Mortels déclics - Pierre Pouchairet - E-Book

Mortels déclics E-Book

Pierre Pouchairet

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Beschreibung

Noélie, Jérémy, Ludovic et Hakim, amis depuis l’enfance, montent à Saint-Malo des cambriolages de maisons bourgeoises grâce à Jérémy, hacker à qui aucune alarme informatique ne résiste. En découvrant une réserve d’argent et de la drogue, dont le propriétaire n’est autre que Nino Braghanti, trafiquant international écroué à la nouvelle prison de Muret près de Toulouse, les apprentis voleurs mettent les pieds dans un engrenage infernal.
Les hommes du mafieux ne tardent pas à les retrouver et à prendre conscience de l’intérêt des compétences de Jérémy.
Pour arrêter les malfaiteurs et délivrer les jeunes avant qu’il ne soit trop tard, Léanne et son équipe vont se lancer dans une course contre la montre de Saint-Malo à Toulouse en passant par Nantes et Perpignan…


Action, suspense, cette 9e enquête des Trois Brestoises est la suite de "Mortels Trafics", Prix du Quai des Orfèvres 2017, porté à l'écran par le célèbre réalisateur Olivier Marchal (sortie du film fin 2022)…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Pierre Pouchairet s’est passionné pour son métier de flic. Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l’Afghanistan, la Turquie, le Liban…
Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s’est lancé avec succès dans l’écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 ( Mortels Trafics) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 ( La Prophétie de Langley). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec Tuez les tous… mais pas ici.

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Couverture

Page de titre

Suivre l’auteur :

Site web : www.pierrepouchairet.com

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Pierre Pouchairet est membre du collectif

L’assassin habite dans le 29

Facebook : L’assassin habite dans le 29

Email : [email protected]

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Vallauri-Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016 et qui a déjà séduit plus de 120 000 lecteurs.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Note de l’auteur

Il est inutile de chercher la nouvelle prison de Muret mentionnée dans ce texte. Bien qu’elle soit prévue par l’administration pénitentiaire, elle n’existe pas encore. Si le projet voit le jour, elle devrait se trouver en bordure de la route départementale 3, en direction de Labastidette (à l’ouest de Muret). Sa capacité d’accueil de plus de 1000 personnes, dont 615 détenus, en ferait l’un des sites carcéraux les plus importants de France. Coût du projet : 100 millions d’euros.

Sa conception telle que mentionnée dans le livre n’est que le fait de l’imagination de l’auteur.

Chapitre 1

Maison d’arrêt de Perpignan.

Couché sur son lit à barreaux, bien qu’il ait la réputation d’être un dur, le sexagénaire était au bord du malaise. Depuis bientôt une heure, si ses doigts étaient sujets à de légers tremblements et si une veine bleue barrait son cou au rythme du battement de son cœur, ce n’était pas dû à une consommation excessive de café ou d’alcool. Ça n’allait pas. L’attente devenait insupportable.

Il regarda une nouvelle fois sa montre. L’oreille aux aguets, tel un animal qu’on traque, il était attentif au moindre mouvement extérieur. Rien. Et puis, il lui sembla entendre un claquement métallique… Des pas.

Le bruit dans le couloir se rapprocha. Le cœur de l’homme monta encore dans les tours. Des coups furent frappés à la porte.

— Je viens vous récupérer dans cinq minutes.

Le détenu n° 6 vida ses poumons. Cette voix, il la connaissait bien, c’était celle du maton qui s’occupait de son quartier. Un fonctionnaire à sa botte, un type dont il avait acheté les services sans grande difficulté. Quand on a quatre gosses, un salaire de misère dont on a l’habitude d’abandonner une partie au PMU, tout ce qui peut arrondir les fins de mois est une aubaine, ou pas… Ces avantages reçus à domicile envoyaient un autre message : « On sait où tu habites. » Comme d’autres, en acceptant des enveloppes et de petits cadeaux pour sa famille, le gardien avait mis les doigts dans l’engrenage. Il était devenu un des obligés de Nino Braghanti. Le trafiquant de drogue était incarcéré dans le cadre d’une mise en examen qui pouvait lui valoir une bonne vingtaine d’années de prison, voire plus. Il était pourtant discret, tout le monde le croyait retiré des affaires jusqu’à ce qu’il soit interpellé et fasse la une des gazettes, révélant ainsi qu’il était à la tête d’une organisation criminelle coupable de toutes sortes de trafics. Il s’agissait là de plusieurs importations de centaines de kilos de cocaïne partis du Mexique à destination de la France, via l’Espagne. Une affaire à résonance internationale. Le retentissement ne tenait pas tant à la dernière saisie de trois cents kilos de came, somme toute modeste au vu de l’explosion du marché, qu’au nombre de policiers tués par les malfaiteurs en Espagne et en France. Tout cela lui valait d’être poursuivi par plusieurs magistrats, de Nice à Toulouse en passant par Perpignan.

Dans moins d’une heure, si tout se passait bien, il serait libre. La maison d’arrêt de Perpignan, où il était détenu, était bâtie sur le modèle de bon nombre d’établissements construits dans les années 80. C’était encore propre, mais surpeuplé. Prévue pour un maximum de deux cents détenus, il y en avait le double. Les syndicats comme l’ordre des avocats avaient dénoncé ce qu’ils estimaient être des conditions indignes. Il y avait parfois jusqu’à quatre prisonniers à s’entasser dans une cellule de neuf mètres carrés. Sur ce plan, Braghanti n’avait pas à se plaindre. Compte tenu de son statut de prisonnier de haut vol, ils n’étaient que deux. L’administration n’avait pas voulu qu’il cohabite avec d’autres voyous. Elle lui avait trouvé comme compagnon un pauvre type qui avait juste bu un apéro de trop. Un soir de pot organisé par son boulot, en rentrant chez lui, le bon père, employé de bureau modèle, s’était rendu responsable d’un carambolage dans lequel une mère de famille et son jeune fils avaient perdu la vie. Terrorisé, il avait tenté de s’échapper avant d’être interpellé à son domicile par la gendarmerie. Condamné à trois ans de prison, il purgeait sa peine dans la même cellule qu’un des plus gros trafiquants de France. Braghanti l’aimait bien. On a beau être une crapule, on peut avoir du cœur. Il aurait pu se servir de lui, exiger que durant les parloirs il fasse passer des trucs, du courrier ou des puces téléphoniques. Il ne l’avait jamais sollicité.

Une seule consigne.

— Si tu rapportes quoi que ce soit que tu vois ou entends de ma part, tu es mort et il en sera de même de ta famille.

Tout cela avait été dit avec le ton et le regard de fou qui caractérisaient le mafieux. Il savait être crédible et avait la certitude que le message était passé. Il n’aurait pas d’ennuis de ce côté-là. Dès lors, le trafiquant ne se gênait pas, il communiquait librement et ne cachait rien de ses projets. Son voisin ne le jalousait même pas. Il ne restait à ce dernier que trois mois à faire. Il n’avait ni les moyens ni la carrure nécessaire pour se mettre en cavale, et encore moins intérêt à le faire. Ce n’était pas le cas de Braghanti. De son côté, tout était prêt et mûri de longue date. Sitôt dehors, le trafiquant allait foncer en Espagne avant de prendre la fuite vers le Mexique ou le Venezuela. On n’irait pas le chercher là-bas. Il se redressa d’un bond, laissa ses jambes tomber sur le sol et s’assit sur son lit pour pianoter sur le clavier de son portable. Des échanges anonymes. Même s’il utilisait Threema, un système suisse garantissant des communications sécurisées et dont on lui avait dit grand bien, il estimait qu’on n’était jamais assez prudent. Dans son métier, la moindre erreur pouvait être fatale. D’ailleurs, c’est bien ce qui l’avait amené là où il se trouvait. Lui qui était à la tête d’une des plus importantes organisations mafieuses d’Europe s’était fait baiser par un flic infiltré. Comment avait-il pu donner sa confiance à cette vermine ?

Il n’y avait pas un jour, une heure, une minute où il n’y pensait pas.

Les pas résonnèrent de nouveau pour s’arrêter devant sa cellule. Cette fois, ils furent suivis d’un bruit de serrure. Après plusieurs claquements métalliques, la porte s’ouvrit sur le gardien. Le fonctionnaire en tenue afficha une attitude plus déférente que s’il s’adressait à son directeur.

— Vous êtes prêt ?

Braghanti ne répondit pas.

Il prit appui sur ses jambes et se redressa.

— Minute. On part comment ?

— Avec une navette de chez nous. Vous serez seul.

Un coup d’œil dans le miroir, le voyou se trouva une sale gueule. Même si globalement la vie était plus saine qu’à l’extérieur, pas d’alcool, des repas dignes d’un centre hospitalier et un peu d’exercice physique, la taule ne lui réussissait pas. Il avait pris du poids et un teint de craie. Vivement le soleil, la mer, du fric et la liberté ! Il passa une veste de survêtement, termina de lacer ses chaussures et envoya un regard sur les murs des quelques mètres carrés dans lesquels il vivait depuis maintenant six mois. Non, il ne pouvait pas rester dans ce trou, il ne se voyait pas mourir en prison.

Il se planta devant son collègue. Le chauffard était en train d’écrire. Depuis qu’il était incarcéré, ce type n’arrêtait pas de gratter du papier, à tel point que Braghanti avait fini par le surnommer « Le romancier ». À la sortie, il rédigerait un livre. En attendant, chaque jour il y allait d’une lettre à chacun de ses enfants : des mouflets joufflus et laids dont il avait placardé les photos autour de son lit. Pareil pour sa femme ; celle-là, c’était une caricature de mère au foyer à la bouille dégoulinante d’amour et de bons sentiments. L’écrivain releva la tête et lui sourit, une sorte d’encouragement qu’il devait penser vouloir dire « bonne chance ». Un minable ; ce type faisait partie de l’engeance des « nazes ». Braghanti avait déjà dans l’idée qu’il faudrait s’occuper de son cas lorsqu’il sortirait de prison. Dans le temps, un gars comme ça était un danger. Nul doute qu’il oublierait ses promesses et qu’il parlerait aux flics. Même s’il en savait peu, ce type pourrait prononcer des noms, des prénoms, rapporter des trucs qu’il avait pu voir et entendre. La prudence commandait de l’éliminer. Il faudrait qu’il ait un accident ou un malaise cardiaque.

Sur ces bonnes résolutions, le trafiquant lâcha tout de même un « Salut » avant de disparaître. Après avoir satisfait aux formalités, le détenu termina dans un vaste sas où l’attendaient ses gardiens. Il s’installa à l’arrière du fourgon pénitentiaire, un Kangoo sérigraphié. Les agents du personnel d’escorte allaient se charger de l’accompagnement. Si les premiers jours il avait eu droit à des fonctionnaires du RAID pour l’encadrer, avec le temps les mesures de sécurité s’étaient relâchées. L’administration avait dû le déclasser en termes de dangerosité. Son ego de voyou en avait pris un coup, mais, en même temps, c’était plutôt une bonne chose. Ça allait faciliter la suite.

Le camion démarra. Il faisait froid, mais c’était une belle journée, comme il y en a tant dans le Midi. Le soleil déversait ses rayons sur la ville, Braghanti plissa les yeux lorsque l’avant du véhicule émergea sur la chaussée. Le trafiquant savait que, par mesure de sécurité, le circuit emprunté par les fourgons variait d’une fois sur l’autre. C’était toujours une surprise. Seuls le départ et l’arrivée au palais de justice ne pouvaient souffrir de changements. C’est à un de ces moments que ses complices devraient agir.

Braghanti se concentra sur ses accompagnateurs. Encore un signe qu’on ne le prenait plus pour une terreur, ils étaient au nombre de quatre, dont deux femmes. L’une d’elles était en passager avant, la seconde était assise à sa droite ; à sa gauche un homme et l’autre au volant. Si les filles étaient des trentenaires à l’allure sportive, ce n’était pas le cas de leurs collègues masculins, des types en préretraite, teint rougeaud et gras du bide. Quant à l’armement létal, il était réduit à un pistolet automatique par fonctionnaire. Ils ne devraient pas poser trop de problèmes.

*

Carl Irgoun, dit « le Turc », et ses hommes avaient dormi dans un Formule 1 situé non loin de la maison d’arrêt, le long de la rocade et de la Catalane, l’autoroute E15. Ils s’étaient arrangés pour mettre en panne les circuits vidéo de l’hôtel et avaient utilisé pour le paiement une carte Visa enregistrée en Turquie sur un compte ouvert avec de faux documents. Avec ce genre de précaution, ils n’étaient pas remontables. Depuis six heures du matin, ils étaient en surveillance devant la taule ainsi que dans le centre de Perpignan où se trouvait le palais de justice. Après plusieurs semaines de repérages, Irgoun connaissait presque mieux la capitale de la Catalogne française qu’Istanbul dont il était originaire. Quand on lui annonça l’ouverture des portes de la prison, il attrapa ses jumelles et, de l’arrière du fourgon qui lui servait de planque, se focalisa sur les occupants du véhicule. Il s’agissait bien de la voiture du service affectée au transport des détenus, un Kangoo sérigraphié. Comme prévu, le patron était à l’arrière.

Il reconnut les matons qu’il avait déjà repérés lors d’autres transferts. Pour les juger, il faisait confiance à son instinct. Si la rouquine assise à l’avant, avec son visage émacié et ses yeux d’un bleu perçant, lui inspirait de la méfiance, ce n’était pas le cas du reste de l’équipe, loin de ressembler à des guerriers. Méticuleux, le Turc et sa bande avaient observé et même filmé le groupe de fonctionnaires à plusieurs reprises. Il connaissait les identités et parfois les adresses de certains. Qu’il avait obtenues soit par d’autres matons qu’ils soudoyaient, soit par l’avocat de Nino, soit encore par leurs surveillances en suivant ces hommes et ces femmes lorsqu’ils quittaient leur lieu de travail pour rentrer chez eux. Il avait hésité à les corrompre par l’argent ou la menace. Le risque d’en avoir un qui pourrait balancer ou qui le dénoncerait l’avait persuadé que cette idée était trop dangereuse. Irgoun prit sa radio.

— On se colle derrière !

*

Nino ignorait ce qu’avaient prévu ses hommes. Lors d’un parloir, sa compagne lui avait seulement dit qu’ils agiraient au moment de sa prochaine audition chez le juge d’instruction. Pour le reste, même s’ils avaient bien échangé quelques infos par téléphone et Internet, il n’en savait pas plus. Tout lui confirmait que son équipe était prête, mais quand on vit dans la crainte d’être sur écoute et quand on est obligé de coder ses messages, les certitudes prennent la couleur de suppositions. Il avait les nerfs à fleur de peau.

— Ça ne va pas ? demanda, goguenard, le garde flanqué à ses côtés.

Braghanti tourna la tête vers le fonctionnaire, plissa les lèvres et répondit sur un ton méprisant :

— Si. Pourquoi ? Tu t’intéresses à ma santé ? T’es docteur ?

— Non, je ne suis pas médecin, mais vu le tremblement de tes mains, soit t’as des problèmes de tension, soit ton entretien avec le juge te fait rudement peur.

Le gardien s’esclaffa :

— Remarque, je te comprends, si je devais faire trente ans de trou, je serais peut-être comme toi !

Le voyou n’eut pas l’occasion de répondre. Ils abordaient la rue Victor-Dalbiez quand le chauffeur donna un violent coup de volant sur le côté et pila pour laisser passer un puissant 4x4, alors qu’un véhicule arrivait en face.

— Putain, regarde-moi ce con ! T’es pressé, abruti ? Ce type est cinglé !

Le tout-terrain devait rouler à près d’une centaine de kilomètres-heure. Après un second dépassement, tout aussi aventureux, il disparut dans la circulation.

Les bras du conducteur se mirent à trembler.

— Il m’a fait peur, cet imbécile ! On vit dans une région de dingues. Avec une grosse bagnole comme ça, je suis certain qu’il s’agit de gitans ou de connards qui ont dû la voler. Dommage qu’on n’ait pas réussi à noter la plaque.

Assise à l’avant, Éléonore se crispa.

À la différence de ses camarades, elle était sur le qui-vive. Les autres la jugeaient parano et se moquaient souvent d’elle, quand ils ne mettaient pas en doute son professionnalisme en la prenant pour une couarde. Lorsqu’elle leur disait que la routine était le pire des ennemis, ils raillaient sa jeunesse et son manque d’expérience. Les critiques les plus raffinées consistaient à lui conseiller de se trouver un mec et de baiser pour calmer ses angoisses. Ambiance.

Le gardien à l’arrière, la parfaite grande gueule, trouva moyen de brancher le chauffeur.

— Heureusement que t’as pas cartonné. T’as déjà eu un accident le mois dernier, la directrice t’aurait pas raté. T’étais bon pour un avertissement.

— Mais vous êtes témoins, j’y étais pour rien !

— Tu crois peut-être que ça aurait changé quelque chose ?

Le silence se fit, le Kangoo reprit sa route. Au niveau du lycée Sainte-Louise de Marillac, Éléonore s’intéressa à un véhicule qui sortait du centre commercial Leclerc avec trois hommes à bord. Elle se pencha vers l’intérieur de l’habitacle, de manière à avoir un accès visuel sur le rétroviseur extérieur. Un second 4x4 les suivait. Elle n’aimait pas ça, mais elle préféra ne rien dire. Elle releva les yeux vers la route. Ils longeaient maintenant l’école maternelle Édouard-Herriot sur leur gauche et un parking de l’autre côté. C’est là, à proximité d’une intersection, qu’elle remarqua le chauffard qui les avait doublés. Elle se crispa, chercha son pistolet et hésita une seconde de trop pour avertir leur conducteur.

— Atten… !

Le tout-terrain les éperonna par la droite au niveau du bloc-moteur. Ils valdinguèrent sur la voie inverse de circulation. Le pare-brise et les vitres latérales explosèrent en projetant des éclats sur les passagers. Le fourgon termina sa course contre des grilles métalliques. Ils étaient pris en tenaille par au moins deux véhicules à l’arrière et pareil à l’avant. Un homme armé d’un fusil d’assaut apparut. Bien campé sur ses deux jambes, il s’immobilisa face au Kangoo et aligna le chauffeur. Deux balles le clouèrent sur son siège. Un jet de sang éclaboussa l’habitacle. Sonnée par le choc, face contre le tableau de bord, Éléonore ne bougeait pas. Dans une brume ouatée, elle entendit les portes arrière s’ouvrir. Ses collègues furent arrachés de leur siège pour libérer la sortie de Braghanti. Le voyou hurlait :

— Crétin, t’aurais pu me toucher en déglinguant le chauffeur !

Une autre voix demandait :

— Qu’est-ce qu’on fait de ceux-là ?

Une autre encore, qui n’était pas celle de Braghanti, répondit :

— Butez-les !

Une décharge d’adrénaline explosa dans les veines d’Éléonore. Sans savoir où se trouvaient précisément ses adversaires, son regard s’arrêta sur le tapis de sol. Le pistolet qui lui avait échappé au moment de la collision était là, juste devant ses yeux, à portée de main. Elle décida de jouer le tout pour le tout, son avantage était d’être gauchère. Elle ramassa l’automatique en même temps qu’elle repoussait sa portière du bras droit. Une chance, elle s’ouvrit. La jeune femme se rua à l’extérieur en créant la surprise. Elle vit tout d’abord un voyou qui s’apprêtait à abattre sa collègue. Il changea de cible. Trop tard, Éléonore fut la plus rapide, son arme cracha deux balles. Le malfaiteur s’écroula. Elle avait face à elle Braghanti. Debout, encore menotté, il allait s’échapper en direction des voitures. Seule, elle serait à la merci de ses complices. Comme si elle était poussée par un puissant ressort, Éléonore plongea sur le mafieux, l’attrapa par le cou. Il voulut hurler, une réaction qui facilita la suite. Elle se colla au prisonnier et lui enfonça le canon de l’automatique dans la bouche ; elle cria :

— Si vous faites quoi que ce soit, je le tue !

Dans la rue, c’était la panique, des gens abandonnaient leur véhicule et partaient en courant, une femme tétanisée braillait sans s’interrompre.

Braghanti se transforma en statue. Plus petite que le voyou, Éléonore était accrochée à lui dans une position difficile, mais il n’était pas question d’en changer. Elle eut le temps de parcourir du regard ses adversaires. Elle put lire leur désarroi. La scène se figea jusqu’à ce qu’un bruit de sirène se fasse entendre. Le commando n’avait plus d’autre choix que de battre en retraite. Leur dernière action fut d’incendier avec des cocktails Molotov les voitures qu’ils laissaient.

Quand la BAC arriva, Éléonore était toujours collée à sa proie. Son cœur battait à tout rompre, les flics durent y aller avec douceur pour qu’elle lâche Braghanti. Elle tomba sur le sol, elle avait tout donné, ses pieds n’avaient plus la force de la porter. Elle fondit en larmes.

Chapitre 2

Nouveau centre de détention de Muret.

Deux mois s’étaient écoulés depuis l’évasion ratée de Nino Braghanti. Bilan, il se retrouvait mis en examen dans un autre dossier, ses chances de recouvrer un jour la liberté n’étaient plus qu’un rêve. Vu son âge, il finirait sa vie entre quatre murs. Les murs eux-mêmes avaient changé ; après une longue période de mitard, on l’avait transféré vers un établissement plus sécurisé. Il était maintenant écroué dans le tout nouveau centre pénitentiaire de Muret, à proximité de Toulouse. Maître Jean-Claude Guillemain étant toulousain, il avait réussi à négocier pour que son client y soit incarcéré. L’administration y avait trouvé son compte, d’autant que dans la palanquée de dossiers instruits contre Braghanti, il y en avait aussi dans la région. Unique avantage, il retrouvait plusieurs Corses. Lors des promenades, ces derniers faisaient office de garde rapprochée, ça évitait qu’il soit importuné par des branleurs de cité, envieux de se mesurer à un baron de la drogue.

Ici, tout était neuf. En entrant dans les sept mètres carrés qui devenaient son chez-lui, il fut presque heureux. Ce sentiment dura le temps d’aller de sa porte à son lit, soit environ trois à quatre secondes. Parce qu’en dehors de ça, il avait bien tout regardé, photographié, analysé et étudié, il était dans une taule dont on ne s’échappe pas. Peu de gardiens, tout était informatisé et contrôlé par un gigantesque réseau de caméras. Il avait lu dans un magazine de la bibliothèque qu’il n’était même pas possible de creuser un souterrain, des capteurs percevaient tous les mouvements suspects du sol. L’hélicoptère ? Il y avait déjà bien longtemps que la plupart des prisons étaient équipées de filets métalliques interdisant l’atterrissage d’un appareil ou l’hélitreuillage d’un fuyard suspendu à un filin ou une échelle de corde.

À moins d’envisager une nouvelle évasion lors d’un transfert, il était fait comme un rat. Les occasions de quitter la cellule étaient rares : convocation du juge, soins dans un hôpital, changement de prison… Rien de tout cela n’était prévu dans les jours à venir. Il n’échapperait pas à une condamnation. Trafic international de drogue en bande organisée, tentative d’homicide sur des policiers, coups et blessures volontaires avec arme… Son avenir judiciaire était bien sombre. Si, par le passé, il pouvait rêver d’une durée de détention à un seul chiffre, avec l’évasion ratée, le meurtre d’un maton, et les tentatives sur les autres, une sentence à vingt ans, voire trente, devenait plus qu’une éventualité : une certitude. Même s’il n’en faisait que la moitié, il serait un vieillard en sortant. Il devait trouver une solution. Avec le fric qu’il avait planqué, il pouvait vivre comme un roi pendant plusieurs vies. Il pensa à sa femme. Il lui avait peut-être fait un peu trop confiance en la laissant disposer de son argent et en lui donnant un libre accès à une partie de sa réserve de came. C’était bien la première fois qu’il mêlait le cul et les affaires. Il n’était cependant pas question de la jeter. Ils étaient mariés et elle était sa seule visite autorisée par l’administration. Quel prisonnier sensé renoncerait à la possibilité de se faire sucer une fois toutes les deux semaines, voire mieux ? Elle savait gagner du temps et simplifier les choses. Une robe ample, aucun sous-vêtement, elle était toujours prête. Plutôt que de mettre fin à leurs petites séances, les fonctionnaires préféraient fermer les yeux ou se les rincer. Deux raisons : d’une part cette pratique était une des garanties de la paix sociale, d’autre part Nino était reconnaissant. Jusqu’ici aucun des agents de l’État ne s’était plaint.

Penser à la bouche de Leïla calma la colère de Braghanti, en même temps que cela lui provoqua un début d’érection. Quel gâchis d’être obligé de se branler à son âge ! En dehors de ce plaisir solitaire et de lire des polars empruntés à la bibliothèque, la prison manquait de distraction.

Il venait de s’allonger et d’ouvrir les boutons de sa braguette pour attraper son sexe quand une voix résonna dans le haut-parleur de sa cellule :

— Braghanti, vous avez un parloir avocat.

Quelle mauvaise nouvelle cet oiseau de malheur allait-il encore lui annoncer ?

Nino se releva, remballa la marchandise, passa devant la glace, mit un peu d’ordre dans ses vêtements, rentra sa chemise blanche dans son jean et s’en alla vers la porte pour appuyer sur l’interphone. Le gardien de service ne prit pas la peine de lui parler, un claquement sonore indiqua qu’il venait de commander l’ouverture.

Seul dans le couloir, le prisonnier s’engagea sur une coursive qui longeait plusieurs cellules jusqu’à arriver à la grille d’accès à son étage. Le bâtiment abritant les détenus avait la forme d’une étoile à cinq branches, chacune étant un bloc de trois niveaux. Le centre était occupé par des parties communes, salles de classe, lieux de vie, bibliothèque, infirmerie, cuisine…

À l’extérieur étaient aménagés une aire réservée au sport avec un terrain de foot entouré d’une piste d’athlétisme et un vaste gymnase. D’un autre côté, il y avait une ferme avec des plantations maraîchères et un peu d’élevage, des poules, des lapins, quelques moutons. Tout cela pour occuper les prisonniers et leur offrir des formations. Le bâtiment administratif situé à l’extrémité opposée était relié au reste par une route bordée d’un chemin couvert d’un auvent pour les liaisons à pied. La chaussée étant réservée aux véhicules de service ou à ceux des fournisseurs. Tout le terrain était ceinturé par deux hauts murs protégés par quatre miradors auxquels s’ajoutait une tour centrale avec un champ de vision à 360 degrés de l’ensemble de la surface.

Inaugurée en grande pompe par le garde des Sceaux et le président de la République, la nouvelle prison était l’une des réponses de l’État à l’insécurité dont se plaignait tant la population. La construction était la première d’un programme destiné à créer plus de quinze mille nouvelles places en détention. L’architecture et l’aménagement étaient présentés comme une avancée majeure en matière de gestion humaine. L’établissement n’avait, aux dires de l’administration, que des avantages. Peu de gardiens, un coût en personnel moindre et une sécurité renforcée, tout en offrant aux prisonniers un cadre de vie décent et des activités supposées faciliter leur réinsertion. Presque un paradis.

De couloirs en sas, Braghanti ne rencontra personne. Certes, cette absence évitait les conflits avec les matons, mais elle était également source de déshumanisation. Plus de discussion, rien ; juste des allées en béton ciré, des portes en acier et des claquements métalliques.

Maître Jean-Claude Guillemain attendait patiemment en tournant les pages d’un dossier qu’il connaissait par cœur. Pénaliste, spécialisé dans la défense des plus belles crapules de la région, il vivait bien. Ses clients ne regardaient pas à la dépense, d’autant que Guillemain était peu soucieux de la source de leurs revenus et qu’il ne voyait aucun inconvénient à se faire régler en cash. Des valises de billets arrivaient régulièrement dans son bureau sans qu’il s’en offusque.

En contrepartie, il devait mouiller le maillot et ne pas décevoir. Sa spécialité : la recherche des vices de procédure. Pour les traquer, il n’avait pas hésité à employer deux policiers en retraite qui passaient leur temps à lire et relire les procès-verbaux à la recherche de la moindre erreur, qu’il s’agisse de l’oubli d’une signature, d’une incohérence de date et d’heure, de l’absence d’un officier de police judiciaire ou d’un chevauchement d’horaire entre des actes… Tout pouvait être bon pour faire capoter une affaire et c’était l’idéal. Bien mieux que d’aller jusqu’au procès et d’être obligé de plaider devant des juges professionnels, difficiles à émouvoir et à convaincre en correctionnel, ou des jurés aux yeux desquels un accusé multirécidiviste n’avait aucune chance.

Costume sombre de belle facture, chemise rose, foulard, à soixante ans, le baveux se la jouait gravure de mode. Il posa ses documents, se releva et afficha un sourire affable. Braghanti s’économisa de le lui rendre tout en serrant la main que l’avocat lui tendait. Guillemain fit comme s’il ne s’était pas rendu compte de la mauvaise humeur de Nino, d’autant qu’il savait que ça n’allait pas s’arranger.

— Le procès approche et on va être obligés d’y aller. Les témoins ne sont pas revenus sur leur déclaration et tu as des complices qui te balancent. Il n’y aura pas de non-lieu. T’es marron, surtout que le flic qui vous avait infiltrés a fait un rapport accablant contre toi. Le document a été versé au dossier. J’essaye de le faire invalider pour vice de forme, mais il ne faut pas trop rêver.

Braghanti se mit à rugir de colère et renversa d’un revers de bras les papiers que l’avocat venait d’étaler sur la table.

— Je me suis fait baiser par un enculé de condé !

Guillemain laissa l’orage passer avant de ramasser ses affaires et de poursuivre dans le registre des mauvaises nouvelles :

— Il y a le trafic, mais pas seulement, il décrit la manière dont tu t’es personnellement chargé d’un de tes hommes que tu soupçonnais d’avoir détourné de la drogue. Un type que tu as battu pendant des heures. Le juge a demandé un supplétif pour ouvrir une information des chefs de tortures, séquestration, assassinat… Je te laisse imaginer le tableau.

Bien que tremblant de fureur, Nino eut un rire nerveux.

— Il était avec moi, il n’a rien fait pour m’arrêter. Ce putain de flic n’a rien fait, et maintenant il a le culot de me balancer !

En guise de réflexion, Guillemain se caressa le sommet du crâne et les quelques cheveux qu’il lui restait. Le rapport mentionnant Braghanti en train de taillader le torse de son ancien lieutenant, de lui briser les os à coups de marteau et de le laisser se vider de son sang, avant de le donner à manger à des porcs, avait marqué les esprits, et pas seulement celui du juge. Bien qu’ayant un bon nombre de psychopathes parmi ses clients, l’avocat avait passé plusieurs nuits blanches en imaginant la fin du voyou. Le pire étant que depuis peu un cauchemar devenait récurrent. Dans son sommeil, il se voyait à la place de la victime, entouré de cochons qui le léchaient. C’est à ce moment qu’il se réveillait terrorisé et en nage. Guillemain chassa l’image de son esprit et se concentra sur l’affaire.

— Il a écrit qu’il n’était pas présent, qu’il n’a vu que le corps avant que tu t’en débarrasses. C’est toi qui t’es vanté de tout ça devant lui.

— Il peut dire ce qu’il veut. Il était bien là, cet enfoiré.

— Je peux peut-être attaquer là-dessus… Ce sera ta version contre celle du policier. Le mieux serait pourtant de nier, de dire que tu te méfiais du flic, que tu as tenté de lui faire peur en inventant une histoire qui ne s’est jamais produite. Après tout, on n’a jamais retrouvé le corps de la victime.

Braghanti eut un rire nerveux.

— Rassure-toi, on ne risque pas de le retrouver.

Une lueur s’alluma dans les yeux de Braghanti. Qui dit confrontation dit extraction. Alors que l’information tirait à sa fin, il devait profiter de cette aubaine pour se sortir de là. L’avocat fit comme s’il ne l’avait pas compris. Il poursuivit :

— Je pense que si tu insistes en arguant que le flic a été témoin, tu mettras à mal tout ce qu’il balance sur toi, d’autant que, même s’ils s’en accommodent, en France, les juges n’aiment pas trop ces histoires d’agent infiltré. On pourrait peut-être laisser entendre que c’est lui qui a monté le trafic de came, que sans lui tu n’aurais rien fait. Tu pourrais avoir été victime d’une provocation. Ça peut marcher. Malheureusement, tout ça ne suffira pas à arranger ton cas. Maintenant, il y a cette tentative d’évasion. Ça va nous valoir un nouveau procès. Tu as beau clamer que tu n’étais au courant de rien, personne n’est dupe. Les magistrats vont te crucifier.

— Il me faut une confrontation !

Guillemain acquiesça.

— Tu sais, si tu as dans l’idée de rééditer le coup de l’arrachage, tu peux oublier. Ils ne te sortiront qu’avec le RAID en escorte. Le juge envisage même de se déplacer ici pour faire les auditions.

Nino n’écoutait pas. Il n’en avait pas terminé.

— En partant, tu vas appeler Leïla et te débrouiller pour qu’elle ait un parloir dans la semaine.

Ça sonnait comme un ordre, l’avocat n’allait pas en prendre ombrage. Vu ce qu’il payait, Braghanti avait des privilèges qu’il n’aurait jamais consentis à d’autres clients.

— Tu ne l’as pas vue hier ?

— Si, et alors ? Qu’elle revienne, et vite ! Toi, tu te dépêches de m’obtenir une audition chez le juge.

— Ça prendra plusieurs semaines.

— Je veux une date et la connaître en avance.

L’avocat souffla profondément.

— Nino…

Chapitre 3

Saint-Malo.

Au pied de la cité d’Alet, une bourrasque balaya la Cale de Solidor avant de s’engouffrer sur le quai Sébastopol. Les arbres de l’îlot d’habitations, ceinturé par la rue d’Alet et celle de la Cité, s’ébrouèrent pour se débarrasser des restes de la dernière ondée. Hakim grelotta et pesta en recevant une claque humide. Il aurait dû s’habiller plus chaudement. Cinq degrés, de la pluie et du vent. Quelle idée de vouloir affronter la météo simplement vêtu d’un T-shirt sous son ciré noir ! Grisé par l’action à venir, il en avait oublié qu’on était en mars. Même si la proximité de la mer avait un effet bénéfique sur la température, le grondement des vagues qui s’écrasaient sur les rochers lui rappelait qu’on était encore en hiver et là, maintenant, tout de suite, il avait des doutes concernant le réchauffement de la planète. Depuis qu’il était dans le parc de « La Corsaire », une propriété donnant à la fois sur la rue de la Cité et le quai Sébastopol, il n’en pouvait plus d’attendre. Accroupi dans ce qui ressemblait à un sous-bois, il était gelé, ne sentait plus les extrémités de son corps et avait l’impression qu’il allait se transformer en glaçon. Il était vingt-deux heures, le garde, jardinier, homme à tout faire, il ne savait pas comment le définir, avait quitté les lieux depuis plus de deux heures et rien n’avait bougé. Seule inquiétude, cette lumière qu’il apercevait à l’intérieur de la maison. Un grésillement fit sursauter le jeune. Il fouilla dans son vêtement de pluie et attrapa un talkie-walkie jaune, bleu et rouge, surmonté d’une tête de clown. Un jouet acheté dans un supermarché de la ville, mais qui fonctionnait parfaitement. Ils l’avaient essayé dans l’après-midi avec ses potes ; ils arrivaient à communiquer à plus de trois cents mètres. Une voix éclata dans le haut-parleur.

— T’es certain qu’il y a encore quelqu’un ?

Bordel, il avait pourtant vérifié le réglage du volume. Le tintamarre provoqué lui fit l’impression d’une bombe. Son cœur explosa dans sa poitrine. Au lieu de répondre, il plaqua l’appareil contre le sol humide et s’aplatit dans l’herbe. Les secondes passèrent… Une éternité de secondes. Son regard balaya l’environnement. Rien ! Un nouveau coup de vent souleva des feuilles qui vinrent se coller à son visage. Il se redressa lentement, les sens en éveil maximal. La vérité était qu’il avait peur. Tout seul dans ce petit bois, il n’était pas dans son élément. Il était plus à l’aise dans sa cité, prêt à y affronter qui que ce soit. Son monde, celui qu’il fantasmait, c’était les parkings, les épaves calcinées, les caves remplies d’immondices et sentant l’urine… Un royaume terrifiant pour les bourgeois, alors que lui trouvait ça apaisant. Toujours mieux que cette odeur d’humus qui allait s’imprégner dans ses vêtements. Il eut l’impression d’un mouvement, une ombre perdue dans la noirceur de la nuit. Il devait retrouver son calme. Il n’y avait rien d’autre que des arbres et du vent. Il rattrapa l’appareil radio. Il était pourri par la terre. Pourvu qu’il fonctionne encore ! Il joua avec le bouton du volume et rapprocha le micro de ses lèvres.

— Je ne sais pas, rien ne bouge, le jardinier est parti. Je n’ai pas vu de voiture.

Son correspondant s’apprêtait à répondre quand une sonnerie se fit entendre à côté de lui. Hakim comprit que Ludovic recevait un appel et ça ne pouvait être que Jérémy. Il se sentit rasséréné. Son pote « Jé » avait toujours la solution à tout. Il lui restait à attendre les consignes.

Hakim avait raison. Assis au volant d’un fourgon Renault, garé esplanade du Commandant-Menguy, face à l’anse Solidor, Ludovic posa le talkie-walkie sur le tableau de bord et attrapa le téléphone satellitaire.

— Oui.

Une voix douce, jeune, avec une tonalité aiguë, presque féminine, résonna dans l’écouteur.

— J’ai appelé, personne ne répond, la maison est sous alarme. Je ne vois personne dans les pièces sous surveillance vidéo. Soit ils ont oublié d’éteindre, soit ils laissent des lumières pour faire croire que c’est habité. Il n’y a rien à craindre, d’ailleurs j’ai trouvé le système d’éclairage, on peut le commander à distance. Dis à Hakim que je vais tout éteindre dans le quartier. S’il y a vraiment quelqu’un dans cette maison, il va s’en apercevoir tout de suite. Qu’il checke ça et vous bigophonez dans deux minutes, je mets tout dans le noir et vous pourrez commencer.

Ludovic changea de nouveau d’appareil et jeta un coup d’œil vers Noélie, sa passagère, une petite brune frisée aux allures d’enfant, comme tout le reste de l’équipe. Ils échangèrent un sourire. Sans attendre, Ludo transmit l’information à Hakim.

— Jérémy vérifie, il est quasi certain qu’il n’y a rien. Il nous rappelle dans deux minutes pour confirmer.

Une voix moins chargée d’inquiétude que précédemment lui répondit dans la foulée :

— Oui, tout est éteint. Tu penses que c’est « Jé » qui a tout arrêté ?

— Pas de blème. Il maîtrise suffisamment. Tu peux te rapprocher, il n’y a pas d’alarme dans le jardin.

— Pas de chiens non plus ? Je déteste les clebs !

Un rire répondit.

— Hakim, s’il y en avait, on les aurait remarqués quand on a fait du repérage et surtout ils seraient venus te renifler les fesses depuis longtemps. Arrête de baliser et va voir ce qu’il se passe.

— Pov’ naze, j’ai pas peur, pas du tout. Et puis ça te va bien de faire le malin, confortablement au chaud, le cul vissé dans la camionnette à raconter des conneries avec la bande. C’est pas toi qui es à ma place.

— Je te rappelle que c’était ton tour. La dernière fois, c’est moi qui m’y suis collé. En plus, c’est bien grâce à toi qu’on est ici, c’est toi qui as eu les informations sur les salopards qui habitent là.

Un ronchonnement mit fin à l’échange. Cette fois Hakim était debout. Il progressa entre les arbres à l’écoute de tous les bruits suspects autour de lui. Dieu sait qu’il y en avait. Il finit par sortir du bois pour se retrouver sur un vaste espace herbeux. De la pelouse. Dans l’ombre, et surtout dans ces conditions, il ne prit pas le temps d’admirer le jardin, les différents parterres et la fontaine.

Une trouée nuageuse laissa échapper quelques rayons de lune. Ce peu de lumière suffit à lui donner l’impression qu’il était sous un projecteur. Putain, calme-toi ! Il continua à progresser vers la villa, une sorte de manoir de plusieurs étages. La tourelle sur le côté conférait à cette demeure du dix-neuvième siècle, imaginée par un grand armateur, une certaine noblesse… Ce que Hakim traduisait par une belle réserve à fric. Il y avait forcément là-dedans un paquet de pognon à se faire. Un claquement le paralysa. En abandonnant le gazon pour le gravier, il venait de se faire repérer, et ça à seulement quelques mètres de l’escalier desservant la terrasse et l’entrée principale. Devenu statue de sel, il resta immobile, s’attendant à entendre un cri, au pire un coup de feu. Il devait se planquer. Les lumières intérieures se rallumèrent. Le cœur de Hakim devait approcher des deux cents pulsations par minute quand le haut-parleur crépita et laissa échapper la voix de Ludovic. Au même moment, un grincement puis un nouveau claquement le firent encore sursauter. Cette fois, il s’apaisa. Ce n’était que le bruit d’un volet mal accroché et ballotté par le vent.

— Jé me dit qu’il est en train de s’amuser avec les lumières. Ça clignote chez toi ?

— C’est OK, je suis devant la maison. Ramenez-vous, on va s’occuper du déménagement. Jérémy a déconnecté l’alarme ?

— Oui, c’est bon, elle est désactivée.

Fini d’avoir peur, les potes allaient arriver, il était temps pour Hakim de redevenir le chef de bande qu’il était. Le jeune homme donna un coup d’épaule pour faire basculer le sac en forme de carquois qu’il avait sur le dos. En quelques secondes, il déposa sur les marches tout ce qui lui paraissait nécessaire : pied de biche, perceuse, barre à mine, marteau et plusieurs outils. Un regard de spécialiste et une légère pesée sur le battant le rassurèrent. Comme beaucoup, l’occupant des lieux avait délaissé la serrurerie, préférant investir dans l’électronique. Parfait, Hakim se donnait moins de dix minutes pour venir à bout de ces fermetures d’une autre époque. Il entendit au loin le portail de la propriété s’ouvrir côté Sébastopol et un bruit de moteur, tout cela à peu près au moment où l’éclairage public s’arrêtait et plongeait le quartier dans l’obscurité. Jérémy leur ouvrait la voie. Ludovic, Noélie et tous les potes arrivaient pour s’occuper de la manutention.

Hakim agita sa Maglite pour se signaler et orienter les nouveaux venus. Il suffit de quelques échanges lumineux pour que le fourgon trouve sa route. Le conducteur ne s’embarrassa pas à chercher son chemin. Il coupa au plus court, laissant au passage de profondes traces dans la pelouse, écrasant des parterres de ce qui devait devenir des fleurs au printemps, et manœuvra pour se mettre à cul devant les portes. Hakim avait repris sourire et assurance. Il ouvrit l’arrière du camion pour libérer cinq jeunes gars recrutés dans la cité. Les visages s’arrêtèrent sur la maison. Quelques sifflets admiratifs fusèrent.

— Putain de belle baraque ! Y en a qui s’emmerdent pas.

— Ouais, ben, on est pas là pour visiter, on a du boulot.

Ils se trouvaient maintenant sur la terrasse. Au lieu d’entrer, Hakim et Ludovic firent face à Noélie. La jeune femme venait de descendre du camion pour les rejoindre. Après avoir contourné le reste du groupe, elle était plantée devant eux. Vêtue d’une parka Canada Goose, capuche relevée, pantalon fuseau, chaussures Doc Martens montantes, gants de laine, elle était prête à affronter le froid et prenait, comme à son habitude, cette aventure avec légèreté. Elle vivait un film et s’en amusait. Elle sourit et, malgré la pénombre, l’éclat de l’émail de ses dents, autant que celui de ses yeux, donna aux garçons le sentiment qu’elle s’illuminait. Ils étaient tous sous le charme et ça faisait longtemps que cela durait, depuis la classe de sixième et le collège. Brune, le regard profond, avec son mètre soixante-quinze, son visage d’ange, sa taille fine et élancée, elle aurait peut-être pu faire du mannequinat. En tout cas, c’était ce que pensaient les garçons. L’idée ne l’avait jamais effleurée. Elle s’était passionnée pour l’histoire de l’art. Elle envisageait d’être commissaire-priseuse dans quelques années et de se consacrer à la galerie que son père lui avait achetée. Pour le moment, il s’agissait plus d’un amusement que d’une véritable occupation puisque le commerce n’était ouvert que trois jours par semaine. Le reste du temps, la jeune femme poursuivait ses études. En attendant, par folie, autant que par goût de l’aventure et du risque, elle était l’experte du groupe. Elle savait apprécier les objets, leur disait ce qu’il fallait voler, ou pas, identifiait les pièces uniques, abandonnait celles qui n’avaient aucune valeur, ou pire, celles que leur rareté rendait invendables. Ils auraient pu les négocier directement avec des assureurs, mais ils avaient jugé cela trop périlleux. Les compagnies étaient connues pour être remplies de flics en retraite et autres chasseurs de primes, il était préférable de ne pas s’y frotter, c’est tout au moins ce que pensait Ludovic. L’étudiant en droit, futur avocat, avait effectué des stages dans la police et la magistrature, il en retenait quelques principes. Avec son petit mètre soixante, sa bouille ronde, son début d’embonpoint et une calvitie naissante alors qu’il n’avait que vingt-deux ans, si on le voyait bien dans le rôle d’un avocat d’affaires ou d’un notaire de province, on l’imaginait moins jouer les Arsène Lupin. Tout le contraire de Hakim ; quand ses copains entraient au lycée pour s’attaquer à de brillantes études, on l’avait orienté vers l’enseignement technique. Une idée de son père, qui ne supportait pas que sa progéniture puisse faire autre chose que d’être ouvrier. Résultat, Hakim s’était bloqué. Alors qu’il était bon élève et aurait pu aisément continuer, il avait décidé de ne plus rien faire et d’offrir au vieux ce qu’il imaginait que pouvait être son gosse : un enfant sans diplôme vivant en marge de la société. Un gâchis.

Au lieu d’aller en cours, Hakim avait commencé à traîner dans sa cité et à s’encanailler en se frottant aux petites bandes de son quartier. Quelques rapines, quelques deals de came. Il était même passé par la case prison. Pas longtemps, certes, mais suffisamment pour s’endurcir. La seule occupation qui lui avait permis de s’en sortir plus ou moins bien était le sport. En pratiquant la boxe, il s’était taillé un corps d’athlète sans un poil de graisse, une boule de muscles à laquelle personne n’osait se mesurer. Bizarrement, malgré la distance sociale, des études, des cultures différentes, il était resté attaché à ses copains de collège. La raison s’appelait peut-être Noélie, mais mieux valait ne pas le lui demander.

La jeune femme extirpa carnet et stylo de sa doudoune avant de s’adresser aux garçons :

— On y va ? Pas de cadeau ici, il faut prendre un maximum de trucs.