Une terre pas si sainte - Pierre Pouchairet - E-Book

Une terre pas si sainte E-Book

Pierre Pouchairet

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Beschreibung

Dany et Guy, deux flics israéliens, enquêtent avec le Shabak – la sécurité nationale – sur le massacre d’une famille de colons installée en Cisjordanie. Très vite, et bien que le doute subsiste, un groupe de jeunes Palestiniens est mis en cause. Cette conclusion est loin de convenir à Maïssa, flic palestinienne, fille d’un compagnon d’armes d’Arafat. Faisant fi du machisme et de la religion, elle va mener ses propres investigations.
Parallèlement, la commandant Vallauri (Les Trois Brestoises) est envoyée sur place pour démanteler un trafic de drogue qui a fait plusieurs victimes à Brest.
Flics israéliens, palestiniens et français vont devoir unir leurs forces pour combattre ce réseau mafieux… Car là-bas, même un saint n’y retrouverait pas les siens…
Dans ce passionnant thriller, réédité dans une version revue et actualisée incluant les "Trois Brestoises", l’auteur nous embarque en Cisjordanie, où il a vécu. Émaillant son récit d’anecdotes authentiques, sans jamais prendre parti, il aborde très justement le quotidien sur place et le conflit israélo-palestinien.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Pouchairet s’est passionné pour son métier de flic. Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l’Afghanistan, la Turquie, le Liban… Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s’est lancé avec succès dans l’écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 ("Mortels Trafics" adapté en film sous le titre "Overdos" par Olivier Marchal) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 ("La Prophétie de Langley"). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec "Tuez les tous… mais pas ici".

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Couverture

Page de titre

SUIVRE L'AUTEUR

Site web : www.pierrepouchairet.com

Facebook : Pierre Pouchairet

Pierre Pouchairet est membre du collectif

L’assassin habite dans le 29

Facebook : L’assassin habite dans le 29

Email : [email protected]

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Vallauri-Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016.

Les ouvrages de Pierre Pouchairet ont déjà séduit plus de 300 000 lecteurs.

CE LIVRE EST UN ROMAN.Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

AVERTISSEMENT

Même si l’auteur s’est servi pour base d’événements médiatiques récents et de la situation géopolitique actuelle de la Cisjordanie, le texte qui suit est une fiction.

Les propos tenus par les héros de ce livre, s’ils peuvent être insultants ou blessants, ne reflètent pas la pensée de l’auteur mais bien celle de ses personnages et toute ressemblance avec des personnes existantes, ou ayant existé est purement fortuite.

Pour Kristell, Jessica, Léanne et Gabin

Ne savez-vous pas que vous êtesun temple de Dieu ?Et que l’esprit de Dieu habite en vous ?Si quelqu’un détruit le temple de Dieu,celui-là Dieu le détruira.Car le temple de Dieu est sacréet ce temple, c’est vous.

(Saint Paul, Première épître aux Corinthiens)

PRÉAMBULE

Mohammed Habib, le représentant de l’Autorité palestinienne en République populaire de Chine, disparaissait progressivement dans son fauteuil. Pris d’un profond dégoût, il avait l’impression de sentir son corps frêle se glacer et se recroqueviller dans son costume en tissu de mauvaise qualité, et priait pour que sa torture s’achève au plus vite. Son inconfort n’était pas dû à la température de la pièce moderne et parfaitement chauffée dans laquelle il se trouvait, mais au spectacle hallucinant auquel il assistait depuis près d’une heure maintenant.

Bien qu’il arborât un visage grave, l’officiel du ministère des Affaires étrangères chinois, assis à ses côtés, semblait imperméable aux éléments extérieurs. Le haut fonctionnaire l’avait accueilli à l’aéroport de Shanghai le matin même et se conduisait depuis leur rencontre avec le professionnalisme et l’automatisme d’un guide touristique déclinant un texte appris par cœur et déjà maintes fois rabâché. Après une collation rapide prise dans le hall VIP, ils s’étaient engouffrés dans un véhicule officiel, escorté par plusieurs motards, qui les avait emmenés jusqu’à Qingpu, l’établissement pénitentiaire spécialisé dans la détention des étrangers. Le diplomate palestinien avait été reçu par un comité d’accueil composé du directeur, de ses collaborateurs et de représentants des ministères de la Justice et de l’Intérieur. Là encore il avait eu l’impression d’assister à une représentation bien huilée où tout était prévu pour éviter le moindre incident. Il avait été convié à visiter cette prison ultra-moderne, sans que nul n’évoque le but de sa visite.

« Mon établissement reçoit actuellement une quarantaine d’étrangers en attente de jugement ou déjà jugés, la plupart pour des trafics de drogue. Malgré la gravité des infractions qu’ils ont commises, l’État chinois fait de son mieux pour les accueillir. Ils peuvent faire du sport, apprendre notre langue, regarder la télévision et même accéder à internet. Nous avons également le respect des religions : chacun peut prier et lire la Bible, comme le Coran. » avait indiqué le directeur, d’une voix sèche et dépourvue de tout sentiment.

Le diplomate chinois avait cru bon de préciser que les agissements de quatre criminels n’entacheraient pas les relations de son pays avec la Palestine et que son administration prendrait en charge l’incarcération, les frais de justice et le transport des corps jusqu’en Cisjordanie.

Une sollicitude qui n’allait pas de soi. Le Palestinien dut le reconnaître et remercier. Dans le contexte actuel, il n’était pas question de froisser l’officiel d’un pays dont l’aide participait à tenir à flots les finances publiques de la Cisjordanie. Le Palestinien avait remercié, d’une voix lasse, en faisant remarquer que l’Autorité palestinienne, avec l’aide de la communauté internationale et de la Chine, faisait de son mieux pour entraîner la police et protéger une jeunesse en proie au découragement.

— Les jeunes que vous avez arrêtés étaient tous des enfants du camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, où demeure une des populations les plus pauvres de notre pays, avait-il ajouté.

À l’issue de ces échanges protocolaires, le diplomate s’était entretenu avec les prisonniers, une entrevue filmée par les caméras du service communication du ministère de la Justice. Les images passeraient aux informations nationales et seraient, via « TikTok », sur internet quelques minutes plus tard. Mohammed Habib avait déjà eu l’occasion de rencontrer les jeunes criminels au moment de leur jugement. Il s’agissait de quatre Nabulsis1 dont le plus vieux avait vingt-cinq ans. Ils étaient supposés venir travailler en Chine dans le cadre d’une formation de longue durée portant sur l’assainissement de l’eau. Leur interpellation à l’aéroport de Shanghai, six mois plus tôt, et la découverte de près de deux kilos de méthamphétamine sur chacun d’eux avait provoqué la surprise et la consternation. L’enquête chinoise n’avait pas apporté de réponse aux interrogations que suscitait cette affaire. Les douaniers et la police s’étaient satisfaits de la saisie sèche qu’ils avaient effectuée, et le diplomate palestinien, trop heureux de ne pas avoir à connaître un secret qui aurait pu être difficile à porter, n’avait pas insisté. Il n’arrivait cependant pas à rester indifférent au sort de ses concitoyens et avait presque failli fondre en larmes en les embrassant.

— Comme vous le voyez, Excellence, la Chine est un État moderne. Nous avons cessé l’organisation d’exécutions publiques. Depuis 1997, les exécutions sont effectuées, comme dans plusieurs États américains, par injection létale de manière à éviter des souffrances inutiles aux prisonniers.

Il s’agit de répondre à une décision de justice et non de commettre un acte de barbarie, se crut-il obligé de préciser avec une suavité toute diplomatique, au moment où les rideaux se rouvrirent, découvrant une pièce qui ressemblait vaguement à un cabinet de dentiste…

Sans pousser plus avant, ils auraient pu croire avoir en face d’eux un médecin et deux infirmières en blouse blanche, munis de gants et de masques, en attente d’un patient. La porte à double battant donnant sur la salle s’ouvrit pour laisser entrer Ali Benamar, le dernier des quatre condamnés. Comme ses compagnons, il était vêtu d’un pantalon ample et d’une chemise rouge en tissu. Il était menotté et encadré par trois policiers, deux le tenaient par les épaules et le troisième le poussait par la nuque. Il pleurait doucement et se laissa guider sans difficulté jusqu’au fauteuil qui l’attendait. On lui retira les menottes pour entraver solidement son buste, ses bras et ses jambes avec des lanières de cuir. Des représentants du ministère de la Justice, le procureur et le directeur de la prison étaient entrés derrière eux. Le magistrat, debout, le corps rigide, les jambes serrées, ajusta de petites lunettes et commença une lecture saccadée et automatique de l’acte de jugement et de la décision de la Cour suprême avalisant l’exécution. Quand il en eut terminé, il retira ses lunettes et les rangea délicatement dans la poche intérieure de sa veste. Il se retourna vers le médecin et d’un signe de la tête l’autorisa à procéder au planté de l’aiguille mortelle. Ali sembla insensible à la piqûre. Entre deux sanglots, il priait maintenant à voix haute répétant régulièrement « Allah Akbar ». Le diplomate ne put s’empêcher de murmurer à son tour la prière, comme s’il souhaitait accompagner ainsi le jeune prisonnier dans son agonie. Les gardes recouvrirent le visage du condamné d’un masque de toile et l’un d’eux rapprocha sa main d’un bouton destiné à laisser le poison mortel se diffuser dans la perfusion. Un ordre sec lui signifia qu’il pouvait procéder…

La fermeture du rideau de la salle d’exécution mit fin au macabre spectacle.

L’officiel chinois se leva et se retourna vers son invité pour lui annoncer d’une voix monocorde :

— Je sais que, dans votre religion, vous souhaitez enterrer vos morts au plus vite. Nous avons déjà pris les mesures nécessaires pour que les corps soient rapatriés dès ce soir vers Tel-Aviv. Le gouvernement israélien a délivré les autorisations spéciales à cet effet et s’est engagé auprès de nous à faciliter leur transit immédiat vers les Territoires autonomes et la remise des cercueils aux autorités palestiniennes. Un de mes collaborateurs va rester avec vous pour vous aider dans les formalités. Comme vous l’aurez constaté, nous avions prévu un imam qui a pu recueillir les dernières volontés des condamnés et s’occupera de préparer les dépouilles. Il vous remettra les testaments de chacun d’entre eux et les courriers qu’ils ont laissés pour leurs familles respectives. Nous protégeons les minorités, et malgré ce que laissent supposer les capitalistes, la Chine n’a pas d’animosité envers l’Islam.

Les yeux de Mohammed Habib se perdirent dans le vague. Cette litanie était déplacée, mais il continua de faire bonne figure, n’en laissa rien paraître et se força à remercier avec la plus grande affabilité son homologue. Il est vrai que ce n’était ni son ambassade ni la famille des suppliciés qui risquait de se charger du rapatriement des corps. Nul n’en avait les moyens et les difficultés juridiques avec Israël auraient mis des semaines à être réglées.

1  Nabulsis : habitants de la ville de Naplouse en Cisjordanie

PARTIE I

Chapitre 1

Le jour commençait à poindre, le soleil, en se faufilant au travers des stores, soulignait de traits lumineux la chambre de Dany Cohen. Couché en travers du lit, il était profondément endormi lorsque son portable se mit à sonner et à vibrer sur la table de nuit. Ce n’est que lorsque l’appareil tomba sur le marbre blanc qu’il réagit. Il allongea un bras pour chercher à tâtons son Samsung. Le nom de Guy Touitou était affiché. Cela acheva de le réveiller. À cette heure-là, un samedi matin, c’était forcément important.

— Tu dors ?

La voix tonitruante et pleine d’entrain, ainsi que l’accent pied-noir à couper au couteau, lui firent lever les yeux au ciel. Malgré les années, il peinait toujours à se faire à l’hyperactivité de son collègue.

— Non, connard, je faisais du repassage…

— Un jour de shabbat, je ne te crois pas, c’est interdit.

— Téléphoner pour faire chier les gens aussi.

— Ben oui, fallait pas être flic si tu voulais être tranquille tes week-ends. Sors de ton pieu. Je serai en bas de chez toi d’ici un quart d’heure, on a du boulot.

— C’est quoi ?

— Du lourd ! Toute une famille décimée dans une colonie à côté de Shkhem.

Habituellement ce type d’enquête n’était pas du ressort de la police, mais du Shabak2. Dany s’en étonna sans que son collègue ne réponde son interrogation :

— On sera observateurs. Je t’expliquerai dans la bagnole. Magne-toi.

Le policier était maintenant bien réveillé. Il se précipita dans la salle de bains, pour prendre une douche. Peu croyant, il n’avait cure des coutumes religieuses et laissait cela à d’autres que lui. En quelques minutes il fut habillé, et finit par s’équiper d’un gilet pare-balles léger qu’il passa sous sa chemise, avant d’attraper son arme, un Jericho 941, qu’il glissa dans son holster de ceinture.

À trente-six ans, cela ne faisait que sept ans que ce Français, né dans une famille juive pied-noir de la Côte d’Azur, était en Israël. Ses parents avaient fait leur alya quand il avait vingt-cinq ans, alors qu’il débutait dans la police française. À l’époque, il n’avait pas souhaité les suivre. Au décès de son père, terrassé par une crise cardiaque à Tel-Aviv, il n’avait pas eu d’autre choix que de se rapprocher de sa mère. Elle refusait obstinément de quitter la terre d’Israël où était enseveli son mari. Cela n’avait pas été facile, Dany avait dû laisser un boulot qui lui plaisait, se mettre en disponibilité et repartir à zéro.

Sa chance était d’avoir toujours parlé un peu hébreu grâce à ses grands-parents. Très attachés à la langue de leurs ancêtres, ils l’utilisaient pour communiquer avec leurs petits-enfants. Il avait continué d’entretenir ses connaissances, ce qu’il ne regrettait pas aujourd’hui. Cinq ans après, il était maintenant inspecteur dans une unité d’investigation de la direction centrale de la police israélienne de Jérusalem. Il se partageait entre cette ville, où il vivait dans un petit deux-pièces à proximité de son bureau, et Tel-Aviv, où résidait sa mère. Il adorait Tel-Aviv, la capitale bouillonnait d’activité et de bonne humeur : elle lui rappelait Nice, en mieux. À l’inverse, il détestait l’ambiance de Jérusalem, qu’il jugeait être une ville de bigots tristes où chaque communauté n’était capable de marquer sa différence que par le biais d’un exercice d’orthodoxie religieuse qui polluait les relations humaines et n’allait pas dans le sens de l’apaisement.

Dany sortit sur le palier du huitième étage et s’engouffra dans les escaliers, inutile d’attendre l’ascenseur. Il y en avait pourtant deux, mais pour shabbat, le premier était bloqué et le second, un subterfuge pour contourner les obligations religieuses, fonctionnait en permanence en s’arrêtant à chaque étage aussi bien en montant qu’en descendant. À ce rythme, un aller-retour pouvait durer un quart d’heure.

Une fois dans la rue, il fut cueilli par un bruit de klaxon. Guy l’attendait sur un arrêt de bus à une vingtaine de mètres. Il fonça vers la voiture.

— Ça fait deux heures que je t’attends !

— Pas trois ?

— T’as fait la cocotte ou quoi ?

Français, d’origine pied-noir également, Guy avait presque dix ans de plus que Dany. Il était arrivé en Israël avec ses parents alors qu’il était encore ado et avait terminé ses études dans le pays. À l’inverse de Dany, sportif et beau gosse, Guy était grassouillet, hâbleur, avec des allures à la Patrick Timsit. Certes pas un play-boy, il avait cependant tout le charme et la roublardise des Méditerranéens. D’humeur toujours égale et grande gueule, il dégageait une énergie positive et communicative qui ne pouvait laisser insensible. Inspecteur, il avait commencé dans la police comme agent et gravi les échelons laborieusement. Ses réflexions salaces et son humour lourdingue lui jouaient souvent des tours en reléguant – pour ceux qui ne le connaissaient pas – ses qualités professionnelles au second plan. C’était pourtant avant tout un redoutable limier, motivé et expérimenté, qui savait s’accrocher sur les affaires jusqu’à leur dénouement. Les deux flics faisaient équipe depuis plus de deux ans et ils s’appréciaient mutuellement. Pour les autres policiers du service d’investigation, ils étaient « les Français ».

Dany se cala dans le fauteuil passager et accrocha sa ceinture.

— Épargne-moi tes conneries et raconte.

— Des Français, toute une famille, les parents et trois mouflets, couic… Tous égorgés, fit-il en passant l’index droit sous son cou.

Il poursuivit en expliquant que les faits s’étaient déroulés dans la colonie de Har Bracha, sur les hauteurs de Shkhem3. Les corps avaient été découverts par un voisin, lorsque le chien, d’habitude calme, s’était mis à aboyer.

— Y’a des indices, une idée sur les auteurs ?

Guy ricana franchement :

— Pas besoin d’être un génie dans ce genre d’affaires, ce sont les Bics ! Ces salopards de ratons, ils ne respectent rien ! Tu te rends compte, s’en prendre à des gosses ? C’est dégueulasse. Faudrait tous les buter avant qu’ils ne fassent la même chose que les salopards de Gaza.

Guy était lancé… Dany le laissa continuer de développer ses théories pour la pacification de la région en attendant un blanc qui lui permette de le recadrer et de savoir enfin quelle était la raison pour laquelle le Shabak et la section antiterroriste ne travailleraient pas seuls. Il s’avéra qu’il s’agissait d’une décision du Premier ministre.

— C’est politique ! Avec la guerre à Gaza, ça va faire du bruit à l’international. Tout le monde va focaliser là-dessus et attendre la réaction du gouvernement ! Je suppose qu’on a décidé de nous mettre sur le coup pour faire plaisir aux autorités françaises et avoir le soutien de la communauté internationale si on ouvre un nouveau front en Cisjordanie.

Dany grimaça. Un nouveau front signifiait une guerre totale dans le pays. La paix ne serait pas à l’ordre du jour avant longtemps. Il souffla et demanda :

— Tu connais la route ?

— Pas trop, je ne suis pas allé dans le coin depuis longtemps, mais on a le GPS, c’est à une soixantaine de bornes. Il paraît que c’est à côté du mont Garizim, là où il y a les Samaritains, un îlot sous contrôle israélien, en pleine zone A.

La sortie de Jérusalem fut aisée, c’était un jour férié pour la communauté israélite, seuls les Musulmans et quelques Chrétiens travaillaient, ce qui réduisait sensiblement le trafic routier. Ils furent rapidement à la sortie nord de Jérusalem et passèrent le poste de contrôle permettant de traverser le haut mur de béton érigé par l’État hébreu pour l’isoler des Territoires palestiniens. Passé ce point, ils entraient en Cisjordanie.

Conformément aux accords d’Oslo, les Territoires autonomes étaient séparés en trois zones de compétence. La A englobait les grandes villes et recouvrait 20 % du territoire de la Cisjordanie pour 55 % de la population. Elle était théoriquement entièrement sous contrôle palestinien, mais les Israéliens se réservaient le droit d’y intervenir en cas de problèmes majeurs. La B comprenait la plupart des autres villes, la responsabilité civile incombait aux Palestiniens et la sécurité à Israël. La C recouvrait 60 % du territoire et incluait la presque totalité du réseau routier et l’ensemble des colonies. Ces dernières étaient considérées comme illégales par les Palestiniens qui y voyaient la marque évidente du non-respect des accords internationaux et la volonté d’expansion sioniste d’Israël. Elles étaient un véritable casse-tête pour Tsahal à qui revenait la charge de les protéger.

Les deux policiers poursuivirent sur la route 60, l’axe qui traversait l’ensemble des Territoires depuis Hébron jusqu’à Jénine, et filèrent vers le nord en direction de Tappuah Junction. L’armée avait renforcé sa présence à ce point névralgique, croisement entre la 60 et la 505 reliant Tel-Aviv à la mer Morte, un axe qui desservait de nombreuses colonies. Trois véhicules blindés de l’armée et deux voitures de police étaient stationnés au bord de la route, une quinzaine de militaires s’étaient déployés et contrôlaient les occupants de toutes les voitures suspectes, c’est-à-dire celles à plaques vertes sur fond blanc, appartenant aux Palestiniens de Cisjordanie, et celles à plaques jaunes, israéliennes, conduites par des Arabes vivant en Israël.

Guy pouffa.

— Ce que j’aime dans ce pays, par rapport à la France, c’est qu’on nous emmerde pas pour le délit de faciès… Ici c’est quand on ne contrôle pas les Arabes qu’on ne fait pas son boulot !

Dany lui répondit en souriant :

— C’est pas faux.

Le policier baissa son pare-soleil pour libérer leur plaque de police et posa leur gyrophare mobile sur le toit, avant de dépasser lentement la file de voitures en attente d’être contrôlées : pas question de brusquer les choses au risque de se faire tirer dessus par les militaires. D’autant qu’il s’agissait la plupart du temps d’appelés peu aguerris, capables d’une bavure. Un jeune soldat, un petit Black de la taille d’un gamin, harnaché d’un sac à dos presque aussi grand que lui et porteur d’un Colt M4, se détacha de ses collègues pour leur faire signe d’avancer.

— On a nos p’tits Noirs nous aussi ! ne put s’empêcher de lancer Guy. Je croyais qu’ils étaient tous en France…

Dany leva les yeux au ciel.

— Tu ne te fatigues jamais ! Tu m’la fais à chaque fois, celle-là.

— Mais non, c’est juste pour dire. Moi, mon idée, c’est qu’avant, ça se passait pas trop mal dans ce pays… Juifs, Arabes, tout le monde cohabitait et s’entendait. Nous, on est là, toi comme moi on est des Séfarades. Il ne faut pas se la jouer, on est un peu des bougnes dans le mental. Les Arabes c’est nos cousins. Ils sont là pour qu’on les nique et qu’on les fasse bosser pour nous… Et nous, on fait ça à la sympathie, c’est un jeu, on négocie et le plus souvent c’est nous qui gagnons… on ne sort pas les fusils tout de suite… On sait attendre un peu. Les Ashkénazes, c’est tout dans l’excès. Ils ne connaissent pas les melons, alors, soit ils baissent le pantalon, comme ceux d’Europe ou des États-Unis, soit, comme les Russes ou ceux des pays de l’Est, ils veulent tous les flinguer. Ils ne savent pas discuter. Ils connaissent que le bâton… Certes il en faut pour les Arabes, mais pas trop, faut savoir aussi caresser de temps en temps… Les Russes, ils savent pas… Alors je me demande comment ça va être avec les Blacks…

Dany lâcha un soupir.

— J’te trouve bien volubile ce matin, encore plus que d’habitude. Tu ne serais pas en train de te donner une contenance et de faire le malin parce que t’as peur de ce qu’on va trouver là-bas ?

Il venait de mettre le doigt là où ça faisait mal. Lors des derniers événements, son collègue avait participé aux constatations effectuées dans les colonies attaquées par les terroristes du Hamas. Les horreurs qu’il avait vues avaient fini par le faire craquer nerveusement. Il s’en voulait de ne pas avoir réussi à tenir le coup au moment où son pays avait besoin de toutes les énergies. Guy avait bénéficié d’un suivi psychologique. Pas longtemps. Bien qu’il ait repris le travail, les cicatrices ne s’étaient pas refermées. Les images de corps mutilés de femmes et d’enfants venaient régulièrement troubler son sommeil.

Il se renfrogna.

— Tu te prends pour un psy ?

— Non, mais je commence à te connaître, c’est tout. Et je sais que l’idée de voir cinq cadavres, ce n’est pas ton truc.

La réponse claqua sèchement.

— Pourquoi, c’est le tien ?

— Ce n’est pas ce que je voulais dire… Mais arrête, tu m’as très bien compris.

— Effectivement, ça ne m’emballe pas, finit-il par admettre, à mi-voix cette fois.

Dany le prit par le cou en le secouant gentiment.

— On n’est pas en première ligne sur ce truc-là. On s’en sort bien, on est juste là en « guest star ». Et puis tu ne seras pas forcé de voir les corps, laisse-moi faire. Tu t’occuperas du voisinage.

La carapace se fendait, Dany vit apparaître une légère larme au coin de l’œil de son collègue. Il se garda de toute réflexion et ils restèrent tous les deux silencieux jusqu’au point de contrôle d’Huwwara, un carrefour dont la route principale accédait à Naplouse. Cette direction était interdite aux Juifs israéliens, comme le mentionnait un grand panneau rouge leur rappelant que, s’ils passaient cette limite et entraient en zone A, leur vie était en danger. Ils contournèrent le rond-point pour poursuivre sur la gauche vers le mont Garizim. La route devint sinueuse et se mit subitement à monter. Guy rétrograda en seconde. Au loin, une barre d’immeubles modernes et des pavillons surplombaient la montagne.

— Ça doit être là-haut. On m’a dit que c’était juste avant le village samaritain.

Dany, sachant que la réflexion plairait à son collègue, ne put s’empêcher de remarquer :

— C’est pas difficile de reconnaître les colonies : là où c’est propre et bien organisé, c’est chez nous, là où c’est construit n’importe comment, c’est les Arabes.

Plus ils montaient, plus la vue sur la vallée devenait impressionnante. Un berger coiffé d’une kippa sur des cheveux rasés à l’exception des papillotes traditionnelles les obligea à s’arrêter pour laisser son troupeau traverser la route.

— On est dans la bonne direction, s’amusa Dany.

— Même si je les déteste, il faut reconnaître que ces gens ont quand même des couilles pour venir vivre ici.

Tous deux, comme de plus en plus d’Israéliens, n’avaient que peu de sympathie pour le demi-million de colons, dont l’implantation en Cisjordanie était non seulement un obstacle pour avancer dans les négociations de paix avec les Palestiniens mais aussi un gouffre budgétaire pour l’État hébreu qui leur accordait des avantages fiscaux non négligeables et était forcé d’assurer leur sécurité. Un déploiement militaire, considéré par beaucoup d’Israéliens comme l’une des raisons du manque de troupes à proximité de la bande de Gaza. Tsahal ne pouvait pas être partout.

Ils furent rapidement au sommet. Le nombre de véhicules de l’armée et de la police leur confirma, si besoin était, qu’ils approchaient le lieu du drame. La colonie était composée de plusieurs immeubles collectifs et de pavillons, le tout ceinturé de grillages. Une tour de guet veillait à la protection du village. Preuve que celui-ci était appelé à s’étendre, plusieurs autres immeubles étaient en construction et débordaient du périmètre sécurisé. Plus loin en contrebas de la colline s’étendait Naplouse, la seconde ville de Cisjordanie, après Hébron.

2  Shabak : nouvelle appellation du Shin Bet, Service de sécurité intérieure de lutte contre le terrorisme, sorte d’équivalent de la DCRI en France.

3  Naplouse.

Chapitre 2

Une foule, de quelques dizaines d’hommes, s’était amassée à l’entrée de la colonie. Des journalistes prenaient des photos et interviewaient les badauds. Un garde armé s’approcha du véhicule des deux policiers. Guy baissa sa vitre pour exhiber sa plaque. L’homme leur désigna une place de stationnement.

— C’est quoi tous ces gens ? demanda Dany en descendant de la voiture.

— Des colons d’Itamar et des colonies avoisinantes. Ils sont venus exprimer leur soutien à la communauté endeuillée.

Les deux flics traversèrent le groupe sans difficulté.

Passé cet obstacle, ils étaient maintenant dans le vif du sujet. La tension grimpa d’un cran. Bien qu’ayant chacun vu, au cours de leur carrière respective, leur lot d’horreurs, l’arrivée sur un meurtre leur nécessitait encore un temps de mise en condition. C’était particulièrement vrai pour Guy. Celui-ci n’avait plus dit un mot depuis qu’ils étaient descendus de voiture. Dany nota le visage crispé, ainsi que l’apparition d’un filet de sueur le long des tempes de son ami. Leur accompagnateur leur indiqua d’un mouvement du menton une enfilade de maisons individuelles cernées de haies.

— On se croirait dans une ville nouvelle de la région parisienne, remarqua-t-il.

Le pavillon du drame était le centre d’une agitation qu’ils connaissaient bien. Des policiers et militaires en armes sécurisaient les lieux, pendant que les professionnels de la mort, des spécialistes de scènes de crime et des enquêteurs, faisaient des allées et venues la mine grave, mallette, ordinateur, carnet et stylo à la main ou portable à l’oreille. Il y avait également ceux pour qui le déplacement avait été obligatoire, uniquement parce qu’il s’agissait d’être vu : magistrats, hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, officiers supérieurs et surtout des élus, des hommes politiques ou des responsables religieux. Un mouvement ordonné au sein duquel chacun jouait son rôle avec sérieux et professionnalisme.

Dany, sachant que Guy n’attendait que ça, décida pour lui :

— Je m’occupe de trouver les enquêteurs et d’aller à l’intérieur. Toi, t’as qu’à te balader. Essaye de discuter avec les voisins, les amis… On se retrouve un peu plus tard, fit-il en avançant vers la porte du jardin.

Il fut arrêté dans son élan par un jeune fonctionnaire du Shabak. Dany exhiba sa carte professionnelle.

— Inspecteur Cohen de la direction centrale d’investigation de la police.

Je veux voir l’officier en charge.

L’homme, le visage fermé et les yeux cachés derrière des lunettes de soleil, leva machinalement la main pour lui bloquer le passage.

— Restez là, je l’appelle, dit-il fermement avant de lancer un message dans sa radio.

Dany vit débouler un individu massif, âgé d’une cinquantaine d’années, le visage buriné taillé à la serpe, des cheveux poivre et sel. Avec son complet, sa chemise sombre et sa cravate noire, l’homme ressemblait plus à un croque-mort qu’à un fonctionnaire. Pas le genre vestimentaire habituel de sa maison. Il lui tendit une main franche et ferme, son visage s’éclaira sur un demi-sourire de bienvenue avant qu’il ne s’adresse à lui avec une amabilité toute professionnelle.

— Eli Zimmerman, de la branche des affaires arabes. C’est moi qui ai l’enquête, je vous attendais. Vous êtes seul ?

Dany se demanda s’il s’agissait d’un nom d’emprunt, les gens du Shabak avaient l’habitude de travailler sous un pseudo.

— Mon collègue fait le voisinage.

— C’est une sale affaire, on n’avait pas besoin de ça en ce moment ! Les ultra-orthodoxes de chez nous vont interpeller le gouvernement et crier vengeance, continua Zimmerman, d’un ton amer, en prenant Dany par le bras.

Arrivés près de l’entrée, il invita le policier à se recouvrir les cheveux d’une charlotte, lui donna des gants ainsi que le nécessaire pour protéger ses chaussures, et continua d’avancer. Au lieu d’aller vers la maison, il s’enfonça dans le jardin.

Claude Uzan, un chimiste de la société Genelab Ltd avait été la première victime. Les assassins avaient dû le surprendre dans le cabanon en bois où il entreposait du matériel de bricolage.

On s’était acharné sur lui. Il avait été frappé avec un manche de pelle, puis égorgé. L’odeur de la mort flottait. Le sang coagulé dans l’espace réduit s’était répandu sur la presque totalité du plancher. Des experts en blouse blanche photographiaient les lieux, examinaient le corps, procédaient à des prélèvements. La victime gisait au sol, face contre terre. Si, dans cette position, la plaie causée par la lame ne se voyait pas, il n’en était pas de même pour les traces des coups qu’il avait reçus. La boîte crânienne était en partie défoncée, les mains et les bras écrasés.

— Dans l’état, il est difficile de dire s’il s’agit d’une mise en scène.

— Il a morflé, remarqua sobrement Dany.

— Oui, les enfoirés s’en sont donné à cœur joie, poursuivit l’enquêteur. Je pense qu’il a été le premier à y passer.

Le légiste, accroupi devant le corps, releva la tête en direction des deux hommes.

— Il est mort hier en début de soirée, je dirais entre 20 et 22 heures. Ce ne sont pas les coups qui l’ont tué, on lui en a peut-être même porté après qu’il soit mort. Vu le sang répandu et les éclaboussures, son cœur battait à plein quand on lui a sectionné la carotide. On dirait que le tueur s’y est repris à plusieurs fois.

Zimmerman continua la visite. Après ce premier meurtre, les tueurs avaient dû partir vers la maison. La porte était ouverte, ils n’avaient pas eu à la forcer et avaient surpris la femme dans sa cuisine : égorgée devant son évier. Les gosses avaient été tués dans leur chambre. Cinq ans, deux ans et un nouveau-né. En racontant, la voix de l’homme du Shabak s’était transformée et il ne put s’empêcher de laisser éclater sa fureur : « C’était gratuit, ils dormaient… Ces gens sont pires que des animaux ! »

Il fixa Dany.

— Tu veux voir ?

— Ça n’apportera rien de plus, nous allons attendre que les corps soient enlevés pour faire des recherches dans la maison et jeter un œil sur leurs affaires.

Eli accueillit la réponse par un sourire triste en comprenant que son collègue ne le jalousait pas d’avoir à effectuer la partie macabre du job.

Preuve qu’il ne s’agissait pas de voleurs, mais certainement d’un acte terroriste, rien n’avait été dérobé. Le portefeuille du mari, retrouvé sur la table du salon, contenait mille shekels. Les bijoux n’avaient pas été touchés.

— Ils ne devaient pas être spécialement visés. Dans ce genre d’affaires, les meurtriers agissent un peu à l’opportunité, ils vont là où ils peuvent, expliqua Eli.

La maison avait un système d’alarme et de surveillance électronique, mais il n’était pas enclenché. L’important pour les terroristes était d’être sans pitié. Porter la terreur.

Aux yeux de l’enquêteur, le but était clairement d’engendrer un cycle de répression qui permettrait ensuite aux assassins de se poser en victimes et de jouer les martyrs devant la communauté internationale. Il se promettait de ne pas les décevoir et de trouver les coupables pour leur faire payer leur crime.

— Nous, on est là pour gagner les batailles, c’est à nos politiques de gagner la guerre… Je ne suis pas certain qu’on s’y prenne comme il faut, mais ce n’est pas à nous de juger.

Dany approuva d’un signe de tête et demanda :

— Bon, tu attends quoi de nous ?

— Vous vous chargerez de tout ce qui est environnement des victimes.

Un technicien de scène de crime les interrompit. Il s’adressa à Eli. Il avait à la main un sachet plastifié destiné à recueillir des éléments d’enquête.

— J’ai trouvé deux mégots différents dans le jardin, apparemment pas très vieux. Il paraît que ni l’homme ni la femme ne fumaient. Ça peut être intéressant.

— Envoyez ça en analyse, je veux les résultats fissa.

Eli se retourna vers Dany.

— Tu vois, on a peut-être quelque chose. Ça serait étonnant qu’on n’avance pas dans cette affaire. Les Arabes ne sont pas malins, ils laissent des traces et ils adorent se balancer entre eux.

Ils pouvaient également compter sur leurs informateurs habituels. Ils ne tarderaient pas à avoir des remontées d’autant que pour résoudre un crime aussi atroce, tous les moyens seraient mis à leur disposition.

Dehors, une foule compacte s’était formée. Des cris de vengeance, où il était question d’éliminer la vermine arabe et de défendre la terre d’Israël en sollicitant l’aide de Tsahal, arrivèrent à leurs oreilles. Dany laissa Eli et s’écarta du groupe de braillards pour trouver un peu de calme et prendre son portable.

— T’es où ?

— Pas loin, je te rejoins devant la maison.

Guy ne fut effectivement pas long, il interrogea son collègue des yeux, puis demanda :

— Ça va ? C’était pas trop dur.

— Non, je me suis limité au mari, je n’ai pas eu à voir tout le monde.

Il haussa les épaules.

— Pas la peine, on n’est pas chargés de l’enquête criminelle. Pour le gars du Shabak il y a peu de doute, ça ne peut être que des Arabes. Et c’est vrai que vu l’endroit, on se tourne tout de suite vers eux.

De son côté, Guy avait recueilli quelques renseignements sur la famille. Les victimes avaient fait leur alya trois ans auparavant, une famille de Parisiens dont le mari avait perdu son job en France. Ils avaient envie depuis longtemps de venir en Israël. Cet événement avait fini de les décider, d’autant que le père avait un boulot qui l’attendait. Il avait été embauché par Genelab Ltd. Le salaire n’était pas terrible, mais la situation leur convenait. Grâce à la vente de leur pavillon en France, ils avaient un peu d’argent devant eux.

Le lieu de leur hébergement ne relevait pas du militantisme. D’ailleurs leur position, mitigée, sur les colonies et les Palestiniens détonnait avec celles des autres habitants. À l’inverse de beaucoup de colons, ils refusaient de s’armer. Cela n’avait pas plu dans leur entourage et certains considéraient presque ouvertement qu’ils avaient des responsabilités dans ce qui leur était arrivé. Uzan et sa femme avaient un langage qui ne passait pas : ils se déclaraient ouvertement favorables à la paix avec les Arabes et prêts à partir ailleurs s’il le fallait. Ils étaient dans la colonie par commodité. Par l’autoroute ce n’était pas loin du travail et le logement était bien moins cher qu’un petit appartement à Tel-Aviv. L’endroit leur plaisait, mais ils n’y étaient pas pour autant très attachés.

— Ils avaient des amis ?

— Pas vraiment.

Guy avait identifié un collègue de travail d’Uzan, Karl Schoumansky, d’origine ukrainienne. Il avait vingt-cinq ans, était arrivé en Israël après avoir fini des études de chimie à Kiev et vivait avec son frère, installé depuis une dizaine d’années au sein de la colonie. Uzan emmenait Karl au travail. Ils s’étaient arrangés pour faire équipe ensemble, ce qui leur permettait de covoiturer. Le jeune n’avait pas dit grand-chose, sinon qu’il aimait bien le Français et qu’il leur arrivait de passer shabbat ensemble.

Les deux policiers discutaient devant l’entrée du jardin des victimes lorsqu’apparut à nouveau Eli Zimmerman.

— Ha, vous êtes là… Nous, on a fini avec la maison. Venez, si vous voulez, je crois qu’on a trouvé quelque chose.

D’un pas rapide, suivi de membres de son équipe, Zimmerman prit la direction de la sortie du lotissement pour se rendre dans la zone des immeubles en construction à une trentaine de mètres de l’entrée. Les forces de sécurité entraînèrent dans leur sillage la foule des curieux et des journalistes. Un cordon de militaires s’ouvrit pour laisser passer les enquêteurs, et se referma aussitôt derrière eux.

Un jeune officier de Tsahal attendait Eli.

— J’ai demandé à mes hommes de se déployer et de sécuriser les lieux autour de la colonie. Comme des Arabes y sont employés, ils ont redoublé de vigilance. Et regardez ce qu’ils ont trouvé, fit-il en les accompagnant jusqu’à un cagibi où étaient entreposés des outils et des vêtements de chantier.

Il ramassa un pantalon poussiéreux, couvert de peinture et de ciment. Des taches brunâtres ressemblant à du sang maculaient l’une des jambes.

Eli siffla.

— Ça sent bon, effectivement. Je veux des techniciens de l’identité judiciaire et qu’on passe au peigne fin les bâtiments et les alentours.

Leur présence n’étant pas nécessaire, les deux policiers abandonnèrent Eli pour retourner vers le lieu du crime. Les services funèbres étaient à l’œuvre, ils s’occupaient de la levée des corps en vue de leur transfert vers l’institut médico-légal de Jérusalem. Guy et Dany n’eurent pas à attendre longtemps pour que les lieux leur soient abandonnés. La maison ressemblait à un catalogue Ikea, du mobilier quasiment neuf, certainement acheté à l’arrivée des Uzan en Israël. Il avait dû faire bon vivre dans cet endroit cossu… Quelques tableaux accrochés à des murs blancs, des tapis épais et colorés sur le sol, des photos de famille posées sur les meubles et des jouets d’enfants témoignaient de l’environnement calme et serein d’une famille heureuse. Dany se retourna vers son collègue :

— Ça va ?

Un faible sourire lui répondit.

— Oui, c’est bon. Ne t’inquiète pas pour moi.

Hormis les traces laissées par les investigateurs du Shabak, tout était en ordre. Dans la cuisine, seules une flaque de sang sur le sol et des éclaboussures sur les murs rappelaient qu’un meurtre avait été commis à cet endroit. Aucune trace de lutte, la mère n’avait pas résisté à ses agresseurs.

Dany s’avança vers l’escalier en bois qui conduisait à l’étage.

— Je vais visiter le haut, regarde si tu trouves quelque chose d’intéressant ici.

Il y avait quatre pièces : deux pour les enfants, la chambre des parents et un bureau. Le policier commença par une visite rapide. Comme au rez-de-chaussée, rien n’avait été fouillé par le ou les assassins.

Le lit des parents n’était pas défait, les enquêteurs n’avaient pas jugé bon d’insister, tout était rangé avec soin. Dany ouvrit l’armoire de la chambre et passa, sans y croire, une main entre les piles bien ordonnées de vêtements propres. Il s’attacha ensuite à tâter le fond et le dessus des meubles et des tiroirs, sans oublier les cadres et les différents endroits où une famille était susceptible de cacher ses secrets. Il ne voulait rien laisser au hasard, agir professionnellement, sans pour autant jouer les vandales. Les chambres demeurèrent muettes.

Sans plus de conviction, il s’attaqua au bureau, vérifia le meuble de la bibliothèque, puis les livres, avant de s’asseoir dans un fauteuil derrière la table de travail, constituée d’une grande planche en bois peint posée sur deux tréteaux métalliques. Un bloc mobile de tiroirs servait de rangement pour les documents. Un ordinateur portable était branché et des photos des enfants du couple défilaient sur l’écran. Les recherches ne furent pas plus fructueuses : des papiers administratifs, des factures…

Des relevés bancaires israéliens témoignaient d’un solde positif de seulement quelques centaines de shekels chaque fin de mois. Il nota également la présence de quelques économies en euros sur un compte français. Le reste n’était que des courriers personnels sans intérêt. L’ordinateur n’avait pas de code, le flic accéda au dossier « documents » constitué de sous-dossiers relatifs au départ de France et à l’arrivée de la famille en Israël. S’il y avait quelque chose d’important, il faudrait du temps pour trouver. Il referma le portable. Guy apparut dans l’embrasure de la porte.

— Rien en bas, et toi ?

— Non plus, je récupère l’ordi. On l’examinera au bureau.

— On fait un tour dans le cabanon ?

— On est là, autant tout faire, répondit Dany sans conviction.

Ils descendirent et trouvèrent dehors un géant blond d’une soixantaine d’années, au visage rougeaud et dont le ventre mettait à rude épreuve les boutons de sa chemise d’uniforme de garde de sécurité. Il les attendait pour refermer la maison derrière eux.

— Vous savez s’ils avaient de la famille en Israël ? demanda Dany.

— Non, je ne crois pas, répondit le garde, avec un accent rocailleux qui trahissait ses origines russes. Il me semble que leurs parents sont en France, personne ici.

Il avait envie de parler :

— Vous savez, on patrouille toute la nuit. J’étais de service hier soir. Je suis passé plusieurs fois devant le pavillon. Je n’ai rien remarqué jusqu’à ce que le chien aboie. On n’a rien vu non plus sur les caméras de surveillance. Pour se jouer des caméras mobiles, les Arabes qui ont fait ça, avaient préparé leur coup.

— Vous nous accompagnez jusqu’au cabanon ?

Il dégoulinait de bonne volonté, comme s’il se sentait responsable du drame.

— Vous connaissiez les victimes ?

— Oui, tout le monde se connaît dans une colonie, c’est une grande famille. On fait partie de la même communauté.

Des larmes se mirent à briller dans ses yeux, il dut se reprendre avant de poursuivre :

— Des gens très sympathiques. Je les adorais, surtout les gosses, ils étaient mignons. C’est horrible ce qui s’est passé. Je ne suis pas venu en Israël pour voir des choses comme ça…

Il continua par une litanie enflammée et radicale allant dans le sens des manifestants extérieurs.

« Le discours habituel des colons », pensa le flic sans répondre.

La porte du cabanon était restée entrouverte. La pièce devait faire une dizaine de mètres carrés. Elle était utilisée comme rangement pour des outils, du matériel de jardin, des jouets de plein air. Le sang avait été absorbé par le bois et l’odeur âcre et fétide s’était encore accentuée depuis la première visite de Dany. Les deux policiers entrèrent en laissant leur accompagnateur dehors.

Ils se firent face un instant. Cette fois ce fut Guy qui décida le premier. D’un geste, il partagea la pièce.

— Je fais ce côté, tu prends l’autre. On ne devrait pas en avoir pour longtemps.

Ils recommencèrent par ne rien trouver jusqu’à ce que Guy passe la main au fond d’un tiroir d’établi et se mette à froncer les sourcils.

— C’est bizarre !

— Quoi ?

— J’ai l’impression que le tiroir du milieu est moins profond que les deux autres.

— Il y a quelque chose ? demanda Dany en s’interrompant pour s’intéresser à son collègue.

— Je ne sais pas, on ne peut pas retirer les tiroirs sans dévisser une partie de l’établi. Trouve-moi un tournevis cruciforme…

À genoux, Guy se mit à l’ouvrage. Il ne lui fallut que quelques secondes pour faire tomber les vis nécessaires à débloquer les tiroirs et les extraire. Le fond du second était effectivement plus épais. Machinalement Dany évalua avec deux doigts l’épaisseur des tiroirs.

— Je m’en occupe, lui lança son collègue, soudain très à l’aise. Bricoleur comme tu es, tu ne risques pas de trouver. Sans moi ta cuisine et la moitié de tes meubles seraient encore dans les cartons.

— Laissons faire l’homme de l’art ! soupira Dany, dont la patience était mise à l’épreuve.

Il cherchait déjà des yeux un marteau susceptible de défoncer la paroi suspecte.

Concentré, Guy s’affaira. Il caressa le bois avec délicatesse jusqu’à ce qu’il découvre un ergot. Il se pencha pour y regarder de plus près.

— Trouve-moi un petit tournevis plat maintenant.

Dany trépignait d’impatience. Il souffla en lui tendant l’objet demandé.

— Tenez, docteur.

Guy prit l’outil et introduisit la pointe dans un orifice. Il appuya. Le fond du tiroir s’ouvrit de lui-même, libérant une boîte en métal d’une épaisseur de près de trois centimètres. Le policier se redressa fièrement.

— Qui c’est le plus fort ?

Dany haussa les épaules.

— Deux coups de marteau, le résultat était le même.

L’ouverture de la boîte provoqua des sifflements de surprise. Leurs yeux s’écarquillèrent. Plusieurs liasses de billets de cent dollars retenues par des élastiques étaient entreposées. Guy les attrapa et se mit à compter rapidement.

— Quatre-vingt-dix mille !

— Pas mal.

Surpris par une présence imprévue, ils se retournèrent presque ensemble.

— C’est quoi tout cet argent ?

Le garde était derrière eux.

— Qu’est-ce que vous faites là ? aboya Dany.

— Le vent a poussé la porte, je vous ai entendus. Désolé pour ma curiosité.

— Il n’y a pas de problème, continua Guy, dans un souci d’apaisement. De toute manière, il nous aurait fallu un témoin. Visiblement la famille Uzan n’aimait pas les banques. Inutile d’ébruiter ça dans toute la colonie.

Chapitre 3

Il fallut moins de deux heures aux investigateurs du Shabak et à l’armée pour découvrir un marteau, portant ce qui semblait bien être des traces de peau et des cheveux collés, ainsi qu’un chiffon imprégné de sang jeté en boule dans une benne à ordures.

Guy et Dany avaient terminé. Ils discutaient, adossés à leur voiture, quand Eli Zimmerman les rejoignit. Son sourire témoignait de sa satisfaction. Il avait maintenant du grain à moudre.

— On va identifier ces barbares rapidement et leur faire payer leur crime. Tous les ouvriers sont fichés et on a leur ADN. Je vous tiens informés de la suite.

— On n’a plus rien à faire ici, lui répondit Dany. On vous laisse bosser.

En remontant dans leur voiture, Guy proposa de pousser jusqu’au village samaritain qui leur faisait face dans le prolongement du mont Garizim, sur la ligne de crête. Tout en conduisant il prit un ton docte :

— La communauté samaritaine est en constant déclin depuis des siècles. Elle se limite aujourd’hui à moins de 700 membres répartis sur deux villages : celui-ci, et Holon, au sud de Tel-Aviv. Leur religion, bien qu’antérieure à la nôtre, est assez proche du judaïsme. Ils ne se considèrent pas comme juifs, mais comme des descendants des anciens israélites de Samarie. Ils pensent que le lieu saint désigné par Dieu comme centre de culte est le mont Garizim, et non pas Jérusalem qui aurait été imposée plus tard par les communautés israélites de Judée. Par le passé ils habitaient dans Naplouse et cohabitaient avec les Musulmans, mais les relations ont parfois été tendues. Pour les Musulmans, ils ne sont pas des gens du Livre et, dès lors, ils peuvent être convertis par la force. Nous, même s’ils ne sont pas juifs, nous les considérons comme une branche des fils d’Israël.

Le village se limitait à deux rues en épingle à cheveux, avec à l’extrémité une barrière mobile fermée, devant laquelle étaient stationnés plusieurs véhicules militaires.

Le guide poursuivit ses explications :

— La route continue vers Naplouse. Lors de la première Intifada, les Samaritains ont quitté le centre de Naplouse pour se réfugier au sommet de la montagne, en zone C. Ils sont maintenant sous notre protection. Vu le contexte actuel, l’armée a dû décider d’empêcher toute communication avec les Arabes. Habituellement la barrière est ouverte. Beaucoup de Samaritains travaillent ou vont faire leurs courses à Naplouse. En dehors des périodes de tensions, ça se passe relativement bien entre eux et les Arabes. D’ailleurs, à l’inverse, beaucoup d’Arabes n’hésitent pas à monter ici pour acheter de l’alcool. Il n’y en a pas à Naplouse, la ville est aux mains du Hamas. Il y a des manifestations presque quotidiennes pour conspuer Mahmoud Abbas4, considéré comme un traître et clamer le soutien aux fanatiques du Hamas.

Dany prit un air fasciné à l’écoute de cet exposé. Son collègue lisait énormément, de plus il jouissait d’une excellente mémoire, et surtout, il adorait étaler ses connaissances.

— Ben, je savais que tu étais un spécialiste d’un peu tout, mais pour une fois tu as réussi à m’intéresser.

— Tu devrais lire un peu. Ça te ferait du bien.

Dany eut un petit rire.

— Pas besoin, avec toi j’ai une encyclopédie à disposition en permanence…

Guy haussa les épaules. Le jeu était presque devenu habituel entre eux : après ses exposés, Dany le charriait et il boudait un moment… Son collègue ne le laissa pas ruminer.

— Allez, ramène-nous à la maison. On va passer au bureau faire notre rapport. De toute manière, aujourd’hui tout est fermé, avant demain on ne pourra pas faire grand-chose d’autre.

*

Ils redescendaient la colline lorsque le téléphone de Dany se mit à vibrer au fond de sa poche.

— Ma mère, fit-il en levant les yeux.

Guy se marra. Il tenait sa revanche.

Des cris jaillirent du téléphone : « Mon fils, mon fils, fais attention à toi, ne prends pas de risques ! »

Dany eut un air embarrassé.

— Maman, calme-toi, qu’est-ce qui t’arrive ?

— Comment, qu’est-ce qui m’arrive ? poursuivit-elle, outrée. Me calmer ! Mais je viens de te voir à la télévision, dans cette colonie où ils ont tué des gens… toute une famille… des enfants. Et toi, tu me demandes ce que j’ai… Tu n’es pas tout seul au moins ? Je n’ai pas vu Guy. Il est avec toi ? Dis-moi. Tu fais attention ?

— Mais oui, maman, ne t’inquiète pas, je ne suis pas seul. T’as bien dû le voir.

— J’ai plus que toi, Dany, tu m’entends ? J’ai plus que toi, alors fais attention. Pense à ta mère. Tu penses à ta mère ? T’aurais pu me téléphoner pour me rassurer. Rien ! Et moi, je m’inquiète toute seule à Tel-Aviv. Ce n’est pas gentil de ta part…

— Mais maman…

— Il n’y a pas de « mais », tu me laisses m’inquiéter, tu me tortures… Depuis que je t’ai vu, je ne vis plus, je pleure… Tu es où, là, d’ailleurs ?

— Je suis avec Guy, on rentre à Jérusalem. On a fini ici.

Madame Cohen se tut un instant, avant de poursuivre d’une voix plus douce.

— Tu viens manger chez moi à Tel-Aviv, j’ai préparé à manger pour Shabbat. Tu vas venir, mon petit.

— Non, maman, ce n’est pas possible aujourd’hui. Je suis désolé, on n’a pas terminé le boulot.

La voix dans le téléphone se renforça à nouveau.

— Mais tu me dis que tu rentres, alors viens !

— On va au bureau. On a encore du travail.

— Tu ne veux pas venir, tu préfères me laisser m’inquiéter, c’est ça ?

— Mais non, maman, je te jure, on a de la paperasse à faire. Aujourd’hui ce n’est pas possible. Un soir dans la semaine…

— Bon, d’accord. Mais promets-moi de bien faire attention à toi. Ce sont des fous, ces Arabes, tu le sais. T’as vu ce qu’ils ont fait ? Une famille, des enfants. On ne tue pas des innocents comme ça…

Guy buvait du petit-lait. Il adorait voir Dany essayer de se dépêtrer de sa mère, une maman juive pied-noir possessive et envahissante.

4  Le Président en exercice de l’autorité palestinienne.

Chapitre 4

L’entreprise Genelab Ltd, basée à Petah Tiqva, était l’un des fleurons de l’industrie, un groupe spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques qui employait quarante mille personnes à travers le monde. Dans une telle entreprise, à moins de faire partie du sérail, un employé n’était qu’un numéro. Le drame de la famille Uzan, relaté dans tous les médias, avait bien changé les choses. Exacerbée par l’attaque du Hamas, l’empathie naturelle de la société israélienne vis-à-vis des victimes du terrorisme s’était amplifiée : si chacun avait le sentiment profond d’avoir perdu un proche le 7 octobre 2023, c’était encore plus vrai quand il s’agissait d’un collègue de travail. Un chevalet avec le portrait en noir et blanc de la famille avait été installé à l’entrée de l’immeuble principal. Des gerbes de fleurs et des bougies étaient amoncelées tout autour.

Nadav Hillman, le directeur de la sécurité, attendait les deux policiers devant la barrière protégeant l’accès au complexe industriel. L’homme d’une cinquantaine d’années, dont le maintien et la corpulence sportive trahissaient un passé militaire qu’il essayait de cacher sous une chemise blanche et un complet d’excellente facture, avait pris un visage de circonstance. Il se fendit d’un sourire de bienvenue avant de se pencher vers la portière.

— Garez-vous là-bas, dit-il en désignant une place réservée aux visiteurs. Nous devons voir le directeur général, il nous attend dans son bureau. Il a tenu à vous recevoir.

Les policiers s’exécutèrent. Au moment de descendre, Dany s’étira en se retournant vers la banquette arrière pour attraper sa veste.

— Ça me fait chier, ces trucs ! Je te laisse faire.

Guy haussa les épaules, pourtant peu surpris par la réaction de son collègue. Dany n’aimait pas faire dans la diplomatie.