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Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques. Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant. L'appel constant à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.
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Seitenzahl: 108
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Avant-propos
Aux échelles du temps...
Avoir, ou pas...
Ce n’est pas le moment !
Colère et Pitié
Confiance
De gré ou de force...
Dépaysement
Famille
Jalousie
L’Avorton belliqueux
La Lampe de ton corps
La Pensée humiliée
Le Démon de Midi
Le Moment présent
Le Pas de côté
Le Silence de l’agneau
Le Touriste théologien
Le Voleur justifié
Les Deux enfants
Obéissance
Pas de ce monde
Pas seulement de pain
Paternité
Portes
Qui était-il ?
Responsable ?
Si tu sais...
Solitudes
Sous le soleil
Un repas
Un souvenir
Du même auteur
Les textes sont comme les désirs ou les trains : chacun peut en cacher un autre.
Vivre est se souvenir. En particulier des livres qu’on a lus, des tableaux et des films qu’on a vus, des musiques et des chansons qu’on a entendues, etc. Tout cela nous constitue et nous institue, modèle notre présent, qui autrement serait d’une extrême pauvreté. Sans les romans par exemple, comment pourrait-on s’y prendre pour faire sa cour à une femme ? Ce sont là des Miroirs instituants, qui nous font vivre. On voile les miroirs dans les chambres des morts, et un vampire, un mort-vivant, ne se reflète dans aucun miroir.
Écrire est dans le même cas. C’est se mettre à l’écoute, non seulement des sensations actuelles singulières (ou qu’on croit telles), mais aussi d’anciennes paroles déjà entendues ou lues. Où ? On ne le sait peut-être pas. Mais elles sont là, qui nous précèdent et nous visitent, comme les langues de feu un jour (quel jour ?) descendues sur les Apôtres, en une Pentecôte laïque. – Écrivant cela, on voit que je ne fais que me remémorer. Mais bien naïf qui croit, s’il le fait, ne pas être personnel…
Nous parlons, mais en nous s’incarne une Parole qui nous est antérieure et au service de laquelle nous nous mettons. Sans nous, elle n’existe pas. Mais sans elle, nous ne sommes pas. Elle est plus importante que nous, même si c’est nous qui la proférons. En fait, nous succédons à d’autres, qui avant nous aussi ont parlé. Qui fut le premier à le faire, nous ne le savons pas. « Comme dit l’autre… », entend-on souvent. Quel Autre ? Version agnostique de la voix de Dieu…
Les textes qu’on va lire ont rencontré une Voix de ce type. Chaque livre est une réécriture, un palimpseste ou un midrash : il s’écrit dans les marges d’un autre, ou d’autres. Celui-ci s’inscrit en marge du Livre par excellence, en l’occurrence celui qui, avec d’autres bien sûr, mais aussi de façon essentielle, m’a modelé : la Bible. C’est un réservoir de scénarios de vie, que nous pouvons revivre à bien de nos moments.
Je ne le vois que comme tel. Mon approche n’est pas théologique ou exégétique au sens traditionnel, mais seulement sensible, ce qui est aussi le propre de la littérature. On ne trouvera ici aucun catéchisme, mais des incarnations, illustrations, actualisations comme on dit parfois, du texte biblique, en marge duquel ils ont été écrits, et dont beaucoup de passages sont eux-mêmes constitués d’une sédimentation ou d’un assemblage de textes antérieurs. En somme, et de mon point de vue, ces fictions sont écrites sur un Texte fait lui-même de fictions. Ce sont récits se nourrissant de récits, incarnant ce que Bergson appelait la fonction fabulatrice, caractéristique de tout être humain.
Si donc le texte biblique est inspiré, comme on dit, je ne sais : l’essentiel est qu’il nous inspire, et qu’il éclaire, tout en l’enrichissant, tel ou tel moment qu’en simple humanité nous avons vécu.
Cependant, si les actualisations contenues dans cet ouvrage servent parfois l’intention du texte biblique et lui rendent hommage, parfois aussi elles en problématisent le contenu, quand il n’a plus semblé admissible pour un esprit libre et indépendant. Autrement dit, si certains textes de ce livre sont consonants avec le texte dont ils s’inspirent, d’autres sont dissonants avec lui. Au lecteur alors de se faire une idée sur l’intérêt et la valeur de ces dissonances.
Les textes qui suivent ont été classés arbitrairement par ordre alphabétique. Mais on peut les lire dans l’ordre qu’on veut. Composés poétiquement, c’est-à-dire avec densité, utilisant souvent suggestion et ellipse, on devra inévitablement les lire et méditer plusieurs fois pour mieux s’en imprégner.
Et tout au long de l’existence
Il marcha le long des chemins.
Moins fut de sens que de présences,
Semblables sont nos lendemains...
– Du berceau à la tombe, toute la vie se consacre à en chercher le sens. On s’y croit promis. Mais on s’y épuise en vains efforts. Et la vie n’est qu’un perpétuel recommencement. Sommeil, toilette, repas, travail... Mettre, poser, ôter, remettre... Gestes dérisoires, identiques et sans fin. On tourne en rond. Vie de cheval de manège. Si le sel perd sa saveur, comment le lui redonnera-t-on ? A
Peut-on trouver secours, refuge où la vie serait pleine ? Mais la raison est là qui nous en décourage. Toutes choses sont toujours pareilles.
De temps en temps on cherche l’oubli, dans le Divertissement. Mais envierait-on le bétail heureux des hommes, couché dans sa litière, que soi-même on ne pourrait s’y résoudre. Peut-on aimer un anéantissement ?
... Que de pensées bien moroses, songe le marcheur. Et il hâte le pas.
Devant lui, un vieux couple. L’homme, voûté, s’appuyant sur une canne. Et elle, le soutenant, tenant sa main dans la sienne.
Quelle déchéance !, pense-t-il. Vraiment le Temps n’épargne personne dans son travail de mort. C’est un Ogre dévorant ses enfants, comme dans le tableau de Goya. Que n’avons-nous toujours devant ses yeux la beauté de jeunes gens ! Au moins enchantent-ils nos yeux...
Au lieu de cela, le dégoût le prend à voir cette décrépitude à quoi il est lui-même promis.
... Par la différence de leurs allures, il va les rattraper.
Arrivé à leur hauteur, il les salue d’un machinal « Bonjour ! » Mais alors le « Bonjour ! » qu’il obtient du vieux monsieur en réponse au sien le désarçonne et fait taire toutes ses précédentes pensées. Il est si proche, si chaleureux, si bienveillant, si jeune au fond.... Si inattendu en tout cas et si désarmant... Ton et musique en restent au fond de lui.
Maintenant les nuages ont disparu. Vieillesse et mort, absurdité ne sont pas toujours les derniers mots. Bientôt amplifiés par la mémoire, viatiques pour l’avenir, en lui se font un calme, une paix, et la vie n’est plus insipide. L’élan qu’on croyait perdu peut s’y retrouver. B
Est-ce le sens ? Sûrement pas. Mais au moins une présence, qui a existé, qui existe. Tutélaire et salvatrice, pour un temps. Ce sont barreaux qui permettent de s’agripper aux échelles du temps.
A Luc 14/34 : « Oui, c’est une bonne chose que le sel. Mais si le sel lui-même perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? »
B Marc 9/50 : « Ayez du sel en vous-mêmes et soyez en paix les uns avec les autres. »
Elle l’avait rencontré au bal, et immédiatement elle avait été séduite. Il était si brillant, si disert, éclaboussant de son image tous ceux qui l’entouraient ! Tous les regards étaient fixés sur lui, et de sa prestance dans le monde elle tira une raison de plus pour lui céder. Bien vite fut oublié son ami d’enfance, si pâle et terne à côté. Comme le plein soleil éclipse la nuit.
À ses côtés, elle fut heureuse d’être admirée par les autres, de susciter des jalousies. Son amour-propre s’en trouvait flatté, et ces satisfactions l’accompagnèrent quelque temps.
Cependant, seule avec lui, elle le découvrit peu à peu. Et surtout quand elle se rendit compte qu’il ne désirait pas nécessairement de rester seul avec elle. Il avait besoin des autres, il se nourrissait de l’impression qu’il faisait sur eux. Comme une pieuvre prend sa substance en ingurgitant ce qui l’environne, il n’était vraiment lui qu’en société, dans un théâtre qui lui rendait hommage. Aussi mettait-il constamment des tiers entre elle et lui, pour mieux parader en grand acteur qu’il était. Ils furent de moins en moins seuls, en tête-à-tête. Pour lui, il n’y pouvait briller personnellement. Et il ne comprenait pas qu’il pût en être différemment pour elle.
Elle vit alors les dangers de l’extraversion : une dépendance constitutive au regard des autres, une personnalité qui n’en était que l’émanation, la création. Elle en jugea peu à peu la facticité. Pour elle, les premiers emballements passés, elle eût voulu tout de même autre chose : qu’il fût attentionné principalement pour elle, et aussi qu’il pensât à un nous deux, au lieu de ne voir que lui seul. Elle en souffrait, ne pensant plus que ce qu’elle vivait était un vrai amour.
Un jour, lors d’un dîner en ville, comme il paradait à son habitude en dissertant avec assurance sur tous sujets, il fut impitoyablement contredit par un spécialiste de la question dont il parlait. Alors elle comprit que beaucoup de ses discours étaient creux, ne visaient qu’à faire bonne impression, à briller sans éclairer en aucune façon. Ils n’avaient pas plus de substance réelle et de durée que les fusées qu’un feu d’artifice. Son estime pour lui tomba. Elle eût voulu plus de réalité et de fond dans son langage.
En somme, même éblouissant les autres, il était vide à l’intérieur. Coquille creuse, bulle de savon, irisée mais crevable au moindre toucher. Il n’avait rien pour lui, en lui. – Il n’avait pas...
Le téléphone sonna. C’était son ami d’enfance. Elle fut heureuse de cet appel inattendu, interrompant ses pensées moroses. Ils promirent de se revoir le lendemain.
Alors à nouveau, et petit à petit, ils se ré-apprivoisèrent. Et au contact d’une personnalité si différente de celle qui l’avait séduite, elle en vit la richesse et la profondeur. Certes sa vie introvertie était cachée et obscure aux autres, mais combien riche ! Faite de méditations et de rêves, d’imagination féconde et créatrice, originale, vraiment personnelle. Un silence habité, comme aussi un langage vrai étaient possibles entre eux, loin de la foire aux vanités du monde. Elle vit que le désir immédiat et irréfléchi n’est pas tout, que seuls langage authentique et respect des attentes de l’autre permettent à deux êtres de s’entendre, et que l’amourpropre n’est pas l’amour.
Étendue auprès de lui, elle n’en finissait pas de se remémorer toutes ces qualités, qui ne pourraient que grandir encore dans sa pensée. Et elle retirait à l’autre toutes celles qu’elle lui avait données. – Car si l’autre n’avait pas, lui, il avait...
Matthieu 13/12 : « Car à celui qui a, il sera donné, et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré. »
Évangile selon Thomas, logion 70 : Jésus a dit : « Quand vous engendrez cela en vous, ceci que vous avez vous sauvera ; s’il vous arrive de n’avoir pas cela en vous, ceci que vous n’avez pas en vous vous tuera. »
I
– Papa, dis-moi...
– Tais-toi, tu m’embêtes !
– Mais je voudrais savoir...
– Tout à l’heure. Maintenant tu vois bien que je suis occupé.
– Pourtant, j’aurais voulu...
– Les enfants ne doivent pas déranger leurs parents. Maintenant, ce n’est pas le moment !
II
– Je voudrais retirer...
– Le guichet est fermé, Monsieur. Revenez demain.
– Mais il reste encore un instant ! Vérifiez vous-même.
– Il faut quelque temps pour fermer la caisse. Fiez-vous aux horaires affichés.
– Si je n’ai pas cet argent, je ne pourrai honorer ma dette. Ce peut être très grave pour moi. Je risque gros. Je vous en prie...
– Tant pis pour vous. Je ferme, et je m’en vais. Maintenant, ce n’est pas le moment !
III
– Tout de même, dis-moi...
– Je suis pressée, j’ai un important rendez-vous.
– Mais enfin, on peut prendre quelques minutes pour s’expliquer.
– On s’est déjà tout dit. De toute façon parler davantage ne sert à rien.
– Mais non : on peut essayer de défaire un noeud au lieu de le trancher. Ne t’en va pas. Je t’en supplie ! Tu ne sais pas ce que je suis capable de faire si tu m’abandonnes...
– Pas de chantage ! Laisse-moi passer. Ne me retiens pas. Maintenant, ce n’est pas le moment !
Marc 11/12-14 : Le lendemain, à leur sortie de Béthanie, il eut faim. Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il n’y trouverait pas quelque chose. Et s’étant approché, il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas le moment des figues. S’adressant à lui, il dit : « Que jamais plus personne ne mange de tes fruits ! »
– Une pièce, s’il vous plaît. Pour manger...
Sur le trottoir un homme étendu, estropié, tendant la main. À ses pieds, un écriteau : SDF. La foule passe indifférente. Un passant voit l’homme, et s’arrête.