De si jolies petites plages - Pierre Pouchairet - E-Book

De si jolies petites plages E-Book

Pierre Pouchairet

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Beschreibung

Mort naturelle. Voilà la conclusion qui s’impose lorsque le corps d’un ancien élu est découvert dans sa voiture. Si cette version satisfait tout le monde, à commencer par Léanne Vallauri, cheffe de la P.J., elle est loin de convaincre son amie Élodie Quillé, directrice de l’institut médico-légal de Brest. Ce décès lui rappelle un cas sur lequel elle avait travaillé dans sa jeunesse… une intoxication aux algues vertes. Persuadée de tenir une piste, quitte à se brouiller avec ses copines et son amant, la légiste décide d’enquêter en baie de Saint-Brieuc, alors qu’une épidémie d’infarctus s’abat sur le monde politique breton. Elle va vite s’apercevoir que lorsqu’on dérange, la quête de la vérité n’est pas sans danger…

Dans ce polar mêlant action et suspense (10  e de la série Les Trois Brestoises), avec tact, recherches à l’appui, Pierre Pouchairet s’attaque à l’épineux sujet des algues vertes en Bretagne.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Pouchairet s’est passionné pour son métier de flic ! Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l’Afghanistan, la Turquie, le Liban… Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s’est lancé avec succès dans l’écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 (Mortels Trafics) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 (La Prophétie de Langley). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec Tuez les tous… mais pas ici.

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Couverture

Page de titre

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Site web : www.pierrepouchairet.com

Facebook : Pierre Pouchairet

Pierre Pouchairet est membre du collectif

L’assassin habite dans le 29

Facebook : L’assassin habite dans le 29

Email : [email protected]

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Vallauri-Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016 et qui a déjà séduit plus de 120 000 lecteurs.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

« Il y a dans le châtiment une vertu purificatrice. »Oscar Wilde. Le Portrait de Dorian Gray

Chapitre 1

Au début, il crut à une mauvaise plaisanterie, un truc de connards qui jouaient les justiciers. En les voyant derrière leur table, avec leurs cagoules grotesques, ils lui avaient fait penser à des membres du Ku Klux Klan. Il aurait bien aimé se réveiller à ce moment-là. Mais non, ce n’était pas un cauchemar, ces marionnettes avaient décidé de le juger. Il les insulta :

— Pour qui vous vous prenez ? Je ne suis pas n’importe qui.

— Tu es un profiteur !

Il explosa de colère, à tel point que les deux gardes qui l’encadraient durent le maîtriser. Il se campa face à ceux qui s’érigeaient en justiciers, désigna ses yeux de l’index et du majeur puis les apostropha :

— Enlevez vos cagoules de pitres et regardez-moi en face. J’ai toujours travaillé pour le bien de la communauté. Je connais tous les puissants de ce pays.

Il reçut des rires en retour.

Celui posté au milieu du groupe, peut-être le chef, répondit d’une voix remplie de sarcasmes :

— Continue, ça ressemble à des aveux.

— Vous voulez quoi ? De l’argent ? J’en ai. Mais vous avez intérêt à me relâcher, et vite, parce que sinon votre vie est foutue, les flics vous retrouveront et vous finirez en prison.

Il les invectiva à nouveau en maniant la menace. Rien, aucun argument ne semblait les atteindre. Il était connu comme étant un bon orateur, un homme de compromis, un excellent négociateur, c’est ce que disaient ses amis. Mais comment dialoguer face à des morceaux de tissu ? Impossible de déterminer qui étaient les maillons faibles dans cette assistance, il devait pourtant bien y en avoir.

Il les écouta énoncer leurs chefs d’accusation. Ils étaient ridicules. Oui, il était lié à des groupes comme le Club des Trente, l’Institut de Locarn ou Produit en Bretagne. Et alors ? Ces ignares parlaient de lobbies comme s’il s’agissait d’associations mafieuses. Il n’était pas affilié à des terroristes, mais à des hommes d’affaires ou à des élus ayant à cœur de promouvoir leur région. Ces imbéciles lui reprochaient la modernisation de la Bretagne, l’importance des exploitations agricoles. Ils voulaient quoi ? Qu’on revienne au Moyen Âge ? Qu’on crève de faim ?

Jugé coupable !

— J’en suis fier ! avait-il répondu sur un ton bravache.

Ce fut son ultime fanfaronnade. Juste après cela, un des membres de ce tribunal de dingues s’était levé pour s’adresser une dernière fois à lui.

— Accusé, vous êtes reconnu coupable d’avoir, vous et vos amis, participé sciemment, et dans l’unique but de réaliser des profits, à l’empoisonnement de nos terres et de ses habitants. En conséquence, nous vous condamnons à la peine capitale. La sentence est exécutoire sans délai.

Ses jambes l’abandonnèrent. S’il n’avait pas eu les deux gardes à ses côtés, il se serait écroulé. Il bredouilla :

— Qu’est-ce que vous allez me faire ?! Vous n’avez pas le droit ! Vous êtes fous ?

Tout courage disparut. Il pleura et se mit à geindre. Il en aurait fallu bien plus pour impressionner ses ravisseurs.

— Tu as une heure pour te préparer. Si tu veux écrire à ta famille, nous allons t’en donner les moyens. Ton courrier sera conservé par nos soins et sera transmis plus tard aux destinataires, tout comme on diffusera le film de ton procès que nous venons d’enregistrer.

Ce n’était pas possible. Il ne pouvait pas le croire. Il pensa encore à un cauchemar. Découragé, désespéré, il sentit son estomac se contracter et vomit à ses pieds.

— Emmenez-le !

Sans force, il ne pouvait plus marcher, il se laissa traîner jusqu’à sa cellule. Un stylo, du papier à lettres et des enveloppes étaient posés sur une planche.

— Tu as une heure. Tu peux écrire à tes enfants, à ta femme ou à des proches.

Une heure, quand il s’agit de votre dernière à vivre, ce n’est qu’un éclair. Le temps de se reprendre, de se persuader qu’ils allaient le tuer… Il venait de commencer à rédiger un courrier commun à son fils et sa fille lorsque des pas résonnèrent dans le couloir et que la porte s’ouvrit sur ses geôliers. Son stylo tomba à ses pieds. Il était terrifié, mais il jouait sa vie.

— Réfléchissez bien. Vous pouvez encore vous ressaisir. Je vous promets que je ne dirai rien. Pensez à vous, à votre famille, à vos proches. Vous finirez par être arrêté, vous allez passer de longues années en prison. Qu’est-ce que je vous ai fait ? Bordel ! Qu’est-ce que je vous ai fait ? Laissez-moi prendre la fuite, je vous donnerai de l’argent, tout ce que vous voulez, je peux faire de vous des hommes riches.

— Allez, dépêche-toi !

Il se rappela que dans sa jeunesse il avait fait du rugby. Encore aujourd’hui, il était plutôt bien bâti ; malgré quelques problèmes de santé et plusieurs pontages, il tenait toujours la forme et s’entretenait. Il jouait au golf et marchait régulièrement. Il devait tout tenter pour se sortir de là. Profitant d’un instant de relâchement de la part des deux gardes, il plongea la tête en avant vers celui qui lui paraissait le plus grand et le heurta au niveau du plexus. L’obstacle s’écroula, séché. Surpris, décontenancé, le second geôlier resta immobile, les bras ballants. Il était à la porte. Personne ! Il avait sa chance. Il se mit à courir. Une dizaine de mètres suffirent pour qu’il comprenne que le golf n’était qu’une activité de plein air dont la pratique ne requérait que très peu de qualités physiques. Son pas se fit traînant en même temps que son cœur se déchaînait dans sa poitrine. Des étoiles dans les yeux. Ses oreilles furent envahies par des bourdons. Il pensa qu’il allait mourir maintenant. Mais ce ne fut pas le cas.

Ils étaient plusieurs à l’entourer. Pris au dépourvu, certains ne portaient même pas de cagoule. Il y avait des hommes et des femmes de tous les âges. Sa tentative de fuite eut pour effet de produire un concert de rires de la part de ses bourreaux. Il était si épuisé qu’il ne sut pas qui donna l’ordre qui suivit.

— Allez, qu’on en finisse. Sinon il va claquer avant la fin.

Maintenu par les bras, il fut poussé vers la sortie. L’air frais lui fit du bien, mais pas suffisamment pour qu’il recouvre ses esprits. C’est en mode automate qu’il gravit deux marches avant de recevoir une ultime tape sur l’épaule. Il sentit sous ses pieds une sorte de tapis dont il ne comprit pas tout de suite la consistance. Ce qui l’assaillit fut l’odeur d’œuf pourri. Il eut un haut-le-cœur et crut qu’il allait vomir. Une porte claqua derrière lui. Il trébucha et tomba. Ses yeux se remplirent de larmes, en même temps qu’il eut le sentiment que des dizaines d’aiguilles se plantaient dans sa gorge. Malgré l’obscurité et cette agression physique, il prit conscience de la manière dont il allait mourir. Dans quelques minutes, il aurait perdu le sens de l’odorat. Il hurla de rage et concentra ce qu’il lui restait de force pour se précipiter sur la porte et frapper comme un damné.

— Sortez-moi de là ! À l’aide, par pitié, je vous en supplie !

Une voix féminine lui répondit :

— Tu n’es qu’une ordure et tu vas crever. Tu ne mérites rien d’autre. À cause de toi, des gens sont morts, de pauvres gens qui n’aspiraient qu’au bonheur. Respire bien à fond. Ce sera plus rapide.

Et c’était vrai. Il tenta bien de contrôler ses poumons. Mais pourquoi le faire ? Elle avait raison, ça ne servait à rien. Il donna des coups de pied, se rua contre les parois, l’habitacle bougea sans pour autant céder. Il finit par tomber à genoux en sanglotant.

— Je vous en supplie… J’ai des enfants, une femme, elle est malade, ils ont besoin de moi. Pitié.

— Tu crois que ceux qui sont morts n’avaient pas de famille ?

Chapitre 2

La cheffe de la police judiciaire du Finistère se trouvait dans son appartement de Brest lorsqu’elle fut réveillée par un appel de François Quentric, son adjoint en charge du service PJ de Quimper. Elle eut un regard vers l’extérieur, le jour se levait. Presque sept heures. Bien que l’heure ne soit pas habituelle, elle n’était peut-être pas pour autant synonyme de mauvaise nouvelle. Elle ramena sa chevelure blonde en arrière, se frotta les yeux, et répondit d’une voix fatiguée :

— Tu dormais ?

Même si François ne devançait le réveil que de quelques minutes, elle n’allait pas lui dire le contraire. De toute manière, là n’était pas le problème, il ne l’appelait pas à cette heure pour prendre de ses nouvelles. Elle eut l’impression qu’il cherchait ses mots, ce qu’elle trouva surprenant.

— Marie Evano vient de m’appeler.

Un coup de fil matinal de la substitut du procureur de la République de Quimper ressemblait fort à une saisine de la PJ. Elle s’étonna de ne pas avoir été contactée directement.

— On a pris un truc ?

— Pas certain…

— Quoi, pas certain ?

S’il fallait lui arracher les mots de la bouche, il allait finir par l’énerver. Quentric dut le ressentir, car il se lança enfin :

— Un joggeur a découvert le corps d’Armel Le Bihan, ancien député-maire et ministre du Tourisme sous Chirac et Sarkozy. Rien ne dit qu’il s’agisse d’un homicide, il avait soixante-quatorze ans, il est mort dans sa voiture. Peut-être une crise cardiaque. Le véhicule est stationné à l’entrée d’un bois pas loin du golf de Kerbernez, dont il était membre.

— Depuis longtemps ? Personne ne s’inquiétait de lui ?

— Sa femme est hospitalisée, atteinte d’Alzheimer, il vivait seul ; non, on n’avait pas signalé sa disparition.

— S’il n’y a rien de suspect, pourquoi elle t’a appelé ?

— Certainement la personnalité de la victime, elle sort le parapluie administratif pour s’assurer qu’elle ne passe à côté de rien. Tu veux venir ?

Léanne hésita. Il y avait un moment qu’elle n’était pas allée dans le sud pour voir les Quimpérois et faire la tournée des magistrats, c’était une bonne occasion, d’autant que son service n’avait rien d’important en cours.

— Oui, je te rejoins, envoie-moi précisément les coordonnées du lieu, j’arrive. T’as prévenu l’IJ ?

— Non, je te répète que nous ne sommes pas saisis et les gendarmes sont les premiers intervenants, ils ont requis des TIJ.

Après avoir raccroché, la commandant divisionnaire à l’emploi fonctionnel Léanne Vallauri se leva, sans pour autant marquer un empressement exagéré. La victime était peut-être morte depuis un moment, rien de suspect, et les pandores étaient déjà sur le coup. Ça sentait le truc merdique, pas de raison de s’affoler et d’essayer de piquer l’affaire aux militaires. Elle imagina que son ex-amant, le colonel Erwan Caroff, devait être sur les lieux. Grand bien lui fasse. Dans la salle de bains, avant de passer sous la douche, elle ne fit rien pour réprimer quelques pensées pestes à l’encontre du couple formé par cette procurette de Marie Evano et le gendarme.

En regardant la quarantenaire blonde au corps sportif qui lui faisait face dans le miroir, elle se demanda ce que le colonel avait pu préférer chez la magistrate, sinon quelques années de moins. Elle se garda bien de s’attarder sur son caractère de chien et ses sautes d’humeur, seuls responsables de leur séparation. D’un tempérament entier, la bête était loin d’être facile à vivre. Si ses collègues masculins disaient d’elle qu’elle était une belle gonzesse avant d’ajouter « mais une chieuse », ce n’était pas pour rien. Ils n’en oubliaient pas pour autant ses qualités de cheffe courageuse, opiniâtre et prête à tout pour les défendre. Depuis presque cinq ans qu’elle était à la tête du service de police judiciaire, la flic avait résolu bon nombre d’affaires, et pas des moindres. Même si ses manières n’étaient pas toujours très académiques, le résultat était là.

Jean moulant, bottillons, pull à col roulé, elle hésita à passer un blouson, avant d’abandonner l’idée. Trop mec ! Inutile d’en faire un max dans le genre baroudeuse. Elle opta pour un trench, plus féminin, qu’elle posa dans le salon à côté de ses clés et de son arme.

Dans la cuisine, elle retrouva Vanessa Fabre, avec qui elle partageait le beau duplex brestois qu’elles occupaient rue Alderic-Lecomte, face à la marina du château. La psycho-criminologue était avec Hugo, son fils de presque cinq ans.

— Monsieur en avait marre d’être couché. Il a faim. Et toi, t’es matinale, du boulot ?

Les deux femmes échangèrent un sourire. Léanne s’arrêta sur le gosse assis en train de fourailler avec sa cuillère dans un bol de céréales.

— Tu voulais me dire au revoir ? C’est pour ça que tu es debout, c’est gentil de ta part.

Une bonne bouille chocolatée leva les yeux vers la flic.

— Oui, c’est ça. T’as fait du bruit, ça m’a réveillé !

— Désolée.

Léanne en revint à sa copine pour lui expliquer en deux mots les raisons de son lever matinal et de conclure :

— Un cadavre au petit-déjeuner, rien de tel pour commencer la journée.

Les sourcils de Vanessa se redressèrent. Léanne avait souvent tendance à oublier qu’elle cohabitait avec un gosse. Évidemment, Hugo n’avait rien raté de l’échange.

— Tu vas voir un mort ? Quelqu’un l’a tué ? Pourquoi ? C’était un méchant ou un gentil ?

La flic afficha une moue désolée, la psy lui tendit un café tout en coupant court à la discussion.

— On en reparle dans deux minutes, Léanne est pressée, il faut qu’elle finisse de se préparer.

Puis elle demanda :

— Je suppose que tu vas retrouver Élodie ? Elle nous snobe depuis qu’elle a trouvé un mec. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. Ce type ne va jamais lâcher sa femme. On va la ramasser à la petite cuillère quand elle va se faire larguer.

— Je trouve ton jugement un peu dur pour une psy. Élodie est une fille solide, elle connaît la situation de Christian Autissier, elle prend ce qu’il y a à prendre et elle passe du bon temps. Un peu de sexe ne peut pas lui faire de mal.

Nouveau regard atterré de Vanessa. Léanne envoya un sourire à Hugo.

— Je parle mal, il ne faut pas m’écouter. Tu n’as rien entendu ?

L’enfant éclata de rire.

— Non, rien.

Élodie était la troisième fille du groupe Les Trois Brestoises. Un groupe composé il y a presque trente ans par trois adolescentes éprises de rock et de blues. Le temps passant, elles étaient devenues flic pour l’une ; militaire, colonel de réserve et psychologue pour la deuxième, médecin légiste pour la dernière. Élodie Quillé était maintenant directrice de l’Institut médico-légal de La Cavale-Blanche, le grand hôpital brestois. Autant dire qu’aujourd’hui, même si la blonde, la brune et la rousse continuaient d’être les meilleures amies du monde et jouaient encore du rock, c’est surtout professionnellement qu’elles avaient l’occasion d’être réunies. Depuis peu, Élodie avait renoué avec Christian Autissier, un amour de jeunesse. C’était un homme d’affaires malouin, marié et père de famille.

— Oui, je ne l’appelle pas, mais je suppose qu’elle y sera. Il va y avoir toute la clique administrative, politique et judiciaire. Va falloir que je me farcisse Marie en train de faire la belle avec son Jules.

C’est un ricanement qui accueillit la réflexion.

— Moi, je trouve qu’ils font un joli couple.

Léanne posa son mug et répondit à la pique en grimaçant et en tirant la langue. Le gamin hurla de rire. Sur le départ, la policière embrassa Hugo sur le front. En descendant l’escalier, elle se décida à envoyer un message à Isaac, le petit jeune de son équipe. Il était le dernier arrivé, même si ça faisait maintenant presque quatre ans qu’il avait pris ses fonctions à Brest. Le gardien de la paix s’était vite révélé comme étant un excellent enquêteur en qui elle avait toute confiance. Elle adorait travailler avec lui à tel point qu’avec le temps, ils étaient presque devenus un binôme. Une position qui était loin d’être de tout repos pour le jeune homme et dans laquelle il avait souvent frôlé la mort.

À la demande : « Est-ce que tu veux m’accompagner à Quimper sur une découverte de cadavre ? » elle reçut presque dans la seconde un retour positif, auquel elle répondit par : « Dans cinq minutes, je serai en bas de chez toi. »

Sa Jeep, un véhicule affecté à son service dans le cadre d’une confiscation d’avoirs criminels réalisée sur les biens d’un important trafiquant de drogue, était garée en direction de la rue du Commandant-Malbert, le long de son immeuble. Il faisait beau, quelques joggeurs traînaient sur les quais. Elle eut un regard pour l’Abeille Bourbon ; le remorqueur d’intervention était amarré à quelques pas de chez elle. Il avait déjà eu l’occasion de croiser plusieurs fois ses aventures bretonnes.

Un bip annonça l’arrivée d’un message.

François Quentric lui envoyait la localisation de la scène de crime, ou plus exactement de découverte du corps. GPS réglé, elle prit la direction de l’immeuble de son collègue.

Chapitre 3

La voix électronique guida Léanne et Isaac jusqu’à Quimper, puis vers Plomelin par la route des châteaux.

— Avant qu’il y ait la quatre-voies, c’était l’unique itinéraire pour se rendre à Pont-L’Abbé depuis Quimper. On pourrait en profiter pour acheter du whisky Eddu, la distillerie des Menhirs qui l’élabore est à Plomelin, suggéra Isaac.

— 1) Tu parles d’une époque que tu n’as pas vécue… 2) C’est pas le moment de faire du shopping.

Le jeune, qu’elle surnommait « Wiki », était incollable sur à peu près tout et en particulier sur ce qui pouvait avoir trait à la Bretagne. Qu’il s’agisse de géographie, d’histoire ou de politique, il donnait l’impression de tout savoir. C’en était parfois énervant, d’autant qu’il trouvait le moyen de faire montre de ses connaissances dans des moments de tension, souvent peu compatibles avec ce genre de démonstration. Depuis qu’il préparait le concours d’officier de police, cette tendance s’était encore accentuée. Comme s’il s’agissait de réviser ses fiches, il ne ratait pas une occasion de commenter l’actualité et de disserter sur tout.

Léanne écoutait d’une oreille peu attentive. Pour avoir écumé les boîtes de nuit de la région avec ses copines et fait les quatre cents coups en Pays bigouden dans sa jeunesse, elle connaissait déjà bien le coin. Comme à chaque fois qu’elle se rendait sur une nouvelle affaire, même si ce dossier ne lui échoirait vraisemblablement pas, l’esprit de la commandant était occupé par leur rendez-vous avec la mort. Sur quoi allaient-ils tomber ?

Isaac précéda la guide virtuelle.

— On y est presque, ça va être sur la gauche.

Une route bordée de champs et de bois. La campagne. Isaac avait un œil sur une tablette. Il se chargea d’indiquer ce qu’il voyait ou savait.

— Pour aller au golf de Kerbernez, il aurait fallu continuer. Celle-là conduit à des fermes et une zone pavillonnaire. Notre cadavre doit être par là, à côté d’un étang.

C’est effectivement ce que confirma la voix qui les guidait. Un véhicule de pompiers, plusieurs de la gendarmerie et des officiels leur signifièrent qu’ils touchaient au but. Ce qui changeait des habitudes était le nombre de voitures noires avec chauffeur et les cocardes posées en apparence sur les tableaux de bord.

— Ouah, il y a du beau linge ! s’étonna Léanne.

— Normal, Armel Le Bihan n’était pas n’importe qui.

La commandant regretta de ne pas avoir fait appel plus tôt à son encyclopédie vivante. Elle voulut se rattraper en sollicitant un résumé succinct de ce qu’il savait sur la victime.

— Un des « barons » du parti socialiste, il était très influent au siècle passé et écouté à Paris. Conseiller de François Mitterrand à un peu plus de trente ans, il a toujours grenouillé dans les cabinets sans briguer pour autant de sièges ministériels, il était attaché à la Bretagne et à son électorat local. S’il a accepté à la fin un poste au gouvernement, c’était uniquement dans le but d’assurer la promotion de la région. Issu du monde paysan, il était surtout très proche de la filière agricole et agroalimentaire. Élu pendant un temps au Parlement européen, il s’est battu pour obtenir des subventions de la PAC1 et la PCP2. À titre d’exemple, je peux te dire que c’est grâce à lui si la PAC verse chaque année cinq cents millions d’euros d’aides européennes à l’agriculture bretonne.

— OK, j’ai compris pour la face grand homme. Et l’autre côté ? Pas de petites histoires, pas de scandales ?

Léanne fit une marche arrière pour aller se placer au début de la file de voitures, en même temps qu’Isaac tentait de lui répondre. Il haussa doucement les épaules.

— Non, pas à ma connaissance. Il s’est un peu répandu dans les médias sur la maladie de sa femme. Rien de plus. Si ce que tu cherches sont des histoires de cul, je ne suis pas au courant.

Cette fois, elle était garée. Un gendarme qui arrivait d’un pas pressé réduisit l’allure en voyant le panneau Police apparaître, le visage façon « molosse crispé » devint plus accueillant. Léanne se demanda s’il n’avait pas reconnu en elle l’ex-maîtresse du chef. Ça devait forcément jaser dans la caserne. Même si ce n’était pas très utile, elle se présenta, sortit sa carte et brandit la plaque Police judiciaire à l’effigie de Clemenceau.

— C’est loin ?

— Négatif, répondit le militaire tout en indiquant d’un coup de menton le prolongement de la route.

Il ajouta :

— Le véhicule est garé sur un petit parking à moins de deux cents mètres.

Les deux flics se mirent en marche et passèrent un cordon de journalistes que plusieurs gendarmes avaient la plus grande peine du monde à maîtriser, d’autant que l’un d’eux avait trouvé le moyen de grimper sur un arbre pour avoir une vue plongeante sur les constatations en cours. Elle reconnut Tintin, un reporter spécialisé dans les faits divers. Nul doute qu’elle allait devoir se le coltiner à un moment ou un autre.

L’endroit était loin d’être inhabité, on apercevait un groupe de pavillons derrière des haies et plusieurs maisons. Ce n’en était pas moins un joli coin de nature. Toute cette agitation n’empêchait pas les oiseaux surpris par autant de mouvement de bavarder entre eux. La journée promettait d’être belle, même si un petit vent fit frissonner la policière ; elle resserra la ceinture du trench et en releva le col tout en augmentant l’allure. C’est là qu’elle aperçut le cordon de Rubalise qui entourait un espace autour d’une voiture DS 7 noire.

Les TIJ spécialistes de la scientifique gendarmesque étaient en train de s’équiper. Tenue d’astronaute habituelle, mais pas que… Elle fut surprise de les voir passer un masque auto-sauveteur. Son premier sentiment fut que les narines des militaires devenaient bien sensibles s’ils n’étaient plus capables de supporter l’odeur de la mort. Elle approchait d’un groupe de personnes en grande discussion parmi lesquelles elle remarqua son collègue François Quentric, promu récemment commandant, le colonel Erwan Caroff, de la SR, la substitut Marie Evano et ceux qu’elle jugea être des officiels. Se doutant qu’elle ne les connaissait pas, Isaac lui glissa en quelques mots qu’il s’agissait du député, du président du Conseil général, du maire de Plomelin et de celui de Quimper. Les autres étaient des représentants de la préfecture qu’elle avait l’habitude de côtoyer lors des réunions hebdomadaires.

Les discussions s’interrompirent, elle serra les mains de certains, en embrassa d’autres. Les mines graves, les vêtements stricts des élus et hauts fonctionnaires ainsi que la fraîcheur matinale s’étaient alliés pour créer une ambiance de circonstance. Un peu comme s’il s’agissait d’une répétition en vue de l’enterrement à venir de l’un des leurs. Nul doute que certains avaient déjà demandé à leurs collaborateurs de peaufiner le discours qu’ils auraient à prononcer aux obsèques. La substitut parla la première.

— Même si la gendarmerie va conserver les investigations concernant la recherche des causes de la mort, j’ai prévenu ton service pour que tout le monde soit présent. On ne sait jamais comment ce genre d’affaire peut évoluer.

— La disparition d’une personnalité a toujours tendance à exciter les conspirationnistes de tous bords. Et si, par malheur, il apparaît quelques taches dans le passé de la victime, ce sera encore pire, approuva Léanne.

— Ça ne sera pas le cas, commandante, crut bon d’intervenir un élu. Armel Le Bihan était un homme droit, je me porte garant de lui.

Léanne sourit intérieurement, il s’agissait d’un maire et dirigeant d’entreprise, sur lequel la section financière était en train de travailler dans le cadre d’une enquête préliminaire pour détournement de fonds et abus de biens sociaux. Il n’était pas le plus à même pour servir de caution morale.

— J’espère que vous avez raison.

— Je sais, commandante, que la police judiciaire aime mettre en cause les élus du peuple et rechercher des délits là où il n’y a rien à trouver… Vous aurez la décence de ne pas vous attaquer à un mort.

Cette fois, il l’énervait. Sans témoin, l’enquêtrice aurait pu être sanglante, elle devait se maîtriser.

— Arrêtez un peu avec vos « commandantE », je déteste ça.

— Vous n’êtes pas féministe, commandante… commandant.

— Je pense que sur ce sujet, je n’ai pas de leçons à recevoir. D’abord, je trouve que le terme de commandante ou de lieutenante sonne mal. C’est moche. Ensuite, pour moi, un grade n’a pas de sexe, je ne suis pas une femme commandant de police. Je suis commandant de police. Ça vous va comme raison ? termina-t-elle sur un ton plus sec. D’autre part, mon service n’a pas à recevoir de leçons de vous. Nous agissons sur les instructions des magistrats. Vous devriez le savoir, non ?

— Bien, bien, je prends note.

Elle s’écarta pour ne pas poursuivre cette discussion stérile. Son regard s’attarda sur les constatations en cours… Des taches suspectes sur le sol comme si…

François, posté près d’elle, dut lire dans les pensées de la cheffe. Il l’entraîna avec lui pour faire le point de ce qu’il savait.

— Ce que tu vois, c’est bien des traces de vomi. Le type qui a découvert le corps a voulu ouvrir la portière, il s’est mis à gerber. Mais il n’a pas été le seul, les premiers gendarmes qui sont arrivés sur place ont fait de même. Il a fait très beau ces derniers jours, la chaleur a boosté la putréfaction du corps enfermé dans le véhicule. Il n’y a bien qu’Élodie que ça n’a pas l’air de gêner.

En même temps qu’il mentionnait la médecin légiste, le commandant la désigna d’un coup de menton. Léanne sourit.

— Je ne l’avais pas reconnue au milieu des techniciens.

François continua :

— Le joggeur qui a découvert le corps affirme que la voiture est stationnée ici depuis plusieurs jours. Au début, il n’y a pas prêté attention, jusqu’à ce qu’il remarque au bout de trois jours qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur. C’est en s’approchant qu’il est tombé sur la victime. Les gendarmes sont en train de l’entendre. Il est choqué, il faut dire qu’il n’avait jamais vu de cadavre jusque-là ; pour un dépucelage, c’est réussi.

Les sourcils de la flic se redressèrent. François n’en ratait pas une.

— Bon, et qu’est-ce qu’il foutait là, l’ancien ministre ?

— Il n’habite pas très loin. Il est propriétaire d’une maison de maître sur la route des Châteaux, il connaissait bien le coin. Il est membre du club de golf et il paraît qu’il venait régulièrement ici pour marcher. Il avait des antécédents cardiaques et a déjà été victime de plusieurs attaques. Pas de traces de violence apparentes, les clés étaient sur la voiture, on ne lui a rien volé. On imagine qu’il a fait un malaise et que celui-là a été la crise fatale.

— Aucune raison de revendiquer la saisine, on va laisser les gendarmes se démerder avec cette histoire.

C’était aussi l’avis de François. Voyant qu’Élodie avait rabattu sa cagoule et s’approchait du groupe d’officiels, les deux policiers s’interrompirent pour les rejoindre. Bizarrement, les participants s’écartaient discrètement de l’experte. La flic en comprit la raison en sentant les effluves que dégageait la légiste. Elle sourit. Incorrigible Élodie, elle était pleinement consciente de l’effet produit.

— Difficile de dater l’heure exacte de la mort, peut-être qu’on en saura plus à l’autopsie, mais je pense que les quatre jours correspondent à la réalité. Je confirme que je n’ai pas remarqué de traces de violence apparentes, mais ça aussi, ça nécessite des examens complémentaires.

Elle fit un joli sourire, presque coquin, avant de poursuivre :

— Pour les détails, mais ça, ce sont les techniciens qui le mentionneront dans leur rapport, ça ne me concerne pas tout à fait : il était très débraillé, cravate desserrée, pantalon déboutonné, braguette ouverte… Tout cela peut être dû au malaise précédant la crise… Mais enfin…

— Qu’est-ce que vous insinuez ? s’énerva le même élu.

Marie Evano fusilla du regard la légiste. Sur ce coup, Élodie comprit qu’elle avait fait une erreur en parlant devant la cantonade, comme si elle était uniquement avec des enquêteurs ou des magistrats. Heureusement qu’elle n’était pas allée plus loin dans sa pensée. Le directeur de cabinet du préfet, un jeune énarque, dont c’était certainement le premier poste, s’adressa à Marie Evano, qui serait la donneuse d’ordre pour la suite.

— Mon boss souhaiterait, et peut-être que vous avez déjà eu des demandes en ce sens que… vous savez… pour la famille… le corps est dans un sale état…

— … qu’il ne soit pas trop charcuté par mes soins, c’est ce que vous voulez dire ? J’espère que vous trouvez plus facilement les arguments quand il s’agit de parler avec votre patron, asséna Élodie.

Les joues du jeune fonctionnaire s’empourprèrent. La légiste voulut poursuivre, mais Marie Evano décida de faire preuve d’autorité en mettant fin à ce qui aurait pu devenir une joute verbale.

— J’en parlerai avec le procureur.

Puis elle s’adressa plus spécifiquement à la médecin.

— Il est vrai que tu pourrais en rester à un examen externe et la recherche d’éventuelles blessures ou d’actes de violence.

Élodie se mordilla les lèvres sur une moue agacée.

— C’est toi qui fais la réquisition. Je ferai ce qui est demandé.

1. Politique agricole commune.

2. Politique commune de pêche.

Chapitre 4

Vingt-quatre heures s’étaient écoulées depuis la découverte du corps d’Armel Le Bihan. Son décès avait été relaté par la plupart des médias nationaux, il faisait la une d’une presse régionale unanime en matière d’éloges concernant le grand homme. La mort a l’avantage de rendre les gens bien meilleurs qu’ils ne l’ont été de leur vivant. Les gendarmes mirent les bouchées doubles, Erwan n’avait pas hésité à renforcer ses effectifs en faisant appel à la SR de Rennes et en enrôlant une bonne partie des militaires du Finistère sud. Constatations au domicile de la victime, dans les différents bureaux qu’il occupait au sein de son parti, mais aussi d’associations diverses, auditions de témoins et de proches, dont ses médecin et cardiologue. Un faisceau d’indices convergeait dans le sens de l’accident cardiaque. L’homme politique avait déjà eu plusieurs alertes dont il ne tenait pas compte en continuant d’avoir une vie « normale ». S’il sortait peu ces derniers mois, c’était uniquement parce qu’il passait son temps à trier des documents. Fait confirmé par les gendarmes qui avaient trouvé chez lui un étalage d’archives et de photos. En fin de journée, il avait l’habitude d’aller jouer au golf ou de marcher le long de l’Odet dans le prolongement de l’endroit où son véhicule avait été découvert. La femme de ménage qui venait un jour sur deux au domicile ne s’était pas inquiétée outre mesure de son absence, car il se rendait régulièrement à Paris sans l’informer pour autant de son emploi du temps. Seul « détail », plus ou moins étrange : la téléphonie. Le portable, dont la batterie n’était pas à plat, était coupé depuis trois jours et demi. À croire que Le Bihan avait décidé de l’arrêter lui-même. L’hypothèse avancée était que, dans l’affolement, sentant la crise arriver, il avait attrapé son cellulaire et au lieu d’appeler les secours, l’avait malencontreusement déconnecté et laissé tomber sur le tapis de sol.

L’attitude « débraillée » de la victime corroborait d’ailleurs cette idée. Ça devait être d’autant plus vrai que ce n’était pas la première fois qu’il était sujet à des troubles cardiaques.

En la circonstance, sans être transformé en camp retranché, le centre hospitalier de La Cavale-Blanche fit l’objet d’un déploiement policier ayant pour but de tenir à l’écart les journalistes avides de scoops et de photos malsaines. Les enfants ainsi que plusieurs personnalités locales étaient censés venir s’incliner sur le cercueil de la victime lorsque la justice autoriserait la remise du corps. Dès lors, la légiste fut priée d’agir au plus vite.

À neuf heures pétantes, le colonel Erwan Caroff et trois de ses gendarmes retrouvèrent Élodie dans son bureau du CHU, elle était sur un rapport concernant un noyé.

— Je n’aime pas trop laisser traîner les choses et prendre du retard. Je comptais terminer ce truc hier, mais avec notre nouveau client, je n’ai pas pu. Et il va falloir qu’il attende encore un peu.

Elle sourit, abandonna le clavier et son siège puis se leva pour embrasser ses visiteurs. Après quelques banalités d’usage, ils en arrivèrent vite à la raison de leur présence. Erwan résuma les investigations menées par son équipe.

— Pas d’ennemis, rien de secret ; après ton examen, s’il n’y a rien de suspect, je pense qu’on pourra conclure à une mort naturelle.

— Oui, certainement.

Ils la virent hésiter.

— Si ça ne vous gêne pas, je vous propose de prendre le café en bas.

Difficile de refuser, même si le « en bas » désignait le lieu où se pratiquaient les autopsies et la morgue de l’hôpital.

La légiste attrapa quelques documents sur son bureau et entraîna ses visiteurs dans un labyrinthe de couloirs desservant les réserves ainsi que les salles d’examen et de conservation des corps. La pièce prévue pour le repos du personnel de la morgue était en face des salles d’autopsie. Machine à café, table, fauteuils, coin cuisine.

— Vous êtes bien ici, remarqua un gendarme nouvellement affecté à la SR.

— Oui, mais il s’agit de ne pas faire trop de bruit.

Elle prit un ton espiègle.

— Je dois éviter mes rires un peu trop démonstratifs.

La réflexion fit sourire Erwan. La légiste désigna une porte battante, à moins d’une dizaine de mètres.

— Derrière, il y a les salles destinées à la présentation des corps et au recueillement.

Ils en étaient là quand entra Marie Evano, suivie de trois individus qu’ils ne connaissaient pas. Visages fermés, costumes sombres, ils imaginèrent des fonctionnaires parisiens directement sortis de leur ministère, Justice, Intérieur, voire plus élevé. La substitut ne jugea pas nécessaire de se lancer dans les présentations. Elle devait penser que leur présence en sa compagnie avait valeur de sauf-conduit.

— Je ne savais pas que tu venais, s’étonna la légiste.

— Je te porte la réquisition.

La médecin n’avait pas encore reçu le document officiel, ce qui ne l’inquiétait pas outre mesure. Une fois qu’ils avaient convenu verbalement d’un acte, il n’était pas exceptionnel qu’ils régularisent la forme par la suite. La présence d’un membre du parquet, si elle n’était pas inhabituelle, était rare… Quant à des « invités »… Décidément, mort, Armel Le Bihan continuait de jouir de privilèges que l’administration n’offrait pas à n’importe qui. Même Erwan, qui pourtant partageait la vie de la représentante du procureur, ne s’attendait pas à cette intrusion. C’est tout au moins ce que semblait dire son visage. Marie tenta de justifier sa présence.

— La lecture des actes de procédure rédigés par les enquêteurs ne laisse que peu de doutes sur les causes du décès. Les enfants du défunt ne souhaitent pas que soit pratiquée une autopsie. Ils l’ont demandé au plus haut niveau.

Elle s’interrompit, comme pour faire comprendre à son auditoire que ses accompagnateurs touchaient de près à ce plus haut niveau. Elle continua à l’attention d’Élodie en lui tendant sa réquisition :

— Sauf présence d’éléments suspects, il est prévu uniquement un examen radiologique et des constatations externes. Pas d’ablation d’organes.

L’experte balaya du regard son entourage et haussa les épaules.

— On fera comme vous voulez.

— Tu as pris contact avec le médecin de famille et le cardiologue ?

— Oui, je les ai eus au téléphone hier après-midi. Le décès ne les a pas surpris outre mesure. Il avait déjà réchappé par miracle à une crise il y a deux ans et subi un quadruple pontage.

Café bu, les intervenants passèrent dans la salle d’habillage pour s’équiper. Masque, charlotte, combinaison, surchaussures. Tout ce petit monde était prêt pour la suite.

Néons, carrelage sur les murs, l’espace avait beau être aseptisé, pour les professionnels, l’odeur caractéristique d’une morgue n’avait pas d’équivalent. Les assistants avaient pris de l’avance en sortant le sac mortuaire du frigo et en le plaçant sur une table mobile. Extrait du véhicule dans lequel il se trouvait, Armel Le Bihan n’avait pas été déshabillé avant d’être conduit à l’Institut médico-légal.

— Nous allons récupérer les vêtements, indiqua l’un des gendarmes.

Prenant l’initiative, il décida de procéder à l’ouverture de la housse… Une odeur pestilentielle envahit la pièce. À l’exception d’Élodie et de ses assistants, les témoins présents reculèrent d’un même mouvement vers la porte. Erwan n’en revenait pas.

— Bon sang, comment se fait-il qu’il soit dans un tel état ?

— La chaleur et le fait d’être enfermé dans le véhicule ont eu pour effet d’accélérer la putréfaction.

Sourire caché par le masque de protection, la légiste s’adressa à Marie Evano.

— Si la raison pour laquelle il n’est pas procédé à une autopsie est une éventuelle présentation du corps à la famille, je pense que c’est une erreur. Ils ne doivent pas s’attendre à ça. Les meilleurs thanatopracteurs ne feront pas de miracles, si tant est qu’ils acceptent de travailler sur un cadavre en décomposition.