La Genèse de l'humanité - Ligaran - E-Book

La Genèse de l'humanité E-Book

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Extrait : "Ce qui frappe le plus le penseur qui, libre de tous préjugés, étudie le fonctionnement des différentes sociétés qui se sont succédé dans le monde, c'est de voir combien est important le rôle joué dans la science par l'esprit de parti et l'égoïsme de caste. Il faut des siècles pour qu'un progrès conquis, une vérité démontrée descendent dans la foule et viennent augmenter le patrimoine commun".

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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L’Inde ! Il y a dans ce mot quelque chose de grand et de vénérable, de vague et de mystérieux, même après tant de siècles ! l’Inde, la plus ancienne portion civilisée de l’ancien monde, le berceau des croyances religieuses qui, dans leur unité, leur simplicité et leur grandeur primitives, semblent avoir embrassé, comme une vaste formule, tous les cultes qui, depuis, se sont partagés les peuples ; l’Inde, le théâtre des évènements historiques les plus inattendus, les plus grands, les plus merveilleux ; l’Inde, qu’ont visitée tour à tour les dieux, les héros, les philosophes, les hommes avides de science et les spéculateurs les plus hardis dans tous les siècles ; l’Inde, dont Sésostris, Darius, Alexandre, Tchinguiz-Kan, Timour, Baber, Nader-Shah, Napoléon, ont rêvé, tenté ou achevé en partie la conquête. Voilà le pays dont nous devons essayer de retracer l’histoire, et de faire connaître surtout l’état actuel, mais dont le passé et l’avenir intéressent au plus haut degré l’humanité tout entière, car le passé de l’Inde recèle dans ses profondeurs quelques-uns des principaux traits de l’histoire du monde, et son avenir se lie d’une manière de plus en plus intime au sort des grandes nations européennes. D’ailleurs, sous le point de vue scientifique et sous celui du perfectionnement intellectuel de l’espèce humaine, l’étude des temps anciens de l’Inde ou du monde brahmanique fait essentiellement partie du progrès général de l’humanité, et ainsi, comme révélation encore attendue, nous pouvons dire que ce passé des premiers âges de l’Inde appartient à l’avenir.

DE JANCIGNY,

Aide de camp du nabab d’Oude.

Introduction

LES FÉTICHES DE LA SCIENCE OFFICIELLE

Ce qui frappe le plus le penseur qui, libre de tous préjugés, étudie le fonctionnement des différentes sociétés qui se sont succédé dans le monde, c’est de voir combien est important le rôle joué dans la science par l’esprit de parti et l’égoïsme de caste.

Il faut des siècles pour qu’un progrès conquis, une vérité démontrée descendent dans la foule et viennent augmenter le patrimoine commun.

Il faut des siècles pour que prêtres, initiés et savants consentent à parler devant ce qu’ils appellent le vulgaire ignorant le langage de la raison, et à abandonner publiquement quelques-unes de ces ruines hiératiques, quelques-uns de ces préjugés scientifiques, dont, en particulier et entre eux, ils ont depuis longtemps fait justice.

Notre époque est affectée de cette faiblesse, au moins autant que celles qui l’ont précédée, sans avoir pour excuse de son étroitesse d’esprit, de son peu de courage, la crainte des bûchers du Saint-Office ou des proscriptions du pouvoir civil.

Nous n’avons pas l’amour de l’Humanité ! Il semblerait que chaque homme ne fasse partie d’un corps social que pour ne s’y occuper que de ses seuls intérêts, et s’y faire, par tous les moyens, une place plus vaste et plus commode que celle des autres.

Arrivés à un certain niveau, les parvenus privilégiés serrent leurs rangs et s’organisent pour la défense de leurs appétits satisfaits. Partout, dans les croyances religieuses, dans la science, dans les institutions politiques et sociales, dans la loi, ils s’efforcent de créer une immobilité qu’ils croient protectrice de leur situation… Les castes naissent… Les plus élevées s’entourent de fortifications contre celles qu’elles ont dépassées à la course. Elles proclament que l’Humanité est arrivée à son summum de progrès, de justice, de bonheur et de science, et que tout est bien dans la nation pourvu que personne ne crie trop fort…

Lorsque Denys, gorgé, dormait sur son lit de fleurs, tout Syracuse devait être heureuse et faire silence… ; et quand l’aventurier se réveillait, c’était pour proscrire Platon, c’est-à-dire la raison, le progrès et la liberté !

Dans cette conspiration sociale, la science officielle et les savants titrés jouent un rôle persévérant, raisonné, d’autant plus important qu’il est pour ainsi dire occulte, et échappe dans ses effets lents, mais fatals, à la perception et à l’appréciation des masses.

De même que le prêtre se conduit par cette formule :

« Il faut un Dieu tel que nous l’avons imaginé, jaloux, irascible et vengeur, pour contenir le peuple. »

De même le savant officiel se conduit par cette autre :

« Il faut maintenir le peuple dans une ignorance savamment calculée, et ne répandre dans les classes intelligentes que des variétés expurgées, si l’on veut dominer et diriger facilement l’ensemble. »

De là une science religieuse que l’on enseigne dans les temples, qui est la négation de la raison et de la liberté humaine.

Et une science officielle qu’élaborent de prétendus corps savants, que dispensent l’Université et les séminaires, et que l’on triture, dose et formule à des degrés différents pour l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur. On s’étonnera peut-être de me voir mettre l’Université et l’enseignement clérical sur la même ligne, je dois donc expliquer ma pensée.

La plupart des professeurs de l’Université sont des hommes fort éminents, beaucoup même sont des savants à qui il ne manque pour jouer un grand rôle que de n’avoir pas à compter avec les dures nécessités de la vie qui paralysent l’indépendance de leur pensée et de leur plume ; esclaves d’une discipline étroite, sans cesse surveillés par le personnel administratif du lycée, inondés de circulaires ministérielles, ils prennent peu à peu l’habitude d’oublier leur individualité, et de couler leurs leçons dans un moule uniforme que l’autorité supérieure leur impose.

Malheur à qui s’écarte de la ligne tracée ; averti d’abord, envoyé dans un poste inférieur ensuite, puis finalement brisé, il apprend, aux dépens de sa tranquillité et du pain de sa famille, ce qu’il en coûte pour vouloir être un homme et faire des hommes.

J’ai retrouvé, mourant de misère à Paris dans un bouge, un de mes anciens professeurs qui, à vingt-deux ans, était agrégé, et enseignait l’histoire dans une des plus grandes villes de France.

Un jour, les inspecteurs arrivent au lycée ; ils se rendent tout droit à la classe du jeune professeur, que ses notes de l’école normale représentaient comme un esprit trop libéral.

À cette question faite au cours d’examen : – Que dites-vous de l’acte de Brutus ?

Un de nous répondit :

– En politique, le poignard est un moyen que la conscience humaine réprouve ; mais de quel mépris charger la mémoire de tous les aventuriers qui passent le Rubicon, et foulent aux pieds les lois de leur pays ?

Monsieur l’Inspecteur, auteur d’un gros dictionnaire grec, qui avait fait sa fortune dans l’Université et dans la librairie classique, en entendant ces paroles, attacha ses petits yeux gris sur le pauvre professeur qui pâlit, et, scandant ses paroles, il ajouta :

– Quel est le traité d’histoire que vous suivez ?

– Celui que notre professeur nous fait chaque jour, répondit l’élève, inconscient du mal qu’il allait causer.

Huit jours après, une dépêche ministérielle envoyait le malheureux agrégé d’histoire dans une infime bourgade du Midi, qu’il finit par quitter également, après des tracasseries sans nombre. C’était une âme sensible, un caractère plus délicat que vigoureusement trempé ; il ne survécut quelques années à sa vie brisée, que pour aller échouer sur un grabat d’hôpital.

Pendant ce temps-là, Monsieur l’Inspecteur et le gros dictionnaire grec continuèrent à prospérer l’un par l’autre. L’enseignement de l’Université est le reflet de la politique du gouvernement sans nul souci des intérêts de la nation : après 1830, il fut libéral ; le coup d’État et les de Falloux essayèrent de le jeter dans la voie cléricale, et sans leurs vieilles traditions de libre-pensée, les universitaires se faisaient sacristains.

C’est pour cela que je repousse l’enseignement de l’État, érigé en système, avec la même force que l’enseignement des séminaires.

Tout corps, toute caste, tout homme qui dirige l’éducation publique, le fait dans son intérêt exclusif. L’éducation donnée ainsi est le produit des passions et des intérêts de ce corps, de cette caste, de cet homme ; elle n’est pas le reflet du progrès social et des besoins de la nation.

Je suis las de tous ces directeurs, jacobins, autoritaires, doctrinaires et ultramontains, dont pas un dans son programme politique ne veut placer la raison de tout le monde au-dessus de la raison des groupes, qui ne combattent tels ou tels systèmes que pour le remplacer par le leur, et je trouve les gens qui veulent fonder une république autoritaire, aussi ridicules que ceux qui rêvent une monarchie républicaine.

L’éducation entre les mains de l’État est un moyen de gouvernement ; tous les partis l’accepteront comme une arme de défense préventive, dès qu’ils seront au pouvoir. Aujourd’hui Robespierre serait pour l’éducation de l’État, laïque et obligatoire. Demain Montalembert serait pour l’éducation de l’État, cléricale et obligatoire.

La formule importe peu et chaque parti l’acceptera du jour où il sera chargé de l’appliquer.

Il ne faut pas d’arme à deux tranchants qui puisse servir indifféremment à droite et à gauche.

Donc, dans les programmes de l’avenir, pas d’enseignement par l’État… Abolissons comme en Amérique le ministère de l’instruction publique ; laissons faire l’initiative individuelle ; attendons tout de la liberté. La France n’est pas une incapable, pour être constamment mise en interdit par ses doctrinaires obérés de dettes, ou ses politiciens sans emploi.

Il n’est pas sans intérêt de voir quelles sont, malgré les progrès de la science, les bases de l’instruction qu’on donne à nos enfants. Histoire et chronologie n’ont pas encore osé se dégager des entraves de la Bible.

La Terre a été créée il y a six mille ans.

L’Homme provient d’un couple unique que Dieu a créé pour habiter cette planète.

L’Histoire des peuples et des races commence avec les fils de Noé.

Sem a peuplé l’Asie,

Japhet l’Europe,

Et Cham l’Afrique.

On enseigne que Cham a été le père de la race inférieure des nègres, parce qu’il avait manqué de respect à son père, etc. ; et mille autres niaiseries de cette force qui sont destinées à faire des hommes…

En philosophie, on ne sort pas d’un spiritualisme étroit, d’un anthropomorphisme ridicule, et l’on croit avoir tout fait quand on a découpé l’âme qu’on prétend immortelle en facultés bonnes ou mauvaises, et que l’on a prêté à Dieu les passions et les faiblesses de l’humanité.

Lisez tous ces livres prétendus classiques, revêtus de toutes les approbations nécessaires, et dites-nous s’il est bien extraordinaire que la plupart des hommes de notre époque ne sachent rien à vingt ans, pas même le grec et le latin, pour lesquels on a sacrifié dix ans de leur existence.

C’est en vain que la géologie et l’astronomie comptent par centaines de millions les années qui se sont écoulées depuis le moment où la terre, s’échappant du soleil, a commencé à tourner autour de son foyer générateur ; en vain que les espaces infinis sont un tout animé, habité par des êtres organisés suivant les milieux, et dont toutes les parties sont mues par des lois générales identiques ; en vain que notre modeste planète est un simple rouage dans l’ensemble, en vain que les vieilles populations de l’Asie ont conservé d’antiques traditions en harmonie avec les découvertes de la science… nous ne sortons pas de la Bible et de la chronologie d’Usserius, et quiconque s’avise de secouer le joug, d’indiquer le passé comme une superstition, d’initier ceux qui l’écoutent aux conquêtes du présent et aux espérances de l’avenir, est déclaré de par l’enseignement imposé, aussi bien laïque que clérical, indigne de former la jeunesse à la science de la vie.

En remettant l’instruction aux mains d’un groupe d’hommes autoritaires, qui la dirigent suivant les besoins d’une dynastie, ou d’un programme politique, on instruit d’après des nécessités de caste, on ne donne pas la vérité scientifique.

Et cependant, à aucune époque de notre histoire, nous n’avons senti davantage le besoin de faire plus rapidement des citoyens et des hommes utiles qu’aujourd’hui. Un nouveau droit vient de naître dans le monde, qui, au progrès par la moralité, par le bien, par la liberté et le développement de l’individu, oppose la réussite par la force comme l’ultima ratio de l’Humanité.

Que dis-je un droit nouveau ?

C’est le droit de Tamerlan, de Tchenguiz-Kan, d’Attila, et de Timour, que les Germains entourent de formules hypocrites pour légitimer des attentats qui feraient rougir les Apaches des prairies américaines.

Écoutez ces accents que le professeur Schopenhauer laisse tomber de sa chaire pour conduire les brutes prussiennes à de nouveaux pillages :

« Dans le monde de l’homme, comme dans le règne animal, ce qui règne c’est la force et non le droit, le droit n’est que la mesure de la puissance de chacun ! »

Max Stirner va plus loin, et il s’écrie avec un cynisme ironique, qui fait l’admiration de tous les apprentis incendiaires des Universités de Berlin et de Heidelberg :

« Que m’importe le droit, je n’en ai pas besoin, ce que je puis acquérir par la force, je le possède et j’en jouis, ce dont je ne puis m’emparer, j’y renonce, et je ne vais pas en manière de consolation me pavaner avec mon prétendu droit, avec mon droit imprescriptible. »

Autrement dit : « Pillez votre voisin sans s’inquiéter de son droit, si vous avez la force, si vous êtes dix contre un ; si vous ne pouvez enfoncer sa porte, renoncez-y, et attendez l’occasion favorable. »

Il y a quelques individus en France, fort allemands sur ce point et qui ne se gênent pas pour acquérir les biens du voisin par la force, sans avoir besoin du droit ; nous avons l’habitude de leur envoyer des gendarmes. Aujourd’hui que cette théorie est devenue le guide pratique d’une nation voisine, nous n’avons plus qu’une chose à faire, c’est de la traiter à la première occasion comme nous avons fait des bandes d’Attila dans les champs catalauniques.

Que la France se prépare, se hâte de faire des hommes, car avant peu, pour l’honneur de l’Humanité, et pour conserver sa civilisation, sa nationalité, sa richesse acquise par quinze siècles de génie et de travail, il lui faudra anéantir une nouvelle invasion des barbares.

Vous connaissez le docteur Strauss, celui de la vie de Jésus, le même qui a écrit deux in-folios pour prouver que Jésus et les évangiles ont été fabriqués après coup par des habiles, il passait pour un philosophe de race ; naguère il nous encensait dans son livre sur Voltaire ; aujourd’hui il nous traîne dans la boue pour faire plaisir à M. de Bismark.

Toute l’indépendance du même philosophe n’a pu tenir devant les exploits de ses maîtres, le viol et l’incendie l’ont grisé, et, à son tour, il chante la louange du pillage à main armée et du canon.

« Une intelligence plus profonde de l’Histoire, dit-il, nous a appris que c’est l’instinct d’expansion des peuples qui éclate dans l’ambition des conquérants, et qu’ils ne sont que les représentants d’aspirations générales. La suppression de la guerre n’est pas moins chimérique que la suppression des orages, et ne serait pas moins dangereuse, l’ultima ratio des peuples sera dans l’avenir comme par le passé le canon ! »

Comment trouvez-vous ce cerveau allemand, décrétant dangereuse la suppression de la guerre ?…

On peut soutenir que cette suppression, rêvée par toutes les âmes généreuses, est chose presque impossible eu égard à la nature imparfaite de l’homme,… mais la déclarer dangereuse,… il faut être aussi privé de sens moral qu’on l’est sur les bords de la Sprée pour oser soutenir pareille chose.

Nous comprenons qu’à la chute de l’empire romain, les aspirations générales des peuples encore barbares les aient portés à de longues et sanglantes guerres pour s’établir sur un coin de terre plus ou moins favorisé, y vivre et s’y développer, et que le penseur ne trouve rien là que de naturel ; mais, à notre époque, alors que de toutes parts les peuples demandaient à la paix et à la fraternité le progrès et le bonheur, alors qu’un vent de cosmopolitisme commençait à unir toutes les races dans l’amour de l’Humanité, légitimer, sous prétexte d’aspirations et d’expansions, le pillage à main armée, les guerres de race, et l’ambition des conquérants, c’est faire un retour complet à la barbarie, et c’est là, quoi qu’ils en aient, que marchent les Allemands.

Mais pour ces beaux exploits, la loi morale, que toutes les civilisations ont admise, sur les bords du Gange, de l’Euphrate, du Nil, du Jourdain, du Tibre et de la Seine, cette vieille loi morale, qui a parlé à la conscience de tous dans le passé et le présent, les gênait… ils l’ont abolie.

« La loi morale n’existe pas, s’écrie Max Stirner, tout se réduit à des lois physiques. »

Après tant de massacres et l’annexion de deux provinces contrairement à la volonté des habitants, il n’y avait, plus moyen de conserver le masque hypocrite du droit ; ce n’est pas plus difficile de supprimer le droit que la morale… Et toute l’Allemagne répète avec Schopenhauer :

« Le droit n’est que la mesure de la puissance de chacun. »

Vous êtes assez puissants pour vous emparer de la ferme et des troupeaux du voisin, vous avez le droit.

On croit rêver en lisant de pareilles folies.

À côté de ces esprits faux, qui raisonnent comme un syllogisme scolastique, sans s’inquiéter de l’absurdité des principes qu’ils posent, il y a les rêveurs qui ont la bière triste et qui considèrent la guerre comme une distraction à leurs vapeurs de brasserie.

Le docteur Vischer module ainsi son opinion avec une pointe de mélancolie qui sied bien à un enfant de la blonde Germanie :

« Une des manières les plus efficaces de secouer les angoisses de la vie, c’est de se mêler au mouvement fougueux de la guerre ; celui qui ne compte plus avec la vie, éprouve au milieu des images de la mort, qui l’assaillent de toutes parts, un réconfort intime, les nuages qui l’obsédaient se dissipent, et il jouit de la vie elle-même avec plus de plénitude et d’intensité. »

Voilà qui est entendu, quand vous éprouvez les angoisses de la vie, vous faites la chasse à l’homme et, après avoir expédié quelques-uns de vos semblables, vous éprouvez un réconfort intime, et vous jouissez de la vie avec plus d’intensité.

Ces ignominies sont tellement stupides que nous ne ferions qu’en rire, si elles n’étaient pas dirigées contre nous.

Pendant cinquante ans, les hommes d’État prussiens ont préparé la dernière guerre, en soufflant la haine de la France dans le cœur de leurs ilotes, de l’école primaire à l’Université… Ils préparent maintenant de nouveaux pillages et de nouvelles annexions, en pervertissant le sens moral des générations qui s’élèvent, et en leur enseignant que toute aspiration est légitime, du jour où l’on est assez fort pour la satisfaire.

Jusqu’à présent les peuples qui en appelaient aux champs de bataille, avaient soin de crier bien haut qu’ils ne se battaient que pour le droit et la justice ; la mauvaise foi s’ingéniait à mettre la raison de son côté ; cette hypocrisie même était un hommage rendu au bien… Mais les Allemands modernes ont changé tout cela, ils font la guerre pour conquérir, – lisez piller – et tout peuple doué d’une grande expansion, – lisez appétit – a le droit de dévorer son voisin qui, suivant l’expression de Schopenhauer, – n’a pas assez de puissance pour donner la mesure de son droit. –

Ils ont beau ne savoir se battre que cinq contre un, ces Tudesques aux pieds plats, détruire et ravager à faire honte aux Vandales ; on a beau savoir dans le monde entier que les choses se seraient passées autrement si nous avions combattu à nombre égal ; au lieu de dire : nous avons été vainqueurs parce que nous étions un million contre une poignée d’hommes, il faut qu’ils fassent de leurs incendies, de leurs massacres, de leurs victoires inespérées, le prix de leur supériorité absolue dans le domaine du progrès.

« La dernière guerre, dit Alexandre Ecker, nous a fourni la preuve que l’histoire des nations repose également sur des lois naturelles, et se compose d’une série de nécessités absolues, série dans laquelle la balance penche toujours du côté du progrès. »

De quel progrès ?

S’il s’agit du progrès dans l’espionnage, dans le perfectionnement des engins de destruction, dans l’oubli de toutes les lois d’humanité, de toute générosité, de toute grandeur d’âme, oh ! vous avez raison, professeur Alexandre Ecker, vous êtes en progrès.

Seulement ce progrès-là n’est qu’un retour en arrière : nos soldats s’étaient battus en Crimée et en Italie, en donnant la main à leurs ennemis ; nous étions en train de restreindre la guerre à une lutte courtoise, semblable à un duel de gentilshommes ; vous avez préféré les orgies des Cimbres et des Teutons. C’est affaire à vous, mais ne parlez pas de progrès, de ce progrès humanitaire qui rêve l’apaisement universel, et le règne du bien pour le bien… Vous faites honte à la race humaine quand vous prononcez ce mot.

Et puis, voyez-vous, le progrès que vous avez choisi, que vous avez préféré, est si facile à acquérir quand on a trente-six millions d’habitants, et qu’on paye le plus fort budget de la guerre du monde entier, que vous feriez mieux de ne point crier si fort, car, voyez-vous, Allemands ! on vous hait bien ici… et cependant rien qu’à la pensée que nos soldats pourraient un jour aller vous demander des comptes… nous sommes effrayés d’avance des pages que l’histoire de l’humanité aurait alors à enregistrer.

Henry Heine, qui connaissait bien ses compatriotes, a dit que le génie allemand pouvait se résumer dans ces deux mots :

Mysticisme et brutalité.

À ces deux qualités essentielles des Germains il faut joindre une fausseté d’esprit et de raisonnement telle, que l’idée la plus simple prend, dans leur cerveau, les formes les plus fantastiques et les plus absurdes.

Écoutez Strauss discourant de la république et de la monarchie.

« La république, dit ce philosophe, est rationnellement supérieure à la monarchie, et c’est précisément pour cela qu’il faut préférer la monarchie. Sans doute il y a dans la monarchie quelque chose d’énigmatique, d’absurde même en apparence, c’est en cela que consiste le secret de sa supériorité, tout mystère paraît absurde, et pourtant, sans mystère, rien de profond, ni la vie, ni l’art, ni l’État. »

Toute l’Allemagne se pâme devant ce galimatias.

Cela n’en vaut certes pas la peine, cependant, puisque ces gens-là en sont arrivés à ce point d’orgueil, de s’intituler constamment aujourd’hui dans leurs ouvrages les Éclaireurs, les Directeurs de l’Esprit humain, voyons ce que vaut un pareil langage, au simple point de vue du sens commun.

Le raisonnement de Strauss se compose de trois propositions principales, qui, en saine logique, portent en elles-mêmes la démonstration de leur propre fausseté.

Première proposition. – Il faut préférer la monarchie précisément parce que la république est rationnellement supérieure à la monarchie. Si les jugements de la raison ne sont pas le meilleur critérium de supériorité, où rencontrera-t-on ce critérium, puisque la raison est l’unique flambeau de l’humanité ?

Proclamer l’infériorité de ce que la raison déclare rationnellement supérieur, est le fait d’un cerveau malade et faussé. Il suffit de généraliser ce mode de raisonnement, pour comprendre quel degré inférieur il assigne à l’intelligence qui l’a conçu.

Exemple : L’instruction est rationnellement supérieure à l’ignorance, et c’est précisément pour cela qu’il faut préférer l’ignorance, etc…

Voilà la logique de Strauss.

On ne peut pas dire que je force la note et que ma proposition soit plus ridicule que celle-ci : – « La république est rationnellement supérieure à la monarchie, et c’est précisément pour cela qu’il faut préférer la monarchie… »

Deuxième proposition. – Il y a dans la monarchie quelque chose d’énigmatique, d’absurde même, en apparence, c’est en cela que consiste le secret de sa supériorité.

Le docteur Strauss divague de plus en plus.

Voilà maintenant que le secret de la supériorité de la monarchie sur la république, proclamée rationnellement supérieure par la première proposition, consiste en ce que la monarchie renferme en elle quelque chose d’énigmatique et d’absurde même, en apparence.

Donc la république, rationnellement supérieure à la monarchie, lui devient inférieure, parce qu’elle n’a pas comme elle quelque chose d’énigmatique et d’absurde.

Supérieure au point de vue de la raison, la république est inférieure au point de vue de l’énigmatique et de l’absurde.

Eh bien, alors… si la monarchie ne triomphe que par son absurdité… Mais passons. Voilà la profondeur allemande.

Troisième proposition. – Tout mystère paraît absurde, et pourtant, sans mystère, rien de profond, ni la vie ! ni l’art ! ni l’État ! Cette rêverie métaphysique est réellement merveilleuse, et, sans qu’on l’y oblige, cet Allemand nous déclare avec une certaine naïveté que pour être profond il faut être mystérieux et paraître absurde, puisque, d’après ses propres paroles, il n’y a rien de profond sans mystère et que tout mystère paraît absurde. N’est-ce pas également charmant d’entendre dire qu’il n’y a rien de profond, ni la vie, ni l’art, ni l’État, sans mystère et sans absurdité ?

À ce compte-là, l’esprit allemand doit être singulièrement profond.

Voilà comment un des coryphées de la philosophie tudesque repousse la république qu’il regarde comme rationnellement supérieure, pour admettre la monarchie qu’il traite d’énigmatique et d’absurde…

Et ce sont ces raisonneurs, qui n’ont plus aucun rapport avec le sens commun, qui se considère comme des élus appelés à diriger l’esprit humain ?…

En vérité, ce serait folie de croire que l’Humanité acceptera jamais une pareille direction, et perdre son temps que de leur répondre, si tout cela n’avait pas été combiné, imaginé au lendemain d’un triomphe passager, pour remplacer le droit et la moralité par la force brutale, légitimer le pillage, l’incendie des chaumières et les spoliations, rouvrir l’ère des invasions et des guerres de conquêtes, et, sous couleurs l’expansion des peuples, accomplir purement et simplement, en masse, l’œuvre du voleur de nuit qui, rapace et fainéant, s’en va piller l’épargne du travailleur et vider les coffres remplis par d’autres. Oui, ce serait perdre son temps que de s’occuper des rêvasseries de ces buveurs de bière, si leur but avoué n’était pas de mettre en coupe réglée le sang et les richesses de la France, si tout ne tendait pas à amener de nouveaux envahissements de la patrie…

Organisons-nous donc pour défendre ce vieux champ gaulois que nous cultivons depuis tant de siècles ; il a nourri nos pères, nous nous y sommes développés, il ne faut pas que nos enfants puissent dire que nous n’avons pas su défendre leur héritage, et puisque les Allemands les mains rouges de sang arborent le drapeau de la force, pour l’honneur de l’Humanité, ne laissons pas tomber le drapeau du droit.

Pour faire des hommes capables de soutenir cette cause, il faut abandonner résolument le passé, et marcher sans crainte à la démocratie honnête, modérée, progressive, la seule forme sociale qui puisse donner une énergie et une foi nouvelle à la France.

Le passé a eu ses heures de gloire, on n’y saurait ramener un peuple qui ne croit plus… D’un autre côté, un état social qui ne se maintient plus qu’à l’aide de formules surannées auxquelles on obéit sans les respecter, enfante le règne des doctrinaires, des sceptiques et des intrigants, ces oiseaux sinistres, précurseurs de la décadence.

Il nous faut donc une formule nouvelle, à laquelle on ait confiance, qui enfante des dévouements, des abnégations, de grandes honnêtetés.

À l’ère sacerdotale le progrès substitua l’ère monarchique ; à l’ère monarchique, le progrès doit substituer l’ère démocratique.

Ce n’est pas que l’évolution commencée par les grands penseurs du XVIIIe siècle doive s’accomplir en un jour.

Le temps respecte peu ce qu’on a fait sans lui.

Mais il faut nous engager résolument dans la seule voie qui nous reste ouverte pour ne pas devenir comme les Indous, les Chaldéens, les Égyptiens et les Grecs, un peuple historique.

Les nations qui résistent au mouvement général de l’Humanité sont emportées dans la tourmente, les soldats qui s’attardent sont tués par l’ennemi.

La réforme la plus importante à faire est celle de l’instruction publique ; c’est par ce vœu que j’ai commencé ces pages, c’est par lui que je veux terminer.

Ce n’est pas ici le lieu de présenter un programme.

La liberté et un état démocratique engendreront une instruction démocratique et libre.

Nous avons vu ce que sont les tendances du génie allemand, réduire l’homme à l’état de rouage inconscient, supprimer toute liberté, toute individualité, n’étudier que des forces physiques et nier les forces morales, ne voir le mouvement qu’au point de vue de l’ensemble, faire l’âme esclave de la vie matérielle, mener les nations comme une immense machine, réduire à l’état d’engrais l’homme qui meurt et les civilisations qui s’écroulent, nier la cause universelle et supprimer Dieu, tel est le dernier état de la science dont les Germains se sont faits les apôtres, science absolue suivant eux, et qui serait le dernier mot de la vérité.

Le dernier mot, pauvres gens !… Chaque école, chaque secte, chaque siècle a prétendu le dire.

Il y a huit ou dix mille ans, peut-être plus, que Kapila, le grand sceptique indou, qui fut le père de Pyrrhon et l’aïeul de Spinosa, sapant l’autorité des Védas, s’exprimait ainsi :

 

« Il n’y a pas d’autre dieu que la matière et les forces infinies de transformation qu’elle renferme dans son sein. Le sage Manou fait partir la vie de la goutte d’eau ; suivant lui, les espèces s’élèvent en profitant des qualités de celles qui les précèdent, le sommet de la transformation pour chaque être est la mort, et l’individu disparaît au profit de l’ensemble. L’homme, en particulier, compte pour si peu, que rien même ne peut lui démontrer sa propre existence et celle de la nature. Peut-être que ce que nous regardons comme l’univers, et les divers êtres qui paraissent le composer, n’ont rien de réel, et ne sont que le produit d’une illusion – maya – continue de notre volonté. »

NISMIMNAMANAHAMJe ne suis en rien.Rien n’est en moiLe moi-même n’est pas

En citant ces paroles de Kapila, deux textes, l’un de Schopenhauer et l’autre de Schelling viennent chanter dans ma mémoire.

Schopenhauer a dit :

« La nature est l’illusion infinie de la volonté. » Schelling, exprimant la même idée, mais, comme tout bon Allemand, en la rendant plus nuageuse et plus incompréhensible encore, répond :

« La nature est le miroir magique de l’intelligence. »

Le rapprochement est sensible :

« Peut-être que ce que nous regardons comme l’univers, et les divers êtres qui paraissent le composer, n’ont rien de réel et ne sont que le produit d’une illusion continue de notre volonté. »

(KAPILA)

N’est-il pas curieux de voir ces philosophes des bords de la Sprée, qui prétendent diriger l’humanité vers des sentiers nouveaux, se borner à copier les rêveries des vieux philosophes des bords du Gange ?

Eh bien, non, l’Allemagne aura beau faire, elle ne fera pas reculer le monde par ses idées. Elle aura beau ramener la science au matérialisme antique, supprimer les forces morales et le droit, nous ne la suivrons pas sur ce chemin usé à force d’avoir été battu, bien qu’elle le présente comme un sentier nouveau. Il ne se peut pas que le monde ait travaillé, pensé, étudié pendant des milliers d’années, et ne puisse arriver, pour tout résultat, qu’à renier ses conquêtes, qu’à chercher le vrai dans la poussière du passé sacerdotal ou barbare, qu’à rééditer Kapila et Pyrrhon, qu’à recommencer l’épopée d’Attila.

Au moins ce dernier, quand il saccageait Rome, n’avait pas auprès de lui son Schopenhauer, son Strauss ou son Max Stirner, pour excuser métaphysiquement ses fureurs et lui dire :

Ce qui règne, c’est la force et non le droit.

Le droit n’est que la mesure de puissance de chacun.

Que m’importe le droit, je n’en ai pas besoin, quand je puis acquérir par la force.

Je suis le plus fort ; ne venez pas vous pavaner avec votre droit imprescriptible, etc…

Le reître antique n’avait pas, comme le reître moderne, son docteur Vischer, pour lui conseiller de secouer les angoisses de la vie, par le spectacle des incendies de Bazeilles et de Châteaudun, et des crimes de ses lansquenets ivres…

 

Sur le terrain de cette science prétendue nouvelle qui conduit à la négation des forces morales, nous n’aurons pas malheureusement à lutter qu’avec les tentatives allemandes.

Il y a chez nous, également, un certain nombre de gens qui ont la prétention de jeter les bases définitives de la véritable science, en supprimant toute loi, toute force morale, au profit des forces physiques et purement matérielles auxquelles ils ramènent tous les phénomènes de l’existence. Tout se réduit pour eux aux combinaisons diverses de la matière, et aux lois mécaniques qui régissent ces combinaisons. La psychologie, ou science de l’âme, est remplacée par la physiologie, ou science des forces. Le droit et le devoir ne sont que des faits d’agrégation sociale, n’ayant en dehors de cela aucun caractère obligatoire. La vie n’est plus qu’un phénomène mécanique se perfectionnant graduellement, allant du simple au composé, du minéral à la plante, de la plante à l’animal et de l’animal à l’homme.

Tout : mouvement, pensée, jugement, mémoire, intelligence, naît de la matière qui s’organise elle-même, qui à elle seule est le moule, la pâte et l’ouvrier. La mort est une transformation matérielle qui fait disparaître l’individualité de l’être. C’est en vain que la statue a marché, pensé, aimé, cru, voulu ; en vain qu’elle a eu des notions infinies… Elle retombe dans l’immense creuset où la matière se broie elle-même sans cesse pour se donner l’être. Sa vie, son âme, n’étaient que des phénomènes physico-chimiques.

Cette théorie qui, à l’encontre des Allemands, fait naître le droit, la morale, le devoir, le bien, des penchants naturels de l’homme et des relations sociales, n’arrive pas à un résultat meilleur. Qu’est-ce que le droit, qu’est-ce que le devoir, réduits à l’état de phénomènes physiques ?… Et comment ferez-vous respecter ce droit et ce devoir sans faire constamment appel à la force ?

Les Allemands, plus logiques, ont supprimé la morale, le droit et le devoir ; il n’y a plus que des luttes de forces physiques, et des aspirations qui se légitiment par la réussite… La réussite est le seul critérium qu’ils invoquent pour prouver que les forces naturelles ont été régulièrement mises en mouvement suivant les lois qui les régissent. Exemples : Vous retournez un champ, vous l’ensemencez, vous le sarclez et l’arrosez, la récolte est abondante… c’est une preuve que vous avez suivi fidèlement les lois naturelles auxquelles sont soumises les transformations des plantes. Dans le cas contraire, les plantes n’eussent ni germé, ni produit.

Vous vous jetez avec une armée nombreuse sur une contrée qui, par sa richesse, excite vos convoitises, les habitants de ce pays, non préparés, ne peuvent se défendre, vous les écrasez sous le poids du nombre et vous rentrez chez vous chargés d’objets précieux et d’importantes dépouilles…

C’est une preuve que vous n’avez blessé en rien les lois purement physiques qui régissent les rapports des nations entre elles, car dans ce cas vous eussiez été vaincus… l’homme obéit aussi fatalement aux lois naturelles que les animaux et les plantes.

C’est avec de pareils raisonnements que Schopenhauer, aux applaudissements de toute l’école allemande, a pu écrire cette phrase que nous avons déjà citée :

« Dans le monde de l’homme comme dans le monde animal, ce qui règne, c’est la force et non le droit, le droit n’est que la mesure de la puissance de chacun. »

Les philosophes français de l’école positiviste, en faisant naître le droit du fait, au lieu d’apprécier le fait par le droit, arrivent au même résultat que les Allemands. Le droit n’est plus que le phénomène accompli, que le fait réussi.

À la maxime célèbre par sa brutalité : la force prime le droit, les positivistes ne savent que répondre, car en ne voyant dans le droit et le devoir que des phénomènes biologiques, ils n’ont rien à opposer aux théories de la force.

Nous aurons, au cours de ce volume, à étudier l’origine de cette philosophie dite nouvelle, et qui n’est que la copie du naturalisme indou que les brahmes de l’école de Kapila enseignaient déjà aux rives du Gange, aux époques anciennes où l’Europe actuelle n’était encore que le pays du renne et des glaciers. En Allemagne comme en France, cette philosophie conduit à la négation de l’Être suprême. Il nous paraît utile de sonder le terrain sur lequel un petit groupe de savants voudraient faire rencontrer ces deux irréconciliables ennemis…

Ils auront beau faire, la patrie du bon sens et de la simplicité philosophique, la patrie de Voltaire, ne tombera jamais dans le mystère, l’énigmatique et l’absurde, bien que, sans ces différentes qualités toutes germaines, il n’y ait, suivant Strauss et consorts, rien de profond, ni dans la vie, ni dans l’art, ni dans l’État.

À genoux devant ce caporal prussien qui, suivant l’expression de Henry Heine, frappe ses hommes avec son bâton de caporal trempé dans l’eau bénite, le docteur Bluntschli, d’Heidelberg, depuis la guerre de 1870, n’a pas assez de lyrisme dans la voix pour célébrer le droit de conquête et le triomphe de la force.

Quelques mois avant, le même homme écrivait ce qui suit, dans son livre « du Droit international, » art 289 :

« L’humanité se fait de nos jours une autre idée du droit et répudie le droit de conquête.

La conquête est un acte de violence, et non un acte légal.

La conquête, le fait de mettre un territoire sous la domination physique du vainqueur, n’a pas le pouvoir de créer un droit nouveau, elle peut tout au plus donner un droit temporaire pendant une guerre.

Pour qu’une conquête puisse engendrer des droits, il faut qu’un des éléments constitutifs du droit vienne s’ajouter au fait de la suprématie du vainqueur… Le traité de paix doit être suivi de la reconnaissance par les populations du changement opéré. » À la même époque, l’éminent jurisconsulte français, Achille Morin, disait à son tour :

« Produit de la force ou du succès, la conquête n’est pas un droit et ne saurait, par elle seulement, créer un droit définitif ; c’est plutôt la négation du droit ; l’accouplement des mots droits et conquêtes est donc un contresens.

S’il fut admis autrefois que la conquête était un moyen d’acquisition de la souveraineté, c’était dans la supposition qu’il n’y avait pas de droit antérieur absolu, ou bien comme conséquence des entraînements de la guerre, tels qu’on les comprenait alors… Actuellement, il s’agit, non plus d’une question d’intérêt ou d’utilité pour un peuple vis-à-vis d’un autre, mais bien d’une question de principe, de justice et de droit international entre nations civilisées, ayant leurs droits respectifs, et leurs possessions acquises réciproquement garanties. Sur ce terrain la guerre étant encore permise, on peut bien admettre que l’occupation militaire donne certains droits au pouvoir, mais en tant que nécessités par les opérations et seulement temporaires ; et si l’occupation persistait, ce serait une domination usurpatrice, suivant les expressions du jurisconsulte allemand Heffter. »

Ainsi, avant la dernière invasion germaine, les savants des deux pays étaient d’accord pour admettre le droit et flétrir la force, et ce n’est pas une raison, parce que les philosophes et les jurisconsultes allemands se sont disciplinés sous le sabre prussien, pour que les penseurs de la France abandonnent les saines traditions du vrai, du juste et du bien, et se mettent à la remorque des Blountschli, des Schopenhauer, des Strauss et des Max Stirner.

Libre à ces gens-là d’ériger en droit, au moyen d’un fatalisme résultant de forces naturelles irrésistibles, la barbarie de leurs compatriotes, pour n’avoir pas à en rougir ; notre conduite doit être toute autre, car nous croyons au progrès dans l’Humanité, par la moralité, le devoir et l’honneur, et nous ne devons pas nous laisser surprendre par ce grossier trompe-l’œil qui consiste à nier la double nature dans l’homme, et à soumettre les forces intellectuelles aux mêmes lois qui régissent les forces physiques.

Où donc les positivistes ont-ils pris le droit de nous interdire l’étude des phénomènes de la conscience et des spéculations de la raison ? Est-ce dans la méthode expérimentale qu’ils ont puisé ce dogmatisme négatif qui leur fait repousser a priori la réalité des faits psychologiques ? Mais la méthode expérimentale qui s’applique aux sciences physiques et naturelles n’a pas le droit de se mouvoir en dehors de son domaine ; la métaphysique ne saurait être justiciable de ses arrêts…

Substituer sans raison un système à un autre n’est pas une preuve de progrès, et il ne faut se donner ni comme des flambeaux de vérité, ni comme des disciples de la philosophie de l’avenir, parce qu’à l’âme et à Dieu on aura substitué des forces matérielles, et qu’on aura remplacé une métaphysique spiritualiste par une métaphysique matérialiste, un Dieu esprit par un Dieu matière.

Ainsi que je le disais plus haut, nous avons besoin de faire des hommes, des citoyens, des soldats, non parce que la guerre, ce jeu de princes, est un progrès, non parce qu’il serait dangereux de la supprimer, suivant l’expression de Strauss, mais parce que les Germains rêvent la conquête et l’anéantissement définitif de la patrie, que toutes leurs forces, toutes leurs pensées, tous leurs moyens d’action sont tournés vers ce but, et qu’il faut nous défendre et renvoyer, une fois pour toutes, ces hordes à leur pain noir et à leurs plaines arides du Brandebourg et de la Poméranie.

Ces hommes dignes de ce nom, ces citoyens, ce n’est pas avec les nouvelles doctrines philosophiques de l’Allemagne que nous les ferons, et nos comptes une fois réglés, la France devra reprendre la grande mission civilisatrice qu’elle s’est donnée, abdiquer tout esprit de conquête, proscrire le brigandage international, partant prêter son appui au droit contre la force, et tenir haut le drapeau du devoir, de la moralité et de la liberté, sans lequel il n’y aurait plus dans le monde que la brutalité allemande ou le fatalisme oriental…

 

Comme ses aînés, ce livre est plutôt l’histoire du passé que du présent. Au milieu des luttes actuelles, nous aimons à nous retirer sous les ombrages mystérieux qui entourent les ruines des vieux temples indous, à faire parler les traditions anciennes, à demander aux pundits et aux brahmes savants leurs leçons, à rechercher les origines de tous ces systèmes philosophiques qui se partagent aujourd’hui le monde, à suivre à travers les âges le développement de ce droit et de ces forces morales, que les sectaires religieux ou les conquérants fanatiques ont de tout temps cherché à anéantir dans l’Humanité. Heureux si le modeste édifice que nous cherchons à construire peut dissiper quelques nuages, exhumer quelques vérités enfouies dans la poussière des civilisations disparues !

PREMIÈRE PARTIELes préjugés de la science officielle

On ne peut par aucune opération de l’intelligence acquérir la notion de choses qui n’existent pas.

Si Dieu, l’infini et l’Âme humaine n’étaient pas des réalités, la conscience n’aurait pu en concevoir l’idée.

(Extrait des Sastras.)

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« … L’eau s’élève vers le soleil en vapeurs, du soleil elle descend en pluie, de la pluie naissent les végétaux alimentaires, et de ces végétaux, les animaux.

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Chacun des êtres acquiert les qualités de ceux qui le précèdent, de sorte que plus un être est éloigné dans la série et plus il a de qualités.

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L’homme passera, en s’élevant successivement, par les végétaux, les vers, les insectes, les poissons, les serpents, les tortues, les animaux sauvages et les bestiaux : tel est le degré inférieur.

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Telles ont été déclarées, depuis les végétaux jusqu’à Brahma, les transformations qui ont lieu dans ce monde. »

(MANOU.)

« La terre est, comme tous les corps lumineux qui nous entourent, un des atomes d’un tout immense dont nous avons la notion sous le nom d’infini. »

(TCHARAKA, médecin indou.)

Environ cinq mille ans avant notre ère.

USA.– Traité de l’origine des choses.

CHAPITRE PREMIERLes Indous furent-ils imitateurs des peuples anciens ?

La bibliothèque d’Alexandrie contenait sept cent mille rouleaux ou volumes. Là était toute la science, toute la sagesse antique.

Un brandon jeté par les soldats de César en quelques instants eut réduit en poussière tous les souvenirs, toutes les traditions, accumulés depuis des milliers d’années. Ce sont là services de conquérants… et loin qu’ils vous fassent attacher au pilori de l’humanité, ils vous valent au contraire des couronnes de laurier, tressées par la reconnaissance des peuples et la main de l’histoire. Nous n’avons plus en France, il est vrai, le respect des incendiaires et l’admiration des tueurs d’hommes, nous ne regardons plus la guerre comme le viril passe-temps des rois, mais comme un horrible fléau qui n’a son excuse que dans la défense de la patrie… et malgré le triste réveil qui attendait nos rêves humanitaires, nous ne changerons pas d’opinion sur le compte de ces fléaux de Dieu, dont le plus clair de la besogne a toujours été de faire reculer de plusieurs siècles la civilisation. Cependant, combien de peuples raisonnent ainsi ? Tous les aventuriers du sabre n’ont pas encore disparu de la terre, il faut songer à nos immenses dépôts artistiques, littéraires et philosophiques, et veiller à ce qu’ils n’aient pas un jour, sous l’effort de la convoitise germanique, le même sort que la bibliothèque d’Alexandrie. Que de trésors à jamais enfouis ! que de secrets perdus pour le monde ! et tout cela parce que ni César ni Pompée ne voulurent accepter la seconde place dans Rome.

« Les anciens Asiatiques, – dit Moïse de Chorène, cinq siècles avant notre ère – et spécialement les Indous, les Perses et les Chaldéens, possédaient une foule de livres historiques et scientifiques. Ces livres furent partie extraits, partie traduites en langue grecque, surtout depuis que les Ptolémées eurent établi la bibliothèque d’Alexandrie et encouragé les littérateurs par leurs libéralités, de manière que la langue grecque devint le dépôt de toutes les sciences… »

(MOÏSE DE CHORÈNE, Histoire d’Arménie.)

La Perse et la Chaldée, colonies de l’Inde, étaient restées en communication constante avec la mère patrie, et la suivaient dans son mouvement littéraire et scientifique.