L'île abandonnée - Pierre Pouchairet - E-Book

L'île abandonnée E-Book

Pierre Pouchairet

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Beschreibung

Un huis clos comme vous n'en avez jamais lu qui vous tiendra en haleine jusqu'au dénouement final. 

Alors que la France s’apprête à affronter un ouragan d’une ampleur comparable à celui de 1987, les pilotes du vol Air France AF007 qui a décollé de New York apprennent qu’ils font l’objet d’une menace terroriste et se voient interdire le survol de l’espace européen. Comme ils ignorent quels sont les passagers incriminés, une seule solution s’impose à eux : un atterrissage d’urgence sur l’aéroport d’Ouessant, pourtant inadapté pour ce type d’appareil.
Pour la commandant Vallauri et ses amis, bien installés dans l’Airbus A380 après un séjour outre-Atlantique, c’est la fin des vacances et le début de quarante-huit heures dramatiques.
Alors que l’île se retrouve coupée du monde par la tempête, les morts se succèdent sans que l’on parvienne à identifier les coupables. Entre peur et désir de vengeance, les esprits s’échauffent…
Dans ce passionnant polar, Pierre Pouchairet privilégie le rythme, l’action et la vitesse. Il signe un roman au scénario digne d’un film catastrophe et ne laisse aucun répit au lecteur.

Retrouvez la commandant Vallauri et ses amis au coeur de l'action dans ce nouveau polar de Pierre Pouchairet !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Tous les ingrédients d’une excellente série polar qui ravira les amateurs du genre." - Olivier Marchal

"Pierre Pouchairet écrit ses livres caméra à l'épaule." - Blog Quatre sans Quatre

"En lisant ce livre, j'ai eu vraiment l'impression de voir un film tant les scènes sont méticuleusement bien décrites." - Les Lectures de Maud

"Du grand art ! Et quel rythme ! Avec L'île abandonnée, Pierre Pouchairet nous a concocté un roman efficace à déguster cet été. Avec Ouessant comme ère du drame. Du bel ouvrage." - frpreneau, Babelio

"Les pages de ce livres se sont tournées toutes seules...séduite une fois de plus par la plume de l'auteur."- mariegil, Babelio

"Un polar très prenant dans un cadre très original qui vous donnera envie de vous rendre sur place, dans d'autres conditions quand même !" - Mangeur_de_livre, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Pouchairet s’est passionné pour son métier de flic ! Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l’Afghanistan, la Turquie, le Liban…
Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s’est lancé avec succès dans l’écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 (Mortels Trafics) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 (La Prophétie de Langley). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec Tuez les tous… mais pas ici.

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Couverture

Page de titre

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Vallauri-Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016 et qui a déjà séduit plus de 120 000 lecteurs.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Avertissement

Comme les puristes ne manqueront pas de me le reprocher, autant les prévenir. Pour les nécessités de cette histoire, il a été pris quelques libertés concernant la topographie de l’île d’Ouessant et la description de l’accessibilité de certains de ses bâtiments ainsi que des moyens de communication. Pour le reste, ils devraient tout de même s’y retrouver.

Chapitre 1

Siège du FBI, Washington (District de Columbia)

John Le Breton, comme son nom ne l’indiquait pas, était un vrai citoyen des États-Unis d’Amérique. Il avait bien fait quelques recherches généalogiques et découvert un ancêtre français, mais ce n’était pas allé plus loin. Il n’avait jamais visité l’Europe, se moquait du vieux continent et ne parlait pas d’autre langue que l’anglais.

Ce matin-là, après un solide petit-déjeuner, il accompagna ses deux filles à l’école avant de rejoindre son travail au siège du bureau fédéral le plus célèbre du monde. Si les lieux faisaient rêver et fantasmer des millions de personnes, c’était bien parce qu’ils ne savaient pas grand-chose au sujet de ses quarante mille fonctionnaires. La majorité d’entre eux n’avaient jamais manié une arme et ne connaissaient comme scène de crime que les limites de l’open space, ou du bureau dans lequel ils bossaient quotidiennement. C’était le cas de Le Breton.

Après avoir laissé son véhicule sur le parking extérieur, celui réservé aux agents subalternes, il récupéra son sac et quelques affaires de sport avec le projet de passer, entre midi et deux, par la salle de fitness du personnel.

Son job n’avait rien de romanesque, il ressemblait à l’arrivée au travail de l’employé lambda d’une grande boîte de services. Bien sûr, il ne le disait pas à tout le monde et lorsque des amis l’interpellaient sur son activité, il aimait enrober tout cela de mystère.

Il passa les portiques et les sas sans encombre. Son badge lui donnait accès aux premiers points de contrôle, les moins sécurisés.

Sa chance, son luxe, était d’avoir un bureau fermé, une dizaine de mètres carrés avec vue sur une cour intérieure.

Il posa ses affaires et décida d’aller saluer ses voisins déjà arrivés. Il était huit heures trente-cinq quand il s’installa enfin derrière sa table de travail, entra ses codes personnels et mit son ordinateur en route.

Une foule de mails l’attendait. Son rôle d’analyste consistait à compulser différentes informations recueillies par des fonctionnaires en poste aux États-Unis, mais aussi à l’étranger, trouver des liens et établir des fiches. Par le passé, il fallait étudier des montagnes de papiers. Aujourd’hui, l’informatique avait bien modifié les choses et des logiciels « maison » mâchaient le travail en identifiant les mots-clés, et en chassant les points communs entre les documents. S’il n’était pas agent de terrain, son job n’en était pas moins important. Longtemps affecté à la surveillance de groupes criminels et à leurs trafics, il s’occupait d’un service de documentation et de statistiques. Depuis peu, il avait changé de bureau et avait maintenant en objectif le terrorisme intérieur et les mouvements extrémistes.

Un de ses collègues de la NSA1, les grandes oreilles du pays, avait tenté de le contacter à plusieurs reprises et lui demandait de le rappeler. Le motif semblait urgent, sans pour autant être de la première importance. Il décida de se faire un café avant de le joindre. L’eau commençait à peine à chauffer que son téléphone sonna. C’était Emmett Till, l’auteur des appels qu’il avait reçus.

— Salut Emmett, j’ai eu tes messages, je m’apprêtais à te téléphoner. Qu’est-ce qui se passe ?

— Peut-être pas grand-chose, mais j’ai pensé que ça pouvait t’intéresser. On a eu ce week-end une recrudescence d’échanges entre des groupes qu’on surveille. Il y a des Russes, mais surtout des gens établis en Allemagne, en France, en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Tout en poursuivant la conversation, l’écouteur bloqué entre l’épaule et l’oreille, Le Breton chercha du sucre dans une boîte pendant que sa tasse finissait de se remplir.

— Mais encore ? demanda-t-il. Tu peux être plus explicite ?

— En dehors d’un type qui appelle de Moscou un de ses amis à Bonn, en Allemagne, et lui dit que cette semaine ils vont sortir de l’ombre et qu’on va enfin parler d’eux, il n’y a rien de probant dans les écoutes.

— On a souvent affaire à des illuminés. Est-ce que ça te paraît plus étrange qu’à l’accoutumée ?

— Je ne sais pas, si je te parle de prémonition, tu vas me prendre pour un fou.

John ne l’aurait pas dit de cette manière mais, effectivement, sans plus de « biscuit », il ne voyait pas matière à s’énerver.

— Statistiquement, il y a eu ce week-end trois fois plus d’échanges entre eux. Même si les conversations enregistrées n’ont pas ému les ordinateurs, cela n’en demeure pas moins surprenant.

Le fonctionnaire du FBI fut obligé de s’étonner de ce surcroît d’activité.

— Ils ont peut-être tout simplement prévu de se réunir comme ils le font d’habitude ?

— C’est pour ça que je t’appelle. Est-ce que mes constatations sont corroborées par vos agents de terrain ?

John abandonna son café et revint se poster face à son écran. Quelques clics. Il procéda à des recoupements entre les rapports de surveillance et les notes de synthèse du week-end.

— J’ai la conférence de presse d’un fanatique qui prédit que les foudres de Dieu vont s’abattre sur l’Europe et punir les mécréants. Il est connu pour avoir fait deux séjours en asile psychiatrique.

— Rien d’autre ?

— Une convention organisée en Virginie par la NRA2 et il y a aussi un rassemblement Unit the Right programmé. Pas certain qu’il y aura grand monde, parfois ils font quelques dégâts. Mais en règle générale leur truc c’est surtout de défiler avec le drapeau sudiste et de chanter Dixie3 devant un feu de camp. Du folklore plus qu’autre chose.

— En août 2017, il y a eu plusieurs morts. Il ne faut pas minimiser leur dangerosité. Ces rednecks4 peuvent être violents.

John n’apprécia pas le ton. Il n’avait pas besoin que son collègue le rappelle à l’ordre. Il se souvenait très bien de la manifestation de Charlottesville, le décès de Heather Heyer et les trente-cinq blessés, heurtés par James Fields, un gamin de vingt ans proche d’un mouvement néonazi. Cette histoire l’avait d’autant plus intéressé qu’il avait longtemps suivi les activités de Christopher Cantwell, un participant blogueur et extrémiste qui encourageait à la haine raciale.

L’agent du FBI hésita sur la conduite à tenir, il valait mieux ouvrir le parapluie administratif. Tout en poursuivant la conversation, bien décidé à rédiger une note destinée à son supérieur, il rapprocha son clavier et en avisa son correspondant, avant d’ajouter :

— Je vais trier tout ce que j’ai reçu concernant ces deux manifestations et voir ce que l’ordinateur en retire. Je vais aussi appeler notre bureau en Virginie pour être bien certain qu’ils nous ont tout communiqué.

— De mon côté, je fais travailler nos machines d’interception et je vais chercher ce qui se dit sur Internet et les réseaux sociaux, sans oublier le Dark web.

— Parfait, restons en contact.

*

État de Virginie

C’est non loin de l’église épiscopale Saint-Luke, dans un bois à proximité des vignobles et de la fondation Thomas Jefferson, qu’ils se retrouvèrent dans une maison en rondins, sorte de rendez-vous de chasse. Des couples de tous âges, des adolescents, mais aussi des enfants. La chemise à carreaux, le jean et les bottes faisaient presque office d’uniforme pour les hommes. Les tenues des femmes étaient plus variées, certaines avaient opté pour des robes fleuries, alors que d’autres avaient copié la tenue masculine. Trois canapés regroupés en U entouraient une cheminée et, compte tenu de l’affluence, les organisateurs avaient installé des chaises et des tabourets. Les voir ainsi laissait penser à une réunion familiale, mais ce rassemblement n’avait rien d’heureux. On percevait bien quelques rires et cris joyeux, mais ils ne venaient pas de l’intérieur de la maison. L’heure était grave, pas question d’affoler les enfants. Ces derniers jouaient dehors pendant que les adultes terminaient de mettre au point une action d’éclat dont on parlerait pendant des décennies.

— Nous allons faire l’Histoire ! conclut l’organisateur de cette rencontre, sur un ton enthousiaste.

— On se rappellera encore de nous dans un siècle ! s’exclama une femme toute de noire vêtue, à qui il ne manquait que la coiffe pour ressembler à une Amish.

Instant solennel, moment de recueillement. Comme pour galvaniser et unir leurs forces, ils se mirent à réciter des textes religieux qu’ils connaissaient par cœur. Quand ce fut terminé, le silence retomba et celui qui paraissait animer cet office reprit la parole pour évoquer les dernières recommandations.

— Vous savez tous ce que vous avez à faire. Le rôle de chacun revêt la même importance. Une erreur, un manquement, et tout peut rater. Vous ne remettrez vos téléphones en fonction que lorsque vous serez à au moins cinquante kilomètres d’ici et pas avant deux heures. C’est bien compris ?

Ils opinèrent d’un léger mouvement de tête. Les recommandations n’étaient pas terminées pour autant.

— Par la suite, pour se joindre, uniquement avec Signal. Rien n’est infaillible, la NSA nous a à l’œil et aux oreilles, mais si ce logiciel de cryptage est conseillé par Edward Snowden, faisons-lui confiance. De toute manière, même si les fédéraux nous enregistrent, ils auront toujours un temps de retard. Quand ils écouteront les communications, il sera déjà trop tard.

Ils approuvèrent encore et il n’eut plus qu’à clore.

— Des questions ?

Il n’y en avait pas.

— Que Dieu soit avec vous, mes amis.

Fin de la réunion. Quelques minutes plus tard, ils étaient tous dehors, devant la maison. Ceux qui avaient des enfants les récupérèrent et le chef se retrouva seul. Il était loin d’en avoir terminé. Il fit le tour de son bâtiment pour se diriger vers un hangar, une construction qui pouvait servir à entreposer du matériel agricole et dont une partie était également destinée à faire office d’écurie. Trois gaillards l’attendaient. On n’était plus du tout dans le genre cow-boy, ceux-là ressemblaient à des paramilitaires. Pantalon multipoches de couleur sable, blouson tactique et armement ; du couteau sanglé sur la cuisse au pistolet-mitrailleur Colt 635 en bandoulière, en passant par l’automatique à la ceinture. Il les interrogea d’un coup de menton.

— Ils sont à l’intérieur, répondit l’un des hommes.

Le chef fit signe à ses gars de se rapprocher.

— Finissons-en. Ils en savent trop, on ne peut pas les garder en vie.

— Ils ont pu divulguer des informations sur nous, c’est ce qu’ils laissent entendre, fit remarquer le plus jeune du groupe.

— Impossible. Ils n’avaient aucun moyen de communication et on a vérifié les environs, ils n’avaient aucune protection.

— Un drone ?

— Non, nos équipements techniques l’auraient localisé.

Le chef voulut tranquilliser ses troupes en leur expliquant comment il avait débusqué les deux policiers.

— Ils ont pris contact avec un couple en qui j’ai toute confiance et qui les a tout de suite trouvés bizarres. Avec notre logiciel de reconnaissance faciale, on les a identifiés facilement. La technique, ça ne marche pas que pour les fédéraux. Nous ne sommes pas plus crétins qu’eux. On filme tous les accès de leurs bureaux à travers le pays, leur académie, leurs clubs… Ces deux-là ne savent rien d’autre sur nous que l’existence de cette réunion, et qui y a participé. Mais c’est déjà trop. Surtout aujourd’hui.

L’un des gardes ouvrit une porte et ils entrèrent dans le bâtiment. Un couple était entravé et suspendu à une poutre. Le visage de l’homme était tuméfié. La chemise de la fille, maculée de sang, avait été déchirée et son torse supportait des marques d’incisions. Le sang avait coulé, mais on avait voulu les garder en vie. En regardant leurs geôliers, les deux prisonniers comprirent que cette délicate attention touchait à sa fin.

Mark Fernandez et Helena Gustawsson, membres du FBI, travaillaient sous couverture. Les deux agents infiltrés avaient longtemps nié être flics, jusqu’à ce que leurs bourreaux leur mettent sous le nez des documents provenant de leur administration. Photos, empreintes, dates d’entrée à l’académie, diplômes universitaires, leurs ravisseurs avaient tout. Inutile de continuer à mentir. Pour sauver leur peau, ils avaient tenté de leur faire peur, en arguant que leur chef en savait déjà beaucoup sur le groupe, qu’ils allaient tous être interpellés. Que tuer des agents du FBI conduirait les meurtriers sur la chaise électrique. Ultime argument, bien réel mais de peu de valeur face à ces bouchers.

1. National Security Agency, service américain chargé des écoutes et de la recherche d’informations émanant des réseaux électromagnétiques.

2. National Rifle Association, lobby pro armes.

3. Chanson considérée comme un hymne par les sécessionnistes durant la guerre civile et reprise régulièrement par les nostalgiques de cette époque.

4. Littéralement « cou rouge », employé pour désigner les réactionnaires aux USA.

Chapitre 2

New York City, quarante-huit heures plus tard

Six heures du matin, Léanne sortit de sa chambre. Collant, short, sweat, chaussures Adidas fluo, elle était prête pour un footing. Le rez-de-chaussée de l’Holiday Inn était déjà bondé et la salle des petits-déjeuners en pleine activité. Un bus venait de déposer son chargement d’Asiatiques et les passagers prenaient la réception d’assaut. Elle se fraya difficilement un chemin entre les valises et les voyageurs. Une fois dehors, elle eut presque une impression de calme. Le jour commençait à poindre, les rues étaient encore peu animées, des taxis, quelques vélos et pas mal de livreurs. Elle rejoignit la 23e Rue et mit cap vers l’ouest. Dernier jour dans la cité mythique, elle se donnait deux heures de footing pour faire un tour des quelques lieux qu’elle voulait revoir avant de partir. Depuis presque dix jours qu’elle était aux États-Unis avec Vanessa et Élodie, ses deux copines, et le jeune Isaac, elle courait chaque matin pour profiter de la ville. Et l’après-midi, ils marchaient pendant des heures. Après tout ce qu’ils avaient vécu dans les semaines et les mois précédents, ils avaient bien mérité un peu de repos.

Elle força l’allure pour traverser la 9e Avenue. Il y avait plus de monde, elle se concentra sur son environnement pour courir sur les trottoirs, passa la 10e et trouva un accès jusqu’à la High Line, l’ancienne voie ferrée suspendue, aménagée en chemin piétonnier. Le groupe avait eu l’occasion de s’y promener et la flic s’était dit qu’elle pourrait inclure ce tronçon dans son footing matinal. Il s’agissait maintenant d’une sorte de jardin surélevé à neuf mètres au-dessus de la rue. Une envie de rire faillit interrompre son élan lorsqu’elle croisa la statue, plus vraie que nature, d’un homme en slip déambulant tel un somnambule. Un petit chauve à qui elle trouvait une ressemblance frappante avec un de ses collègues toulousains affecté aux courses et jeux. Le visage de la flic s’illumina et il fallut plusieurs centaines de mètres avant que ses pensées vagabondent ailleurs et en arrivent à des sujets plus sérieux. Elle en revint à ses amis. Vanessa Fabre, psychologue, sortait tout juste de prison1. Mise en examen pour homicide volontaire, soupçonnée du meurtre de son amant, elle avait passé plusieurs semaines d’incarcération à Rennes, jusqu’à ce que Léanne réussisse à la sauver de ce guêpier. Enceinte, la psy avait pensé à avorter avant de changer finalement d’avis. La naissance était prévue dans quatre mois. Isaac Lefloch était un jeune flic qui avait été affecté à la PJ de Brest quasiment au moment où Léanne prenait la tête du service. Depuis, il avait prouvé ses compétences et sa chef lui faisait toute confiance en s’appuyant souvent sur lui. Ce n’était pas toujours de tout repos d’accompagner la commandant et il avait bien failli y laisser sa peau2. Tout cela avait créé des liens solides. Quand il avait émis l’idée de les accompagner, les trois filles n’y avaient vu aucun inconvénient, bien au contraire.

À côté des autres, Élodie Quillé, médecin légiste et directrice de l’Institut médico-légal de Brest, était l’élément calme du groupe. Leur confidente et leur bouée de sauvetage dans les moments difficiles.

Elle était arrivée au bout de la voie suspendue. Elle emprunta les escaliers pour se retrouver au pied du Whitney Museum. Elle le longea et traversa une nouvelle fois la 10e Avenue vers l’Hudson, pour suivre la rive en direction du sud. C’est là qu’elle reprit le cours de son introspection. Après presque deux ans à la tête de l’antenne de police judiciaire finistérienne, elle avait déjà résolu quelques belles affaires. Des succès appréciés, mais à quel prix ? Son goût immodéré pour les enquêtes rondement menées et sa gestion des informateurs lui avaient valu bon nombre d’emmerdes. Jusque-là, elle s’en était sortie, mais il était temps qu’elle suive les conseils de Lionel Le Roux, son adjoint, et de Claude Vignon, le grand chef de la PJ, et qu’elle se calme.

Elle s’était fixé comme but Battery Park, à l’extrémité de la pointe sud de Manhattan, pour avoir un panorama sur Ellis Island et, plus loin, la statue de la Liberté. Elle avait de la chance, bien qu’il fasse froid, le ciel était d’un bleu limpide et la vue parfaite. Elle regarda un moment les ferries, son cœur de rockeuse prolongea son observation vers le New Jersey, l’État de Bruce Springsteen. Elle allait faire demi-tour quand elle fut prise d’une envie de pousser vers l’est jusqu’à ce qu’elle aperçoive le pont de Brooklyn sur l’East river. À ce moment précis, elle jugea que ses yeux venaient de photographier les références historiques et surtout cinématographiques de son panthéon personnel. Elle fit volte-face, elle était loin d’en avoir terminé. L’objectif était de remonter les bords de l’Hudson jusqu’aux environs de la 100e Rue pour bifurquer en direction de son prochain but : Central Park.

La ville s’animait, des sportifs en footing et à vélo, mais aussi beaucoup de gens qui se rendaient au travail. Léanne se rappela être déjà venue sur cette partie du parcours durant leur séjour. Le jeune avait voulu visiter l’Intrepid, un porte-avions musée sur le pont duquel étaient exposés des appareils mythiques, et entrer dans le sous-marin USS Growler, amarré au quai voisin. Les filles l’avaient laissé faire, d’autant que cela rappelait à Léanne les aventures de Buck Danny, une bande dessinée dont son ancien officier de marine de père raffolait. Elle en avait profité pour prendre de nombreuses photographies et lui acheter casquette et sweat-shirt qu’elle lui offrirait au retour. Question souvenirs new-yorkais, les amies avaient plutôt craqué pour les boutiques proposant des mugs, polos et autres tee-shirts de la police locale, elles étaient certaines que ça plairait à leurs collègues.

Comme elle l’avait prévu en préparant sa course sur une carte, elle longea sur sa gauche les courts de tennis proches du Parc des Dinosaures et prit vers l’est en vue de traverser la Henry Hudson Parkway en direction de Central Park. Pas si simple. Elle finit par trouver sa direction et déboucha sur la 99e Rue. Par principe, et pour le fun, elle poussa d’une rue de plus. Il ne lui restait plus qu’à continuer jusqu’au poumon vert de la mégalopole.

Une fois dans le parc, elle prit à droite pour atteindre le réservoir Jacqueline Kennedy, l’une des réserves d’eau de la ville, mais surtout le lieu rendu célèbre par Dustin Hoffman dans Marathon Man. Elle tourna jusqu’à rejoindre le bâtiment sud, l’endroit qui servait à réguler la distribution d’eau vers Manhattan. Elle ne put s’empêcher d’arrêter sa course pour sacrifier à un selfie, avant de partir pour sa destination ultime : le Strawberry field, un lieu dédié à John Lennon. Il s’agissait d’un endroit calme à quelques dizaines de mètres de l’immeuble Dakota, devant lequel la star avait été assassinée quarante ans plus tôt.

Ce fut devant le tapis circulaire fait de mosaïques blanches et grises, avec à son centre le mot « Imagine », qu’elle retrouva ses deux copines et Isaac. Le garçon lui tendit un sac.

— On t’a apporté une bouteille d’eau et des fringues sèches.

— Sympa ! Allez, on se trouve un coin pour déjeuner.

*

Les quatre amis étaient bien loin de se douter qu’au même instant avait lieu une réunion qui allait considérablement modifier le cours des heures à venir.

Une partie des protagonistes du rendez-vous de chasse organisé en Virginie se retrouva dans un immeuble de Brooklyn. Il aurait été difficile de les reconnaître tant leur aspect vestimentaire avait changé. Fini l’image uniforme du groupe, il y avait de tout, des cadres BCBG, genre homme d’affaires en complet trois pièces, des jeunes au look d’étudiant, des vacanciers chics, d’autres plus décontractés. Ce qui les unissait était leur visage grave, comme s’ils subissaient l’envoûtement d’une puissance extérieure, bien plus forte qu’eux. Les traits figés et la rigidité des corps s’associaient fort mal avec l’attitude décontractée que certains essayaient de se donner. Les enfants aussi avaient une allure différente. Ils semblaient d’ailleurs les seuls à s’en étonner. Ils regardaient leurs tenues avec une surprise non feinte et ouvraient de grands yeux sur des parents qu’ils n’avaient jamais vus habillés de cette manière. Pour les occuper et afin qu’ils ne posent pas de questions, leurs parents leur avaient donné la tablette de jeu dont ils rêvaient ce qui suffisait amplement à les occuper.

Celui qui avait présidé la réunion précédente en Virginie n’était pas là et c’est un quadra à l’allure sportive, portant des lunettes cerclées de métal blanc, l’œil vif, les cheveux blonds coupés court, qui s’adressa à eux.

— Personne n’a de téléphone portable ? demanda-il pour commencer.

Ils s’en étaient tous débarrassés avant de venir et n’avaient plus aucun lien avec les réseaux GSM.

— Vous êtes parfaits, je vois que vous avez suivi les instructions à la lettre. Vous savez qu’en ce moment, plusieurs groupes comme le nôtre sont réunis dans différents endroits. Chacun a sa mission et avec l’aide de Dieu, nous allons envoyer au Monde un message que personne ne pourra ignorer. Enfin, on nous entendra !

L’orateur lança un regard à l’attention des parents. Cette fois encore, il était préférable que les gosses n’entendent pas tout. Les mères comprirent le message et les quatre enfants de l’assistance furent invités à aller jouer dans une autre pièce. Obéissants, ils laissèrent les grands continuer à discuter entre eux.

Une fois libérés des oreilles indiscrètes, ceux-ci en revinrent à quelques préoccupations plus terre à terre. S’ils étaient parfaitement préparés pour l’action à mener, certains se montraient plus inquiets des conséquences que leur acte aurait sur leurs proches. Comme demandé, ils avaient tous laissé une lettre en évidence dans laquelle ils expliquaient par le détail leurs choix et leurs souhaits pour la suite.

*

Attablés dans un bar de Broadway, les Bretons terminaient leur petit-déjeuner en évoquant leur séjour nord-américain. Ils en avaient pris plein les yeux et l’idée de retourner au travail le lundi suivant ne les enchantait guère. Isaac était resté silencieux pendant que les trois commères ne cessaient de blablater. Élodie s’en rendit compte.

— Tu ne t’es pas trop emmerdé avec trois vieilles comme nous ?

— C’était supportable.

— Comment ça, supportable ? lança Léanne, faussement outrée. T’as quand même pu faire ta vie tranquille ! D’ailleurs, il me semble que plutôt que de nous accompagner le soir, tu t’es pas ennuyé de ton côté, si ? Je ne serais pas surprise de voir débarquer une Américaine à Brest un de ces jours.

Dans le ton, Vanessa crut noter quelque chose qui aurait pu ressembler à de la jalousie et l’attitude d’Isaac, dont le visage s’illumina comme s’il se remémorait des souvenirs nocturnes, n’était pas pour calmer sa chef.

Vanessa vint à son secours en déviant la conversation.

— En tout cas, on en a bien profité. Je ne sais pas combien de kilomètres on a fait tous les jours, mais on a arpenté Manhattan dans tous les sens. J’espère qu’on refera la même chose rapidement. Même si ma situation va changer…

— Ce gosse, ça sera un peu comme s’il avait trois mères. On devrait arriver à gérer sans que ce soit un boulet, répondit la médecin.

Léanne était moins enthousiaste. Les mômes, ce n’était pas sa tasse de thé et elle ne se voyait pas en train de pouponner, même occasionnellement, pour faire plaisir à sa copine. Soudain boudeuse, elle regarda l’heure à sa montre.

— Le temps passe, si on veut encore faire quelques courses, empaqueter nos achats et être prêts pour le taxi, il faudrait qu’on se bouge.

1. Voir Avec le chat pour témoin, même auteur, même collection.

2. Voir L’assassin qui aimait Paul Bloas, même auteur, même collection.

Chapitre 3

Siège du FBI à Washington

À la lecture du rapport qui s’inscrivait sur son écran, John Le Breton eut l’impression de ressentir une décharge électrique. Le corps inanimé d’Helena Gustawsson, l’un des agents du service, venait d’être retrouvé dans une forêt de Virginie, non loin de l’endroit où était prévu le rassemblement de militants d’extrême droite qu’il avait dans le collimateur. Dans un coma profond, la flic n’avait pas pu expliquer ce qui lui était arrivé et son partenaire avait disparu. De là à penser qu’il était mort… Même s’il tentait de refouler cette hypothèse, elle s’inscrivait douloureusement dans l’esprit de l’analyste. Il se plongea dans la lecture des derniers rapports rédigés par le couple d’enquêteurs. Ils laissaient supposer que leurs cibles cherchaient à monter une opération d’envergure mais, jusque-là, rien ne permettait d’étayer leur compte rendu. Mark Fernandez avait beaucoup écrit sur le sujet, mais sa prose n’avait pas ému son chef. L’agent avait bossé pendant longtemps sur les narcos mexicains, il avait vécu des moments pénibles aux côtés des trafiquants et sa hiérarchie pensait que depuis cette aventure, il avait une nette tendance à dramatiser toutes les informations qu’il recueillait. On l’avait donc orienté sur les mouvements extrémistes religieux chrétiens et musulmans en considérant qu’on lui offrait presque des vacances. Depuis, chaque fois que Fernandez criait au loup, ses écrits étaient estimés trop alarmistes. Il est vrai que les familles sur lesquelles le FBI travaillait étaient loin de la barbarie habituelle des mafieux hispaniques. Le Breton ne jugeait pas. Il se contentait d’engranger les informations. Il resta longtemps à lire et relire un rapport de l’agent de terrain. Fernandez affirmait avoir reçu des informations laissant supposer que des terroristes islamistes pourraient prendre pour cibles les membres des mouvements d’extrême droite durant l’une de leur réunion. Selon lui, il serait difficile d’identifier ces terroristes musulmans car ils étaient constitués d’Américains de souche récemment convertis à l’Islam. Ils comptaient profiter de leur physique de petit blanc pour approcher leurs victimes.

Difficile de ne pas faire un parallèle avec la proximité des meetings prévus en Virginie. Les deux flics avaient peut-être enquêté en francs-tireurs. Chose certaine, la disparition du flic et la découverte de Gustawsson laissaient présager que quelque chose de grave s’était passé.

Il rappela son collègue de la NSA et n’eut pas à exposer les raisons de son appel. Till était déjà sur le coup.

— J’ai mis une équipe là-dessus. On travaille sur les écoutes et sur les webcams de surveillance de la région. Toutes nos bécanes moulinent pour identifier des visages connus. Jusque-là, rien. Je vais aussi faire des rapprochements avec des lieux classés sensibles.

— C’est-à-dire ?

— Aux abords de nos bureaux, des grands centres administratifs, etc. On a des caméras. Si les gens qu’on a mis en boîte en Virginie apparaissent, notre logiciel de reconnaissance faciale devrait nous avertir.

— Moui, fit Le Breton, peu convaincu du résultat d’une telle opération.

— Je vais contacter nos enquêteurs sur place pour savoir ce qu’ils ont recueilli. Dans l’urgence et sous le choc de la disparition de leur collègue, il est possible qu’ils n’aient pas encore eu le temps de rapporter tous les éléments dont ils disposent.

Son téléphone à peine raccroché, le fonctionnaire s’intéressa à nouveau à son écran d’ordinateur. En quelques clics, il trouva les numéros qu’il cherchait et décida d’appeler le chef de bureau du FBI pour la Virginie.

L’agent spécial Cauley était occupé et c’est un de ses adjoints qui répondit à Le Breton. Pas besoin d’être fin psychologue pour comprendre que les gars de Richmond étaient sous le choc. Même si le FBI était exposé, la perte d’un des leurs n’était pas un événement banal. Toute l’énergie du service était déployée pour identifier les coupables.

L’analyste n’y alla pas par quatre chemins, il voulait savoir quels étaient les premiers éléments d’enquête et surtout la manière dont Fernandez et Gustawsson avaient disparu des écrans radars dans les heures ayant précédé le drame.

L’appel d’un bureaucrate de Washington irrita. D’autant que sa brusquerie prouvait son manque d’empathie.

— Ce n’est pas le moment de nous faire chier, tout cela sera mentionné dans les rapports qu’on vous enverra ! Tous les flics valides de Richmond sont sur le terrain et passent au peigne fin les environs de la scène de crime. Gustawsson est hospitalisée, blessée par balles et le pronostic vital est engagé. On ne sait pas si elle va s’en sortir. Elle a vingt-cinq ans, c’était sa première mission et elle allait se marier.

Le collègue d’Helena peina à terminer sa phrase. Il en avait gros sur la patate.

Le Breton comprit qu’il avait manqué de diplomatie et reposa sa question avec moins de brutalité, en arguant qu’il suivait depuis plusieurs jours l’enquête menée par les deux agents. Le fait qu’on ait attenté à leur vie indiquait qu’ils étaient sur quelque chose d’important. Le flic de Richmond se radoucit.

— Fernandez avait l’habitude de travailler seul. Il a emmené Gustawsson avec lui parce que, selon ses dires, il avait besoin d’une femme pour sa couverture. Il allait à une rencontre où il n’y aurait quasiment que des couples. On s’est moqué de lui en disant qu’ils allaient se taper une réunion Tupperware.

— Ça devait se passer où ?

— Ils n’en savaient rien précisément, sinon que c’était dans les environs de Charlottesville. On a laissé faire. C’était une simple mission de routine. Sans aucun danger.

— Quel était son premier contact ?

En même temps qu’il posait la question, Le Breton fouilla dans ses fiches. Il était mentionné quelques noms sur lesquels il avait travaillé sans rien en tirer. À l’autre bout de la ligne, le flic de Richmond devait faire la même chose. Il y avait fort à parier qu’ils lisaient le même document.

— Je ne sais rien de plus que ce qui figure dans le rapport initial d’investigation qu’a rédigé Fernandez. Un groupe a gratté là-dessus. Les gens cités sont des inconnus. On n’a rien qui permette de solliciter un juge pour un mandat de perquisition.

— Vous les avez mis sous surveillance ? demanda Le Breton.

Alors qu’il s’était calmé, la question énerva le flic de Richmond. Ce n’était pas un gratte-papier qui allait leur indiquer la conduite à tenir.

— Qu’est-ce que tu crois ? Qu’on est partis à la piscine ?

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, désolé.

— On avait quatre adresses. L’une est celle d’un couple de commerçants. Ils sont dans leur boutique. Il y a des fermiers, ils travaillent, et les deux autres sont en congés. Partis depuis vingt-quatre heures. Les vacances étaient prévues de longue date. Des personnes calmes. Pas le genre à tuer des flics.

Le Breton n’écouta pas ce dernier argument. Dans ses dossiers, les braves gens faisaient de très bons meurtriers.

— Vous savez où ils partaient ?

Le correspondant souffla d’agacement.

— Non, aucune idée. Je ne sais pas si on leur a demandé.

L’analyste n’était pas moins têtu que ses ancêtres.

Il insista pour recevoir dans les meilleurs délais les premiers résultats d’enquête et raccrocha. Il avait déjà autre chose en tête.

*

Aéroport de New York

Cody Wilson laissa le comptoir de sa boutique de produits informatiques à son employée. Situé dans la zone détaxée, son magasin attirait de nombreux voyageurs désireux de claquer les dollars qu’il leur restait en poche ou de faire une dernière bonne affaire avant de prendre l’avion. Il prétexta de la comptabilité en retard et des commandes à passer pour s’enfermer dans son bureau, une sorte de cagibi de quatre ou cinq mètres carrés. Dans cet antre, dont lui seul possédait la clé, tournaient deux imprimantes 3D. Plusieurs semaines qu’elles étaient en fonction, il en avait même grillé une troisième à force de la solliciter. Avec les plans récupérés sur Internet et laissés à disposition par la société Defense Distributed, il avait mis au point des armes indétectables. Bien sûr, ce n’était pas terrible, on ne risquait pas de gagner un concours de tir avec les pistolets qu’il confectionnait, mais on pouvait tuer et, après tout, c’était le but recherché. Le premier modèle avait été difficile à assembler. Au dixième, c’était devenu un jeu d’enfant. Il aurait presque pu le monter les yeux fermés, un exercice qu’il avait d’ailleurs l’habitude de réaliser avec un bandeau quand il était militaire. Et à l’époque, il s’agissait d’armes un peu plus sophistiquées que ces trucs en plastique. Ce qui lui avait posé un réel souci avait été de faire entrer les munitions dans la zone d’embarquement. Alors qu’au final, ce fut extrêmement simple. D’abord, en les passant une par une, au milieu d’autres objets métalliques, ça marchait. Mais il avait trouvé bien mieux, et beaucoup plus rapide : un flic lui filait régulièrement les cartouches de son chargeur. Personne n’en contrôlait le nombre à l’entrée et encore moins à la sortie. Une lumière s’alluma, quelqu’un le demandait dans le magasin. Il donna un coup d’œil sur l’écran branché aux caméras de sécurité. Un jeune couple se trouvait à côté de la caisse… Il l’attendait.

*

Aéroport de New York, zone de fret

Dans la zone des bagages, ce qui se produisit ressemblait beaucoup à l’opération menée par Cody Wilson. Sauf que là, pas besoin d’imprimante, la réalisation fut plus classique. Un des membres de son réseau avait introduit séparément et en plusieurs fois tous les composants nécessaires à la fabrication d’une bombe artisanale. Une fois les éléments réunis, il avait pu profiter des multiples recoins de l’aéroport pour tous les assembler. Maintenant, il n’avait plus qu’à porter l’engin dans la soute qui lui avait été désignée. Très simple pour cet employé de longue date. C’est lui qui était chargé d’entrer dans le ventre des avions et de collecter les valises déposées par un de ses collègues sur le tapis roulant. Il hésita entre laisser la bombe sous le stock de bagages ou la mettre dans l’un d’eux.

Il opta pour la seconde solution. Muni d’un stylo, il lui fut très facile d’en enfoncer la pointe au travers d’une fermeture à glissière et d’en écarter les dents. Il choisit une valise de dimension moyenne et d’un poids réduit. La crémaillère ne lui résista que quelques secondes. Une fois l’engin introduit, il n’eut plus qu’à zipper à nouveau. Le tour était joué ! Moins de trente secondes. Il n’en avait pas fallu plus pour qu’il prenne du retard et que les objets s’amoncellent autour de lui. Son collègue s’en aperçut.

— Ho, tu dors !

La remarque attira l’attention d’un des contrôleurs qui traînait dans le coin. Le moment du chargement des bagages étant le plus propice aux vols, la méfiance était de mise et certaines soutes étaient équipées de caméras.

Le visage du manutentionnaire émergea.

— C’était mal calé, il a fallu que je réorganise tout ça. C’est bon maintenant.

De loin, comme s’il s’intéressait à autre chose, un inspecteur attendit la fin du chargement de l’appareil et jeta un œil inquisiteur sur l’employé. Il hésita à effectuer un contrôle inopiné. La combinaison de travail collait à la peau du gars, s’il avait dérobé quelque chose, ça ne pouvait pas être important. Il laissa tomber.

Chapitre 4

Bureau du FBI, Richmond

Depuis qu’ils avaient retrouvé Helena Gustawsson, l’antenne de Virginie était dans un état de fébrilité indescriptible, d’autant que Mark Fernandez manquait toujours à l’appel. Où était-il ? Le pire était à craindre.

Le chef venait de faire un point avec ses hommes, les quelques hectares de forêt autour de ce qui était devenu une scène de crime avaient été passés au peigne fin sans qu’on découvre le moindre indice.

Bien qu’il fût trop tôt pour savoir si la jeune femme allait s’en tirer, une chose était certaine : s’il n’y avait pas eu ce chasseur amateur de champignons et son chien pour se promener dans les sous-bois, Gustawsson serait morte.

— Il faudrait élargir le périmètre de fouilles, proposa l’un des flics.

Son chef n’y croyait pas, mais il était bien d’accord pour tout tenter.

— Demain, en début de journée, la garde nationale fera des recherches. Et leur voiture, des nouvelles ?

Un agent lui répondit.

— Elle a été signalée dans tous les postes de police de l’État. Si elle n’a pas été maquillée et qu’elle circule, on va la retrouver.

— Qu’est-ce qui a bien pu passer dans la tête de Fernandez pour qu’il suive une piste sans nous en référer ?

Une femme d’une petite cinquantaine d’années, d’origine asiatique au visage doux et aux longs cheveux noirs, leva la main pour prendre la parole.

— Avant qu’ils ne partent, Helena m’a dit que Mark avait reçu un appel d’un de ses contacts. Ils avaient un simple rendez-vous, mais le type voulait qu’ils viennent sans portable.

— Ils ne pouvaient pas les laisser dans leur voiture ou les planquer ? D’ailleurs, ils sont où ces portables ? On les a localisés ?

La femme avait la réponse :

— Ici, dans leur bureau.

Un autre agent, plus jeune, prit le relais, un geek dont le physique s’accordait aux attributions.

— J’ai travaillé dessus, il n’y a rien sur le cellulaire de Gustawsson. Fernandez a été contacté à plusieurs reprises par une carte prépayée. Je l’ai localisée sur Richmond et Charlottesville. Elle n’a été utilisée que trois fois et le boîtier est coupé. Toutes les communications étaient dirigées vers le portable de Fernandez.

Un téléphone filaire se mit à résonner. Ça venait du bureau du patron. À la troisième sonnerie, la secrétaire récupéra l’appel et dans les secondes qui suivirent, elle apparut.

— Monsieur, il s’agit du service des pompiers. Ils ont été contactés suite à l’incendie d’une ferme. Je crois que c’est important.

Le chef abandonna son équipe et tout le monde se tut pendant qu’il s’entretenait au téléphone. L’appel était lié à leur affaire. Pendant la conversation, l’adjoint sentit son portable vibrer au fond de sa poche. Il s’agissait encore de l’analyste de Washington. Qu’est-ce que cet emmerdeur voulait ? Il hésita à prendre la communication et se dit que même si la probabilité que ce soit intéressant était infime, il devait décrocher. Le Breton ne le laissa pas placer un mot.

— Je ne sais pas ce que ça vaut, mais la NSA a repéré sur une Webcam deux types que nous avons dans le collimateur. Ils étaient trois dans la voiture, on ne voit pas le passager à l’arrière. Devant, il s’agit de deux anciens GI connus pour des menaces et des violences.

L’agent fédéral souffla intérieurement. Les bureaucrates qui s’immisçaient dans les enquêtes, il n’aimait pas ça. Bon, il n’allait pas rembarrer pour autant un garçon plein de bonne volonté. Il attrapa une feuille de papier pour marquer les identités : John Wessley Harding et Peter Hendricks. En écrivant, il eut l’impression d’entendre le nom de Wessley Harding en écho derrière lui. Le chef d’antenne avait terminé sa conversation téléphonique et lisait les notes qu’il avait prises : une maison forestière louée par un certain John Wessley Harding venait d’être la proie des flammes et on avait retrouvé la voiture de Gustawsson et Fernandez entièrement carbonisée dans un hangar. Les flics croyaient peu aux coïncidences et à partir de cette seconde, Le Breton gagna définitivement l’intérêt de l’agent fédéral. Dans les minutes qui suivirent, une équipe partait sur les lieux de l’incendie et, à Washington, l’analyste y allait d’un premier rapport pour son patron.

*

Aéroport de New York, zone de détaxe

Les touristes brestois étaient lâchés. Encore des achats, à croire qu’ils n’en avaient pas fait assez dans la matinée. Il faut dire qu’ils avaient le temps. Entraînés par Léanne, éternelle stressée, ils étaient arrivés à l’aéroport avec plus de quatre heures d’avance sur l’horaire, et les formalités s’étaient déroulées sans le moindre problème. Trop facile.

— Voilà, bravo ! Et qu’est-ce qu’on va faire en attendant ? On aurait mieux fait de rester à Manhattan, avait râlé Vanessa.

Isaac, lui, n’y voyait aucun inconvénient, ce qui lui avait valu les sarcasmes de la psy.

— C’est vrai qu’on parle des filles, mais t’es bien pire que nous !

— On peut acheter quelques bouteilles de Jack Daniels, je suis certaine que ça fera des heureux, proposa Élodie.

— Je vous abandonne, lança le jeune, je vais trouver un magasin d’électronique, j’ai besoin d’un casque.

— Pas d’inquiétude, fit Léanne, on peut même se séparer et se retrouver plus tard pour un dernier verre avant le décollage.

Vanessa émit quelques réticences.

— Non, moi je ne veux pas boire, je ne vais pas arrêter de pisser quand on sera dans l’avion.

Une fois seul, Isaac flâna de boutique en boutique à la recherche de ce qui l’intéressait, tout en se créant d’autres envies. Tee-shirt, casquette de base-ball, mugs, il aurait été capable d’acheter n’importe quoi. Ce voyage lui laisserait un super souvenir. En plus, il avait gardé dans son téléphone le numéro d’une Américaine, Hattie Carroll, une superbe métisse rencontrée dans un bar de Chelsea pendant ses escapades nocturnes et solitaires. Elle était à l’université, parlait pas mal le français et allait venir à Paris pour poursuivre ses études. C’est elle qui avait engagé la conversation et il n’avait rien contre l’idée de la revoir en France.

Tout en pensant à cette beauté, il se retrouva devant un magasin spécialisé en matériel électronique. Vidéos, ordinateurs, tablettes, il y avait de tout. Et surtout, le modèle de casque qu’il cherchait. Il aurait bien demandé des renseignements, mais l’unique employée était occupée à la caisse et il ne semblait pas y en avoir d’autres. C’est tout au moins ce qu’il croyait, jusqu’à ce qu’il vît sortir deux hommes de ce qui devait être une réserve. L’un d’eux avait un polo au logo de la boutique. Dès que ce dernier se retrouva seul, Isaac fonça vers lui pour avoir les informations qui l’intéressaient. Le type avait un accent un peu difficile, mais le jeune breton arriva à le comprendre et décida de se laisser tenter par le matériel qu’il convoitait. Le vendeur lui remit la boîte contenant le casque et chercha un stylo dans sa poche. Alors qu’il le sortait de sa veste, deux cartouches de 9 mm roulèrent à ses pieds. Les deux hommes échangèrent un regard. Surprise du flic et du commerçant qui vira à l’écarlate en ramassant les munitions. Il bredouilla un « Sorry for that » qui fit sourire Isaac, et se sentit obligé d’expliquer qu’il les avait oubliées après une séance de tir sportif. Même en anglais, ça sonnait faux, mais le policier ne chercha pas plus loin.

*

Bureau du FBI à Washington

Quand l’analyste avait un os à ronger, il avait pour habitude de ne rien laisser au hasard. Un vrai fouille-merde. Ce fut cette fois lui qui appela son collègue de la NSA. Depuis septembre 2001, les moyens attribués à la lutte antiterroriste étaient devenus colossaux et en un peu moins de vingt ans, les logiciels dédiés ne cessaient de s’améliorer. Depuis un décret de 2017, signé par Donald Trump, l’utilisation de la reconnaissance faciale s’étendait et il était prévu qu’elle soit généralisée à tous les aéroports internationaux. Son idée avait été de procéder à l’identification de bon nombre de véhicules filmés sur la Thomas Jefferson Parkway le jour de la disparition de Gustawsson et Fernandez et de chercher où les conducteurs avaient pu être repérés par la suite. Le fait qu’il s’agisse d’une voie interdite aux poids lourds faisant l’objet de contrôles vidéos avait facilité les choses. L’ordinateur désignait un lieu commun : Kennedy Airport.

Ce résultat interpellait Le Breton. Que signifiait-il ? Les suspects en question étaient sans passé criminel, des familles peu soupçonnables d’avoir tué un couple de policiers ou de se livrer à des activités illicites. En grattant plus profondément, il découvrit que plusieurs d’entre eux avaient pris des positions radicales sur des sujets tels que l’avortement, le mariage homosexuel, la détention d’armes… Rien qui ne fasse d’eux des citoyens à part. Ces idées étaient répandues et même majoritaires dans certaines communautés et dans bien des religions. Il en fallait davantage pour identifier et isoler avec certitude un groupe particulier, surtout que ces gens n’avaient apparemment pas de liens entre eux. Tout cela laissait le policier perplexe.

Il pondit cependant un second rapport.

Le résultat ne se fit pas attendre. À croire que son chef lisait en direct ce qu’il écrivait. Il vit John Denver se planter à l’entrée de son bureau.

— C’est quoi tous ces mémos que tu rédiges ? Tu enquêtes sur ce qui s’est passé en Virginie ? Je pensais que tu avais d’autres domaines de compétences.

Le Breton n’aimait pas qu’on doute de la qualité de son travail. Son boss en rajouta une seconde couche :

— Dis-moi, en Virginie, il n’y a pas assez de rednecks, il faut en plus que tu ailles ficher n’importe qui ? Parce que j’ai regardé les fiches de tes « suspects », fit le chef en levant deux doigts de chaque main en guise de guillemets, aucun n’a fait parler de lui.

L’analyste se rembrunit.

— Vous ne trouvez pas bizarre que ces gens-là aient été à la même heure sur le même axe routier en Virginie, non loin d’un endroit où un de nos agents a disparu, et qu’ils soient tous en ce moment dans le même aéroport ?

— Une coïncidence, ou bien ils étaient en vacances ensemble. Peut-être des amis. En tout cas, je ne vois pas l’intérêt de poursuivre sur une piste aussi…

Il refit le coup des guillemets, ce qui avait le don d’exaspérer Le Breton, et asséna :

— « Vaseuse ».

Avant de donner ses instructions :

— Revenez à la base de votre travail : faites-moi des fiches sur les discours des orateurs de la réunion des fachos et celle de l’association pro armes. Dans ces manifestations, il y a toujours quelques types dangereux qui arrivent à s’infiltrer. Ce sont ceux-là qu’il faut avoir à l’œil. Pas un dentiste de soixante ans en vacances avec sa femme, s’amusa le chef en faisant référence à l’un des rapports que lui avait communiqué Le Breton.

Quand l’analyste se retrouva seul, il fit à son tour un mouvement de guillemets et chuchota : « connard ».

Chapitre 5

Aéroport de New York

Léanne et les autres se retrouvèrent dans une cafétéria. Élodie et Vanessa étaient déjà attablées quand Léanne vint s’installer près d’elles, un cheesecake pour le moins consistant sur son plateau.

— Tu vas avaler ça ? s’étonna la médecin. Comment tu fais pour ne pas prendre de kilos ?

— Pourquoi tu crois que j’ai couru ce matin ?

— Si t’arrêtes le sport, t’es morte et…

La légiste n’avait pas terminé de parler qu’Isaac arrivait. Il avait craqué lui aussi. Elle s’exclama à nouveau :

— T’as pourtant pas fait de footing, toi ?

— C’est la spécialité de New York, se justifia le jeune homme. Et c’est le dernier que je mange ici avant… Longtemps.

Chacun avait posé ses ultimes achats sur la table et Isaac profita d’un moment de calme pour ouvrir la boîte de son casque Bose et le préparer. Il comptait bien l’utiliser dès qu’il serait dans l’avion. Pendant son bricolage, il raconta l’anecdote des deux cartouches tombées de la poche du vendeur.

— Des dingues, ils ont tous des calibres ici, jugea Vanessa.

Léanne n’était pas du même avis.

— Ce ne sont pas les flingues qui font les meurtriers. Sinon, on peut aussi interdire les couteaux de cuisine, les voitures et un paquet de choses.

— Ce qui fait tout de même la différence, c’est que les pistolets ou les fusils sont conçus pour tuer. C’est bien leur utilisation première…

— Je ne vois pas les choses forcément comme ça, mentionna Isaac. Moi j’aime bien les armes, l’objet me plaît et je pratique le tir sportif. C’est une activité comme une autre et je ne pense pas être un cinglé.

La commandant abonda en son sens, tout en enfournant une belle part de son gâteau.

— Décidément, vous êtes toujours d’accord, vous deux, que ce soit sur les flingues ou sur le cheesecake…

Les deux flics échangèrent un sourire complice.

Élodie regarda sa montre :

— Bon, vous finissez votre truc, va falloir s’avancer vers la zone d’embarquement.

*

Hôpital de Richmond, service d’urgence

Le cas d’Helena Gustawsson apparaissait comme désespéré lorsqu’elle fut admise dans le centre hospitalier. Blessures multiples, déshydratation, pouls faible, elle avait aussi perdu beaucoup de sang.

Le personnel médical interdit à ses collègues de l’accompagner. Vu son état, elle ne risquait pas de parler. Et pourtant… Après un scanner, alors qu’elle allait être transportée en salle d’opération, une soignante s’approcha de la patiente pour vérifier la perfusion à son poignet.

Contre toute attente, la jeune flic ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes. Le visage se crispa et se tordit dans une grimace hallucinée, à croire que le Diable se tenait en face d’elle. Son corps convulsa. La blessée réussit à se saisir du bras de l’infirmière et serra si fort que celle-ci hurla de surprise et de douleur. Si elle n’arriva pas à se dégager de l’emprise de la patiente, elle put tout de même attraper le bip d’alerte et se mit à crier pour appeler des secours. Ses collègues ne tardèrent pas. Pendant de longues secondes, Helena Gustawsson continua de trembler, le corps tendu en arc de cercle, comme possédé par un démon. C’est là qu’elle hurla des mots incompréhensibles puis :

— L’avion, l’avion, ils vont faire sauter l’avion !

À la fin de sa phrase, elle s’écroula sur son matelas, sombra à nouveau dans le coma et le calme revint, comme s’il ne s’était rien passé. Le pouls retomba.

— Elle a des antécédents épileptiques ? Prise d’alcool ? De drogue ? demanda un médecin arrivé en renfort.

— Pas à notre connaissance, ça ne figure pas dans le dossier d’admission. C’est une flic du FBI, répondit l’une des infirmières.

— Faites un bilan étiologique complet et en attendant, mettez-la sous Diazépam.

Une soignante s’étonna :

— Qu’est-ce qu’elle a raconté ? C’est quoi cette histoire d’avion ?

— Elle a été retrouvée dans quelles circonstances ? demanda le médecin.

— Blessée par balles au milieu d’une forêt.

— Elle a pu avoir de simples hallucinations.

— On ne doit pas en parler à la police ? insista l’une des femmes.

— Dites-en un mot à ses collègues, mais il ne faut pas tirer de conclusions sur ce type de réaction, somme toute assez courante. Elle est en état de choc traumatique, on a voulu la tuer et elle est sous calmant.

*