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Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques. Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant. L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.
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Seitenzahl: 105
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Les textes sont comme les désirs ou les trains : chacun peut en cacher un autre.
Avant-propos
Anorexie
Capitale
Chute
Comme c’est pas permis…
Confession d’un traître
D’où viennent les choses…
Découragement
Devant tout le monde…
Dieu lui-même...
Division
Doute et Présence
Genèse d’un fasciste
La Petite voix
Le Misanthrope confondu
Les Massacres ordinaires
Les Oiseaux du ciel
Les Précautions inutiles
Morts
Murs
Nom de baptême
On ne répond pas à son père…
Oui ou non
Petite
Proies pour la hache
Pudeur
Résurrection
Retour
Rêve
Royaumes
Séparations
Si loin, si proche
Souffles
Talent
Tentation
Transfiguration
Une surprise
Va vers toi-même...
Du même auteur
Vivre est se souvenir. En particulier des livres qu’on a lus, des tableaux et des films qu’on a vus, des musiques et des chansons qu’on a entendues, etc. Tout cela nous constitue et nous institue, modèle et modélise notre présent, qui autrement serait d’une extrême pauvreté. Sans les romans par exemple, comment pourrait-on s’y prendre pour faire sa cour à une femme ? Ce sont là des Miroirs instituants, qui nous font vivre. On voile les miroirs dans les chambres des morts, et un vampire, un mort-vivant, ne se reflète dans aucun miroir.
Écrire est dans le même cas. C’est se mettre à l’écoute, non seulement des sensations actuelles singulières (ou qu’on croit telles), mais aussi, et surtout dirai-je, d’anciennes paroles déjà entendues ou lues. Où ? On ne le sait peut-être pas. Mais elles sont là, qui nous précèdent et nous visitent, comme les langues de feu un jour (quel jour ?) descendues sur les Apôtres, en une Pentecôte laïque. Écrivant cela, on voit que je ne fais que me remémorer. Mais bien naïf qui croit, s’il le fait, ne pas être personnel…
Nous parlons, mais en nous s’incarne une Parole qui nous est antérieure et au service de laquelle nous nous mettons. Sans nous, elle n’existe pas. Mais sans elle, nous ne sommes pas. Elle est plus importante que nous, même si c’est nous qui la proférons. En fait, nous succédons à d’autres, qui avant nous aussi ont parlé. Qui fut le premier à le faire, nous ne le savons pas. « Comme dit l’autre… », entend-on souvent. Quel Autre ? Version agnostique de la voix de Dieu…
Les textes qu’on va lire ont rencontré une voix de ce type. Chaque livre est une réécriture, un palimpseste ou un midrash : il s’écrit dans les marges d’un autre, ou d’autres. Celui-ci s’inscrit en marge du Livre par excellence, en l’occurrence celui qui, avec d’autres bien sûr mais aussi de façon essentielle, m’a modelé : la Bible. C’est un réservoir de scénarios de vie, que nous pouvons revivre à bien de nos moments.
Je ne le vois que comme tel. Mon approche n’est pas théologique ou exégétique, mais littéraire, c’est-à-dire immédiatement sensible. On ne trouvera ici aucun catéchisme, mais des incarnations, illustrations, actualisations comme on dit parfois, du texte biblique, en marge duquel ils ont été écrits, et dont beaucoup de passages sont eux-mêmes constitués d’une sédimentation ou d’un assemblage de textes antérieurs. S’il est inspiré, comme on dit, je ne sais : l’essentiel est qu’il nous inspire, et qu’il éclaire, tout en l’enrichissant, tel ou tel moment qu’en simple humanité nous avons vécu.
Les actualisations contenues dans cet ouvrage servent parfois l’intention du texte biblique et lui rendent hommage, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il ne m’a plus semblé admissible pour un esprit libre et indépendant.
Les cultures en effet passent généralement par deux phases, d’abord une phase de constitution organique, et ensuite une phase d’examen personnel, où ce qui a été cru sans émission de doute est désormais mesuré à l’aune de la raison et de la sensibilité personnelle. Le catéchisme imposé disparaît alors, et aussi le littéralisme, au bénéfice bien souvent d’une vision symbolique des choses. Ce livre s’inscrit donc dans la seconde phase.
Quant au fait religieux, je préfère renvoyer le mot de religion non pas comme les auteurs chrétiens au latin religare, relier (ce qui relie les hommes à Dieu, et aussi ce qui les relie entre eux), mais, comme le grand Cicéron, à relegere, recueillir, et relire. Aussi bien ce livre est-il lui aussi une relecture d’un Texte ici recueilli.
Je remercie enfin l’artiste Stéphane Pahon, qui a illustré cet ouvrage. On peut le retrouver sur sa page Facebook : PAHONCRÉATION.
EUX – Mais qu’a-t-elle donc ? Vraiment nous ne comprenons pas. Nous la choyons le plus que nous pouvons. Elle ne manque de rien, elle a tous les atouts pour elle. À l’école elle réussit très bien, elle est en tête de sa classe. Mais aussi, pourquoi se tient-elle à l’écart de ses camarades, pourquoi cherche-t-elle ainsi la solitude ? Apparemment elle n’est pas comme les autres, elle n’est pas d’ici. Mais surtout, pourquoi refuse-t-elle de manger ? Peut-être fait-elle un régime, pour ressembler à ces modèles sur papier glacé qui fascinent ces adolescentes. Pourtant elle n’a jamais été grosse. Pourquoi aussi ce mutisme avec nous, ce refus de la table familiale ? Elle a une mine cadavérique. Oui, c’est ainsi : c’est un lent suicide, une mort programmée. Si un miracle ne vient de la médecine, elle mourra, sûrement. Nous ne verrons plus la charmante petite fille que nous avons tant aimée, si pleine de promesses. Mais que lui avons-nous fait ?
ELLE – Ils n’ont rien fait que d’être devant moi toujours. Et ce qu’ils sont, je ne peux l’admettre. Lui, il va tous les jours à son travail, en revient fourbu, mange ou plutôt bâfre, et puis regarde la télévision. Cet avachissement, est-il possible que j’en provienne ? Et quant à elle, satisfaite dans son rôle de mère-poule, elle me dégoûte parce que je suis en train de lui ressembler. Mon corps s’est modifié, et me promet aussi à un destin de mère-pondeuse. Je n’en veux à aucun prix. Quelle bêtise que de penser que je fais un régime minceur ! Comme si je n’en voyais pas la vanité ! Et quelle absurdité, quelle inconséquence à vouloir que je réussisse si bien à l’école, que j’y comprenne ce qu’on m’y apprend, et que je ne comprenne pas certaines choses à la maison ! On ne peut faire deux poids, deux mesures. Ou l’on reste aveuglé, ou l’on devient lucide. Ce monde qu’on me promet, il me tue d’avance. Je ne veux pas être comme eux, je ne veux pas être le tombeau de mes rêves. Je n’ai pas leur faim, c’est d’autre chose que j’ai faim. La médecine n’y pourra rien, sinon simplement me torturer. Maintenant je veux la mort comme un long sommeil, enfin...
L’ÉTRANGER – L’enfant n’est pas morte, mais elle dort. Qu’on lui donne à manger... 1
1 Marc 5/35-43 : Comme il parlait encore, il vient des gens de chez le chef de synagogue, disant : « Ta fille est morte ; pourquoi tourmentes-tu encore le maître ? » Et Jésus, ayant entendu la parole qui avait été dite, dit aussitôt au chef de synagogue : « Ne crains pas, crois seulement. » Et il ne permit à personne de le suivre, sinon à Pierre et à Jacques et à Jean le frère de Jacques. Et il vient à la maison du chef de synagogue ; et il voit le tumulte, et ceux qui pleuraient et jetaient de grands cris. Et étant entré, il leur dit : « Pourquoi faites-vous ce tumulte, et pourquoi pleurez-vous ? L’enfant n’est pas morte, mais elle dort. » Et ils se riaient de lui. Mais les ayant tous mis dehors, il prend le père de l’enfant et la mère, et ceux qui étaient avec lui, et entre là où l’enfant était couchée. Et ayant pris la main de l’enfant, il lui dit, « Talitha coumi » ; ce qui, interprété, est : « Jeune fille, je te dis, lève-toi »’ Et aussitôt la jeune fille se leva et marcha, car elle avait douze ans ; et ils furent transportés d’une grande admiration. Et il leur enjoignit fort que personne ne le sût ; et il dit qu’on lui donnât à manger.
Je te ferai perdre la tête… Tu ne sauras rien me refuser. Tu crieras, tu te débattras. Cela ne te servira de rien. Tu auras peur. De toute façon tu as toujours eu peur. Depuis le début, maintenant et toujours. Tu gémiras. Tu te débattras. Tu ne pourras pas m’échapper. Je te ferai tout oublier. Tu t’anéantiras. Tu me demanderas grâce. Ta paralysie j’en triompherai. Je t’en délivrerai. Délivrance que tu désires…
Aussi tu doutes de tout. Toujours. Et tu juges, tu condamnes. « Il ne t’est pas permis de… ». Professeur de morale. Prêcheur névrosé. C’est facile. En fait, tu ne veux pas prendre de risques. Précautionneux, trop d’égards à tout. Le plus grand risque est de ne pas en prendre.
Tu penses trop. Trop de tête en toi. Où ton corps ?
Lâche-toi, abandonne-toi. Ouvre tes mains. Laisse tomber ta garde.
Serpentine je suis pour les hommes, pour tout homme, pour toi. Et quand tu te tordras sous mes caresses, que tu expireras ton dernier râle, je te ferai sentir, jusqu’à l’ivresse, tout mon pouvoir. Tu adhèreras à n’être plus rien entre mes mains, contre ma bouche. Je caresserai les cheveux de ta tête perdue, coupée, boirai en ton centre le suc de ta mort heureuse. Putain contre puritain. Tu me remercieras.
– Je ne veux pas mourir…
– Mais jusqu’à présent, est-ce que tu vis ?
… Ta tête, Jean, on me l’apportera sur un plat. 2
2 Matthieu, 14/3-9 : … Hérode, qui avait fait arrêter Jean, l’avait lié et mis en prison, à cause d’Hérodias, femme de Philippe, son frère, parce que Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis de l’avoir pour femme. » Il voulait le faire mourir, mais il craignait la foule, parce qu’elle regardait Jean comme un prophète. Or, lorsqu’on célébra l’anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodias dansa au milieu des convives, et plut à Hérode, de sorte qu’il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. À l’instigation de sa mère, elle dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. » Le roi fut attristé ; mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda qu’on la lui donnât, et il envoya décapiter Jean dans la prison. Sa tête fut apportée sur un plat, et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère…
Lettre de M., élève, à son Professeur
Monsieur le Professeur,
j’ai longtemps hésité à vous écrire, moitié par cause de ma timidité naturelle, moitié par la paralysie où me jetait votre réputation. Je le fais cependant, car je voudrais que vous compreniez l’influence que vous avez exercée sur moi, et que mon exemple, peut-être, puisse servir de témoignage dont d’autres pourraient tirer leur profit pour l’avenir, si vous consentez du moins à y réfléchir et à le prendre en compte.
Dès que je suis entré dans votre classe, et au tout début de votre cours, je vous ai admiré. Je sentais que j’entrais là dans un terrain tout nouveau pour moi, celui de l’intelligence s’exerçant de façon totalement libre, sans aucun préjugé. Vite je me suis conformé à vos façons de penser, car leur originalité même me fascinait, tranchant avec le milieu dont je venais, et qui jusque là m’avait modelé.
On m’y avait appris des normes intangibles, un socle solide où l’on devait s’appuyer, des règles de vie qu’il était hors de question de contester. Dans cette ambiance je me sentais bien. C’était confortable. Là était le bien, et là le mal. Là le bon goût, là le mauvais. Là les lectures substantielles, et là les légères, voire les détestables.
Et voilà que vous avez tout subverti. Bienheureux vertige au début, ivresse délectable ! Je me fis un de vos plus ardents disciples. J’étais fier de tout ce que je recevais de vous.
Et pourtant, à la longue, et à l’occasion aussi de certains cours provocateurs et paradoxaux, je me suis senti ébranlé, vacillant. Peut-être faisiez-vous exprès de provoquer votre classe, et ne pensiez peut-être pas tout ce que vous disiez. Il y avait peut-être ou sans doute en vous de l’humour, de la distance. Mais à l’époque, vu mon jeune âge, je ne les ai pas sentis. Et c’est ainsi que l’ardent néophyte du début entra dans l’indécision et le doute, pour à la fin chuter de tout son haut.