La prisonnière du Créac'h - Pierre Pouchairet - E-Book

La prisonnière du Créac'h E-Book

Pierre Pouchairet

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Beschreibung

Soupçonnée d’avoir empoisonné le voyou Nino Braghanti, alors qu’il était hospitalisé à Nantes, Léanne Vallauri, la tumultueuse cheffe de la Police judiciaire de Brest, se retrouve victime d’une machination diabolique. Relevée de ses fonctions et mise en examen, la suspecte échappe de justesse à la prison en étant assignée à résidence dans le sémaphore du Créac’h de l’île d’Ouessant. Alors que tout accuse Léanne, ses amis se mobilisent et sollicitent Mary Lester. Après quelques hésitations, épaulée par ses fidèles Fortin, Passepoil et Gertrude, la célèbre policière quimpéroise accepte de se lancer dans la quête de la vérité afin de disculper sa collègue. Chaque jour compte, d’autant que Léanne est loin d’être en sécurité dans son île…

Pierre Pouchairet, dont les écrits ont déjà séduit plus de 300 000 lecteurs, s’est approprié le temps de cet ouvrage le personnage de Mary Lester, l’héroïne iconique du roman policier breton. Véritable exercice de style et hommage à Jean Failler, ce passionnant polar mêlant action et suspense devrait ravir les inconditionnels de l’enquêtrice…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Pouchairet s'est passionné pour son métier de flic ! Passé par les services de Police judiciaire de Versailles, Nice, Lyon et Grenoble, il a aussi baroudé pour son travail dans des pays comme l'Afghanistan, la Turquie, le Liban... Ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2012, il s'est lancé avec succès dans l'écriture. Ses titres ont en effet été salués par la critique et récompensés, entre autres, par le Prix du Quai des Orfèvres 2017 (Mortels Trafics) et le Prix Polar Michel Lebrun 2017 (La Prophétie de Langley). En 2018, il a été finaliste du Prix Landerneau avec Tuez les tous... mais pas ici.

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Couverture

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SUIVRE L’AUTEUR

Site web : www.pierrepouchairet.com

Facebook : Pierre Pouchairet

Pierre Pouchairet est membre du collectif

L’assassin habite dans le 29

Facebook : L’assassin habite dans le 29

Email : [email protected]

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Ce texte original relate les aventures du commandant Léanne Vallauri-Galji et de certains personnages qui apparaissent dans l’ouvrage Mortels Trafics, Prix du Quai des Orfèvres 2017, publié chez Fayard en novembre 2016.

Les ouvrages de Pierre Pouchairet ont déjà séduit plus de 300000 lecteurs.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

AVERTISSEMENT

L’écriture de cette œuvre a été réalisée dans le cadre d’une résidence au Sémaphore d’Ouessant, avec le soutien du Conseil départemental.

C’est ainsi que j’ai eu la chance de résider durant un mois dans les lieux où Léanne Vallauri va vivre une partie de cette aventure. Pour les besoins de mon récit, j’ai pris quelques libertés dans ma description des abords immédiats du sémaphore du Créac’h. J’espère que les lecteurs qui connaissent bien les lieux ne m’en voudront pas.

« Les grands projets, dans cette île-prison, sont voués à l’échec. Toute cette peine grotesque pour détruire les effets de la calomnie. Autant vouloir tenir un cierge allumé, dans une bourrasque, sur les falaises du Créac’h. Autant vouloir commander au Fromveur de modifier son cours. »

« À toutes brides sus au continent fonce la cavalerie de la tempête et le tapage des rouleaux du Créac’h est toujours plus sonore. On dirait que l’île a perdu dans les lames son rivage occidental, que la mer se fraie un passage au milieu des prairies. »

« Le fracas des rouleaux sur le Créac’h prenait des accents rauques. Le vent frappait les herbes de la dune, alourdies par la pluie et leur arrachait de pénibles virevoltes. Devant le Jeu de Boules des Païens, la mer se creusait et fumait. »

Un homme d’Ouessant (Henri Queffélec)

« Il doit y avoir un moyen de sortir d’ici…

Il règne une trop grande confusion, je ne ressens aucun soulagement… Beaucoup ici parmi nous pensent que la vie est une farce. Mais toi et moi sommes passés par là, et ce n’est pas notre destin… Tout au long de la tour du guet, les princes continuaient à regarder… Dehors, au loin, un chat sauvage gronda. Deux cavaliers approchaient, le vent commença à hurler. »

All along the warchtowerTout au long de la tour du guet (Bob Dylan)

Chapitre 1

Début d’après-midi, palais de justice de Brest.

Une foule dense. Un cordon de policiers ouvrit tant bien que mal le passage à une Citroën C5 noire. Vite dépassés, les fonctionnaires s’avérèrent incapables de retenir les curieux et les journalistes agglutinés depuis plusieurs heures. Les flashs crépitèrent. Tout ce monde n’avait qu’un seul but : voir et photographier la commandant divisionnaire fonctionnelle Léanne Vallauri, cheffe de la police judiciaire de Brest. Ce n’était pas tous les jours qu’une étoile de la police nationale était soupçonnée de meurtre et allait, selon toute vraisemblance, terminer la journée en prison. Encadrée par deux policiers de l’IGPN, la police des polices, elle fut extraite du véhicule pour être conduite dans le bureau du substitut. Le calme retomba dès que le groupe disparut dans les couloirs du palais.

La magistrate du parquet n’était autre que Marie Evano, fraîchement nommée auprès du Tribunal de grande instance de Brest. Avoir affaire à une femme qu’elle connaissait aurait pu être une bonne surprise pour Léanne, ce ne fut pas le cas. La commandant le comprit en cherchant un regard ami qui la fuyait. Tout cela était de très mauvais augure.

Pour avoir procédé à maintes présentations de malfaiteurs, la flic était parfaitement au courant des rouages de la procédure et ce qui l’attendait. La représentante du parquet allait demander l’ouverture d’une information et sa mise en examen. Elle frémit en entendant la qualification : assassinat, meurtre avec préméditation. L’addition prévue était lourde. Trente ans de détention. Ce serait l’addition à payer lorsqu’à l’issue de l’instruction, dans plusieurs mois, ou plutôt plusieurs années, elle finirait face à une cour d’assises. Peu de chance qu’on lui fasse de cadeau, d’autant qu’être fonctionnaire de police aggravait son cas.

Il y eut ensuite l’attente avant de se retrouver face au magistrat en charge de l’instruction. L’avocat rejoignit Léanne Vallauri pendant ce laps de temps. Maître Jacques Langever avait une cinquantaine d’années, c’était un rouquin de belle corpulence. Une moustache épaisse lui conférait un style britannique démenti par son accent du Sud-Ouest. Un bon vivant que Léanne avait déjà croisé quelques fois. La flic l’avait choisi sans prendre le temps de la réflexion. Le nom s’était affiché dans son esprit et elle l’avait prononcé. Il était connu pour avoir assuré la défense de plusieurs policiers qu’il avait su sortir du pétrin.

Toute cette histoire paraissait être un mauvais rêve, un cauchemar ; il fallait qu’elle se réveille. Langever s’installa dans la pièce prévue à cet effet. Sa cliente y était déjà. Il lui envoya un sourire de soutien, tira la chaise en face de Léanne et s’assit. Pour avoir assisté aux auditions effectuées par les enquêteurs, il connaissait en partie l’affaire. En partie seulement. Léanne était soupçonnée d’avoir assassiné Nino Braghanti, alors qu’il se trouvait au centre hospitalier de Nantes. Indice accablant, les flics de l’IGPN avaient retrouvé chez elle une seringue ayant contenu de la morphine du même type que celle susceptible d’avoir été injectée dans la perfusion du patient.

L’avocat posa sa sacoche sur la table pour en extraire des documents et des notes prises durant la garde à vue. Il repoussa ses lunettes en arrière et pointa un regard bleuté sur sa cliente.

— Vous avez refusé de répondre à bon nombre de questions de vos collègues. Vous n’avez pas eu tort, ça laisse le temps de fixer nos idées pour éviter de nous contredire, ce qui est toujours mauvais.

Léanne le regarda. Il en avait de bonnes… « nos idées », « pour éviter de nous contredire ». C’était bien, ce « nous », qui pouvait donner le sentiment d’être dans la même équipe, mais, au final, quand il s’agirait de partir en prison, le « nous » ne serait plus, et elle serait seule. Très seule. L’avocat dut le comprendre.

Il continua :

— Maintenant, je vous conseille de donner votre version au juge durant l’interrogatoire de première comparution. Beaucoup de choses vont se jouer dans les heures à venir et particulièrement votre mise en détention. Il va falloir être convaincante.

Le regard vers la policière se fit encore plus profond, plus perçant.

— Je vais vous le demander une seule fois. Ça ne changera pas grand-chose. Certains de mes confrères s’en moquent, moi, j’aime savoir. Soyez persuadée que, quoi qu’il en soit, je suis de votre côté. Il ne m’appartient pas de juger, mais d’expliquer et de présenter les éléments sous un éclairage différent de l’accusation.

Léanne l’arrêta.

— Vous voulez savoir si j’ai assassiné Nino Braghanti ?

Langever eut une mimique d’approbation.

— Je ne regrette pas qu’il soit mort, ça me procure même une immense joie. J’aurais pu le tuer, mais non, je ne suis pour rien dans la disparition de cette pourriture. Ce n’est pas moi qui l’ai empoisonné.

Une lueur amusée brilla dans les yeux de l’avocat. Sa cliente aurait besoin d’être encadrée, canalisée.

— J’en prends bonne note. Maintenant, il va falloir que vous vous mettiez quelques petits trucs dans la tête. Tous les deux, nous allons être une équipe. J’exige de la confiance et du respect. Inutile de me raconter des sornettes quand je vous pose une question.

Le ton se fit un peu plus dur.

— À moi, vous ne mentez pas !

Loin de s’en offusquer, même si elle mit de nouveau quelques bémols sur « l’équipe », Léanne apprécia la manière et le laissa continuer.

— Pourquoi êtes-vous allée voir Braghanti ? Commandant, j’aimerais que vous me résumiez ce qui s’est passé pendant que vous étiez avec le détenu.

Commandant. La mention de son grade la troubla. Elle était au bout du chemin. Sous peu, elle ne serait plus rien et entendre prononcer son titre provoquerait plus de sourires railleurs que de respect. Elle avait tant donné pour son job, tout était fini. À cette minute, sa réaction était peut-être stupide, mais elle craignait plus de perdre son travail que sa liberté.

Elle se força à réunir toute son énergie pour répondre à la question de l’avocat.

— Dans une affaire, qui porte sur plusieurs centaines de kilos de drogue saisies, j’ai identifié parmi les trafiquants Leïla Braghanti, la femme de Nino Braghanti, qui était incarcéré à Toulouse. Quand j’ai su que Braghanti était transféré à Nantes pour être entendu par un juge, j’ai voulu en profiter pour aller lui parler. Leïla a tenté de l’assassiner1 il y a quelques mois, ça peut fâcher. J’espérais obtenir, hors procédure, des confidences de sa part. Le problème, c’est que ça ne s’est pas passé comme je l’escomptais. Il m’a ri au nez.

D’un geste du menton, Langever l’invita à poursuivre.

— S’il s’était arrêté là, je serais rentrée tranquillement à Brest, mais il s’est vanté d’être à l’origine de la mort de mon mari.

L’avocat savait déjà que sa cliente était la veuve d’un policier niçois abattu en service dans un quartier difficile de la capitale azuréenne. Connaissant le caractère volcanique de Léanne, il comprit qu’une telle révélation avait dû mettre le feu aux poudres.

— Tout d’abord, j’ai cru que j’avais mal entendu. Mais il a insisté en regrettant d’avoir fait le mauvais choix et de ne pas m’avoir éliminée. Je suis devenue comme folle. J’ai voulu lui sauter dessus, c’est un policier de garde qui m’en a empêchée.

En même temps qu’elle déroulait son histoire, Léanne montait dans les tours. Elle cracha :

— J’aurais pu le tuer. Je crois que si j’avais eu mon arme avec moi, je l’aurais peut-être fait. Mais non. Il ne s’est rien passé. Je me suis calmée, je suis rentrée chez moi à Brest. Je me suis enfilé plusieurs verres de Jack Daniels, j’avais des somnifères, j’en ai pris et je me suis écroulée sur mon lit. Après, je ne me souviens de rien jusqu’à mon interpellation par l’IGPN.

— Les enquêteurs ont découvert à votre domicile une seringue avec des traces de morphine injectable… Une dénonciation anonyme parvenue à l’IGPN indique que vous avez utilisé ce produit pour le tuer et on en trouve chez vous.

Léanne ne laissa pas l’avocat poursuivre.

— Je ne comprends pas. Je ne savais même pas que Braghanti était sous opioïdes. Comment aurais-je pu le savoir ? Tout cela n’est pas à moi ni à Vanessa, avec qui je partage l’appartement. Notre poubelle était sur le palier. Quelqu’un a dû jeter ça dedans.

La flic perçut une sorte de flottement dans le regard de son conseil. Il doutait.

— Vous ne me croyez pas ?

— Vous êtes policière, est-ce que vous croiriez une chose pareille ?

Elle se tut. Évidemment que non. Jamais elle n’aurait gobé une telle histoire si un suspect avait essayé de la lui servir. L’avocat tenta une hypothèse.

— Et votre amie, elle n’aurait pas pu ?

Elle se troubla et lui envoya un regard abasourdi.

— Vanessa ? N’y pensez même pas. Impossible. On se connaît depuis l’adolescence. Jamais elle ne me porterait préjudice. Vanessa Fabre est psychologue judiciaire, on travaille ensemble. Avec Élodie Quillé, la directrice de l’Institut médico-légal de la Cavale Blanche à Brest, nous sommes inséparables, plus qu’une famille. Elles doivent être les premières à s’inquiéter pour moi.

Le conseil n’insista pas.

— Alors qui ? Qui peut vous en vouloir à ce point ? Vous vous rendez compte ce qu’une telle machination suppose ? Il faut avoir tué Braghanti à Nantes et ensuite venir déposer à Brest, dans votre poubelle, les preuves de votre culpabilité.

Elle répondit avec autant de nervosité que d’agacement :

— C’est impossible, c’est ce que vous essayez de me dire ?

— Difficile à imaginer en tout cas…

Elle s’enfonça dans son siège et se passa la main dans les cheveux. Elle devait l’admettre. Personne ne croirait à la machination. Même si c’était la vérité, elle allait dans le mur. On frappa et un policier apparut.

L’avocat adressa un sourire d’encouragement à sa cliente.

— Ça va être à nous.

Pour avoir déjà travaillé sous ses ordres, Léanne connaissait la magistrate à qui elle allait avoir affaire. Annie Le Chevalier était une juge juste, sans idée préconçue. Dans sa recherche de la vérité, elle n’hésiterait pas à ouvrir toutes les portes et à tout exploiter. Peu de chance tout de même qu’elle ne soit pas dessaisie et que l’affaire ne fasse pas l’objet d’un déplacement vers un autre tribunal de grande instance par souci d’impartialité.

En attendant, rien dans l’attitude de la juge ne laissa supposer qu’elle connaissait celle qu’elle allait mettre en examen. Comme prévu, Léanne demanda à s’expliquer et raconta de nouveau le déroulement des faits tels qu’elle les avait résumés à son conseil. Ton calme, qu’elle voulait convaincant, elle parla sans être interrompue. Les policiers de l’IGPN, tout comme l’avocat et la magistrate, écoutèrent dans un silence que seul le cliquetis du clavier de la greffière venait troubler. Quand elle eut terminé, la policière chercha à accrocher le regard d’Annie Le Chevalier. Difficile de lire dans ses pensées. Cette dernière crut tout de même opportun de lui faire part de ses sentiments.

— Madame, vous êtes officier de police. Vous connaissez aussi bien que nous la procédure pénale. Les faits qui vous sont reprochés sont d’une extrême gravité. Les enquêteurs vérifieront vos dires, mais, dans l’état actuel, vous conviendrez que vos déclarations nous éclairent fort peu.

— Vous préféreriez peut-être que j’avoue un crime que je n’ai pas commis ?

— Ce n’est pas ce que je vous demande.

L’avocat posa une main sur l’un des bras de Léanne. Sourire bienveillant. Il l’interrompit et s’adressa à la juge.

— Ma cliente est à bout. Elle est innocente des faits qui lui sont reprochés. Elle voit comme une injustice ce qui est en train de se passer. Compte tenu de son engagement au service du droit, elle a du mal à accepter la manière dont elle est considérée. De plus, elle est épuisée.

— Maître, si je comprends que madame Vallauri soit fatiguée, laissez-moi vous dire que le traitement réservé à son dossier est comparable à celui de toutes les autres affaires dont mon cabinet est saisi.

Léanne en eut subitement assez de tout ça. Elle les coupa sur un ton empli de lassitude :

— De toute évidence, je vais aller en prison. Finissons-en !

La juge tiqua. Elle connaissait le passé professionnel de Léanne, ses succès imposaient le respect, mais ça ne pardonnait pas un meurtre. Que la victime soit une crapule n’y changeait rien.

— Au regard du trouble à l’ordre public et pour le bon déroulement des investigations, le Procureur de la République a requis la délivrance d’un mandat de dépôt. Vu la gravité des faits, je ne peux qu’abonder en son sens. C’est le juge des libertés et de la détention qui décidera.

Léanne réprima l’envie de chialer qui montait en elle. Pas question de procurer ce plaisir à Marie Evano et aux flics de l’IGPN qui l’avaient entendue.

L’avocat jeta un regard vers sa cliente.

— Nous sollicitons un report du débat contradictoire devant le juge des libertés, cela pour avoir le temps de préparer notre défense.

Cela signifiait que Léanne dormirait en cellule jusqu’à ce qu’une décision soit prise à son sujet. Elle écouta sans réellement entendre. Le délai de quatre jours prévu par la loi ne changerait rien. La présentation devant le JLD ne serait qu’une mascarade qui confirmerait sa détention. Alors qu’une voix hurlait dans sa tête qu’elle allait dormir derrière les barreaux et que son esprit tentait de multiplier trois cent soixante-cinq jours par trente ans pour savoir combien de jours et de nuits elle passerait en prison avant de recouvrer la liberté, elle s’en remit à la demande de Langever.

1Voir Mortels déclics, même auteur, même collection.

Chapitre 2

Commissariat de Quimper.

La commandant Mary Lester abandonna Jean-Pierre Fortin pour se rendre dans le bureau du commissaire divisionnaire Fabien. C’était ouvert, elle toqua tout de même deux coups à la porte directoriale et passa la tête avant d’entrer. Elle le trouva en pleine réflexion. Il était si absorbé par ses pensées, le regard fixé sur des notes, qu’il ne bougea pas, comme s’il n’avait rien entendu. Mary réitéra et le vit enfin lever les yeux vers elle. Il lui envoya un mince sourire et hocha la tête gravement.

— Ah, Lester, vous venez me dire au revoir avant de partir en vacances à Venise. Vous avez de la chance.

Le ton n’y était pas. Aucune joie, juste une immense lassitude. La commandant s’en étonna, tout en entrant dans la pièce.

— Ça ne va pas, patron ?

Il lui désigna la chaise en face de son bureau et lui lança un regard de vieux chien fatigué tout en haussant mollement les épaules, bougon.

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde ? J’ai appris à l’instant que Léanne Vallauri va être incarcérée. Même si cette fonctionnaire a parfois un tempérament de jeune écervelée, elle ne mérite pas cela. Avec tout ce qu’elle a fait par le passé, c’est terrible ce qui lui arrive. Le directeur général vient de me parler, lui-même en est tout chamboulé. J’ai confirmé au conseiller Mervent et au contrôleur Claude Vignon1 que vous ne pouviez pas travailler sur cette affaire. Vous vous doutez qu’ils sont très déçus, et lorsque des gens de ce niveau le sont, ce n’est pas sans conséquence. On considère en haut lieu que je ne suis pas capable de diriger mes fonctionnaires. C’est-à-dire de diriger Mary Lester.

Il s’égaya faiblement. Sa voix était pleine d’amertume. N’attendant pas de réponse, puisqu’il parlait plus pour lui que pour son invitée, il poursuivit :

— Ne vous inquiétez pas. Je vous ai défendue auprès d’eux. Moi, je comprends votre position. On ne peut pas toujours tout demander aux mêmes personnes. Mes fonctionnaires ne sont pas corvéables à merci et vous méritez des vacances avec tout ce que vous avez vécu ces derniers temps.

La commandant Lester accrocha les yeux bleus de son chef. Elle pouffa.

— Patron, je vous connais depuis assez longtemps, inutile de jouer ce jeu-là avec moi. Vous croyez que je ne vous vois pas venir. Vous tentez le tout pour le tout dans le but de me décider à changer d’avis.

— Mais pas du tout. Qu’allez-vous imaginer ? fit-il, faussement outré.

Mary prit appui des deux mains sur son bureau et se releva en faisant mine de vouloir s’en aller.

— C’est d’autant plus inutile que je suis montée pour vous dire que je ne partais plus en congé. J’annule mes vacances pour travailler sur le cas de Léanne Vallauri et tâcher de faire jaillir la vérité. Cela, en espérant qu’elle soit innocente. Il ne faudra pas vous plaindre si, par malheur, je démontrais le contraire et que le résultat de mes investigations renforce l’enquête de l’IGPN. Ce serait la pire chose qui puisse arriver.

Les yeux du commissaire s’étaient subitement agrandis. Il la scrutait, sans avoir parfaitement assimilé ce que sa subordonnée venait de lui dire. Il la fixa, de ce que le capitaine Fortin appelait son regard « laser ».

Mary Lester s’amusa de son effet. Elle l’avait déstabilisé. C’était bien fait pour lui, ça lui apprendrait peut-être à monologuer sans écouter au préalable ce qu’on avait à lui dire. Le ton du directeur changea. La vivacité qui avait semblé un instant lui faire défaut le gagna de nouveau.

— Vous voulez dire que vous ne partez plus ? Fini Venise ? Vous restez à Quimper pour enquêter sur l’affaire de votre collègue ? Je n’arrive pas à le croire. Vous m’en bouchez un coin ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point ils vont être contents en haut lieu.

Il commença par ramasser le dossier qui était sur sa table de travail et le tendit à la commandant.

— Voilà la copie de la procédure dressée à l’encontre de Vallauri.

Il posa la main droite sur le téléphone de son bureau.

— Je vais appeler tout de suite les pontes !

La commandant l’en dissuada en roulant des yeux. Il était temps de calmer l’emballement de son chef de service.

— Patron, avec tout le respect que je vous dois, ce n’est pas exactement ce que je viens de vous dire et ma décision s’assortit de plusieurs conditions.

— Tout ce que vous voulez !

Mary Lester se rassit.

— Je ne vais pas rester à Quimper. Si je dois enquêter sur cette affaire, il va falloir que j’aille à Nantes, certainement à Brest et aussi à Nice.

Mary sourit en imaginant que les rouages du cerveau de son chef devaient s’être transformés en calculatrice. Il ajoutait frais de déplacement, hôtel, repas. Sa fonctionnaire allait faire péter les compteurs.

— À Nice ?

Son front se plissa.

— Mais… ça va nous coûter un bras. Le budget est déjà…

La commandant ricana.

— Contraint ? C’est ce que vous essayez de dire pour ne pas mentionner qu’on est ric-rac, que les caisses sont vides, qu’il n’y a plus de fric ? Dans ce ministère, comme ailleurs, quand on a besoin, on sait trouver. Si vous désirez qu’on sorte cette affaire, et croyez bien que nous le voulons tous, il va falloir que le quoi qu’il en coûte ne soit pas juste un mot en l’air. Sinon, autant que je parte à Venise.

Le commissaire leva une main en signe d’apaisement.

— OK, vous irez où bon vous semblera.

— Je n’ai pas terminé, poursuivit Mary Lester. Une enquête, ce n’est pas uniquement des déplacements et, sur une investigation de cette importance, vous imaginez que je ne peux pas être seule. Il me faudra du monde.

Fabien souffla pour la forme. Celle-là, il l’avait vue venir et s’y était préparé.

— Vous voulez que Fortin vous accompagne ? Je ne peux pas désorganiser le service, je comptais sur lui pour travailler sur les affaires courantes en votre absence.

C’était un combat d’arrière-garde. Mary Lester savait qu’elle avait déjà gagné sur ce point. Elle n’essaya même pas d’argumenter.

— Ah, mais vous n’y êtes pas du tout, patron ! Fortin est indispensable, c’est vrai. Mais dans un cas de cette importance, ce n’est pas le seul. Il faudra aussi les lieutenants Albert Passepoil et Gertrude Le Quintrec.

Cette fois, le commissaire s’étrangla. Il répéta, en comptant sur ses doigts :

— Vous, le capitaine Fortin, les lieutenants Le Quintrec et Passepoil… Vous avez besoin d’être quatre ? Vous n’allez pas dégarnir tout mon effectif !

Mary Lester persifla :

— Quatre, c’est un minimum pour réaliser une vraie enquête. N’oubliez pas que le but est de faire libérer Léanne Vallauri et que l’unique possibilité est de damer le pion aux collègues de l’IGPN en cherchant des preuves là où ils n’ont pas regardé.

Un silence s’instaura. Mary Lester fut la première à le rompre.

— Allons, patron. Pour Passepoil et Gertrude, ils n’auront pas besoin de nous accompagner partout. Il faudra seulement qu’ils soient entièrement disponibles au cas où.

— Au cas où, répéta Fabien.

— Et puis, si le directeur général de la police et le conseiller Mervent sont de notre côté, vous pouvez leur faire confiance pour vous obtenir une rallonge budgétaire. Vous saurez faire pour défendre le service et vos fonctionnaires.

Elle avait touché la corde sensible. Fabien n’était pas dupe, mais ce petit fayotage de la part de sa subordonnée était loin de lui déplaire. Il balança un coup de menton vers la porte.

— Inutile de faire de la basse flagornerie ! Allez, filez ! Je compte sur vous pour faire du bon boulot. Sortez Vallauri de prison et tâchez de redorer le blason de la police nationale. Il y en a assez de ces journalistes qui passent leur temps à nous cracher dessus.

Cette fois, Mary Lester se leva pour quitter le bureau. Elle entendit le chef se préparer à lancer une ultime recommandation. Elle le coupa avant qu’il ne dise mot.

— Et, bien sûr, je vous tiens au courant de l’avancée de l’enquête.

Plutôt satisfaite, elle dévala l’escalier pour refaire un passage à son bureau. Fortin y était. Il leva la tête vers elle.

— Je te croyais partie.

— J’y vais, le patron est ravi qu’on s’intéresse à cette affaire. Il paraît que c’est un casse-tête en haut lieu.

Fortin gesticula nerveusement.

— C’est l’administration. D’un côté, il faut que l’IGPN sanctionne des flics, et d’un autre, ils ne sont pas contents parce que ça atteint l’image de la boîte.

— De la politique, mon pauvre Jipi. Ce n’est que ça.

— Ouais, et en attendant, c’est nous qui sommes au milieu, et de malheureux policiers sont embastillés, alors qu’ils ne font que leur travail.

Mary Lester le modéra.

— Dans le cas de Léanne Vallauri, ce qu’on lui reproche est un meurtre avec préméditation, c’est un peu plus grave qu’une bavure ou une faute professionnelle. Elle ne va pas seulement perdre son boulot, elle encourt trente ans.

Fortin donna l’impression de se vider, tant il souffla profondément.

— T’as raison.

Sur ce, la commandant s’assura que son adjoint avait prévenu Passepoil et Gertrude qu’elle comptait sur eux pour la soirée.

— C’est bon, ils seront là.

Mary fit signe qu’elle s’en allait, définitivement cette fois.

— Il me reste le plus difficile à faire, annoncer à mon homme que nous ne partons plus à Venise. Je ne sais pas comment il va le prendre. Il va être terriblement déçu.

Fortin souleva les épaules.

— Quand on se met avec un flic, on doit s’attendre à ce genre de choses. Nous n’avons pas un métier comme les autres.

— Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre.

Elle le planta là et disparut dans l’escalier. Venue travailler à pied, elle prit la direction de son domicile, venelle du Pain-Cuit, dans le centre-ville. Elle sortit le téléphone de son sac en traversant l’Odet et choisit d’appeler Yann tout en marchant. Elle n’avait pas envie d’avoir ce genre de discussion devant Amandine quand elle serait à la maison. Autant crever l’abcès tout de suite. Yann lui répondit à la première sonnerie.

— Je suis en train de fignoler notre séjour. J’ai fait la liste des lieux à ne pas rater et je me penche maintenant sur les restaurants. Il y a plein d’endroits où nous allons nous régaler.

Le ton était vif, joyeux… Pire, il se voulait complice. L’estomac de Mary se serra. Ce qu’elle allait annoncer ressemblait à une trahison. Le silence dû à son hésitation alerta son homme de cœur.

— Ne me dis pas que…

— Si, fit-elle. Il y a un impondérable. Je suis vraiment désolée, mais nous ne pouvons pas aller à Venise. Il va falloir reporter.

Elle l’entendit souffler sa déception dans le micro.

— Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution.

— Malheureusement, non. Moi aussi, je me faisais une joie de partir avec toi. Mais je ne peux pas… vraiment pas…

Il faillit lui dire que le monde ne s’arrêterait pas de tourner si Mary Lester prenait des congés ou même si elle disparaissait, mais il préféra se taire. Mary eut une sorte de fulgurance, l’idée qui pouvait, sinon tout arranger, éviter le pire.

— Tu veux bien m’accompagner à Nice ?

— À Nice ?

Yann ne chercha pas à poser de questions. Il laissa sa compagne insister.

— Eh bien, à la place de Venise, je te propose la Côte d’Azur. Tu verras, c’est pas mal non plus.

Il en convint. Après tout, ce serait mieux que de rester seul en Bretagne à ressasser.

Mary termina en invitant son amoureux à venir chez elle dans la soirée. Il serait toujours temps de lui avouer qu’elle aurait Fortin dans ses bagages.

1Directeur de la police judiciaire de Rennes et chef de Léanne Vallauri.

Chapitre 3

Brest, maison d’arrêt.

Il fallait tenir le coup. L’arrivée à la maison d’arrêt fut longue et pénible. Les deux policiers de l’IGPN qui l’accompagnaient eurent la décence de la fermer. En les observant, elle crut même déceler de l’embarras chez eux.

Pourtant, ces deux enfoirés doivent être habitués à foutre des flics en prison.

Elle non plus ne dit rien ; elle se laissa entraîner jusqu’à ce que ses gardes la remettent aux fonctionnaires de la pénitentiaire. Elle patienta longtemps, c’était le changement de service, elle demeura dans une cellule grande comme une cabine téléphonique en attendant qu’on vienne la récupérer. Il y eut les formalités administratives. Et le reste… la vérification de ses affaires d’abord. Tout y passa. Elle avait un sac préparé par Vanessa. Pour avoir déjà vécu un moment similaire1, la psychologue savait d’expérience ce qu’elle pouvait lui mettre ou non. Léanne examina le contenu. Habits chauds, sous-vêtements, nécessaire pour l’hygiène, elle n’avait rien oublié. Il y eut ensuite la fouille à corps. Nue devant les matonnes, elle subit un examen approfondi faisant fi de toute pudeur. La douche. La remise des effets. Et, enfin, la cellule. De par son statut de flic, elle eut droit d’être seule. Pas de coin VIP comme on en mentionne fréquemment, juste une pièce. Sept mètres carrés, un lit métallique, une table, une chaise, un lavabo et un W.-C. Elle n’alla même pas à la fenêtre. Quand la porte se referma derrière elle et que les verrous claquèrent, elle se débarrassa de ses affaires, se laissa tomber sur le matelas et se mit à pleurer toutes les larmes qu’elle avait retenues jusque-là. Fini l’esprit combatif. Juste la déprime. Le gouffre sans fond, la chute dont on ne se relève pas. Il y eut aussi ce sentiment de culpabilité que seuls les flics peuvent avoir… Elle pensa à tous ceux qui avaient été emprisonnés à cause d’elle. Il y a encore quelques heures, elle aurait dit « grâce » à elle. Maintenant, elle se sentait des affinités avec eux. Il y avait, certes, un bon nombre de salopards dans les gens qui avaient été incarcérés. Pas tous ; pour certains, l’enquête se poursuivait. Il y avait les indices graves et concordants… Putain d’indices graves et concordants ! Comment pouvait-elle se retrouver en prison pour un meurtre qu’elle n’avait pas commis ? D’où venait cette seringue trouvée dans sa poubelle ? Celui qui l’avait placée là avait préparé son coup. Tuer Braghanti et la faire accuser, la machination nécessitait du monde, des moyens, de la réactivité. Elle ne voyait pas comment elle pourrait se sortir de ce sac de nœuds. Encore une fois, elle se répéta que ce n’était pas l’avocat qui y arriverait. Il faudrait enquêter, prendre des risques. Il n’y avait pas beaucoup de flics qui en seraient capables. Elle pensa à son équipe. Elle n’avait aucun doute sur la compétence et la volonté de ses adjoints, mais Lionel Le Roux et François Quentric ne pourraient rien faire. L’IGPN allait les avoir à l’œil. Isaac ? Le jeune flic n’était qu’un gardien de la paix. Après cinq ans de boîte, il avait réussi le concours d’officier et allait partir en formation dans quelques semaines. C’était un coup à lui ruiner sa carrière.

Elle pensa ensuite à ses deux copines, Élodie, la légiste, et Vanessa, la psy, qui feraient tout pour lui venir en aide. Léanne savait qu’elle pouvait compter sur les deux femmes. Mais, malgré toute la bonne volonté qu’elles déploieraient, elles n’avaient pas les moyens de mener une enquête policière.

La conclusion qui s’afficha dans son esprit était que, cette fois, elle n’arriverait pas à se dépêtrer de ce piège. Elle eut d’autres pensées, pour ses parents. Son père, ancien officier de marine, et sa mère ne comprendraient pas, elle ne parvenait pas à imaginer dans quel état cette histoire allait les mettre. Il y avait également Johana, sa sœur, elle aussi commandant de police, mais à la PJ de Nice. Elle se demandait comment elle allait réagir. Elle pourrait peut-être… La fatigue prit le dessus sur les émotions.

… Des cris. Léanne se réveilla en sursaut. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser où elle se trouvait et assimiler qu’il ne s’agissait pas d’un cauchemar, mais que tout était vrai. Une voix féminine hurlait des mots qu’elle n’arrivait pas à comprendre, c’était une sorte de râle continu. Le quotidien de la taule. Les yeux grands ouverts, elle frissonna et se décida à se relever pour faire son lit et s’allonger sous les draps et couvertures. Mieux installée, elle ne retrouva pas pour autant le sommeil. Elle en savait peut-être plus que d’autres sur la vie en prison, mais entre ce qu’elle avait appris et ce qu’elle vivait, il allait y avoir une énorme différence : la réalité.

Claquement de serrures, bruits de couloir, service petit-déjeuner. La trappe nécessaire au passage des plateaux s’ouvrit. Café. Pas de pain, il était distribué la veille au soir à une heure à laquelle elle n’était pas encore incarcérée. Elle se leva pour récupérer la nourriture. Elle entendit cracher, puis une voix féminine.

— C’est toi, la salope de flic.

Léanne ne répondit pas.

— Bienvenue ! Et bon appétit ! Un grand bol de pisse chaude, ça va te mettre en forme.

Un rire hargneux termina les quelques mots d’accueil.

Pas besoin de goûter, la simple odeur du récipient lui confirma que son interlocutrice ne lui avait pas menti. Elle jeta le contenu dans le lavabo. Qu’elle soit condamnée, ou pas, à de nombreuses années de détention, à moins de décider de mettre fin à ses jours, il allait falloir qu’elle survive et agisse en ce sens.

Il était aux environs de neuf heures quand deux matonnes vinrent la chercher en cellule. L’une devait avoir une petite vingtaine d’années, mince, sportive, visage franc ; la seconde aurait pu être la mère de la première, elle dépassait les cinquante ans, c’était une grosse au teint brique ; son regard globuleux glissa sur Léanne.

— La directrice veut vous voir.

Elle se leva pour leur emboîter le pas. Son passage dans les coursives fut émaillé de quelques caquètements. Radio prison fonctionnait à plein régime. Elle n’avait encore rencontré personne que déjà tout le monde savait qu’elle était là. Après avoir suivi de longs couloirs et attendu que des portes s’ouvrent, ses deux guides arrivèrent dans la partie administrative de l’établissement. Ambiance plus feutrée. Elle termina dans un grand bureau avec une bibliothèque. En d’autres circonstances, voir de nombreux romans policiers l’aurait amusée. Pas aujourd’hui.

Quarantaine affirmée, cheveux courts, l’air déterminé, Lucie Valmont, la directrice, avait le regard perçant, les pommettes saillantes, une silhouette anguleuse. À croire qu’elle se nourrissait des plateaux-repas de son établissement. Elle fit le tour de sa table de travail et s’approcha d’un des deux fauteuils destinés à ses visiteurs. Elle en désigna un à Léanne et s’installa dans l’autre.

— Bonjour, Vallauri. Je voulais vous voir.

Un coup de menton et les accompagnatrices de la détenue disparurent en fermant la porte. Elle continua :

— Je ne vous apprends rien en vous disant que la vie ici ne va pas être facile pour vous. Nous vous avons donné une cellule seule. Pour les promenades, je vais m’arranger pour que vous puissiez sortir en dehors des heures habituelles. Il y aura le reste, la salle de sport, la bibliothèque, les activités éventuelles. Je suppose que le mieux pour vous est de ne pas quitter votre geôle.

— Non, coupa Léanne, même si je ne suis pas coupable des faits qui me sont reprochés, il va falloir que je m’y fasse. Je ne sollicite aucun traitement de faveur.

La directrice passa sur l’innocence présumée de sa pensionnaire. Innocente ? À les écouter, elles l’étaient quasiment toutes. Elle n’eut pas à chercher le regard de Léanne, cette dernière la fixait déjà. Les deux femmes s’évaluaient. D’un côté la haut fonctionnaire, sûre de son savoir et de son pouvoir, de l’autre la commandant de police déchue, avec encore toute son arrogance. Le téléphone sonna sur le bureau. Valmont se leva pour répondre. Elle se mit à observer la flic. Léanne comprit qu’elle était le sujet de cet appel. Ce fut bref.

— On a uriné et craché dans votre petit-déjeuner ?

Inutile de nier. Léanne essaya de fanfaronner.

— Une manière de m’adresser la bienvenue.

— Et vous sollicitez un traitement normal ? Vous savez, j’ai eu ici une agente pénitentiaire. Elle venait d’un département voisin, elle ne mangeait plus, elle a fini pendue dans sa cellule.

Léanne affirma le ton.

— Je vais…

Elle se reprit :

— Je n’ai pas le choix. Je dois me mêler aux autres. Je ne peux pas me cacher, il faudra bien qu’à un moment je me retrouve avec elles.

— Comme vous voulez. Je vais cependant faire veiller à ce que personne ne puisse souiller votre plateau. Vous aurez aussi accès à la cantine2 de la prison, ainsi vous pourrez préparer vos propres repas.

Léanne en profita pour indiquer qu’elle devait recevoir dès aujourd’hui la visite de son avocat.

Un fantôme de sourire passa sur le visage de la directrice.

— Ah oui, c’est vrai que vous avez demandé le report du débat sur votre placement en détention. Ça sera l’occasion pour vous d’une sortie.

Sous-entendu : « Ma pauvre fille, ne t’imagine pas que les magistrats vont te laisser libre. » Léanne se mordit les lèvres. Rester digne, d’autant qu’elle n’était pas loin de penser la même chose. L’entretien était terminé. On la raccompagna jusqu’à sa cellule. Sur le chemin, elle croisa d’autres prisonnières. Des visages compatissants, presque amicaux, d’autres plus hostiles, et certains agressifs. Elle n’eut pas le temps de s’asseoir qu’on venait déjà la chercher pour la promenade.

T’as voulu y aller, ma fille, c’est maintenant. Tu vas sauter dans le grand bain.

La cour était un vaste espace rectangulaire, un ballon de volley, des buts. Quelques détenues, plutôt jeunes, étaient en train de jouer. D’autres couraient. La plupart discutaient par groupes. Une évidence : la mixité raciale n’était pas en vogue. Elle soutint tous les regards qu’elle rencontra ; là encore, de l’un à l’autre, les attitudes étaient différentes. Elle marchait quand le ballon la cogna à l’arrière du crâne. Elle se retourna. Quelques rires, des sourires. Tout le monde l’épiait. Elle balaya son entourage des yeux. Pas de surveillante. Elle se demanda un instant si c’était voulu. Elle décida de viser un coin de cour dans l’idée d’aller s’y asseoir et de guetter l’assistance. Le ballon la frappa de nouveau. Elle fit volte-face et identifia la tireuse. Il s’agissait d’une fille qui ne devait pas être loin du mètre quatre-vingt-cinq, cheveux rasés, tanquée comme une lanceuse de poids. La flic n’eut aucune hésitation, elle marcha vers elle d’un pas résolu. Le sourire de la grande s’élargit en la voyant arriver.

— Désolée, fit-elle, je ne l’ai pas fait exprès.

Le ton, tout comme l’attitude, démontrait le contraire. Léanne continua d’avancer. Elle comptait mentalement les foulées qui la séparaient de son objectif. L’agresseuse jeta un regard fier en direction de la cantonade. Tous les yeux étaient maintenant braqués sur les deux femmes. Léanne n’eut aucune hésitation. Le poing serré, elle envoya un crochet magistral en plein visage de la porteuse du ballon. Trop confiante, sa victime n’avait rien vu venir ni rien fait pour parer le choc. Le coup écrasa le cartilage, elle tomba comme une masse. Le sang jaillit. En un instant, un groupe se forma autour des deux protagonistes. Des cris d’excitation fusèrent. Ce n’était pas tous les jours qu’on avait une occasion de s’amuser. Les témoins ne pouvaient qu’être gagnants. D’un côté, elles détestaient la géante qui jouait les chefs de bande, les terrorisait et parfois les rackettait ; de l’autre, par principe, elles n’aimaient pas la flic. Les détenues empêchèrent Léanne de partir. Elle hésita. Dans le regard des filles, elle comprit que son adversaire s’était relevée. Elle se retourna à temps pour la voir lui foncer dessus. Elle réussit à éviter la charge. Les deux femmes heurtèrent le mur formé par les spectatrices. Rejetées au milieu de l’arène, les lutteuses se firent face. Léanne avait pour elle l’agilité, l’autre, la masse musculaire. Si elle tombait entre ses mains, sa rivale n’en ferait qu’une bouchée. Son cœur explosait. Tête baissée, façon joueuse de rugby, la grande fondit sur Léanne. À la manière d’un torero, la flic tenta d’éviter l’attaque en se mettant sur le côté. L’option choisie fut la mauvaise, elle la reçut en plein plexus, deux côtes en firent les frais. Léanne eut l’impression de s’envoler, comme balayée par une locomotive lancée à pleine vitesse. Elle tomba à plat dos en emportant une partie de l’assistance. Elle se redressa et eut la force de balancer un coup de pied qui prit l’agresseuse sous le menton. Il en fallait plus pour la sécher. La riposte éclata : une pommette de la policière, puis une arcade sourcilière. Il y eut ensuite des coups de sifflet, le cercle s’ouvrit pour laisser passer des surveillantes. La gradée présente hurla au moment où la géante armait le bras pour frapper à nouveau.

— C’est quoi, ce bordel ?

Fin du match et du spectacle. Les femmes furent regroupées pour un retour en cellule, alors que Léanne et son adversaire étaient envoyées sous bonne garde à l’infirmerie.

La directrice débarqua pendant qu’on s’occupait de Léanne.

— Je vous avais prévenue ! Quelle était votre idée ? Vous pensez que vous allez régenter cette prison et en prendre le contrôle ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je veux la vérité !

Trop sonnée pour répondre, la flic laissa Lucie Valmont poursuivre son monologue.

— Vous m’obligez à vous mettre au mitard.

Léanne bredouilla :

— Mon rendez-vous avec l’avocat ?

— J’hésite à le refuser. J’en ai le pouvoir.

Sans l’aide de son conseil, ses perspectives, déjà minces, d’échapper à l’incarcération s’évanouissaient d’un coup. Elle se surprit à prendre un ton suppliant.

— Non, pas ça, je vous en prie…

La directrice la toisa. Elle jouissait de son bon droit.

— Je vais y réfléchir.

— Ne faites pas ça… S’il vous plaît. C’est ma seule chance…

1Voir Avec le chat pour témoin, même auteur, même collection.

2Sorte de commerce/épicerie où les détenues peuvent faire des achats.