La Henriade - Ligaran - E-Book

La Henriade E-Book

Ligaran

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Beschreibung

Extrait : "Je chante ce héros qui régna sur la France, Et par droit de conquête et par droit de naissance ; Qui par de longs malheurs apprit à gouverner, Calma les factions, sut vaincre et pardonner, Confondit et Mayenne, et la Ligue, et l'Ibère, Et fut de ses sujets le vainqueur et le père. Descends du haut des cieux, auguste Vérité ! Répands sur mes écrits ta force et ta clarté : Que l'oreille des rois s'accoutume à t'entendre."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARANLes éditions Ligaran proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. Ligaran propose des grands classiques dans les domaines suivants : • Livres rares• Livres libertins• Livres d'Histoire• Poésies• Première guerre mondiale• Jeunesse• Policier

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EAN : 9782335091199

©Ligaran 2015

Avertissements
Avertissement pour la présente édition

L’Avertissement de Beuchot, la Préface de Marmontel et les autres préambules qu’on trouvera plus loin, donnent tous les renseignements que peut souhaiter le lecteur sur la composition, la publication de la Henriade, et sur l’accueil que ce poème reçut en son temps. Nous n’avons donc que des particularités à y ajouter, ou des appréciations plus modernes à faire connaître.

Le dernier écrivain qui ait parlé de la Henriade avec quelque autorité et quelque étendue, M. Villemain, dans le Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle, a su rendre justice à cette grande composition poétique, sans taire ce qui a manqué à l’auteur pour réaliser l’objet de son ambition.

« Lorsque j’entrepris cet ouvrage, dit Voltaire quelque part, je ne comptais pas le pouvoir finir, et je ne savais pas les règles du poème épique. » – « J’ignore, reprend M. Villemain, s’il les apprit plus tard, et quelles sont ces règles. Qu’un poème épique commence par le milieu, et que l’exposition vienne après, dans un récit,

In medias res,
Haud secus ac notas, auditorem rapit,

cet ordre peut plaire dans l’Énéide ; mais ce n’est pas plus une règle que le songe ou le récit de nos tragédies. Voltaire, d’ailleurs, ne s’est que trop conformé à ces usages, à ces routines épiques dont il affecte l’ignorance. C’est le défaut même de la Henriade de ressembler à tout ce qui précédait, et surtout à l’Énéide ; d’avoir une tempête, un récit, une Gabrielle quittée comme Didon, une descente aux enfers, un Élysée, une vue anticipée des grandeurs et des maux de la patrie, et même un Tu Marcellus eris, qui s’applique au Dauphin. La chose dont aurait dû s’inquiéter Voltaire, ce ne sont pas les règles prescrites à l’épopée, mais les conditions sociales qui lui permettent de naître…

« La philosophie répandue dans la Henriade est, au fond, la plus grande beauté de l’ouvrage. C’est la seule chose qui vienne naturellement au poète, qu’il sente et qu’il croie. Tout le reste, voyages, batailles, combats singuliers, exploits de héros, est pour lui une sorte de cérémonial épique dont il s’ennuie, et qu’il abrège le plus qu’il peut. Mais, par cela même, il le rend d’un médiocre intérêt pour le lecteur ; tandis que la description précise du système planétaire jusqu’au vers admirable :

Par-delà tous les cieux le Dieu des cieux réside ;

le tableau de la grandeur anglaise fondée sur la liberté, le commerce et les arts ; la satire éloquente de Rome catholique, d’autres traits dans la manière de Tacite pour peindre une cour digne de Néron, voilà les grandes beautés poétiques de la Henriade… On y peut noter mille défauts cachés sous l’élégance, y relever des vers faibles, de nombreux plagiats de style, un chant d’amour sans passion, des personnages sans drame. Il n’importe : une part d’originalité est acquise à la Henriade et la conservera dans l’avenir…

La Henriade, soutenue par le nom de Voltaire et de Henri, traversera les siècles. Elle n’a pas enrichi le trésor de l’imagination ; elle n’apporte pas avec elle quelques-unes de ces physionomies que le poète ajoute à la liste des êtres qui ont vécu : une Béatrix, une Clorinde, une Armide, un Renaud, un Tancrède. Souvent même elle n’a pas égalé l’histoire ; elle est au-dessous des faits. L’ingénieuse élégance du XVIIIe siècle ne pouvait rendre, avec leur expressive rudesse, les mœurs de la Ligue, et Voltaire dédaigne et flétrit ces temps, plutôt qu’il ne les décrit, dans leur sanguinaire grandeur. Mais il a de beaux mouvements de poésie, et il est inspiré par un sincère amour de l’humanité. Son poème est, après tout, une œuvre durable. Le feu du génie n’y brille que par intervalles ; mais une civilisation élevée, un art ingénieux s’y fait partout sentir.

Quelle beauté, quelle majesté triste et sévère dans ce début du troisième chant !

Quand l’arrêt des destins eut, durant quelques jours,
À tant de cruautés permis un libre cours,
Et que des assassins, fatigués de leurs crimes,
Les glaives émoussés manquèrent de victimes,
Le peuple, dont la reine avait armé le bras,
Ouvrit enfin les yeux, et vit ses attentats.

Comme la pensée philosophique se mêle à l’intérêt du récit dans ce vers :

Aisément sa pitié succède à sa furie !

Quelle vérité de pensée et quel coloris dans la peinture un peu anticipée des Anglais !

Ils sont craints sur la terre, ils sont rois sur les eaux ;
Leur flotte impérieuse, asservissant Neptune,
Des bouts de l’univers appelle la fortune.
Londres, jadis barbare, est le centre des arts.
Le magasin du monde, et le temple de Mars.
Aux murs de Westminster on voit paraître ensemble
Trois pouvoirs étonnés du nœud qui les rassemble.

Combien cet ordre d’idées et d’images était nouveau dans notre poésie ! Le grand Corneille avait admirablement traduit, sur la scène, le génie de Rome républicaine et les époques du despotisme romain ; mais la politique moderne, les institutions, les lois de l’Europe, étaient matière inconnue de la poésie. Voltaire fit servir la poésie aux vérités sérieuses de la vie sociale.

Telle est la Henriade, monument d’un art ingénieux et d’une époque florissante. Elle a fait mieux connaître un grand roi dont la gloire était restée dans l’ombre pendant la longue apothéose de Louis XIV régnant. Bossuet, à la vérité, dans une lettre de direction, disait à Louis XIV d’admirables choses sur la bonté de cœur de Henri et son amour du peuple ; mais c’était un éloge secret. La chaire chrétienne, les grands écrivains du XVIIe siècle parlaient peu de Henri. Je ne sais s’ils lui avaient encore pardonné son hérésie. Voltaire le premier fit briller ce nom d’un éclat nouveau, et en opposa les bienfaisants souvenirs à la gloire onéreuse du dernier règne.

Le succès fut grand et retentit dans toute l’Europe. La Henriade fut critiquée, vantée, réimprimée sans cesse. Le roi de Prusse voulut en être l’éditeur, et, dans une préface admirative, la mit à côté de l’Énéide.

La postérité a réduit beaucoup cette louange ; mais la Henriade, sans être une création originale, conserve un caractère distinct et une place à part parmi tant d’essais d’épopée.

Une revue anglaise, après un examen fort attentif d’un poème épique nouveau, couronnait ses critiques et ses éloges par ces mots :

"À tout prendre, le poème épique dont nous venons de donner l’analyse est un des meilleurs qui aient paru dans l’année. " Tel est le fleuve d’oubli qui emporte les épopées modernes. Le Léonidas de Glover, la Colombiade du poète américain, les épopées italiennes de nos jours, sont déjà bien loin : la Henriade ne passera pas de même ; elle a la marque d’une époque et d’un génie.

Voltaire en avait fait le premier instrument de sa mission philosophique ; il y avait employé la poésie, surtout à plaire à l’opinion ; il y avait gravé, en beaux vers, des principes de liberté politique et religieuse. Ce qui faisait la nouveauté hardie de l’ouvrage en est encore la beauté sérieuse et dernière. »

Voltaire, jusqu’à la fin de sa vie, fut avant tout l’auteur de la Henriade. C’était son titre poétique. Lorsqu’il fit exécuter par un peintre genevois le tableau qui est encore à Ferney : le Triomphe de Voltaire, il y était représenté offrant sa Henriade à Apollon, en présence de ses ennemis fouettés par les Furies. Il fut préoccupé sans cesse d’assurer à cette œuvre capitale toutes les garanties de popularité durable que les arts réunis peuvent procurer. Il aurait voulu qu’elle fût exécutée même en tapisserie. « Vous allez donc, mon cher ami, écrit-il à l’abbé Moussinot, dans le royaume de M. Oudry ? Je voudrais bien qu’un jour il voulût bien faire exécuter la Henriade en tapisserie ; j’en achèterais une tenture : il me semble que le temple de l’Amour, l’assassinat de Guise, celui de Henri III par un moine, saint Louis montrant sa postérité à Henri IV, sont d’assez beaux sujets de dessin. Il ne tiendrait qu’au pinceau d’Oudry d’immortaliser la Henriade. Il faut que vous fassiez encore cette affaire. »

Le 16 novembre il revient sur ce sujet :

« Oudry est bien cher ; mais, en faisant faire deux tentures, ne pourrait-on avoir meilleur marché ? Si M. de Richelieu me paye, il faudra mettre là mon argent. Le visage de Henri IV et celui de Gabrielle d’Estrées en tapisserie ne feront pas mal. Les bons Français voudront avoir de ces tapisseries-là, surtout si les bons Français sont riches. Je pourrais même en faire faire trois tentures. »

Le lendemain :

« Si Boucher voulait venir travailler à Cirey, dit-il, nous lui ferions faire cinq tableaux de la Henriade. Ensuite, quinze aunes de courre en tapisserie coûteraient environ sept mille francs, et quinze cents francs ou deux mille francs pour le peintre. Le tout ne reviendrait peut-être pas à dix mille francs ; mais nous en raisonnerons plus à fond. » Le 24 : « Je reviens aux tapisseries de la Henriade. Trente-cinq mille livres, c’est beaucoup. Il faudrait savoir ce que la tapisserie de Don Quichotte a été vendue. D’ailleurs je ne veux pas qu’on suive les estampes : il faut d’autres dessins. » Voltaire n’y renonça pas sans peine. Il n’avait pas pris un moindre souci des estampes qui devaient orner la première édition de son poème. Il avait lui-même indiqué à Coypel, à Detroy et à Galloche les illustrations à faire à la Henriade, alors en neuf chants :

(Coypel.)

« À la tête du poème, Henri IV, au naturel, sur un trône de nuages, tenant Louis XV entre ses bras et lui montrant une Renommée qui tient une trompette où sont attachées les armes de France :

Disce, puer, virtutem ex me verumque laborem.

Énéide, XII, v 435.

PREMIER CHANT.

(Galloche.)

Une armée en bataille ; Henri III et Henri IV s’entretenant à cheval à la tête des troupes ; Paris dans l’éloignement ; les soldats sur les remparts ; un moine sur une tour, avec une trompette dans une main et un poignard dans l’autre.

DEUXIÈME CHANT.

(Galloche.)

Une foule d’assassins et de mourants ; un moine en capuchon, un prêtre en surplis, portant des croix et des épées ; l’amiral de Coligny qu’on jette par la fenêtre ; le Louvre, le roi, la reine mère et toute la famille royale sur un balcon, une foule de morts à leurs pieds.

TROISIÈME CHANT.

(Detroy.)

Le duc de Guise au milieu de plusieurs assassins qui le poignardent.

QUATRIÈME CHANT.

(Galloche.)

Le château de la Bastille dont la porte est ouverte ; on y fait entrer les membres du parlement deux à deux. Trois Furies, avec des habits semés de croix de Lorraine, sont portées dans les airs sur un char traîné par des dragons.

CINQUIÈME CHANT.

(Detroy.)

Jacques Clément, à genoux devant Henri III, lui perce le ventre d’un poignard ; dans le lointain, Henri IV, sur un trône, reçoit le serment de l’armée.

SIXIÈME CHANT

(Coypel)

Henri IV armé, endormi au milieu du camp ; saint Louis, sur un nuage, mettant la couronne sur la tête de Henri IV, et lui montrant un palais ouvert ; le Temps, la faux à la main, est à la porte du palais, et une foule de héros dans le vestibule ouvert.

SEPTIÈME CHANT.

(Detroy.)

Une mêlée au milieu de laquelle un guerrier embrasse en pleurant le corps d’un ennemi qu’il vient de tuer ; plus loin, Henri IV entouré de guerriers désarmés, qui lui demandent grâce à genoux.

HUITIÈME CHANT.

(Coypel.)

L’Amour sur un trône, couché entre des fleurs, des Nymphes et des Furies autour de lui ; la Discorde tenant deux flambeaux, la tête couverte de serpents, parlant à l’Amour qui l’écoute en souriant ; plus loin, un jardin où on voit deux amants couchés sous un berceau ; derrière eux un guerrier qui paraît plein d’indignation.

NEUVIÈME CHANT.

(Galloche.)

Les remparts de Paris couverts d’une multitude de malheureux que la faim a desséchés, et qui ressemblent à des ombres ; une divinité brillante qui conduit Henri IV par la main ; les portes de Paris par terre ; le peuple à genoux dans les rues. »

Tout cela, par malheur, fut assez médiocrement exécuté. Il n’en était pas moins intéressant, il nous semble, de placer ces « idées de dessins » dans les préambules de la Henriade, car elles font bien voir les traits essentiels que l’auteur voulait dès lors faire ressortir dans son poème.

Louis MOLAND.

Avertissement de Beuchot

Voltaire lui-même dit qu’il « commença la Henriade à Saint-Ange, chez M. de Caumartin, intendant des finances, après avoir fait Œdipe, et avant que cette pièce fût jouée ». On sait, par une note du Commentaire historique, qu’Œdipe était achevé en 1743 ; mais cette tragédie ne fut jouée qu’en 1718. C’est donc dans cet intervalle de cinq ans que fut conçue la Henriade.

Voltaire, que ses parents, à son retour de Hollande, avaient forcé d’entrer chez un procureur, fut bientôt dégoûté du métier ; et M. de Caumartin obtint de son père la permission d’emmener à Saint-Ange le jeune Arouet. Le père de Caumartin, qui s’y trouva, avait, dans sa jeunesse, vécu avec des seigneurs de la cour de Henri IV et des amis de Sully. Les récits qu’il faisait à Voltaire eurent bientôt enflammé l’imagination du poète, qui résolut d’être le chantre de Henri. C’est une tradition reçue, consacrée, que, pendant sa détention à la Bastille, en 1716, Voltaire composa le second chant de son poème. On peut donc faire remonter à 1715 l’idée première de la Henriade. L’auteur avait vingt et un ans.

Il était assez naturel de dédier le poème au roi de France, qui était le cinquième descendant de Henri IV. Voltaire pouvait espérer que son ouvrage serait imprimé à l’Imprimerie royale. Il faisait graver des planches d’après ses idées et les dessins de Coypel, Galloche, et Detroye. La dédicace était, au moins en grande partie, rédigée, lorsqu’un refus inconcevable dérangea tous les projets du poète. Ce qui de cette dédicace a échappé à la destruction n’a été publié qu’en 1821. Ce n’est qu’un fragment, mais il est étendu. Il ne peut être mis à la tête d’une édition, mais je dois le conserver comme monument. Le voici :

« Sire, tout ouvrage où il est parlé des grandes actions de Henri IV doit être offert à Votre Majesté. C’est le sang de ce héros qui coule dans vos veines. Vous n’êtes roi que parce qu’il a été un grand homme, et la France, qui vous souhaite autant de vertus et plus de bonheur qu’à lui, se flatte que le jour et le trône que vous lui devez-vous engageront à l’imiter.

Henri IV était, de l’aveu de toutes les nations, le meilleur prince, le maître le plus doux, le plus intrépide capitaine, le plus sage politique de son siècle. Il conquit son royaume à force de vaincre et de pardonner. Après plus de cent combats sanglants et plus de deux cents sièges, il se vit enfin maître de la France, mais de la France désolée et épuisée d’hommes et d’argent ; les campagnes étaient incultes, les villes désertes, les peuples misérables. Henri IV en peu d’années répara tant de ruines ; et parce qu’il était juste et qu’il savait choisir de bons ministres, il rétablit l’ordre dans l’État et dans les finances ; il sut en même temps enrichir son épargne et ses peuples.

Heureux d’avoir connu l’adversité, il compatissait aux malheurs des hommes, et il modérait les rigueurs du commandement que lui-même il avait ressenties.

Les autres rois ont des courtisans, il avait des amis ; son cœur était plein de tendresse pour ses vrais serviteurs. Il écrivit au fameux Duplessis-Mornay, qui avait reçu un outrage : « Comme votre roi, je vous ferai justice ; et comme votre ami, je vous offre mon épée. » Plusieurs Français gardent avec un respect religieux quelques lettres écrites de sa main, monument de sa justice et de sa bonté. Une à M. de Caumartin, depuis garde des sceaux, commençait par ces mots : Euge, serve bone et fidelis ; quia supra pauca fuisti fidelis, supra multa te constituant. « Courage, bon et fidèle serviteur ; puisque vous m’avez bien servi dans les petites choses, je vous en confierai de plus importantes. »

Tout le monde connaît celle qu’il écrivit au duc de Sully au sujet des habitants des vallées de la Loire, ruinés par les débordements de cette rivière :

Pour ce qui touche la ruine des eaux, Dieu m’a donné mes sujets pour les conserver comme mes enfants ; que mon conseil les traite avec charité. Les aumônes sont agréables à Dieu, particulièrement en cet accident ; j’en sentirais ma conscience chargée ; que l’on les secoure de tout ce qu’on jugera que je le pourrai faire. »

« Ce roi, qui aimait véritablement ses sujets, ne regarda jamais leurs plaintes comme des séditions, ni les remontrances des magistrats comme des attentats à l’autorité souveraine. Quelquefois son conseil prit des moyens odieux pour rétablir les finances. On créa des impôts qui firent soulever les peuples. Henri IV réprima doucement les séditieux, il rétablit ces impôts pour marquer son pouvoir, et les révoqua presque en même temps pour signaler sa bonté. Les députés des villes où les séditions s’étaient allumées vinrent se jeter aux pieds du roi, dans la crainte qu’on ne fît bâtir des citadelles dans leurs villes : « Je n’en veux point avoir d’autres, reprit le roi, que le cœur de mes sujets. »

« Ce fut à peu près dans une pareille occurrence que l’un des plus sages et des plus vertueux magistrats que la France ait jamais eus, Miron, lieutenant civil et prévôt des marchands, fit au roi des remontrances hardies au sujet des rentes de l’hôtel de ville, dont on voulait faire une recherche préjudiciable à l’intérêt et au repos des familles ; les paroles de Miron, qui n’étaient que fortes, parurent séditieuses aux courtisans. Plusieurs conseillèrent au roi de le faire enfermer à la Bastille. Au premier bruit de ces conseils violents, le peuple, qui idolâtrait Miron, et qui n’avait pas encore perdu cette audace et cette impétuosité que donnent les guerres civiles, accourut en foule à la porte de ce magistrat. Il fit retirer la populace avec sagesse, et vint se présenter à Henri IV, plein d’une confiance que lui donnaient sa vertu et celle de son maître. Quand il parut devant le roi, il n’en reçut que des éloges. Le prince approuva sa fidélité et la hardiesse de son zèle. « Vous avez voulu, dit-il, être le martyr du public, mais je ne veux point en être le persécuteur. » Il fit plus, il révoqua son édit, et apprit aux rois, par cet exemple, qu’ils ne sont jamais si grands que lorsqu’ils avouent qu’ils se sont trompés. Le dirai-je, sire ? oui, la vérité me l’ordonne ; c’est une chose bien honteuse pour les rois que cet étonnement où nous sommes quand ils aiment sincèrement le bonheur de leurs peuples. Puissiez-vous un jour nous accoutumer à regarder en vous cette vertu comme un apanage inséparable de votre couronne ! Ce fut cet amour véritable de Henri IV pour la France qui le fit enfin adorer de ses sujets.

Les cœurs que l’esprit de la Ligue avait endurcis s’attendriront ; ceux qui s’étaient le plus opposés à sa grandeur n’en désiraient plus que l’affermissement et la durée. Dans ce haut degré de gloire, il allait changer la face de l’Europe ; il partait à la tête d’une armée formidable ; on allait voir éclore un dessein inouï que seul il avait pu former, et qu’il était seul capable d’exécuter, lorsqu’au milieu de ces préparatifs et sous les arcs de triomphe préparés pour son épouse il fut assassiné.

À ces paroles, qui furent en un moment portées dans tout Paris : Le roi est mort ! la consternation saisit tous les cœurs, on n’entendit que des cris et des gémissements ; on s’embrassait en versant des larmes. Les vieillards disaient à leurs enfants : « Vous avez perdu votre père. » Vous le savez, sire, ce ne sont point des exagérations, c’est l’exacte peinture de la douleur que sa mort fit sentir à la France.

« Vous êtes né, sire, ce que Henri le Grand devint par son courage. Ce trône qu’il conquit à quarante ans, dont il trouva les fondements ébranlés et teints du sang des Français, la nature vous l’a donné dans votre enfance, glorieux et paisible. Les cœurs des Français que ses vertus forcèrent si tard à l’aimer, vous les possédez dès votre berceau. Vos yeux ne se sont ouverts que pour voir des hommes pénétrés pour vous d’une tendresse respectueuse ; que dis-je, la France vous adore ! »

Il paraît que les difficultés vinrent de la censure. Mais le poème était déjà connu. L’auteur en faisait des lectures chez le président des Maisons et recueillait les observations des personnes qui y assistaient, et parmi lesquelles était le président Hénault. Un jour, fatigué des critiques vétilleuses qu’il essuyait, Voltaire jette au feu le manuscrit et dit à ses juges : « Il n’est donc bon qu’à être brûlé. »

Duvernet, qui dit tenir l’anecdote du président Hénault lui-même, ajoute que le président s’élance à la cheminée et dérobe la Henriade aux flammes. Aussi écrivait-il longtemps après à Voltaire : « Souvenez-vous que pour l’arracher au feu il m’en a coûté une paire de manchettes de dentelle. »

Près de cent ans après avoir été refusée par Louis XV, ou du moins en son nom, la Henriade eut une destinée bien différente. Lorsqu’en 1818 on rétablit sur le terre-plein du Pont-Neuf une statue de Henri IV, on ne trouva rien de mieux à mettre dans le ventre du cheval qu’un exemplaire de cette même Henriade.

Dans un voyage qu’il fît à La Haye en octobre 1722, Voltaire proposa son ouvrage au libraire Levier, qui l’annonça par souscription. L’édition devait être in-4° et ornée des gravures faites sous les yeux de Voltaire, et dont j’ai déjà parlé. Le titre était Henri IV, ou la Ligue, poème héroïque. La souscription devait être fermée le 31 mars 1723. L’affaire fut rompue, et le libraire rendit l’argent aux souscripteurs.

Rebuté pour ainsi dire de tous côtés, Voltaire, qui n’avait pas fait un poème pour le garder en portefeuille, se décida à le faire imprimer clandestinement. Sa correspondance nous apprend que l’édition fut faite à Rouen, par Viret, libraire. Ce ne peut être que l’édition in-8° intitulée la Ligue, ou Henri le Grand, poème épique, par M. de Voltaire, à Genève, chez Mokpap, MDCCXXIII, in-8° de VII et 231 pages. L’ouvrage est en neuf chants ; et il y a quelques lacunes qui sont remplies par des points ou par des étoiles.

L’année suivante parut une édition in-12 sous le même titre. On croit qu’elle fut faite à Évreux, quoiqu’elle porte l’adresse d’Amsterdam. Desfontaines, qui en fut l’éditeur, avoua à Michault avoir rempli à sa fantaisie des lacunes de l’édition précédente, et avoir ajouté ces deux vers signalés par Voltaire :

En dépit des Pradons, des Perraults, des H *** (Houdarts),
On verra le bon goût fleurir de toutes parts.

Mais toutes les lacunes n’étaient pas remplies dans l’édition de Desfontaines.

C’est aussi en 1724 que parut une autre édition petit in-8°, portant les mêmes titre et adresse que l’édition de 1723, à laquelle elle est conforme pour le texte comme pour les lacunes.

Ces trois éditions étaient connues de Voltaire, qui les cite dans une note où il répond à l’abbé Sabatier qui l’accusait d’avoir, pour la Henriade, pillé le Clovis de Saint-Didier, dont la première édition n’est que de 1725.

L’auteur étant à Londres en 1727, y annonça une souscription pour une édition in-4° de la Henriade, et il eut beaucoup à se louer de la générosité anglaise. Peu après son arrivée en Angleterre, le juif Acosta lui fit banqueroute de vingt mille francs. Le roi d’Angleterre, instruit de ce malheur, envoya deux mille écus à Voltaire. On porte à cent cinquante mille livres le produit de la souscription : ce fut une des premières sources de sa fortune.

Sur le refus du roi de France, ce fut à la reine d’Angleterre que la Henriade fut dédiée. Cette dédicace en anglais ne fut pas reproduite dans les éditions des Œuvres de Voltaire ; mais Marmontel la comprit, ainsi que la traduction par Lenglet-Dufresnoy, dans la préface qu’il composa, en 1746, pour la Henriade, et que j’ai reproduite à l’exemple de mes prédécesseurs.

L’édition in-4°, ornée des gravures que l’auteur avait fait exécuter, porte la date de 1728 et le titre de la Henriade, de M. de Voltaire. Mais son prix n’étant pas à la portée de tout le monde, Voltaire autorisa un libraire de Londres à en publier une dans le format in-8°, qui parut sous le même millésime. On imprima à la suite des Pensées sur la Henriade.

Une autre édition parut encore en 1728 en Hollande. Les Pensées y sont reproduites, mais sous le titre de Critique de la Henriade. Elles ne sont pas dans une édition de 1729.

Une édition avouée par l’auteur parut, en 1730, in-8°. Un grand nombre de notes y furent ajoutées.

C’est dans l’édition de 1732 que Voltaire corrigea la traduction que Desfontaines avait faite de l’Essai sur la poésie épique, ouvrage que l’auteur refit en français pour l’édition de 1733. Cette édition de 1733 est la première qui donne des variantes, qui toutefois ne sont qu’au nombre de deux, aux chants IV et VII.

L’édition de 1734 n’est que la réimpression de celle de 1733.

C’est à Linant que l’on doit l’édition de 1737, dont il fit la préface. Quelques notes encore furent ajoutées à cette édition, la première où ait paru la Lettre de Cocchi, traduite par le baron Elderchen.

Dans l’édition des Œuvres de Voltaire, 1738-39, quatre volumes in-8°, on suivit pour la Henriade le texte de 1737 ; mais une note fut ajoutée sur le vers 197 du chant VI.

Il est évident que l’édition des Œuvres, faite en 1739, avait été entreprise à l’insu de l’auteur ; car l’Essai sur la poésie épique y est conforme à la traduction de l’abbé Desfontaines, et non au texte refait par Voltaire dès 1733.

En 1741, ou du moins sous cette date, fut émise la Henriade de M. de Voltaire avec des remarques et les différences qui se trouvent dans les diverses éditions de ce poème, Londres in-4°. Ce n’est point une nouvelle édition, mais tout simplement l’édition de 1728, qu’on rajeunit au moyen d’un nouveau titre, et en ajoutant : 1° en tête un Avertissement du libraire, la Préface de Linant (de 1737), et quelques autres pièces préliminaires ; 2° à la fin du dernier chant, les arguments, notes, et variantes. Le travail des variantes est très incomplet. Quant aux remarques, l’éditeur les a tantôt réduites, tantôt étendues. Quelquefois même la rédaction de Voltaire a été mise de côté.

Voltaire dit que cette édition fut donnée par Gandouin, libraire à Paris, et que c’était l’abbé Lenglet-Dufresnoy qui avait recueilli les variantes. Il est à remarquer que Michault, auteur des Mémoires pour servir à l’Histoire de la Vie et des ouvrages de M. l’abbé Lenglet-Dufresnoy, 1761, in-12, ne fait aucune mention de ce travail.

En ne parlant que des éditions qui méritent quelque attention, je ne dois point passer sous silence l’édition de la Henriade qui forme le tome Ier des Œuvres, 1746, six volumes in-12. Elle contient, au chant VIF, la note sur Colbert, et celle qu’on appelle la note des damnés, parce qu’elle donne un calcul sur le nombre des damnés. La nouvelle préface, composée pour cette édition, est intéressante. Dans quelques notes (pages 346, 344, 359, 360, 367, 371, 379, 381, 385, 388) sont réfutées des remarques de Lenglot-Dufresnoy.

C’est pour une édition séparée de la Henriade, 1746, deux volumes in-12, que Marmontel composa une préface qu’on a presque toujours réimprimée avec la Henriade. L’édition de Marmontel a aussi la note des damnés. Mais la rédaction définitive de cette note est de 1748, dans l’édition in-12 d’Amsterdam (Rouen), qu’il ne faut pas confondre avec l’édition de Dresde de la même année, qui ne contient aucune des deux versions de la note sur les damnés, et qui a pourtant les notes réfutatives des remarques de Lenglet-Dufresnoy.

Les éditions qui suivirent ne présentent que quelques corrections.

En 1769, il circula des exemplaires d’une édition intitulée la Henriade, avec des remarques, à Henrichemont et à Bidache (à Toulouse), 1769, in-12. Les remarques sont de La Beaumelle, qui, non content de critiquer l’ouvrage, en refait des passages. Voltaire fit saisir l’édition. Il en avait le droit, puisque c’était une réimpression entière de son poème. Mais elle ne fut pas détruite. On la rendit, en 1793, aux héritiers, qui en firent une nouvelle publication en 1803. Dans l’Avis du libraire on se récrie contre la saisie faite en 1769. Je possède un exemplaire avec le frontispice de 1769, et un avec celui de 1803. La saisie de 1769 n’effraya pas Fréron, qui, six ans après, mit au jour un Commentaire sur la Henriade, par feu M. de La Beaumelle, revu et corrigé par M. F.(Fréron), 1775, un volume in-4°, ou deux volumes in-8°. François de Neufchâteau proposait d’intenter un procès à Fréron. Voltaire combattit ce projet.

À quelques corrections près, les volumes publiés par Fréron sont une réimpression du volume de 1769. Ils contiennent la Henriade tout entière et en corps d’ouvrage. Le Commentaire est au bas des pages.

Cinq ans après on vit paraître la Henriade, avec la réponse de M. B. (Bidaut) à chacune des principales objections du Commentaire de La Beaumelle, 1780, un volume in-12 ; sur le faux titre du volume on lit : la Henriade vengée.

Voltaire était mort depuis deux ans. Les presses ne cessaient pas et n’ont pas cessé depuis de multiplier les exemplaires de la Henriade en divers formats, mais presque toujours sans aucun nouveau travail d’éditeur.

Palissot publia, en 1784, une édition in-8°, dans laquelle il a introduit plusieurs versions nouvelles qu’il dit tenir la plupart de Voltaire, mais sans le prouver.

Le travail de Jean Sivrac, qui donna à Londres, en 1795, une édition in-18, se borne à avoir réduit les notes de Voltaire comme celles de ses éditeurs.

C’est à Sardy de Beaufort que l’on doit la Henriade, avec des notes et des observations critiques dédiées à la jeunesse, par M. ***, ancien officier, Avignon, Aubanel, 1809, in-18.

La Henriade, poème auquel sont joints les passages des auteurs anciens et modernes qui présentent des points de comparaison ; édition classique, par un professeur de l’Académie de Paris, Paris, Duponcet, 1813, in-18, est le travail de M. Naudet, membre de l’Institut.

C’est par exception et comme chef-d’œuvre typographique que je mentionne la Henriade, poème de Voltaire, Paris, P. Didot aîné, 1819, in-folio, tiré à 125 exemplaires. Il n’y a aucun travail d’éditeur.

Quoique portant la même date de 1819, ce ne fut qu’en 1823 que fut mise au jour la Henriade, poème épique en dix chants, Paris, F. Didot, petit in-folio. M. Daunou a donné des soins à cette édition, à laquelle il a ajouté des notes critiques et littéraires.

Par la publication de la Henriade, avec des remarques de Clément, etc., Paris, Ponthieu, 1823, in-8°, M. Lepan s’est acquis de nouveaux droits à être placé parmi les éditeurs qui dénigrent les auteurs qu’ils réimpriment.

La même année 1823, M. Fontanier fit imprimer à Rouen la Henriade, avec un commentaire classique, un volume in-8°.

Dans l’édition publiée à Nantes, 1826, in-12, M. l’abbé Bernier annonce avoir corrigé ou supprimé quelques vers contraires à la saine doctrine et aux bonnes mœurs.

Les innombrables éditions de la Henriade prouvent un succès que confirment encore les nombreux écrits dont elle a été le sujet. Je ne parlerai que de quelques-uns.

Les Réflexions critiques sur un poème intitulé la Ligue, etc., 1724, in-8°, eurent deux éditions en 1724. On les attribue à Bonneval.

Une Lettre critique, ou Parallèle des trois poèmes épiques anciens, savoir : l’Iliade, l’Odyssée d’Homère, et l’Énéide de Virgile, avec le poème nouveau intitulé la Ligue, ou Henri le Grand, poème épique par M. de Voltaire, à mademoiselle Del…, Paris, Legras, 1724, in-8° de seize pages, est d’un nommé Bellechaume, qui avait publié une Réponse à l’Apologie du nouvel Œdipe, 1749, in-8°, et qui donna encore une Seconde Lettre et Critique générale, ou Parallèle des trois poèmes épiques anciens, l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, et l’Énéide de Virgile, avec le nouveau prétendu poème épique intitulé la Ligue, ou Henri le Grand, à mademoiselle Del.,., 1724, in-8° de quarante-six pages.

L’Apologie de M. de Voltaire adressée à lui-même, 1725, in-8°, fut réimprimée dans la Bibliothèque française, tome VII, pages 259-280. A.-A. Barbier, d’après Chaudon, attribue cette critique de la Henriade à l’abbé Pellegrin, se fondant sur ce qu’il est dit à la fin de la pièce : « Celui qui vous adresse cette Apologie est Fauteur de la comédie du Nouveau Monde. » Mais c’est un détour du véritable auteur, l’abbé Desfontaines, qui perfidement cite les vers qu’il avait ajoutés sur les Pradons, les Perraults, les Houdarts. Les éditeurs de la Bibliothèque française disent nettement, page 257 : « Cette pièce est de l’abbé D.F. »

Le titre des Lettres critiques sur la Henriade de M. de Voltaire, 1728, in-8° de cinquante pages, annonçait que l’auteur avait le projet de publier plusieurs lettres. Mais il n’en a paru qu’une qui contient la critique du premier chant. Elle est de Saint-Hyacinthe, et a été réimprimée dans la Bibliothèque française, tome XII, pages 404-15, et n’a rien de commun avec la Critique de la Henriade (en neuf lettres), qu’on trouve dans le Voltariana.

Des Pensées sur la Henriade (Londres), 1728, in-8°, ont été réimprimées sous un autre titre dans les éditions de la Haye, 1728, et de Paris, 1826.

Le Journal de Trévoux, de juin 1731, contient une critique de la Henriade. La Bruère y répondit par une Lettre sur la Henriade, qui fut insérée au Mercure de décembre 1731.

Les Remarques historiques, politiques, mythologiques, et critiques sur la Henriade de M. de Voltaire, par le P.L