L'acoustique - Ligaran - E-Book

L'acoustique E-Book

Ligaran

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Extrait : "Le son, c'est le mouvement qui devient sensible à distance. Le repos est muet. Tout son, tout bruit annonce un mouvement. C'est le télégraphe invisible dont se sert la nature."

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EAN : 9782335043365

©Ligaran 2015

ILe son dans la nature

Bruit et son musical. – Voix des animant. – Langage des bêtes. – M. L*** et les singes, – L’animal Haüt. – Oiseaux chanteurs. – Insectes. – Reptiles et poissons. – Vie nocturne des animaux dans les forêts.

Le son, c’est le mouvement qui devient sensible à distance. Le repos est muet. Tout son, tout bruit annonce un mouvement. C’est le télégraphe invisible dont se sert la nature.

Aussi bien le son est un appel ; on ne le comprend pas sans l’oreille qui l’écoute, comme on ne comprend point la lumière sans l’œil qu’elle impressionne. Voix, parole, chant, il devient l’auxiliaire le plus précieux et le plus important de la vie de relation. On sait que les aveugles qui entendent et parlent sont bien supérieurs aux sourds-muets, qui n’ont que les yeux pour comprendre. C’est par la voix, fille de l’air, que les êtres vivants se communiquent le plus complètement leurs impressions et leurs besoins ou leurs désirs ; la voix appelle, attire ou repousse, excite ou caresse, implore ou maudit… Lorsqu’elle se fait parole dans la bouche de l’homme, elle exprime tout ce que l’esprit peut concevoir ou le cœur sentir. Incarnation merveilleuse qui prête un invisible corps à la pensée, elle porte d’esprit en esprit les passions, la foi ou le doute, le trouble ou la paix. Conçoit-on une humanité muette ?

 

Nous nous proposons d’étudier le son sous différentes formes, sans nous préoccuper d’abord de la nature intime des phénomènes auxquels il donne lieu. On verra ensuite que ces phénomènes s’expliquent aussi complètement qu’on peut le désirer, par des considérations tirées de la théorie des vibrations, et que les règles de la musique même découlent en grande partie d’un certain nombre de faits physiques ou physiologiques qui sont du domaine des sciences d’observation. Il ne faut pas cependant que le lecteur s’effraye de cette perspective ; nous ne ferons qu’effleurer ce côté de notre sujet, et nous nous bornerons, dans la plupart des cas, à l’indication des résultats obtenus, sans entrer dans aucun détail sur la démonstration des lois que nous ferons connaître. De cette façon, ce livre pourra être lu sans effort d’esprit par tous ceux qui aiment à comprendre les phénomènes au milieu desquels se passe notre existence.

Les impressions que perçoit l’oreille se distinguent habituellement en sons musicaux et en bruits. La distinction est vague ; on ne saurait admettre entre les sons et les bruits une différence d’essence ou de nature. Tous les bruits se composent de sons de très courte durée, presque instantanés et plus ou moins dissonants.

D’un autre côté, les sons musicaux, ou pour parler avec plus de précision et ne rien préjuger sur les débilitions, les sons employés par les musiciens ont souvent une durée excessivement courte, et les combinaisons dans lesquelles on les fait entrer peuvent être parfaitement dissonantes. Où est la limite qui sépare le son musical du bruit ? Elle est tracée par le degré de plaisir ou de déplaisir que nous causent les impressions perçues par un organe dont la sensibilité varie d’un individu à l’autre, et il ne faudrait pas en demander la définition à une personne qui sortirait d’un de nos spectacles de foire.

Le caractère le plus saillant du bruit c’est l’irrégularité et la discontinuité de l’impression. Le roulement d’une voiture sur le pavé se compose d’une série d’explosions discordantes ; le bruit que fait l’eau qui tombe du robinet d’une fontaine, est de même une suite rapide de notes saccadées. Dans le doux murmure d’un ruisseau, dans le bruissement des feuilles, les transitions sont déjà moins brusques ; enfin, dans d’autres bruits tels que les longs mugissements du vent qui s’engouffre dans les cheminées, les notes montent et descendent par degrés insensibles. Dans tous ces cas, cependant, nous rencontrons des successions irrégulières de sons hétérogènes, qui se suivent trop rapidement pour laisser à la sensation musicale le temps de naître, tandis que les impressions que constituent les sons musicaux sont assez prolongées pour être perçues distinctement. C’est dans le même fait que réside la différence entre le langage parlé et le chant. D’habitude, on appelle aussi bruit un mélange confus de sons que l’oreille ne parvient pas à confondre dans une sensation une et homogène. Ainsi, on produira un bruit en posant la main étendue sur les touches d’un clavier de manière à faire entendre à la fois toutes les notes de la gamme. Il est clair, d’après ces exemples, que la distinction entre bruit et son peut n’être qu’une affaire de convention, et qu’on peut passer par mille transitions de l’un à l’autre, quoique la distance soit grande aux extrêmes. Tout le monde appelle bruit le cliquetis que produisent en tombant des morceaux de bois. Cependant, voici une expérience qui se fait souvent. On prend sept lames de bois dur, de même longueur et de même largeur, mais dont les épaisseurs décroissent de l’une à l’autre suivant une certaine loi. On en laisse tomber une seule sur le plancher ; elle donne un bruit qui paraît n’avoir aucun caractère musical ; ensuite on les jette l’une après l’autre, suivant l’ordre de leurs épaisseurs décroissantes, et l’on entend parfaitement les sept notes de la gamme.

En frappant sur des cailloux convenablement choisis et suspendus à des fils, les Chinois produisent des sons assez agréables pour composer une mélodie. Beaucoup d’instruments employés dans les orchestres ne produisent, à parler proprement, que des bruits cadencés, qui viennent se mêler à la musique pour soutenir le rythme ; tels sont les cymbales, les castagnettes, les triangles, etc.

La nature inorganique ne produit que des bruits. La voix du tonnerre, celle de l’ouragan et celle de la mer, ne sont que des bruits confus. Cependant, on peut obtenir du vent des notes musicales, en lui offrant une harpe éolienne, dont les cordes ne résonnent que d’une manière déterminée.

Dans le monde des animaux, on rencontre une variété infinie de bruits et de sons musicaux ; ces bruits et ces chants constituent le langage des bêtes. « Les oiseaux, dit le P. Mersenne, les chiens et les autres animaux font un autre cri quand ils se fâchent, qu’ils se plaignent ou qu’ils sont malades, que quand ils se réjouissent et se portent bien, et la voix est plus aiguë en la tristesse et en la colère, que hors de ces passions ; car la bile fait la voix aiguë, la mélancolie et, le phlegme la fait grave, et l’humeur sanguine la rend tempérée… Mais la voix des animaux est nécessaire, et celle des hommes est libre ; c’est-à-dire que l’homme parle librement, et que les animaux crient, chantent, et se servent de leurs voix nécessairement… Plusieurs disent qu’ils ne crient pas nécessairement, d’autant qu’il n’y a, ce semble, rien de plus libre que le chant des oiseaux, comme du rossignol, du chardonneret, et des autres, et néanmoins il faut avouer qu’ils ne chantent que par nécessité, soit que la volupté ou la tristesse les pousse à chanter, ou qu’ils soient excités par quelque instinct naturel, qui ne leur laisse nulle liberté de se taire, ou de cesser quand ils ont commencé à chanter. Et quand ils oyent un luth ou quelque autre son harmonieux, et qu’ils chantent à l’envi les uns des autres, les sons qu’ils imitent ou qui les excitent à chanter, frappent tellement leur imagination qu’ils ne peuvent pas se taire ; car leur appétit sensitif étant échauffé par l’impression de l’imagination, commande nécessairement à la faculté motrice de mouvoir toutes les parties qui sont nécessaires à la voix. »

Cette théorie de la voix nécessaire ne laisse pas d’être passablement subtile, car on ne peut nier que beaucoup d’animaux ne parviennent à tenir entre eux de véritables conversations.

Il faut citer ici l’intéressant livre de G.-E. Wetzel, intitulé : Nouvelle découverte sur le langage des bêtes, basée sur la raison et l’expérience (Vienne, 1800). Le frontispice représente un groupe d’animaux supérieurs avec cette légende : Ils ne mentent point ; la vérité est leur langue. L’auteur s’efforce de démontrer que les animaux se font comprendre les uns des autres par des combinaisons de sons qui constituent la plus simple des langues, une langue pleine de répétitions… qu’ils cherchent à se faire comprendre de l’homme et qu’ils en comprennent, à leur tour, le langage… qu’enfin il serait possible d’étudier les idiomes des différents animaux et d’en déterminer les formes et les variations.

On trouve effectivement dans le livre de Wetzel les rudiments d’un dictionnaire de la langue des bêtes ; cela remplit une vingtaine de pages. L’auteur a même essayé comme application de ses principes, de traduire en allemand plusieurs dialogues de chiens, de chats, de poules et d’autres oiseaux. Il rapporte une conversation, composée de petits cris abrupts, qu’il prétend avoir surprise entre plusieurs renards captifs, et qui avait pour but de s’entendre sur les moyens propres à faciliter la fuite ; il faut croire que le sens de cette conversation ne fut pas très clair tout d’abord pour notre linguiste, car les trois renards parvinrent à s’échapper.

Il n’est pas douteux qu’à force d’observer les animaux, on n’arrive à comprendre jusqu’à un certain point leur langue mystérieuse, et même à la parler. Voici, à ce propos, une histoire très plaisante que j’emprunte à M. Jules Richard.

« En allant visiter dans un hôpital militaire un ami malade, dit M. Richard, j’avais fait connaissance, il y a douze ans, d’un vieil officier d’administration nommé L… : c était un méridional, un peu hâbleur, mais brave homme au fond, qui jurait comme un païen, et qui chérissait les animaux. Il avait apprivoisé tous les chats de l’hôpital, et un miaulement de lui, à l’heure des distributions, les faisait accourir des points les plus écartés de l’établissement autour de la soupière du vieil officier.

« J’avais toujours supposé que les chats, trompés par l’imitation parfaite de leur miaulement, ou habitués comme des soldats à l’heure de la soupe, arrivaient machinalement se ranger auprès de leur ami.

– Ils me comprennent, affirmait le père L…., ils me comprennent admirablement. Je sais parler chat, je sais parler chien ; mais je parle singe mieux que les singes eux-mêmes.

« Comme je souriais d’un air d’incrédulité :

– Voulez-vous, me dit M. L…, venir demain avec moi au Jardin des Plantes, et je vous ferai assister à quelque chose d’extraordinaire ; je ne vous dis que cela.

« Je n’eus garde de manquer au rendez-vous, le père L… fut exact de son côté. Il me conduisit au palais des singes ; à peine se fut-il accoudé sur la balustrade extérieure, que j’entendis à côté de moi un son guttural :

Kirrouu ! Kirriquiou ! Courouqui ! Quiriquiou !

Je cherche à reproduire les onomatopées qui sortaient de la bouche de mon voisin.

Kirrouu !

Trois singes tombèrent en arrêt devant L…

Kirriquiou !

Quatre autres singes imitèrent leurs camarades.

Courouqui !

Ils étaient douze.

Quiriquiou !

Ils y étaient tous. Le discours de L…. dura dix minutes, pendant lesquelles les singes, rangés sur plusieurs lignes, assis à terre, les pattes de devant croisées sur leurs genoux, riaient, s’agitaient, écoutaient et répondaient. Mon Dieu, oui, ils répondaient et L… reprenait de plus belle ses Kirrouu, Kirriquiou, Courouqui, Kirriquiou. Nous restâmes là vingt minutes et je vous garantis que les singes ne s’ennuyaient pas. Tout à coup L… fit mine de s’éloigner, ses auditeurs devinrent inquiets ; puis, comme L… quittait la balustrade, ils poussèrent des cris de détresse. Nous partîmes ; mais de loin nous apercevions les singes qui, grimpés dans les frises du palais, faisaient toujours des signes d’adieu à L… Il me sembla même que quelques-uns voulaient lui dire :

– Si tu ne reviens pas, au moins écris-nous ! »

On dit, quelquefois d’une cacophonie : musique de chiens et de chats. Il fut un temps où cela pouvait se dire sans métaphore ! Il y a pu des concerts de chats (je ne parle pas de ceux qui ont lieu sur les gouttières) ; des concerts de pourceaux, d’ours, de singes, de dindons, de petits oiseaux qui ne chantaient pas de gaieté de cœur.

Voici, d’après les chroniques, celui qu’on donna à Bruxelles en 1549, le jour de l’octave de l’Ascension, en l’honneur d’une image miraculeuse de la Vierge. Un ours touchait l’orgue. Cet orgue se composait d’une vingtaine de chats renfermés séparément dans des caisses étroites au-dessus desquelles passaient les queues de ces animaux, liées à des cordes qui étaient attachées aux registres de l’orgue et qui correspondaient aux touches. Chaque fois que l’ours tapait sur le clavier, il lirait les queues des pauvres chats et les forçait de miauler sur tous les tons.

Les historiens de la musique parlent aussi d’orgues de pourceaux réunis à des chats. Conrad van der Rosen, le fou de l’empereur Sigismond, réussit, dit-on, à guérir son maître d’une noire mélancolie en jouant d’un orgue de chats rangés par gammes, dont il piquait les queues en frappant sur les touches. Les chats n’étaient pas heureux à cette époque. À Aix, en Provence, on en rassemblait un grand nombre le jour de la Saint-Jean, jour des sorcières, et on les précipitait dans un énorme brasier qui flambait sur la place de la cathédrale.

À Anvers, le jour de la Saint-Jommergue, on attachait par la patte un certain nombre d’oiseaux aux branches d’un arbre fraîchement coupé. Cet arbre était ensuite placé derrière la balustrade de la chapelle du saint qu’on voulait honorer. Tout le temps de la célébration de l’office divin, les enfants sautaient après cet arbre et tachaient d’attraper les oiseaux, ce qui donnait lieu à un vacarme épouvantable et fort peu édifiant.

Le P. Kircher consacre aux voix des animaux un des chapitres les plus curieux de sa Musurgie. En tête, il place l’Aï ou Paresseux (en latin Pigritia et animal Haüt). Il en donne une description accompagnée d’une figure qu’il dit tenir d’un provincial de son ordre, revenu du Brésil ; nous la reproduisons à titre de curiosité. D’après cette relation, le Paresseux ne fait entendre sa voix que pendant la nuit ; son cri est Ha ha ha ha ha… ; il se compose de six notes qui forment une gamme ascendante et descendante :

Fig. 1L’animal Haüt.

ut ré mi fa sol la sol fa mi ré ut.

Ces notes sont émises à intervalles réguliers, chacune étant séparée de la suivante par une courte pause. Quand les Espagnols s’établirent dans le pays, ces cris nocturnes leur faisaient croire qu’ils entendaient des hommes qui vocalisaient dans les forêts. Kircher ne tarit pas d’admiration pour la voix du Paresseux. « Si la musique avait été inventée en Amérique, dit-il, je n’hésiterais pas à déclarer qu’elle dérive du chant mirifique de cet animal. »

Mais le P. Kircher nous réserve encore d’autres surprises.

Dans un appendice intitule de Phonognomia, il s’efforce de démontrer que l’on peut jusqu’à un certain point conclure la nature d’un corps des sons qu’il rend, et le caractère ou le tempérament d’un homme ou d’un animal de sa voix. Un morceau de plomb rend un son sourd et grave : c’est un indice d’humidité intrinsèque, car le plomb contient beaucoup d’humidité mercurielle ; un son clair et aigu caractérise les corps poreux, remplis d’air, tels que l’étain. Quant à la voix des hommes, voici de quelle singulière façon l’interprète l’auteur. Ceux qui parlent d’une voix forte et grave, se rangent avec les ânes, d’après le témoignage d’Aristote. En effet, l’âne possède une voix assez forte et grave, et il est indiscret, pétulant, insolent ; donc ceux qui ont la même voix, sont indiscrets, pétulants, insolents. Le P. Kircher ne trouve aucune difficulté à expliquer la raison de ce phénomène, et il achève de caractériser les voix de basse en ajoutant que les propriétaires de ces voix sont avares, peureux, d’une âme abjecte, d’une insolence intolérable dans la prospérité et plus timides que des lièvres dans le malheur. Tel, dit-il, était Caligula. Ceux dont la voix, d’abord grave, devient aiguë à la fin de l’émission, sont moroses, colères, tristes, comme les bœufs. Une voix aiguë et sans force indique un caractère efféminé. Une voix grave, chez ceux qui parlent avec précipitation, annonce de la force, de l’audace. Une voix aiguë et stridente est le propre du bouc ; elle indique un tempérament pétulant et libidineux, et annonce une odeur forte. Néanmoins, ces mauvaises dispositions naturelles peuvent être corrigées par l’éducation et par la volonté.

Les oiseaux sont de tous les animaux les mieux doués, sous le rapport de la voix. Voici d’abord le perroquet, auquel rien ne manque pour imiter la parole humaine. Mais cette imitation est toute machinale, et la merveilleuse faculté que nous admirons dans le perroquet, ne lui donne aucune prééminence, ne suppose en lui aucune supériorité sur les autres animaux : en répétant les mots qu’il entend prononcer, il prouve seulement sa parfaite stupidité.

Les sansonnets, les merles, les geais, les choucas, qui tous ont la langue épaisse et arrondie comme le perroquet, arrivent également à imiter la parole d’une manière plus ou moins parfaite. Pourquoi ces oiseaux restent-ils toujours privés de cette expression de l’intelligence qui fait le langage humain ? Buffon en trouve la raison dans leur prompt accroissement pendant le premier âge, et dans la courte durée de leur société avec leurs parents, dont les soins se bornent à l’éducation corporelle et ne se répètent ni ne se continuent assez de temps pour produire ces impressions durables et réciproques qui sont la source de l’intelligence.

Les oiseaux qui ont la langue fourchue sifflent plus aisément qu’ils ne jasent. Quand cette disposition naturelle se trouve réunie avec la mémoire musicale, ils apprennent à répéter des airs : le serin, la linotte, le tarin, le bouvreuil, se distinguent par leur docilité. Le perroquet, au contraire, n’apprend pas à chanter, mais il imite les bruits et les cris des animaux qu’il entend, il miaule, il aboie aussi facilement qu’il contrefait la parole.

Le vrai chantre de nos forêts, c’est le rossignol. Par la variété prodigieuse de ses intonations et par l’expression passionnée que peut prendre sa voix, il efface tous ses camarades. Ordinairement le chant du rossignol commence par un prélude timide, indécis : peu à peu il s’anime, s’échauffe, et bientôt on l’entend lancer vers le ciel les fusées de ses notes vives et brillantes. Ce sont des coups de gosier éclatants, qui alternent avec un murmure à peine perceptible ; des trilles, des roulades précipitées et nettement articulées, des cadences plaintives, des sons filés, des soupirs amoureux… de temps à autre un court silence plein d’effet, puis le ramage reprend et les bois retentissent de nouveau d’accents doux et pénétrants qui remplissent l’âme de langueur. La voix du rossignol porte aussi loin que la voix humaine, on l’entend très bien à 2 kilomètres lorsque l’air est calme ; on l’entend d’autant mieux que le rossignol ne chante que la nuit, alors que tout est silence alentour. En général, ce n’est que le mâle qui chante ; cependant, on a vu des femelles qui apprenaient également à chanter. Les rossignols captifs chantent pendant neuf ou dix mois de l’année ; en liberté, ils ne commencent qu’au mois d’avril et finissent au mois de juin ; passé ce mois, il ne leur reste qu’un cri rauque, une sorte de croassement. Pour les faire chanter en cage, il faut d’ailleurs les bien traiter, leur faire illusion sur leur captivité en les environnant de feuillages ; dans ces conditions, ils se perfectionnent même et chantent plus agréablement que les rossignols sauvages. Le rossignol captif embellit son chant naturel des passages qui lui plaisent dans le chant des autres oiseaux qu’on lui fait entendre. Le son des instruments, celui d’une voix mélodieuse l’excite, et stimule son talent ; il cherche à se mettre à l’unisson et à éclipser ses rivaux, à couvrir tous les bruits qui se font à côté de lui ; on a vu des rossignols tomber morts à force de lutter contre un chanteur rival.

Fig. 2Rossignol.

Le P. Kircher, dans sa Musurgie, analyse longuement le chant du rossignol. « Cet oiseau, dit-il, est ambitieux et avide d’éloges ; il aime autant à faire parade de son art que le paon de sa queue. Lorsqu’il est seul, il chante simplement, mais dès qu’il est assuré d’avoir des auditeurs, il étale avec bonheur les trésors de sa voix, et invente les modulations les plus variées et les plus mirifiques. » Le P. Kircher a essayé d’écrire ces modulations en mesurant la durée des notes par un métronome d’un nouveau genre : une corde d’un pied et demi, tendue de manière que chaque oscillation complète correspondait à un battement de pouls. Pour apprécier la hauteur des sons, il les compare aux vibrations d’une corde longue d’un pas, épaisse comme un fétu de paille et tendue par un poids d’une livre ; on conviendra que cette définition laisse à désirer.

Après Kircher, Barrington a également tenté de noter le chant du rossignol, mais, de son propre aveu, sans succès. Les airs notés, étant exécutés par le plus habile joueur de flûte, ne rappelèrent pas du tout le chant naturel. Barrington dit que la difficulté doit venir de ce qu’il est impossible d’apprécier au juste la valeur de chaque note. Au reste, si l’on n’est pas encore parvenu à écrire ce chant singulier, en revanche, on réussit parfois à l’imiter en sifflant. Buffon parle d’un homme qui, par son chant, savait attirer les rossignols au point qu’ils venaient se percher sur lui et se laissaient prendre à la main. Quant à l’étendue de la voix du rossignol, elle ne paraît pas dépasser une octave ; ce n’est que très rarement qu’on entend quelques sons aigus qui vont à la double octave et passent comme des éclairs ; dans ce cas, l’oiseau fait octavier sa voix par un effort de gosier exceptionnel et passager.

Il n’est pas bien prouvé que le rossignol puisse apprendre à parler, quoique Pline raconte que les fils de l’empereur Claude en avaient qui parlaient grec et latin. Le P. Kircher penche à croire que cet oiseau pourrait apprendre à imiter la parole humaine ; mais, dit-il, ce que Aldrovande rapporte de trois rossignols qui, pendant la nuit, se contèrent tout ce qui s’était passé dans la journée, dans un hôtel de Ratisbonne, a paru fabuleux à beaucoup de personnes, ou du moins inexplicable sans quelque insigne imposture ou sans l’intervention du démon.

Il a noté également le chant du coq, celui de la poule qui va pondre ou qui appelle ses petits, celui du coucou et celui de la caille. Nous reproduisons les curieuses figures où il représente les résultats de ces observations ; nous omettons le perroquet, dont le cri naturel est exprimé par le mot grec χαῖρε (chaïré) qui signifie : bonjour.

On peut dire que le chant est chez la plupart des oiseaux un appel d’amour. Presque seule, l’alouette se fait entendre depuis le printemps jusqu’à l’hiver ; c’est que seule aussi elle conserve ses ardeurs pendant toute la durée de la saison d’été. L’alouette chante en volant : plus elle s’élève, et plus elle force la voix ; on l’entend encore lorsqu’elle a disparu dans l’azur du ciel. Rien n’est gai comme les notes perlées de ce chant. Du Bartas a essayé de l’imiter dans un joli quatrain bien connu :

La gentille alouette, avec son tirelire,
Tirelire, relire et tirelirant, tire
Vers la voûte du ciel ; puis son vol en ce lieu
Vire et semble nous dire : Adieu, adieu, adieu !
Fig. 3Poule.
Fig. 4Coq.
Fig. 5Coucou.
Fig. 6Caille.
Fig. 7Alouette commune

Ronsard a aussi laissé des vers dignes d’être cités :

Sitôt que tu es arrosée,
Au point du jour, de la rosée,
Tu fais en l’air mille discours.
En l’air, des ailes tu frétilles,
Et, perdue au ciel, tu babilles
Et contes au vent tes amours :
Puis du ciel tu te laisses fondre
Dedans un sillon vert pour pondre,
Soit pour éclore ou pour couver.

La calandre est une espèce deux fois plus grande que l’alouette ordinaire ; elle est commune en Italie et dans le midi de la France. Douée d’une voix forte et agréable, elle sait varier son chant en contrefaisant le ramage du chardonneret, du serin, de la linotte, et même le piaulement des poussins, le cri de la chatte, etc. Les petits oiseaux dont le gai ramage remplit pendant l’été les bois, les vergers, les jardins et les bosquets, appartiennent, pour la plupart, au genre des fauvettes. L’une des familles les plus remarquables est celle des pouillots, qui imitent à s’y méprendre le chant de tous les autres oiseaux. On pourrait les appeler moqueurs de France, car ils partagent le talent du moqueur d’Amérique.

Fig. 8Pouillot.

L’oiseau sonneur (Campanero) a une voix vibrante comme le son d’une cloche ; on l’entend à 14 kilomètres de distance, dans le désert qu’il habite. Chaque matin, il entonne ses chants, et encore à midi, quand l’ardeur du soleil a fermé le bec de ses collègues emplumés, il ne cesse pas d’animer la solitude. C’est d’abord un cri strident, suivi d’une pause qui dure une minute ; puis un second cri suivi d’une autre pause, et encore un cri qui expire dans un silence de six à huit minutes que vient rompre une nouvelle série de cris saccadés.

Chez les anciens, le cygne figurait aussi parmi les oiseaux doués de la faculté de chanter ; mais il ne chantait qu’au moment de sa mort. Cette fable a été longtemps fort accréditée ; encore aujourd’hui nous comparons au chant du cygne la dernière manifestation d’un génie qui s’éteint. Mais la voix du cygne n’est qu’une sorte de strideur que rend bien le mot drenser. Il est vrai que ; d’après Buffon, on peut distinguer dans les cris du cygne sauvage une espèce de chant modulé, composé de notes bruyantes comme celles du clairon.

Les anciens avaient peut-être sur l’harmonie des idées très différentes des nôtres. Ils adoraient le chant de la cigale. Anacréon lui a consacré une ode. « Heureuse cigale, dit-il, qui sur les plus hautes brandies des arbres, abreuvée d’un peu de rosée, chantes comme une reine ! Tu es chérie des Muses et de Phébus même, qui t’a donné ton chant harmonieux. » Homère compare la suave éloquence des vieillards troyens au concert des cicades. Une légende rapporte qu’un jour une cigale décida l’issue d’une lutte entre deux joueurs de cithare, Eunome et Ariston. Pendant qu’Eunome jouait, une de ses cordes se brisa ; mais les dieux lui envoyèrent une cigale qui s’étant posée sur son instrument lui remplaça la corde cassée, si bien qu’il remporta la victoire.

Aujourd’hui nous ne pouvons reconnaître un chant dans les notes stridentes et monotones de cet insecte. Son appareil musical consiste en deux volets écailleux (fig. 9) placés sur le ventre et qui n’existent que chez le mâle. Ces volets recouvrent deux cavités où se trouvent deux timbales ou membranes plissées qui résonnent comme du parchemin sec, et dont les contractions et relâchements répétés produisent un bruit de stridulation. D’autres parties de cet appareil compliqué paraissent être destinées à renforcer le son. La cigale plébéienne est très commune en Provence, et remonte quelquefois assez loin dans le nord ; on la rencontre à Fontainebleau. « Quand elle chante, dit M. Maurice Girard, elle remue rapidement son abdomen, de manière à l’éloigner et le rapprocher alternativement des opercules des cavités sonores. Sa stridulation est forte et aiguë, formée d’une seule note fréquemment réitérée, finissant par s’affaiblir peu à peu et se terminant par une sorte de sifflement, comme st, analogue au bruit de l’air sortant d’une petite ouverture d’une vessie que l’on comprime. Si on la saisit, elle jette des cris très forts, qui diffèrent assez notablement de son chant en liberté. » En sifflant devant une cigale de manière à imiter sa stridulation, on la charme et l’attire ; il est alors facile de s’en emparer.

Fig. 9Cigal.

Dans les pays du Nord, on prend souvent pour la cigale la grande sauterelle verte dont le cri rappelle celui de la cigale ; les figures qui ornent les anciennes éditions de la Fontaine représentent aussi une sauterelle à propos de la fable intitulée : la Cigale et la Fourmi. Ces deux insectes appartiennent cependant à deux ordres entièrement distincts : la cigale est un hémiptère, la sauterelle un orthoptère.

Chez tous les orthoptères sauteurs : grillons, sauterelles et criquets, le mâle appelle la femelle par une stridulation due au frottement des élytres ; mais le mécanisme qui produit ce bruit monotone diffère un peu d’une espèce à l’autre.

Le grillon ou cri-cri frotte l’une contre l’autre ses élytres entières, sillonnées de nervures épaisses, dures et saillantes. Les voyageurs racontent que, dans certaines régions de l’Afrique, on élève les grillons dans de petites cages à claire-voie. Leur chant amoureux charme les oreilles des indigènes ; il dispose au sommeil.

Les courtilières ou taupes-grillons émettent des notes lentes, monotones, moins pénétrantes que celles du grillon champêtre, et qui rappellent vaguement le cri de la chouette ou de l’engoulevent.

Fig. 10Grillon.

Les sauterelles produisent une stridulation aiguë par le frottement de deux membranes transparentes et garnies de nervures, appelées miroirs, qui existent à la base des élytres et que l’on pourrait comparera des cymbales. Le zig-zig monotone de la sauterelle verte s’entend le soir et toute la nuit, dans les prairies un peu humides ; le dectique chante de jour, dans les blés murs. Enfin, les criquets ou acridiens (ce sont eux qui ravagent nos colonies) produisent des sons moins musicaux, mais plus variés que ceux des espèces précédentes. Ils ont les cuisses et les élytres garnies de nervures saillantes très dures. Les cuisses frottent sur les élytres comme un archet sur les cordes d’un violon. Ordinairement les deux pattes frottent à la fois, mais l’on voit aussi l’insecte se servir tour à tour de la patte gauche et de la droite. Une sorte de tambour, recouvert d’une peau très mince, qui se trouve de chaque côté du corps à la hase de l’abdomen, semble destiné à renforcer le son. Le chant des criquets ressemble à un bruit de crécelle, mais avec des timbres très divers selon les espèces. On distingue plusieurs notes, et le chant se modifie suivant qu’il appelle une femelle ou qu’il provoque un rival. Yersin a essayé de noter le chant de ces insectes. De même, Charles Butler, l’auteur de la Monarchie féminine, a tenté de noter les bruissements d’ailes qu’on entend dans l’intérieur d’une ruche d’abeilles qui va jeter. « Il a déterminé, dit Réaumur, toutes les modulations du chant de l’abeille suppliante, qui aspire à conduire un essaim, les différentes clefs sur lesquelles elles sont composées, et de même celles des chants de la reine mère. » Les bourdons produisent, avec leurs ailes, un bruit que leur nom imite par onomatopée. Les vrillettes, en oscillant sur leurs six pattes, frappent le bois des vieux meubles avec leurs mandibules fermées, et produisent ainsi les coups secs que l’on entend pendant la nuit.

Fig. 11Criquet.

Les reptiles sont loin d’être muets. La voix des crocodiles et des caïmans peut se comparer au miaulement d’un chat, dans le jeune âge, et à des sanglots entrecoupés ou à des mugissements dans l’âge adulte. Ils trompent parfois les passants par des cris qui semblent venir d’un enfant. Le lézard chanteur de Birmanie, à ce que nous apprend M. Thomas Anquetil, annonce les tremblements de terre par des cris aigus et souvent répétés.

Les serpents n’ont, en fait de voix, qu’un sifflement aigu, sauf le serpent à sonnettes, qui porte au bout de la queue un grelot formé par des cornets écailleux, emboîtés les uns dans les autres, et dont le nombre augmente avec l’âge.

Le « peuple coassant » des grenouilles et rainettes est connu par sa loquacité, qui un jour lui devint funeste, suivant la Fontaine :

Les grenouilles se lassant
De l’état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.

Les poissons qui passent pour être muets, ne le sont pas tous. Les lyres ; les malarmats, les maigres d’Europe, les ombrines communes, les hippocampes à museau court, émettent des sons d’une nature particulière. Cette faculté, qui est commune aux mâles et aux femelles, atteint sa plus grande perfection à l’époque du frai. Les maigres surtout, lorsqu’ils se rassemblent en troupes, produisent un bruit assez fort qui semble sortir de l’eau et qui leur a mérité le nom d’orgues vivantes. M. Dufossé, qui s’est spécialement occupé de ce sujet, a trouvé que les bruits en question sont produits par le frémissement de certains muscles ; chez quelques espèces ils sont renforcés par la vessie pneumatique.

Ainsi, mille voix se réunissent pour faire jour et nuit le grand concert de la nature. L’air est toujours rempli de son. Même quand nous nous croyons dans un silence complet, nous sommes encore entourés de bruits ; on s’en aperçoit bien quand on veut écouter quelque son très faible que ces bruits empêchent d’arriver à nous distinctement. Pour savoir ce que c’est que le silence, il faut monter sur une haute montagne, sur une cime bien isolée.

Chaque région de la terre a, pour ainsi dire, sa physionomie acoustique. Près des grandes villes, on entend mille bruits confus qui trahissent l’activité humaine, comme le bourdonnement des abeilles dans une niche nous révèle qu’elle est habitée. À Paris, ce sourd murmure persiste toute la nuit. Le jour, il y a des rues où on ne s’entend point parler, quand il y passe beaucoup de voitures. Le roulement des voitures est encore renforcé par le sol trop élastique de la grande ville, qui recouvre les catacombes a la manière d’un tablier de violon.

Dans nos campagnes d’Europe, ce sont les petits oiseaux qui donnent le ton général à l’orchestre de la forêt. En Amérique, ce sont d’autres voix plus puissantes écoutons Alexandre de Humboldt lorsqu’il nous parle de la vie, ou plutôt des voix nocturnes des animaux dans les forêts des tropiques. Il passait la nuit sous la voûte du ciel, après avoir choisi sur les bords de l’Apure une plaine sablonneuse qui allait rejoindre à peu de distance la lisière d’une épaisse forêt vierge. La nuit était fraîche et éclairée par la lune. Un profond silence, troublé seulement de temps à autre par le ronflement des dauphins d’eau douce, régnait dans la plaine et sur la rivière. « Il était plus de onze heures, dit Humboldt, quand commença dans la fôret voisine un vacarme tel qu’il fallut renoncer absolument à dormir le reste de la nuit. Tout le taillis retentissait de cris sauvages. Parmi les voix nombreuses qui se mêlaient dans ce concert, les Indiens ne pouvaient reconnaître que celles qui, après une courte pause, recommençaient seules à se faire entendre. C’étaient les hurlements gutturaux et monotones des alouates, la voix plaintive et flûtée des petits sapajous, le ronflement du singe dormeur, les cris entrecoupés du grand tigre d’Amérique, du cougouar ou lion sans crinière, du pécari, du paresseux, et d’un essaim de perroquets, ceux des parraquas et d’autres gallinacés. Lorsque les tigres s’avançaient vers la limite de la forêt, notre chien, qui auparavant aboyait sans cesse, cherchait en hurlant un refuge sous nos hamacs. Quelquefois, le rugissement du tigre descendait du haut des arbres ; toujours alors il était accompagné des cris aigus et plaintifs des singes qui s’efforçaient d’échapper à ce danger nouveau pour eux. »

Si l’on demande aux Indiens la cause de ce tumulte continuel, ils répondent en riant que les animaux aiment à voir la lune éclairer la forêt, qu’ils font fête à la pleine lune. Mais ce n’est pas la lune qui les excite le plus ; c’est pendant les violentes averses que les cris sont les plus bruyants, ou lorsqu’au milieu des grondements du tonnerre un éclair illumine l’intérieur de la forêt. Ces sortes de scènes offrent un contraste singulier avec le calme qui règne sous les tropiques vers l’heure de midi, par les grandes chaleurs, alors que le thermomètre marque plus de 40° à l’ombre. Les grands animaux s’enfoncent à cette heure dans les profondeurs de la forêt, les oiseaux se cachent sous le feuillage des arbres ou dans les crevasses des rochers, pour éviter les rayons ardents qui tombent du zénith ; en revanche, les pierres unies et les blocs arrondis sont couverts d’iguanes, de geckos, de salamandres, qui, immobiles, la tête levée et la bouche béante, semblent aspirer avec délices l’air embrasé. « Mais, dit Humboldt, si, durant ce calme apparent de la nature, on prête l’oreille à des sons presque imperceptibles, on saisit à la surface du sol et dans les couches inférieures de l’air, un bruissement confus produit par le murmure et le bourdonnement des insectes. Tout annonce un monde de forces organiques en mouvement. Dans chaque broussaille, dans l’écorce fendue des arbres, dans la terre que fouillent les hyménoptères, la vie s’agite et se fait entendre ; c’est comme une des mille voix que la nature adresse à l’âme pieuse et sensible de l’homme. »

IIEffets du son sur les êtres vivants

Puissance de la musique. – Légendes et anecdotes. – La musique comme remède. – Les tarentelles. – Effets de la musique sur les animaux.

Comme le peintre s’empare de la lumière pour en faire un messager de la pensée, le musicien commande aux sons et les charge de traduire des sentiments. La musique est donc une langue comme une autre ; langue d’autant plus douce et plus charmante qu’elle est moins précise et moins subtile ; c’est le rêve de la parole.

On définit généralement la musique l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille. Les anciens philosophes donnaient à ce mot un sens beaucoup plus étendu. Pour eux, la musique comprenait la danse, le geste, la poésie et même toutes les sciences. Hermès déclare que la musique est la connaissance de l’ordre de toutes choses ; Pythagore et Platon enseignaient que tout dans l’univers est musique. De là, cette musique céleste – harmonie des mondes – danse des sphères, qui a troublé tant de têtes.

La musique a été probablement le premier des arts ; l’homme avait dans l’oiseau un maître à chanter. Les instruments à vent – flûte et pipeaux – ont dû venir après. Diodore en attribue la première idée à quelque pâtre qui avait étudié le sifflement du vent dans les roseaux. Lucrèce est du même avis :

Et Zephyri cava per calamorum sibila primum
Agresteis docuere cavas inflare cicutas.

Les instruments à corde et ceux qu’on bat pour en tirer un bruit sourd – tambours et timbales – sont également fort anciens. L’antiquité attribuait l’invention de la musique tantôt à Mercure, tantôt à Apollon ; Cadmus, qui amena en Grèce la musicienne Hermione, Amphion, Orphée et d’autres encore, sont cités comme étant les pères de la musique instrumentale. D’après la Genèse, les joueurs de flûte et de cithare descendent de Jubal, fils de Lamech et d’Ada, de la race de Caïn. La vérité, c’est que l’origine des instruments de musique se perd dans la nuit des temps.

L’influence de la musique sur les mœurs des peuples et sa puissance sur les âmes sont reconnues par tous les philosophes de l’antiquité. Platon prétend qu’on peut assigner les sons qui font naître la bassesse et l’insolence, et d’autres qui produisent les vertus opposées. Pour lui, un changement introduit dans la musique doit en entraîner un dans la constitution de l’État. Si cela est vrai, M. Wagner révolutionnera la Bavière !

Polybe nous dit qu’en Arcadie, pays triste et froid, la musique était nécessaire pour adoucir les mœurs des habitants ; que nulle part il ne se commettait autant de crimes qu’à Cynète, où elle était négligée. D’après Athénée, on mettait autrefois en vers et en musique toutes les lois divines et humaines, les préceptes de la morale, les légendes et l’histoire des peuples, et tout cela était chanté publiquement par des chœurs, au son des instruments. Les Israélites avaient des usages analogues. La musique prêtait à ces choses abstraites un charme particulier, et les gravait dans l’esprit, des auditeurs. Est-ce le souvenir de ces antiques usages qui a inspiré tout récemment à un Meyerbeer yankee l’idée saugrenue de mettre en symphonie la constitution américaine ?

Fig. 12Lyre d’Apollon.
Fig. 13Plectrum.
Fig. 14Cithare.
Fig. 15Cithare.
Fig. 16Cithare.
Fig. 17Cithare.
Fig. 18Flûte double.
Fig. 19Flûte de Pan.
Fig. 20Sifflet pastoral ou flûte de Pan.

Selon les philosophes de l’école de Pythagore, l’âme humaine est en quelque soute formée d’harmonie. Ils croyaient possible de rétablir, par le moyen de la musique, cette harmonie préexistante et primitive de nos facultés intellectuelles, troublée trop souvent par le contact des choses de ce bas monde. Les anciens auteurs sont pleins de récits qui se rapportent au pouvoir miraculeux des sons.

Les chants d’Orphée domptaient les bêtes féroces, suspendaient le cours des fleuves et faisaient danser les arbres et les rochers. Quand la mort lui eut ravi Eurydice, il descendit aux enfers ; les sombres divinités, charmées par la douceur de ses accords, lui accordèrent le retour de sa femme, qu’il aurait ramenée sur la terre, s’il avait pu s’empêcher de regarder en arrière pendant leur ascension.

Le divin Amphion bâtit les murs de Thèbes ; au son de sa lyre, les pierres venaient d’elles-mêmes se placer les unes sur les autres, dans l’ordre prescrit.

… Agitataque saxa per artem
Sponte sua in muri membra coisse ferunt.

Ici la musique fait naître les remparts d’une ville ; ailleurs, elle les fera tomber : les murs de Jéricho s’écroulent au son des trompes des prêtres d’Israël.

Dans les chants finnois, on voit les sables du rivage se transformer en diamants, les meules de foin accourir d’elles-mêmes dans la grange, les flots de la mer se calmer, les arbres, se mouvoir en cadence, et les ours s’arrêter avec vénération aux accents de la lyre de Wainamoinen, qui, saisi enfin lui-même, tombe dans une douce extase et verse, au lieu de larmes, un torrent de perles.

Les Vêdas, ou livres saints des Indous, ne sont pas les derniers à célébrer le pouvoir de la musique. Là, elle fait marcher à la baguette hommes et animaux ; la nature inanimée est elle-même contrainte d’obéir aux ragas que le dieu Mahédo compose avec sa femme Parbutéa. Sous le règne d’Abker, le célèbre chanteur Mia-Tousine chanta une fois en plein jour un raga consacré à la nuit ; aussitôt le soleil s’éclipsa et les ténèbres se répandirent aussi loin que sa voix se faisait entendre. Un autre raga brûlait celui qui osait le chanter. Abker, pour en faire l’épreuve, ordonna à un musicien de chanter cette chanson pendant qu’il était plongé jusqu’au menton dans la rivière Djumna. Cela ne servit de rien : le malheureux fut la proie des flammes, et Abker sut désormais à quoi s’en tenir.

Le pouvoir que l’on attribue à la musique d’exciter et de calmer les passions, a fourni la matière d’un grand nombre de légendes. Tout le monde connaît l’histoire de David qui joue de la harpe devant le roi Saül, toutes les fois que celui-ci est possédé du mauvais esprit. Farinelli a renouvelé cette aventure. Lorsqu’il vint en Espagne, en 1736, les accents de sa voix arrachèrent le roi Philippe V à une noire mélancolie ; le roi se rattacha, lui défendit de chanter en public, et le combla de ses faveurs. Il resta dans la même position sous Ferdinand VI.

Le musicien Timothée excitait, dit-on, les fureurs d’Alexandre le Grand, par le mode phrygien et les calmait par le mode lydien.

Boèce nous apprend qu’un jour Pythagore trouva un jeune homme à qui la jalousie, de fréquentes libations et une mélodie phrygienne avaient tellement troublé la tête, qu’il se mettait en devoir d’incendier la maison de sa maîtresse. Il suffit alors au philosophe de Samos de faire jouer à la flûtiste un autre air plus calme, pour ramener le jeune écervelé à des sentiments meilleurs.

Une autre fois, une terrible sédition, qui avait éclaté à Lacédémone, fut apaisée par Terpandre, qui se mit à chanter au son de la cithare. En ce temps-là, cela réussissait. Je doute qu’aujourd’hui on obtienne des succès de ce genre en armant les sergents de ville de guitares et de petites flûtes.

Les prêtres celtes se servaient de la musique pour adoucir les mœurs de la nation. Chez les Gaulois, les bardes arrêtaient par leurs chants la fureur des combattants. Saint Augustin raconte quelque chose de plus extraordinaire : un simple joueur de flûte excita un tel enthousiasme chez un peuple naturellement sensible, qu’il en fut élu roi.

Voici une autre légende qui rappelle l’histoire de Timothée et d’Alexandre le Grand.