L'incorrigible monsieur William - Hugo Buan - E-Book

L'incorrigible monsieur William E-Book

Hugo Buan

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Beschreibung

Des rangs de menhirs et des morts en série.

Le corps de la jeune femme reposait, sur le sol, entre deux menhirs. Nouveau monument dans le paysage urbain de Rennes, cet alignement mégalithique composé de soixante-douze pierres, d’une hauteur chacune de quatre mètres cinquante, accueillait ainsi son premier cadavre.

Qui se cache derrière le meurtrier ? Le commissaire Workan va vite se persuader qu’il s’agit d’un tueur en série. Le monument intrigue et un journaliste va avancer les théories les plus fantaisistes : numérologie, rites celtiques, cérémonies druidiques, et entraîner avec lui la conviction du capitaine Lerouyer. Workan ne croit qu’à son intuition et balaie d’un revers de main ces suppositions.
L’enquête va l’entraîner vers une mystérieuse société américaine, la OWP, sans qu’il n’y découvre rien de probant. Il ignorera même qu’il vient de croiser la route d’un effroyable psychopathe.
Car il était comme ça monsieur William, manipulateur, dissimulateur et tout…

Un roman policier passionnant, osé mais bourré d’humour et à l’imagination débordante !

EXTRAIT

« Et alors ? demanda Workan à moitié endormi.
— Alors !? Virée ! Mutée ! Mise en fuite ! La chasse à courre au cul et le stringbar à la main ! cria Prigent à l’autre bout du fil. »
Workan soupira, incrédule. Il était neuf heures et le fringant commissaire avait oublié de se lever. Assis sur son lit, les pieds nus sur le parquet, le regard vide pendant que la voix de Prigent distillait dans ses tympans l’équivalent en décibels de cent mille avions à réaction. Il se passa la main dans les cheveux et éloigna le combiné de son oreille. Il fut tenté de le poser sur l’oreiller, mais mû par un réflexe somme toute professionnel, il s’attacha à bredouiller :
— Vous êtes sûr qu’elle a fait ça, monsieur le divisionnaire ?
— Aussi vrai que je m’appelle Prigent, Workan !
— Vous vous appelez Prigent Workan, maintenant, monsieur le divisionnaire ?… C’est bien ce que je pense cette histoire est plus ou moins farfelue.
Le silence se fit. Workan devinait que le divisionnaire était muet de colère. Puis il entendit une sorte de bouillonnement. Des bulles de potage aux légumes qui remontent et éclatent à la surface : pop, pop. Enfin la voix du divisionnaire fusa dans l’écouteur :
— Workan ! Venez immédiatement au commissariat, pop !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Bref, une histoire déroutante, menée tambour battant, qui mène sans doute à un sixième tome des aventures du commissaire Workan. Mon verdict : à lire n'importe où et n'importe quand. - Babelio

De l'humour, et une bonne intrigue criminelle avec son lot de péripéties, voilà un bon moment de lecture en perspective. Y compris pour ceux qui découvriront Workan à cette occasion. - Claude Le Nocher, Action-Suspense

À PROPOS DE L’AUTEUR

Hugo Buan est né en 1947 à Saint-Malo où il vit et écrit.
Passionné de polars, après une carrière professionnelle de dessinateur dans le Génie Civil, il publie en 2008 son premier roman, Hortensias Blues, une enquête policière bourrée d’humour à l’imagination débordante. Il crée ainsi le personnage du commissaire Lucien Workan, fonctionnaire quelque peu en disgrâce auprès de sa hiérarchie, ce qui lui vaut d’être muté depuis Toulouse, où il a laissé sa famille, à Rennes. Ses méthodes sont encore largement désapprouvées par son nouveau patron, mais pour Workan, seul le résultat compte !
Un honnête premier succès pour l’auteur qui embraye dès 2009 avec Cézembre noire, dans lequel « il laisse libre cours à son style débridé ».
Ajoutons que ses ouvrages se sont retrouvés sélectionnés pour pas moins de 5 prix, parmi lesquels le Prix Michel Lebrun au Mans et le Prix Polar de Cognac.

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HUGO BUAN

 

 

 

L’incorrigible

monsieur William

 

 

éditions du Palémon

ZA de Troyalac’h

10 rue André Michelin

29170 St-Évarzec

 

 

 

 

 

Retrouvez tous les ouvrages des Éditions du Palémon sur :

 

www.palemon.fr

 

 

Dépôt légal 1er trimestre 2014

 

ISBN : 978-2-372601-00-9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

 

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L'autorisation d'effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d'Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70/Fax : 01 46 34 67 19. - © 2014 - Éditions du Palémon.

 

Chapitre 1

« Et alors ? demanda Workan à moitié endormi.

— Alors !? Virée ! Mutée ! Mise en fuite ! La chasse à courre au cul et le stringbar à la main ! cria Prigent à l’autre bout du fil. »

Workan soupira, incrédule. Il était neuf heures et le fringant commissaire avait oublié de se lever. Assis sur son lit, les pieds nus sur le parquet, le regard vide pendant que la voix de Prigent distillait dans ses tympans l’équivalent en décibels de cent mille avions à réaction. Il se passa la main dans les cheveux et éloigna le combiné de son oreille. Il fut tenté de le poser sur l’oreiller, mais mû par un réflexe somme toute professionnel, il s’attacha à bredouiller :

— Vous êtes sûr qu’elle a fait ça, monsieur le divisionnaire ?

— Aussi vrai que je m’appelle Prigent, Workan !

— Vous vous appelez Prigent Workan, maintenant, monsieur le divisionnaire ?… C’est bien ce que je pense cette histoire est plus ou moins farfelue.

Le silence se fit. Workan devinait que le divisionnaire était muet de colère. Puis il entendit une sorte de bouillonnement. Des bulles de potage aux légumes qui remontent et éclatent à la surface : pop, pop. Enfin la voix du divisionnaire fusa dans l’écouteur :

— Workan ! Venez immédiatement au commissariat, pop !

Lucien Workan lorgna vers son téléphone et raccrocha. Si tout allait bien, après sa toilette et le petit déjeuner chez les Archibald, il se pointerait au commissariat vers dix heures. L’heure des braves, pensa-t-il. En attendant, cette foutue Cindy Vitarelli, la gouine de l’équipe, était passée à l’action en début de matinée. Le récit du divisionnaire promettait d’être d’une clarté saisissante. La jolie blonde de vingt-cinq ans avec sa queue-de-cheval et ses mains baladeuses, prise de frénésie sexuelle, avait suivi la brigadière (celle qui se baladait toujours en minijupe) dans les toilettes et l’avait agressée dans son intimité. Évidemment les témoignages des deux protagonistes péchaient par leur discordance. Agression et tentative de viol par objet contondant disait la plaignante. Amour et provocation rétorquait Vitarelli. Amour, mon cul ! songea Workan en traversant la rue de la Monnaie au pied de son immeuble.

La brigadière s’était ruée sur le syndicaliste le plus proche qui s’empressa de déclencher la procédure. Une heure plus tard, Prigent et la procureure Sylviane Guérin, tels Fouquier-Tinville, se transformèrent en grands accusateurs et chassèrent la catin séance tenante. Surtout ne pas remettre les pieds au commissariat. La léproserie. La quarantaine d’abord, les droits et la défense après.

Workan laissa la place de Bretagne à ses pavés et s’engagea sur le boulevard de la Tour d’Auvergne, là où se trouvait le commissariat.

À peine fut-il descendu de voiture que la voix de Leila Mahir, la jeune lieutenant, présente sur le parking, l’agressa :

— Commissaire !? Ils ont viré Cindy.

— J’suis au courant, grommela Workan.

— Que comptez-vous faire ?

— Rien !

— Merde, mais il faut la défendre ! s’énerva Leila.

— Vitarelli ne vous a jamais fait des avances, lieutenant ?

— Si !

— Alors ?… Ça devait arriver tôt ou tard. Cette fille a une centrale nucléaire entre les cuisses dès qu’elle aperçoit le cul d’une femelle… Je ne veux plus d’emmerdes… Où est Lerouyer ?

Mahir bouda et déclara en serrant des dents :

— Une nana s’est fait dézinguer, il est sur les lieux.

— Et vous, qu’est-ce que vous faites ici ?

— Je me battais pour Cindy !

— Et bien allez vous battre avec la scène de crime et tenez-moi au courant !

Workan tourna les talons et quelques minutes plus tard, après avoir fait le tour de ses Bacon, se glissa sur le siège derrière son bureau. Il mesura à l’aide de son stylo la hauteur de la pile de papiers à sa gauche, enleva cinq feuillets qu’il roula en boule et les jeta dans la corbeille. Il sursauta, le lieutenant Roberto venait d’entrer précipitamment dans la pièce, essoufflé.

— Non mais vous êtes malade d’entrer sans frapper, Roberto ! brailla Workan.

— Excusez-moi commissaire… Je voulais vous voir… Vous savez pour Cindy ?

Workan dévisagea le jeune lieutenant. Un grand brun, style échassier, venu tout droit des Ardennes, grand gaffeur et bègue repenti.

— Oui je suis au courant, dit Workan en ouvrant son ordinateur portable. Ça vous pose un problème ?

— Ben, c’est-à-dire… Vous n’allez pas la défendre ?

— Non.

— Pou… pourquoi ?

— Je n’aime pas les agressions sexuelles.

— Moi si, tenta de plaisanter Roberto… Elle est conne. Si elle m’avait fait ça à moi je me serais laissé faire.

— Ça m’étonne pas.

— Pourquoi vous dites ça ?

— Parce que la Toundra est une autoroute à côté de votre corps vierge de tout soupçon et de tout écosystème.

— Ce qui veut dire ?

— Pas grand-chose !

La porte du bureau s’ouvrit à nouveau, le divisionnaire Prigent apparut comme le Saint-Esprit sur la tête des apôtres ; rouge et flamboyant.

— Ah vous êtes là Workan ! Vous parlez d’une histoire.

— C’est pas la fin du monde, non plus.

Le commissaire alluma son ordinateur sous le regard dédaigneux du divisionnaire. Il enchaîna :

— Il va falloir me trouver un autre flic pour compléter mon équipe.

— C’est tout ce que vous trouvez à dire… Pas un mot pour défendre votre lieutenant ?

— Son attitude est injustifiable, que puis-je faire ?

Prigent s’affala sur une chaise, interloqué par l’attitude de Workan qu’il avait connu plus agressif. Il tenta de l’aiguillonner :

— Mais enfin commissaire, en d’autres temps vous m’auriez dit que son agression était un geste amical, une caresse banale, une…

— C’est ce que je pense, le coupa Workan. Ce n’était rien qu’un doigt chaleureux.

— Je ne vous comprends pas.

— J’en ai marre de me battre contre des moulins à vent. Vous, monsieur le divisionnaire, la procureure Sylviane Guérin… Vous me guettiez au coin du bois. Enfin une affaire interne où vous auriez le dessus… Sans moi, monsieur le divisionnaire. Débrouillez-vous pour me trouver un autre flic homo.

Prigent ôta ses lunettes en écaille et tourna son visage vers Roberto, resté debout, pour vérifier si lui aussi avait bien entendu. Roberto acquiesça d’un timide hochement de tête.

— Pourquoi, homo ? bredouilla Prigent.

— Pour les quotas !

— Quels quotas ?… Y’a pas de quotas imposés à ce sujet.

— Je préfère être en avance sur mon temps.

— Vous vous foutez de ma gueule Workan ! beugla Prigent.

— Ou un Noir !

Le divisionnaire, qui se levait, retomba sur sa chaise. Il marqua un temps de silence en se prenant le front avec les mains, puis lâcha :

— Parce que pour vous, Noir ou pédé, c’est la même chose ?

— C’est vous qui le dites, pas moi !

— Ça suffit Workan ! Expliquez-vous !

Le commissaire saisit la première feuille en haut de la pile infernale, la roula en boule et d’un geste lent marqua un panier à trois points.

— Monsieur le divisionnaire, mon équipe est constituée de cinq officiers de police. D’accord ?

— Oui.

— Nous restons à trois Blancs ; moi, le capitaine Lerouyer et le lieutenant Roberto ici présent. Avec Leila Mahir nous avons notre quota d’Arabes. Pas question d’ajouter un autre Bédouin sinon il faudrait construire une mosquée dans le commissariat. Donc il nous faut un Noir ou un Blanc pédé.

— Mais pourquoi absolument un pédé blanc ?

— Si c’est un pédé noir ça n’en sera que mieux… Monsieur le divisionnaire, un cinquième de la population française est homo ou a envie de l’être, devançons les lois et soyons raccord avec notre temps.

— Workan, je ne sais pas d’où vous tirez ces chiffres mais ils me semblent farfelus. Vous prendrez ce que je trouverai.

— OK ! Il y a une autre solution – Workan planta ses yeux dans ceux de Roberto – Lieutenant, vous n’avez pas de fiancée ?

— Non, balbutia Roberto, redoutant le pire.

— Peut-être que vous êtes un homo refoulé… Vous pourriez nous aider en faisant le quota. Annoncez-nous votre coming out.

— Mais non, j’aime les filles…

— Et les petits rouquins ? l’interrompit Workan.

— Quels rouquins ?

— Genre capitaine Lerouyer, ça ne vous branche pas ? Là on aurait un super quota, avec deux pédés d’un coup.

Prigent s’éjecta de son siège et aplatit son poing sur le bureau de Workan. Il cracha au visage de ce dernier :

— Ça suffit ! Bordel de merde !… Vous êtes fou Workan !

Prigent amorça un savant demi-tour pour regagner la sortie quand la voix atone du commissaire lui annonça :

— Si c’est un Jaune, ça peut le faire aussi.

— Arrgh ! fit Prigent en claquant la porte.

— Même si le bridé est pédé, brailla Workan à l’intention du couloir.

— Vous l’avez mis en colère, commissaire, s’avança prudemment Roberto.

Workan ignora le propos de Roberto et ouvrit sa boîte de messagerie. Il y avait un e-mail de sa femme Véronique qui vivait à Toulouse avec leur fille Jeanne âgée de quatorze ans. Elle le prévenait que cette dernière monterait à Rennes pour les vacances de la Toussaint. Y manquait plus que ça, songea le commissaire. Il adorait sa fille, mais en ce moment il éprouvait un besoin de solitude. Même Leila son amoureuse berbère devait se serrer le boxer. Jeanne , en plein âge pubertaire, développait un esprit rebelle et parfois vindicatif comme beaucoup d’adolescents. Lucien Workan s’en accommodait et n’était pas le dernier à semer la zizanie mais il en avait plein le cul de la prolifération de pseudos people, chanteurs, secréteurstorieurs et autres emmerdeurs d’un soir qui polluaient l’esprit de sa gamine. Il se dit qu’il ferait sans et supprimerait la télé et l’ordinateur, tant pis pour les réseaux sociaux qui perdront pendant huit jours un esprit jeune et brillant.

— J’ai ma fille qui vient en vacances à la Toussaint, dit Workan à Roberto.

— Ah ! C’est bien.

— J’sais pas… Faudra qu’on s’organise pour la garder à tour de rôle.

— Qui ça, on ?

— Vous, Leila, Lerouyer, moi !

— Mais on…

— Remarquez, continua Workan en ignorant Roberto, c’est peut-être aussi bien que Cindy ne soit plus là. Ma fille est belle, on ne sait jamais.

— Elle est plutôt maigrichonne, s’avança Roberto en terrain glissant.

— Qui ça ?

— Heu… Votre fille… Bon, elle n’est pas vraiment maigre mais…

— Mais quoi !? tonna Workan.

— Rien, je dois confondre avec la fille à Lerouyer…

— Qui est une petite grosse, Roberto ! Vous n’avez pas le sens de l’observation. Jeanne ressemble à ma mère qui était très belle. Très fine mais belle.

Les yeux de Workan devinrent fixes et se noyèrent dans la brume d’un temps heureux bien avant l’horrible assassinat d’Ewa Potrechka, sa maman.

Il dévisagea Roberto et se mit à sourire.

— Vous en faites à la pelle, hein !

— Quoi ?

— Des gaffes !

— Je sais pas.

— Si !… Dites-moi, vous êtes au courant de ce corps découvert où officient Lerouyer et Mahir ?

— Non pas vraiment. Je sais qu’un promeneur a trouvé le cadavre vers 8h30. Une femme… Je me préparais à aller sur place mais avec l’affaire Vitarelli…

— Vous n’y êtes pas allé !

— Voilà.

— Voilà ?… Maintenant vous allez vous bouger le cul à une vitesse supersonique et courir sur les lieux. OK ?

— OK commissaire !

L’Ardennais se précipita vers la porte de sortie quand Workan le stoppa net :

— Roberto !?

— Oui ?

— C’est où ?

— Quoi ?

— Le cadavre !

— Je ne sais pas !

Devant l’air consterné de Workan il ajouta : « Je comptais téléphoner à Leila dans ma voiture. Attendez je le fais maintenant. » Il le fit.

— Leila demande à ce que vous veniez sur la scène de crime, dit Roberto, le portable à l’oreille.

— Pourquoi ? J’ai plein de paperasses à faire.

— Y’a des trucs bizarres, elle dit.

— Passez-la-moi !

— Commissaire ? susurra la jolie Berbère.

— Oui.

— Vous pouvez ramener votre charmante frimousse ici, rassurez-vous personne ne m’entend.

Workan dansa d’une fesse sur l’autre.

— Vous êtes sur le téléphone de Roberto, lieutenant, qui est près de moi. Dites-moi, c’est quoi le bruit de corne de brume qu’on entend près de vous ?

— Ah ça ! C’est rien ! C’est un lapin qui joue de la trompette.

 

Chapitre 2

Sous l’effet des bourrasques, les feuilles mortes le long du canal Saint-Martin s’entassaient dans les caniveaux.

Roberto, au volant de sa voiture, accompagné de Workan, se dirigeait vers le nord de Rennes, direction la rue André Mussat située dans le quartier de Beauregard. En 2005 s’était érigé dans le parc du même nom un ensemble de soixante-douze menhirs en granit strictement taillés en parallélépipèdes carrés de quatre-vingt-dix centimètres de côté et d’une hauteur de quatre mètres cinquante, pesant chacun dans les dix tonnes. Ce champ mégalithique rectangulaire, parfaitement aligné au nord, se voulait rappeler Carnac ou Stonehenge. L’artiste conceptrice, Aurélie Nemours, mourut l’année même de l’érection de ces pierres. L’Alignement du XXIe siècle, le nom de l’œuvre, fut à son époque la plus grosse commande publique des quarante dernières années dans le domaine des Arts.

Aujourd’hui, selon les dires de Leila au téléphone, il fallait ajouter à ce champ de pierres une femme morte allongée sur le dos et un lapin qui jouait de la trompette.

Roberto traversa une sorte de vaste terre-plein en herbe qui séparait l’avenue André Mussat d’une piste cyclable et vint se garer sur le parking d’un petit immeuble d’habitation.

Sous un ciel bas et gris les deux hommes se dirigèrent vers les pierres debout. Le capitaine Lerouyer, carnet de notes à la main, adossé à un des menhirs, griffonnait quelque chose en tirant la langue. Signe chez lui d’une grande concentration. Le lieutenant Leila Mahir en pleine discussion avec le légiste pointait du doigt un corps allongé que tentaient de dissimuler deux agents en uniforme à l’aide d’une couverture de survie maintenue en forme de paravent.

Workan salua le légiste par quelques mots inaudibles maugréés entre ses dents.

— Ça a l’air d’être la forme, constata le docteur Lecoq, son catogan gris sale pendouillant sur sa nuque.

Workan apostropha Mahir :

— Pourquoi vous ne fermez pas la gueule à ce putain de lapin !?

Lerouyer arriva dans son dos, le contourna et lui fit face.

— On arrive plus à l’éteindre, commissaire, alors on l’a remis à sa place en vous attendant.

— Merci pour la musique, capitaine, ironisa Workan. Ainsi ce lapin a été, si je vous comprends bien Lerouyer, déplacé de l’endroit où il se trouvait, éteint, rallumé et repositionné à cet emplacement pour mon arrivée ?

— Ben oui, sinon les piles seraient usées.

— Les piles seraient usées ?…

— Sûrement, réaffirma le capitaine aux boucles rousses.

Workan leva les yeux au ciel.

— Vous aimez la trompette… ou dois-je dire la corne de brume, Lerouyer ?

— C’est vrai que c’est assez agaçant… Mais on ne réussit plus à l’éteindre.

— Enlevez les piles ! gueula Workan.

La femme étendue sur le dos avait les jambes écartées, la jupe relevée à la hauteur des hanches. Elle portait un collant couleur chair déchiré en plusieurs endroits. La peluche blanche et son instrument de musique se trouvaient entre les genoux de la victime. Le lapin et le pavillon de la trompette orientés vers la culotte de la dame.

Leila, toute gantée, vint au secours de Lerouyer, saisit la bête, ôta les piles, et plaça le jouet dans un sac plastique.

Goguenard, Workan demanda :

— Depuis quand déplace-t-on les objets d’une scène de crime, Lerouyer ?

— Je pensais que le son était important et je voulais l’économiser pour votre arrivée.

— Je n’ai pas besoin des clairons de la Garde Républicaine à chaque fois que j’arrive sur une scène de crime. Je ne suis quand même pas César… Bon alors ! Qu’est-ce qu’on a ?

Workan se tourna vers Lecoq, le légiste, et du regard lui intima de déballer son sac.

Ce dernier jeta un œil suspicieux vers le commissaire et entonna :

— Femme blanche de type caucasien…

Le commissaire l’interrompit silencieusement en dodelinant de la tête.

— Quoi ? fit Lecoq.

— Épargnez-nous les généralités, dit Workan.

Pauvre con, songea le toubib. C’est de ma faute s’il y a une bonne femme trucidée entourée de menhirs et un lapin qui joue de la trompette entre ses cuisses ?

Le légiste poursuivit :

— … âgée d’une trentaine d’années. Cheveux noirs. Un mètre soixante et onze, poids inconnu… Je dirais soixante-deux kilos, à confirmer lors de l’autopsie. Cette femme est morte par strangulation à l’aide d’une cordelette ou d’un lien très fin. Je pencherais pour du fil de pêche. Le lien a pénétré dans l’épiderme en creusant un sillon horizontal sous-hyoïdien entraînant une mort rapide et violente. Je pense qu’elle a dû perdre connaissance et mourir d’anoxie cérébrale. Elle s’est débattue en vain. Des ecchymoses digitiformes sur la nuque semblent indiquer que le meurtrier a exercé une forte pression sur le cou de la victime.

— De quand date la mort ? s’enquit Workan.

— J’allais y venir…

— Alors, allez-y !

— Laissez-m’en le temps, merde ! rugit Lecoq… Le corps de cette femme a été déplacé et déposé post-mortem à cet endroit…

— Normal, dit Workan, si vous déplacez un cadavre, il est forcément post-mortem.

— Je me comprends…

— Vous êtes bien le seul !

— Foutez-moi la paix ou j’en parle au procureur.

— Mouchard !

— Je me tire ! Démerdez-vous avec votre macchabée !

Lecoq remisa quelques outils dans sa petite valise métallique et quitta le champ mégalithique.

— De quand date la mort ? cria Workan au toubib qui s’éloignait.

— Entre douze et quatorze heures ! hurla Lecoq en ouvrant la portière de sa voiture.

— Quatorze heures en temps ou en horaire ? gueula Workan encore plus fort.

— En temps ! brailla le légiste, en ajoutant « Du chnoque ! » mais ceci beaucoup plus bas.

Le commissaire se pencha sur le corps, souleva un bras, constata la rigidité cadavérique. La victime portait une sorte de manteau en peau retournée sur une jupe plissée noire remontée à la taille. À part le collant déchiré, les sous-vêtements ne semblaient pas avoir été touchés. Workan se redressa et remarqua l’agitation fourmilière des hommes en blanc de l’Identité Judiciaire.

— Des indices ? demanda-t-il au capitaine Lerouyer.

— Rien pour l’instant, commissaire… Le corps semble vraiment avoir été amené sur place.

— Qui l’a découvert ?

— Un môme… un écolier qui allait prendre son bus.

— Pourquoi est-il venu sur cette plate-forme au milieu de ces colonnes ?

Le rouquin tenta de remettre de l’ordre dans sa chevelure épaisse aux boucles désordonnées et dit :

— Il venait récupérer un ballon perdu la veille… Enfin c’est ce qu’il dit mais je pense qu’il ment. On a retrouvé de l’urine fraîche le long d’un menhir. Il a dû venir pisser. L’IJ a fait des prélèvements, si ce n’est pas lui, on ne sait jamais c’est peut-être l’assassin.

— Si vous tuez quelqu’un, Lerouyer, vous allez pisser autour pour signer votre forfait ?

Le capitaine haussa les épaules. Leila Mahir s’approchait avec la peluche contenue dans le sac plastique. Workan l’apostropha :

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de lapin ?

— Demandez à Lerouyer, c’est lui qui est arrivé le premier. Moi je défendais les copines…

— Bon, ça va, lieutenant ! Lerouyer, expliquez-moi.

— C’est simple, quand on est arrivés sur place… Il y avait l’animal aux grandes oreilles entre les jambes de la victime qui jouait de la trompette… N’oubliez pas que je suis marin et je ne prononce jamais le nom de la bête.

— Et ?

— Et bien, c’est tout. J’ai éteint la sonnerie, je l’ai rallumée pour votre arrivée et elle est restée bloquée.

Le corps se trouvait à l’intérieur de l’œuvre, entre deux menhirs, la tête orientée vers le nord. Workan sortit en périmètre des colonnes et constata que tout autour du parc se dressaient au sud de petits immeubles d’habitation avec une vue imprenable sur le champ de pierres. Au nord un vaste chantier dressait une carcasse sépulcrale, il s’agissait du Fonds Régional d’Art Contemporain de Bretagne. Pourquoi l’Art Contemporain se veut-il toujours aussi lugubre ? songea-t-il.

Il vit Lerouyer compter les colonnes.

— Qu’est-ce que vous faites, capitaine ? s’inquiéta Workan.

— Je compte les menhirs… ou plutôt je les numérote afin de mettre sur mon rapport entre lequel et lequel on a retrouvé la victime. Imparable, non !?

Workan fronça les sourcils, dubitatif.

— Mouais… Je comprends pas très bien, mais si vous le faites c’est que c’est bien. Encore faut-il trouver le numéro un.

— Quel numéro un ?

— Il faut bien partir d’un menhir… Donc, quel est le numéro un ?

— Le premier à l’angle au nord-ouest.

— Et pourquoi pas au sud ou à l’est ?

— Parce que je suis d’origine irlandaise et que je connais les traditions celtiques.

— Il y a plus de mille ans que vos aïeux sont arrivés dans le royaume de France. Avec la fornication qu’on leur connaît il ne reste pas grand-chose de vos traditions celtiques… À part vos cheveux.

Le capitaine ignora le sarcasme et égrena :

—… 35, 36, 37…

— Lerouyer ?

— Oui ? 42, 43…

— Le gamin qui a découvert le corps est-il toujours là ?

— Oui, dans une voiture de police, 49, 50, 51…

— Allez le chercher !

— Tout à l’heure, j’ai presque fini, 61, 62, 63, 64…

Leila était arrivée près de Workan qui débita :

— Un mec qui compte les menhirs, ça ne nous rajeunit pas.

— Oui surtout qu’il y en a soixante-douze.

— Comment le savez-vous ? fit Workan surpris.

— Huit rangées de neuf et neuf rangées de huit, ça fait bien soixante-douze, non ?

— Exact ! acquiesça le commissaire. Mais voyez-vous chère lieutenant Mahir, le capitaine Lerouyer veut positionner le corps entre deux menhirs numérotés par lui. Il faut bien qu’il compte à l’intérieur du périmètre… Bon Leila, va chercher le gamin qui a découvert le corps.

— On se tutoie pendant le service ?

— Non, ma langue a fourché. Allez chercher le gamin, lieutenant.

Il insista sur le dernier mot. Leila pivota sur ses talons et fit admirer son splendide déhanchement entraîné par une paire de fesses non moins sublimes, moulées dans leur traditionnel 501.

Elle revint avec l’enfant. Workan jugea qu’il devait être âgé d’une douzaine d’années. Un blondinet avec une jolie frimousse mais visiblement apeuré.

— Bonjour jeune homme, je suis le commissaire Lucien Workan et voici le lieutenant Leila Mahir.

Il désigna la Berbère du doigt.

— Je sais, dit le gosse, elle s’est présentée à moi.

— Bien bien, fit Workan en toussotant. Tu t’appelles comment ?

— Kadvalaer.

Ça commence bien, songea le commissaire.

— Dis-moi Kadvalaer, quand tu es allé prendre ton bus, quelle idée t’a pris de venir sur ce plateau des pierres levées ?

— Pierres debout ! asséna Leila.

— De quoi j’me mêle ? s’agaça Workan.

— C’est dans le Poitou qu’on dit ça, déclara Kadvalaer, en Bretagne on dit pierre longue ! En bas-breton, men signifie pierre et hir signifie longue. J’ai appris ça à l’école Diwan.

— OK, OK ! On ne va pas se contrarier. Longue, levée, debout, tout ça c’est à peu près la même chose. Moi qui suis Parisien on ne dit pas que la tour Eiffel est une tour longue ou une tour debout, encore moins levée. C’est la tour Eiffel et c’est tout. Alors on ne va pas se chicorer pour deux ou trois malheureux cailloux… Maintenant dis-moi ce que tu es allé faire dans l’espace réservé aux menhirs ?

— Chercher mon ballon.

— Menteur !

Le garçon baissa la tête et dansa d’un pied sur l’autre.

— Commissaire, dit Leila, pourquoi mentirait-il ?

— Il a juste peur de dire la vérité qui n’est pourtant pas bien méchante en ce qui le concerne… Tu es passé sur la piste cyclable près du champ de pierres ?

— Oui, avoua le gamin toujours la tête baissée.

— Et tu as entendu la trompette ?

— Oui.

— Tu as vu le lapin musicien et la dame allongée sur le dos ?

— Oui.

— Ça t’a donné une peur bleue et tu as failli faire pipi dans ta culotte ?

Kadvalaer ne répondit pas, le commissaire continua :

— Tu t’es déboutonné précipitamment et tu as fait pipi le long d’un menhir, pas loin du corps.

— Oui, dit le garçon en sanglotant.

Workan lui ébouriffa les cheveux : « C’est rien bonhomme ! Tu en verras d’autres ! » Il se tourna vers Leila et lui dit :

— Et voilà, encore une analyse ADN d’économisée.

Il ajouta en direction du gamin :

— Il était quelle heure ?

— Vers 8h30, juste un peu avant l’arrivée de mon bus.

— OK ! Merci. Tu peux disposer. Un instant… Mahir, vous avez pris les coordonnées du gamin ?

— Oui.

— Alors vas-y.

Kadvalaer s’éloigna lentement en direction d’un homme et d’une femme bloqués derrière le ruban jaune de protection avec son slogan à répétition : « Police Technique et Scientifique – Zone Interdite ». Sans doute ses parents, imagina Workan. Le commissaire retourna à l’intérieur du dédale des blocs en granit et vit Lerouyer près du corps, alors qu’un photographe en combinaison blanche se contorsionnait dans toutes sortes de postures pour mitrailler le cadavre à coups de flash.

— On sait qui c’est ? s’enquit Workan.

— Ouaip, fit Lerouyer, mais elle n’est pas du coin.

— C’est-à-dire ?

— Elle est du sud de Rennes, de Vern je crois.

— Elle s’appelle comment ?

— Clarisse Bonnac.

— Vous avez retrouvé ses papiers ?

— Non.

— Alors comment savez-vous son nom et son adresse ?

— Son mari a signalé sa disparition hier soir. Sa photo et son pedigree étaient affichés au commissariat ce matin.

— Et c’est maintenant que vous me le dites.

— À vrai dire c’est un brigadier qui était tout à l’heure sur la scène de crime qui l’a reconnue. Il est retourné au commissariat et il vient de me communiquer par téléphone les coordonnées de la dame et de son mari… Mari que j’ai appelé aussitôt et qui doit arriver d’un instant à l’autre.

— Vous lui avez dit qu’elle était morte ?

Lerouyer renifla et grommela :

— Pas vraiment… Vous savez que c’est mon point faible… ce genre d’annonce.

— Vous lui avez dit quoi ? Qu’elle dansait la gigue autour des menhirs ?

Le capitaine secoua la tête, contrarié, il déclara néanmoins :

— Non. Je lui ai juste dit que c’était moche mais pas irrémédiable et qu’après tout ce n’était peut-être pas sa femme.

— Ça l’a rassuré ?

— Pas vraiment. Il a dit qu’il arrivait tout de suite… Bon, ben faut que j’y aille.

Le flic s’esquiva entre deux rangées de menhirs, d’abord doucement, puis en accélérant le pas se sentant proche de la sortie. Tout ça sous les yeux ébahis du commissaire qui gueula :

— Lerouyer !? Ici !

 

Chapitre 3

Les quatre officiers de police débriefaient maintenant sur la plateforme herbeuse à l’extérieur du monument. Le corps de la victime retrouvé à 8h30 et examiné par le légiste vers 9h30 laissait penser à une mort survenue entre 19h30 et 21h30 la veille au soir. Le transport du corps amené dans les mégalithes ne faisait aucun doute. Nul indice – en dehors de l’herbe piétinée, mais qui l’était partout entre les colonnes – n’avait été retrouvé. Le plateau des menhirs était facile d’accès par ses quatre côtés. Encore qu’au nord le chantier du Fonds Régional d’Art Contemporain, de par sa clôture de protection, pouvait se révéler un obstacle infranchissable… ou une superbe cachette. Workan chargea Roberto et Mahir d’aller y fouiner.

— Il y a eu viol ? demanda-t-il à Lerouyer.

Le capitaine rouquin sursauta. Il appréhendait la venue du mari de Clarisse Bonnac ; il se souvenait lui avoir dit que ce n’était pas irrémédiable.

— Je ne sais pas, Lecoq n’a pas terminé, vous vous êtes engueulés, il s’est barré. On le saura à l’autopsie. Le collant est déchiré, certes, mais surtout aux jambes et aux cuisses, son élastique à la ceinture est bien en place ainsi que les sous-vêtements. Peut-être que le meurtrier a été interrompu dans son action. Nous ne savons pas non plus à quelle heure le corps a été transporté. Certainement de nuit parce qu’aucun habitant des petites résidences n’a vu quoi que ce soit. À dix-neuf heures trente il fait noir et à huit heures trente ce matin il faisait encore très sombre. Le passage à l’heure d’hiver est le week-end prochain.

Workan se gratta la tête, regarda sa montre.

— Qu’est-ce qu’il y a ? se hasarda Lerouyer.

— J’sais pas… Ce crime a une connotation sexuelle. La jupe relevée, les jambes écartées, le collant déchiré et…

Le commissaire se retourna légèrement pour tenter de voir le corps entre les colonnes, mais ces dernières l’occultaient à sa vue.

— Et ? fit Lerouyer.

— Il y a ce putain de lapin ! Il signifie quelque chose, mais quoi ? Voulez-vous me dire à quoi sert cette mise en scène à la con ?… Et puis il y a les piles. Ce bousin n’a pas marché toute la nuit, quelqu’un l’aurait entendu.

— C’est peut-être des Duracell.

— Arrêtez de dire des conneries, Lerouyer ! s’énerva Workan.

Il réfléchit et enchaîna :

— Si quelqu’un était passé avant le môme il aurait dû entendre la trompette, non ?

— Sûrement. Sauf si une bagnole ou un car passait au même moment. Faut dire que c’est un jouet et la trompette ne crache pas beaucoup de décibels. Ou alors…

Le capitaine eut une illumination qui le laissa muet.

— Ou alors quoi ? demanda Workan.

— C’est le môme qui l’a déposé et mis en marche.

— Chapeau capitaine… Le gosse s’est dit ce matin en se levant, tiens je vais emmener mon lapin à l’école, il va jouer de la trompette ça va faire plaisir aux professeurs et si jamais en chemin je trouve un cadavre de femme et bien je le placerai entre ses cuisses… Peut-être que le jeune Kadvalaer est l’assassin après tout… Bon, pour vous faire plaisir vous irez vérifier chez les parents du môme s’il n’avait pas une peluche de lapin blanc. Maintenant voilà ce que je crois : ou le meurtrier venait juste de déposer le corps et d’enclencher le mécanisme un peu avant 8h30, ou il a déposé le corps cette nuit et est revenu ce matin déposer le lapin et son instrument.

Workan secoua la tête négativement ; insatisfait, il réfléchit à haute voix : « Après tout ce n’est peut-être même pas l’assassin qui a déposé le lapin, n’importe quel plaisantin, de mauvais goût je vous l’accorde, aurait pu déposer cette chose. On est mal Lerouyer, je sens qu’on va friser les emmerdes, bouffer de la proc’ et se faire laminer l’opercule. »

— Quel opercule ? s’enquit craintivement Lerouyer.

— Vous verrez bien.

Au même instant un brigadier venant du parking et se dirigeant vers eux leur faisait des grands signes, genre sémaphore désespéré. Il était accompagné d’un homme de taille moyenne, assez corpulent, les cheveux bruns.

— Ça doit être notre zigue, remarqua Workan.

— Quel zigue ?

— Le mari de Clarisse Bonnac, vous savez la femme qui est couchée entre deux cailloux et qui n’est pas vraiment morte d’après vous.

Lerouyer se retourna vers le monument et accrocha Workan par le bras.

— Venez commissaire, on rentre dans les menhirs.

— On ne rentre pas dans un menhir, capitaine. On passe entre. Ou alors c’est qu’on est bourré.

— Je veux dire on rentre dans le monument.

— Mais non, nous allons attendre ce monsieur ici.

Lerouyer se glissa légèrement, à petits pas sur le côté, dans le dos de Workan. Le commissaire tendit la main à l’homme qui avait le visage grave et le teint pâle.

— Je suis Yvon Bonnac, le mari de Clarisse qui a disparu hier soir.

Il relâcha la main du commissaire. Il en vit une autre apparaître timidement sur le côté de Workan qui s’écarta et fit les présentations :

— Je suis le commissaire Workan et voici le capitaine Lerouyer.

— Ah c’est vous qui m’avez appelé tout à l’heure ? dit-il en direction du roux flamboyant. Comment va ma femme ?

Workan prit les choses en mains :

— Laissez-nous, capitaine.

Il entraîna par l’épaule Yvon Bonnac, les deux hommes firent quelques pas et s’arrêtèrent auprès d’une colonne.

— Monsieur Bonnac, à quelle heure, hier soir, avez-vous pensé que votre femme avait disparu ?

— Quand je suis arrivé de mon travail vers dix-neuf heures, elle n’était pas présente à la maison. C’est rare, mais ça lui arrive parfois. Je l’ai appelée sur son portable, je suis tombé sur sa messagerie. À vingt heures j’ai fait le tour de nos amis communs puis j’ai également téléphoné à sa mère, toujours aucune trace. À vingt-et-une heures je me suis rendu au commissariat pour signaler sa disparition.

— Pourquoi le commissariat du centre-ville ?

— Parce qu’elle travaille dans le centre-ville justement.

— Et vous aviez pensé à amener une photo ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Et bien… Je ne sais pas… je pensais que ça allait être plus facile pour la retrouver.

Workan releva le col de sa veste, il aurait dû enfiler son manteau. La fin octobre, sa fraîcheur et ses bourrasques, le faisaient frissonner. Par moments le vent sifflait entre les colonnes en granit et renforçait le côté macabre du monument.

— Vous avez bien fait d’avoir amené cette photo au commissariat, ça nous a permis de l’identifier.

— L’identifier !? s’exclama Bonnac, le visage soudainement décomposé.

— Twoja żona nie żyje, dit Workan compatissant.

Bonnac se figea et regarda le commissaire comme un oiseau de mauvais augure.

— Ça veut dire quoi ?

— C’est du polonais, chez nous ça signifie que votre femme est morte. Je n’aime pas annoncer ce genre de nouvelle en français. Je pense, peut-être à tort, que ça amortit le choc de la révélation.

L’homme ne bougea plus, tétanisé par ce qu’il venait d’apprendre. Workan, sans empathie, observait le moindre trait, la moindre défaillance du regard. Il avait toujours à l’esprit que le mari ou tout au moins un proche de la victime se révélait souvent être le meurtrier. Il rompit le silence :

— Venez monsieur Bonnac, vous allez nous confirmer qu’il s’agit bien de votre femme.

Il l’entraîna à travers le labyrinthe de menhirs. Le corps avait été recouvert d’une couverture de l’Identité Judiciaire. Ils s’approchèrent. Workan s’accroupit et leva le tissu pour découvrir le visage de Clarisse tout en dissimulant le vilain sillon à la base du cou. Yvon Bonnac, resté debout, pétrifié, acquiesça d’un hochement de tête. Sa face devint grimaçante et des larmes coulèrent sur ses joues. Workan se releva et tapota l’épaule de Bonnac.

Ce dernier demanda, la voix rauque :

— Commissaire ?

— Oui ?

— Est-ce que je peux l’embrasser ?

— Bien sûr.

Bonnac exécuta sa requête et se redressa. S’il joue la comédie, il est vraiment fort celui-là, songea Workan. « Vous comprendrez, monsieur, que j’aurai quelques questions à vous poser ? » dit-il au désormais veuf.

— Je comprends… Mais avant je voudrais savoir de quoi elle est morte et si elle a subi des violences… Je ne sais pas… disons sexuelles… J’ai envie d’être informé.

— C’est tout naturel, monsieur Bonnac. Pour cela il vous faudra attendre le résultat de l’autopsie car dans l’état actuel nous ne pouvons rien affirmer. Quant à sa mort elle résulte d’une strangulation à l’aide d’un fil ou d’un lien quelconque. Nous en saurons la nature exacte avec le rapport que nous délivrera la police scientifique. Venez, monsieur, éloignons-nous, le corps de votre épouse va être emmené à la morgue.

Déjà des brancardiers se préparaient. Ils dépliaient une housse et enlevaient la couverture qui recouvrait la dépouille de Clarisse. Workan avait éloigné Bonnac de la scène de crime et les deux hommes se retrouvaient au nord du champ mégalithique tentant de se servir de la façade noire du bâtiment des Arts Contemporains en guise de coupe-vent. Le capitaine Lerouyer les rejoignit, les mains dans les poches de son éternel blouson de cuir. Il avait l’air libéré de celui qui sait que la corvée est faite. Mais Bonnac, manifestement, souhaitait des précisions sur l’aventureuse déclaration du capitaine. Il s’adressa violemment au flic rouquin :

— Pourquoi m’avoir dit que ma femme était dans une situation moche mais pas irrémédiable ?

— J’ai jamais dit ça, osa Lerouyer.

Qu’est-ce qu’il a encore mijoté dans sa cervelle de cornemuse ménopausée ? songea le commissaire.

— Si, vous l’avez dit ! s’énerva Bonnac.

— Expliquez-vous, capitaine, ordonna Workan.

Le hardi policier, aventurier des mers et plus à l’aise sur les flots que sur la terre ferme, se mit à baragouiner :

— C’est vrai, j’ai dit que c’était moche et très… préjudiciable…

— Faux ! se lamenta Bonnac en coupant la parole à Lerouyer.

— Allons messieurs, les sépara Workan, nous n’allons pas jouer sur les mots… Préjudiciable, irrémédiable tout ça c’est la même chose. Laissez-nous capitaine, je vais prendre la déclaration de monsieur… Au fait, Lerouyer, combien avez-vous compté de menhirs ?

— Soixante-et-onze !

Workan le regarda, stupéfait.

— Mais c’est impossible ! fit Workan complètement déconcerté. C’est un rectangle de neuf rangées de huit et de huit rangées de neuf… Neuf fois huit, Lerouyer ?

— Soixante-douze !

— Donc, il y a soixante-douze menhirs, capitaine !

— J’en ai compté que soixante-et-onze.

— Pourquoi n’avez-vous pas compté le dernier ?

— J’ai compté le dernier, c’est peut-être au milieu qu’il en manque un.

— Un menhir qui doit faire dans les douze tonnes ne s’envole pas aussi facilement… Enfin !…Attendez-moi là. Venez monsieur Bonnac faisons quelques pas.

Les deux hommes s’éloignèrent, le veuf traînait les pieds dans l’herbe. Workan s’arrêta et fit face à ce qu’il considérait comme un témoin clef.

— Quelle était la profession de votre femme ?

— Secrétaire… Dans une étude notariale chez maître Crevier, quai Lamennais pas loin de République.

— Ça se passait bien ?

Bonnac secoua la tête.

— Au début oui. Mais depuis quelque temps, Crevier se montrait pressant, en fait elle me disait carrément qu’elle était harcelée.

— Harcelée sexuellement ?

— Oui.

— Ce notaire était menaçant ?… Par exemple de la virer si elle ne répondait pas à ses avances ?

— Non, jusqu’à présent elle ne m’a pas parlé de menaces, mais des mains baladeuses et des insinuations lourdingues.

« Toujours le même profil » murmura Workan entre ses dents. Il continua à voix haute :

— Excusez-moi d’être brutal, monsieur Bonnac, mais votre femme avait-elle une aventure ?… Un amant pour être plus clair !

— Pas que je sache.

Le calme et l’intonation de la voix surprirent le commissaire. En d’autres occasions il avait connu des récriminations plus exubérantes, du style : « Cocu !? Moi !? Jamais ! » et pourtant presque à chaque fois une triste constatation venait s’étaler sous les yeux ébaubis de l’outré.

— Vous n’aviez donc aucune raison de lui en vouloir ?

— Non.

— Aucune raison de l’éliminer ?

— Mais vous êtes fou ?

— Peut-être ! Mais faites néanmoins attention à ce que vous dites… Dans ses ou vos relations avait-elle des raisons d’être inquiète ?

— Non. Tout allait bien…

Soudain Bonnac se rembrunit et monta le ton d’un cran.

— Mais enfin commissaire… Vous voyez bien que c’est un dingue qui a fait ça ! Encore un de ces pervers qu’on a relâché avant qu’il ait terminé sa peine.

— Vous en savez plus que moi, monsieur Bonnac, d’où tenez-vous cette version ?

— Merde ! Mais ça se voit ! Ça se devine !

— Vous devriez rentrer dans la police, avec des théories sorties de votre boule de cristal vous feriez une brillante carrière. Maintenant nous allons parler de vous. Où étiez-vous hier soir ?

— Je l’ai déjà dit, chez-moi de dix-neuf heures à vingt-et-une heures. J’ai passé mon temps à téléphoner et puis je suis allé au commissariat.

— Vous avez des témoins pour ces deux heures passées chez vous ?

— Heu… Non… Pourquoi, vous n’allez pas m’accuser d’avoir tué ma femme ?

— Je n’ai rien dit de tout ça, je vous demande juste si vous avez des témoins pour les deux heures passées chez vous. Je vous informe monsieur Bonnac que, d’après le médecin légiste, c’est probablement dans ces deux heures que l’on a tué votre femme.

— Je n’ai pas arrêté de téléphoner.

— Fixe ou portable ?

— Les deux. Suivant les numéros mis en mémoire.

— Le problème, monsieur Bonnac, c’est qu’il ne faut pas longtemps pour étrangler quelqu’un par surprise.

— Comment ça, par surprise ?

— Son meurtrier l’a étranglé avec un lien en se tenant dans son dos. Par conséquent je suppose que c’est par surprise… Quelques secondes suffisent. Ce qui n’empêche en rien de passer ensuite son temps à téléphoner. Qu’avez-vous fait cette nuit, monsieur Bonnac ?

— Heu… Et bien… En rentrant du commissariat j’ai bu du café, je me suis allongé sur le lit. Pas moyen de dormir… Vers trois ou quatre heures j’ai appelé les hôpitaux et puis à nouveau le commissariat, également les pompiers et…

— Vous êtes un véritable standard téléphonique, monsieur Bonnac, l’interrompit Workan. Alors, disons en gros de vingt-trois heures à trois heures du matin, vous n’avez appelé personne ?

L’homme haussa les épaules : « Peut-être que si, je ne me souviens plus. »

— Et le notaire ? Ce Crever…

— Crevier, monsieur le commissaire, Crevier !…Si, j’ai appelé l’étude vers vingt heures. Mais ça ne répondait pas.

Un rayon de soleil réchauffa le cou de Workan. Il rabaissa le col de son costume deux pièces prêt-à-porter Smalto, en pure laine vierge de couleur anthracite. Un complet veston acheté la semaine précédente sept cent cinq euros dans une boutique du centre-ville.

Il baissa les yeux, l’herbe humide imbibée de la poussière du chantier et de la terre sur laquelle elle poussait avait souillé ses chaussures et le bas de son pantalon. Il fit la grimace. Il porta le regard vers l’est, un champ non construit de l’autre côté de la rue permettait une trouée visuelle jusqu’aux tours de Maurepas à quelques kilomètres du point haut où il se trouvait.

 

— Que faites-vous dans la vie, monsieur Bonnac ?

— Comme travail ?

— Oui, votre profession ?

— Je suis analyste dans une société d’import-export.

— Vous analysez quoi ? s’enquit Workan en tripotant le paquet de cigarillos au fond de la poche de sa veste.

La réponse le surprit.

— Rien du tout !

— Curieux comme travail.

Devant l’air sceptique du commissaire, Bonnac précisa :

— Analyste financier est mon vrai métier, mais avec la crise c’est assez humiliant de passer pour un voleur. En ce moment dans la Banque les places sont peu enviables, alors j’ai trouvé ce job de cadre administratif dans cette société.

— Quelle société ?

— La Objects World Pilalilian ! La OWP.

— Impressionnant ! fit Workan en esquissant une mimique des lèvres afin de montrer tout le respect qu’il devait à la OWP… C’est pas français, ça ?

— Non, une multinationale du New Jersey. Des Ricains.

— Et en France, elle se situe où cette entreprise ?

— Ici à Rennes, enfin dans le parc d’affaires Edonia à Saint-Grégoire.

— En quoi consiste l’activité de la OWP ?

— Acheter à des fabricants et revendre à des grossistes. On ne voit pas passer la camelote. Je suis chargé du marché européen. On se fournit beaucoup sur le continent asiatique…

— Et vous revendez des lapins à vos grossistes par exemple ?

— Des lapins ? balbutia Bonnac. On ne fait pas dans les animaux vivants, vous ne m’avez pas bien compris.

— Des lapins en peluche qui jouent de la trompette, ça ne vous dit rien ?

Bonnac avala sa salive. Le flic qu’il avait devant lui était un illuminé de première. Quelle direction prendre ?

— Je ne comprends pas, monsieur le commissaire.

— Achetez-vous ce genre d’objet !? s’exclama Workan en élevant la voix.

— Heu… Peut-être… En tout cas, c’est pas mon secteur d’activité. Moi je suis surtout spécialisé dans l’informatique.

— C’est normal pour un analyste financier. On adore le mélange des genres dans ce pays. Chacun à son poste mais surtout au poste de l’autre, c’est mieux. On est mal barré, monsieur Bonnac, l’apocalypse est proche. Les sept milliards de trous de balle qui peuplent cette terre n’ont plus qu’à ranger leur doigt et se préparer pour le grand voyage.

— Quel doigt ? Le ranger où ? Quel voyage ?

— Vous ne pouvez pas comprendre !