La mort surfe sur la coke - Rémy Lasource - E-Book

La mort surfe sur la coke E-Book

Rémy Lasource

0,0

Beschreibung

Quand une étudiante qui se prostituait est tuée, et que la piste mène à des narco trafiquants, l’enquêteur n’a d’autre choix qu’employer des méthodes illégales.


En repêchant le corps de Margaux dans les vagues, Arnaud, ex flic, ne croit pas à la version de la noyade accidentelle. C’est en fouillant le passé trouble de la victime, une mannequin surfeuse vendant des photos de charme sur les réseaux sociaux, qu’il suit la piste d’un client riche protégeant farouchement son anonymat. Jusqu’à une salle de jeux clandestine où l’on gagne d’étranges trophées. Alors que des vendeurs d’armes fichés au grand banditisme lui tournent autour, Arnaud comprend qu’il piste pour eux un narco trafiquant, en plus de rechercher un meurtrier. Dans une course où personne ne sait qui traque l’autre, l’ex flic compte sur la présence d’un vieux chien abandonné pour le sauver, que certains voient comme un esprit des dunes. Mais débusquer un tueur a un prix, une vérité qui se rappellera tardivement à Arnaud. 6è tome de la série, ce roman peut se lire indépendamment des autres.


Un polar musclé et réaliste qui n’élude en rien les nouveaux visages de la criminalité.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Commandant de police, Rémy Lasource partage son univers littéraire entre le fantastique et le thriller. Jury du prix Zadig de la nouvelle policière, ce roman est son 21è livre publié aux éditions Ex Aequo. Son roman « Du crépitement sous les néons » est en cours d’adaptation au cinéma. Il travaille sur des projets de série et pour le cinéma.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 238

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Rémy LASOURCE

La mort surfe sur la coke

Les chroniques policières de Biscarrosse

Thriller

ISBN : 979-10-388-0373-2

Collection : Rouge

ISSN : 2108-6273

Dépôt légal : juin 2022

© 2022 couverture Ex Aequo

© 2022 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays

Toute modification interdite

Éditions Ex Aequo

Nous limitons

Un déchirement surgit dans la lumière quand ses doigts creusent ma peau, j’essaie de ne pas la rejeter, de garder mon nez dans la cascade de ses cheveux châtains, contre son cou qui sent le soleil malgré cette crise qui me vaut des ongles pointus et un hérissement de douleur. Par solidarité je la garde serrée dans mes bras, protecteur malgré les griffures qui s’accumulent dans ma nuque et les cris dans mes oreilles, pour l’aider à tenir sa digue contre une marée de larmes, pour préserver la douceur de ses yeux noisette et la jeunesse de son visage.

À côté de nous ma petite amie Claire est blême, toute pâle, je jette un œil au ciel gorgé d’azur avec ce vœu « pourvu qu’elle ne s’évanouisse pas, gardez-la sur ses deux pieds ». Devant nous les rouleaux arrivent avec leur frange d’écume, libérant un panache de sel et de bulles effervescentes dans les rayons de soleil, pour arriver écroulés à nos pieds avec le bruit solennel de leur écrasement, comme à la création du monde.

J’ignore combien de temps elle a crié, larmoyé, mais ça a été long, une éternité de souffrances pour elle. Mon dos est douloureux, là où elle a griffé de ses ongles pleins de sable et d’embruns, je vois bien le truc s’infecter, à présent elle bave copieusement contre mon épaule, morve et salive coulant le long de ma jugulaire vers ma clavicule. Je la tiens fermement contre moi, Maeva, ses dents contre ma chair, mes lèvres dans ses cheveux à lui répéter ce mensonge que tout va aller désormais, que c’est normal, mais que tout va bien. Claire lui apporte son soutien en lui passant sa main dans le dos, pour lui signifier qu’elle est là aussi.

Quand la fatigue l’accable, la jeune femme se calme un peu, le temps pour moi de prendre mon smartphone et d’appeler la gendarmerie pour l’avertir de la découverte du corps. Un noyé, quand ça fait longtemps que c’est sous l’eau, c’est comme une outre pleine et percée, ça se vide. C’est ce qu’elle ne savait pas la jeune fille, c’est pour ça qu’elle est passée de la tristesse à l’horreur, aux portes de la folie, quand elle a vu le cadavre de son amie se vider d’organes gonflés de sang et d’eaux croupies, la peau laissant déverser toute une bouillie pourpre.

— Gendarmerie nationale, j’écoute.

— Vous pourriez me passer l’adjudant-chef Loubi ?

— De la part de qui ?

— D’Arnaud.

— Quittez pas.

Je regarde Claire consoler Maeva en attendant mon interlocuteur, puis j’entends souffler dans le combiné :

— Putain, qu’est-ce qui me vaut ton appel ?

— Salut, Vincent, c’est un plaisir de se sentir aimé.

— Je ne t’aime pas, tu ne m’apportes que des emmerdes. Vas-y, accouche.

— Margaux.

— Oui, la disparition inquiétante ?

— Je l’ai retrouvée, enfin je viens de repêcher ce qu’il en reste.

— Oh non, t’es où ?

— Et c’est pas tout, j’ai Maeva avec moi.

— T’es vraiment un idiot, hein ?

— Elle a disparu depuis combien de temps, quatre ou cinq jours, je ne sais plus. Il suffit de vérifier sur son compte Insta, à sa dernière publication. Vendredi dernier je crois, oui c’est ça. Cette nuit où il a fait un gros orage.

Maeva parle à la jolie gendarme aux yeux bleus et moi j’ai hérité de Vincent avec sa gueule de ronchon antipathique tandis qu’il se masse le cou.

— Le camion d’identification criminelle ne roulera pas jusqu’ici, on est loin de tout chemin praticable.

Le quatre roues motrices de la gendarmerie nationale est garé comme un insecte mécanique dans ce désert de sable. Je me justifie comme je peux, c’est-à-dire mal :

— Maeva saoulait Claire avec Margaux chaque jour, alors on a craqué.

— Et avec ton putain d’instinct tu as trouvé le corps et traumatisé la gamine, bravo pour la médaille du gros lourd tu gagnes encore.

— Eh, moi aussi j’ai le droit à un peu d’humanité.

— Bon, raconte.

— Margaux ne surfe pas dans ce coin, alors je ne pensais vraiment pas la trouver ici, non tu vois plutôt acheter tranquillité en venant nous perdre dans cette plage isolée de tout. Et pas de bol, on a vu une forme flotter près du rivage, les courants descendaient du nord, de Pyla. On a observé le truc dériver, y avait des filaments comme des algues, alors je suis entré dans l’eau, et j’ai compris qu’il s’agissait de cheveux. Le cadavre flottait sur le ventre, j’étais sûr de rien, je l’ai tiré délicatement par la main vers le rivage en essayant de ne pas trop me dégueulasser.

— Et ? me relance le gendarme.

— Tu vois cette putain de baïne ? Et son courant de travers ? J’ai failli abandonner plusieurs fois.

— Oui, t’aurais pu être emporté au large et moi délivré de toi, mais t’as toujours une saloperie de chance.

— J’ai un ange gardien, il faut croire.

— Oui, j’ai entendu cette histoire au sujet d’un esprit des dunes qui te protégerait, un porc, c’est ça ?

— Un chien abandonné, plutôt.

— Un chiwawa ? Bon, continue.

— Une fois sorti de l’eau le visage bleu de la noyée s’est mis à noircir à l’air libre, à putréfier très vite. Et puis sur le sable, quand j’ai tiré le corps il s’est en partie vidé.

— Comment être sûr que c’est elle ? L’abdomen est trop gonflé, le visage bouffi et dénaturé.

— Le maillot de bain, les cheveux, et puis on la reconnaît quand même un peu.

Il souffle, plus agacé d’être de mon avis que d’avoir résolu un problème.

— Et Maeva a tout vu ?

— Claire l’a empêché, je t’assure.

— C’est pour ça que t’es griffé partout dans le cou ? Parce qu’elle n’a rien vu ?

Je souffle, agacé à mon tour d’être de son avis.

— Y a pas à dire, t’as le chic, toi, conclut-il.

— De rien, c’est ta façon de dire merci, je le sais depuis le temps.

— Tu passeras pour ton audition à la gendarmerie, et je ne te garantis pas de ne pas essayer de te mettre en garde à vue.

Et Vincent me sourit. On a appris à se respecter, même s’il m’a toujours à l’œil.

On ramène Maeva chez nous, pour la garder avec nous pour le déjeuner, même si je suis sûr qu’elle n’a pas d’appétit et surtout pour éviter de la laisser seule. Les pins défilent des deux côtés de la route et les rayons matinaux forment de longues colonnes poussiéreuses quand ils trouent la canopée. Je roule tranquillement pour apporter un peu de calme et de répit à chacun. Par la fenêtre la forêt rentre avec force dans l’habitacle, ses odeurs de résine embaument, épicées et familières. Il n’est pas rare de voir sur les troncs des coulées de sève suintant entre les larges plaques d’écorce, collantes comme un miel trop riche débordant d’une ruche. Parfois c’est la puanteur d’un animal mort qui surgit, probablement décomposé dans un lit de hautes fougères. Claire est tournée vers Maeva qui a le regard vide, perdu entre les longues jambes des pins.

Quand on passe devant le camping où elle travaille comme saisonnière, dorénavant sans son amie Margaux, je crains une nouvelle crise de larmes, mais non, elle est éteinte, abasourdie. J’observe notre amie dans le rétro, avec sa gueule de rescapée, ou de déterrée. Quelque chose me gêne, comme un signal lumineux qui me tourne autour sans que j’arrive à l’identifier. La sensation que Maeva n’a pas seulement pleuré la mort de son amie quand on a identifié le corps, mais qu’elle a éprouvé quelque chose de plus fort que la peur, qu’elle a ressenti de la terreur, comme si cette noyade n’était pas accidentelle, comme si elle savait quelque chose.

De retour à la maison, je ne mets pas longtemps à sortir mon kit premiers secours : tequila et jus de citron pour les Margaritas des filles et ensuite pour moi, un « CRS » Citron vert/Rhum Damoiseau/Sucre de canne, version flic du Ti punch. Avec un cocktail tassé, Maeva reprend vite des couleurs, Claire affiche une mine plus détendue et moi aussi, qui commençais à avoir les nerfs épluchés à vif. On sort présenter notre visage au soleil. Dans le jardin le pin maritime émet un petit sifflement quand le vent descend de la colline. Claire étire son dos et me coule un regard plein de remerciements en me tendant son verre déjà vide. Je surveille Maeva d’un coup d’œil discret. Bourrer la gueule à cette gosse, c’est ce que je m’emploie à faire avec tact et stratégie. Bientôt, la jeune femme est toute chose, engourdie et souriante. La petite vingtaine, cette fille du cru est surfeuse depuis qu’elle sait faire du vélo et bosse dans un camping chaque été. Ses études à la fac battant de l’aile, elle est entre deux eaux côté orientation comme côté cœur. Sa pote Margaux était une saisonnière comme elle, une fille de la ville de Bordeaux, plus branchée night-clubs, et mannequin à ses heures perdues.

Je vais dans l’abri de jardin pour sortir le barbecue. La rumeur de l’océan arrive et se faufile entre les maisons avec son souffle de sel et de fraîcheur, un instant je ferme les yeux pour me remplir du chant des vagues, de l’ample souffle de ce titan ronronnant entre deux continents, mais le souvenir du cadavre que je tirais hors des eaux il y a quelques minutes encore me revient, me sortant aussitôt de ma rêverie. Le rhum et le citron ont formé une houle de bien-être quand j’approche avec grille et charbon. Des nuages de beau temps, des cirrus ont délié les longs filaments de leur chevelure céleste au-dessus de nous, qui ressemblent à des cheveux d’ange ou encore aux traces que laisse la mer quand elle se retire sur le sable. J’ai souvent remarqué que passer du temps avec un cadavre est supportable quand il fait beau, tandis que vivre les mêmes instants une journée pluvieuse et froide avec un corps qui se vide sur vous aurait été beaucoup plus pénible. Là je dois reconnaître que la beauté du temps et la clémence des éléments m’aident à trouver que le monde est comme il faut et que la mort a une place naturelle dans notre vie, ici, dans ce pays des sables et de sel ourlé d’une forêt dunaire aux essences entêtantes. C’est à cause de ce genre d’idées que je me ressers à boire. Maeva est toujours silencieuse, tenant un fragile sourire à l’équilibre instable,prêt à se rompre, alors, pourquoi je fais ça, je l’ignore, un réflexe d’homme viril ou d’ex-flic rompu aux situations de danger, d’un type qui a accepté de se faire griffer sans rien dire tandis qu’il venait de repêcher un corps putréfié, aussi je m’approche de Maeva au bord des larmes, lui passe la main autour de sa taille, elle tend un regard apeuré vers moi, et j’approche mes lèvres près de nuque pour y déposer un baiser doux comme papillon, et je lui murmure :

— Un jour, quand t’auras trouvé l’homme qui te mérite, tu raconteras à tes enfants l’importance qu’a eue cette journée et aussi le courage dont tu as fait preuve, alors ils seront tous fiers de toi, comme Claire et moi en ce moment, tu nous éclaires ma grande, et on est là pour toi.

C’est comme si, avec ce moment de tendresse pour cette gamine que j’aime, j’avais finalement chassé tout le mauvais de la journée, et offert un peu d’amour désintéressé à Maeva. Et voilà qu’elle pleure avec de la bonté dans les yeux, sans sangloter, juste pleine de remerciements, et s’en va poser sa tête lourde contre l’épaule de Claire.

Je démarre le feu en me demandant ce que je vais pouvoir y faire griller qui ne rappellera pas notre macabre découverte. J’ai déjà remarqué qu’après une autopsie, j’avais moins d’appétit pour une bavette saignante. Alors Maeva pourrait être rebutée par une belle entrecôte. Des saucisses, ce sera loin de toute association possible de sa part avec un cadavre.

Une voiture se gare, Max, le fils de Claire en sort, après notre appel, pour nous aider.Étudiant en sciences de l’Educ pour devenir instit, ce grand dadais me plaît comme mon propre fils, il a la beauté de sa mère et même si nos relations sont parfois houleuses, je suis soulagé de le voir débarquer, on n’est jamais trop pour entourer une gosse comme Maeva. Deux Margaritas plus tard, elle dort presque contre l’épaule de Claire.

Max m’aide à mettre la table sous le pin. Des cris d’enfants qui jouent sur la plage nous parviennent jusque dans l’ombre de notre jardin. Ils sont rassurants. Moi-même un peu ivre, je chuchote trop bruyamment à Max le sauvetage du cadavre, moi dans la baïne tirant le bras de la morte prêt à se détacher du tronc, et aussi quand, une fois sur la plage, le corps s’est vidé d’une bouillasse d’organes gonflés et pourris sur moi, ainsi que de la nécessité d’aller me laver dans les rouleaux salés, avant de revenir prendre Maeva contre moi, en pleine crise de nerfs.

Les saucisses de notre boucher sont grasses et juteuses, mais pleines de gros morceaux de maigre, bien poivrées. Avec du pain tapissé de moutarde, j’en dévore une dans un sandwich tandis que je fais griller des poivrons, des aubergines et des courgettes. Je laisse couler un filet d’huile d’olive sur les légumes qu’ensuite je saupoudre de piment d’Espelette. Claire a mis de la musique qui passe en boucle sans que nous n’y prêtions plus attention, sauf moi peut-être. The Mighty Rio Grande me remplit les oreilles. Je regarde souvent et de façon inquiète la petite Maeva avec cette sale intuition que son état vient de ce qu’elle sait des choses qui la rongent de l’intérieur, le remords est un ver qui vous grignote salement. Oui, j’en mettrais ma main à couper, Maeva sait des choses en rapport avec la disparition de son amie. Alors je dois la laisser s’enfoncer encore dans son angoisse, guetter sa noyade et ne lui tendre la main que quand elle n’aura pas d’autre choix que de me dire ce qu’elle sait sur Margaux. Et hop, voilà de jolis légumes gorgés de soleil que j’étale sur la table.

Après le repas, je m’assoupis repu à l’ombre du pin, le ventre tendu et l’esprit bienheureux, tandis que Max conduit Maeva à la gendarmerie. Claire me demande si j’ai des nouvelles de Chamane, mon soi-disant ange gardien.

— Non, lui dis-je.

— Alors c’est que tout va bien.

Je souffle irrité, j’essaie de chasser ce sujet de conversation, d’autant que le pin au-dessus de moi ressemble à la corolle d’une fleur géante dans le ciel bleu.

— Chamane est juste un chien abandonné retourné à l’état sauvage, il se pourrait qu’on le croise sans que ça veuille dire quoi que ce soit, dis-je de mauvaise foi.

— Non, Arnaud, c’est peut-être un chien, mais il est aussi un esprit, un être des dunes, l’esprit de ce rivage qui t’a sauvé la vie plusieurs fois, renchérit-elle d’un ton agacé.

Voilà qu’on est déjà un vieux couple, me dis-je. Claire a découvert que vivre avec un ex-flic faisait rentrer le danger dans la maison, et elle a, je pense, développé une relation irrationnelle avec ce chien, comme s’il était mon talisman.

— Balivernes pour bonnes femmes.

— Misogyne inconscient. Si tu n’as pas vu Chamane, alors tout va bien pour toi, pour Maeva c’était juste un accident.

Je dois m’assoupir légèrement bourré, parce que quand j’émerge pâteux avec une haleine de rhum et de citron, l’adjudant-chef Vincent Loubi me pousse de la pointe de sa chaussure, et celui-là, je ne l’ai pas entendu venir jusqu’à moi.

— Quoi ?

— Mal élevé, c’est toi qui découvres le corps, alors c’est toi qu’on veut auditionner, gougnafier.

— Mais euh, il fait chaud et c’est l’heure de la sieste. J’ignorais que les gendarmes travaillaient en pleine digestion, ce qui est mauvais pour la santé. Et puis c’est Maeva qui connaît mieux la victime et elle qui a signalé sa disparition inquiétante, et elle a été aussi témoin de la découverte du corps. C’est son audition qui est primordiale, pas la mienne. C’est bon, je sais qu’elle a plus de choses à dire que moi pour ton enquête.

Et ma tête lourde retombe contre les aiguilles sur le sol, encore bienheureuse à naviguer sur la houle déliée de l’alcool. Le pin ouvre ses bras dans le ciel comme un être heureux tout décoré de pignes. Mais le gendarme ne lâche rien :

— Avec les flics, c’est toujours la même sale éducation, allez debout !

— Ex-flic, merde, je suis serveur à présent.

***

Dans la nuit, le mobile-home d’un saisonnier bossant dans le même camping que Margaux et Maeva prend feu, et le jeune Mathys qui y dormait aurait pu mourir asphyxié dans son sommeil, s’il n’était pas sorti in extremis par la petite fenêtre de sa piaule. L’incendie a été maîtrisé avant qu’il ne s’étende aux autres locations. Sale nuit pour les pompiers. Je suis en train de fumer un cigare dehors quand j’apprends la nouvelle, alerté par le ballet lumineux des gyrophares sous les frondaisons des pinèdes. Et cet affolement de lumières rouges et bleues réveille un vieux plaisir enfoui en moi, comme si la part de mon cerveau reptilien que j’essaie tant bien que mal de contrôler demandait son lot de danger et sa ration de violence.

***

Avec la mi-juin la saison va débuter doucement, ça veut dire pour Claire de longues journées de travail, nuits courtes, vacanciers agacés et mal élevés. Je serai son bras droit, son salarié, son homme à tout faire sur qui passer son stress et ses nerfs, mais aussi son amoureux. Max a fait venir ses potes de fac et ensemble ils ont loué un chalet. Maeva est retournée dans son mobile-home au camping où elle travaille. L’autopsie du corps de Margaux sera pratiquée demain, après quoi les parents de la jeune femme viendront pour signer les formalités. Ce cadavre tombe mal, touristiquement parlant. La gendarmerie pense à un accident de surf. On a retrouvé la voiture de la victime garée dans un coin sauvage près de la plage de la Salie sud, plus au nord de Bisca. Garée comme elle l’était, en dehors des places régulières, dans le sol sablonneux près d’un sentier pare-feu on aurait le droit de penser que sa conductrice ne voulait surtout pas qu’on remarque sa voiture, raison pour laquelle la gendarmerie ne l’a pas découverte durant le laps de temps de la disparition de Margaux. 

Ce sont de jeunes amoureux en quête d’un coin nature à l’abri des regards qui ont découvert le véhicule. Mais je vois le mal partout. La fouille de la voiture n’a rien montré. Le portable de Margaux était dans son Mobil home au camping, là encore un oubli surprenant, empêchant les enquêteurs de la géo localiser durant sa disparition.

Bref, j’en suis à ruminer ce genre de réflexions en croquant un grain de café que j’ai laissé macérer dans du rhum quand je vois le facteur me faire signe. Je sors de la maison et l’accueille d’une poignée de main.

— Salut Arnaud, ça va ? La saison a déjà commencé ?

— Oui, tu veux un café ?

— Non, ce ne serait pas de refus, mais c’est la course aujourd’hui.

— T’as des infos sur Margaux ?

— Pourquoi tu me demandes ça, c’est toi qui l’as découverte, non ? Il paraît que c’était gore ?

— Je te demande ça parce que t’es un vrai facteur qui fait parler tout le monde.

Anthony a un sourire entendu. De corpulence athlétique, ce grand type poivre et sel est un homme bienveillant et attachant. Le genre de facteur à qui tout le monde se confie.

— Non je n’ai pas d’indices pour toi, désolé, mais ça a fait un choc dans le monde des locaux et des saisonniers, comme t’imagines.

— T’as entendu parler de l’incendie du Mobil home ?

— M’en parle pas, je ne sais pas ce qui se passe en ce moment. Les pompiers ont travaillé tard dans la nuit. L’enquête est en cours.

Il me donne mon courrier et disparaît aussitôt. Je me fais couler un café en jetant le tas de paperasses sur la commode en vieux bois. C’est là que je l’aperçois, cette enveloppe provenant d’Espagne. Par transparence je devine une carte postale à l’intérieur, et je blêmis.

Préférant fuir ce que représente ce courrier, je remplace Claire comme barista dans son commerce, et j’en profite pour y déposer de nouveaux exemplaires de mes recueils de poèmes sur les Landes. Mes livres se vendent bien l’été. J’ai apporté mon carnet d’écriture relié en cuir et mon vieux stylo à plume trop baveux à l’encre des mers du sud. La simple présence de ce courrier me remue, je ne peux pas le nier, alors autant être prêt à écrire au cas où. Après mon septième macchiato, Maeva débarque durant sa pause. Elle pensait trouver Claire, mais s’assoit à une chaise haute du comptoir.

Elle feuillette mes pages de poésie et sourit en me montrant les taches d’encre laissées par mon vieux stylo. Puis, sa tête reste posée dans sa main, prenant l’attitude du cancre qui s’ennuie à l’école, sauf qu’il s’agit d’une profonde mélancolie. Pourtant quelque chose me gêne, j’ai à nouveau ces signaux lumineux qui me tournent autour sans que j’arrive à identifier leurs significations. Il faut percer cet abcès. La sensation que Maeva n’est pas seulement triste à cause de la mort de son amie, mais qu’elle éprouve en plus quelque chose de plus fort que la peur, qui s’apparente à de la terreur, ne me quitte plus depuis la découverte du cadavre de Margaux.

Alors comme je suis moi-même inquiet par ce que cache l’enveloppe en provenance d’Espagne, je décide de ne pas ménager mon amie :

— Il s’en passe des choses dans le camping, en ce moment.

— Hum.

— Il paraît que Mathys est toujours à l’hôpital ?

— Non, il est sorti, juste incommodé par les fumées.

— On connaît l’origine du feu ?

— Non, je sais pas, un court jus électrique certainement.

Voyant qu’elle n’est pas bavarde, je lance :

— Je sais que Margaux cachait quelque chose qui la rongeait et que tu gardes pour toi.

Maeva me lance un coup d’œil boudeur, mais intéressé.

— Ne laisse pas les regrets d’un mort t’envahir, ils finiront par te détruire, crois-moi.

J’ai toute son attention à présent. Je lui fais une jolie boisson à base de cappuccino etgarnie de chantilly que je lui tends. Elle esquisse un sourire involontaire en la prenant, rapide comme un rayon de soleil au milieu de son visage triste.

— On n’a pas les résultats de l’enquête ? me demande-t-elle avec un air faussement désintéressé.

— Demain, autopsie.

— Hum, c’est certainement un accident.

— Oui, peut-être. Mais toi, son amie, tu es dépositaire de ses secrets comme de ses regrets, tu sais quelque chose sur elle qui va te tourmenter. Il te faut un ami à qui en parler pour t’aider à relativiser, ou connaître la bonne marche à suivre.

— Qu’est-ce qui te fait croire que je serais au courant de choses compromettantes ? Et pourquoi j’en parlerais à un ex-flic ?

Maeva a les yeux noisette, et la peau bronzée toute clairsemée de taches de rousseur.

— Quand j’ai tiré le corps et que tu m’as griffé.

— Et alors ?

— Alors il y avait plus que de la tristesse en toi, crois-moi, je suis un ancien policier de banlieue, les règlements de comptes ça me connaît, et ce que tu as éprouvé c’était pas seulement la peine d’un deuil. Je vais te dire, il y avait un fond de terreur dans tes pleurs, parce que tu as pensé qu’elle avait été tuée pour quelque chose dont tu étais courant, et tu as souffert pour elle à l’idée qu’elle ait pu être assassinée pour une des bêtises qu’elle cachait et qui la hantait.

Maeva blêmit.

— Qu’est-ce que tu en sais ? Tu peux le prouver ? me demande-t-elle en balbutiant.

Mais j’assène mon coup de grâce :

— Et toi, dans quelle mesure es-tu en danger ?

Maeva a le visage qui se ferme tout à coup, et elle me cloue avec un regard agressif. Me lance un billet de cinq euros et disparaît sans dire un mot. Bon, quand on a été trop longtemps au contact des voyous, on développe un odorat pour les secrets honteux que cachent les gens dont je me passerais bien désormais.

Après le dîner, je marche en haut de la dune, mon enveloppe à la main, en prenant soin de m’éloigner des touristes, à la recherche d’une place pour être en hauteur des eaux. Les nuages arrivant des Pyrénées sont chassés dans les terres par le vent marin. Les vagues mourantes murmurent des mots dans un langage que j’ignore, sinon qu’il m’apaise. C’est le crépuscule, on y voit encore bien, et j’ai cette carte postale d’Espagne dans son enveloppe que je tourne et retourne entre mes mains, et soudain j’observe alentour afin de voir si… enfin si Chamane, ce chien abandonné qui me sauve la vie et qui apparaît ou disparaît à chaque fois comme un esprit ne serait toutefois pas dans les parages. Il faut dire que cette carte me vient d’une région de l’Espagne qui ne laisse aucun doute quant à sonexpéditeur. Elle provient de San Martin de Castaneda, un endroit paumé où habite Azni, une petite Tchétchène qui vit dans la clandestinité avec des figures du grand banditisme que j’ai combattues par le passé, et qui m’ont arraché un lobe d’oreille en guise de souvenir. Azni et moi nous sommes rencontrés il y a deux ans, nous avons été en danger de mort et nous nous sommes mutuellement sauvés, mais surtout, c’est une médium. Après une nuit horrible, je l’ai confiée à mes ennemis au grand cœur, le clan Reyes, afin qu’elle échappe au contre-espionnage français, et depuis chacun suit sa voie. Alors avoir des nouvelles d’Azni me rend forcément nerveux. Je rêve parfois d’elle, ou plutôt c’est elle qui vient me visiter, un lien nous relie désormais, moi qui l’aime comme un père adoptif et elle qui est une orpheline élevée au sein d’une famille de trafiquants d’armes.

Je soupire en regardant le ciel, quand un point brille de plus en plus intensément au point d’illuminer un coin du firmament. Une boule de feu se détache alors des cieux pour déchirer la nuit, toute tremblante en se consumant pour chuter au loin sur les eaux. Le silence qui survient après m’égare dans un état second. Mon smartphone sonne avec une musique que pourtant je n’ai pas installée, mais je reconnais la chanson « Dreams burn down » du groupe Ride. Je consulte mon écran, mais déjà la sonnerie s’arrête, appel inconnu.

Alors il est là, surgi de nulle part et assis à côté de moi avec sa gueule pleine de bave et son regard mélancolique de chien abandonné. Il est assis, son épaule contre mon bras, au spectacle. Je caresse sa vieille peau plissée et il grogne de satisfaction. Et il me lèche affectueusement la joue. Mais déjà le ciel craque à nouveau, quand une boule de feu se détache des lointains pour s’effondrer dans la voûte céleste en empanachant la nuit, sa course est soudaine et éblouissante, un moment merveilleux de fin du monde ou de commencement d’un nouveau, sans que je n’arrive à me dire si c’est une étoile filante, un météore ou une comète ? La boule incandescente s’enfonce dans les eaux, au même endroit que la précédente, engloutie dans l’océan. Un panache de cendres et de lumières brille encore dans son sillage céleste avant de s’éteindre.

Chamane gémit d’un air complice. Ses yeux ne sont pas canins, je l’avais déjà remarqué, ils sont vides et sombres, mais traversés de lumières comme des soleils enflammés dans le gouffre abyssal de son regard. Pour Azni il s’agit d’un Djinn, d’un esprit qui m’est désormais attaché, ce qui est aussi l’avis de Claire. J’ouvre l’enveloppe et découvre une carte de l’abbaye de San Martin et au dos dans une écriture aux belles lettres déliées, ces mots : « dreams burn down, mes rêves de paix s’enflamment et s’effondrent, tu en verras les signes, je dois revenir et tu dois sauver ma famille adoptive. » C’est tout ? Dans quelle merde noire se sont fourrés les costauds du clan Reyes, marchands d’armes qui ont refusé une vente à une cellule terroriste à l’époque, qui m’ont utilisé comme appât vivant pour me sauver in extremis, et à qui j’ai confié ma chère Azni ? Je ne suis plus aussi féroce qu’avant et l’idée de devoir me frotter à ce clan surentraîné et surarmé ne m’enchante pas du tout. Encore moins à les aider sans risquer d’être mis en cause pour trahison à la sûreté de l’État.

Mon téléphone sonne à nouveau en lançant le morceau « dreams burn down »