L'enquête inachevée - Pierre Pouchairet - E-Book

L'enquête inachevée E-Book

Pierre Pouchairet

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Beschreibung

Encore inquiète quant au sort d’Élodie, son amie de toujours, la commandant Léanne Vallauri se trouve plongée dans une enquête internationale aux multiples ramifications. Après une aventure africaine hors norme, elle rentre en France pour interpeller les commanditaires. La cheffe de la P.J. de Brest va alors découvrir l’existence d’un trafic aussi juteux que la drogue, celui des civelles, les alevins des anguilles, appelées « l’or blanc ». Une investigation bien éloignée de ses bases puisqu’elle va la conduire de Nantes à Saint-Nazaire sur les bords de Loire, et dans les mystérieux marais de Brière, un monde de taiseux aux règles et aux coutumes à part. Une fois de plus, Léanne va déranger, mais les voyous sont décidés à ne pas se laisser faire et cette affaire pourrait bien être la dernière de la turbulente enquêtrice… Qui d’autre qu’une célèbre consœur quimpéroise pourrait la sortir de là ?


Action et suspense sont au programme de ce passionnant polar de Pierre Pouchairet, dont les ouvrages ont déjà séduit plus de 300 000 lecteurs.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Pierre Pouchairet s’est passionné pour son métier de flic. Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l’Afghanistan, la Turquie, le Liban… Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s’est lancé avec succès dans l’écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 ( Mortels Trafics adapté en film sous le titre Overdose par Olivier Marchal) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 ( La Prophétie de Langley). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec Tuez les tous… mais pas ici.

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Couverture

Page de titre

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Vallauri-Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016.

Les ouvrages de Pierre Pouchairet ont déjà séduit plus de 300 000 lecteurs.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

« À la mémoire de Serge Basset,dit Félix. Un grand flic de P.J. »

Chapitre 1

Golfe de Guinée.

Ils atteignaient le point d’orgue d’une aventure débutée quelques mois auparavant. Le temps s’était arrêté dans l’attente de la décision du top d’intervention. Il serait donné à plusieurs milliers de kilomètres de là, au poste de commandement de la préfecture maritime de Brest. Léanne Vallauri n’en revenait toujours pas de se retrouver dans cette salle. Celle-ci n’avait pourtant rien d’extraordinaire. Un alignement de tables couleur chêne clair, une multitude de téléphones et d’ordinateurs, des écrans vidéo et des tableaux sur les murs… L’environnement était conforme à ce qu’elle connaissait, sauf qu’elle se trouvait dans le centre de contrôle opérationnel du porte-hélicoptères Tonnerre, le plus grand bâtiment de la marine française, après le porte-avions Charles de Gaulle. L’un des fleurons de notre armée, 199 mètres de long sur 32 de large, un géant de 21500 tonnes pouvant se déplacer à 35 kilomètres-heure avec à son bord 200 membres d’équipage. Une capacité hors du commun. Le Tonnerre n’était pas qu’un porte-hélicoptères capable d’accueillir une vingtaine d’appareils. Il disposait dans ses entrailles d’un port autonome conçu pour recevoir de 400 à 900 personnes, une centaine de véhicules et près de 2000 tonnes de fret, embarqués sur plusieurs chalands.

Comment ne pas être impressionnée et se sentir minuscule dans un tel environnement ?

Arrivée la veille en hélicoptère depuis Accra au Ghana, elle était entourée de plusieurs officiers ainsi que du numéro deux de l’OFAST1 et de membres de la DEA2. Tout ce déploiement de force pour terminer ce qui promettait d’être une superbe affaire, résultat d’une collaboration entre de nombreuses institutions à travers le monde. Certainement l’une des plus belles enquêtes de sa carrière. Si elle avait l’honneur d’être là, c’était parce qu’elle était en partie à l’origine de l’aventure.

Plusieurs images vinrent à l’esprit de la cheffe de la police judiciaire de Brest. Depuis cinq ans qu’elle avait quitté Nice pour prendre la tête de ce service, il s’en était passé des choses. Des sympas. D’abord le fait de retrouver Vanessa et Élodie, deux copines d’enfance, et de refonder le groupe d’inséparables qu’elles formaient durant leur adolescence. Belle surprise. Le temps les avait éloignées les unes des autres avant de les réunir à nouveau dans un lien d’autant plus solide que leurs professions (la première était devenue psychologue judiciaire, la seconde médecin légiste) les rapprochaient naturellement. Avec son équipe de flics et ses deux amies, Léanne avait résolu un bon nombre d’enquêtes. Moins drôle : les épreuves qu’elles avaient traversées. Elle avait souvent frôlé la mort. Vanessa avait failli finir le reste de sa vie en prison pour un crime qu’elle n’avait pas commis, et maintenant c’était Élodie qui venait d’échapper au pire. Quelle peur ! Heureusement, elle s’en était sortie. En convalescence, elle récupérait. Quand Léanne pensait à cette affaire – plusieurs fois par jour – une boule se formait dans sa gorge et elle devait réprimer la naissance de quelques larmes. Résultat d’un sentiment de culpabilité qu’elle peinait à refouler. Après le décès de plusieurs notables, sa copine avait risqué sa vie pour démontrer, pour LUI démontrer, qu’elle avait raison et qu’il ne s’agissait pas de morts naturelles, mais de meurtres prémédités3.

La quadra secoua la tête. Elle n’était plus une enfant, mais il lui arrivait encore régulièrement de se laisser envahir par ses émotions. Ces derniers temps, rien n’allait plus autour d’elle. Professionnellement, avec la disparition annoncée de la police judiciaire, c’était un monde qui s’écroulait avec tant d’inconnues qu’elle n’en dormait plus. Il y avait aussi la séparation d’avec Yannick, elle n’en avait parlé à personne mais, avec l’éloignement, leur couple, si jamais il en avait été un un jour, n’était pas viable. D’un commun accord, ils avaient jeté l’éponge. Ils resteraient amis, peut-être « sex friends » avaient-ils convenu en riant au téléphone, d’un rire qui n’avait rien de drôle. Il leur restait Nasrat, l’adolescent afghan dont ils étaient presque devenus les parents adoptifs.

Elle en revint à la présente affaire. La police avait beau être un travail d’équipe, il y avait un commencement à tout et cette histoire avait pour origine un tuyau de Guénolé Le Gall. Son informateur lui avait signalé un groupe mafieux qu’elle avait à l’œil depuis quelque temps déjà. Des Turcs établis à Nantes et dont la came inondait la Bretagne. À l’issue de longues semaines d’investigations, d’écoutes, de planques et de filatures, elle avait déterminé qu’ils recevaient leur drogue via des réseaux espagnols et colombiens et que la marchandise arrivait régulièrement par le port de Saint-Nazaire où ils avaient des contacts et des entrées privilégiés. À partir de là, l’affaire était devenue trop importante pour que l’antenne brestoise de la DZPJ4 de Rennes, déjà bien loin de ses bases quand elle travaillait à Nantes, poursuive l’enquête sans l’assistance d’autres services. Elle avait râlé, mais force était de constater qu’elle n’avait pas les moyens humains ni matériels pour mener seule une opération qui s’avérait de grande ampleur. Au final, elle ne regrettait pas l’aventure et l’entrée en action de l’OFAST et de la DEA. Ils avaient dans le collimateur un réseau international d’envergure. Des Mexicains vendaient leur cocaïne à des Espagnols, puis à des Français. La route empruntée, si elle n’était pas inhabituelle, était tout de même originale. La marchandise, partie d’un aéroport clandestin du Mexique, arrivait dans la brousse libérienne avant d’être embarquée par chaloupe sur un cargo à destination de la France. Grâce à un informateur de la DEA, ils avaient suivi les ballots de drogue depuis leur départ et venaient d’identifier plusieurs lieux et personnes qui, jusque-là, leur étaient inconnus. Léanne avait plaidé pour que l’interpellation finale soit effectuée à Saint-Nazaire, mais elle n’avait pas eu gain de cause, puisque les huiles avaient opté pour l’arraisonnement du navire et le déclenchement dans la foulée d’actions conjointes à travers le monde. Ce choix, dont le bien-fondé lui paraissait plus politique qu’opérationnel, n’était peut-être pas le plus judicieux, mais pas non plus illogique. Drogue ou pas, avec les écoutes et les surveillances, l’équipe nantaise était déjà bien accrochée, il en était de même au Mexique, alors qu’au Libéria rien n’était probant. Une intervention rapide mettrait hors d’état de nuire les trafiquants locaux avant qu’ils ne s’évanouissent dans la nature. Pour en arriver là, il avait fallu du temps, de la diplomatie, des pressions internationales, ainsi qu’un gros chèque promis par les États-Unis au gouvernement libérien. Si la collaboration de ce dernier était maintenant acquise, ce n’était pas pour autant gagné sur le terrain, où l’argent des Narcos permettait aux trafiquants de s’assurer la bienveillance de la population.

Tout cela dépassait la simple enquêtrice qu’était Léanne, et elle le comprenait.

Des images apparurent sur l’un des écrans de contrôle. Le moment pour Léanne de sortir de ses pensées. Un des officiers de marine quitta son siège, il assurerait le suivi et commenterait l’action aux civils présents.

— Ce que vous voyez est filmé par un drone qui équipe le groupe tactique de l’armée de terre que nous avons débarqué. Ils sont sur la zone d’où sont partis les ballots de drogue. Une autre équipe a pu visualiser le transbordement de camions sur des zodiacs.

L’image, d’une parfaite netteté, montrait un hangar bâti à proximité d’une piste sommaire taillée au milieu de la brousse. Impossible de procéder à de tels travaux sans avoir l’accord des autorités locales. Autour, plusieurs véhicules et des hommes en armes, une majorité de Noirs, mais aussi quelques Blancs.

La caméra du drone zooma en direction de l’entrepôt. Les portes ouvertes offraient une vision presque parfaite des lieux. Mike, un grand type envoyé par la DEA pour suivre l’affaire, fut comme électrisé. Il abandonna sa chaise pour se rapprocher de l’écran et désigner des ballots stockés sur des palettes.

— Il leur reste de la marchandise ! Nous avions raison ! Toute la came n’est pas destinée à la France. D’autres bateaux doivent être prévus.

Il y eut un moment de silence. Valait-il mieux attendre, pour intervenir plus tard, ou poursuivre l’opération ?

La réponse arriva par un haut-parleur, en même temps qu’une image apparaissait sur un second moniteur, celui-là relié à la salle de commandement de la préfecture maritime de Brest. Le directeur central de la Police judiciaire, entouré du préfet, d’un amiral et d’un haut représentant de la DEA, supervisait lui-même l’action des forces.

— Avec les moyens mis en œuvre, il est trop tard pour reculer. La présence de drogue n’est pas un problème, bien au contraire, elle permettra aux autorités locales de matérialiser les faits. On continue.

Les témoins approuvèrent d’un simple signe de tête. Le chef de la PJ poursuivit :

— On en est où de l’embarquement de la came sur le cargo ?

— Elle est chargée, les semi-rigides sont revenus. L’équipe à terre est prête à intervenir. Et nous sommes parés pour arraisonner le navire suspect.

— Alors, allons-y. Bonne chance à tous et ne prenez pas de risques inutiles.

La tension monta d’un cran dans la salle de commandement. Léanne imaginait les hommes sur le terrain. Il ne s’agissait pas d’une action de police, mais bien d’une opération militaire, même si parmi les commandos de marine qui allaient la mener se trouvaient également des membres du GIGN et des officiers de police judiciaire. L’officier qui assurait le contact avec les équipes donna le top départ des festivités.

— Vous avez le feu vert. À vous de jouer !

Le temps s’immobilisa. C’était à la troupe de décider de la suite. Les secondes s’allongèrent. À l’image, cigarette à la main, des hommes en armes discutaient. Il y eut d’abord une explosion, un panache de fumée, puis d’autres détonations. Des bombes assourdissantes. Pris au dépourvu, les trafiquants restèrent immobiles, paralysés par la surprise et l’effroi. Un temps de retard qui fut mis à profit par les assaillants. Les premiers militaires apparurent à l’écran. Cagoulés, en combinaison de combat et lourdement armés, ils braquaient les voyous.

Même s’ils n’avaient pas le son, Léanne imaginait très bien les ordres et les cris qui devaient fuser. Les trafiquants hésitaient. L’un d’eux jeta son fusil-mitrailleur au sol, imité par un autre. Mains croisées sur la nuque, ils se laissèrent tomber à genoux. Léanne expira profondément. Trop vite. L’assaut était loin d’être terminé… Plusieurs éclairs témoignèrent d’une riposte de l’adversaire. Le commando était pris à partie. Deux militaires s’écroulèrent. Ceux qui faisaient mine de se rendre récupérèrent leur kalachnikov et firent feu à leur tour.

— Merde !

Côté trafiquants, on assistait pourtant à une débandade. Une voix résonna dans le haut-parleur, le ton de l’intervenant surprit par son calme.

— On essuie des tirs. Deux hommes au sol. Une blessure au ventre, l’autre au bras. Évacuation nécessaire.

La scène à l’écran devint hallucinante lorsqu’une demi-douzaine de voyous, torse nu, armés de fusils-mitrailleurs, ou simplement de machettes, se mirent à charger les membres du commando. Léanne se mordit les lèvres.

— Ils sont dingues.

Un marin lui répondit :

— Ces types sont drogués, ils se croient préservés par le port d’amulettes, de tatouages ou de grigris supposés détourner les projectiles.

Une protection qui devait avoir ses limites, comme en témoignèrent les images des corps repoussés par les balles des militaires. La sagesse finit par s’imposer ; cette fois, les opposants décidèrent de se rendre. D’autres membres du commando apparurent à l’écran, pendant qu’une équipe médicale entourait les hommes au sol. Nouveau message sonore :

— Nous sécurisons les lieux. Je confirme que nous avons deux blessés dont l’évacuation est nécessaire. Chez l’adversaire, on dénombre quatre tués, cinq blessés et douze prisonniers. Présence de drogue avérée. Deux véhicules ont réussi à s’échapper.

Alors que l’attention de tous s’était focalisée sur le combat, la fuite de plusieurs trafiquants était passée inaperçue. Elle s’était pourtant matérialisée par les mouvements de phares enregistrés pendant l’échauffourée. Une réalité, d’autant que les Blancs ne figuraient pas au nombre des captifs. L’agent de la DEA tonna :

— Il faut les rattraper !

— Le pouvoir donné à nos hommes est limité géographiquement. C’est aux autorités libériennes d’entrer en action. Il y a une équipe mixte sur le terrain.

Les lèvres des policiers se tordirent, signe qu’ils croyaient assez peu à l’efficacité de leurs collègues locaux. Les fuyards allaient passer entre les mailles du filet et ne pourraient peut-être pas être identifiés sur les enregistrements.

*

L’opération à terre s’effaça de l’écran principal pour laisser la place à l’intervention sur le cargo. Un moment que tout le monde attendait. Une débauche de moyens était mise en œuvre pour assurer le succès de cette enquête aux facettes multiples. Toute l’action était coordonnée par Europol5, en collaboration avec le centre d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants, basé à Lisbonne, et orchestrée par le préfet maritime, entouré du procureur de la République de Brest et du directeur de la PJ. Les visages apparurent dans un coin de l’image.

— Messieurs, je crois qu’il est temps de voir ce que ce bateau a dans le ventre.

L’ordre fut aussitôt répercuté par l’amiral de la flotte.

Repéré et suivi depuis déjà plusieurs jours par un Falcon 50 d’observation et les radars de l’armée, le Bolivar 3, un cargo de faible volume battant pavillon vénézuélien, se trouvait au large des côtes, dans les eaux internationales.

Hors de vue, trois hélicoptères attendaient pour se rapprocher et libérer les commandos de marine prêts à entrer en action.

1. Office antistupéfiants.

2. Drug Enforcement Administration (le service américain).

3. Voir De si jolies petites plages, même auteur, même collection.

4. Direction zonale de police judiciaire.

5. Organisation de police européenne.

Chapitre 2

Aux commandes de son navire, le capitaine Francisco Amarillo était bien loin de se douter de l’attention qui était portée à son bâtiment. Il abandonna un court instant les instruments de bord pour aller chercher une fiole de poudre et se préparer un rail de cocaïne. Le produit l’aidait à supporter les longues heures à la barre. Il avait commencé à y toucher quelques années auparavant et n’avait plus jamais arrêté. Il adorait cette came, d’autant qu’elle ne lui coûtait rien et que c’était du premier choix. Son chargement illicite récupéré, il ne lui restait plus qu’à faire route vers la France pour en assurer la livraison. À presque soixante ans, dont cinquante passés sur des bateaux, il connaissait parfaitement son job. Des trucs, légaux ou illégaux, depuis aussi longtemps qu’il se le rappelait, il en avait toujours transporté sans se poser de questions. L’éthique et la morale se jugent à l’épaisseur de l’enveloppe remise par le commanditaire. Les cartels, qu’ils soient colombiens ou mexicains, l’avaient bien rémunéré. Il menait un joli train de vie quand il était à terre. Les dirigeants avaient changé avec le temps, ils étaient morts ou en prison, lui pas. Quant aux douze hommes d’équipage qui l’accompagnaient, ils travaillaient avec lui depuis de nombreuses années, et ne se formalisaient pas des détours parfois étonnants que devait faire le bateau ni des attentes et des rendez-vous en mer. Du moment qu’ils recevaient leur part du butin, tout était parfait. La discrétion était de mise, tous le savaient. La simple lecture de la presse suffisait à rappeler, à ceux qui pourraient en douter, ou l’oublier, que le moindre manquement les exposait au pire. Les Narcos n’étaient pas des tendres. Quand on tombait entre leurs mains, on en venait à supplier, non pas leur grâce, c’eût été vain, mais juste la mort, tellement plus douce que la torture.

Tout cela ne concernait pas Amarillo. Il était d’un naturel peu bavard et ne risquait pas de parler aux flics. Il détestait tout ce qui représentait l’autorité, surtout s’il s’agissait d’uniformes. Belle maison au pays, une épouse qu’il aimait et trois enfants, il avait le sentiment d’avoir réussi sa vie, et cela, il le devait plus au transport de cocaïne qu’à l’aspect licite de son travail.

Météo clémente, il avait passé une partie de la nuit aux commandes du vaisseau et s’apprêtait à laisser la barre à son second. Il rangea son matériel en le voyant débarquer sur la plateforme extérieure. L’homme était plus jeune d’une dizaine d’années, ils formaient une bonne équipe.

— Un café, capitaine ?

— Avec plaisir ! Même si je te cède la barre, une boisson chaude me fera du bien. Tout est OK ?

L’officier en second se rapprocha d’une machine à café.

— Oui, aucun problème, les sacs sont stockés sur le pont et arrimés. On peut traverser un grain, rien ne bougera.

Amarillo opina du chef. Il était entouré de professionnels, inutile de donner des ordres ou de vérifier. Tous maîtrisaient le job. Il saisit le mug que lui tendait son collègue.

— Dans quelques mois, tu prendras définitivement ma place. Je vais demander ma retraite.

— Vous êtes encore jeune, capitaine, pourquoi partir si tôt ?

— Les enfants sont grands, ils ont fondé leur propre famille, ils n’ont plus besoin de moi. J’ai amassé un petit pécule, l’heure est venue d’en profiter. Je veux voyager et visiter le monde. On a beau parcourir le globe, au final on ne découvre rien. Un jour ou deux dans des ports, au mieux on voit des côtes, et rien d’autre.

— Vous avez raison. Mais vous croyez que vous êtes fait pour la vie de famille et la maison ? Parce que les voyages, ça ne dure finalement qu’un temps et je ne vous imagine pas passer le reste de votre existence à visiter des églises ou des châteaux.

— Peut-être que tu me connais mal.

Ils en étaient là de leurs échanges lorsqu’un marin donna le sentiment de s’écraser contre la porte du poste de veille. Il finit par l’ouvrir à la volée, le visage effaré. Le commandant et son second comprirent qu’un drame était en cours.

— Des zodiacs ! On a repéré des embarcations rapides en approche. Il y en a trois. Peut-être des pirates.

Le sang d’Amarillo se glaça. Pour avoir déjà vécu une tentative d’appontage au large de la Somalie, il savait qu’il fallait réagir vite. Un doute tout de même, ils étaient loin de la côte et vu son état général, leur bateau ne devait pas exciter les convoitises. La zone, si elle n’était pas sans danger, était considérée comme peu risquée. Il déclencha une sirène de manière à s’assurer la présence de tous ses hommes. Il récupéra un pistolet dans un tiroir et attrapa des jumelles.

— Prenez les armes. On va les repousser.

Pendant qu’il parlait, le commandant se précipita sur la passerelle extérieure pour visualiser les assaillants. Il n’était pas au bout de ses surprises. Il hurla :

— Les salopards ! Des flics ou des douaniers.

Il venait non pas de repérer les semi-rigides, mais des hélicoptères. Un tel déploiement de force n’était pas un hasard. Il ne pouvait s’agir que d’autorités à la recherche de la came. Et là où elle se trouvait, ils ne mettraient pas longtemps à tomber dessus.

— Balancez la drogue à la flotte !

— Mais, commandant…

— Faites ce que je vous dis et ne laissez pas ces enfoirés approcher avant qu’on ait nettoyé le pont.

Il y eut une seconde d’hésitation, pas plus. Même s’ils n’étaient qu’une dizaine, les marins étaient bien décidés à suivre les instructions et à se dédoubler s’il le fallait. Amarillo s’adressa à son second.

— Va les aider ! Je reprends la barre.

À destination de son chef mécanicien, il cria dans l’interphone, tout en poussant la manette des gaz et en modifiant le cap :

— En avant toute ! Donne-moi toute l’énergie pour faire avancer ce rafiot !

Un flot d’adrénaline se répandit dans les veines d’Amarillo. Il en rajouta en recourant à sa fiole magique. Il déversa une partie de la poudre sur un coin de comptoir et inhala un rail monumental constitué dans l’urgence. Des étoiles filantes passèrent devant ses yeux, des bulles éclatèrent dans son cerveau. D’un doigt, il récupéra un reste de coke pour s’en enduire les gencives. Il adorait. Maintenant, il allait pouvoir prendre les bonnes décisions.

Bien qu’on ne manœuvre pas un cargo comme un moteur hors-bord, le changement de comportement du Bolivar 3 ne pouvait échapper aux intervenants. Debout dans la cabine de l’hélicoptère de tête, le responsable du dispositif appuya sur le bouton d’émission de sa radio et frappa sur l’épaule du pilote pour lui faire signe d’accélérer le mouvement.

— Nous sommes repérés.

Alors qu’ils volaient jusque-là sans aucun éclairage, les appareils allumèrent des projecteurs.

Silence dans la salle de commandement du Rafale. Les yeux rivés sur l’écran, tous les participants suivaient les images envoyées par le drone d’observation. L’obscurité avait fait place à une demi-pénombre, de timides rayons de soleil flirtaient avec l’horizon. Il ferait bientôt jour. L’engin télécommandé prit de la vitesse et de l’altitude. La caméra balaya le pont du cargo.

— Les enfoirés. Ils vont balancer la came.

Le doute était impossible. À la proue du navire, plusieurs hommes s’affairaient pour extraire des ballots. Certainement de la cocaïne. Un premier sac fut jeté par-dessus bord. L’estomac de Léanne se serra. Drogue ou pas drogue, l’enquête était suffisamment ficelée pour tenir auprès des juges… Ce genre de théories réconfortait les flics qui faisaient chou blanc… Mais ne lui suffisait pas, à elle. Elle ne voulait pas que l’affaire se termine de cette manière.

— Dépêchez-vous !

Son cri, ou plus exactement son expression de désespoir, attira l’attention sans provoquer d’autres réactions. Le commando n’avait pas besoin qu’on le motive pour agir. Un hélicoptère s’immobilisa au milieu du pont, de puissants haut-parleurs diffusèrent des ordres en anglais, français et espagnol, tout en indiquant le cadre légal de l’opération effectuée en application des dispositions prévues par la législation internationale… En vain. L’équipage était peu enclin à s’intéresser à la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer ou à celle de Vienne relative au trafic de stupéfiants. Des filins apparurent. En guise de réponse, un tir d’arme automatique cingla l’appareil. Les marins n’entendraient pas raison aussi facilement.

Dans la tour, malgré les injonctions reçues par radio, le capitaine Amarillo n’avait pas non plus l’intention d’abandonner la partie. La rage au cœur, mâchoire serrée, il bloqua les commandes, le temps d’ouvrir la porte de la cabine et de faire feu en direction d’un deuxième hélicoptère. Le halo d’un projecteur s’arrêta sur lui. Il tira encore avant de disparaître dans le poste de pilotage.

Léanne ne s’intéressait pas au combat en cours, toute son attention demeurait rivée à l’avant du bateau et aux quelques hommes qui se débarrassaient de la drogue. À ce rythme, ils auraient tôt fait d’avoir tout jeté à la mer. Elle vit, enfin, des membres du commando s’approcher des trafiquants ; le marin qui couvrait ses camarades ouvrit le feu en direction des militaires. La riposte fut courte et sans appel. Il s’écroula sur le pont. Cette fois, c’en était terminé. Les autres choisirent d’en rester là et de répondre aux ordres qui leur étaient donnés. Bien que conscient que la partie était perdue, Amarillo n’était pas décidé à se rendre. La fiole ! Elle était presque vide et il n’était plus possible d’aller la remplir. Il posa une narine dessus et sniffa tout ce qu’il arrivait à récupérer. De la colère, de la rage, c’est ce qu’il ressentait. Il balança le tube de verre contre les vitres et se mit à hurler. Une idée folle lui vint : saborder le bateau. Il abandonna les commandes pour s’engager dans l’escalier intérieur qui plongeait vers le ventre du Bolivar 3 et la zone de fret. En secret, il avait prévu de longue date cette éventualité. Des bonbonnes de gaz étaient entreposées dans un local attenant à la salle des machines. Il suffisait de mettre le feu, tout finirait par sauter et se propager à l’ensemble du navire.

— L’équipage est neutralisé. On a plusieurs ballots de drogue, annonça la radio.

Ce que confirmait l’image à l’écran. Tous les risques étant écartés, le drone restait maintenant en vol stationnaire à seulement quelques mètres du cargo. Pour l’officier qui suivait l’opération depuis la salle de commandement, tout n’était pas aussi clair.

— Vous avez le capitaine ?

Le visage du chef du commando s’orienta vers ceux de ses hommes qui se trouvaient sur la passerelle du poste de pilotage. Contrairement à ce qu’il pensait, ils n’avaient aucun prisonnier. Le ton se fit moins glorieux.

— Il a dû se réfugier à l’intérieur du Bolivar 3. On va le trouver.

Un rapide interrogatoire des marins leur confirma qu’il leur manquait trois personnes, dont le capitaine. Il fallait fouiller le bâtiment… Pas une mince affaire. Loin d’imaginer les plans d’Amarillo, les militaires ne voyaient dans cette fuite qu’un acte puéril. Il ne pouvait pas leur échapper et finirait bien par se rendre. Entravés par des Serflex, les prisonniers demeurèrent sous bonne garde pendant que d’autres membres du commando entamaient les recherches. Leur chef commença par annoncer une bonne nouvelle.

— Nos embarcations ont récupéré trois ballots de drogue, des poches d’air les ont maintenus à flot, ils n’ont pas eu le temps de couler. On vérifiera, mais la marchandise semble préservée.

Léanne souffla.

*

— Capitaine, vous faites quoi ?

Dans la salle des machines, le chef mécanicien n’avait que partiellement suivi l’arraisonnement. Les moteurs continuaient à tourner, mais le bateau était arrêté. Il avait appelé plusieurs fois le poste de commandement, sans réponse. Et maintenant, Amarillo venait de s’introduire dans cette réserve où il était le seul à pouvoir accéder. Porte entrebâillée, il s’avança pour comprendre ce qui se passait. Quelle surprise que de voir les bouteilles de gaz entreposées dans cette soute ! Amarillo était en train d’ouvrir les valves. Le mécanicien réitéra sa question. En guise de réponse, il eut en face de lui le regard de son capitaine. Un dément !

— Tout va sauter si vous continuez.

— J’y compte bien. Tu ferais mieux d’aller sur le pont et de te rendre si tu ne veux pas finir ici.

Le mécanicien hésita, inspira, soupira. L’explosion mettrait à coup sûr le feu à tout le navire ; pas certain qu’il coule pour autant. Il n’avait jamais vu le commandant dans un tel état. Il perdait les pédales… Il tenta un pas vers lui.

— Casse-toi, je te dis, tu préfères crever ici ?

Les regards s’affrontèrent. Non, il n’avait pas envie de mourir aujourd’hui. Quoi qu’il arrive, il ne risquait pas grand-chose en se laissant interpeller. Il fit volte-face et quitta le local. Il devait foncer sur le pont et se rendre. Sa course s’arrêta avant même qu’il atteigne l’escalier… Deux militaires le braquaient.

— Ne tirez pas, ne tirez pas !

Instinctivement, il leva les mains et les cala sur sa nuque. Dans la seconde, il se retrouva entravé.

— T’es seul ?

Le mécanicien répondit d’un mouvement de tête en direction de la réserve de gaz, avant de balbutier :

— Le capitaine, il va mettre le feu au bateau.

Les membres du commando ne s’attendaient pas à ça. L’un d’eux activa sa radio.

— On a un problème. On vous envoie un prisonnier à récupérer. La suite va être plus délicate. Préparez-vous à évacuer le navire.

L’officier sur le pont comprit que tout ne se passait pas au mieux, mais il devait en savoir plus.

— Faites-moi un rapport précis.

— Pas le temps pour ça.

En guise de détails, le commando ne répondit pas et activa une caméra, sorte de GoPro dont il était équipé. Après un échange de regards entre eux, les deux hommes avancèrent en direction de la remise. Des sons métalliques en parvenaient, ils s’interrompirent. Ils perçurent un bruit de liquide que l’on verse, une odeur bien particulière… une flaque apparut. De l’essence ! Le mécanicien ne mentait pas. Hésitation sur la conduite à tenir. L’un des deux intervenants jeta un œil dans la salle pendant que le second restait en retrait. Le capitaine répandait le contenu d’un jerrican sur le sol, plusieurs bouteilles de gaz étaient ouvertes, un tir provoquerait un désastre avec des conséquences dramatiques. Conscient d’une présence, Amarillo s’interrompit. Le militaire le mit en joue. Loin de s’en inquiéter, le trafiquant éclata d’un rire sonore.

— Une seule étincelle et c’est le feu d’artifice. Alors, vas-y, flingue-moi, n’hésite pas.

Il avait raison, impossible de l’abattre. Il allait falloir négocier avec ce dingue ou ils allaient tous y passer.

Le capitaine balança le jerrican dans un coin. Il en aurait bien pris un autre, mais il savait que l’aventure touchait à sa fin. Pendant un temps, il avait envisagé de trouver un moyen d’incendier le navire et de se rendre… Mais maintenant, il en avait marre. Il n’avait plus de coke sur lui. Il n’y aurait jamais de retraite et de voyages. Il inspira, comme s’il espérait pouvoir décrocher de minuscules particules qui seraient restées collées dans ses narines. Aucun effet. Ses yeux brillaient, mais ce qu’il ressentait était une immense fatigue, il était épuisé… pas seulement physiquement. Il en avait assez. Assez de tout… Envie de mourir. La dépression habituelle du toxicomane, il la connaissait, mais là, il n’y avait aucun recours. Plus de drogue. Dernier acte. L’image d’un champignon de flammes, du cargo pulvérisé, de corps désarticulés, tout cela le fit sourire. Il pensa à ces superproductions hollywoodiennes pleines d’effets spéciaux. Il allait finir comme ça et ça le faisait marrer.

Les yeux rivés sur Amarillo, le militaire continuait à analyser la situation. Ce type était dingue, inutile de tenter de le raisonner. Pour avoir déjà servi dans les forces spéciales sur différents théâtres, il avait le sentiment d’avoir en face de lui un de ces guerriers remplis d’amphétamines ou de drogues hallucinogènes. Des hommes qui partaient au combat sans aucune crainte de la mort.

Dans le Tonnerre, c’était la stupeur. Tout était maintenant retransmis en direct sur l’écran central. Pas un bruit. Le temps était arrêté. L’amiral fut le seul à rompre le silence. Il s’adressa au chef du commando à bord du Bolivar 3.

— Mettez-moi en relation avec vos gars !

— Ils ont quitté l’écoute.

Une voix s’interposa :

— Moi, je vous entends.

Il s’agissait du militaire resté en retrait. Bien qu’à quelques centimètres de son équipier, il ne pouvait rien voir de l’intérieur de la remise, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir saisi l’aspect critique de leur situation.

— Je suis le capitaine de vaisseau, vous me recevez ?

— Fort et clair, commandant.

— Écoutez-moi bien…

Désemparé, le commando en contact visuel regarda Amarillo plonger une main dans sa poche pour en sortir un briquet.

— Alors, soldat, t’as envie de crever avec moi ? Tu vas devoir faire un choix. Tu restes ou tu te casses ?

Paralysé par l’effroi, le militaire demeura immobile. Un mince espoir ; l’index assura la pression sur la queue de détente de son arme. Et il y eut la suite, un imperceptible mouvement à ses côtés, un sifflement fendit l’air saturé de gaz inflammable. Amarillo fut comme bousculé par une tape invisible, ses yeux surpris s’élargirent, la paume de la main qui serrait le briquet s’ouvrit, l’objet roula sur le sol en même temps que le capitaine s’affalait à genoux. Une douleur insupportable l’assaillit. Il eut un regard vers son torse et le manche d’un poignard fiché en lui. L’arme lui traversait le cœur. Semblant halluciné, il chercha l’auteur du tir. Un second militaire se trouvait à l’entrée. Les deux hommes paraissaient tout aussi étonnés que lui, pourtant le nouveau venu était bien celui qui venait de l’atteindre. Il n’en revenait pas d’avoir réussi son coup, tout cela en agissant sur les indications qu’il avait reçues dans son oreillette. Pour localiser la cible et lancer son arme, il avait dû laisser les réflexes acquis à l’entraînement le guider. Le répit fut court, avant qu’ils se précipitent pour faire disparaître le briquet et qu’ils s’assurent que, même touché mortellement, le blessé ne représente plus de danger.

— Adversaire hors d’état de nuire, mon commandant !

Un vent de soulagement traversa le Tonnerre, et l’ensemble des membres du commando à bord du Bolivar 3.

Comme la plupart des témoins de la scène, Léanne demeura un moment silencieuse avant de bien réaliser ce qu’elle venait de voir.

Chapitre 3

L’affaire aurait d’importantes retombées médiatiques. Chaque service de police participant, et son gouvernement derrière, voudrait tirer des bénéfices de l’opération. Ce n’était pas la préoccupation première de Léanne. Pour la cheffe de la PJ de Brest, ce qui serait l’une des plus belles aventures de sa carrière professionnelle se poursuivit dans les heures suivantes par un lot de constatations aussi bien à bord du Bolivar 3 qu’à terre, sur le sol libérien.

Il n’était pas question de s’arrêter là. L’arraisonnement du bateau ne mettait en aucun cas fin aux investigations. Les premiers actes effectués, il fallait se focaliser sur les commanditaires du chargement de cocaïne. L’enquêtrice abandonna ses collègues pour reprendre au plus vite les airs en direction de sa Bretagne. Là où se déroulerait la suite de sa partie d’enquête.

Vol Air France jusqu’à Paris, puis Brest. Elle fut accueillie à Guipavas par son adjoint. Le commandant Lionel Le Roux travaillait avec elle depuis maintenant cinq ans. Petite cinquantaine, allure sportive, c’était un type efficace sur qui elle pouvait s’appuyer. Il la récupéra dans le hall de l’aéroport et la débarrassa de ses bagages. Bise de bienvenue. Bien que sachant déjà à peu près tout de l’aventure africaine, il avait envie de l’entendre sans le filtre d’un téléphone. Elle était prête à satisfaire sa curiosité, mais avait au préalable une question à laquelle elle voulait une réponse.

— T’as vu Élodie ? Comment va-t-elle ? Je l’ai eue, le moral ne m’a pas semblé au mieux.

Son collègue fit grise mine.

— Je suis allé lui rendre visite. Physiquement, elle récupère, elle est encore fatiguée, mais ça revient. Pour le reste, tu as raison, ce n’est pas le beau fixe. Une déprime passagère, tu constateras tout cela par toi-même.

— J’ai parlé avec Vanessa, elle me dit la même chose que toi. Quand j’ai Élodie au téléphone, elle me paraît distante, ce n’est plus comme avant. Je ne retrouve pas notre complicité. Je pense qu’elle m’en veut pour tout ce qui lui est arrivé.

Le visage de Lionel s’éclaira d’un faible sourire.

— Ne culpabilise pas. Tu n’y es pour rien, et puis c’est tout de même bien toi qui lui as sauvé la vie. Elle te doit une fière chandelle. Sans toi, elle serait morte.

Léanne soupira.

— Si je l’avais crue dès le début, rien de tout ça ne se serait produit, on aurait mené une enquête et on aurait sorti les affaires sans qu’elle risque sa peau pour prouver qu’elle était dans le vrai. Avec ces histoires de réforme de la Police Judiciaire, je ne sais pas à quelle sauce on va être mangés, l’incertitude me mine. Je suis désabusée… J’en ai oublié une amie. Je m’en veux terriblement.

— C’est inutile de refaire l’histoire. La machine à remonter le temps n’existe que dans les films. T’as abordé ce sujet avec elle ?

— Non, je n’ose pas. Je ne sais pas comment faire.

— Et t’as demandé à Vanessa son avis ? C’est bien la peine d’avoir une copine psychologue si tu ne la sollicites pas…

Elle réfléchit un instant avant de répondre.

— Tu as raison. Je le ferai… Bon, on reparlera de tout ça plus tard, et je verrai comment je dois m’y prendre. Je ferai un point général sur mes aventures quand on sera au bureau, en attendant, dis-moi où on en est de nos gugusses.

Par les gugusses, Léanne entendait l’équipe de Nantais sur laquelle elle travaillait avec son groupe depuis plusieurs mois. Une mafia dont l’organigramme avait l’allure d’une toile d’araignée bien compartimentée. En tirant certains fils de cet écheveau compliqué, elle avait identifié plusieurs lieutenants, dont ceux chargés de l’importation de la came, mais rien n’accrochait celui qu’elle savait être à la tête du réseau : Osman Özdemir, un quadragénaire plus connu sous le surnom du Sultan. Elle l’avait rencontré dans une autre affaire et avait même pris le risque de le menacer6. À partir de là, Özdemir était devenu son obsession. Cette saisie de drogue allait asséner un coup sévère aux affaires de celui-ci. Malheureusement, pour parfaire le travail, il manquait le plus important : « les indices graves et concordants », pour employer les termes juridiques permettant de mettre en examen le trafiquant. C’est ce que lui confirma Lionel.

— Ça bouge, ils attendaient tous la coke du Bolivar 3. Maintenant qu’ils ont appris son arraisonnement, ils sont partagés entre l’inquiétude de manquer de came et la peur qu’on leur tombe dessus. Beaucoup ont changé de portables et de puces. Même si l’on a réussi à en identifier certaines, on n’a pas tout, ils seront nombreux à passer à travers les mailles du filet.

— Et le Sultan ?

Lionel fit une moue.

— Rien, Osman Özdemir est un malin. Il n’a jamais parlé au téléphone. Il a un seul appareil officiel. Il ne l’utilise que pour contacter sa famille ou pour gérer ses affaires légales. Question surveillances, pas mieux. Rien n’a évolué depuis ton départ. Impossible d’imaginer qu’il attendait plusieurs tonnes de cocaïne. Il a une vie pépère, il y a bien toute une équipe de crapules autour de lui, mais ça ne permet pas pour autant de l’incriminer.

Léanne grommela. Elle se frotta le front en grimaçant, à croire que tout cela lui donnait la migraine.

— Il doit pourtant bien y avoir un moyen d’impliquer ce type.

— On trouvera… Mais, c’est sûr qu’il est balaise. Il s’entoure d’avocats, il a des conseils pour s’occuper de ses placements financiers. La famille est derrière, et surtout, sous son aspect débonnaire, ce mec terrorise tout le monde. Personne n’ose témoigner contre lui ou même parler de lui. C’est ce qui fait sa force. Il prend soin de ses ouailles et de ceux qui partent en prison, il a plusieurs associations caritatives. Il joue les Pablo Escobar, sans prendre le risque de fourrer son nez dans la politique et de chercher à être sur le devant de la scène médiatique. On a affaire à une sorte de génie en son genre.

— On croirait presque que tu l’admires.

Lionel n’eut pas le temps de répondre. Ils étaient arrivés au centre de Brest. La PJ occupait plusieurs bureaux au sein du commissariat de police. Le commandant déposa Léanne devant leur entrée sur la rue Frédéric-Le-Guyader. Son sac sur l’épaule, elle s’attaqua aux quelques marches conduisant à leur étage.