Haines - Pierre Pouchairet - E-Book

Haines E-Book

Pierre Pouchairet

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Beschreibung

L'assassinat sauvage d'une vieille femme dans un petit village du Finistère ...

Après une longue période professionnelle dans les Stups à Nice (voir Mortels Trafics), Léanne vient d'être nommée à la tête de la Police judiciaire finistérienne, quand le sauvage assassinat d'une vieille dame, Corentine Ledantec, trouble la quiétude de la commune de Combrit en Pays bigouden. Qui pouvait en vouloir autant à cette nonagénaire, certes fielleuse ?
L'enquête est confiée à la commandant qui lance les investigations avec des méthodes déroutant parfois ses collègues, mais pour elle, nécessité fait loi. Épaulée par ses amies de jeunesse - Élodie, devenue médecin légiste, et Vanessa, psychologue dans la police nationale - Léanne devra démêler l'écheveau des Haines larvées qui animent les malfrats les plus retors comme les gens sans histoires.  Suspense, action, Bretagne et musique sont au cœur de cette intrigue inspirée de faits réels, qui met à nouveau en scène le personnage de Léanne, héroïne de Mortels Trafics (Prix du Quai des Orfèvres 2017, 120 000 exemplaires vendus), pour le premier tome d'une série qui s'annonce tout aussi passionnante que les précédents ouvrages de l'auteur.

Pourquoi la vieille dame a-t-elle été tuée ? Qui sont les assassins ? Découvrez cette formidable enquête pleine d'action et de suspense qui met en scène la commandant Léanne en Pays Bigouden !

EXTRAIT

Ce fut encore agacée par la discussion que Léanne enfila la tenue de protection qu’elle compléta d’une charlotte, de gants et de surchaussures. Spécialisée dans les stups pendant de nombreuses années, elle n’avait pas trop l’habitude de ce déguisement. Là où certains voyaient une tenue de cosmonaute, elle avait l’impression de se cacher dans un préservatif géant. Elle s’énerva sur la fermeture de la combinaison avant que la glissière accepte de se fermer.
Elle s’approcha enfin de la maison. Il s’agissait d’un pavillon à un étage, bordé par un jardinet d’une dizaine de mètres de large. L’accès à l’habitation se faisait soit par une porte centrale, desservie par un escalier en façade, soit sur le côté, en passant par la cave puis un escalier intérieur.
Elle prit par l’entrée principale. Un vestibule desservait sur la gauche une cuisine, sur la droite, une salle à manger avec à l’arrière un coin salon, ce fut là qu’elle trouva le gros de la troupe.
Le corps était étendu sur le sol, face contre terre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Tous les ingrédients d'une excellente série polar qui ravira les amateurs du genre." - Olivier Marchal

"Pierre Pouchairet, c'est un style singulier, un sens du récit, une certaine poésie et toujours des surprises dans la narration." - Ouest-France

"Un polar percutant, au beurre salé et aux embruns, rythmé comme un bon vieux rock, trois filles attachantes et motivées dans une intrigue menée de main de maître !" - Psycho_Pat, Quatre Sans Quatre

"C'est une excellente entrée en matière pour inaugurer cette nouvelle série pleine de peps et d'iode." - Bruno Delaroque, Whoozone

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Pouchairet s'est passionné pour son métier de flic ! Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l'Afghanistan, la Turquie, le Liban… Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s'est lancé avec succès dans l'écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 (Mortels Trafics) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 (La Prophétie de Langley). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec Tuez les tous...mais pas ici.

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Couverture

Page de titre

CE LIVRE EST UN ROMAN. Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016 et qui a déjà séduit plus de 120 000 lecteurs.

Remerciements

À Kristell et Jessica, ma femme et ma fille.

À mes petits-enfants, Léanne et Gabin.

À Christine Beteille, Jannick Blaise-Durand et Sylvie Lefebvre, pour les relectures attentives de mes textes.

À Stéphane Le Gléau, qui a bien voulu laisser son fauteuil à Léanne.

À Claire Saccardy, pour sa gentillesse et sa disponibilité.

À Vanessa Martinez, pour les informations et ses conseils.

À ceux qui ont prêté leur nom aux personnages de cette histoire : Léanne Sterenzy, Lionel Le Roux, Erwan Caroff, François Quentric, Steven Nedellec, Mikaël Pleiber, Guénolé Legall, Isaac Caroff, Marie Evano…

À mes premiers lecteurs, pour leurs critiques constructives, avec toujours et encore, une mention particulière pour Bernard Trenque qui dévore en une nuit un texte qui n’est encore qu’une ébauche et me donne des avis éclairés. Et puis les autres, Philippe Germain, Hervé Giraud, Serge Giraud. Aux potes qui ne me lisent pas, ou peu et ils en ont bien le droit : Jean-Claude Guillemain, Bruno Bodin.

À ceux qui me soutiennent depuis que j’écris : les Salons, les médiathèques, les blogs du polar, les libraires, impossible de les citer tous. Je mentionne tout de même Annaïk de la librairie Dialogues à Brest, Patrick de l’Espace Culturel de Fouesnant, Amélia et Alain de la maison de la presse de Concarneau, Ollivier Aubertin, du Super U de Combrit. Une mention spéciale pour Le Chien Jaune et Le Goéland masqué.

À l’Île-Tudy et à Sainte Marine qui accueillent une partie de cette histoire.

À Christelle Soria-Guillaumot, pour les silhouettes des trois Brestoises et ma photo portrait en quatrième de couverture. Et enfin et surtout,

À Jean Failler, Firmin Le Bourhis et Delphine Hamon pour m’avoir accueilli au sein de leur écurie, les Éditions Palémon.

Chapitre 1

Un demi-sourire aux lèvres, Léanne reposa son téléphone. Elle venait de décrocher son premier dossier en sol breton. En bruit de fond, elle entendait ses collègues qui se marraient. Ils en étaient au café et le major Kérantec devait encore faire le spectacle en racontant de nouvelles vannes. Elle fit le tour de sa table de travail et traversa le couloir en rectangle qui desservait les bureaux de son équipe et encerclait les pièces communes. Il était un peu moins de neuf heures et, comme chaque jour, l’antenne au complet traînait du coin cuisine à la grande salle de réunion, dans une ambiance aromatisée à l’arabica. Comme partout en France, ce moment était, certes, un temps de détente mais aussi l’occasion d’évoquer de manière informelle les dossiers et le travail de la journée à venir. Cette saisine du parquet de Quimper tombait à la meilleure heure puisqu’elle avait toute son équipe sous la main. Les regards se tournèrent vers la nouvelle chef.

— Je vais avoir besoin de tout le monde, on a un meurtre… une personne âgée, c’est à Sainte-Marine, commune de Combrit.

— Les gendarmes n’ont pas gardé ça ? s’étonna le capitaine Lionel Leroux, l’adjoint de Léanne.

— Ils auraient bien voulu, mais la première substitut, Marie Évano, a accepté de me faire confiance et de nous donner l’affaire, certainement le résultat de l’entretien que j’ai eu avec elle cette semaine. Il s’agit de ne pas se rater, elle m’a clairement laissé comprendre que sa décision allait à l’encontre des habitudes et que, si l’on se plantait, il n’y aurait pas de seconde chance. Le lieutenant-colonel qui commande la section de recherche n’a pas apprécié et l’a fait savoir. On va être sous les projecteurs.

— J’avais prévu des auditions dans le cadre de mon affaire d’escroquerie et de blanchiment de fonds, argua Steven Nédellec, un vieux capitaine grincheux en charge du groupe financier.

— Désolée, il faut remettre ça.

Inutile de tergiverser devant l’évidence de la situation. Léanne s’appuya contre le montant de la porte, ramena en arrière une mèche blonde qui tombait sur ses yeux bleus et orienta son regard vers la feuille sur laquelle elle avait noté toutes les indications nécessaires.

— La victime, Corentine Ledantec, quatre-vingt-neuf ans, a été découverte ce matin à son domicile 9 rue du Soleil. C’est sa fille qui l’a trouvée. La mort semble remonter à plusieurs jours, une semaine, on ne sait pas exactement. Elle aurait été frappée avec un outil, peut-être également torturée. Il y avait à côté du corps un marteau ensanglanté. On verra ça sur place. J’ai demandé aux collègues de Quimper de nous précéder.

— Même avec eux, on sera un peu légers, non ? essaya encore Nédellec.

— Ne t’inquiète pas, nous avons le soutien de Rennes1, ils enverront du monde s’il le faut. Allez, on ne traîne pas ! On y va tous, plus on sera, plus ça aura de la gueule. La police technique et scientifique est déjà en route.

— Ah, ben on a le temps, avant qu’ils arrivent de Rennes ! grommela encore le capitaine grincheux.

Léanne ne se troubla pas.

— On m’avait dit que t’étais chiant, mais c’est vrai que t’es un vieux râleur !

Toute l’équipe y alla de quelques sourires, Nédellec envoya à Léanne un regard bleu océan et plissa sa moustache avec un sourire malicieux.

— Qui a osé te dire ça de moi ? Je ne suis pas chiant, je pose juste des questions et je fais des remarques… justifiées, n’est-ce pas ?

*

Les quatre voitures de l’antenne de Police judiciaire du Finistère quittèrent Brest en formation groupée, direction plein sud. Léanne décida de laisser le volant à Isaac, un blondinet fraîchement sorti major de l’école de gardiens de la paix et arrivé en même temps qu’elle à Brest. Son classement lui avait permis de prendre un poste en PJ, un rêve qui se réalisait. Il n’en était pas peu fier, tout en s’inquiétant déjà de savoir s’il allait faire l’affaire. C’était son baptême du feu. Pendant la centaine de kilomètres qui séparaient Brest de la scène de crime, la commandante fonctionnelle passa son temps au téléphone. La quarantaine affirmée, Léanne s’était promis de ne jamais quitter Nice et les Stups et puis avec le temps, elle avait fini par se dire que la police changeait et qu’elle ne se voyait pas continuer d’évoluer dans le monde des trafiquants jusqu’à la fin de sa carrière. Quand le poste de chef de l’antenne Brest-Quimper s’était libéré, elle avait décidé de postuler. La Bretagne, c’était son enfance et son adolescence et, même si l’eau y était froide, rien ne pouvait effacer les souvenirs du bonheur et de l’insouciance. L’idée d’y retourner l’avait séduite. Fallait-il encore que sa candidature soit acceptée. Son parcours policier avait plaidé en sa faveur auprès des chefs de service qu’elle avait connus et qui, depuis, avaient fait carrière. Par chance pour Léanne, ils avaient de la mémoire et faisaient passer les qualités professionnelles de la commandant bien avant son légendaire mauvais caractère.

Elle raccrocha, satisfaite. Le directeur avait envoyé des fonctionnaires de la PTS2 et quelques hommes pour la renforcer. C’était bien le signe qu’il appuyait la décision de sa chef d’antenne de revendiquer des saisines qui échappaient habituellement à la Direction régionale de Police judiciaire3. Elle poursuivit par les techniciens de scène de crime. La sirène, en bruit de fond, confirma que la scientifique était en route.

— La dernière fois, j’ai mis une heure trente-cinq pour faire les 220 kilomètres, je compte battre mon record, lança Léo, un spécialiste dont elle avait fait la connaissance lors d’une visite des locaux rennais.

— Ne fais pas le con, inutile d’avoir un accident. Vous venez pour un cadavre, pas pour une urgence médicale. La victime n’est pas pressée, d’autant qu’il paraît qu’elle attend depuis déjà une bonne semaine…

Elle préféra faire court pour ne pas accaparer l’attention du conducteur.

Encore quelques appels : l’antenne de Quimper, la substitut. Quand elle raccrocha, son téléphone sonnait sur un écran vide. Rien de surprenant dans le milieu policier et administratif, c’était souvent le cas. Une voix qu’elle ne connaissait pas :

— Léanne Galji ?

— Oui, fit-elle prudemment.

— Charles Lemaire, on me surnomme Tintin, je suis le correspondant local du Télégramme.

« Merde, déjà un journaliste ! » pensa immédiatement la flic.

— …

— On ne se connaît pas encore, j’étais absent quand tu as pris tes fonctions, je m’occupe de la rubrique Police-Justice.

— Les chiens écrasés, coupa Léanne, un peu agacée par le tutoiement immédiat.

Rire obligé…

— Oui, enfin, si tu veux. Il continua : je crois que tu es chargée du meurtre de Sainte-Marine. Tu pourrais peut-être me donner quelques éléments. C’est bien de travailler en toute confiance. Je faisais comme cela avec ton prédécesseur.

Bien essayé. Léanne n’en crut pas un mot.

— Je n’ai pas l’habitude de répondre à ce genre de questions par téléphone, surtout avec quelqu’un que je n’ai jamais rencontré.

— … Je passe te voir sur la scène de crime.

— Pas certain que ce soit le bon moment. Mais vous êtes libre de faire comme vous l’entendez, monsieur… ?

— Tintin, appelle-moi Tintin.

— Monsieur Tintin, je suis désolée, mais j’ai encore des communications importantes à passer, je suis obligée de raccrocher.

Elle mit fin à la conversation d’une pression sur son clavier.

— Enfoiré de journaliste ! fit-elle, autant pour elle que pour son conducteur.

Isaac se garda de tout jugement. Les voitures quittèrent la voie express en direction de Pont-l’Abbé, Quimper nord, et Léanne se concentra sur l’environnement. Des années qu’elle n’était plus venue dans le Pays Bigouden. Quelques souvenirs d’enfance refirent surface : des promenades en famille mais surtout des week-ends et des vacances avec ses copines, des images de quelques gamins aussi, des amourettes de jeunesse. Qu’étaient-ils devenus aujourd’hui ?

En approchant de Combrit, les idées se précisèrent encore, les boîtes de nuit, Le Cal (Calao), La Chaumière, les bars, Le Winch et Chez Pierrette, plein d’endroits où elle avait laissé une partie de son adolescence… les cheveux bleus, le hard rock, les premières émotions alcoolisées. Elle en revint naturellement au Calao, c’était un peu le spot mythique où il fallait être vu. C’était aussi là-bas qu’elle avait pris goût à la musique black, la soul disco funk que passait Nucci, le DJ.

Son visage s’éclaira d’un sourire.

Ils arrivèrent au rond-point du Super U de Combrit, gyrophares et sirènes eurent pour effet de paralyser un malheureux conducteur. Au lieu de s’écarter pour libérer le passage, il pila. Coup de volant, Léanne s’écrasa contre sa portière et rebondit sur l’épaule d’Isaac. Son iPhone lui échappa et disparut sous le siège.

— Excusez-moi, commandant, bredouilla le jeune.

— T’inquiète pas pour moi, continue ! lança la flic en cherchant à tâtons le portable.

Elle le trouva, bloqué contre un montant. Un appel radio de Lionel Leroux la fit sortir définitivement de ses rêveries.

— On y est presque, on arrête la musique ?

— Oui, tu as raison, on va juste garder le gyrophare, acquiesça Léanne.

Un dernier rond-point, encore quelques virages, et ils arrivèrent dans un quartier résidentiel, à quelques pas de la mer. Une vague bleu marine donnait l’impression d’avoir envahi la rue du Soleil : la gendarmerie nationale. La P.J. trouva sa place aux extrémités. Les voitures de Quimper étaient déjà là avec l’équipe locale. La flic vit venir vers elle le capitaine François Quentric, le chef de Quimper, son représentant pour le sud du département. Il était accompagné de ses hommes. Mains serrées, embrassade, Quentric se justifia :

— J’ai préféré t’attendre plutôt que d’aller faire le pied de grue avec tout le monde et de devoir entendre une histoire que, de toute manière, ils auraient voulu te répéter.

La commandant fut obligée de convenir qu’il n’avait pas tort, la présence de son collègue quimpérois n’aurait pas suffi à dissuader autorités réelles ou simples curieux. C’était sa première véritable affaire, ils avaient tous envie de voir cette chef de la PJ dont les journaux avaient salué l’arrivée en retraçant la carrière. Avant d’y aller, Léanne regroupa ses hommes autour d’elle. Elle balaya tout le monde du regard, tout en s’adressant plus particulièrement à ses deux adjoints, Lionel pour Brest et François pour Quimper :

— On va aller tous les trois là-bas, fit-elle en désignant d’un coup de menton l’attroupement qui se trouvait au milieu de la rue. Pour le reste du groupe, vous vous scindez en deux : une partie reste là, on vous appellera pour les constatations, l’autre s’occupe de l’enquête de voisinage.

Elle hésita un instant sur la conduite à tenir. Seulement un mois qu’elle était en poste et c’était la première fois qu’ils avaient un meurtre, ou même un dossier d’envergure. Habituellement, quand une équipe bien rodée arrive sur une scène de crime, il n’y a quasiment rien à dire, c’est une sorte de ballet qui se met en place et chacun sait ce qu’il a à faire. Mais là, ils ne la connaissaient pas, ne savaient pas ce qu’elle voulait et s’ils allaient travailler en confiance. Et pour certains, c’était bien la première fois qu’ils allaient être dirigés par une femme. Deux nouveautés… Nul doute que tout le monde l’attendait au tournant et qu’elle allait devoir faire ses preuves.

Elle trouva un moyen détourné de s’adresser à l’équipe, sans heurter les sensibilités. Elle chercha le regard du plus jeune.

— Isaac, tu viens d’arriver, tu es le « ripeur » comme on dit à la « Crim’ » de Paris. Ce que je veux, c’est savoir tout ce que les gens ont pu remarquer de suspect dans cette rue depuis les dernières semaines. S’ils connaissaient la victime et ce qu’ils savent sur elle. Tu ne dévoiles rien sur la manière dont elle a été assassinée.

— Ça, on ne risque pas, puisqu’on n’en sait rien, railla Gédéon Borane, un brigadier-chef, genre forte tête, un gars dont il valait mieux se méfier.

Elle leva les sourcils et son ton se fit plus sec.

— Ben tant mieux, comme ça, on ne dira pas de conneries qui pourraient orienter les témoignages !

Il n’osa répliquer et elle reprit à l’attention du petit nouveau :

— Tu demandes qui habite dans les maisons. Je veux que tous les gens qui résident dans le coin soient vus. Et tu récupères les identités. Pour ceux qui ont quelque chose d’intéressant, on fera des auditions. Compris ?

— Oui, commandant.

Elle sourit.

— Et tu peux économiser le « commandant ». Si tu y tiens tant que cela, c’est chez eux qu’il fallait aller, fit-elle en envoyant un coup de menton vers les véhicules de la maréchaussée.

Puis les consignes données, elle s’adressa à nouveau à ses adjoints :

— On y va !

Le capitaine Lionel Leroux, le Brestois, était un grand type d’une cinquantaine d’années, un Breton ayant commencé sa carrière à la préfecture de police de Paris. Vingt ans qu’il était à l’antenne de Brest. En prenant la tête du service, Léanne lui grillait la place et elle craignait de s’en faire un ennemi. Pour le moment, tout se passait bien, il donnait l’impression de ne pas en prendre ombrage. Restait tout de même à agir avec doigté pour que cela continue. François Quentric, légèrement plus jeune que Léanne, avait été promu capitaine sur le poste de Quimper l’année précédente. Bien que sous les ordres de la commandant, il jouissait d’une grande autonomie en dirigeant le bureau du Sud-Finistère. Tout le monde disait que c’était un type bien en qui elle pouvait avoir confiance, elle n’avait aucune raison de ne pas le croire. Ancien de la brigade criminelle, ce grand barbu portait beau et il connaissait bien cette région dont il était originaire. Elle aurait besoin de lui pour cette affaire. Il fut le premier à réagir et accrocha le regard de la chef.

— Allez !

Pendant les quelques mètres qu’ils parcoururent ensemble, François prit l’initiative de la suite et Léanne apprécia de ne pas avoir à fixer les rôles.

— Je te laisse te farcir les huiles, pour une fois que je n’ai pas à me les coltiner, c’est aussi bien. Lionel et moi, on s’occupera des constates avec la troupe.

Léanne évalua le groupe qui les attendait et les scinda mentalement en plusieurs catégories : d’un côté les professionnels de la mort, des pompes funèbres aux gendarmes en passant par les services d’urgence ; de l’autre, ceux qui avaient fait le déplacement pour soutenir les petites mains mais aussi, parfois, pour une raison moins avouable : être vus. Elle rangeait dans cette seconde catégorie le représentant de la préfecture et les élus. Et puis il y avait les chefs : elle connaissait Marie Évano, la substitut, et le lieutenant-colonel Erwan Caroff. Pour les élus, François se chargea d’en faire une présentation rapide :

— Celui de gauche, le gros en costard avec la Légion d’honneur, c’est Loïc Prigent, le député du coin, et à côté, la petite jeune en tailleur, c’est la maire, Jeanne Marjean. Ils sont en train de parler avec les journalistes du Télégramme et de Ouest-France.

— Putain, c’est vrai, j’ai déjà eu un journaliste au téléphone, souffla la chef, ils ne perdent pas de temps !

— En plus, un meurtre, c’est toujours bon à prendre, ça n’arrive pas tous les jours dans ce coin…

La substitut les accueillit d’un sourire qui ne risquait pas de décoincer le regard tendu du gendarme. Léanne avait tout de suite eu un bon contact avec Marie Évano. Tout juste trente ans, la jeune femme avait un regard franc. Belle plante à la poitrine agressive, elle cachait un corps sportif sous des allures BCBG. À leur première entrevue, elle avait avoué à Léanne qu’elle avait toujours rêvé d’être flic et qu’elle voulait passer le concours de commissaire de police. Au lieu de cela, sacrifiant à une tradition familiale, elle avait opté pour la justice.

— Bonjour commandant, fit-elle en serrant la main de Léanne, puis elle balança du « capitaine » à Leroux et Quentric en les saluant.

Le lieutenant-colonel économisa le sourire, tout en lançant une poigne ferme à la rencontre de la flic. Elle le connaissait déjà, pour l’avoir croisé durant les réunions préfectorales auxquelles elle assistait. Belle prestance, yeux bleus, cheveux clairs, teint hâlé, elle l’avait jugé « pas mal », sous des allures de mec borné. En lui piquant l’affaire, elle n’allait pas s’en faire un ami…

La magistrate décida de ne pas s’appesantir sur les raisons de son choix en matière de service enquêteur, elle demanda cependant à l’officier de gendarmerie de résumer la situation. Il allait s’exécuter lorsque la commandant remarqua l’attitude des journalistes. Ils n’écoutaient plus les élus que d’une oreille discrète et cherchaient à profiter de l’exposé qu’allait faire l’enquêteur.

À leur grande déconvenue, Léanne proposa de s’écarter de quelques mètres et le colonel commença son récit. Il en ressortait que Gwenaëlle Ledantec, épouse Le Floch, inquiète de ne pas avoir sa mère au téléphone, s’était rendue au domicile familial et y avait découvert le corps de Corentine Ledantec, âgée de quatre-vingt-neuf ans. La vieille femme gisait sur le ventre au milieu du salon.

Les circonstances de la mort n’étaient pas clairement définies, mais il s’agissait, sans aucun doute, d’un meurtre.

— On ne peut pas savoir ce qui l’a tué, mais tout laisse penser qu’elle a été frappée avec un marteau. L’outil ensanglanté a été trouvé non loin du corps. L’autopsie confirmera s’il s’agit de l’arme du crime, précisa le gendarme.

— Le logement a été fouillé ? demanda Léanne.

— Oui, répondit l’officier. Les militaires de Pont-l’Abbé sont intervenus les premiers, ils n’ont fait que des constatations sommaires et ils ont gardé les lieux en l’état. Vous verrez ça par vous-même.

— La fille ?

— Elle s’est présentée à la brigade en état de choc. Quand elle a vu que sa mère était morte, elle a pris peur et elle a fui pour foncer se réfugier chez nous. Elle n’a pas voulu retourner dans la maison. On l’a laissée rentrer chez elle. Un collègue a eu son mari au téléphone, ils vont revenir ensemble à la gendarmerie à quatorze heures trente.

Léanne regarda Lionel, petit signe de la tête, il se tourna dans la direction qu’elle lui indiquait : le véhicule de la Police scientifique se garait. Ses adjoints réagirent aussitôt.

— Je vais m’occuper de ça, déclara le capitaine et il les abandonna.

La flic en revint à la partie représentation et diplomatie. Un truc qu’elle détestait et qu’elle pratiquait depuis peu. « Ça fera partie de votre nouveau job, et j’ai bien compris, en lisant vos appréciations, que ce n’était pas votre fort… », lui avait dit le directeur en la recevant. Il avait d’ailleurs cru bon d’insister avec un « Évitez de m’attirer des emmerdes si vous voulez garder votre place… ».

Le député se rapprocha pendant que la maire s’adressait à la substitut.

— Commissaire, lança le parlementaire.

— Commandant, commandant, fit-elle en attrapant l’éponge qu’il lui tendait.

L’élu la dévisagea. Les yeux glauques et humides poursuivirent assez peu discrètement leur chemin par une évaluation plus globale – l’œil du maquignon évaluant la bête… Il parut satisfait de ce qu’il voyait, une blonde dans un corps ferme et sportif. Il afficha un petit sourire condescendant. Léanne attaqua sec :

— 1,77 m, soixante kilos, 95 C.

Le sourire se figea sur les deux billes d’acier qui soutenaient son regard. Pour plomber l’ambiance, elle n’avait pas son pareil.

L’élu rosit.

— Pardon ?

— J’essaie de répondre précisément à vos questions.

— Je n’ai rien dit !

— Parfois les pensées sont plus bruyantes que les paroles…

— … La P.J. c’est vous ?

La commandant sembla s’amuser de l’avoir déstabilisé.

— Un problème ?

Il toussa dans sa main et la regarda à nouveau, sans pour autant se départir de son air supérieur.

— Pas du tout, je, enfin… Il se mit à parler plus fort… nous, car je pense que je peux associer Madame le maire à cette prière (l’élu se tourna pour chercher le soutien de l’édile et de la magistrate) souhaitons que le ou les auteurs de ce meurtre horrible et crapuleux soient identifiés et interpellés au plus vite, et j’espère que l’on peut vous faire confiance.

La réponse claqua, presque aussi fort que la gifle qu’elle ne lui envoya pas :

— Ne vous inquiétez pas, ce qu’il faut faire sera fait.

— Si vous manquiez de ressources… je crois que votre service est plutôt restreint, question personnel…

Elle le coupa encore plus sèchement, à la limite de la politesse :

— Je demanderais à Rennes de m’envoyer du monde. Des policiers viennent d’ailleurs d’arriver avec des techniciens.

Elle sentait la patte du pandore derrière tout ça.

Et elle en rajouta une couche à l’attention de ce dernier :

— Et de toute manière, ne vous inquiétez pas, s’il le fallait, nos collègues de la gendarmerie se feraient un plaisir de nous apporter leur soutien. Nous sommes tous du même ministère et les petites rivalités police/gendarmerie font partie du passé, n’est-ce pas, mon colonel ?

Témoin jusque-là silencieux, le militaire abonda avec un sourire de faux cul.

— Tout à fait.

— Bien sûr, fit le député. Nous allons vous laisser travailler. Puis il lui tendit une carte de visite en lançant : Tenez-moi au courant du déroulement de l’enquête.

Elle n’eut aucun regard pour le bristol et le fourra dans la poche de sa veste, pas mécontente de voir les autorités lui tourner le dos en entraînant avec eux Marie Évano. Le gendarme, quant à lui, n’avait pas bougé. Il semblait collé au trottoir et la dévisagea. Elle s’était retenue jusqu’à maintenant, elle n’avait pas l’intention de faire autant d’efforts pour un pandore.

— T’as un problème ?

Il hésita.

— On se tutoie ?

— Toi, tu fais comme tu l’entends, mais moi je ne vais pas jouer la danseuse avec un collègue, même gendarme, crut-elle bon de préciser.

Il la toisa d’un air amusé, presque provocant.

— Pourquoi pas ? Je n’ai rien contre le tutoiement. Donc, pour faire court, tu m’as bien baisé sur ce coup-là !

Léanne comprit qu’il n’était pas homme à se laisser facilement impressionner. Elle décida de mettre la charge en bémol.

— Je ne vois pas les choses comme ça. Je n’ai fait que revendiquer des affaires d’importance, histoire de ne pas me coltiner uniquement des dossiers financiers ou des trucs dont vous ne voulez pas. Mais il ne faut pas y voir une déclaration de guerre, je pense qu’il y a du travail pour tout le monde.

— Pas faux !

— Un problème ? hasarda la substitut, en revenant vers eux.

— Aucun, répondit la flic, d’ailleurs, on avait terminé, je vais rejoindre mes hommes pour les constatations.

— Je te suis dans un instant, lança la magistrate.

1. Siège de la Direction Régionale de Police Judiciaire : D.R.P.J.

2. Police technique et scientifique.

3. D.R.P.J.

Chapitre 2

Ce fut encore agacée par la discussion que Léanne enfila la tenue de protection qu’elle compléta d’une charlotte, de gants et de surchaussures. Spécialisée dans les stups pendant de nombreuses années, elle n’avait pas trop l’habitude de ce déguisement. Là où certains voyaient une tenue de cosmonaute, elle avait l’impression de se cacher dans un préservatif géant. Elle s’énerva sur la fermeture de la combinaison avant que la glissière accepte de se fermer.

Elle s’approcha enfin de la maison. Il s’agissait d’un pavillon à un étage, bordé par un jardinet d’une dizaine de mètres de large. L’accès à l’habitation se faisait soit par une porte centrale, desservie par un escalier en façade, soit sur le côté, en passant par la cave puis un escalier intérieur.

Elle prit par l’entrée principale. Un vestibule desservait sur la gauche une cuisine, sur la droite, une salle à manger avec à l’arrière un coin salon, ce fut là qu’elle trouva le gros de la troupe.

Le corps était étendu sur le sol, face contre terre.

Léanne balança un regard interrogateur en direction de Leroux.

— La maison a été sommairement fouillée, ça laisse tout de même une impression étrange, j’ai plus le sentiment que l’on a tout saccagé que cherché quelque chose.

— Une vengeance ?

Il répondit prudemment.

— Je ne sais pas.

— Le ou les meurtriers ont peut-être été dérangés… suggéra François Quentric.

— Peut-être…

Le téléphone de la flic vibra au fond de sa poche, elle pesta en s’agitant encore sur la fermeture de sa combinaison pour accéder à l’appareil. Elle se contorsionna sous les visages hilares des autres flics et les fusilla du regard.

— Ça va, c’est pas le moment !

Évidemment, quand elle eut enfin le fauteur de troubles à la main, il ne sonnait plus, mais le prénom d’Élodie restait affiché.

— La légiste, signifia-t-elle à son entourage.

— Pas trop tôt, remarqua Lionel.

Léanne appuya sur la touche de rappel et ne laissa pas le temps à sa correspondante de prononcer le moindre mot.

— T’es où ?

— Pas loin, mais j’ai eu des embouteillages ! Il y a eu un accident sur la quatre-voies. Moi, je n’ai pas de boîte à musique ni de lumière bleue pour dépasser tout le monde…

— Dépêche-toi, on t’attend.

— Dis-moi, cocotte, tu pourrais avoir un peu plus de respect pour une experte. T’en as pas beaucoup qui se déplacent comme moi sur les scènes de crime ! J’arrive, le GPS m’indique dix minutes.

— Tu mets le GPS ? Tu dois pourtant connaître la route par cœur, non ?

— C’est vrai ! Toute notre jeunesse, tu te souviens ?

La flic soupira et secoua légèrement la tête.

— Je dois t’avouer que je n’ai pas eu trop le temps d’y penser. Ici, on a suffisamment à s’occuper. Allez, tâche de le faire mentir ton GPS et rapplique fissa !

Elle raccrocha avec un petit sourire sur les lèvres et releva la tête vers ses collègues.

— Elle n’en a plus pour longtemps, qu’est-ce que t’as noté d’autre ?

François siffla :

— Tu la connais bien !

Le visage de Léanne s’illumina.

— Nous sommes des amies d’enfance. J’ai passé mon adolescence à Brest.

Le capitaine lui renvoya un sourire.

— Tu n’es pas bretonne mais presque, alors ?

— Disons que j’ai de bons souvenirs dans la région et je suis ravie de retrouver mes copines. Je n’étais pas revenue depuis plus de vingt ans.

Lionel les coupa :

— De belles traces de pompes… fit-il en montrant du doigt des marques sur le sol.

Effectivement, quelqu’un avait littéralement pataugé dans le sang.

Il s’agissait d’une semelle caractéristique formant un enchevêtrement de lignes horizontales et perpendiculaires.

— Des bottes ? demanda la commandant.

— Mmoui, peut-être, ou des chaussures de travail, un truc en caoutchouc…

— 42 ? évalua Léanne.

— Et demi, intervint un technicien de scène de crime, j’ai pris les photos.

— Parfait, apprécia la flic en se retournant vers le brouhaha extérieur.

Bruit de moteur, claquement de portière. Élodie Quillé arrivait.

Elle était presque déjà équipée, Léanne la vit finir d’enfiler les sur chaussures et les gants avant de faire disparaître avec difficulté une opulente tignasse rousse sous sa charlotte. Sourire malicieux sur des yeux verts et des taches de rousseur.

L’experte fit son entrée, suivie de Marie Évano.

— Messieurs de la police… Mon commandant !

Elle embrassa Léanne et fit un petit salut amical aux autres.

— Voilà ma patiente, lança la légiste. Je peux ? demanda-t-elle en s’approchant.

— Oui, pas de problème, répliqua Lionel, on a pris les photos et les constatations à proximité sont effectuées.

— Allons-y alors, fit-elle en s’agenouillant près de la victime. Un moment qu’elle nous attend là ! remarqua la jeune femme.

— C’est sa fille qui l’a découverte. On ne sait pas quand elle est morte, coupa Léanne.

— J’en dirai un peu plus à l’autopsie mais, à mon avis, cela fait une bonne semaine, répondit Élodie. Il n’y a plus aucune rigidité cadavérique et elle commence à cocoter sérieusement.

La qualité que les flics appréciaient le plus chez Élodie, outre sa disponibilité absolue à les rejoindre sur des affaires et ce, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, c’était son franc-parler. L’experte avait l’art de la vulgarisation.

La médecin porta son attention sur le crâne de la victime et fouilla la chevelure.

— On a trouvé ça, précisa Lionel, en montrant un marteau ensanglanté.

Le regard d’Élodie fit un aller-retour entre l’outil et les blessures.

— Oui, il y a de bonnes chances que ce soit l’arme du crime. Vous m’aidez à la retourner ?

Le flic s’accroupit à côté de la spécialiste et, quelques secondes plus tard, la victime leur faisait face. Une odeur pestilentielle les submergea, certains policiers affichèrent un air dégoûté. Bien qu’habitués, ils ne se trouvaient pas tous les jours en présence de cadavres. L’antenne n’en avait qu’une demi-douzaine par an à traiter et certains fonctionnaires n’en voyaient quasiment jamais. Leur réaction ne passa pas inaperçue à la légiste. Elle vérifia que sa copine tenait le coup, fut plutôt contente de l’attitude de Léanne et s’amusa des autres :

— Ha, vous voilà dans la réalité de mon monde !

Le visage était entièrement nécrosé, pire, la vermine faisait déjà son apparition.

— Ces petites bêtes aiment bien la chaleur et l’humidité. Pour l’eau, elles sont gâtées dans notre région. Et maintenant, en plus, il fait beau.

C’était la première fois que Léanne voyait Élodie dans un cadre professionnel. Elle en sourit mentalement. La grande gueule au rire envahissant qu’elle avait connue durant les années lycée, était bien la même ! Elle aimait toujours faire la maligne devant un parterre masculin, et ce fut en spectatrice que la flic apprécia la suite de la prestation, tout en focalisant sur les conclusions. Pour le moment, on naviguait dans le flou. Vu l’état du corps, seule l’autopsie permettrait d’en savoir réellement plus. Les coups portés à la tête pouvaient fort bien avoir entraîné la mort, ce serait à établir. D’autres violences ? Peut-être, mais rien de flagrant à première vue…

— Vous voulez la déshabiller ?

Ce fut François Quentric, l’ancien de la Criminelle parisienne, qui répondit :

— Tu sais bien que oui. J’ai mes habitudes.

— Vous auriez pu changer d’idée avec une nouvelle chef, s’amusa Élodie. Alors, allons-y…

Des sacs en papier firent leur apparition et Léanne se rapprocha pour aider, pendant que le photographe s’apprêtait à prendre les clichés et Lionel des notes. Le corps frêle de la victime n’opposa aucune résistance à cette opération.

En quelques minutes, elle fut débarrassée du peu de vêtements et de sous-vêtements qu’elle portait. Des habits simples, aucune marque connue. Lionel et Léanne les examinèrent un à un, poches vides, aucun tissu déchiré, rien qui ne puisse témoigner de violence.

— Tout est sec, on pourrait presque les placer sous scellés comme cela, remarqua Lionel en les récupérant pour les empaqueter.

Quand ils en eurent terminé, le fait de se retrouver avec cette vieille femme assassinée, reposant maintenant nue sur le parquet du salon, leur imposa naturellement un moment de silence respectueux. Il leur appartiendrait de ne pas laisser ce crime impuni. Les policiers libérèrent les environs immédiats du corps pour l’abandonner à nouveau à Élodie. L’examen fut relativement rapide.

— Je ne vois aucune marque suspecte mais je préciserai tout cela à l’autopsie.

— Des violences sexuelles ? demanda François.

On confirmerait également cela plus tard.

— Finalement, tu ne sers pas à grand-chose, railla Léanne.

La toubib releva les yeux vers elle.

— Je ne voudrais surtout pas faire l’enquête à ta place, ma chérie ! Elle regarda l’heure. Comme je suis là, je vais en profiter pour aller voir ma tante qui habite à côté, tu te souviens d’elle ?

— J’y pensais sur la route.

— Et à midi, tu te feras un plaisir de m’inviter à manger au Bistrot du Bac. Puisque tu m’as fait venir, tu vas prendre soin de ton experte…

Léanne hésita.

— T’inquiète pas, tu trouveras, c’est connu, je t’y attends à… disons, douze trente.

La commandant regarda ses adjoints, puis le reste de sa troupe et rosit légèrement.

— J’ai du travail, je ne sais pas si je vais pouvoir.

— T’es la chef ou pas ? Lionel et Marc se débrouilleront très bien sans toi et puis cela donnera l’occasion à l’équipe de dire un peu de mal de toi, n’est-ce pas, les garçons ?

Elle reçut deux sourires d’approbation en retour et Léanne passa à la couleur pivoine.

— Tu vois que j’ai raison, tu viendras aussi ? demanda Élodie à l’attention de la substitut.

— Malheureusement non. Mon procureur de chef m’attend, répondit Marie Évano, et moi, je n’ai pas d’adjoints.

— Très bien, je vous laisse travailler, fit l’experte en se débarrassant de ses gants. Vous confirmez qu’il y aura autopsie ? dit-elle, toujours à l’attention de la substitut.

— Évidemment, et…

— Je sais, en urgence, comme d’habitude. Je vous fais ça demain matin, ça vous va ?

— Parfait.

Deux minutes encore, et la légiste disparut.

— Je ne savais pas que vous vous connaissiez si bien, remarqua Marie Évano.

Léanne y alla de nouvelles explications :

— Je ne suis pas bretonne mais j’ai passé une partie de ma jeunesse dans le coin. Mon père était militaire, il a été en affectation à Brest, j’étais au lycée avec Élodie ainsi que Vanessa Fabre.

— La psy ?

— Oui, on était inséparables. C’est autant pour les retrouver que pour prendre du grade que j’ai choisi cette région.

— C’est amusant, apprécia la substitut, avant d’en revenir à l’affaire et d’adopter un ton plus grave. Vous avez bien noté que le fait que je vous laisse ce dossier ne fait pas que des heureux. Je compte sur vous pour qu’on ne puisse pas contester ma décision. Votre crédibilité et, par là même, la mienne dépendent du résultat de votre enquête…

— N’ayez crainte, j’ai bien compris tout cela et je vous remercie de la confiance que vous accordez à l’antenne, lui renvoya Léanne. Je ne sais pas ce que nous trouverons, mais soyez certaine que vous n’aurez pas à regretter votre choix. On va mettre le paquet.

Évano laissa échapper un sourire rassuré.

— J’en suis persuadée. Je vous laisse travailler, tenez-moi informée du résultat de vos constatations et de la suite…

Léanne plissa les sourcils et envoya un regard complice à ses capitaines.

— Je compte sur vous pour qu’on ne perde pas la face…

— T’inquiète pas, on va faire ce qu’il faut ! lui renvoya Lionel.

Ils furent interrompus par les agents des pompes funèbres, quatre types au visage fermé, à croire qu’ils faisaient partie de la famille de la victime. Ce n’était qu’une façade professionnelle. Celui qui faisait office de chef d’équipe ne s’embarrassa pas de détails.

— On peut l’embarquer ? fit-il en tapant de l’index sur sa montre. On a une inhumation dans une heure et le chef nous attend.

Léanne demanda l’avis de François et Lionel, et ce fut ce dernier qui se chargea de répondre :

— Allez-y !

Pendant cette opération, le regard de la commandant s’attarda enfin sur l’environnement.

On était dans le vintage ! Elle naviguait dans un monde antérieur qui sonnait étrangement familier : le logement d’une mamie. Un mélange de mélancolie, entre des images évoquant un passé révolu, entouré de vivants et de jeunesse, et un emballage à foutre le cafard : murs et plafonds recouverts d’un papier peint jauni, au décor floral d’un autre temps.

Des meubles massifs en chêne foncé sculpté, posés sur des tapis, accentuaient l’obscurité maintenue par les volets mi-clos. Des bibelots sans âme dormaient sur des napperons en dentelle.

Léanne proposa :

— Si l’on a fini avec les photos et les premières constatations, on pourrait peut-être ouvrir les fenêtres pour continuer ?

— Pas une mauvaise idée. En plus, ça chassera l’odeur, considéra Lionel.

Ils poursuivirent ainsi leurs opérations. Un peu plus d’une heure plus tard, lorsque la commandant jugea qu’ils étaient au bout de leur tâche, elle regroupa son équipe autour d’elle.

— On a autre chose que les traces de pas ?

Un fonctionnaire de la scientifique les interrompit pour prendre part à la discussion :

— J’ai relevé de nombreuses empreintes différentes, je regarderai ça ce soir. Pour les prélèvements ADN, vous vous chargerez de les transmettre à la PTS4 d’Écully.

Un enquêteur les rejoignit.

— À la cave, tout est poussiéreux, à l’exception de quelques bouteilles de vin. Il y a eu une livraison récente.

— À vérifier, lança Léanne alors qu’arrivaient Isaac et les policiers qui s’étaient occupés du voisinage.

La commandant apostropha le jeune homme :

— Alors, le ripeur, tu nous rapportes quelque chose ?

— Elle avait une vie tranquille. Sauf que j’ai trouvé les voisins un peu, comment dire… bizarres au sujet de notre victime. Tout le bien qu’ils en disaient sonnait un peu faux. J’ai donc passé mamie dans nos fichiers.

— Ne me dis pas qu’elle était une délinquante.

— Une délinquante, non. Une chieuse, oui. Elle a dû déposer une plainte contre tous ses voisins. Cela va du stationnement gênant en passant par les déjections canines, le tapage nocturne etc. etc.

— De là à la tuer à coups de marteau…

— Ça peut énerver, assena Lionel, on pourrait taper une perquise chez tout le monde, on retrouverait peut-être la même semelle.

— C’est une décision qui demande un peu de réflexion. Attendons les relevés ADN. On en reparle plus tard.

Léanne s’adressa à nouveau à Isaac :

— Tu as entendu l’ensemble du voisinage ?

— Quasiment.

— « Quasiment », ça ne veut rien dire ! Tu les fais tous et tu y retournes pour demander où elle commandait son vin.

— Et la fille ? demanda Lionel.

— Je vais m’en occuper dans l’après-midi. Je ne voudrais pas être seule et j’ai une petite idée, lança Léanne sur un ton mystérieux.

— Tu m’expliqueras ?

— Évidemment.

La chef jeta un œil sur sa montre.

— En attendant, on va manger.

— Et la maison ? coupa Lionel.

Léanne lui renvoya des yeux ronds.

— Quoi, la maison ? Elle ne va pas s’envoler…

— C’est une scène de crime, on apposera les scellés, mais tu dois revenir avant avec la fille, pour finir les constatations.

Léanne dut admettre qu’il avait raison et qu’elle n’avait pas pensé à ça.

— Il faut que quelqu’un reste jusqu’à notre retour ?

— Ben oui, fit Lionel en regardant ostensiblement Isaac.

Le jeune garçon rougit.

— J’ai compris !

4. Police Technique et Scientifique.

Chapitre 3

La jeune femme déposa son mug et dévoila deux grands yeux noirs que cachait son épaisse chevelure brune. Dans l’attente de prendre les premières notes dans le cahier ouvert devant elle, elle se mit à faire tourner son stylo dans sa main droite.

— Cela fait maintenant dix jours que vous êtes sorti de prison ?

— Oui, c’est bien cela.

— Comment ça va avec votre employeur ?

— Bien, pas de problème, je crois qu’il est content de moi, j’arrive à l’heure, je reste un peu plus tard s’il le faut et je m’entends bien avec mes collègues. J’attends avec impatience la première paye.

Elle sourit, bloqua le stylo et fit glisser la bille sur le papier.

Assis en face de lui, son patient, ou client, elle se demandait parfois comment les appeler, approchait la cinquantaine. Des mains comme des battoirs terminaient une belle carcasse forgée dans la salle de musculation des maisons d’arrêt. Un visage anguleux, taillé à la serpe, des cheveux noirs et des yeux sombres. Tout en lui exhalait la dureté.

— Et le logement, ça va ?

— Grâce à l’aide sociale, j’ai obtenu une petite chambre meublée, pas terrible, j’essayerai de trouver mieux quand je pourrai.

Elle nota encore.

— Vous ne pouviez pas aller chez des proches ? Je vois dans votre dossier que toute votre famille habite Penmarc’h.

La réponse claqua :

— Non, c’est interdit par le juge des libertés. J’ai violé ma mère et mes deux sœurs.

Une chape de silence suivit cet aveu. Vanessa se mordit légèrement les lèvres, le stylo s’immobilisa sur le papier.

Une des bases de son métier de psychologue : ne jamais laisser l’impression d’être surprise. Depuis qu’elle travaillait pour le ministère de la Justice, des horreurs, elle en avait entendu de toutes sortes. À cet instant précis, ce qui la dérangeait le plus n’était pas tant l’importance du crime commis par cet homme. D’autant qu’entre son prédécesseur qui avait jugé bon de traiter sa femme au fer à repasser parce qu’il la soupçonnait de le tromper et celui de l’après-midi qui avait découpé ses enfants avant de les donner à manger aux chiens, le client du moment faisait presque gentil. Le souci était qu’elle n’avait pas étudié son dossier en entier et qu’elle le recevait seule dans son bureau. Les collègues venaient de partir déjeuner. Ils lui avaient pourtant proposé de rester, mais non, elle avait fait la fière. Il est vrai que, jusqu’à maintenant, il n’y avait jamais eu de problème. Elle releva la tête et planta ses yeux dans ceux de son interlocuteur.

— J’espère que vous respectez l’obligation de ne pas les approcher. Vous avez encore des amis dans la ville ?

Il la jaugeait. La réponse tarda, l’ambiance passa à l’électrique.

— Des amis, non, je connais un peu de monde, mais ça va, je suis calme. J’ai un principe, celui de ne pas chercher les embrouilles. Par contre, si on insiste…

Elle eut l’impression de voir les biceps se gonfler sous la chemise et une lueur mauvaise illuminer les yeux du violeur. Ce fut à ce moment que le téléphone vibra sur la table de travail. Le nom d’Élodie Quillé s’afficha. En règle générale, elle n’aurait pas décroché, mais là, elle eut le sentiment qu’il s’agissait d’une bouée de sauvetage, elle répondit à son amie.

— Vanessa, c’est bien aujourd’hui que tu bosses à Quimper ?

— Oui, j’ai fini, je vous rejoins tout de suite à la cafétéria d’à côté. Tu as oublié tes clés ? Tu vas revenir les chercher ? Je te les apporte. De toute manière, j’ai terminé, fit-elle en faisant glisser sa chaise en arrière.

Étonné, l’homme se releva à son tour.

À l’autre bout, passé un instant de surprise, Élodie parla plus fort.

— … ??? Tu as un problème ?

— Un instant, fit-elle.