L'Abbesse de Jouarre - Ligaran - E-Book

L'Abbesse de Jouarre E-Book

Ligaran

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Beschreibung

Extrait : "Sur un banc, à gauche, le marquis d'Arcy, pâle, se tenant la tête dans les mains. A côté de lui, le comte de la Ferté. D'autres condamnés vont et viennent lentement : les uns seuls, les autres par groupes. Sur un banc, vers la droite, deux ou trois femmes, vêtues de noir, la figure à demi voilée. Au premier plan, Guillaumin, tenant un trousseau de clefs, et Jacquemet. — Roulement de tambour."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Préface de la vingt et unième édition

(Extrait d’une ancienne Vie de Platon)

… Quelques jours après qu’il eut donné le Phèdre, Platon se promenait, pour retrouver les souvenirs qu’il y avait évoqués, sur les bords de l’Ilissus, vers l’endroit où le ruisseau forme une petite cascade à l’entrée du drome. Euthyphron, qui s’exerçait à la course avec des jeunes gens de la tribu Cécropide, l’aborda brusquement.

– Les Athéniens, dit-il, sont outrés de ton dernier ouvrage. Un honnête homme qui ne songe qu’à marier ses filles ne parle jamais de l’amour. Va poursuivre ailleurs tes rêves malsains ; dis, que cherches-tu ici ?

– Je cherche, répondit Platon, à déterminer l’endroit précis où Borée enleva la nymphe Orithye. Les uns prétendent que ce fut à cette place ; car l’eau y est si claire et si belle, que des jeunes filles ne pouvaient trouver un endroit mieux approprié à leurs jeux. D’autres pensent que ce fut à quelques stades plus loin, près du temple de Diane Chasseresse. Il y a là, en effet, un autel consacré à Borée.

– Toujours des idées pornographiques, reprit Euthyphron. Cela devient chez toi une véritable obsession. Que t’importe, je te prie, cet acte coupable de Borée ? Il ne faut savoir des dieux et des héros que ce qu’ils ont fait d’imitable. Je suis bien aise, du reste, de te l’apprendre ; désormais tu es un mort ; tout Athènes répète, à l’heure qu’il est : « Vous savez, le Phèdre est une ordure. » Voilà ce que fait un mot d’Euthyphron. Désormais on ne répandra plus les copies de tes œuvres ; l’avenir ignorera le nom de Platon. Toute maison d’Athènes te sera fermée. J’ai donné le mot d’ordre. Il ne te restera que la maison d’Aspasie.

Il prononça ces derniers mots avec une nuance particulière de mépris. Platon ne put retenir un sourire.

– Bel Euthyphron, répondit-il, ni le temps présent ni l’avenir n’appartiennent aux gens de ta sorte. Dans ce dialogue qui t’indigne si fort, j’ai cru faire une œuvre noble, poétique, élevée, morale. Notre cher pays d’Athènes professe, à l’égard de l’amour, des opinions vraiment étranges et qui mettraient la sagesse divine, si elle avait à se défendre, dans une position singulière. Je vous demande quelle apologie on pourrait faire de l’Éternel, s’il avait attaché le phénomène capital de l’univers, la reproduction de la vie, à un acte ridicule, sujet d’éternelles plaisanteries pour les uns, à un acte ordurier, sujet de réprobation pour les autres ! Et que dire de ce bizarre dessein d’avoir créé la beauté, pour interdire ensuite qu’on l’aime ? Il faudrait, afin d’être conséquent, soutenir que la beauté est l’œuvre d’un démon méchant, et autant que possible la détruire. Les blasphèmes contre l’amour viennent, comme toutes les grandes erreurs, d’une basse conception de la Divinité.

Pour moi, je crois que la Divinité a bien fait ce qu’elle a fait. L’amour est le véritable Orphée, qui a tiré l’homme de l’animal. Grâce à l’amour, tout être a son heure de bonté, la plus lourde créature voir s’entrouvrir un moment son ciel de plomb. Le principe qui dans la nature fait la fleur, qui dans le monde vivant fait la beauté, qui dans le monde humain fait la vertu, le charme, la pudeur, est pour moi quelque chose de grand, de pur et de saint. Ce côté-là de la réalité me paraît valoir la peine d’être étudié. Je suis persuadé qu’il occupera une grande place dans la philosophie de l’avenir, et qu’alors on tiendra pour choses également niaises la polissonnerie grivoise et les effarouchements hypocrites d’une pudeur affectée. La vérité ne doit pas se subordonner aux petitesses de gens qui mesurent tout à leurs chétives pensées.

N’ayant jamais profané l’amour, j’ai plus de droits que personne à en parler. Je ne saurais me gêner ni pour les hypocrites ni pour les libertins. Je ne suis pas responsable de la sottise d’un rustique à qui on donnerait un parfum exquis à sentir, et qui, au lieu de le sentir, l’avalerait. J’écris pour les purs. – Au fond, la relation des deux sexes est une forme très limitée et très particulière de l’amour. La même fonction, qui fait que l’homme embrasse la vertu par goût pour la femme et impose silence à ses objections contre la destinée à la vue de la grâce pleine de vénusté avec laquelle la femme s’y soumet, cette fonction contribue au travail le plus abstrait ; l’amour collabore aux recherches du géomètre, aux méditations du philosophe. L’être incomplet est stérile dans tous les sens. Je n’ai pas cru que la philosophie pût expliquer le monde sans tenir compte de ce qui est l’âme du monde. J’ai voulu que mon œuvre fût l’image de l’univers ; j’ai dû y faire une place à l’amour.

Euthyphron, rouge de colère, tourna le dos avec le geste d’un homme qui ne veut pas entendre. Ce matin-là, le ciel et la terre échangeaient des baisers inouïs de tendresse ; les asphodèles étaient comme ivres de rosée, les cigales semblaient affolées de leur chant, et les abeilles faisaient rage sur les fleurs. Platon s’enfonça dans les sentiers de l’Hymette, et conçut l’idée du Banquet chez Agathon, où tous les convives diraient leur opinion sur l’amour. D’anciens scoliastes prétendent que, dans la rédaction primitive, Aspasie avait sa place à côté de Socrate et d’Aristophane. Puis, par des motifs qu’on ignore, Platon crut que, dans son dialogue, il ne devait y avoir que des hommes.

C’est ainsi que ce vieux maître aimait quelquefois à philosopher avec un sourire et à dérouter la pruderie des esprits étroits.

Préface de la première édition

De ma fenêtre, au Collège de France, je vois chaque jour tomber pierre à pierre les derniers pans de mur du collège du Plessis, fondé par Geoffroi Du Plessis, secrétaire du roi Philippe le Long, en 1317, agrandi au XVIIe siècle par Richelieu, et qui fut, au XVIIIe, un des centres de la meilleure culture philosophique. C’est là que Turgot, le grand homme le plus accompli de notre histoire, reçut son éducation de l’abbé Sigorgne, le premier, en France, qui comprit parfaitement les idées de Newton. Le collège du Plessis fut fermé en 1790. En 1793 et 1794, il devint la plus triste prison de Paris. On y mettait les suspects, en quelque sorte condamnés d’avance ; on n’en sortait que pour aller au tribunal révolutionnaire ou à la mort.

Je cherche souvent à me représenter les discours qu’ont dû entendre ces cellules, éventrées par les démolisseurs, ces préaux, dont les derniers arbres viennent d’être abattus. Je me figure les conversations qui ont été tenues dans ces grandes salles du rez-de-chaussée, aux heures qui précédaient l’appel, et j’ai conçu une série de dialogues que j’intitulerais, si je les faisais, Dialogues de la dernière nuit. L’heure de la mort est essentiellement philosophique. À cette heure-là, tout le monde parle bien, car on est en présence de l’infini, et on n’est pas tenté de faire des phrases. La condition du dialogue, c’est la sincérité des personnages. Or l’heure de la mort est la plus sincère de toutes, quand on arrive à la mort dans les belles conditions, c’est-à-dire entier, sain d’esprit et de corps, sans débilitation antérieure. L’ouvrage que j’offre au public est probablement le seul de cette série que j’exécuterai. J’ai encore un grand ouvrage d’histoire religieuse à faire. J’entrevois la possibilité de le terminer. Je ne me permettrai plus désormais de divertissement.

Ce qui doit revêtir, à l’heure de la mort, un caractère de sincérité absolue, c’est l’amour. Je m’imagine souvent que, si l’humanité acquérait la certitude que le monde dût finir dans deux ou trois jours, l’amour éclaterait de toutes parts avec une sorte de frénésie ; car ce qui retient l’amour, ce sont les conditions absolument nécessaires que la conservation morale de la société humaine a imposées. Quand on se verrait en face d’une mort subite et certaine, la nature seule parlerait ; le plus puissant de ses instincts, sans cesse bridé et contrarié, reprendrait ses droits ; un cri s’échapperait de toutes les poitrines, quand on saurait qu’on peut approcher avec une entière légitimité de l’arbre entouré de tant d’anathèmes. Cette sécurité de conscience, fondée sur l’assurance que l’amour n’aurait aucun lendemain, amènerait des sentiments qui mettraient l’infini en quelques heures, des sensations auxquelles on s’abandonnerait sans craindre de voir la source de la vie se tarir. Le monde boirait à pleine coupe et sans arrière-pensée un aphrodisiaque puissant qui le ferait mourir de plaisir. Le dernier soupir serait comme un baiser de sympathie adressé à l’univers et peut-être à quelque chose au-delà. On mourrait dans le sentiment de la plus haute adoration et dans l’acte de prière le plus parfait.

C’est ce qui arrivait aux martyrs de la primitive Église chrétienne. La dernière nuit qu’ils passaient ensemble dans la prison donnait lieu à des scènes que les rigoristes désapprouvaient ; ces funèbres embrassements étaient la conséquence d’une situation tragique et du bonheur qu’éprouvent des hommes et des femmes réunis, à mourir ensemble pour une même cause. Dans une telle situation, le corps, qui va être supplicié tout à l’heure, n’existe déjà plus. L’idée seule règne ; la grande libératrice, la mort, a tout abrogé ; on est vraiment par anticipation dans le royaume de Dieu.