Hortensias blues - Hugo Buan - E-Book

Hortensias blues E-Book

Hugo Buan

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Beschreibung

Un serial killer fait trembler la Bretagne.

Un cabinet médical est décimé dans le centre de Rennes par un étrange tueur en série. Lucien Workan, un commissaire de police incontrôlable toujours à la limite de l’illégalité, petit-fils de résistant, va mener l’enquête au cœur de la bourgeoisie rennaise.
Assisté par Leila, une jeune femme flic d’origine berbère et flanqué de son adjoint Lerouyer, Workan va dénouer les fils enchevêtrés d’une série de crimes particulièrement odieux. Avec une force de caractère incroyable, une intuition digne des meilleurs limiers et le soutien de ses adjoints, va-t-il réussir où son supérieur et la procureure de la République en charge du dossier ne l’attendaient plus ?

Avec cet ouvrage réédité, Hugo Buan nous livre la première enquête du commissaire Workan, insolent mais hilarant et terriblement attachant !

EXTRAIT

Lucien Workan, un morceau de pizza au bout de sa fourchette, parcourait nonchalamment son quotidien préféré ; la sonnerie de son téléphone portable retentit, il regarda sa montre, 22 h 30 : « Merde ! On ne peut jamais avoir la paix ! ».
— Commissaire Workan ?
— Ouais… Bonsoir Lerouyer, toujours au bon moment, ronchonna-t-il.
— Excusez-moi de vous déranger. Je vous attends à la maison médicale L’Albatros sur les quais de la Vilaine, avenue du Sergent Maginot, à droite en allant vers Cesson, il y a du grabuge.
— C’est grave ?
— Oui.
— Vous auriez pu me laisser bouffer peinard. Enfin ! se lamenta-t-il. Je serai sur place dans dix minutes environ.
Workan prit le temps d’avaler deux ou trois morceaux de margarita. Il descendit de son appartement situé dans le vieux Rennes, rue de la Monnaie, et se dirigea vers le parking des Lices où il louait, en sous-sol, un box à l’année pour garer sa voiture. Il était arrivé dans cette ville cinq ans plus tôt, venant de Toulouse, par le fait d’une mutation « forcée ». Il ne regrettait rien ; l’animation de cette cité étudiante, le charme du centre-ville, la proximité de la côte d’Émeraude avec ses magnifiques plages, lui convenaient tout à fait.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Hyper efficace, drôle, rempli d’humour, un suspense qui vous tient en haleine jusqu’à la dernière page, des personnages attachants, une intrigue bien ficelée. On a adoré. – Gérard Collard, librairie La Griffe Noire

À PROPOS DE L’AUTEUR

Hugo Buan est né en 1947 à Saint-Malo où il vit et écrit.
Passionné de polars, après une carrière professionnelle de dessinateur dans le Génie Civil, il publie en 2008 son premier roman, Hortensias blues, une enquête policière bourrée d’humour à l’imagination débordante. Il crée ainsi le personnage du commissaire Lucien Workan, fonctionnaire quelque peu en disgrâce auprès de sa hiérarchie, ce qui lui vaut d’être muté depuis Toulouse, où il a laissé sa famille, à Rennes. Ses méthodes sont encore largement désapprouvées par son nouveau patron, mais pour Workan, seul le résultat compte !
Un honnête premier succès pour l’auteur qui embraye dès 2009 avec Cézembre noire, dans lequel « il laisse libre cours à son style débridé ».
Ajoutons que ses ouvrages se sont retrouvés sélectionnés pour pas moins de 5 prix, parmi lesquels le Prix Michel Lebrun au Mans et le Prix Polar de Cognac.

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HUGO BUAN

Hortensias

blues

DU MÊME AUTEUR

J’étais tueur à Beckenra City

Les enquêtes du commissaire Workan

1. Hortensias blues

2. Cézembre noire

3. La nuit du Tricheur

4. L’œil du singe

5. L’incorrigible monsieur William

6. Eagle à jamais

7. Le quai des enrhumés

Site de l’auteur :www.hugobuan.com

Retrouvez ces ouvrages surwww.palemon.fr

Dépôt légal 1ertrimestre 2016

ISBN : 978-2-372601-20-7

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,

des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant

ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70/Fax : 01 46 34 67 19 - © 2016 - Éditions du Palémon.

Chapitre 1

Lundi 8 septembre - 22 h 30

Lucien Workan, un morceau de pizza au bout de sa fourchette, parcourait nonchalamment son quotidien préféré ; la sonnerie de son téléphone portable retentit, il regarda sa montre, 22 h 30 : « Merde ! On ne peut jamais avoir la paix ! ».

— Commissaire Workan ?

— Ouais… Bonsoir Lerouyer, toujours au bon moment, ronchonna-t-il.

— Excusez-moi de vous déranger. Je vous attends à la maison médicaleL’Albatrossur les quais de laVilaine, avenue du Sergent Maginot, à droite en allant vers Cesson, il y a du grabuge.

— C’est grave ?

— Oui.

— Vous auriez pu me laisser bouffer peinard. Enfin ! se lamenta-t-il. Je serai sur place dans dix minutes environ.

Workan prit le temps d’avaler deux ou trois morceaux de margarita. Il descendit de son appartement situé dans le vieux Rennes, rue de la Monnaie, et se dirigea vers le parking des Lices où il louait, en sous-sol, un box à l’année pour garer sa voiture. Il était arrivé dans cette ville cinq ans plus tôt, venant de Toulouse, par le fait d’une mutation « forcée ». Il ne regrettait rien ; l’animation de cette cité étudiante, le charme du centre-ville, la proximité de la côte d’Émeraude avec ses magnifiques plages, lui convenaient tout à fait.

Sa femme vivait toujours à Toulouse avec leur fille. Séparés, mais non divorcés, ils se voyaient lors de courts séjours soit en Bretagne soit dans le sud méditerranéen. C’était un choix de vie qu’il n’avait pas voulu mais qui s’était imposé. La quarantaine avait parsemé des cheveux blancs dans sa longue chevelure noire et raide ; le nez cassé et réparé, quelques cicatrices sur le visage, témoignaient de son passé rugbystique. Dans l’expression de ce visage chahuté ressortait la douceur de son sourire, une bouche bien dessinée ; ses yeux marron étaient surlignés de sourcils noirs aux poils lisses et réguliers accentuant ce regard ténébreux qui plaisait beaucoup aux femmes. Sa gueule cabossée ne jouait pas en sa défaveur. Une carrure de deuxième ligne, respectable, contrastait avec son allure dégingandée. Son humanisme n’avait d’égal que ses coups de sang. « Que deviendrons-nous ? », se demandait-il en pensant à Véro : « Bah ! Ne faisons pas de projet à long terme. »

Les pneus de sa berline couinèrent sur les vieux pavés rennais. Après être passée devant le Parlement de Bretagne, la voiture prit les quais de laVilaineen direction de Cesson-Sévigné ; banlieue huppée de Rennes. Il connaissaitL’Albatrospour y avoir consulté l’un des nombreux médecins spécialisés qui s’étaient regroupés pour exercer, selon lui, leurs basses besognes ; un sourire apparut sur son visage.

Lerouyer était l’un de ses plus fidèles collaborateurs. Il aimait bien ce Malouin avec son éternel jean délavé, ses pull-overs généralement plus longs que son blouson de cuir, sa fidélité en cas de coup dur, sa naïveté. Les cheveux bouclés ostentatoirement roux témoignaient d’une origine celte. C’était un bon élément, il savait qu’il pouvait compter sur lui.

Le capitaine l’attendait sur le trottoir devant la maison médicale.

— Eh bien capitaine, ça tourne à plein les gyrophares dans le coin. Discrétion assurée. C’est Fort Chabrol ? Un forcené ? Une prise d’otage ?

— Hélas ! Pire que ça commissaire. Un crime bizarre, une drôle de mise en scène, enfin vous allez voir. Pas la peine de prendre l’ascenseur, c’est au premier étage, répondit-il sans son aisance habituelle.

Les deux officiers de la DIPJ1de Rennes gravirent l’escalier et arrivèrent sur le palier. L’immeuble avait sept étages et chaque étage avait la même conception architecturale. Chaque palier comportait deux portes en bois massif. Les plaques en cuivre indiquaient la spécialité et le nom du médecin. Le bouton « Sonnez et entrez » invitait les doigts fébriles et anxieux à prévenir de l’arrivée d’un nouveau patient. Lerouyer se dirigea vers la porte de gauche. Il convia Workan à passer devant lui. Sur la plaque on pouvait lire :

Henri Marotan

Chirurgien-dentiste

ouvert de 9 à 12 h et de 14 à 19 h

Workan poussa la porte qui était restée entrouverte. Dans l’entrée à droite se trouvait la salle d’attente ; en face devant le visiteur, l’accueil ; à gauche, une autre porte qui devait ouvrir sur le cabinet dentaire. Lerouyer se dirigea vers cette dernière et fit entrer le commissaire.

Apparemment il n’y avait pas de désordre dans la pièce. Derrière le fauteuil des lamentations se trouvait le corps d’un homme allongé sur le sol. Au niveau de la tête, une mare de liquide visqueux rougeâtre virant sur le brun auréolait le visage du malheureux. Ce sang provenait d’une horrible blessure à la tempe. Henri Marotan avait le crâne défoncé. Curieusement, en contemplant le corps, ce n’était pas la tête qui se remarquait le plus mais sa position en chien de fusil. Le commissaire n’en croyait pas ses yeux. Le pantalon était baissé sur les chevilles, le caleçon aussi. L’apothéose se situait au centre, c’était une belle fleur d’hortensia bleu qui ornait la partie charnue du dentiste, juste entre les fesses. Workan se retourna vers son adjoint, l’œil interrogatif.

— Vous vous rendez compte commissaire, il y a des mecs complètement cinglés, une fleur dans le cul !

— Je n’aime pas ça… Je n’aime pas ça du tout… C’est quoi cette…

— Moi non plus je n’aime pas ça, l’interrompit Lerouyer.

— Vous n’aimez pas quoi ?

— Eh bien avoir une fleur dans…

— C’est bon comme ça Lerouyer… Qui vous a informé du crime ?

— Sa femme ; elle a prévenu le commissariat, elle est dans la salle d’attente, je lui ai dit que vous auriez à lui parler. Elle est complètement dans le coaltar… Remarquez, on le serait à moins.

— OK, je vais la voir, en attendant prévenez l’Identité Judiciaire, le légiste. Il est tard, je préviendrai le divisionnaire demain matin.

Lucien Workan se dirigea vers la salle d’attente, ouvrit la porte. Une femme, le regard mouillé, l’attendait sur l’un des sièges. Elle avait entre trente-cinq et quarante ans, belle, blonde, ses yeux bleus barbouillés par du rimmel.

Elle allait se lever ; Lucien Workan lui fit signe de rester assise.

— Bonsoir madame, je suis le commissaire Workan de la police judiciaire. Je suis désolé par ce qui vient de se passer. Je dois malheureusement vous poser quelques questions ; êtes-vous en mesure de me répondre ? s’informa-t-il.

— Oui commissaire, je vous écoute, dit-elle d’une voix incertaine.

— Bien, vous allez m’éclairer sur votre présence ici. Je comprends votre douleur, mais je suis obligé… Il marqua un temps d’arrêt. Vous ne devez omettre aucun détail.

— Nous devions aller au restaurant ce soir, mon mari devait rentrer vers vingt heures. Je l’ai attendu jusqu’à 20 h 30. Ne le voyant pas arriver, j’ai tenté de l’appeler sur son téléphone portable. Je suis tombée sur la boîte vocale ; j’ai laissé un message demandant qu’il me donne des nouvelles… Rien. Un peu avant vingt-et-une heures j’ai à nouveau essayé de le joindre sur sa ligne professionnelle… encore le répondeur… Puis, j’ai renouvelé l’appel sur son portable, toujours rien. J’ai pris ma voiture - nous habitons Cesson - je suis arrivée au cabinet… J’ai découvert ce que vous avez vu, c’est affreux…

Elle ne put finir sa phrase, des sanglots étouffaient sa voix. Le commissaire attendit un moment.

— Madame Marotan, comment êtes-vous entrée dans l’immeuble ?

— Il y a un digicode qui se met à fonctionner à partir de vingt heures, bien entendu je possède le code ; dans la journée tout le monde peut aller et venir.

Workan la dévisagea. Il ne la trouva pas fringante.

— Si vous le souhaitez, nous pouvons vous raccompagner chez vous. Je passerai demain à votre domicile parler de tout ça ; nous pouvons faire venir un médecin si vous en éprouvez le besoin.

— Non, merci commissaire, ça va aller, je vous attendrai demain. Que va-t-on faire du corps ?

— Il va être emmené à la morgue afin que le médecin légiste pratique l’autopsie. Nous allons déterminer les causes de la mort. Je suppose que votre mari avait une secrétaire ; pouvez-vous me donner l’heure d’ouverture du cabinet ?

— Neuf heures, oui il avait une secrétaire et aussi une assistante dentaire.

— Merci madame Marotan, ne dites rien à personne de ce que vous avez pu voir ce soir.

— Commissaire ?

— Oui ?

— Je suis un peu gênée, mais… Pour la fleur, si ça pouvait ne pas se savoir.

— Soyez rassurée madame Marotan, nous allons rester discrets, répondit-il en pensant aux fouineurs de journalistes.

Lucien ouvrit la porte de la salle d’attente et appela le capitaine Lerouyer afin qu’il raccompagne la femme du dentiste jusqu’à sa voiture.

Workan resta perplexe, cette mise en scène, malgré la fleur, ne sentait pas bon. Il allait falloir fouiller dans la vie du docteur Marotan pour expliquer comment une fleur d’hortensia bleu avait trouvé un vase aussi incongru. Il entra de nouveau dans le cabinet, apparemment aucun tiroir n’avait été ouvert, rien ne permettait de croire que l’assassin avait procédé à une fouille quelconque. Il verrait ça demain avec la secrétaire. Il repéra une petite pièce adjacente au cabinet. C’était un vestiaire avec un lavabo, une cabine de douche, un placard, une porte accédant à des WC. Joueur occasionnel, il remarqua un sac de golf dans un coin de la pièce. Il s’en approcha et constata la bonne qualité des clubs ; toute une série de bois et de fers Callaway. Il fut surpris de constater qu’il manquait trois clubs, le fer neuf, lesand-wedgeet lepitching-wedge. Trois clubs importants pour le jeu court, et aussi, les trois clubs les plus lourds de la série. Il se retourna. Par l’entrebâillement de la porte, il vit le corps allongé avec sa vilaine blessure à la tempe.

Lerouyer revint accompagné des hommes de l’Identité Judiciaire et du médecin légiste ; le commissaire alla les saluer.

— Ben merde ! dit le légiste, je sais qu’on est en septembre et que les hortensias sont superbes en ce moment mais je ne savais pas qu’ils étaient aussi vindicatifs.

Pendant que l’Identité Judiciaire et le médecin travaillaient, le commissaire héla Lerouyer qui rigolait encore de la remarque du toubib.

— Nous allons jeter un œil sur l’agenda du dentiste au secrétariat. Vous avez votre appareil photo numérique ? Lerouyer acquiesça de la tête. Vous allez prendre en macro toutes les pages, d’accord ?

— Ce serait plus simple de l’emmener, dit le capitaine.

— Nous allons l’emporter également, mais j’aime bien avoir toutes les informations sur mon ordinateur, expliqua-t-il.

Le commissaire trouva l’agenda fermé, sur le bureau de l’accueil, devant la chaise de la secrétaire. Il l’ouvrit à la date du 8 septembre. Neuf rendez-vous étaient programmés pour l’après-midi, des hommes, des femmes, le dernier était fixé à dix-neuf heures. Il s’agissait d’une certaine madame Morin ; aucune indication de domicile ou de téléphone.

— Ok, nous verrons ça demain avec la secrétaire, vous mettrez au parfum le lieutenant Leila Mahir dès la première heure.

— Leila ? s’exclama Lerouyer.

— Oui, pourquoi, ça vous pose un problème ?

— Non, mais vous savez bien que Leila ne m’a pas trop dans le nez ; alors faire équipe avec elle… On va encore s’engueuler, se plaignit le capitaine.

— Vous êtes deux flics avec un minimum d’intelligence, non ? Alors, pour la bonne marche de l’équipe, mettez un peu d’eau dans votre vin. Ceci dit, avec Mahir, demain matin, vous passez au peigne fin les sept étages de cet immeuble et vous interrogez les gens qui auraient pu être présents ce soir - disons entre dix-neuf et vingt-et-une heures. C’est bien le diable si personne n’a vu ni entendu quoi que ce soit. Ensuite vous pousserez une petite visite chez cette madame Morin qui est peut-être la dernière personne à avoir vu Marotan vivant… Avec l’assassin bien évidemment.

— Commissaire ?

— Oui ?

— C’est un drôle de bordel cette histoire, qu’en pensez-vous ?

— Pour l’instant pas grand-chose. En tout cas demain je m’occupe de madame Marotan, de la secrétaire et de l’assistante.

— Beau programme commissaire ! siffla-t-il.

— Ça va Lerouyer, ne jouez pas sur les mots. Plus académiquement, je me chargerai de leurs interrogatoires. Vous savez que le cabinet ouvre à neuf heures, soyez là quelques minutes avant et attendez les deux souris du dentiste. Installez-les dans la salle d’attente, je passerai les voir dans la matinée. Maintenant capitaine, vous pouvez rentrer chez vous, transmettez mes amitiés à votre épouse.

— Commissaire ?

— Quoi encore ?

— Vous ne pensez pas à un crime de pédés…

— Homosexuels ! l’interrompit Workan. Je préfère, OK ?

— Je disais ça à cause de la fleur… Je pense à une sale histoire de cul, non ?

— Nous sommes d’accord sur ce sujet ; effectivement je pense comme vous, à moins que cette mise en scène ne serve à dissimuler autre chose.

— Bonsoir commissaire, à demain.

— À demain Lerouyer, reposez-vous bien.

Lucien Workan regarda saTagHeuer, il était minuit passé. La faim le tenaillait, les deux ou trois bouchées de pizza avalées à la hâte n’avaient pas comblé son estomac. Quand il sortirait du cabinet, il ne trouverait plus grand-chose d’ouvert. Plus qu’il ne l’aurait voulu, son boulot le faisait manger à des heures indues. Il retourna vers la pièce où se trouvait le corps. L’Identité Judiciaire continuait son travail, tandis que le médecin légiste vint vers lui.

— Alors docteur ?

— Je pratiquerai l’autopsie demain matin. En attendant je peux vous dire qu’il est mort sur le coup, frappé avec un objet contondant asséné avec une extrême violence, il n’a pas eu le temps de souffrir. Pas d’autres traces sur le corps, pas de lutte ; quant au pantalon baissé, à part la tige de fleur, il n’y a pas eu d’autre pénétration. Je pense que la mort a dû survenir il y a environ quatre heures… Sacrée mise en scène mon vieux !

Workan fit la gueule, il détestait les familiarités.

— Donc la mort est survenue aux environs de vingt heures ?

— Un peu avant, un peu après… Oui commissaire.

— Dites-moi docteur, un club de golf ferait une arme parfaite pour ce genre de crime ?

— Assurément, avec la longueur du bras de levier du manche et une tête de club assez lourde… Un swing parfait et vous tuez un cheval, rétorqua le médecin, un sourire aux lèvres.

— Je ne sais pas si notre tueur ou tueuse a un swing parfait, mais une chose est certaine, il ou elle connaissait parfaitement les séries de clubs. Il y a un sac de golf dans le vestiaire et voyez-vous docteur, les trois clubs les plus lourds ont disparu.

— Je ne vois pas la nécessité de prendre trois clubs, un seul suffit largement… Bonne chance commissaire. Si vous voulez votre rapport d’autopsie pour demain, il vaut mieux que j’aille me coucher. Bonne nuit !

— Encore une chose docteur ! Le pantalon ? Il a été baissé avant ou après ?

— Avant ou après le meurtre vous voulez dire ?… Après !

— Merci docteur, bonsoir !

Workan retourna dans le cabinet ; les gars du labo finissaient de travailler.

— Tout est nickel ici commissaire, nous allons comparer les empreintes avec celles du personnel, du docteur, mais avec celles des clients ça ne va pas être de la tarte. Apparemment aucune effraction, aucun désordre. Nous avons quelques empreintes de chaussures, des fragments de cheveux, enfin, rien qui sorte de l’ordinaire. Nous nous chargeons de faire embarquer le corps et nous vous informons dès que notre travail sera terminé.

— OK, merci Messieurs, bonne nuit, je vous laisse.

*

Le commissaire descendit l’étage sans se presser, prit sa voiture et fila vers le centre-ville. Il connaissait un bar fréquenté par le milieu homo ; il décida d’aller y faire un petit tour. L’endroit était sous-éclairé, une chaleur moite enveloppait la salle. Quelques couples d’homosexuels, hommes et femmes, enlacés, chuchotaient, s’embrassaient, bref, ce que font tous les amoureux du monde. Workan s’approcha du bar, le barman, qui était aussi le patron, essuyait des verres. L’homme, petit, brun, les yeux vifs, le vit arriver.

— Salut Fernand !

— Qu’est-ce qui se passe commissaire ? Une visite de votre part à cette heure-ci, c’est inhabituel.

— J’ai faim, je pensais que tu aurais peut-être une tête de veau à réchauffer ou quelque chose dans le genre ?

— Vous savez bien que je ne fais pas resto !

— Eh bien on va essayer de faire avec. Tu as de la baguette ?

— Oui.

— Du jambon ?

— Oui.

— Du beurre ?

— Oui.

— Tu vois, c’est pas difficile… Tu me fais un bon en-cas… Et un demi. S’il vous plaît ! balança Workan.

— Bon d’accord, je vous prépare ça commissaire… Parce que c’est vous, mais n’allez pas croire que…

— Je ne crois rien du tout Fernand, dépêche-toi ! s’amusa-t-il.

Le bistrotier partit dans l’arrière-cuisine. Cinq minutes plus tard, il revenait avec un sandwich long d’une demi-baguette.

— Je vous ai rajouté des cornichons…

— Tu viens de décrocher une première étoile au Michelin mon cher Fernand ! Comment ça se passe ce soir ? Pas d’incident, de crise de jalousie, même pas une petite bagarre ?

— Les voisins deviennent chiants. Je ne sais pas qui vous a alerté commissaire mais la soirée est calme. Les connaissances habituelles, des couples formés, des dragueurs et dragueuses, mais rien qui ne vaille un déplacement aussi prestigieux…

— Te fous pas de ma gueule Fernand ! Marotan ça te dit quelque chose ?

— À première vue, non !

— À deuxième vue ?

— Non plus ! Mais si je savais son petit nom…

— Ah c’est vrai, ici tout le monde se connaît par son petit nom, alors disons… Henri ? Riri ? Riton ? Ritontaine et Tonton ?

— Si ! Il y a un Riton, mais son grand nom, vous allez rire, c’est Lavoir.

— Et pourquoi devrais-je rire ?

— Henri Lavoir, dit Riton Laveur ! Raton laveur, c’est marrant, non ?

— Je suis écroulé, se consterna Workan.

Le commissaire paya le sandwich et le demi de bière, sortit sur le trottoir, huma l’air doux de cette nuit de septembre. L’été indien avait pris ses quartiers. Il entreprit de finir son jambon beurre cornichons en marchant vers sa voiture. Ses neurones tournaient à cent à l’heure dans son cerveau en ébullition. « Bon Dieu, qu’est-ce que c’est que cette histoire de merde ? »… 2 h 30. Il sentait la fatigue le gagner.

Il tourna et se retourna dans son lit, une pensée pour sa fille Jeanne, une autre pour… Il s’endormit.

1. Direction Interrégionale de la Police Judiciaire.

Chapitre 2

Mardi 9 septembre - 8 h 30

Le récit que venait de lui faire Workan avait déplu au commissaire divisionnaire Prigent, « une source à emmerdes » pensa-t-il, « crime de cinglé ! ». Rondouillard, chauve, une paire de lunettes en écaille divisait son visage en deux hémisphères presque égaux, « une tête desmiley », pensait Workan. Plutôt sympathique et jovial, il savait faire preuve de fermeté ; il souhaitait terminer ses deux ans d’activité par mer calme et grand beau temps. Il aurait dû savoir que le calme ce n’est pas pour les flics, surtout quand Workan, ce fouteur de merde de Polak, est dans les parages. Il fallait prévenir Madame le Procureur de la République ; ça commençait à le chiffonner.

Après avoir allumé son ordinateur, Lucien prit la carte mémoire que le capitaine Lerouyer avait laissée sur son bureau et téléchargea les photos de l’agenda du dentiste. Des noms remplissaient les pages, sauf celles du mois d’août qui étaient vierges pour cause de vacances. Il alla ensuite sur un moteur de recherche, tapa « Hortensia bleu ».

Il apprit que les hortensias pullulaient surtout en Bretagne et en Anjou, qu’il fallait un sol acide le plus souvent riche en ardoise pour conserver le bleu naturel - ce qui ne l’intéressait pas plus que ça. « Toutes les fleurs ont une signification, je n’offre jamais d’hortensias bleus à une femme. » Il fouina plus loin et trouva la petite phrase : « Vos caprices me peinent. » Merde ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire, il faut être horticulteur ou fleuriste pour connaître ça.

Quels caprices du dentiste peinaient l’assassin ? Ou était-ce un hasard ? Workan ne croyait qu’à moitié au hasard. S’il fallait enfoncer une fleur dans le fondement de tous les capricieux, les rues serviraient de défilé floral. Était-ce des caprices dentaires ? Une dent mal arrachée, un dentier en perdition, une canine mal dévitalisée. C’était quand même un peu léger, comme prétexte, pour lui défoncer la moitié du crâne. Quelle vie avait ce Marotan ? Une femme jalouse était-elle capable d’un tel acte ? Il regarda par la fenêtre qui donnait sur le boulevard de la Tour d’Auvergne ; le ciel était toujours bleu, l’été se poursuivait, le dimanche précédent il s’était baigné sur une petite plage près de Dinard. Une envie irrésistible de sable et d’eau salée lui vint. Il chassa ses pensées et prit son téléphone.

— Allô, Lerouyer ?

— Bonjour commissaire.

Préoccupé, il ne salua pas son adjoint.

— Vous avez chopé les deux employées de Marotan avant qu’elles ne montent au cabinet ?

— Oui c’est fait, Leila leur tient compagnie dans la salle d’attente.

— OK, vérifiez l’adresse du domicile du dentiste ainsi que les numéros de portables et de téléphones de toute la famille. Faites vérifier les communications de madame Marotan, hier soir entre 20 h et 21 h 30. Ensuite il faudra attaquer les sept étages et questionner tous les médecins. Attention Lerouyer, pas de conneries !

— Même pas chez le proctologue ?

— Même pas ! Dès que j’ai l’adresse de madame Marotan, je file chez elle ; vous me tenez au chaud les deux nanas, je passerai les voir après.

Lucien Workan s’enfonça dans son fauteuil, pensif ; avec sa main il remonta une mèche rebelle, ses yeux marron dans le vague. L’envie lui prit d’allumer un cigarillo, il s’efforçait de ne pas fumer avant le déjeuner.

Il avait vu pas mal de crimes, d’embrouilles, mais celui-ci le laissait perplexe. Il repensa à son arrivée à Rennes, aux circonstances de son départ de Toulouse, à Véro sa femme qu’il avait aimée, qu’il aime peut-être encore, pourquoi ce gâchis ? Certes il n’était pas innocent, il l’avait trompée. Des coucheries, sans importance, sans lendemains, pensait-il. Quand il découvrit la liaison de sa femme avec Thomas, un commissaire comme lui, quel esclandre provoqua-t-il le matin de ce vendredi 8 février, il y a déjà cinq ans. Lucien ne maîtrisait plus sa colère ni sa force, le pauvre Thomas, en plein commissariat, fut roué de coups de poing. Trois ou quatre officiers de police réussirent à ceinturer Workan.

La sanction fut immédiate : rétrogradation au rang de commandant et mutation dans un autre département, le plus loin possible de Toulouse. S’il ne put éviter son départ, ses relations privilégiées avec de hauts pontes dans différentes sphères parisiennes et ses états de services lui permirent de conserver son grade de commissaire.

Il pensa à son grand-père à qui il devait cette mansuétude. Jerzy Workanowski, deuxième génération d’immigrés polonais, héros de la Résistance parisienne pendant la Seconde Guerre mondiale, plus connu sous le nom de « Commandant Workan ». Il fut nommé compagnon de la libération et décoré en personne par le général de Gaulle. Par décret, à sa demande, il conserva son patronyme de guerre. Il travailla au ministère de la Reconstruction et termina sa carrière à l’Intérieur. Son fils Marek Workan, rigide fonctionnaire, prit le témoin de son héros de père et exerça dans plusieurs préfectures, avant de finir conseiller, lui aussi, place Beauvau. Il vivait toujours à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Pas fier de lui, Lucien dut se résoudre à appeler à la rescousse son inflexible papa. Il fut surpris : était-ce la retraite qui adoucissait le caractère ? Marek Workan, usant de ses amitiés, se dévoua corps et âme pour sauver le fiston de la rétrogradation.

À son arrivée à Rennes il fut accueilli sans chaleur par les OPJ et tenu à l’écart par le divisionnaire. Il fit son travail, d’abord en solitaire, plutôt bien, puis les choses se normalisèrent ; désormais ses collègues l’appréciaient… mais le craignaient. Même s’il le considérait comme un fouteur de merde de première, Prigent, lebig boss,lui faisait entièrement confiance. Lucien n’aimait pas la hiérarchie et avait du mal à être directif avec ses hommes. Son humour caustique pouvait blesser, mais il pratiquait l’autodérision avec bonheur.

La séparation avec Véro fut difficile. Ils ne se revirent pour la première fois qu’un an après, pendant un week-end de Pentecôte. Le lien amoureux qui les unissait semblait s’être évanoui, ils étaient tous les deux mal à l’aise. De vacances scolaires en vacances scolaires, soit il se rendait à Toulouse, soit elle venait avec Jeanne, leur fille, à Saint-Malo pour être auprès de la mer. On ne parlait plus du passé, ni d’ailleurs du futur, à part celui de la petite. C’était bien comme ça.

Lucien Workan fit pivoter son siège et se retrouva face à une copie d’un autoportrait de Francis Bacon accrochée au mur. Il aimait ce peintre anglo-irlandais, dont les portraits exprimaient la douleur et le déchirement. Au commissariat il avait l’air d’être le seul à l’apprécier. Tant pis pour les visiteurs. À part la porte capitonnée, avec son oculus rectangulaire à double vitrage muni d’un store vénitien, les quatre murs de son bureau étaient dissimulés par d’innombrables reproductions de Bacon.

« Un cinglé ce peintre, se disait Prigent. Des corps tout de travers, déformés, tordus… Ils en avaient pris plein la gueule, du pinceau de l’artiste. C’était pas humain ces trucs-là. » Toujours est-il que le commissaire Workan n’arrangeait pas son image de flic légèrement timbré. En fait le divisionnaire n’aimait que Pont-Aven et Gauguin, parce que ce n’était pas loin de chez lui. Il plaignait les personnes susceptibles d’entrer dans ce bureau de désolation.

Les personnes en question, qu’ils soient flics, suspects ou témoins, regardaient Workan de travers et, on ne sait si, par mimétisme, il n’avait pas fini par ressembler à cette galerie de personnages. Heureusement qu’il avait ce regard que les femmes trouvaient attendrissant. Son bureau était surnommé par ses collègues « La chambre des horreurs » ; certains visiteurs n’étaient pas mécontents de sortir de ce lieu. Il leur foutait la trouille. Il aurait aimé être peintre mais son daltonisme lui faisait mélanger des couleurs complètement incompatibles. Il détestait les paysages, les natures mortes ; seuls les portraits, les corps l’intéressaient.

Le téléphone sonna. Workan décrocha.

— Commissaire ?

— Oui !

Il avait reconnu la voix de Lerouyer.

— Je vous donne l’adresse de madame Marotan.

— OK, merci je passe la voir et je vous rejoins à la maison médicale.

*

Au volant de sa voiture, il prit la direction de la gare SNCF. La circulation était intense ; il descendit l’avenue Janvier, tourna à droite vers les quais et se dirigea vers Cesson-Sévigné. Il passa devantL’Albatros, tout était calme. La rue qu’il cherchait était située en bordure d’étangs qui entouraient le golf. « Rupin comme quartier… » pensa-t-il. Le jardin de la maison du dentiste bordait l’un de ces étangs. Il sonna ; une jeune fille, les yeux embués de larmes, vint lui ouvrir.

— Bonjour, je suis le commissaire Workan, pourrais-je voir madame Marotan ?

Avant de répondre, la jeune fille, qu’il supposa être une des enfants de la maison, fut surprise de voir ce grand gaillard avec ses mèches rebelles qui partaient dans tous les sens, sa veste de lin toute froissée. S’il n’y avait eu ce léger sourire, qui la rassura, elle aurait refermé la porte.

— Je vais la chercher, entrez s’il vous plaît.

— Merci.

Quelques instants plus tard, la femme, ou plus exactement la veuve du dentiste, vêtue d’un tailleur strict bleu nuit, la jupe juste au-dessus du genou, fit son apparition. « Elle est vraiment canon… » pensa-t-il.

— Bonjour commissaire, dit-elle en lui tendant la main.

— Bonjour madame.

— C’est ma fille aînée, Céline. Peux-tu nous laisser ma chérie ? Asseyez-vous monsieur… ? Excusez-moi un trou de mémoire…

— Workan !… J’aurais préféré vous rencontrer, vous et votre fille, dans d’autres circonstances, je suis navré. Je vais devoir vous poser quelques questions sur la vie de votre mari et sur la vôtre madame, à moins que vous n’ayez d’emblée une déclaration à me faire. Elle fit une mimique négative. Qui d’après vous avait des raisons d’en vouloir à votre mari, de désirer sa mort ? Y avait-il des objets de valeur au cabinet ?

— Non ! Il n’y avait rien qui puisse justifier un vol, pas d’argent liquide, pas d’objets…

Il l’interrompit :

— Des ennemis ?

— Non, pas que je sache, pas au point de vouloir l’assassiner !

— Que voulez-vous dire par là ?

Elle se tordit nerveusement les doigts, baissa légèrement la tête, se retourna pour voir s’ils étaient vraiment seuls dans cette vaste pièce. Au fond, de grandes baies vitrées donnaient sur les étangs et la verdure ; ils étaient confortablement installés dans des fauteuils clubs fauves. Elle prit une inspiration et fit face au commissaire.

— Vous allez finir par l’apprendre, autant que je vous le dise tout de suite. Mon mari n’avait pas vraiment d’ennemis, mais… beaucoup d’hommes pouvaient lui en vouloir. Henri me trompait. Pas avec une femme… avec plusieurs femmes. C’était un coureur de jupons invétéré, il voulait toute la gent féminine à ses pieds, un vrai plaisir de chasseur, une proie à peine débusquée, il fallait passer à la suivante. Il a eu deux ou trois maîtresses ; j’appelle une maîtresse - elle hésita - celle qu’il a pu conserver quelques mois. Dans notre milieu tout le monde le savait. Vous allez me demander pourquoi je n’ai pas demandé le divorce. Je l’aimais, commissaire. C’est vrai que depuis quelques années c’était différent mais j’éprouvais toujours quelque chose pour lui, et puis il ne me négligeait pas… enfin… je veux dire sexuellement. Il a toujours été très gentil avec moi et ses enfants, alors j’en ai pris mon parti. J’ai un certain confort, je me sens bien ici. Vous voyez je cède à la facilité, ce n’est peut-être pas brillant, je suis peut-être lâche… manque de courage ? Vous ne pouvez pas comprendre.

Avant de répondre, Workan marqua un temps de silence, ses yeux marron regardaient fixement le visage de Viviane Marotan, son regard bleu, son pauvre sourire. Mais le cerveau du commissaire était en alerte ; intellectuellement, lors de ses enquêtes, il essayait de ne jamais compatir à la douleur des proches de la victime. Peur de rater une piste. Laisser passer un mot, une mimique, une affirmation ou une négation aseptisée. Il répondit enfin :

— Détrompez-vous, je peux comprendre beaucoup de choses. Vous dire que les sentiments enfouis dans notre cerveau n’ont pas de secrets pour moi serait exagéré, mais le temps nous apporte sagesse et réflexion. J’ai beaucoup de mansuétude pour l’homme en général, sauf pour les assassins de toutes sortes. Je suis là pour les sortir du circuit. Pour revenir à votre mari, si je comprends bien, sans avoir vraiment d’ennemis, il avait dû se créer beaucoup d’inimitiés, puisque apparemment ses infidélités étaient un secret de Polichinelle. Dernièrement, avez-vous remarqué quelque chose de particulier dans son attitude, ses paroles ?

— Non, rien ne me laissait présager un drame aussi affreux… Je réfléchis commissaire… Non, je suis désolée.

— Avait-il une assurance vie ?

— Oui, j’en suis la bénéficiaire, mais vous n’allez quand même pas penser que je suis… que j’étais capable de faire une chose pareille, c’est…

— Madame Marotan, l’interrompit Workan en se redressant sur l’assise du fauteuil, je dois explorer toutes les pistes, je dois tout savoir, je ne vous accuse de rien du tout, mais je vous en prie ne vous offusquez pas de mes questions…

— C’est trop facile, coupa à son tour son interlocutrice avec une voix qui montait d’un ton. Vous n’avez aucune piste, alors vous pensez tout de suite à l’assurance vie.

— Madame Marotan, qu’est-ce que je viens de vous dire ? Je répète, je ne vous accuse de rien du tout, dit-il, en détachant lentement les mots. Ceci dit, merci de préciser que nous n’avons aucune piste. Le crime a eu lieu hier soir et… il est onze heures du matin ! lança-t-il d’un ton un peu ironique en regardant sa montre. Je crains qu’il nous faille un peu plus de temps pour trouver le criminel.

— Excusez-moi commissaire de m’être un peu emportée.

La voix était redevenue normale.

Workan ignora les excuses.

— Entre son travail au cabinet et sa vie familiale, comment trouvait-il le temps de satisfaire ses occupations de séducteur?Ces deux activités sont assez prenantes…

— Oui, il en avait même une troisième… Le golf ! Et ça, c’est aussi prenant que les deux autres.

— Je sais, reprit Workan, d’ailleurs n’appelle-t-on pas les femmes de golfeurs des veuves ? « Merde ! », pensa-t-il. Hum hum… Il poursuivit en se raclant la gorge. Excusez-moi, je suis confus. C’est une bêtise.

La femme du chirurgien-dentiste souriait ; elledécroisa et recroisa ses jambes lentement de droite à gauche, le bas de sa jupe dix centimètres au-dessus des genoux. Lucien Workan n’était pas insensible aux belles jambes ; il s’efforça de ne pas prêter attention à ce geste et se concentra sur le visage de madame Marotan.

— Il n’y a pas de mal commissaire, ça arrive à tout le monde. Henri découchait souvent, partait même en week-end golfique. Je ne cherchais plus à savoir avec qui, un partenaire de jeu ou une amie, peu m’importait ; même les vacances, nous les passions rarement ensemble. Vous voyez, outre son activité au cabinet, ça lui laissait pas mal de temps pour folâtrer. Voulez-vous boire quelque chose ?

— Non ! Je vous remercie. Comment l’avez-vous connu ?

— J’ai été l’une de ses premières victimes si j’ose dire, j’étais sa secrétaire. Il y a une quinzaine d’années… Je vous laisse imaginer la suite. Je crois qu’il m’a vraiment aimée, moi je l’aimais beaucoup. Il venait de se marier, il a divorcé, m’a demandé en mariage, ça a été très rapide, j’étais jolie… Mais ça n’a pas suffi.

— L’avez-vous trompé ?

Elle rougit légèrement, avec sa main droite elle se mit à tourner l’alliance qu’elle portait à l’annulaire gauche, baissa légèrement la tête, avant de se redresser, le visage déterminé :

— Je ne crois pas être obligée de répondre à cette question.

Le commissaire ne broncha pas ; il la regardait fixement, elle soutint son regard.

Workan inclina la tête vers la droite, releva une mèche de cheveux raides qui commençait à lui masquer la vue.

— Non ! Mais ça serait préférable. En tête à tête… ça resterait entre nous.

— Quand vous êtes trompée, bafouée, vous pensez à la vengeance. Beaucoup d’hommes m’ont fait la cour et une fois j’ai cédé, pas plus je vous jure…

— Ça ne me regarde pas !

— Alors pourquoi vous me le demandez ? dit-elle en colère.

— C’est le nombre de fois que vous avez cédé qui ne m’intéresse pas ! bredouilla Workan.

— Vous allez sans doute me demander avec qui, et quand, eh bien ça fait cinq ans… et…

Le commissaire semblait ailleurs.

Il pensa et baragouina entre ses dents : « il y a prescription ».

— Qu’est-ce que vous dites ? Vous avez murmuré quelque chose ! Non ?

— Oui, j’ai dit : « c’était il y a longtemps, c’est loin ! » s’exclama-t-il.

— Ne parlez pas aussi fort je ne suis pas sourde !

— Excusez-moi, mais quand on me demande de répéter, malgré moi, j’élève la voix. Donc c’était il y a cinq ans ?

— Oui, on dirait que vous avez l’air de le regretter.

— Non ! Mais si ç’avait été la semaine dernière, on aurait pu avoir un suspect… Nous allons aborder un autre sujet. Je suppose qu’il avait aussi des amis hommes, des partenaires de jeu;d’ailleurs à ce sujet, où jouait-il au golf ?

— Il s’entraînait un peu à Cesson, sur le neuf trous d’à côté, mais la plupart du temps il jouait sur des golfs extérieurs à Rennes, Pléneuf-Val-André, nous avons une maison au bord de la mer à Erquy, c’est à côté.

— Et dans la région ?

— Il allait souvent augolf des Ormes, entre Dol et Combourg, vous connaissez ?

— Oui, j’y ai joué une fois ; très joli !

— Ah ! Vous êtes aussi golfeur ?

— Très peu, moi c’est plutôt le rugby.

— Ça se voit !

— Ah bon, tant que ça ?

— Enfin non, je voulais dire… Vous avez… Vous avez la prestance d’un… Enfin vous avez la carrure d’un joueur de…

— Et les cicatrices aussi… ajouta-t-il malicieusement. Revenons aux amis de votre mari : avec qui jouait-il principalement ?

— D’abord je dois vous dire qu’il n’avait pratiquement pas d’amis, à part Sylvain Chabrier, l’ORL du cinquième.

— Du cinquième ?

— Oui, du cinquième étage deL’Albatros, la maison médicale. C’était également son partenaire de golf, ils partageaient tous les deux la même passion.

— Monsieur Chabrier partageait-il la même passion pour les femmes ?

— Non pas du tout, j’en suis presque certaine ; je connais très bien sa femme et jamais elle ne m’a fait part d’une infidélité de son mari, alors que nous discutions souvent de mon infortune.

« Son infortune, pensait le commissaire, pourquoi ne dit-elle pas qu’elle était cocue, archi-cocue, jusqu’à la moelle. Ce putain de dragueur de dentiste avait déclenché dans un cerveau humain l’envie irrésistible de le tuer, mais en était-ce la cause ? Maquillage de la scène de crime ? »

— À qui appartient l’immeubleL’Albatros ?

— C’est une SCI que les membres fondateurs ont créée à parts égales, il y a une quinzaine d’années. Quand il y a un nouvel arrivant, il rachète les parts de son prédécesseur. Si ce dernier conserve les murs, le nouveau médecin devient locataire de l’ancien et propriétaire du fond médical. Il est déjà arrivé également que l’un ou plusieurs médecins rachètent les murs du cabinet, à fin d’investissement personnel, et louent au nouvel occupant. Tout estclean, vous pourrez consulter l’expert-comptable qui s’occupe de la SCI.

— Mouais… C’est pas très clair.

— Je m’exprime peut-être mal… Allez voir le comptable, suggéra-t-elle.

— Toutes les spécialités médicales sont-elles représentées ?

— Non, dit-elle en souriant, il faudrait la tour Montparnasse pour faire un panel complet ! Il y a juste une règle àL’Albatros, ne pas réunir deux praticiens de la même spécialité. Vous voyez, c’est clair !

— Là, c’est plus clair en effet ! Mais votre mari a quand même été assassiné, et ça, ce n’est pas limpide du tout. J’insiste vraiment, vous ne voyez pas une personne qui lui en voulait au point de le supprimer ?

— Non, sauf ce que je vous ai confié précédemment.

Workan avait le regard fixé vers les baies vitrées ; le ciel ensoleillé éblouissait ses yeux sensibles, c’était vraiment une belle fin d’été.

— Vous avez de jolis hortensias madame Marotan !

— Je savais que vous me poseriez cette question.

— Ce n’était pas une question madame, c’était une constatation.

— Ça me peine ce que j’ai vu hier soir ; si nous abordons ce sujet, je vous demanderai de parler le plus bas possible. Je ne veux pas que Céline, si elle est à portée de voix, soit informée de cette horreur, dit-elle d’une voix en sourdine, en décroisant les jambes pour se pencher en avant vers Workan. Vous savezMonsieur le Commissaire, ici à Cesson, à Rennes et dans toute la Bretagne, les hortensias pullulent. D’ailleurs dans les jardins du Thabor, près du centre-ville, il y a de magnifiques hortensias bleus. Je doute très fort que celui d’hier soir vienne de mon jardin, ce sont des hortensias boule, la variété la plus répandue, il y en a partout.

— Vous connaissez le langage des fleurs ?

— Non pas du tout, à part les roses rouges quisignifient amour… ou quelque chose dans le genre, le reste non !

— « Vos caprices me peinent. »

— Pardon Monsieur le Commissaire ? balbutia-t-elle.

— Ne vous inquiétez pas ! chuchota-t-il, penché lui aussi en avant sur son fauteuil ; c’est la signification de l’hortensia bleu, encore qu’il y ait plusieurs versions, mais c’est la plus répandue.

— Ça alors !

— Savez-vous si votre mari avait des relations homosexuelles ?

— Mais… comment… je vous ai tout dit… avec les femmes… tout ça… comment aurait-il pu ? Je suis catégorique, c’est non ! s’offusqua la veuve.

— Il aurait pu être bisexuel !

— Là, commissaire, vous allez trop loin, je ne vais plus répondre à vos questions si vous insistez, j’ai des relations et…

— Laissez tomber vos relations, dit-il en se levant, je vous remercie d’avoir répondu à mes questions. Ah ! Encore une chose. Saviez-vous qu’il manquait des clubs de golf dans le sac de votre mari ?

— Non ! Je n’ai jamais fait attention à son matériel, demandez à Sylvain Chabrier il vous renseignera.

— C’est mon intention !

— Vous allez interroger tout l’immeuble ? se tracassa-t-elle.

— Oui !

— Tout le monde va savoir pour…

— Non ! J’ai vu qu’il y avait un proctologue dans l’immeuble.

— Vous n’allez pas imaginer que c’est Marc qui a pu faire ça !

— Marc ?

— Oui, Marc Leguénidec, c’est le proctologue du sixième. Décidément, vous êtes… comment dirais-je… très axé sur cette partie du…

— Ce n’est pas moi qui ai commencé madame ! Mais n’est-ce pas un tableau de Braque que vous avez là ?

— Si ! C’est juste une reproduction ; nous n’avons pas les moyens d’acheter les originaux ! Vous aimez ?

— Non pas du tout ! Ce n’est pas l’Estaque ?

— Si ! Vous ne devez pas maîtriser la peinture, Braque est un très grand peintre ; d’ailleurs comme je vous le disais, ses toiles valent très cher et…

— Je sais qu’il a du talent, ce sont les paysages que je n’aime pas. J’ai du mal avec les couleurs… problèmes d’yeux… Je préfère les portraits, les nus, les corps en mouvement… en détresse… styleLe Radeau de la Méduse… La lutte pour la vie, quoi !

— Mais si vous avez des problèmes de perception de couleur, comment êtes-vous entré dans la police ? interrompit-elle Workan d’une voix sarcastique.

Le commissaire, un peu embarrassé, s’entendit répondre :

— C’est un petit accident… postérieur à mon arrivée dans la police judiciaire.

Il se dirigea vers la sortie, assura une nouvelle fois madame Marotan que tout serait mis en œuvre pour retrouver l’assassin de son mari. Dehors la chaleur s’accentuait ; il marcha jusqu’à sa voiture. Il ouvrit la portière, il se retourna, sur le pas de la porte d’entrée, il vit Céline près de sa mère.

Chapitre 3

Mardi 9 septembre - 12 h 30

À bord de sa voiture, Workan chercha un restaurant. La faim lui creusait l’estomac. Il connaissait un grill sympathique, rue de Paris. En cours de route il avait joint, avec son portable, le capitaine Lerouyer afin qu’il prévoie des sandwichs pour les deux employées de Marotan qui devaient commencer à trouver le temps long. Le capitaine lui répondit que Leila allait s’en charger.

Leila… ! Quand il y avait une folie à faire, Workan n’était jamais bien loin…

Le lieutenant Leila Mahir, quinze jours après son arrivée au commissariat, il y a tout juste un an, heureuse d’avoir réussi son concours d’entrée dans la police, titulaire d’une maîtrise de droit obtenue avec mention, se dépensait corps et âme à sa fonction.

Il y avait bien les blagues vaseuses de ses collègues, elle s’y attendait… Mais, quand l’un de ceux-ci lui passa la main aux fesses, elle lui envoya un coup de genou dans les parties nobles et procréatrices. Branle-bas de combat au commissariat… harcèlement sexuel… le collègue en question fut muté. Leila, bien qu’il y eût d’autres femmes flics avec elle, craignit une mise en quarantaine des flics masculins. Il n’en fut rien. La majorité d’entre eux s’accordait à dire que leur ancien équipier était une « tête de con ».

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Un soir, au commissariat, elle eut besoin d’un renseignement, que détenait le commissaire Workan, concernant une affaire de vol de câble de cuivre par une famille de gens du voyage. Quand elle entra dans son bureau, elle eut un mouvement de recul : « Il est cinglé ce type, qu’est-ce que c’est que ces tableaux de brocanteur en faillite ? ». Elle le trouvait déjà étrange avec son allure dégingandée et ses cheveux noirs qu’il n’arrivait pas à domestiquer, son nez cassé ! Elle se demandait si le chirurgien esthétique qui l’avait réparé ne faisait pas des heures supplémentaires non payées. Pourtant à chaque fois qu’elle le croisait dans les couloirs, la douceur de son sourire et de son regard la faisait craquer : « Déconne pas ma fille ! » pensait-elle.

C’est là que Workan, avec un courage à toute épreuve, l’invita à dîner. Faut dire qu’elle était belle Leila ; grande, le teint basané, normal elle était d’origine berbère, des cheveux mi-longs, noirs, lisses, des yeux marron foncé, un corps à poser pour Michel Ange. Outre sa plastique, il découvrit une fille intelligente, cultivée, qui maniait l’humour avec bonheur, et avait un coup de fourchette d’ouvrier du bâtiment. Il n’aurait pas dû lui offrir le dernier verre dans son appartement rue de la Monnaie : tous les deux savaient ce qui allait se passer. Trop tard. Le lendemain, penaud, il la fit venir dans son bureau. Il lui expliqua confusément qu’il était son supérieur hiérarchique… que ça pourrait poser des problèmes dans le travail… il avait déjà été muté… il craignait qu’on l’accuse de harcèlement… que ce n’était pas facile… que c’était la première fois avec une collègue… il avait quarante ans, elle, vingt-six…

« Merci, Monsieur le Commissaire » dit-elle sèchement en claquant la porte. Les jours suivants, ils s’évitèrent. Par la suite, ils avaient de nouveau enquêté ensemble, leurs rapports devinrent cordiaux, rien de plus. Pourtant quand elle voyait sa grande silhouette déambuler dans les couloirs, son cœur s’accélérait : « Merde ! Il me fait chier ce mec, et Lucien… ridicule comme prénom ! ».

Le commissaire consultait le menu :

— Françoise ! Le plat du jour ?

— Entrecôte béarnaise, inspecteur !

« Inspecteur ? » : il ne la reprit pas.

— OK ! Ça ira pour l’entrecôte.

Son téléphone vibra :

— Commissaire Workan, j’écoute !

— Eh Lucien, pas de commissaire avec moi, c’est Patrick !