Comment agir face au cyber-harcèlement - Bruno Humbeeck - E-Book

Comment agir face au cyber-harcèlement E-Book

Bruno Humbeeck

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Beschreibung

Le but de ce livre est de répondre aux interrogations légitimes de chaque parent dont l’enfant est confronté à une forme plus ou moins lourde de cyber-harcèlement. Comment réagir efficacement ? Que faut-il faire pour y mettre fin ? Comment soutenir son enfant ou son adolescent face à cette épreuve qui l’écrase ? Comment favoriser une réponse pédagogique adaptée au sein de l’école ? Comment mettre en place des protections juridiques ou judiciaires efficaces ? À travers cet ouvrage, l’objectif est non seulement d’aider les parents à comprendre comment s’est constituée la situation de cyber-harcèlement à laquelle est confronté leur enfant et à concevoir l’état d’impuissance dans lequel il est plongé, mais aussi, et surtout sans doute, leur proposer des pistes concrètes qui leur permettront de réagir en tenant compte du fonctionnement du système scolaire et du système juridique tels qu’ils peuvent être utilisés pour protéger leur enfant. Tout cela permettra aux parents, au terme de la lecture, de poser des réactions éclairées face au vécu de leur enfant. Qui sont les experts vers qui se tourner, quelles stratégies mettre en place pour aider, comment fonctionne le cyber-harcèlement de façon systémique ? Autant de questions auxquelles ce livre propose de répondre.

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Comment agir face au cyberharcèlement

Éditions Renaissance du Livre

Drève Richelle, 159 – 1410 Waterloo

www.renaissancedulivre.be

Comment agir face au cyberharcèlementÉdition : Anne Delandmeter Correction : André Tourneux Couverture et mise en pages : Martine d’Andrimont | Artifice Concept

Dépôt légal : D/2022/12.379/20e-ISBN : 9782507057664

Tous droits réservés. Aucun élément de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans une banque de données ni publié sous quelque forme que ce soit, soit électronique, soit mécanique ou de toute autre manière, sans l’accord écrit et préalable de l’éditeur.

Bruno Humbeeck

Comment agir face au cyberharcèlement

À Zara, la maman de Maëlle, dont la contribution à ce livre a été essentielle.

Mais aussi à tous les autres parents, Marc, Véronique, Nathalie, Bernard, Maria et tant d’autres, parce que je me suis juré de n’arrêter ce combat que lorsque j’estimerai en avoir assez fait pour lever la tête et les regarder dans les yeux de façon à y voir briller les poussières d’étoiles que leurs enfants y ont laissées…

INTRODUCTION

Pourquoi ce livre ?

Comment agir pour que le cyberharcèlement cesse de broyer des enfants, d’anéantir des adolescents dépassés par la virulence des agressions dont ils font l’objet ? Comment éviter que face au ­revenge porn et aux ravages qu’il provoque sur les jeunes victimes, en voyant l’image qu’elles se font d’elles-mêmes voler publiquement en éclats, ne trouvent pas d’autre alternative que celle de quitter définitivement la scène quand leur intimité y a été exposée avec une brutalité sans nom ? Que faire pour mettre fin à ce fléau ? Comment contrôler cette épouvantable caisse de résonance qui transforme les écrans en machines à tuer ? Que faire, quand on est parent, pour protéger ses enfants et, sans diaboliser ce qui est devenu un support pédagogique prescrit par l’école elle-même, éviter qu’ils ne s’exposent à des agressions auxquelles ils ne pourront pas, on le devine, faire face par leurs propres moyens ?

Parce que, chaque soir, près de 700 000 enfants ou adolescents en France et plus de 150 000 en Belgique se demandent ce qu’ils ont fait pour mériter d’être traités de façon aussi brutale par leurs pairs, il est plus qu’urgent de prendre à bras-le-corps le phénomène du cyberharcèlement.

Les réseaux sociaux sont devenus de véritables cours de récréation virtuelles. Ces cours de récréation, on le sait, sont les hauts lieux de la violence scolaire entre élèves. L’aspect virtuel de ces cours ne pouvait dès lors qu’augmenter la virulence des agressions subies en même temps, nous le verrons, qu’il augmente le sentiment d’isolement et l’impression d’impuissance de ceux qui sont la cible de l’agressivité hiérarchique et des jeux de pouvoir des autres.

Le film Un monde de Laura Wandel montre, avec le talent magnifique d’une réalisatrice de cinéma hors norme, ce qu’une cour de récréation vue à hauteur d’enfants contient de violence. Il faudrait maintenant un autre film pour montrer cet « autre monde » celui qui, à hauteur d’enfants et d’adolescents, se met en scène dans les cours de récréation virtuelles que deviennent les réseaux sociaux quand ils se mettent à fonctionner comme de véritables machines à broyer.

On ne peut plus de nos jours accepter les demi-mesures, les réactions molles qui se produisent autour de la prévention du harcèlement scolaire quand elles traitent le cyberharcèlement comme un épiphénomène auquel on s’attardera éventuellement ensuite, sur lequel on se penchera quand on voudra bien s’en donner les moyens en repoussant à plus tard… en repoussant alors trop souvent à trop tard…

Voilà pourquoi ce livre a été écrit, parce que cela n’est plus possible d’attendre en laissant des parents démunis et angoissés, des enseignants et des éducateurs soucieux de bien faire, mais trop souvent désemparés, livrés à eux-mêmes face à un fléau auquel on se promet chaque année de s’attaquer, mais que l’on repousse à chaque fois en justifiant d’autres urgences, pourtant bien moins urgentes, ou en se contentant de demi-mesures qui font du cyberharcèlement le parent pauvre du harcèlement alors qu’il en est incontestablement le rejeton maléfique…

Une partie de ce livre a été écrite en collaboration avec Zara Chiarolini, une maman, une maman qui a payé très cher l’absence de réaction institutionnelle adaptée, une maman avec laquelle nous pourrons notamment démonter de l’intérieur le mécanisme du revenge porn… Une maman qui a cette générosité ultime, bouleversante, de se préoccuper des enfants des autres parce qu’elle mesure plus que n’importe qui la valeur d’une vie…

Une autre partie de ce livre a été co-écrite avec Olivier Bogaert, commissaire à la Federal Computer Crime Unit en Belgique, parce que le cyberharcèlement pose un problème global qui ne concerne pas que l’école, mais implique aussi une réponse judiciaire et juridique qui peut par ailleurs être complémentaire à la réponse pédagogique.

Et puis, ce livre a aussi été écrit pour concrétiser un rêve, le rêve de se lever une fois pour toutes contre l’injustice éternelle en créant les conditions du bonheur pour chacun et en protestant contre l’univers du chagrin dans lequel beaucoup d’enfants et d’adolescents sont trop souvent découragés de grandir.

Il n’y a quasiment plus de harcèlement sans cyberharcèlement.

Peut-on encore parler de harcèlement sans évoquer le cyberharcèlement? Le deuxième fonctionne de nos jours quasi systématiquement comme la caisse de résonance de l’autre en donnant aux agressions une puissance virtuelle incontrôlable qui explique les dégâts épouvantables qu’il provoque chez ceux qui en sont la cible.

Pourtant, force est de constater que l’on entend encore beaucoup parler de harcèlement et des moyens pour tenter de s’y opposer sans que le cyberharcèlement soit véritablement évoqué comme s’il s’agissait d’un phénomène accessoire que l’on peut traiter à part ou dont on pourrait repousser à plus tard la résolution.

Le débat à propos du harcèlement quand il fait l’impasse sur la question du cyberharcèlement semble pourtant clairement d’un autre temps. Il donne l’impression de maintenir la discussion hors de la réalité. Bien entendu, les méthodes «No Blame » (« pas de sanction ») peuvent montrer toute leur efficacité dans la gestion du climat de classe et la prévention des violences qui s’y manifestent. Les «espaces de parole régulés » dont il sera question dans ce livre s’inspirent tout naturellement de ces techniques qui visent à faire circuler l’empathie au sein des classes contaminées par des formes plus ou moins lourdes d’agression hiérarchique.

Toutefois, force est de constater que, confrontées aux cyberharcèlements, ces techniques montrent toutes leurs limites et se révèlent insuffisantes face à la virulence et la fulgurance des agressions. Pour y faire face et permettre à l’école de « faire société » en jouant son rôle de transmission par rapport à des lois qui doivent nécessairement cadrer les comportements humains en protégeant tous les élèves du risque que représente l’usage agressif des espaces numériques dont la puissance virtuelle doit nécessairement être maîtrisée, il faut mettre en place des dispositifs de sanctions qui permettent, sans générer de sentiment d’injustice, de contrôler les comportements abusifs dans le temps et de donner à celui qui les subit le sentiment qu’il est réellement protégé par l’institution scolaire. C’est à cela que servent les «conseils d’éducation disciplinaire » qui, associés aux espaces de parole régulés, forment le dispositif relié aux applications CyberHELP ou CyberAlert que nous présenterons dans les pages qui suivent.

L’hybridation de techniques stimulant l’empathie et de procédures permettant de sanctionner les comportements abusifs lorsque, dès lors qu’il est question d’agression physique ou d’utilisation asociale d’un réseau social, des lois sont outrepassées au sein de l’école, apparaît à cet endroit comme la seule réponse possible… La mise en place de ces dispositifs sensibles non seulement aux phénomènes de harcèlement, mais aussi à ceux qui les déplacent sur la scène virtuelle s’avère indispensable si l’on veut éviter de continuer à mettre en scène des débats à propos du harcèlement scolaire qui feraient «comme si » le cyberharcèlement n’existait pas ou l’envisageraient comme un épiphénomène marginal par rapport auquel on accepterait de demeurer démuni…

Ce n’est pas le harcèlement qui tue de nos jours, c’est le cyberharcèlement… et accepter d’être démuni face à lui, c’est accepter de laisser faire une évolution technologique qui, comme le disait si joliment Victor Hugo, pour le meilleur, fait avancer les choses, mais, pour le pire, broie des gens.

Alors, d’accord évidemment pour des méthodes « No Blame », mais seulement si elles sont associées à des techniques pédagogiques qui sanctionnent les comportements coupables quand une loi est outrepassée et que les valeurs qui la sous-tendent sont lourdement menacées. C’est aussi cela que les élèves doivent apprendre dans une école où il n’est pas seulement question de comprendre ce que signifie le vivre-ensemble, mais aussi de concevoir ce que sous-tend l’idée de faire société avec les autres dans un cadre institutionnel au sein duquel les lois protègent chacun des abus éventuels de ceux qui l’entourent et se donnent le pouvoir d’exercer sans limite leur puissance.

Anatol Pikas, le psychologue norvégien dont les méthodes étaient à l’origine des techniques «No Blame » qui, pour un certain nombre d’entre elles, portent son nom, était un monsieur génial, mais il admettait lui-même ne strictement rien connaître au fonctionnement des réseaux sociaux, en s’étonnant d’ailleurs que l’on cite ses méthodes pour s’opposer aux agressions qui utilisent ce support… C’est cela un véritable chercheur, un homme qui conçoit sans mal que les techniques qu’il met en place ne valent que pour son temps et doivent donc évoluer en tenant compte de la manière dont le monde bouge.

Les méthodes Pikas de résolution pacifique des conflits sont incontestablement utiles pour prévenir le harcèlement et s’y opposer. Face au cyberharcèlement, elles sont pourtant clairement insuffisantes.

Les discussions à propos du harcèlement scolaire qui mettent le cyberharcèlement hors débat donnent parfois l’impression que l’on parle alors d’une violence dont la forme n’est plus celle des temps qui courent. Ce n’est sans doute pas de cette manière, en «faisant comme si » ou en pratiquant le déni des réalités et de leur évolution, que l’on parviendra le mieux à équiper nos écoles de techniques réellement adaptées à ce que vivent nos enfants quand ils deviennent des élèves.

Or, quand on voit la manière dont le support numérique se généralise en tant que support pédagogique scolaire, il y a urgence à agir si l’on veut éviter de «faire comme si » l’univers digital, évidemment riche de perspectives, ne contenait pas également cette face sombre qui continue son œuvre destructrice en profitant de l’incurie de ceux qui continuent à discuter de violence scolaire en faisant mine de considérer que les réseaux sociaux n’existent pas et qu’ils n’interviennent en rien dans la vie des classes…

I COMPRENDRE

Le cyberharcèlement, c’est quoi ?

Le cyberharcèlement n’est ni une « nouvelle » forme de harcèlement ni une manière innovante d’agresser entre pairs et de contraindre à l’humiliation ou de pousser à l’autodestruction ceux que l’on souhaite forcer à se soumettre par l’humiliation ou à se démettre par la destruction après les avoir au préalable brisés par le sarcasme, amoindris par la dérision et mis à distance par l’ironie.

Le cyberharcèlement s’appuie sur la même dynamique et les mêmes principes que le harcèlement physique, mais il utilise pour se répandre avec davantage de force toute la puissance du support virtuel que constituent les réseaux sociaux.

Le virtuel, c’est ce qui donne de la force à la réalité, augmente la puissance du réel. Ce n’est ni l’irréel – qui signifie quelque chose qui n’existe pas dans la réalité – ni l’imaginaire – qui définit une torsion de cette réalité, sa métamorphose ou l’invention de quelque chose de nouveau à partir d’elle. Le virtuel, quand il s’associe à un comportement destructeur ou à une conduite nuisible, rend le réel possiblement dévastateur et la réalité potentiellement exterminatrice.

Le cyberharcèlement est donc en quelque sorte du harcèlement ordinaire auquel l’univers numérique aurait offert une caisse de résonance incontrôlable qui en augmente la nocivité et en démultiplie la capacité destructrice. Avec le cyberharcèlement, c’est un peu comme si, sans que son utilisateur en ait généralement pleinement conscience, on avait multiplié par dix la puissance de l’arme qu’il tient dans les mains.

Les dégâts sont souvent considérables et les auteurs – ou plus exactement la meute des auteurs parce que le cyberharcèlement favorise, nous le verrons, les conduites agressives collectives qui diluent la responsabilité de chacun – sont alors sidérés par les conséquences désastreuses de leurs agressions.

Le harcèlement et le cyberharcèlement : le jeu des sept différences

Le cyberharcèlement n’est donc pas fondamentalement différent dans sa « plomberie » et son « ingénierie » que le harcèlement entre pairs. On distingue le même mécanisme qui met en scène l’agressivité hiérarchique et exacerbe les jeux de pouvoir pour permettre aux dominants d’écraser sans retenue les personnes qu’elles ont prises pour cible de façon à manifester avec une puissance non retenue la posture de domination sur l’autre qu’ils revendiquent et qu’ils cherchent à rendre publique.

Il y a toutefois, en raison du support utilisé, un certain nombre de caractéristiques qui font la spécificité du cyberharcèlement et expliquent par ailleurs sa capacité de nuisance supérieure. On distingue ainsi sept différences qui caractérisent le harcèlement numérique et le dissocient de ce qui se passe dans le harcèlement « ordinaire ».

1. Le flaming

Le flaming, c’est l’incendie brutal, dévastateur et ravageur qui, sans s’annoncer, brûle tout sur son passage. Là où le harcèlement donnait l’impression que la personne qui en était victime se consumait lentement en dépérissant petit à petit sous l’accumulation des coups de boutoir de ses agresseurs, le cyberharcèlement donne le sentiment de provoquer un coup d’accélérateur aussi brutal qu’inattendu en frappant violemment des personnes qui ne s’attendaient pas à une agression de cette ampleur et ne s’étaient absolument pas préparées à y faire face.

Quand on voit le visage de tous les adolescents et les adolescentes qui ont préféré mettre fin à leurs jours suite à un épouvantable vécu de harcèlement numérique, on est frappé de voir qu’il s’agit le plus souvent d’adolescents et d’adolescentes qui semblaient avoir « tout pour eux » et se trouvaient, avant l’agression numérique, pleinement engagés sur les chemins de l’épanouissement. Frappés en plein cœur du bonheur, comme un orage en plein milieu d’un ciel tout bleu, ceux qui subissent cet incendie intense auquel s’apparente le flaming donnent l’impression d’avoir explosé en plein vol sous le regard incrédule de leurs parents qui n’avaient évidemment rien vu venir parce qu’un embrasement comme celui-là personne ne pouvait le prévoir.

Avec le flaming, l’univers du chagrin s’impose brutalement et c’est tout un monde qui s’éteint d’un coup parce le bonheur qui était là, que l’adolescent ou l’adolescente était parvenu(e) à créer lui a été aussi soudainement que sauvagement arraché par un événement désastreux dont la puissance virtuelle lui est apparue incontrôlable et dont la force de nuisance lui a semblé irréversible. Plongé(e) soudainement en désespérance, il n’a plus alors été question pour lui ou pour elle d’imaginer une quelconque main tendue qui pouvait l’aider à sortir du gouffre ou de rêver à une minuscule lumière, un tout petit éclat lumineux qui pourrait s’opposer à cette épouvantable noirceur qui, en une fois, a tout recouvert.

C’est ce désespoir-là que provoque le cyberharcèlement, à la fois inédit par sa brutalité, imprévisible par sa soudaineté et inconcevable dans sa violence. Et c’est pour cela qu’il faut pour s’y opposer des techniques d’intervention adaptées, des outils performants et des manières d’agir et de réagir différentes qui tiennent compte de la soudaineté, de la virulence et de la puissance ravageuse du flaming.

2. Une virulence inédite liée au nombre de « spect-acteurs » potentiels

La notion de spect-acteursdésigne dans une situation de prise de pouvoir violente guidée par l’agressivité hiérarchique tous ceux qui, en regardant une situation de harcèlement, participent sans rien faire à l’agression et agissent, par leur seule présence de témoins, pour intensifier la virulence de l’agression. Cette notion de spect-acteur est une notion essentielle pour expliquer la dynamique du harcèlement et du cyberharcèlement. Il n’y a pas de spectateur passif dans une situation d’agressivité entre pairs. Celui qui, en étant témoin n’agit pas et qui, par son silence manifeste son ­assentiment implicite ou par un geste de connivence avec l’agresseur (sourire, partage de contenu ou « like »), renforce l’agression joue en réalité un rôle prépondérant en figeant les rôles de dominant et de dominé et en mettant celui qui subit l’agression dans une position d’impuissance à réagir.

Le cyberharcèlement offre de cette façon, par la nature même du réseau social, une caisse de résonance au harcèlement pour la bonne raison que, dans cet espace numérique virtuel, le nombre de spect-acteurs potentiels croît de manière exponentielle, donnant immédiatement à celui qui le subit le sentiment d’un anéantissement fulgurant sous le poids du nombre.

Par ailleurs, ce qui, sur les réseaux sociaux, rend la force de nuisance des spect-acteurs d’autant plus virulente, c’est le fait que le groupe qu’ils forment contient à la fois des personnes qui nous sont totalement inconnues et des proches. Cette réunion des personnes qui nous sont familières, de celles qui ne font pas directement partie du cercle de nos relations habituelles et d’autres que nous ne connaissons même pas donne le sentiment que le monde entier s’est ligué contre nous pour participer à l’agression.

Pour comprendre cette force de nuisance du nombre potentiel de spect-acteurs, l’exemple de Laetitia est particulièrement éclairant.

Laetitia a pris l’habitude avec ses copines et quelques-uns de ses copains les plus proches de s’amuser en publiant des posts qui représentent une partie de leur corps tatoué de façon éphémère. C’est le principe de la dédipix… Évidemment, en fonction de la partie du corps choisie, le post suscitera plus ou moins d’intérêt. Une dédipix sur l’avant-bras ne suscite généralement pas beaucoup d’enthousiasme. Une autre en bord de poitrine commencera déjà à générer davantage de « likes » et si c’est un sein qui apparaît en entier sous le tatouage, les compteurs commencent à s’affoler et l’auteur des posts, galvanisé par l’intérêt qu’il suscite, est alors parfois tenté de mettre en image des parties encore plus intimes de lui-même en entrant alors dans un engrenage dont il est difficile de s’extraire. Une fesse se « paie » très cher sur le marché des dédipix en rapportant un nombre impressionnant de « likes » qui donnent à celui qui les reçoit le sentiment d’un prestige social accru qui lui fait parfois perdre complètement son discernement. Il s’égare alors dans des territoires plus intimes encore et finit par exposer sans le moindre frein la totalité de son corps.

Ce jeu de la dédipix se réalise généralement sur des réseaux « fermés » (sur le modèle Messenger-Facebook) qui, parce qu’ils sont a priori privés, donnent à l’utilisateur l’impression d’être confiné dans un entre-soi sécurisant avec uniquement des gens qu’il connaît et qu’il estime suffisamment proches pour ne pas utiliser les images de façon malveillante. Toutefois, il suffit d’un clic pour que l’image privée aboutisse sur l’espace public.

Et c’est ce qui est arrivé quand une des « copines » a souhaité « punir » Laetitia d’avoir été trop loin en balançant une image bien trop intime d’elle… Quand elle a vu le partage, Laetitia n’a pu en même temps que constater les dégâts.

Le lendemain, en prenant le bus, elle a éprouvé une véritable impression d’anéantissement en ayant le sentiment que tout le monde l’avait vue sans vêtements et, pire que cela, que ses proches savaient que tout le monde l’avait vue complètement nue dans une pose indécente et que tout le monde savait que ses proches, eux aussi, avaient été témoins de cette scène publiquement dégradante.

3. La continuité et la permanence de l’agression

Le cyberharcèlement, c’est partout et tout le temps : pas de « temps mort » et aucune zone de repli. Il n’y a plus le temps de l’école, celui de l’affrontement avec les harceleurs, et le temps de la famille, un peu préservé. Il n’y a plus le territoire scolaire lourdement contaminé et la chambre comme un univers clos dans lequel il est possible de respirer. Non, dans le cyberharcèlement, les temps scolaires et familiaux débordent les uns sur les autres. Au-delà des heures de classe, cela continue et cela risque même de durer toute la nuit. Le cyberharcèlement, c’est parfois à deux heures du matin quand on subit, au beau milieu de la nuit, une agression d’une extrême violence amplifiée dans l’effet qu’elle produit par le sentiment d’isolement, le silence pesant et la noirceur étouffante que l’on ressent davantage quand le monde dort et couvre tout de sa froide indifférence.

Avec le cyberharcèlement, ce n’est pas seulement le temps qui refuse de relâcher la pression, c’est aussi l’espace qui ne laisse plus la place au moindre endroit protecteur. Les murs de la chambre s’effondrent et les messages haineux s’y engouffrent avec une avidité destructrice. La bedroom culture, qui invite les adolescents à considérer de plus en plus leur chambre comme un espace de vie continu, amplifie encore cette impression de n’être nulle part à l’abri quand l’écran, au beau milieu de cette chambre, devient le réceptacle de toute l’agressivité subie.

Les « enfants d’intérieur » contemporains, qui ont fait de leur chambre l’endroit où ils dorment, où ils travaillent, où ils jouent, où ils mangent, où ils regardent des séries et où ils interagissent avec les autres, vivent plus intensément que les autres ces agressions continues dans ce lieu de vie privilégié qu’est devenue leur chambre.

L’exemple de Bertrand est à cet endroit révélateur de ce que ressent un adolescent quand il constate que les agressions qu’il subit à l’école commencent également à se répandre sur les réseaux sociaux. Alors que, jusque-là, son « cocon protecteur » familial avait servi de sas de décompression et qu’il y retrouvait son souffle après chaque pénible journée passée à l’école, Bertrand a éprouvé de façon brutale l’impression que désormais, il ne serait plus question de temps de récupération et que l’agression, vécue sans rémission, finirait de toute façon par saper ses dernières forces. Il explique cela avec une terrible lucidité dans la dernière lettre qu’il laisse à ses parents juste avant de mettre fin à ses jours…

4. Quelques effets spécifiques attachés au cyberharcèlement

Le cyberharcèlement, par la configuration qu’il propose à ceux qui le mettent en mouvement, génère différents effets spécifiques que l’on ne retrouve que de façon atténuée dans les situations de harcèlement.

L’effet « mandarin chinois » – Cet effet est directement lié à l’utilisation du numérique comme média agressif. Il s’explique par le fait que l’agression se commet à distance en neutralisant notamment ce qui se produit quand on fait face à quelqu’un qui manifeste essentiellement par l’expression de son visage le fait qu’il éprouve une émotion. En n’étant pas confronté directement au visage de celui qu’on agresse, on supprime un frein à l’agression et on lui permet de se déployer sans limites. L’expérience du « mandarin chinois » est souvent utilisée pour démontrer comment le fait de ne pas être confronté au visage de celui que l’on agresse permet à une charge violente de se déployer avec beaucoup moins de retenue.

Au cours de cette expérience, on propose à la personne de recevoir, pour lui-même et sa famille proche, une somme d’argent conséquente s’il pousse sur le bouton pressoir qui est posé devant lui. Toutefois, l’expérimentateur prend bien soin de lui signaler au préalable qu’au moment même où il activera le bouton, un « mandarin chinois », de l’autre côté de la planète, explosera…

La plupart des personnes, incrédules, ne se soucient pas trop du sort de ce mandarin chinois virtuel et appuient sur le bouton pour obtenir le gain. Par contre, si l’expérience est réalisée avec une photo qui montre le visage du mandarin chinois posée à côté du bouton-poussoir, le nombre de candidats qui s’exposent au risque de faire exploser cette personne en appuyant sur le bouton diminue massivement (seuls 40 % appuient sur le bouton)… La proportion de ceux qui renoncent au gain s’approche en outre de la totalité (plus de 92 %) si le mandarin chinois susceptible d’exploser est assis en chair et en os à côté de l’expérimentateur.

L’effet « mandarin chinois » s’explique en partie par le fait que le visage constitue le principal marqueur émotionnel d’un être humain. La perception de l’émotion provoquée par la charge agressive permet ainsi généralement d’en atténuer la virulence sauf si, comme nous le verrons plus loin, on a pris la peine au préalable d’infrahumaniser l’autre en le réduisant à un statut de déchet ou d’animal.

L’effet « meute » – La sensation de faire partie d’une même « tribu » qui s’est mobilisée pour chasser en meute permet de souder les liens au sein du groupe en partageant au sein d’un clan une identité commune. Cette sensation d’appartenance donne d’autant plus de force et d’intensité à la charge agressive parce que le groupe renforce alors son sentiment d’adhésion autour de la désignation d’un ennemi commun clairement identifié ou même, si l’agression devient le principal moteur de fonctionnement du groupe transformé en meute, d’une proie unique ciblée par tous pour se soumettre ou se démettre à la suite des coups multiples que chaque membre du clan, alternativement ou ensemble, donne à la victime.

Cette forme de violence tribale favorise bien évidemment la dilution de la responsabilité de chacun dans le collectif que forme le groupe quand l’agression est le fait d’un ensemble de personnes. Le niveau d’implication individuelle se réduit alors d’autant plus que le sentiment d’une appartenance collective permet aux individus de se réfugier derrière leur identité groupale pour justifier le déchaînement de la violence.

L’effet « cockpit » – L’effet cockpit désigne le fait que, lorsque l’on ne perçoit pas de manière directe les dommages causés par l’agression, la charge agressive peut se réaliser avec davantage de virulence. On parle alors d’effet cockpit en se référant à l’image de celui qui, depuis le cockpit de son avion, est en mesure de larguer une bombe sans prendre physiquement conscience des dégâts humains provoqués par son geste. Comme il ne visualise pas directement les conséquences de ce largage de bombe, le geste de pousser sur un bouton, délesté de sa terrible signification, paraît alors anodin.

C’est ce phénomène qui explique que le pilote de l’Enola Gay