite incontestable et à un bonheur indiscutable6. Cette forme hypertrophiée de parentalité conduit les parents à ne plus supporter les souffrances de leur enfant au point d’offrir à celles-ci une véritable caisse de résonnance chaque fois qu’un comportement ou une conduite entre élèves fait subir à leur enfant une forme de violence physique ou symbolique. La volonté de tout contrôler, la quête du meilleur pour l’enfant et l’intolérance à tout ce qui évoque chez lui un vécu d’émotions négatives amènent en outre le parent à investir le champ scolaire et à exercer sur celui-ci une forte pression dès qu’une attitude d’agressivité intraspécifique entre élèves contiendrait une dimension violente.

La coéducation

L’école se constitue comme un espace de coéducation au sein duquel parents et enseignants doivent conjuguer leurs efforts pour favoriser ensemble l’épanouissement de l’enfant. La coéducation s’assimile en réalité à un espace transitionnel complexe qui ne se réalise pas naturellement et spontanément mais répond au contraire à une construction réfléchie répondant à un ensemble de règles méthodologiques rigoureuses (Humbeeck et Lahaye, 2014), à travers lesquelles chaque acteur de l’action éducative est conforté dans son identité et se sent à sa place dans l’acte éducatif réalisé en commun. Les situations de violence mal maitrisées constituent évidemment dans un tel contexte une mise à l’épreuve du modèle coéducatif, dans la mesure où parents et enseignants doivent nécessairement se donner les moyens d’agir ensemble pour en limiter les effets ou en réduire l’occurrence, tout en demeurant précisément à la place qui leur est réservée (l’enseignant à l’école, le parent à la maison) et en veillant toujours à éviter le mélange des rôles, des fonctions et des statuts éducatifs. Nous reviendrons évidemment largement sur cette exigence fondamentale lorsque nous évoquerons les modalités de prise en charge des situations de harcèlement et/ou de violence par les enseignants ou les acteurs du monde scolaire.

L’éducation comme vecteur d’épanouissement, le contexte d’hyperparentalité et le souci de coéducation ont incontestablement fait évoluer les représentations qui entourent la violence entre enfants. Cette violence, et les représentations que tend à s’en faire l’adulte postmoderne, ont de cette manière transformé l’école contemporaine, en ce compris l’ensemble des lieux de vacances qu’elle contient (cour de récréation, couloirs, etc.), en un espace dont l’adulte doit maintenant impérativement retrouver la maitrise. Même chose pour le groupe-classe, plus question de le laisser jouer un remake de la guerre des boutons ni même d’y tolérer que s’y réalisent des luttes de pouvoir façon « Sa majesté des mouches ». Il faudra au contraire se donner les moyens d’en gérer le climat de façon à ce que rien n’échappe à la mainmise de l’adulte sur tous les effets de groupes susceptibles d’être vécus difficilement par l’un ou l’autre enfant. Pour cela, il faudra sans doute, nous le verrons, reprendre le pouvoir au sein et sur le groupe.