L'assassin qui aimait Paul Bloas - Pierre Pouchairet - E-Book

L'assassin qui aimait Paul Bloas E-Book

Pierre Pouchairet

0,0

Beschreibung

À Brest, Léanne Vallauri enquête sur une macabre découverte faite à proximité de l'ancienne base des sous-marins allemands...

La commandant Léanne Vallauri a beau engranger les succès à la tête de la Police judiciaire de Brest, elle se retrouve engluée dans une méchante affaire. L’informateur qu’elle protégeait a été la cible de deux tueurs et elle encourt des sanctions disciplinaires et pénales. Alors que le moral est en berne, elle accueille avec soulagement l’occasion d’oublier ses ennuis en travaillant sur un nouveau dossier. La découverte d’un cadavre lardé de coups de couteau et abandonné à proximité de l’ancienne base des sous-marins allemands va l’entraîner dans une nouvelle aventure à hauts risques et lui faire découvrir des lieux dont elle n’imaginait pas l’existence. Les tunnels et les souterrains de Brest, vestiges de la guerre, recèlent bien des mystères et des dangers. Ils vont cette fois être le théâtre d’une impitoyable chasse à l’homme dont Léanne et son équipe ne ressortiront pas indemnes… Pierre Pouchairet nous montre ici toute l’étendue de son talent : intrigue captivante, suspense à couper le souffle, ambiance glaçante… Vous ne verrez plus jamais Brest de la même façon !

Découvrez, dans ce polar breton, les mystères des souterrains de Brest et des vestiges de la guerre, lors d'une chasse à l'homme sous haute tension !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Un polar à l'atmosphère irrespirable, spécial claustrophobe, la Triplette de Brest a trouvé son rythme de croisière, pied au plancher, et ne semble pas près de ralentir, pour notre plus grand plaisir !" - Quatre Sans Quatre

"Tous les ingrédients d'une excellente série polar qui ravira les amateurs du genre." - Olivier Marchal

"Si je vous dis un roman mené tambour battant qui m'a tenu en haleine de la première à la dernière page, vous allez dire, ça y est, il a placé la phrase bateau, fourre tout, lue 100 000 fois et pas toujours convaincante. Alors je vais essayer de vous le vendre autrement ce polar, parce que L'assassin qui aimait Paul Bloas m'a tenu éveillé jusqu'à 1h du mat, alors ça veut bien dire quelque chose quand même." -Tostaky61, Babelio

"De nouveau, un très bon moment de lecture, un très bon volet, qui se termine par un événement qui ne peut que nous précipiter vers la suite !!! J'adore ce procédé qui nous maintient en haleine jusqu'au bout." - Les Lectures de Maud

"Les scènes d'actions sont captivantes et le lecteur peut se laisser surprendre !" - Les Lecture d'Amandine


À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Pouchairet s’est passionné pour son métier de flic ! Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l’Afghanistan, la Turquie, le Liban…
Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s’est lancé avec succès dans l’écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 (Mortels Trafics) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 (La Prophétie de Langley). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec Tuez les tous… mais pas ici.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 405

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Vallauri-Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016 et qui a déjà séduit plus de 120 000 lecteurs.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

BREST(Miossec)

Est-ce que désormais tu me détestes

D’avoir pu un jour quitter Brest ?

La rade, le port, ce qu’il en reste

Le vent dans l’avenue Jean Jaurès

Je sais bien qu’on y était presque

On avait fini notre jeunesse

On aurait pu en dévorer les restes

Même au beau milieu d’une averse

Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest

Mais nom de Dieu, que la pluie cesse

Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest

Même la terre part à la renverse

Le Recouvrance que l’on délaisse

La rue de Siam, ses nuits d’ivresse

Ce n’est pas par manque de politesse

Juste l’usure des nuages et de tes caresses

Ceci n’est pas un manifeste

Pas même un sermon, encore moins une messe

Mais il fallait bien qu’un jour je disparaisse

Doit-on toujours protéger l’espèce ?

Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest

Mais nom…

Chapitre 1

Le ciel a été hésitant. Il n’est tombé que quelques gouttes, histoire de rappeler qu’on est en Bretagne, il en aurait fallu bien plus pour perturber le public venu assister au spectacle.

Riffs de guitare, déluge de vibrations. Derrière Serge Teyssot-Gay, l’ancien guitariste de Noir Désir, devenu membre de Zone Libre et Interzone, Paul Bloas donne forme à deux géants qu’il peint sur des panneaux de bois. Ligne de Front est une performance qui met en scène les deux artistes. Pendant que le musicien improvise, le peintre se nourrit des sons pour créer ses deux personnages.

Hasard, c’est à une buvette que se joue une partie de cette histoire. Milko repose son troisième gobelet de bière. Pas grand-chose, si cela ne se rajoutait pas à ce qu’il a bu durant la journée. Aucun doute, son haleine affolerait les éthylomètres de la maréchaussée. Cette bestiasse de près de deux mètres et qui a dépassé le quintal a une autorité qui s’impose naturellement et pour ceux qui ne comprendraient pas, quelques baffes bien appliquées font le reste. Au-delà de cette limite, il n’y a pas de retour. Les inconscients qui ont tenté de s’opposer à lui, s’ils ne sont pas morts, en conservent à tout jamais des séquelles, doigts, mains, oreilles, nez coupés, membres brisés. Milko est un garçon créatif et plein de ressources. Presque un artiste, lui aussi. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle il semble subjugué par le spectacle.

— Comment tu trouves ?

— Barbouillage de merde et c’est même pas de la musique, je peux en faire autant, lui répond Anton, une sorte de lieutenant, âme damnée avec qui il a quitté la Serbie, il y a près de dix ans.

Le comique en moins, le binôme a des allures de Laurel et Hardy. Autant Milko est massif, autant Anton est petit et mince. Ne pas s’y fier, il s’agit de soixante-dix kilos de muscles et de férocité. Un tueur sanguinaire aussi dangereux que son compagnon, dont il sait habituellement pressentir les jugements. Aujourd’hui, il fait un bide.

— T’y comprends rien ! T’as vu le monde qu’il y a ? Si c’était de la merde, tu penses que ça attirerait la foule ?

— Heu… quand c’est gratuit… Pour le savoir, il faudrait que ce soit payant.

— T’as peut-être pas entièrement tort… N’empêche que moi je trouve ça bien.

— Je ne savais pas que tu t’intéressais à l’art.

Les yeux de la bête s’éclairent.

— J’ai lu des articles sur le peintre dans l’après-midi. Il paraît que ses tableaux se vendent bien, il est célèbre. C’est lui qui a réalisé le machin qu’on voit à l’entrée du port.

— Le Lamaneur, intervient la jeune femme qui les a servis.

— Qu’est-ce que tu veux, toi ? crache Anton.

Petite blonde d’une vingtaine d’années, l’étudiante qui aide à la buvette rougit. Elle ne s’attendait pas à déclencher une réaction aussi violente.

Milko pose une main sur l’avant-bras de son collègue.

— Calme-toi ! Si tu ne supportes pas l’alcool, arrête de boire.

Il esquisse un sourire qu’il veut engageant et s’adresse à la jeune fille :

— Excusez-le, mon camarade a un peu bu et il a des problèmes en ce moment, ça le rend nerveux.

Elle bredouille :

— C’est de ma faute, je n’aurais pas dû vous couper la parole.

— Mais non, mais non… Que vouliez-vous dire exactement ? Le Laman…

— Le Lamaneur, c’est le nom de l’immense toile qui est accrochée à l’entrée du port de commerce, sur la façade du Grand Large. Mais je ne veux pas vous importuner plus…

Milko y va d’un regard charmeur.

— Vous ne me dérangez pas, vous savez, je m’intéresse beaucoup à l’art. D’ailleurs, j’ai moi-même galerie à Belgrade et tous mes amis aiment peinture. Alors, c’est ce monsieur Paul Blo…

— Paul Bloas.

— Oui, c’est ça, merci. Comment a-t-il fait pour peindre aussi grande toile ?

La serveuse s’égaye.

— Ce n’est pas de la peinture, c’est une immense bâche imprimée après numérisation de l’originale.

— Ha ? fait Milko, sans très bien comprendre. Et ça a de la valeur ?

La fille lui répond d’un éclat de rire, avant de hausser les épaules.

— Tout a de la valeur… Mais la nouvelle, moins que la précédente.

Cette fois, Milko est dépassé.

— Il y a eu une précédente fresque, elle s’est abîmée avec le temps et elle a été retirée. Il aurait fallu la restaurer, ça revenait trop cher, c’est pour ça que le peintre a pensé à ce subterfuge pour la remplacer.

Subterfuge ? Si Milko ne comprend pas ce que ça veut dire, il a bien saisi que ce qui est accroché sur le port n’est qu’une gigantesque toile cirée.

— Et qu’est devenue l’ancienne peinture ?

— Je ne sais pas. Par contre, une autre fresque géante, L’accordéoniste, elle, a trouvé acquéreur, en partie tout au moins. Vous voyez ce que je veux dire ? fait-elle avec un clin d’œil.

La manière de parler de la fille, avec ses mimiques et ses petits sous-entendus, met à mal la patience du Serbe, il doit prendre sur lui pour ne pas s’énerver.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Justement, des gens ont dû penser que ça avait de la valeur. Les panneaux étaient entreposés dans un local municipal. Quand le peintre a voulu les récupérer, la plus grande partie avait disparu.

— On ne les a jamais retrouvés ?

— Non, jamais.

Anton, devenu témoin silencieux de l’échange entre son patron et cette fille, entend enfin un langage qu’il comprend. Ça veut dire que ce qu’ils regardent vaut du fric. Il appréhende différemment la performance des deux guignols. Finalement, Milko a raison. C’est vraiment très beau !

Anton sait prendre des initiatives. C’est d’ailleurs ce qu’aime Milko et la raison pour laquelle ils sont si souvent ensemble. Il abandonne son boss et se rapproche de la scène. Le guitariste a saisi un archet avec lequel il caresse les cordes de sa Fender. Le son strident étrille les tympans du voyou. Si Milko n’avait pas aiguisé sa curiosité, Anton serait déjà loin. Côté peinture, les personnages sont bien avancés, encore qu’avec ce genre de truc, on se demande toujours à quel moment c’est terminé. Il pousse un soupir discret en voyant l’artiste parachever son œuvre en jetant ce qui ressemble à de la glaise sur les panneaux. Vraiment, c’est ça, de l’art ? Il se souvient de quelques gloires nationales, qu’il a été obligé d’aller voir lors de sorties scolaires au musée de Matica Srpska à Novi Sad et dans les musées nationaux. Il a en tête Stevan Aleksic et Mihailo Milovanovic. Ils ne peignaient pas des daubes comme ce Paul Bloas.

La musique s’achève, des applaudissements retentissent. Les artistes en ont terminé. La foule s’agite dans des sens différents. Beaucoup s’en vont, d’autres, plus rares, s’avancent pour mieux regarder les panneaux ou parler avec le peintre et le guitariste. Anton leur emboîte le pas. Et là, l’improbable se produit. Il est bloqué par la barrière qui retient le public. Ce n’est pas ça qui l’arrête, mais ce qu’il voit. Il est figé face aux deux personnages… Ces géants, dont l’un a une sorte de balluchon sur l’épaule et l’autre, un sac posé à ses pieds… S’ils ne lui ressemblent pas par le physique, il retrouve en eux son courage, sa force, sa volonté, ses muscles et plein d’autres choses. Ce qu’il voit, ce sont deux hommes qui ont toute leur vie dans ce bagage de fortune et s’apprêtent à partir à la conquête d’un ailleurs meilleur. Ce n’est pas qu’il trouve ça beau, d’ailleurs lui-même ne s’aime pas. S’ils étaient beaux, il n’aurait aucun ressentiment, pire il les détesterait. Ce qu’il aime c’est la force brute et c’est en ça qu’il se retrouve. Son cœur s’emballe, ses phalanges blanchissent sur la barrière métallique.

— Ça ne va pas ?

Milko est à côté de lui. Anton se reprend. Pas question de faire part de son émotion.

— Si, si. Je voulais voir d’un peu plus près leur truc.

Le musicien est pieds nus, occupé à ranger. Le peintre discute avec des admirateurs ou des amis. Autour d’eux, les quelques personnes qui sont encore là commentent le résultat de la performance. Ceux qui sont restés sont acquis aux deux artistes. Rien de négatif.

— Qu’est-ce que ça devient ces trucs ? se demande à haute voix Anton.

Le boss lui répond que cette question est devenue sa préoccupation principale et ajoute :

— Tu ne lâches pas ces deux panneaux du regard, tu m’as bien compris ?

Un signe de tête et le chien fidèle se met à l’arrêt sur ce nouvel objectif. Comparé aux affaires de came ou de proxénétisme, ça lui paraît de tout repos.

Milko dégage et décide d’aller grenouiller à la recherche d’informations.

Le peintre et le musicien ne traînent pas non plus, ils sont avec leur compagne respective et quelques amis. Leur matériel rangé, ils se dirigent vers la buvette en abandonnant le résultat de leur travail. Les deux géants peints se retrouvent orphelins. La fascination des personnages sur Anton ne diminue pas. Lorsqu’il voit deux techniciens sortir de l’ombre, il se recule et les observe discrètement. Ils attrapent les deux panneaux et les couchent sur le sol. Il s’attend à ce que les deux hommes portent la charge jusqu’à un camion. Quelle n’est pas sa surprise quand il voit l’un des deux partir en coulisses et revenir avec un seau de peinture blanche dans lequel ils se mettent à tremper des rouleaux. Il ne peut s’empêcher un cri :

— Qu’est-ce que vous faites ?

Deux paires d’yeux se retournent sur lui.

— Notre boulot, répond un des deux hommes.

— Vous allez effacer ces peintures ?

— Ben oui… c’est ce qu’ils appellent de l’art éphémère.

Anton regarde ses deux interlocuteurs. En entendant son accent, ils ont compris qu’il n’est pas français et ne possède pas toutes les clés du vocabulaire. L’un des deux lui lance :

— Ça veut dire que ça ne dure pas. Et on va l’effacer. Comme ça, on pourra récupérer le bois.

— Combien ?

— Quoi combien ?

— Combien pour les deux panneaux ?

— Ha, ha ! se marre le second employé, un petit rougeaud qui ne doit pas être loin de la retraite.

— Ce n’est pas à vendre, tu n’as pas compris ?

— Je veux les acheter, combien vous voulez ? cinq cents euros ?

L’entêtement les amuse. Ils reprennent leur activité. Il est tard, ils ont envie de rentrer chez eux. C’est d’un geste déterminé que le plus jeune enfonce son rouleau dans le seau de peinture.

— Mille euros !

Le mouvement du technicien se fige, pas longtemps. Il ressort la main et applique la peinture blanche sur les pieds d’un des géants. Son collègue attaque à son tour.

— Mille cinq cents !

Regard furieux du vieux.

— Arrête de nous emmerder, t’es quoi avec ton accent ? Un sale yougo ? Passe ton chemin. Si t’as de l’argent, il vient d’où ? De la came ? Allez, va-t’en !

— Il y a un problème ?

Anton et les deux employés se tournent vers un nouvel arrivant, un homme d’une petite quarantaine d’années, veste en toile, jean.

— Non, chef, ce n’est rien, nous discutions avec ce monsieur.

Le chef regarde sa montre.

— Ben dépêchez-vous, passez juste un coup de rouleau là-dessus et rentrez à la maison, le budget heures supplémentaires n’est pas étirable à merci. Pour le reste, vous finirez demain matin.

Anton s’est reculé, inutile de se faire remarquer davantage, mieux vaut disparaître.

Chapitre 2

André hésite sur la suite de sa soirée. Un coup d’œil à sa montre pour vérifier une heure qu’il connaît déjà parfaitement. Il est tard. Irène, sa femme, dort. S’il rentre, ce sera pour discuter avec son réfrigérateur. S’il est généreux en bières, l’appareil manque cruellement de conversation. Il décide de passer par le port de Brest. À cette heure, un samedi, il y a toujours du monde. Il abandonne sa voiture sur le Parc à Chaînes et continue à pied. Bien qu’il fasse doux, il enfonce les deux poings dans les poches de son manteau et marche d’un pas résolu. En face de lui, sur le bâtiment du Grand Large, Le Lamaneur de Paul Bloas semble l’attendre. Il sourit en le voyant et se rappelle le guignol qui les a emmerdés ce soir. Les gens se croient tout permis. Il prend le quai de la Douane et s’engouffre dans une brasserie où il a ses habitudes. La patronne lui balance un :

— Salut Dédé.

Auquel il répond par un signe de la main avant de s’immobiliser devant le zinc. Un demi ne tarde pas à se poser. Le Ded est connu et il est obligé d’abandonner son verre pour serrer plusieurs paluches et faire quelques bises aux compagnes de ses potes de comptoir.

— T’as bossé jusqu’à maintenant ou t’as traîné les bars ? demande un grand escogriffe au visage buriné par les embruns de houblon.

— Qu’est-ce que tu crois ? Je ne m’amuse pas, j’essaye de gagner un peu de thunes en faisant des extras. Il y avait un truc dans le Sud, ça m’a permis de me faire un peu de blé, c’est toujours bon à prendre. Si j’attends que ces enfoirés au gouvernement me trouvent un job sérieux, les gosses ne sont pas près de bouffer.

— T’as bien raison.

Regards satisfaits. Les verres se lèvent et se rencontrent. C’est le début d’une soirée comme Dédé en a souvent. Le petit extra que lui a rapporté son boulot nocturne va se diluer dans la mousse jusqu’à y disparaître. Ce sera encore une engueulade. Depuis le temps que sa femme menace de le quitter, ça finira bien par arriver.

Quand il reprend contact avec le bitume, un avis de tempête est assuré pour son retour à la maison. Il titube et peine à garder le cap. Devant le Tara Inn, il a une très longue hésitation. Prendre à droite ? Prendre à gauche ? Où a-t-il laissé sa voiture ? Il ferme les yeux quelques secondes pour se concentrer. C’était devant un pub irlandais… Ha oui, pas celui-là, l’autre. Il a abandonné la Logan en face du Mc Guigan’s.

Pff, c’est loin, qu’est-ce qui lui a pris ? Marcher, marcher, la traversée de route est périlleuse. Une camionnette pile devant lui. C’était moins une. Un bruit d’avertisseur mécontent lui vrille le crâne. Le conducteur lui hurle dessus et le regarde poursuivre son chemin. Il comprend quelques vagues insultes dans lesquelles il est question de la vie sexuelle de sa mère. Il se marre intérieurement et revient à la réalité. Il devrait peut-être se faire vomir. Il le fait souvent. Ça ne dégrise pas totalement mais ça apporte un léger mieux, et ce qu’il déteste, c’est être malade. Il est conscient de son état, les lendemains sont terribles et il va surtout devoir affronter sa femme.

— Dédé !

Il lève la tête, fouille l’obscurité du parking et distingue une silhouette dans la pénombre. Cette voix ?

— Ho, Antoine, qu’est-ce que tu fais là ?

Son collègue, son pote Antoine… Il va à sa rencontre et s’aperçoit d’un truc qui l’étonne. Son pote ne fait rien pour se rapprocher. Il l’attend dans l’ombre d’une camionnette, à l’écart de l’éclairage public. C’est lorsqu’il est à deux mètres de lui qu’il distingue enfin son visage et ce qu’il voit le transit d’effroi. Les effets de l’alcool disparaissent instantanément. Il a un mouvement de recul, une subite envie de fuir… Il ne bouge pas. Un bruit sur le côté.

Chapitre 3

Le colonel Erwan Caroff repose le mug de café sur le bureau. Bien que ce ne soit que le milieu de matinée, il boirait volontiers quelque chose de plus fort, quelque chose susceptible de lui faire oublier ses emmerdes. Service service, il n’en fera rien. Il s’attend à voir débarquer ses supérieurs de la SR de Rennes et de l’Inspection de la gendarmerie d’une minute à l’autre. Quelle attitude adopter ? Il ne se sent plus officier, pas vraiment délinquant, encore que… Non, c’est juste un gosse face à une situation qui le dépasse. Son téléphone sonne, il le regarde comme s’il s’agissait d’un animal venimeux qu’il faudrait attraper et ne bouge pas. Une tête dans l’embrasure de porte, un de ses subordonnés :

— Mon colonel, désolé, je pensais que vous n’étiez pas dans votre bureau, la première substitut cherche à vous joindre.

— Ha ! Oui, merci.

Il imaginait pire. Il connaît bien Marie Evano. Sa main s’approche du téléphone, et il pense que c’est tout de même un peu à cause de la magistrate qu’on en est là. Il n’a pas le choix. Il décroche.

— Colonel Erwan Caroff !

— C’est Marie, quelles sont les nouvelles ?

— Je croyais que l’OPJ t’avait rendu compte…

Elle comprend que le colonel est sur la défensive et hésite à passer en mode amitié. Elle va devoir l’amadouer.

— Oui, le lieutenant Clovis de Saint-Luc m’a appelée pour m’informer du déroulement de la garde à vue. C’est ton sentiment que je veux, et pas en tant qu’enquêteur, mais bien en tant qu’ami.

Erwan réfléchit vite. Marie n’est pas une ennemie, elle a une fonction et elle n’a fait que son job. Le vrai responsable, c’est lui. Il n’a pas été capable de cadrer son subordonné et il se retrouve piégé. Saint-Luc a profité du fait qu’il était en mission à Paris pour mener cette opération et lui forcer la main. Le jeune lieutenant a bien parlé d’urgence, de décisions à prendre dans l’instant. Le colonel n’en croit pas un mot.

— Je ne suis pas allé la voir. Je ne veux pas qu’on puisse me le reprocher. Tu sais que je n’ose même pas aller chez moi. J’ai dû rendre compte à mes autorités. Elles arrivent. Je suppose qu’elles vont t’appeler, je ne serai pas surpris d’être, moi aussi, placé en garde à vue et qu’on fasse une perquisition dans mon appartement.

Marie Evano n’avait pas pensé à cela, c’est pourtant elle la directrice d’enquête. Au long silence qui suit, Erwan s’aperçoit que c’est au tour de la jeune magistrate de cogiter et d’imaginer les soucis administratifs que cette histoire peut lui créer. Sa proximité avec la gardée à vue peut lui attirer presque autant d’ennuis qu’à Erwan.

Des pas lourds dans le couloir confirment l’inquiétude de l’officier de gendarmerie. Il ne peut s’agir que de ses autorités de tutelle. Une voix forte et le brouhaha le surprennent. Il se trompe. Sa porte s’ouvre à la volée et claque contre le mur. Il a devant lui les capitaines de police François Quentric et Lionel Le Roux, les deux adjoints de sa prisonnière, la commandant Léanne Vallauri, chef de la police judiciaire du Finistère.

Un gendarme tente de les intercepter.

— Arrêtez !

— Vous êtes bien tous des enfoirés ! hurle Quentric.

Erwan laisse tomber son téléphone et se lève. En face de lui, le flic tremble de fureur, ses yeux envoient des éclairs dangereux, il a envie d’en découdre. C’est en position de combat, prêt à riposter, que le colonel attend la suite. Les regards s’affrontent, François arme le poing.

— Quentric !

Une voix que le capitaine connaît bien et qu’il ne pensait pas entendre ici : le contrôleur général Claude Vignon, le directeur de la PJ de Rennes. Les visages se tournent vers le nouveau venu. Vignon jouit d’une autorité naturelle qui dépasse celle que lui procurent son grade et son affectation. Les protagonistes se détendent.

Il s’adresse aux deux policiers :

— Allez attendre dehors !

On est passé à côté de l’irréparable.

Quentric se reprend, laisse tomber son bras le long du corps et quitte la pièce. Un regard du contrôleur général à l’autre capitaine et il dégage également. Vignon parcourt les quelques pas qui le séparent du lieutenant-colonel, lui envoie une main franche et ferme, accompagnée d’une mimique qui dit : « tout ce qui vient de se passer n’a jamais eu lieu ». Ça convient très bien au gendarme, en quête, lui aussi, d’apaisement. Il lui désigne un fauteuil.

— Comment va-t-elle ?

Erwan plisse mollement les lèvres et répète ce qu’il a déjà dit à la magistrate, avant d’ajouter :

— Vous connaissez son caractère, il doit lui en falloir plus pour être abattue.

— Je n’en doute pas, effectivement.

Le directeur interrégional accroche le regard du lieutenant-colonel.

— Léanne Vallauri était en mission. C’est moi qui lui ai demandé de voir Guénolé Le Gall et elle devait me le ramener à Rennes. Tout ce qu’elle a fait a été avalisé par sa hiérarchie et j’en avais informé le procureur général. Il n’y a donc pas lieu de la maintenir plus longtemps en garde à vue.

Étonnement de l’officier supérieur. La flic a été interpellée en compagnie d’un trafiquant de drogue surveillé par la gendarmerie et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt, une attitude qui mérite des explications. Le visage s’éclaire. S’il ne travaille pas sous les ordres du policier, le gendarme n’en connaît pas moins sa réputation. Vignon sait nager en eaux troubles. Il a dû actionner tout ce qui était possible pour sortir sa subordonnée de la merde dans laquelle elle se trouve. Erwan apprécie et constate qu’il reste quelques vrais chefs capables de prendre des risques.

— Je viens de m’entretenir avec la substitut du procureur de la République, elle envisageait une prolongation de garde à vue.

— Marie Evano n’a pas encore dû recevoir les instructions de ses supérieurs.

Vignon regarde sa montre et poursuit :

— Cela ne devrait pas tarder.

Le policier est coupé par la sonnerie du téléphone d’Erwan. Le gendarme décroche. Il s’agit du lieutenant Clovis de Saint-Luc. Il décide de ne pas le laisser parler.

— Je suppose que vous voulez m’informer d’un appel du parquet vous enjoignant de mettre fin à la garde à vue de madame Vallauri.

— … Oui… ?

— Je vous avais averti des risques. J’espère que votre petite initiative ne va pas nous retomber dessus. On ne met pas une commandant de police en garde à vue, comme s’il s’agissait d’un loubard de banlieue. Bon Dieu, je me demande ce qui vous a pris.

Le lieutenant bafouille.

— Je n’ai commis aucune faute. La décision de placement en garde à vue incombe à l’OPJ et cette policière se trouvait avec un individu recherché. Qui plus est, elle venait de boire un verre avec lui au lieu de l’interpeller. C’est tout de même anormal, non ?

— Ce n’est pas à nous qu’il appartient de juger des méthodes de la police judiciaire. Elle s’apprêtait à conduire Guénolé Le Gall à Rennes.

L’officier répond sur un ton outré :

— Ce n’est pas comme cela qu’on agit avec un voyou fiché et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt.

— Ça suffit, lieutenant ! Le procureur vous dit de mettre fin à la garde à vue, vous exécutez ses ordres. Point barre !

Erwan raccroche et regarde Vignon. Le regard entendu du directeur n’est pas sans l’amuser.

— Je ne sais pas exactement comment vous avez œuvré, mais bravo.

Vignon la joue modeste :

— Votre collaborateur va l’avoir mauvaise. J’espère qu’il ne va pas faire une fixette sur Léanne. C’est une bonne flic, pas une pourrie, il faudrait qu’il le comprenne.

— Ça, c’est de mon ressort, intervient Erwan, qui n’entend pas se faire dicter sa ligne de conduite par un policier, fut-il contrôleur général.

— Je le conçois comme cela, loin de moi l’idée de vous apprendre votre travail, mon colonel.

*

« Putain de béton ! » Léanne se relève, repousse d’un coup de talon la couverture puante et fait quelques pas dans sa cellule de quatre mètres carrés. Elle envoie un regard assassin vers la caméra et voit passer devant la porte en Plexiglas un gendarme accompagné d’un détenu. Elle reconnaît la voix du soûlard qui a braillé toute la nuit. Elle imagine un chauffard aviné. Il va passer de la case dégrisement à celle de gardé à vue. « Enfoirés, enfoirés et enfoirés ». Elle n’a que haine pour ce salopard de pandore qui l’a serrée et fichue dans ce trou.

Et puis Erwan ! Il n’est pas venu la chercher. Léanne se rappelle les gardes à vue de collègues qu’elle gardait avec elle pour ne pas leur faire subir l’humiliation des geôles, de ceux avec qui elle a mangé dans son bureau et même parfois dans un restaurant. Son colonel d’amant n’a pas été foutu de faire un geste… de lui porter un café… Rien ! Elle imagine pire : « Il est dans le coup, impossible que ce petit lieutenant imbu de sa suffisance ait décidé de m’interpeller sans l’accord d’Erwan ».

Nouvelle bouffée de colère, Léanne se souvient de la gendarmette qui l’a fait se déshabiller entièrement pour vérifier qu’elle ne cachait aucune drogue. Garce ! La prise des empreintes, le relevé ADN, le passage sous la toise, la photo face profil, celle de Corto Maltese, tatoué dans son dos… La réflexion : « Si t’aimes les tatouages, tu vas être gâtée, tu pourras t’en faire faire au trou ». Elle a refusé le médecin. Pas envie de voir se pointer Élodie, sa copine légiste. Elle a refusé l’avocat. Pas envie, non plus, d’avoir un baveux au milieu de cette farce. Isaac, son jeune collègue, a été témoin de son arrestation. Elle pense qu’il a dû faire le nécessaire. Reste à attendre.

Il y a bien pire que son cas. Au moment où ils ont été interpellés, son informateur, Guénolé Le Gall, a été la victime de deux tueurs. La surprise jouant, personne n’a rien pu faire. Deux coups de feu, Guénolé s’est écroulé et la moto a filé. Qu’en est-il du jeune homme ? Mort ? Grièvement blessé ? Les questions de Léanne se sont heurtées à une fin de non-recevoir de la part des gendarmes. Ça aussi, ça se paiera !

Surprise de la flic, Claude Vignon est devant la porte de sa geôle. Et derrière, il y a Erwan. Si elle est ravie de voir le premier, ce sont des envies de meurtre qui l’animent à la vue du second.

— Tu es libre, lance le gendarme.

Elle n’a pas un œil pour lui et s’accroche au ton bienveillant du directeur qui lui lance :

— Ça a été un peu long, je voulais passer par le procureur général et il revenait d’un voyage aux États-Unis, il n’a pas été simple de le joindre.

— Des nouvelles de Guénolé Le Gall ?

C’est encore Vignon qui répond :

— Le pronostic vital est engagé. Les quarante-huit prochaines heures seront déterminantes.

Chapitre 4

Léanne termine son café au comptoir du Mc Guigan’s. Le patron tente de faire la conversation.

— T’es toute seule aujourd’hui ?

— C’est mieux seule que mal accompagnée.

Vu la tête et le ton, Dan a compris que ça n’allait pas.

— T’as des emmerdes ?

Elle n’a pas envie de parler, ou plutôt si. Son problème est qu’elle ne sait pas par quel bout commencer. Dan insiste :

— Ça a été dur ?

Elle le regarde, la petite lumière qu’elle distingue au fond de ses yeux lui indique qu’il est au courant et il le lui confirme.

— Qu’est-ce que tu crois ? Un patron de bar, ça entend beaucoup de choses et tes collègues parlent un peu fort. Une garde à vue, ce n’est pas la mort pour une battante comme toi.

Elle a un petit rire nerveux.

— Arrête, inutile de me ressasser des vieilles histoires irlandaises… Je sais que mon cas n’a rien de comparable avec un passage dans les geôles anglaises à Belfast.

— Je ne te parle pas de ta détention, je te parle du sentiment de trahison. Si j’ai bien suivi, t’as été lâchée sur ce coup-là et ça, c’est partout pareil, dans tous les cas et à n’importe quelle époque. Il n’y a rien de pire. Au moins, ça permet de compter ses amis.

— T’as raison, c’est exactement ça. Et je crois que je vais faire le tri. Dis-toi que la prochaine fois qu’on viendra jouer, ce sera sans saxophone.

Il comprend ce que cela signifie. Erwan Caroff assurait le rôle et Léanne ne veut plus, à cette place, de celui qui pourrait devenir son ex. Le lieutenant-colonel a essayé, maintes fois, de l’appeler. Elle a toujours refusé de prendre la conversation. La simple vue de son nom sur l’écran la plonge dans une colère noire.

— Il n’y est peut-être pour rien, plaide Dan.

— Évidemment, encore heureux ! Il ne manquerait plus que ça. Je sais qu’il n’est pas responsable. N’empêche qu’il n’a rien fait pour moi. Il m’a abandonnée dans leur trou à rats sans même venir me voir. Quel enfoiré !

Le ton est monté. Elle regarde un instant le patron, désemparé, et abandonne son tabouret.

— Ce n’est pas contre toi, Dan. Je n’ai pas envie de parler, je vais bouger, ça me calmera.

Elle cherche de la monnaie pour payer son café.

— Laisse tomber, c’est pour moi.

Elle le fixe, envoie un regard triste.

— Merci, c’est gentil.

Dehors, elle est cueillie par le soleil et décide d’aller marcher plutôt que de rentrer. Un tour sur le port lui fera du bien. Ses pas l’emmènent, presque naturellement, sur le quai du commandant Malbert. Elle reste quelques instants plantée devant l’Abeille-Bourbon. Le remorqueur géant, spécialisé dans les sauvetages en mer, l’a toujours impressionnée. Elle se dit qu’elle ne l’a jamais visité et qu’il faudra qu’elle se renseigne… Mieux, il doit bien y avoir moyen de naviguer avec l’équipage. Affaire à suivre. Elle contourne le quai pour longer le port de plaisance par la rue Lecomte et tombe en arrêt face à un immeuble en rénovation. Le toit arrondi et la structure métallique confèrent au bâtiment l’aspect d’un vieux hangar aménagé en logements. Toutes les pièces donnant sur la mer sont entièrement vitrées. Elle se retourne pour regarder l’océan et imagine la vue magnifique que l’on doit avoir depuis les appartements. Une porte est ouverte, elle se laisse guider par le bruit d’une radio et arrive au dernier étage. Deux ouvriers posent un parquet en chêne. Les murs sont blancs, son regard est encore une fois attiré vers l’extérieur, les bateaux, la mer, les murailles du château. Coup de cœur. C’est un appartement en sous-pente, pas très pratique, mais la vue… Oui, la vue. Les deux hommes se sont arrêtés et regardent l’intruse.

— Vous cherchez quelque chose ?

Léanne rougit instantanément et se confond en excuses. Le magnétisme des lieux a joué, plus rien n’existe. Elle le veut. Rien de tel qu’un déménagement pour repartir sur d’autres bases… De nouveaux murs, c’est presque le début d’une nouvelle vie.

— C’est à vendre ou à louer ?

— Vous savez, nous, on ne fait que les travaux. Je crois que ce sera à vendre, sans pouvoir l’affirmer…

L’ouvrier regarde l’heure et adresse un coup de menton à son collègue.

— À quelle heure il doit passer ?

L’autre hausse les épaules.

— Dans pas longtemps, je crois.

Le premier artisan se tourne à nouveau vers Léanne.

— Le patron de l’agence devrait arriver. Si c’est à vendre, il vous le dira.

Elle décide d’attendre.

— Je peux visiter ?

— Faites.

L’appartement se révèle être un duplex, peut-être un peu grand pour ses moyens. Avec Erwan, ça aurait pu le faire… Seule ? En descendant les marches vers l’étage inférieur, elle entend des clés dans la serrure et voit entrer un homme d’une cinquantaine d’années. Au lieu d’être surpris par sa présence, il lui envoie un sourire étincelant. Léanne l’évalue d’un coup d’œil, look BCBG, veste poil de chameau, pull rouge col v, chemise blanche, pantalon à pinces, mocassins brillants… elle tique sur les pompons, seule faute à son goût. Le reste a de l’allure. Un petit mètre quatre-vingt, cheveux poivre et sel, teint mat, l’œil brillant.

— Vous êtes… ?

— Je visite. J’ai vu que l’appartement était en travaux, je me demandais s’il allait être à la vente ou la location ?

Lui aussi la regarde en coin et elle note que le mâle séducteur ne va pas tarder à entrer en action.

— Vous cherchez quoi exactement ?

Voilà ce que déteste Léanne, les questions qui font office de réponse. La moue qu’elle fait ne passe pas inaperçue. Il s’apprête à faire mieux, lorsque le téléphone de la flic se met à vibrer au fond de son sac à dos.

— Vous permettez, monsieur… ?

— Chabot, Marc Chabot, répond-il en lui tendant la main.

Au lieu de la prendre, la flic fouille dans son sac.

— Désolée.

L’iPhone apparaît et le nom de Lionel s’affiche. Elle décroche.

— On a un macchabée. Le parquet vient de nous saisir en flag. Je sais que tu es en congés jusqu’à la fin de la semaine, mais si tu veux…

— Oui, évidemment. Il est identifié ?

— Un employé d’une société de nettoyage. Il faisait aussi des extras, magasinier, machiniste, un peu homme à tout faire, on a retrouvé le cadavre il y a une heure.

— Comment il est mort ?

— Les premiers intervenants pensent à un poignard ou une dague. On en saura plus pendant les constatations. Élodie est prévenue, elle nous rejoint.

— Le corps est toujours sur place ?

— Oui. C’est dans un tunnel, route des Quatre Pompes, juste en face de l’entrée de la base des sous-marins allemands.

— J’arrive.

Le petit air supérieur, façon séducteur, de l’agent immobilier, s’est effacé pour afficher une expression plus figée et emplie de curiosité.

— Vous…

— Êtes flic ? Oui, c’est ça.

Elle lui tend une carte de visite et c’est en habitué qu’il échange la sienne. Elle prend le temps de la regarder. Marc Chabot, marchand de biens.

— Je vous rappelle…

— Si vous ne le faites pas, je le ferai… Commandant Vallauri-Galji.

Elle est déjà dans les escaliers.

Chapitre 5

Voilà exactement ce qu’il fallait à Léanne : une affaire. Et en plus, un cadavre, le top pour une flic de PJ. Pour oublier ses propres problèmes, rien de mieux que de mettre la tête dans le guidon. Le boulot peut se révéler le meilleur des antidépresseurs.

En abordant le pont de Recouvrance, son regard est attiré par le nouveau téléphérique. Du coup, elle s’attarde sur l’Arsenal et les travaux de rénovation en cours. Depuis que les Ateliers du plateau des Capucins ont été rétrocédés à la ville, la municipalité a redonné vie à cet endroit en y créant un centre culturel et en procédant à des animations dans le quartier de la rue de Saint-Malo, seul lieu qui a miraculeusement échappé aux bombes américaines et anglaises.

Bloquée au milieu du pont, la flic hésite à mettre le gyrophare et juge que même en lumière et musique, elle n’ira pas plus vite. Elle prend son mal en patience en observant les travaux de remise en état de la Levée de Pontaniou. Les têtes de lion ont fière allure, il faudra qu’elle trouve le temps de venir à pied faire un tour dans le coin. Quand la circulation devient plus fluide, Léanne continue jusqu’à la route de la Corniche. Il ne lui reste plus qu’à dérouler jusqu’à l’extrémité ouest de la ville.

La rade est un abri naturel qui a de tout temps attiré les marins, et plus particulièrement, les militaires. Par ses dimensions, elle permet d’accueillir de nombreux vaisseaux, voire une flotte tout entière. Cité stratégique, Louis XIV avait demandé à Vauban de fortifier Brest et d’y bâtir un château à l’embouchure de la Penfeld, lieu qui fut choisi pour l’installation du port. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands virent également l’intérêt d’une telle situation géographique. Leur présence fit de la ville un objectif prioritaire des forces alliées, dont les bombardements détruisirent la quasi-totalité de Brest. Entièrement reconstruite après le conflit, le résultat a été diversement apprécié. Plus belle qu’elle ne l’était pour certains, Brest ressemble, pour d’autres, à une banlieue des années 50. Une cité sans cœur où tout converge vers l’Arsenal.

Brest, c’est avant tout la marine, et partout, des installations militaires.

Léanne en longe plusieurs jusqu’à trouver sur sa gauche la base de sous-marins, construite à la demande de la Kriegsmarine par l’ingénieur Todt. Il s’agit d’un gigantesque bunker achevé en mai 1942. Difficile de croire qu’il a suffi d’un an de travaux pour réaliser un tel machin, avec autour, les nombreux blockhaus qui en assuraient la protection.

Elle trouve une place à côté de voitures qu’elle connaît bien : celles de ses collègues, les services d’urgence, quelques officiels. Elle note la présence du véhicule d’Élodie Quillé, sa copine médecin légiste, et aussi, impossible de la rater, la Porsche Carrera jaune citron d’Alain Methivier, le premier substitut du procureur de la République. Le magistrat est très fier de sa voiture, un modèle des années 70 qu’il chouchoute amoureusement.

Quand il la voit, Lionel va à la rencontre de sa chef. Le capitaine a appris à connaître Léanne. Il sait que c’est une bonne flic et il s’accommode de son caractère difficile. Il l’avait mise en garde sur le danger qu’il y avait à entretenir des relations avec un informateur faisant l’objet d’un mandat d’arrêt. Elle n’a pas voulu l’écouter. Si elle se sort de ce mauvais pas, dorénavant, elle ferait bien de tenir compte de ses recommandations.

Léanne envoie ce qu’elle pense être un sourire.

— Alors, c’est quoi ?

— T’as une tête de chiotte, t’aurais peut-être mieux fait de continuer de te reposer.

Presque une claque. Elle avale difficilement sa salive, ses traits se crispent.

— Merci, moi aussi, ça me fait plaisir de te retrouver. Tu m’as manqué.

— Ça va, ne le prend pas mal, je veux juste dire que tu n’as pas l’air en forme.

— T’inquiète, ça va aller.

Elle plonge ses yeux dans le regard de son adjoint. Même si sa franchise fait mal à entendre, c’est quelqu’un de droit en qui elle a toute confiance.

— Merci de m’avoir appelée. Tu en sais plus ?

— Élodie pense qu’il est mort depuis une semaine. Pas un sou, pas de téléphone, pas de montre, pas de papiers.

— Il avait des antécédents chez nous ? Comment vous l’avez identifié ?

— Les gars du commissariat qui l’ont découvert ont passé tout de suite les empreintes au fichier. Ce sont eux qui ont sorti son blaze. André Gisserot, soixante-deux ans, employé occasionnel de Net-Tout, une société d’entretien, marié. Il vivait dans le quartier du Polygone. Il a fait l’objet d’une garde à vue pour conduite en état d’ivresse. Sa femme a déclaré sa disparition il y a trois jours. Elle dit que lorsqu’il bossait tard ou qu’il picolait, il lui arrivait de dormir chez des potes. Elle ne s’est pas inquiétée tout de suite.

Léanne fait une moue : « Sympa, l’ambiance familiale ».

— Qui a découvert le corps ?

— Un SDF à la recherche d’un toit est tombé dessus. C’est lui qui nous a prévenus.

— Un crime crapuleux, ça sent la rixe entre soiffards. Habituellement, on n’est pas saisis de ce genre d’affaires, ça reste au niveau du commissariat.

— Durant les six derniers mois, il y a eu quatre victimes assassinées dans des conditions à peu près similaires.

Léanne fronce les sourcils.

— Il me semblait que c’était réglé. J’ai lu qu’il y avait eu une mise en examen pour homicide volontaire, dans un des dossiers. Il n’y a pas un suspect d’incarcéré ?

— Si, il avait récupéré le téléphone d’une des victimes et on a trouvé son ADN sur la scène de crime… Ce nouveau meurtre pose des doutes sur sa culpabilité. Le parquet a décidé de parier sur nous.

— Tu veux dire qu’on va récupérer tous les dossiers ?

— J’en ai bien peur.

Léanne fait une moue. La PJ fait souvent office d’ultime recours pour les enquêtes infructueuses des autres services. Prendre ce genre d’affaire, c’est l’assurance d’un travail long et fastidieux, sans l’évidence d’un résultat. Casse-gueule. L’antenne va être sous les projecteurs et il va falloir rendre des comptes. Voilà d’ailleurs le colporteur professionnel des mauvaises nouvelles qui s’approche : Tintin. C’est le surnom d’un journaliste qu’elle déteste. À trente ans, il a encore le visage rempli d’acné, des oreilles décollées, les cheveux frisés, de petits yeux marron. Elle lui trouve un air de rat et sa tenue vestimentaire donne le sentiment qu’il dort tout habillé. Son bagout l’a toujours énervée.

— Bonjour Léanne, ça va ?

— T’es déjà là, toi ?

— C’est mon boulot. Il paraît que tu vas récupérer tous les dossiers de meurtres. C’est le cinquième. J’espère que tu penseras à moi quand tu auras des infos.

— Tu peux rêver.

Il fait claquer bruyamment sa langue contre son palais.

— Tu me dois quelque chose. J’attends de toi que tu me renvoies l’ascenseur.

Elle fronce les sourcils.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ta garde à vue ! Tu crois peut-être qu’elle est passée inaperçue ? Je n’ai rien mis dans le journal. Je suis certain que ça aurait pu faire une très belle première page. T’imagines : La chef de la PJ du Finistère en garde à vue chez les gendarmes. On aurait boosté nos ventes. J’aurais peut-être même pu faire un article national.

Elle le fusille du regard. Il la toise crânement et continue :

— Je pense que j’ai prouvé ma fiabilité. Il serait grand temps que tu me fasses confiance et qu’on collabore intelligemment ensemble.

Elle est obligée de convenir intérieurement qu’il a raison. Elle peine cependant à l’exprimer et c’est du bout des lèvres qu’elle lui lance :

— Merci, c’est très chic ce que tu as fait. OK, je penserai à toi.

Ils sont coupés par Alain Methivier. Le substitut du procureur de Brest est un ancien policier entré tardivement dans la magistrature. Rouquin, plutôt corpulent, il n’a pas l’élégance discrète. Pantalon rouge, pull orange, des lunettes de soleil en forme de hublot, il arbore une Rolex en or et diamants. Le summum du ridicule pour Léanne. Il n’empêche qu’elle aime bien ce Bordelais, fils d’une famille de négociants en vins. Il l’attaque d’une voix rocailleuse.

— Salut toi ! J’ai saisi la PJ pour avoir le plaisir de te voir. J’ai bien cru que tu n’allais pas venir, j’ai dû insister auprès de ton adjoint pour qu’il t’appelle.

Methivier ayant été lui aussi commandant, Léanne a le privilège de le tutoyer.

— Sacré cadeau que tu nous fais là. On va avoir cinq cadavres en portefeuille.

Il hausse les épaules et lui répond avec entrain.

— Pas longtemps, tu vas me sortir ça en un tournemain. Et tu auras les lauriers. Plutôt sympa, non ?

— Espérons.

Tout en parlant, le magistrat et la flic ont marché en direction du lieu de découverte du cadavre. Élodie est en tenue de travail, occupée à examiner le corps. Isaac est à côté d’elle. Le petit jeune a bien fait son trou dans le service. Sorti d’école il y a tout juste un an pour être affecté à la PJ de Brest, il a su se rendre indispensable. Léanne s’appuie sur lui avec autant de confiance que s’il s’agissait d’un vieux flic expérimenté. N’ayant pas encore revêtu la tenue de cosmonaute nécessaire pour accéder au périmètre délimitant la scène de crime, la commandant reste à l’écart et se contente de balayer les lieux du regard.

L’entrée du tunnel est creusée à flanc de falaise. Il s’agit de l’une des multiples cavités aménagées par l’armée. Certaines communiquent avec un réseau de galeries, d’autres sont des abris où était entreposé du matériel, d’autres encore, des bunkers avec leur bouche à canon. Une grande partie de ce maillage souterrain a été abandonnée et rendue à la ville. Pour éviter les accidents et que ces endroits ne deviennent des lieux de trafics en tous genres, les accès identifiés sont murés ou fermés par des portes. C’est le cas de celle-ci.

La commandant observe mieux. À l’origine, la cavité, naturelle ou non, a fait l’objet de travaux de maçonnerie. L’accès en arche, barré par un portail métallique à battants, devait permettre le passage de camions. Elle conclut qu’il s’agissait peut-être d’une zone d’entreposage de matériel. C’est tout au moins ce que laisse penser l’endroit, au vu des caisses et des vieilles palettes qui y traînent. C’est aussi un lieu fréquenté, comme en témoignent des sacs de vêtements moisis par l’humidité, des restes de feux de camp, des cigarettes, une multitude de bouteilles de bière vides, des cannettes, également, et même des seringues. Elle note des marques de peinture et la présence de plusieurs tags.

Léanne s’adresse à son adjoint :

— Il y a une serrure récente sur cette porte.

— Oui, elle était ouverte.

En entendant la voix de la commandant, Élodie et Isaac se sont retournés vers elle. Elle leur adresse un salut amical et observe les spécialistes de l’identité judiciaire occupés à rechercher des indices.

— Vu le bordel, les traces ne vont pas manquer.

Elle évalue l’environnement. Elle connaît déjà les lieux pour s’y être promenée. Aujourd’hui, elle les regarde avec l’œil de la professionnelle. En dehors de l’entrée de la base navale, il n’y a rien. Elle désigne l’enceinte militaire.

— Ils n’ont pas de caméras ?

— Si, mais l’angle de vue s’arrête au niveau de la corniche, ça ne remonte pas jusqu’ici.

Élodie se relève, abandonne le cadavre et rejoint Léanne. Elle rabat sa capuche en arrière, baisse son masque et c’est une jolie femme aux cheveux châtains tirant sur le roux, aux yeux pétillants et aux bonnes joues.

— Comment tu vas ?

— Je croyais que ça allait, jusqu’à ce que Lionel me dise que j’avais une mine de chiotte.

La médecin éclate de rire. Le capitaine rougit et soupire :

— Celle-là, je vais l’entendre longtemps…

— Il a toujours su faire des compliments. Il devait vouloir dire que tu as l’air fatiguée. Il te fallait une affaire pour revenir parmi nous. Grâce à monsieur le substitut, tu en as une, remarque Élodie.

— Pas une, cinq !

— Ha, je n’aime pas faire les choses à moitié, s’amuse le magistrat. Dites-nous, docteur, quelles sont vos conclusions ?

— La mort est réelle et constante…

— Mais encore… insiste Alain Methivier.

— Venez, écartons-nous un peu, lance la médecin avant de désigner d’un hochement de tête le journaliste aux aguets. Je ne suis pas ici pour donner une conférence de presse et Tintin a les oreilles tellement longues qu’il entend tout.

Elle a raison. Ils la suivent et Lionel fait signe à un de ses collègues de s’assurer que le reporter n’est pas derrière.

— Je confirmerai tout au moment de l’autopsie. D’abord, il semble qu’il ait eu droit à un passage à tabac en règle. Ce n’est cependant pas ce qui l’a tué. Je pense qu’il a aussi été torturé. Il y a des traces de blessures au couteau. Elles sont peu profondes et sont portées à différents endroits, on a voulu le faire souffrir, sans pour autant le tuer. Pour la cause du décès, à première vue, elle est évidente : trois coups donnés avec l’arme qui l’a blessé, et cette fois, avec la nette intention de tuer. Je suppose que le cœur a été transpercé, on vérifiera. La mort a été quasiment immédiate.

— Des traces d’injection ? Des blessures plus anciennes ? demande la flic.

— Non, rien. L’examen sur ma table permettra de te l’assurer.

Léanne soupire.

— Bon, ben nous voilà lancés sur une nouvelle aventure.