La Jeunesse - Ligaran - E-Book

La Jeunesse E-Book

Ligaran

0,0

Beschreibung

Extrait : "MADAME HUGUET, CYPRIENNE. Elles sont occupées à faire un bonnet d'après un modèle, et travaillent pendant toute la scène. MADAME HUGUET : Tâchons que mon bonnet soit fini pour dîner. CYPRIENNE : Gare à tes invités ! tu vas les fasciner. / Mais le bonnet que t'a prêté madame Andelle / Est bien découragé de servir de modèle. MADAME HUGUET : Elle peut bien payer d'une coiffure ou deux / L'honneur d'être en commerce avec les Champsa…"

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 99

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



À

LA MÉMOIRE DE MES CHERS AMIS

CHARLES REYNAUD

ET

HENRI THENARD

Personnages

PHILIPPE HUGUET.

HUBERT.

JOULIN.

MAMIGNON.

MADAME HUGUET.

MATHILDE.

CYPRIENNE.

LE PIÉTON DE LA POSTE.

LE PORTIER.

LA CUISINIÈRE.

UN COMMISSIONNAIRE.

M. FECHTER.

M. TISSERANT.

M. KIME.

M. THIRON.

Mme LACRESSONNIÈRE.

Mme PERIGA.

Mme THUILLIER.

M. ÉTIENNE.

La scène se passe de nos jours à Paris, chez madame Huguet, pendant les quatre premiers actes ; à la campagne, au cinquième.

 

S’adresser, pour la mise en scène, à M. Poulet, souffleur au théâtre de l’Odéon.

Acte premier

Un salon fané chez madame Huguet. L’ameublement date de vingt ans. – À droite au fond, dans un pan coupé, la porte qui conduit à l’antichambre ; au premier plan, sous tenture, celle qui conduit à la chambre de madame Huguet ; dans le pan coupé de gauche, celle qui conduit aux autres pièces. – Cheminée au fond, entre deux fenêtres. À la droite de la cheminée, un grand canapé ; à la gauche, un fauteuil Voltaire. – Au milieu du salon, une table ronde à dessus de marbre.

Scène première

Madame Huguet, Cyprienne.

Elles sont occupées à faire un bonnet d’après un modèle et travaillent pendant toute la scène.

MADAME HUGUET
Tâchons que mon bonnet soit fini pour dîner.
CYPRIENNE
Gare à tes invités ! tu vas les fasciner.
Mais le bonnet que t’a prêté madame Andelle
Est bien découragé de servir de modèle.
MADAME HUGUET
Elle peut bien payer d’une coiffure ou deux
L’honneur d’être en commerce avec les Champsa…

Elle se retourne avec inquiétude.

CYPRIENNE
Bleux.
Tu peux continuer : il n’est pas aux écoutes ;
Il est sorti.
MADAME HUGUET
Qui donc ?
CYPRIENNE
Celui que tu redoutes,
Ma tante.
MADAME HUGUET
Tu fais là son éloge en un mot.
CYPRIENNE
Ah ! permets…
MADAME HUGUET
Non ! non ! non ! mon gendre n’est qu’un sot !
Ne prends pas son parti. Sa présence empoisonne
Les quinze jours par an que ma fille me donne.
CYPRIENNE
S’est – il jamais permis un mot… ?
MADAME HUGUET
Non, mais ses yeux
Ont des regards taquins qui me sont odieux,
Moqueurs silencieux qu’on ne peut pas confondre !
Qu’il s’explique, mon Dieu ! j’ai de quoi lui répondre.
Mon mari s’appelait Huguet, je le sais bien !
J’ai joint après sa mort mon nom de fille au sien :
Je suis de Champsableux, du chef de mon grand-père.
CYPRIENNE
Il s’appelait Coquart !
MADAME HUGUET
Mais il avait un frère,
Et pour se distinguer ils avaient pris tous deux
Des noms de métairie : Orpierre et Champsableux…
C’était l’usage alors parmi la bourgeoisie.
Tu vois donc que mon nom n’est pas de fantaisie,
Et les prétentions des nobles d’aujourd’hui
N’ont pas, pour la plupart, d’autre titre à l’appui.
D’ailleurs c’est pour mon fils, non par sotte faiblesse,
Que je me pare ainsi d’un semblant de noblesse ;
Car l’ombre même en est une protection,
Oui, mon enfant, malgré la révolution !
On a d’abord traité gaîment ma particule ;
Mais tout passe à Paris, même le ridicule ;
Et lassant les rieurs, qui n’ont pu la lasser,
La voilà qui commence enfin à me classer.
Que répondrait mon gendre à cela, je te prie ?
Rien de bon, quelque froide et vieille raillerie
Propre à ces roturiers de jugement tortu,
Pour qui noblesse est vice et roture vertu.
Au surplus, son avis vaut-il tant que j’y tienne ?
J’ai l’approbation de mon fils, j’ai la tienne,
N’est-il pas vrai ?
CYPRIENNE
La mienne est de si peu de poids !
MADAME HUGUET
Qu’entends-tu par ces mots ? L’ai-je ou non, une fois ?
CYPRIENNE
Mon Dieu, ma bonne tante…
MADAME HUGUET
Est-ce que tu me blâmes ?
CYPRIENNE
Te blâmer ? N’es-tu pas la meilleure des femmes ?
Quand je me voyais seule au monde avec effroi
Ne m’as-tu pas reçue orpheline chez toi,
Et ne m’as-tu pas fait, adoptant ma détresse,
Plus qu’une part de nièce en ta chère tendresse ?
MADAME MUGUET
Tu veux en câlinant te tirer d’embarras.
Tu me blâmes donc bien ?
CYPRIENNE
Ne me consulte pas ;
Je suis un mauvais juge.
MADAME HUGUET
Allons ! quand je t’en prie !
CYPRIENNE
Non, je pousse l’horreur de la supercherie,
Vois-tu, jusqu’à blâmer ce bonnet d’avoir l’air,
Tout en ne coûtant rien, de te coûter très cher.
MADAME HUGUET
Mon Dieu, ma chère enfant, lorsque l’on n’est pas riche,
Pour soutenir son rang il faut bien que l’on triche.
Mes petits procédés, qui n’ont rien de romain,
Ont aidé ton pauvre oncle à faire son chemin.
Serait-il devenu, d’humble surnuméraire,
Chef de division au bout de sa carrière,
S’il n’eût toujours mené, grâce à ma gestion,
Un train d’homme au-dessus de sa position ?
Car pour un employé rien n’est plus efficace
Que de n’avoir pas l’air de vivre de sa place ;
Ses protecteurs n’ont pas l’espoir de l’asservir
Et le servent d’autant qu’ils croient moins le servir.
Une femme peut seule opérer ce miracle !
Mon industrie ainsi nous eût mis au pinacle,
Si la mort de ton oncle, en une heure enlevé,
N’eût détruit l’édifice encore inachevé.
Mais comme la fourmi que rien ne décourage,
Je me suis aussitôt remise à mon ouvrage,
Et j’ai recommencé sur-le-champ pour le fils
Ce que pendant vingt ans pour le père je fis.
CYPRIENNE
Mais ton point de départ est plus haut, je suppose ?
MADAME HUGUET
Mon Dieu ! la différence, en somme, est peu de chose.
Nous avions eu chacun cinquante mille francs,
Moi de ma dot, Huguet du bien de ses parents ;
Après les miens, j’en eus encore autant ; ajoute
Une épargne à peu près égale ; somme toute,
C’est deux cent mille francs que mes enfants et moi
Eûmes à partager après sa mort : sur quoi
Ma fille a pris sa dot. – Ta petite fortune
Est venue, il est vrai, combler cette lacune ;
Mais tu l’emporteras avec toi tôt ou tard,
Je ne la compte pas. Donc les points de départ
Se valent, car Huguet gagnait la différence,
Et Philippe ne vit encore que d’espérance.
Seulement il nous reste un ménage monté,
Un mobilier…
CYPRIENNE
Qui touche à sa majorité.
MADAME HUGUET
J’en conviens ; mais cela n’a pas mauvaise mine,
Marquant à notre luxe une ancienne origine.
Qu’il dure seulement, ce brave mobilier,
Jusqu’à ce que mon fils trouve à se marier.
CYPRIENNE
Philippe y pense-t-il ?
MADAME HUGUET
Pas encore, j’espère ;
Il faut d’abord chercher une riche héritière.
CYPRIENNE, à part.
Hélas !
MADAME HUGUET
Nous trouverons. Dieu sait quand et comment.
Mais j’ai foi. Dieu me doit ce dédommagement.
CYPRIENNE
De quoi ?
MADAME HUGUET
Comment de quoi ? du tort qu’à la famille
À fait le mariage absurde de ma fille.
CYPRIENNE
N’est-elle pas heureuse ?
MADAME HUGUET
Heureuse ! oui, parlons-en !
Ma propre fille heureuse avec un paysan ?
Est-ce que c’est possible ? Heureuse à la campagne,
En hiver, loin de tout, au fond de la Champagne…
Pouilleuse !
CYPRIENNE
Tous les ans elle vient à Paris.
MADAME HUGUET
Pour quinze jours.
CYPRIENNE
Elle a le meilleur des maris.
MADAME HUGUET
Il faudrait voir qu’il eût un mauvais caractère,
Ce monsieur qui n’est bon qu’à cultiver la terre !
CYPRIENNE
Tu ne t’y connais plus, ma tante ! il est charmant.
MADAME HUGUET
Avant d’être un lourdaud, c’était un garnement,
Un mauvais employé sans aucune aptitude,
Rempli d’impertinence et d’inexactitude,
Qu’Huguet portait à dos…
CYPRIENNE
Qu’il aimait cependant.
MADAME HUGUET
Qu’il aimait !… s’il eût pu prévoir que l’impudent
À la main de sa fille osât un jour prétendre…
Mais j’ai tort d’en parler ; c’est fait, il est mon gendre !
Mathilde était majeure et je n’y pouvais rien.
Le mariage a-t-il amendé le vaurien ?
Je l’espérais. Mais non ! Sa place était petite,
Et proportionnée enfin à son mérite :
Il n’a pas même su la garder ! il s’est fait
Un beau jour renvoyer pour un dernier méfait…
CYPRIENNE
Un cartel à son chef.
MADAME HUGUET
Oui. Quelle inconvenance !
CYPRIENNE
Son chef n’avait-il pas dit une impertinence ?
MADAME HUGUET
Qu’importe ! quand on a trois enfants à nourrir,
Ne doit-on pas baisser la tête et tout souffrir ?
CYPRIENNE
C’est pour donner du pain à ces enfants qu’il aime
Qu’il a pris le parti de le semer lui-même ;
Et de personne ainsi n’étant le courtisan…
MADAME HUGUET
Enfin, comme son père, il s’est fait paysan.
CYPRIENNE
Le grand mal ? cultivant le bien héréditaire,
Il vit comme un seigneur, libre et fier, sur sa terre.
MADAME HUGUET
C’est ce que je réponds quand on parle de lui ;
Mais je n’en ressens pas dans le fond moins d’ennui.
CYPRIENNE
En un mot tu l’as pris en grippe.
MADAME HUGUET
Outre mesure !
Tout en lui me déplaît, m’agace… je suis sûre
Qu’il va redemander des truffes à dîner.
CYPRIENNE, montrant le bonnet modèle qu’elle a fini d’arranger.
Madame Andelle au moins pourra te pardonner ;
Son bonnet a repris une espèce de forme.
Scène ΙΙ

Les mêmes, Philippe, entrant par la porte de droite. Il jette son portefeuille et son chapeau sur un meuble et s’assied sur le canapé.

MADAME HUGUET
D’où viens-tu ?
PHILIPPE
Du palais, parbleu ! de dessous l’orme
Où j’attends tous les jours mon superbe avenir.
MADAME HUGUET
Rien encor ?
PHILIPPE
Rien du tout ! je ne vois rien venir.
MADAME HUGUET
Patience !
PHILIPPE
Oui, le baume à toutes les blessures !
Depuis bientôt trois ans que j’use mes chaussures
Dans la salle des pas perdus… quel nom fatal !
Poursuivant sans l’atteindre un client idéal,
J’ai gagné neuf cents francs sans compter les centimes
À plaider la broutille et défendre les crimes !
Mais quant au vrai client… qui paie, au vrai chaland,
Je l’ignore, et pourtant j’ai beaucoup de talent.

Il se lève.

CYPRIENNE
Certes ! et la modestie au talent intéresse.
PHILIPPE
Allons donc ! c’est un luxe, un genre de paresse
Propre à ceux dont l’orgueil entouré de prôneurs
Pour se servir lui-même a trop de serviteurs.
Mais le mien, qui n’est pas encore un personnage,
En est réduit, ma chère, à faire son ménage :
Et j’entends désormais qu’il le fasse avec soin,
Car je commence à voir que j’en ai grand besoin.
CYPRIENNE
Plaisantes-tu ?
PHILIPPE
Non pas ! toutes les modesties
Et toutes les pudeurs je les jette aux orties ;
Robe chaste et traînante, attirail d’embarras,
Où le marcheur se prend les pieds à chaque pas.
À partir d’aujourd’hui, morbleu ! je me retrousse,
J’entre dans la cohue à corps perdu, je pousse,
M’accroche, me faufile et rampe s’il le faut…
Quitte à me redresser en arrivant en haut.
MADAME HUGUET
Il ne faut pas ramper : c’est une maladresse.
CYPRIENNE
Tu veux répudier la foi de ta jeunesse ?
PHILIPPE
La jeunesse ? aujourd’hui, ma chère, où la prends-tu ?
C’est un mot.
CYPRIENNE
Un beau mot qui veut dire vertu,
Désintéressement, courage, conscience…
PHILIPPE
Oui, tant qu’il signifie en outre insouciance,
Mais qui change de sens dès qu’on se donne un but,
Et signifie alors impuissance et début !
Alors son culte voit déserter ses apôtres,
Et c’est là que j’en suis… Je fais comme les autres.
CYPRIENNE
Pauvre Philippe !
MADAME HUGUET
Il est dans le vrai : seulement
La chose est inutile à dire aussi crûment.
PHILIPPE
Pourquoi donc m’en cacher ? après tout, que la honte,
S’il en est là-dedans, à sa source remonte !
Je m’en lave les mains, moi ! je n’y suis pour rien !
C’est le vice du siècle, en somme, et non le mien !
Des excès de l’argent voilà ce qui résulte :
Dès l’âge de raison on nous dresse à son culte,
Et dans le monde ainsi nous entrons convaincus
Qu’il n’est rien ici-bas de vrai que les écus !