Eagle à jamais - Hugo Buan - E-Book

Eagle à jamais E-Book

Hugo Buan

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Beschreibung

Le commissaire Workan doit revoir son swing...

En Bretagne romantique, non loin de Combourg, Charles Soufflot, golfeur invétéré, s’apprête à jouer le score de sa vie sur le trou numéro 1 du golf des Grenouilles : un eagle !... Quoi de mieux qu’un eagle pour impressionner les amis ? Rien !... Et pourtant, un grain de sable va venir enrayer la belle machine à jouer qu’il était devenu. Un grain de sable répugnant.
Presque au même moment, un éditeur paniqué rend visite au commissaire Workan à Rennes : l’un de ses auteurs a disparu. Celui-ci menait des investigations sur des groupuscules d’extrême-droite ou écologistes pour un prochain ouvrage (Michel Grimesnil, éditeur parisien, n’étant pas très sûr de la qualité des protagonistes)… Il va harceler Workan afin que celui-ci ouvre une enquête sur la disparition de ce journaliste d’investigation hors pair. Cédant par compassion ou par curiosité, le commissaire va se saisir de l’affaire. Celle-ci l’entraînera vers un mystérieux château à proximité du golf des Grenouilles…

Hugo Buan nous livre ici une nouvelle enquête passionnante, bourrée d’humour et à l’imagination débordante, du commissaire Workan qui, aussi affreux, incorrect, insupportable soit-il, n’en reste pas moins hilarant et terriblement attachant !

EXTRAIT

Bocquin se repositionna et cette fois-ci balança un swing correct. La balle franchit le plan d’eau et, malheureusement pour lui, alla se plugger - s’enfoncer - dans le sable d’un bunker de fairway.
— Pas de pot, s’avança Lerbier, mais tu es d’accord, c’est quand même ton deuxième coup ?
— Oui, grogna Bocquin en enfournant le Monstre dans son sac.
Charles Soufflot avait gravi à son tour la butte de départ. Il enleva sa veste en Gore-Tex et la jeta derrière lui. Il pensa à son putain de classement bloqué à 22 et entreprit le cérémonial du positionnement des pieds et du corps. « Pang ! » Quand le bruit de la tête de club rencontrant la balle est bon, le coup est souvent bon lui aussi. C’est ce qui se produisit. La balle fusa presque à l’horizontale puis entreprit une montée spectaculaire avant de venir rouler plusieurs dizaines de mètres sur le fairway. En plein dans l’axe du drapeau. Loin devant ses partenaires.
Un swing si beau. Un swing si parfait.
Un swing qui, hélas pour lui, allait bouleverser sa vie.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

S'il s'agit bien d'un roman d'enquête, sa tonalité amusée en fait une comédie policière très réussie. Allez Workan, ne vous fâchez pas, mais il y a encore quelques lecteurs qui ont le grand tort de ne pas vous connaître. Ce nouvel opus leur permettra d'entrer dans votre univers. - Claude Le Nocher, Action-Suspense

Un texte drôle et tonique qui fera plaisir aux lecteurs, et particulièrement aux golfeurs pour ses descriptions justes du jeu, et de l'attitude de certains joueurs. Le commissaire Wolkan va entrer en jeu, et son étiquette n'est pas forcément celle des golfeurs. - Ouest-France

À PROPOS DE L’AUTEUR

Hugo Buan est né en 1947 à Saint-Malo où il vit et écrit.
Passionné de polars, après une carrière professionnelle de dessinateur dans le Génie Civil, il publie en 2008 son premier roman, Hortensias Blues, une enquête policière bourrée d’humour à l’imagination débordante. Il crée ainsi le personnage du commissaire Lucien Workan, fonctionnaire quelque peu en disgrâce auprès de sa hiérarchie, ce qui lui vaut d’être muté depuis Toulouse, où il a laissé sa famille, à Rennes. Ses méthodes sont encore largement désapprouvées par son nouveau patron, mais pour Workan, seul le résultat compte !
Un honnête premier succès pour l’auteur qui embraye dès 2009 avec Cézembre noire, dans lequel « il laisse libre cours à son style débridé ».
Ajoutons que ses ouvrages se sont retrouvés sélectionnés pour pas moins de 5 prix, parmi lesquels le Prix Michel Lebrun au Mans et le Prix Polar de Cognac.

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HUGO BUAN

 

 

Eagle à jamais

 

 

éditions du Palémon

ZA de Troyalac’h

10 rue André Michelin

29170 Saint-Évarzec

 

Du même auteur

 

J’étais tueur à Beckenra City

La nuit du tricheur

Cézembre noire

Hortensias blues

L’œil du singe

L’incorrigible monsieur William

 

 

Le site de l’auteur : www.hugobuan.com

 

Retrouvez tous les ouvrages des Éditions du Palémon sur :

www.palemon.fr

 

 

Dépôt légal 1er trimestre 2015

 

ISBN : 978-2-372601-01-6

 

 

 

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,des lieux privés, des noms de firmes, des situations existantou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

 

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70 - Fax : 01 46 34 67 19 - © 2015 - Éditions du Palémon.

 

Chapitre 1

L’air maussade, Charles Soufflot déchargea du coffre de la voiture son sac de golf et le chariot qui allait avec. Il déplia les roues de ce dernier et y fixa son matériel. Bougon, il passa par le club-house récupérer sa carte de score pour la compétition du jour. Il y jeta un coup d’œil et constata avec amertume que son classement n’évoluait guère. Huit ans de pratique assidue de ce sport et toujours coincé au-dessus de la barre fatidique des vingt. Vingt-deux exactement. Vingt-deux coups au-dessus du par1. Si au moins un jour il avait le bonheur d’atteindre le handicap de quinze ou seulement dix-huit, ça le poserait comme un golfeur chevronné. Ça vous change un homme un classement pareil, les regards seraient plus déférents, on lui demanderait peut-être même des conseils. Et qui sait : pourquoi pas un jour en dessous de dix ?Soufflot hocha la tête et murmura : « Faut pas rêver. »

Le golf des Grenouilles se nichait en pleine campagne bretonne, non loin de Combourg et du magnifique château de Brouandal. Une sorte de forteresse qui fut longtemps abandonnée au gré du vent et des ronces. Un édifice en pierre du XIe siècle érigé sur un site druidique et initié par l’archevêque de Dol de Bretagne.

Les fairways et les greens des Grenouilles se voulaient être un tapis de billard. Un écrin vert. Pari réussi. Le parcours se dessinait entre étangs et tertres entourés de bois de chênes. De hautes herbes limitaient les fairways. Malheur à l’égaré du swing si une balle allait se nicher dans cette savane. Les greens se défendaient par de profonds bunkers sablonneux. Malheur également au golfeur ayant des envies de châteaux de sable. La légende du parcours affirmait qu’un joueur parisien – c’était normal – avait tapé vingt-trois coups de fer avant de s’extraire de celui du trou numéro 15 positionné à gauche du green. La carte de compétition qu’il avait présentée au club-house à l’issue de son parcours n’était plus une carte de compétition mais un devoir de géométrie dans l’espace. Il s’en alla chagriné et confus dans sa région d’Île de France ; on ne le revit plus jamais aux Grenouilles.

 

Une compétition contre son handicap se joue généralement à trois joueurs, chacun marquant la carte de l’autre. Charles Soufflot alla frapper quelques balles d’entraînement au practice où il retrouva un de ses deux futurs partenaires mais néanmoins ennemis, même s’ils étaient amis dans la vie « normale ». En effet tout est anormal sur un parcours de golf, tout au moins dans le golf amateur, les passions exacerbées poussant les joueurs à des sentiments extrêmes. Pas vraiment jusqu’à désirer la mort de l’autre mais jusqu’à souhaiter qu’il se serve de son club comme d’un marteau-piqueur. Labourer le terrain étant le plus doux des vœux prononcés intérieurement. La balle de l’autre dans la flotte, dans un bunker, dans un bosquet et pourquoi pas hors limites déclenche inexorablement un plaisir sadique chez celui qui dit : « Ah ! T’as pas de chance ! » Le malheureux s’en allant hagard, traînant son sac, à la recherche de cette putain de balle avec la ferme intention de tricher s’il la découvre en lui administrant discrètement un petit coup de chaussure pour la remettre dans le droit chemin, en lui trouvant le meilleur angle vers la cible. Opération impossible dans l’eau ou dans un bunker ; trop voyant.

Jacques Lerbier classé dix-neuf – un cador pour Soufflot – était l’un des deux compagnons de jeu de cette compétition du dimanche baptisée La Coupe Meule d’Or. En effet les vainqueurs des différentes catégories recevraient chacun, comme trophée, une meule de plusieurs kilos de fromage à savourer cru ou fondant. Le sponsor décrivait dans son dépliant publicitaire, ensaché avec diverses babioles – tees, stylos, meules miniatures, etc. – remises à chaque golfeur au club-house, les qualités de son fromage.

Jacques Lerbier, dit Herbuss, ne résistant pas à cette présentation, venait d’engloutir ses trois meules miniatures. Le surnom d’Herbuss ne se justifiait pas par la proximité des herbus du Mont-Saint-Michel où broutaient de braves moutons désignés plus tard dans l’assiette comme des gigots de pré-salé, il ne restait plus qu’à poivrer, il n’y a pas de petites économies. Mais Herbuss était une double allusion à son patronyme et à l’avionneur Airbus car Jacques Lerbier, dans ses mauvais jours, avait tendance sur les fairways à expédier des missiles dans toutes les directions. Un véritable meeting aérien mettant en danger la vie d’autrui.

Comme son ami Soufflot, Lerbier allait cette année franchir la barre des cinquante ans, la moitié de la vie si l’on en croyait les médecins du XXIe siècle. Pronostic hasardeux. Pour l’instant, sur les terrains de golf, les centenaires faisaient preuve d’une discrétion exemplaire. Mais après tout pourquoi pas ? Bon, seulement au putting alors. Quoiqu’avec les maladies tremblantes, pousser la balle dans le trou s’avérerait aussi difficile que de passer un fil à coudre dans le chas d’une aiguille pour Stevie Wonder.

Soufflot toisait à un mètre quatre-vingts et arborait un léger embonpoint dû, d’après lui, à la crise et surtout celle qui touchait particulièrement le milieu automobile. Il possédait deux concessions de voitures d’occasion, l’une à Rennes et l’autre à Saint-Malo. Deux affaires en tangage qui le persécutaient jusqu’à le pousser à envisager une reconversion professionnelle. Mais dans quoi ? Il avait papillonné un moment dans toutes les directions avant de s’apercevoir qu’il ne savait vendre que des bagnoles. De guerre lasse, il s’était mis à grignoter à l’heure de l’apéritif et à multiplier ces derniers. Avec pour résultat une ceinture abdominale qui croissait en même temps que la crise : « Le stress je vous dis ! » clamait-il haut et fort.

Plus petit et plus sec que Soufflot, Lerbier assurait la population contre tout ce qui pouvait lui arriver comme nuisance. Et Dieu sait que les nuisances pour une population se chiffrent presque à l’infini. Une pluie de sauterelles en Bretagne étant presque banale par rapport à son package universel maxi bonus incluant la dérive des continents, la fonte des glaciers du Groenland, le réveil des volcans d’Auvergne et la dévaluation de la roupie. Il s’était assuré personnellement en cas d’homicide involontaire ou non commis à l’aide d’un engin sphérique mesurant 42,67 millimètres de diamètre et pesant 45,93 grammes, cet objet volant très identifié se révélant être généralement blanc et truffé d’alvéoles.

 

Soufflot glissa le jeton dans la machine à distribuer les balles de practice et appuya sur le bouton commandant la libération des projectiles blancs. Les balles se répandirent à ses pieds sous ses yeux incrédules.

— T’as oublié de mettre le seau, lui fit remarquer à juste titre Lerbier.

— Mouais, je vois, maugréa Soufflot.

— Ça va pas ?

— Si ! Mais débuter une compet’ si tôt le matin, c’est un peu raide.

En cette fin septembre, le jour commençait à se lever vers huit heures et c’est précisément à cette heure-là que la première équipe partait arpenter les fairways. Et ils étaient la première équipe. D’où cet échauffement matinal à l’aube. Le troisième partenaire les rejoignit un quart d’heure avant le départ en bâillant à se décrocher la mâchoire.

— Putain c’est tôt ! dit-il en guise de salutations.

Stéphane Bocquin sortit le bois numéro 5 de son sac, le glissa dans son dos perpendiculairement à sa colonne vertébrale et à l’aide de ses bras crochetés sur le club exécuta une série de rotations du tronc.

— C’est beau, siffla Soufflot.

— Ramasse tes balles, rétorqua Bocquin, si tu veux au moins en frapper une avant le départ !

— Waouh, se moqua Lerbier, on dirait une jolie fermière qui cueille des champignons de Paris dans son petit panier.

Soufflot émit juste un grognement.

Bocquin se mit alors à swinguer dans le vide. Des coups d’essai. Beaucoup de golfeurs y perdaient leur énergie sans y gagner de la confiance. Mais quoi de plus beau qu’un coup imaginaire allant directement au drapeau ? Le golf est certainement le sport qui attire le plus de rêveurs déçus. Un golfeur se doit de ruminer intérieurement son insatisfaction du premier trou jusqu’au dernier tout en extériorisant une sérénité feinte. Si possible le sourire aux lèvres. Bocquin, à trente-cinq ans, se révélait être le plus jeune des trois compétiteurs. Marié, il vivait en périphérie de Saint-Malo à Rothéneuf et venait de s’extraire du lit en laissant sa jeune femme mécontente sous la couette. Ronchonne, elle lui avait expliqué qu’un dimanche matin ils auraient pu en faire des choses. Ce qui lui avait valu comme réponse que la Coupe Meule d’Or des Grenouilles ne se ratait pour rien au monde. Meule d’Or, si j’te sens j’te dévore ! avait-il dit à sa femme en enfilant son caleçon et en désertant la chambre illico.

Bocquin écrivait, il en avait fait sa profession. Il écrivait vraiment beaucoup, toujours sur les Chouans. Ancien professeur d’Arts graphiques, ses livres alliaient l’Histoire à la romance. Déjà douze livres sur les Chouans. Ça n’allait quand même pas jusqu’à Les Chouans en colocs, Les Chouans font du covoiturage… Mais tout le monde sentait que tôt ou tard il en arriverait là. Par obligation. Ayant épuisé toutes les stratégies possibles et imaginables de la mise en œuvre de l’embuscade. On retirait de ses livres que de tous temps, les rois de l’embuscade furent les Chouans. Bon, une embuscade de temps en temps ça va, mais douze livres sur les embuscades… Les Chouans embusqués avaient remis ça dans son dernier opus L’embuscade du Chouan vert. Le seul endroit dépourvu d’embuscade était les librairies où il dédicaçait ses livres. Là, aucune surprise ne l’attendait, en tout cas pas celle du flot des lecteurs. Heureusement, sa femme a une bonne situation, disait-on dans son dos. Aucune médisance mais une pure vérité.

 

À huit heures moins cinq, les trois hommes rallièrent l’aire de départ du trou numéro 1. Soufflot et Lerbier tiraient leur chariot derrière eux, Bocquin portait son sac à l’épaule. Outre le fait de martyriser la clavicule, froisser le triceps et anémier le deltoïde, porter son sac à l’épaule démontrait une certaine vigueur et le style du golfeur branché à qui on ne la fait pas de traîner son sac sur un déambulateur à roulettes. Bon pour les vieux chnoques et les gonzesses, pensait Bocquin.

Le fait que trois amis jouent ensemble dans une compétition, fût-elle amateur, reposait surtout sur la confiance accordée par le directeur du golf. Connaissant ses trois membres, le directeur des Grenouilles ne soupçonnait pas un seul instant qu’ils puissent trafiquer leurs cartes de score. Que l’un des membres se mette à tricher tout seul dans son coin à l’abri des regards, si, à la grande surprise dudit membre, la supercherie est mise à jour, tant pis pour lui ! La vindicte populaire, la suspicion permanente et la honte s’abattront sur lui et ses enfants, ses petits-enfants ainsi que toutes ses générations futures. Un nouveau gène, celui de la balle de golf qui se déplace toute seule de vingt centimètres parce qu’elle m’emmerde auprès de ce putain de tronc d’arbre, aura été transmis.

Inutile de préciser que le fautif changera immédiatement de club, de chemise et de calbar. Le tout pour se refaire une virginité. Mais dans ce milieu-là, Monsieur, ça ne rigole pas. La rumeur le devancera… et il devra abandonner son cher sport (tout ça pour vingt centimètres de trajet aléatoire que personne n’aurait dû voir). En général le golfeur opprimé s’oriente vers des jeux de hasard, genre morbaques qui grattent. Et puis c’est la rencontre avec le PMU, les premiers verres dans ce milieu interlope dont il ne soupçonnait même pas l’existence. La perte de son boulot, le divorce, l’indemnité compensatoire, la cirrhose, la rue, le caniveau et la fosse commune. « J’ai donné un coup de pied dedans sans le faire exprès, Monsieur le président Dieu » tentera-t-il de se justifier en arrivant sous la voûte céleste. Devant l’air mutin de Dieu, il reprendra espoir, mais celui-ci, sans vergogne, l’enverra d’un grand coup de pied dans le cul rejoindre Satan et ses fourches caudines… Pour vingt centimètres. Le président Dieu manque d’humour.

 

Pour la compétition Meule d’Or, sur le tee de départ, les boules blanches et jaunes avaient été regroupées ce qui signifiait que tous les hommes partiraient du même endroit quel que soit leur classement. Des boules rouges et bleues, cinquante mètres en aval, étaient réservées aux femmes. « Elles demandent la parité, mais elle est où, là, la parité ? » se navra Soufflot. « Laisse tomber ! » dit Bocquin en enchaînant : « Si tu veux avoir toutes les femelles du club sur le râble, gueule encore plus fort ! »

Le mieux classé jouant en premier, Lerbier s’avança, posa sa balle sur le tee, se positionna derrière pour visionner l’endroit où sa balle était « censée » atterrir et prit une position parallèle à sa cible virtuelle. Comme sur beaucoup de terrains de golf, l’architecte qui dessina le parcours prit un malin plaisir à coller, dès le premier trou, un superbe plan d’eau juste après l’aire de départ. Si ce n’est pas pour mettre une pression sur les épaules des joueurs, qu’est-ce que c’est ? Souvent cette pression se matérialise par : premier drive, premier bain de balle. Jacques Lerbier arma son swing et frappa. Ce ne fut pas un beau geste mais sa balle roula néanmoins sur une trentaine de mètres après l’étang et alla se nicher en bordure de rough2.

Sans un mot, Jacques Lerbier ramassa son tee, descendit de la butte et glissa son driver dans le sac.

— Joli coup, murmura Bocquin.

Lerbier le dévisagea pour y mesurer l’ironie potentielle. Bocquin demeura impassible.

— Mouais, fit Lerbier, avec le fairway sec, je pensais que la balle aurait mieux roulé.

— À condition de ne pas flirter avec le rough.

L’assureur ne répliqua pas. La partie ne faisait que commencer. Stéphane Bocquin coucha son sac près de l’aire de départ après en avoir extrait son bois numéro un. Le driver. Objet de tous les fantasmes chez les golfeurs. Le bois qui faisait gagner ou perdre une partie avec le putter son cousin éloigné.

Bocquin effectua quelques coups d’essai en bas de la butte, balayant l’air à une vitesse supersonique. Puis il caressa la tête du Monstre pour en enlever le moindre brin d’herbe. Le manche - appelé shaft - provenait du célèbre fabricant Flexmol. La flexibilité alliée à la rigidité. Du graphite synthétisé à l’aide d’hydrure de lithium. Le must. Quant à la tête du club, grosse comme un demi-melon, elle était en titane carbonaté au phosphore de Napuil. C’est tout dire. La pub annonçait qu’avec cet engin un débutant pouvait driver jusqu’à 350 mètres sans difficulté. Bon, il faut avouer que le débutant en question subissait des secousses telluriques dans les bras pour le restant de la journée. Le tsunami induit lui faisait monter la bave aux commissures des lèvres et ce coup magistral le laissait hagard et désemparé.

Bocquin enfonça son tee sur la ligne imaginaire tracée entre les boules de départ et se remémora le green situé à 536 mètres de là. Il prit son stance, c’est-à-dire la position de ses pieds par rapport à la balle. Il effectua une belle rotation des épaules en armant son swing et frappa.

Enfin il crut frapper. La tête du monstre passa deux millimètres au-dessus de la balle sans que celle-ci ne daigne bouger, ignorant le courant d’air tourbillonnant déclenché à cette occasion. Sans rencontrer de résistance, Bocquin fut emporté par son élan et faillit s’étaler sur le tee de départ.

— Air shot, crièrent à l’unisson Lerbier et Soufflot.

Le spécialiste des Chouans ne l’entendait pas de cette oreille.

— Non, s’offusqua Bocquin, c’était un coup d’essai.

— Faux, persista Lerbier, tu avais l’intention de jouer la balle et tu l’as loupée, c’est tout.

En toute mauvaise foi, toujours chez les amateurs, quatre-vingt-dix pour cent des golfeurs prétextent avoir effectué un coup d’essai lors de ces tentatives avortées où ils ne touchent pas la balle. L’origine en est souvent une volonté de vouloir taper trop fort.

Bocquin se repositionna et cette fois-ci balança un swing correct. La balle franchit le plan d’eau et, malheureusement pour lui, alla se plugger - s’enfoncer - dans le sable d’un bunker de fairway.

— Pas de pot, s’avança Lerbier, mais tu es d’accord, c’est quand même ton deuxième coup ?

— Oui, grogna Bocquin en enfournant le Monstre dans son sac.

Charles Soufflot avait gravi à son tour la butte de départ. Il enleva sa veste en Gore-Tex et la jeta derrière lui. Il pensa à son putain de classement bloqué à 22 et entreprit le cérémonial du positionnement des pieds et du corps. « Pang ! » Quand le bruit de la tête de club rencontrant la balle est bon, le coup est souvent bon lui aussi. C’est ce qui se produisit. La balle fusa presque à l’horizontale puis entreprit une montée spectaculaire avant de venir rouler plusieurs dizaines de mètres sur le fairway. En plein dans l’axe du drapeau. Loin devant ses partenaires.

Un swing si beau. Un swing si parfait.

Un swing qui, hélas pour lui, allait bouleverser sa vie.

1. Un parcours de golf comporte 18 trous classés selon leur longueur en un nombre de coups idéal à atteindre. Ce nombre de coups s’appelle le par. Les plus petits (moins de 228 mètres, il y en a quatre) doivent se faire en trois coups, ce sont des par 3. Les moyens (entre 229 mètres et 434 mètres, il y en a dix) doivent se faire en quatre coups, ce sont donc des par 4. Les plus longs (plus de 434 mètres, il y en a quatre) doivent se faire en cinq coups, ce sont donc des par 5.

Le score idéal sur 18 trous est l’addition de tous ces « pars », donc 72. Celui qui l’atteint régulièrement a ainsi un handicap (on dit aussi « index ») de 0. S’il fait 82 coups au lieu de 72, il a un index de 10 (nombre de coups joués au-dessus du par). S’il est particulièrement habile et qu’il joue en-dessous du par (mettons 70) il a un index négatif de moins 2. La plupart des grands joueurs professionnels jouent en-dessous du par, mais pour un amateur, atteindre l’index à un chiffre (moins de 10) est déjà une consécration. Soufflot, lui, jouait sur l’ensemble de ses compétitions 22 au-dessus du par, ce qui était une moyenne de tous ses résultats.

2. Partie du parcours qui longe les fairways, l’herbage y est généralement assez court. Non entretenue, cette surface peut comporter des buissons ou des hautes herbes.

 

Chapitre 2

Bocquin et Lerbier sifflèrent d’admiration non feinte. Charles Soufflot lui-même n’en revenait pas. C’est ému et tremblant qu’il remercia ses amis. Après ce genre de beau coup, il faut éviter la déconcentration. La peur de rater le suivant vous envahit l’estomac, commence à vous serrer la gorge, et la gamberge entre en action. Quel club choisir, quand on se retrouve à moins de deux cents mètres du trou sur un parcours roulant ? Quelle stratégie adopter ? Prendre un bois 5 ou 7, un fer ? Taper un bois 5, c’est se payer le hors limites derrière le green avec ces infâmes piquets blancs en sentinelles. Il décida de jouer un fer 6.

Ce fut d’abord à Lerbier de se sortir du rough. Un arbre le gênait. Sans prendre de risques, il recentra sa balle sur le fairway. Bocquin se trouvait à droite à environ quatre-vingts mètres de l’assureur. Les deux pieds dans le bunker, l’écrivain des Chouans dessinait, dans le vide, moult gestes à l’aide de son club pour attaquer du meilleur angle possible la balle pluggée dans le sable. Une règle essentielle est que la tête de club ne doit jamais toucher ni même effleurer ledit sable avant le coup réel, sous peine d’un point de pénalité. Par conséquent, la tenue du club se fait en suspension. Après la pénalité de l’air shot, Bocquin se promit de faire attention à ne pas toucher le moindre grain de sable. Il jeta un œil sur ses équipiers. Lerbier, loin là-bas, tirait son chariot du rough et Soufflot n’avait d’yeux que pour sa magnifique balle qu’il distinguait à une centaine de mètres de là, pressé d’aller en découdre. Bocquin posa donc sa tête de club sur le sable juste derrière la balle et tenta même de la désensabler d’un mouvement subtil du poignet sur le manche.

— Alors tu joues ? lança Lerbier.

— Une seconde ! rétorqua l’écrivain.

Il frappa. Il expulsa un seau de sable hors du bunker sous forme d’une comète à la tête de laquelle se trouvait la balle. Elle roula sur une dizaine de mètres.

— C’est encore à toi de jouer, se plaignit Soufflot. Putain je vais être froid pour taper mon deuxième coup.

— Oh ça va !

— C’est ton quatrième coup que tu vas jouer !

— Je sais encore compter, maugréa Bocquin.

Il frappa un fer qui l’emmena dans un autre bunker à cinquante mètres devant le green.

— Merde ! C’est ma journée.

— Tu aurais pu rester sur une plage à Rothéneuf, ça t’aurait évité le déplacement.

— Ta gueule Soufflot ! Va vendre tes bagnoles !

— C’est sûrement une embuscade des Chouans ! Ils sont planqués dans les bunkers.

Bocquin tira la tronche, ne répondit pas et glissa la bretelle de son sac sur son épaule droite.

Lerbier joua son troisième coup et la balle atterrit dans le bunker où gisait déjà celle de Bocquin.

— Eh ben dis donc ! lança Soufflot. C’est le club Mickey !

Enfin il parvint derrière sa balle. Il regarda le drapeau. Oui, le fer 6 devrait être le bon choix. Soufflot, malgré sa corpulence, manquait de puissance. Un bon joueur aurait choisi le 8 ou le 9. Clubs avec une tête plus ouverte. Ses deux partenaires devinaient un trouble, un manque d’assurance. La pression. Une partie de golf se joue au mental. Soufflot expédia son deuxième coup en bordure de green à quatre mètres du drapeau. Une balle roulée, chanceuse, qui évita de justesse le bunker du club Mickey en tressautant sur les lèvres du trou de sable.

— Eh bien, soupira Lerbier, où est madame Soufflot en ce moment ?

— Madame Soufflot t’emmerde ! balança le roi de la prime à la casse.

Les trois hommes se mirent en marche en direction du green. Déjà la partie suivante tirait ses projectiles dans leur dos.

— Il faut qu’on accélère, déclara Lerbier, ils fondent sur nous. Va terminer ta balle, Charles, pendant qu’on sort du bunker.

Soufflot se précipita vers le tapis vert rasé de frais à trois millimètres pendant que ses deux amis plongeaient dans le bac à sable.

— Je suis hors du green, cria-t-il en leur direction, les mains en porte-voix, j’ai droit au drapeau.

Une balle jouée hors du green peut venir sans pénalité heurter la hampe du drapeau et pénétrer dans le trou. Alors que le drapeau doit être impérativement enlevé de son support lorsque la balle est jouée sur le green.

Soufflot se retourna et vit ses deux collègues dans le trou de sable, à une cinquantaine de mètres de là, dans une discussion qui semblait animée.

— Eh les mecs ! ? Je vous préviens, je joue !

— Puisqu’on t’a dit oui ! Vas-y !

— Vous pourriez regarder… Des fois que je la mettrais dedans !

— Mais vas-y ! Au pire tu es en deux dans le trou, c’est le birdie3 assuré ! cria Lerbier.

Cette phrase fit trembler Soufflot. Putain, on voit bien qu’il est dans les assurances, ce con, songea Soufflot. En golf, rien n’est assuré. On avait vu des golfeurs ajuster plusieurs putts en tournant autour du trou avant que la balle ne chût dans celui-ci. Trop long, trop court, à gauche, à droite et surtout la pente. Calculer la pente d’un green relevait de la magie noire. Un peu comme si tous les sortilèges du monde avaient choisi de contrecarrer votre sens aigu de la géométrie dans l’espace et votre talent à calculer la vitesse du vent. À cela il fallait ajouter le coefficient de frottement de la balle sur le green selon qu’il soit sec ou mouillé, tondu ou non. Et on obtenait des choses surprenantes, des balles qui dépassaient allègrement le trou en couvrant une distance trois fois supérieure à celle où vous vous trouviez ultérieurement par rapport au satané trou. La phrase la plus courante du golfeur désemparé, à cet instant, étant celle-ci : « Arrête-toi ! » Allez parler à une balle, vous !

Soufflot ôta son gant, le fourra dans une des poches de sa parka en Gore-Tex. Les paumes moites, il positionna ses doigts sur le grip du putter. Il mima le geste de frapper au moins une dizaine de fois puis regarda le drapeau. Il revint en arrière de la balle, s’accroupit. Est-ce qu’il y avait une pente oui ou non ? Il décela une légère montée avec un dévers supposé vers la gauche. Supposé ? La balle reposait dans une herbe de pré green, il s’avérait plus sage d’utiliser le putter. Sa décision fut prise, il frapperait assez fort en visant le bord droit du trou. Avec le dévers la balle irait mourir au pied de la hampe du drapeau.

Une autre balle lui arriva sur les talons, celle de Stéphane Bocquin qui venait de s’extraire du bac à sable.

— Merde ! Fais attention ! tempêta Soufflot. En plus tu me déconcentres.

— Dépêche-toi de jouer, aussi, cria Bocquin, en train d’essuyer son club des résidus de sable, près du bunker. L’équipe qui nous suit arrive.

Soufflot s’aligna et, pressé, balança sa tête de club au beau milieu de la petite balle blanche. Celle-ci, sans aucune hésitation, alla se nicher quatre mètres plus loin au fond du trou.

Charles Soufflot, figé telle une statue, incrédule face à l’engloutissement de sa balle dans la bouche du green, tourna la tête vers ses amis qui passaient le râteau sur le sable du bunker.

— Vous avez vu ? demanda-t-il suffisamment fort pour qu’ils l’entendent.

— Ouais on a vu, bravo Charles ! cria Lerbier.

— Ouais, super trou, bravo à toi, reprit Bocquin.

C’est alors que Charles Soufflot lança son putter en l’air et se mit à crier en levant les bras au ciel : « EAGLE, EAGLE !4 » Puis, pris d’une frénésie somme toute naturelle, il se mit à danser sur place comme un Indien qui implore le grand manitou afin que la pluie tombe… Ou l’inverse. « Le premier eagle de ma vie en compétition ! » cria-t-il. Effectivement, une fois à l’entraînement, il réalisa sur un par 3 un coup en un. Souvent ce genre de coup est attribué à la chance. Sur un par 5, c’est différent, il faut bien maîtriser les trois coups, là si le deuxième fut chanceux, le drive de départ et le putt à l’arrivée ne devaient rien à personne.

Soufflot alla ramasser sa balle. Il plongea la main dans le trou et poussa un hurlement. De dégoût. « Aarrrgh ! ». Il relâcha sur le green la balle et le gros ver gluant qui lui collait dessus. En se penchant au plus près, les yeux rivés sur le ver, il se mit à pâlir.

— Qu’est-ce qu’il y a Charles ? Ça ne va pas ? lança à une trentaine de mètres de là Jacques Lerbier qui s’approchait du green en tirant son chariot.

Il est des décisions que l’on peut remettre au lendemain. Pas celle-là. Soufflot pensa que tout se jouerait en une poignée de secondes. J’ai fait un eagle, merde !

Il se courba à nouveau, ramassa sa balle, attrapa le gros ver gluant et se dirigea vers le fond du green, le dos tourné à ses partenaires.

— Si si, ça va, grommela-t-il, finissez votre trou.

Les neurones de Charles Soufflot, soumis à rude épreuve, lui confirmèrent qu’on ne fait pas un eagle tous les jours et que ce n’était pas à cause d’un malheureux doigt coupé, abandonné dans le trou numéro 1 par on ne sait quel individu qui à cette occasion se montrait d’une négligence coupable, qu’il fallait jouer les secouristes et les redresseurs de tort.

Merde ! J’ai fait un eagle, point barre ! Qu’est-­ce que je risque ? Affreux dilemme. Si je parle, tout le personnel du golf et même les gendarmes vont se pointer ! Et mon eagle ? Annulé ! Voilà ce que je risque ! Ma partie ? Annulée ! La compétition ? Annulée ! Je suis à moins deux au premier trou, si je joue correctement, je baisse mon handicap et je passe sous les vingt. Une chance inespérée ! Non, il faut continuer. Se taire.

Le dernier neurone en service l’interpella : il faudrait peut-être se poser la question, Charles. Que fait ce doigt dans le trou numéro 1 ?

« On verra plus tard » marmonna Soufflot entre ses dents.

— Qu’est-ce que tu dis ? lui lança Bocquin qui s’apprêtait à putter.

— Rien rien.

Bocquin esquissa une mimique interrogative vers Lerbier. L’assureur lui rendit la pareille. Comme quoi, un eagle, ça déstabilise un homme, pensèrent-ils à l’unisson.

Le dos toujours tourné à ses amis, Soufflot se saisit de la petite serviette éponge publicitaire accrochée à son sac et nettoya consciencieusement le sabot de son putter. En pleine expectative, son geste s’avérait machinal. Un doigt humain, ça ne se jette pas !

Ça s’enterre ! Ou ça s’incinère ! Est-­ce qu’il y avait un truc de religion là-­dedans ? Musulman ? Il fallait alors orienter le doigt vers La Mecque. Hindouiste ? Le brûler ! Catholique ? Le pointer vers le Vatican ! Juif ? Sûrement au pied du Mur des Lamentations. Les autres religions, y savait pas trop, Charles Soufflot.

Il zippa une fermeture de son sac et en extirpa une serviette propre.

D’un geste rapide, il sortit de la poche de sa parka le doigt couvert de sang séché, de bave d’escargot, d’humidité et le déposa au milieu du tissu. Il roula alors la serviette comme une vulgaire galette-saucisse et glissa le paquet dans l’ouverture du sac en compagnie d’une bouteille d’eau, de deux bananes et de trois meules de fromage miniatures… Y’a qu’à moi que ça arrive des conneries pareilles ! Qui avait pu amener ce doigt dans ce putain de trou ? Le jour de MON eagle.

À cette heure de la matinée, la rosée recouvrait tout le parcours. Un soleil timide, voilé, traversait les frondaisons des chênes et des châtaigniers. Charles Soufflot tenta de déceler des traces de pas sur le green autres que les siennes et celles de ses amis. Des traces de pas faciles à détecter dans les fines gouttelettes d’eau imprégnées dans l’herbe rase. Il aperçut des empreintes de chaussures venant de la droite du green et se dirigeant vers le drapeau. Une seule personne, songea-t-il. Sûrement le Greenkeeper5 du golf qui effectuait sa ronde avant le départ de la compétition.

D’autres traces, mais d’animaux cette fois. Un renard ? Un chien ? Ou autres ? Mais pourquoi y z’ont pas bouffé le doigt ? Peut-être que le doigt n’y était pas lors du passage de ces bestiaux ? Ou alors le trou ne faisant même pas onze centimètres de diamètre, avec la hampe du drapeau plantée en son centre, le doigt demeurait inaccessible pour la gueule de ces animaux.

Charles Soufflot se promit de rester concentré sur sa partie et d’oublier ce foutu doigt. Il se retourna vers ses partenaires et s’intéressa à leur jeu.

Lerbier termina son trou sur un bogey6 et Bocquin sur un triple bogey. Satanés air shot et autres bunkers !

Les trois golfeurs rallièrent le deuxième trou. Une cinquantaine de mètres séparait le green d’arrivée du 1 et l’aire de départ du 2. La conversation ne porta que sur l’extraordinaire eagle de Soufflot. Lerbier et Bocquin furent surpris du manque d’enthousiasme de leur équipier ainsi que par la déficience de volubilité que d’ordinaire génère ce genre de coup. Ils mirent ça sur le compte de la concentration. Charles se réfugiait dans sa bulle et devait sûrement élaborer une stratégie de prudence pour le reste du parcours.

Soufflot ne pensait qu’à SON doigt coupé et la raison pour laquelle il était dans SON trou. Le trou de l’eagle. C’est dégueulasse de me faire ça. Avant d’effectuer son swing de départ sur le 2, il fut sur le point de craquer et de tout avouer à ses partenaires. Il se ressaisit. Non ! Je n’ai pas triché ! Il se demanda alors si d’autres golfeurs avaient déjà trouvé des doigts lors de compétitions précédentes. En tout cas, lui, Charles Soufflot, il n’en avait jamais entendu parler. C’était bien la preuve qu’on pouvait jouer toute une partie avec un doigt coupé dans la poche sans alerter l’opinion. Il s’aperçut alors avec consternation que ses pensées dérivaient vers l’absurde. Charles, maîtrise-­toi ! Il faut que tu baisses ton handicap !

— Alors tu joues, Charles ! ? lança Lerbier, impatient. Tu aurais dû t’assurer contre les eagles, ça va te coûter cher en champagne ce truc-là.

— Fous-moi la paix !

— Waouh ! Monsieur se concentre. Monsieur se prend pour Tiger Woods.

Soufflot ne répondit pas. Il effectua un swing honorable, sans plus, mais suffisant pour que la balle survole le deuxième plan d’eau et roule tranquillement dans l’axe du fairway.

En rangeant son club, il jeta un regard furibond sur Lerbier qui n’en revenait pas du masque arboré par son ami.

 

Jamais une compétition ne fut marquée par un tel mutisme entre les trois golfeurs. Lerbier et Bocquin se coulèrent dans un moule de discrétion feutrée. Le moindre pas, le moindre geste, étaient étudiés pour ne pas nuire à la méditation affichée par Charles Soufflot.

Tout alla bien jusqu’au sixième trou. Trou sur lequel Soufflot fut le meilleur en terminant par un birdie après un putt de quatre mètres. Il se redressa et regarda ses deux partenaires, embarrassé. Ceux-ci prirent ça pour de l’arrogance et cela s’accentua quand il leur demanda si l’un des deux pouvait ramasser SA balle dans le trou.

— Monsieur fait un eagle. Monsieur fait un birdie, dit Lerbier, condescendant. Et maintenant il faut qu’on lui ramasse sa balle. Tu ne veux pas qu’on te lèche le…

— Mais non c’est pas ça ! s’empressa de le couper Soufflot.

Gêné, il continua :

— Vous comprenez… Tout à l’heure le gros ver m’a dégoûté… Brrr, rien que d’y penser, j’en ai des frissons.

— Chochotte ! se moqua Bocquin. Eh bien regarde dans le trou avant d’y glisser ta main, comme ça tu n’auras pas de surprise.

— Excusez-moi, c’est la pression… Je sens que je peux faire un truc aujourd’hui, si je ne déconne pas dans mon jeu.

— C’est ça, acquiesça Lerbier. Si tu ne déconnes pas dans ton jeu ! Parce qu’ailleurs c’est plutôt mal barré.

Charles Soufflot extirpa sa balle du trou. Il n’y avait pas de doigt. Il remercia le Seigneur en levant les yeux au ciel et en brandissant la balle à bout de bras. En examinant ses gestes, Lerbier et Bocquin sentirent que leur ami virait loufdingue. Jamais il ne tiendrait toute la partie. Encore douze trous. Inaccessibles pour son mental.

Et pourtant Soufflot tint bon et rendit une carte de douze au-dessus du par. Soit dix points de moins que son classement actuel. Son handicap allait baisser, c’était sûr. Après la remise des prix, c’est avec une joie toute contenue qu’il embarqua dans le coffre de sa voiture la meule de fromage de trente kilos récompensant le vainqueur de sa catégorie. Pas de champagne, pas de tournée générale sous les huées des autres golfeurs. Une seule obsession : la fuite avec son doigt coupé avant que quelqu’un ne veuille le récupérer. Surtout que la compétition ne soit pas annulée pour vice de forme.

 

Il prit la route de La Boussac pour regagner la côte en passant par Dol-de-Bretagne. Il négligea la quatre voies et emprunta la D155 pour laisser le Mont-Dol à sa droite. Une petite virée sur la route côtière lui changerait les idées. Cette route pénétrait Saint-Malo par le nord-est, ainsi il pourrait s’arrêter à la concession de voitures Soufflot & Cie située à Paramé et planquer le doigt dans le compartiment congélo du réfrigérateur du garage.

 

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