Les chroniques policières de Biscarrosse - Tome 3 - Rémy Lasource - E-Book

Les chroniques policières de Biscarrosse - Tome 3 E-Book

Rémy Lasource

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Beschreibung

Les vieux démons d'Arnaud, un ex-flic désormais serveur à Biscarrosse, remontent soudainement à la surface lorsque celui-ci boit un punch contenant de la drogue à une soirée.

Arnaud, ex-flic reconverti en serveur, vit à Biscarrosse avec Claire à qui il a promis d’abandonner ses habitudes de Shérif. Lors d’une fête il boit un punch qui contient de la Flakka, la drogue du Zombie. Celle-ci le confronte à ses vieux démons et provoque un AVC à l’une de ses amies. Hanté par des évènements jusque-là refoulés Arnaud se découvre fragilisé par son passé. Il fait appel à ses amis policiers pour retrouver le dealer dont la rumeur dit qu’il est intouchable, parce que protégé par un service de police.
Arnaud aura à mener une enquête musclée, croisant sur sa route une violence qu’il espérait ne plus retrouver, au risque de se perdre.
3e opus de la série des thrillers océaniques sur Biscarrosse, Au clair de la dune peut se lire indépendamment des autres.

Suivez les péripéties d'Arnaud, fragilisé par son passé et englué dans une sombre enquête malgré lui, dans ce troisième tome de la saga de thrillers océaniques sur Biscarrosse !

EXTRAIT

Au bout d’un moment, je sens quelque chose dénouer chacun de mes nerfs, comme si les chaînes qui tenaient mon corps s’étaient rompues. Et je me découvre presque désarticulé. J’ai de plus en plus chaud, et puis je me sens devenir lent. Ça y est, je suis encore saoul. Claire va me reprocher mes habitudes d’ex-flic toujours alcoolo. Mais ce punch est une tuerie. Cannelle, noix de muscade, vanille, et je ne sais quoi d’inhabituel et de singulier. Ouah, j’ai de plus en plus chaud. Je deviens soudain amorphe. Je cherche du regard le couple d’apprenties sociologues, et je remarque qu’elles sont dans un état pire que le mien. Raides défoncées. Ouah là, le sol tangue, pourtant je n’ai pas la nausée comme d’habitude. Et puis j’ai anormalement chaud. Je me mets à suer abondamment, j’ai dû choper un virus, une saloperie, un coup de froid. Je touche mon front, merde, je crois bien avoir de la fièvre. Je m’assois sur le trottoir pour contrôler mes premiers vertiges et observer Lucie et Béatrice. Leur grande bouteille de punch est presque vide, elles ne m’ont pas attendu, j’ai quand même un petit goût de regret. Elles ont l’air encore plus ivres que moi. Au-dessus, les lampions brillent intensément puis reviennent à une luminosité normale. Cindy se marre avec Claire et je réalise que je ne comprends rien à ce qui se passe autour de moi. À côté, les touristes s’amusent et j’essaie de regarder Lucie et Béa entre les jambes des gens qui dansent, tournent, et rient sous les lampions de la nuit parfumée. Une grosse langue râpeuse vient me nettoyer le front de toute ma sueur. C’est le bouvier bernois de Cindy qui a vu que je n’allais pas fort, merci, mon vieux. Sa gueule pleine de poils me tient chaud quand même, surtout qu’il monte la garde près de moi, comme un infirmier canin. Une secousse glacée me traverse.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après avoir fait des études de droit, Rémy Lasource est devenu fonctionnaire. Il a travaillé quelques années en banlieue nord de Paris au contact des policiers et des magistrats, et vit aujourd’hui en limousin. Édité chez Ex Aequo pour ce douzième ouvrage, il est jury du prix Zadig de la nouvelle policière.

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Rémy Lasource

Au clair de la dune

Chroniques policières de Biscarrosse

Thriller

ISBN : 978-2-37873-720-7

Collection Rouge : 2108-6273

Dépôt légal : juin 2019

© couverture Ex Aequo

© 2019 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

Éditions Ex Aequo

Table des matières

Résumé

Au clair de la dune

Les autres chroniques policières de Biscarrosse

Du même auteur

Résumé

Arnaud, ex-flic reconverti en serveur, vit à Biscarrosse avec Claire à qui il a promis d’abandonner ses habitudes de Shérif. Lors d’une fête il boit un punch qui contient de la Flakka, la drogue du Zombie. Celle-ci le confronte à ses vieux démons et provoque un AVC à l’une de ses amies. Hanté par des évènements jusque-là refoulés Arnaud se découvre fragilisé par son passé. Il fait appel à ses amis policiers pour retrouver le dealer dont la rumeur dit qu’il est intouchable, parce que protégé par un service de police.

Arnaud aura à mener une enquête musclée, croisant sur sa route une violence qu’il espérait ne plus retrouver, au risque de se perdre.

3è opus de la série des thrillers océaniques sur Biscarrosse, « Au clair de la dune » peut se lire indépendamment des autres.

Après avoir fait des études de droit, Rémy Lasource est devenu fonctionnaire. Il a travaillé quelques années en banlieue nord de Paris au contact des policiers et des magistrats, et vit aujourd’hui en limousin. Édité chez Ex Aequo pour ce douzième ouvrage, il est jury du prix Zadig de la nouvelle policière.

Au clair de la dune

Bisca plage. Un endroit retiré entre l’océan et les pins, en pleine Côte d’Argent. Là où le continent étire une longue plage qui part de la pointe du Médoc jusqu’au Pays basque. Soit un rivage sablonneux d’environ 250 kilomètres, ourlé de dunes, qu’habille une ondoyante chevelure de pins maritimes ; le massif forestier des Landes de Gascogne. Et tout au milieu, Biscarrosse plage, un endroit paumé en pleine nature, coincé dans un petit paradis. Entre les toits orange des maisons blanches, des fils électriques pendent mollement. La forêt dunaire s’étale derrière le bourg et recouvre les collines jusqu’à habiller l’horizon. Pour y venir, il faut traverser des kilomètres de pinèdes, défiler entre les longues jambes des troncs où poussent les hautes fougères et la bruyère pourpre qui brille de reflets d’améthyste.

À Bisca on vit caché dans un petit coin du bout du monde, d’un côté l’atlantique déroule de longues lames bleues avec un brouhaha géant qui résonne jusque dans le dôme du ciel ; l’impression d’immensité et de liberté se conjugue alors instantanément ; et de l’autre la canopée de pins ondule comme une toison verte où que la vue porte, toute scintillante de cristaux de sel quand les vagues sont démontées.

La nuit le vent décoiffe les dunes. Les routes de Bisca sont alors recouvertes de tresses de sable où les empreintes des oiseaux dessinent une écriture éphémère, seulement comprise de l’aube.

Quant à l’asphalte, délavé d’embruns, il ressemble à un vieux jeans patiné dont le denim est troué de racines odorantes de pins, et les après-midi la canicule marie l’odeur de goudron fondu à celle plus poivrée de la résine des sèves. Bisca, un endroit loin de la civilisation, au seuil de l’immensité.

Il y a deux ans, quand j’étais encore flic, je suis venu ici pour des vacances de la dernière chance et depuis je ne suis jamais reparti. Je venais d’être suspendu de mes fonctions parce que, hors service, j’avais empêché de commettre un braquage. Un petit con menaçait un restaurateur avec une arme de poing et je me suis interposé, j’ai reçu un coup de feu dans le ventre qui m’a fait voir rouge en plus de voir s’écouler mon sang, et je suis monté sur le braqueur à qui j’ai asséné des coups de poing jusqu’à ce qu’il en perde un œil et que les clients me relèvent. Le type a bien évidemment déposé plainte contre moi, raison de ma suspension, et comme je virais alcoolo agressif je suis venu ici me changer les idées et me remettre à écrire de la poésie.

Là, j’ai assisté à une agression et j’ai mis en fuite deux connards, des grossistes de stupéfiants qui s’en prenaient à leur petit dealer local. Puis j’ai sympathisé avec lui, un ado dénommé Max, et l’ai aidé à sortir du trafic. J’ai fait coffrer les deux salauds, et fini dans le lit de Claire, la mère de mon nouvel ami. Drôle de vie. J’ai fui la banlieue parisienne pour vivre ici, à Biscarrosse, une petite station balnéaire perdue entre la forêt et l’océan, aux portes de l’Atlantique où la lumière et les crépuscules ont un avant-goût d’éternité, et où j’écris des poèmes. Sauf que j’ai toujours attiré les emmerdes ou qu’eux aiment bien me coller aux semelles. L’an passé, Max s’est fait tabasser par des dealers parisiens. J’ai repris mes mauvaises manières en jouant au shérif et j’ai manqué de finir éventré ; et depuis Claire m’a fait jurer de ne plus jouer aux flics.

Voilà, tout ceci semble logique s’il n’y avait pas eu ces rencontres étranges avec un chien miteux, un animal abandonné qui vit dans la forêt dunaire de Bisca, un boxer tigré, qui apparaît à chaque fois que je suis au plus mal et qui semble guider mon chemin comme s’il était mon esprit protecteur. J’ai renoncé à le trouver pour l’adopter, parce que tout simplement je ne sais pas s’il s’agit d’un animal ou d’un truc venu de l’au-delà. J’avais d’ailleurs commencé à perdre mes certitudes quand jeune flic, j’avais ramassé des gens qui réchappaient anormalement à des drames, comme se faire rouler dessus par un train, ou qui survivaient à plusieurs coups de feu passés à ras d’organes vitaux ; c’est là qu’on apprend que la mort échoue assez souvent dans ses tentatives, ou qu’il y a des choses étranges et inexpliquées qu’on ne voit pas forcément ; et nous les flics en pareils cas on hausse les épaules et on se dit « bah c’est pas leur jour pour mourir ». Alors, pourquoi un chien abandonné et mangé par les puces ne viendrait-il pas me montrer le chemin ou me sauver la vie en faisant descendre un éclair sur un tueur qui s’apprête à me poignarder ? Voilà le genre de truc qui m’arrive, moi l’ancien flic devenu barista au coffee-shop.

***

Le ciel s’obscurcit. Je bâille en regardant un couvercle nuageux descendre jusqu’à l’ourlet des horizons. Un monde de nuées grises éteint la grande lumière de Bisca. Claire me parle de mille choses, elle a un débit incessant et un cerveau qui tourne toujours trop vite pour un gros matou comme moi. Mais je fais semblant de l’écouter alors que l’envie d’écrire me reprend ; tandis qu’un filet d’innocence scintille comme une eau de roche en montagne et que s’en écoule une poésie sur l’air doux qui nous entoure. Claire a une voix cristalline, et pas seulement parce que la période des soldes commence, mais aussi parce qu’elle souhaite que j’aille à l’interview de Fréquence Grands Lacs pour y parler de mon dernier recueil de poèmes. Alors je fais oui poliment de la tête sans écouter, parce que je suis attiré par cette chape de nuées imbriquées au-dessus de nous, et soudain je souris quand le métal des nuages se fendille et que jaillissent ces épées lumineuses dessinant des écus d’or sur l’océan. C’est ça, je souris ; et je frissonne aussi.

— Et puis, il me faut un nouveau sac Paul Marius. Et aussi ton nouveau pote flic de bordeaux, le commandant Gaétan, le type immature avec ses manies de diva m’a dragué avec beaucoup de flatterie, puis il a enlevé ma petite culotte pour me lécher en comparant mon sexe aux bonbons dans ces coquillages plastiques qu’on suçait quand on était gamins, tu te rappelles les roudoudous ?

— Pardon ?

— Tu vois que tu ne m’écoutes pas !

Je blêmis.

— T’as couché avec Gaétan ?

Claire rit avec l’air d’un lutin malicieux qui aurait pris un gros rat dans une tapette. Je viens de réaliser qu’elle m’a piégé parce que je ne l’écoute pas.

— À quoi penses-tu ? me demande-t-elle aussitôt. Et quand elle m’interroge, elle n’est même pas fâchée après ma goujaterie ; cette fille est en or, en or blanc me dis-je en surprenant un rayon accrocher un des cheveux blancs qui couronnent sa blonde chevelure.

Afin de trouver les mots pour décrire le vide que j’ai dans le crâne je retourne à ma contemplation. Justement, la marée monte ; des vagues se lèvent sous les fouets d’un vent venu des confins déchaînant des déferlantes à l’assaut de la plage, c’est un vent rageur, et les lames d’eau qui lui obéissent creusent des baïnes encerclées de longs courants sournois et dangereux. L’air scintille de sel et les embruns quand ils captent un rayon de soleil forment d’éphémères arcs-en-ciel.

— Je ne pense à rien ici, dis-je à Claire en haussant, impuissant, les épaules. C’est juste que le monde rentre en moi.

— Tu me fais parfois penser à un moine bouddhiste. Au moins quand tu es comme ça. Si on oublie ta capacité à la violence, ton appétit carnivore, tes désirs sexuels, et ta tendance à l’alcoolisme et à la gloutonnerie, mais aussi et de façon non exhaustive à toutes tes formes d’envies compulsives. Du coup, je ne sais pas comment l’espace de dix secondes j’ai réussi à te prendre pour un moine bouddhiste.

— Ouais, alors à un taoïste plutôt.

— Ça y est, mon flic aux gros bras revêt son petit costume étriqué d’intello, tu veux me faire une leçon sur le tao te king ?

— Sur le dao.

— T’es tellement con quand t’es snob, chéri.

— Je fais ce que je peux pour être ton charmant prince, mon amour.

— Alors, à quoi pense un esprit supérieur comme le tien tandis que je parle des soldes et des cadeaux que tu vas pouvoir me faire à Bordeaux, comme un nouveau sac et de nouvelles sandales ?

On se trouve sur un balcon au seuil de l’immensité, dans un de mes endroits préférés, assis à la Siesta, ce café-restaurant en bois posé sur le sable en hauteur des dunes, où j’essaie de refragmenter les rares pensées que j’ai, mais qui se dissolvent face au grondement sourd du ressac.

— Est-ce qu’un psy ou un penseur a expliqué pourquoi, quand je me trouve face à l’océan, mon esprit arrête de tourner dans le vide pour s’ouvrir face à ce qu’il voit ? dis-je d’une voix rêveuse et sans conviction.

— Bien je sais moi, répond Claire. Tu dois être un descendant de l’Atlantide. Ce qui ne t’exonère pas de faire des cadeaux à la sirène que je suis, mon amour.

Claire se lève, effleure ma joue avec sa hanche, ce que j’aime comme caresse en public, puis se dirige vers la serveuse blonde tatouée pour lui commander un autre double expresso pour moi. Cette gentille attention est en réalité la fin de ma récréation contemplative, et il va falloir que j’écoute mon amoureuse dans ses besoins de consommation. J’y peux rien, moi, si j’ai la tête vide. C’est justement ce que je me dis quand je sens la main de Claire s’ouvrir sur mon crâne et ses doigts passer dans mes cheveux. Sa caresse me provoque une cascade de frissons.

Elle s’assoit en face de moi et me demande ce que je vais raconter à radio FGL.

— Je n’en ai aucune idée.

— Bien, je ne sais pas moi. Hervé Delrieu est un passionné et il va vouloir du fond. Il va même te cuisiner.

C’est là qu’on me sert mon double expresso et que la vue des vagues me happe à nouveau.

— Comment je m’habille ce soir pour la fête du lac de Sanguinet ?

Claire me sourit avec insistance, façon de me dire que je dois être concerné par un sujet aussi fondamental. J’esquisse un sourire impuissant.

— On va retrouver Max, dis-je, qui va nous présenter ses potes de fac, faut que tu sois habillée en maman surfeuse.

Mais mon argumentation ne convainc pas, je n’ai pas trouvé les bonnes formules pour Claire qui s’enfonce en plein doute vestimentaire.

L’océan a le dos parcouru de chevaux bleus à l’encolure d’écume. Mon double expresso a coulé dans ma gorge, épais et amer comme le sang d’un démon, comme je l’ai toujours aimé ici, à la Siesta, au seuil de l’Atlantique, aux portes de l’immensité. Le vent chargé d’embruns me fouette le visage, on se lève. Mes pensées reviennent au moment où je m’arrache de ce lieu de contemplation. Il est temps pour moi de trouver les mots pour conseiller Claire dans sa tenue pour la fête de Sanguinet.

En partant, on croise notre ami Duf, « la tortue », un géant d’un mètre quatre-vingt-dix qui vient se faire une session de surf, et en courant il me lance :

— Alors, Arnaud, quand est-ce que tu t’y mets ?

Il est tellement heureux qu’il me fait un clin d’œil, son visage affichant le bonheur insouciant du surfeur qui sait qu’il va prendre plein de vagues, et que plus rien au monde ne compte désormais. Il court vers des moments de liberté tant que durera sa session, le temps que la marée offrira des déferlantes. Il part, excité, et sans attendre ma réponse qui, il le sait, ne viendra pas. On le regarde descendre les marches et trotter vers l’océan boursouflé d’écume. Cette image me laisse rêveur ; Duf debout dans l’écume qui avance puis qui se jette à l’eau. Le surf, un projet d’ado que je n’ai jamais concrétisé. Il va falloir que je m’y mette avant de le regretter. Il suffit de voir la lumière qu’allume ce sport dans son regard pour comprendre qu’il s’agit d’une communion. Déjà je vois sa silhouette couchée sur sa planche qui rame et passe les rouleaux.

Claire a finalement opté pour une petite robe de surf, après quatre essayages différents, et dans la voiture j’essaie de dissiper l’humeur sombre qui obscurcit son visage.

— Tu ne veux pas aller à cette fête ? T’as l’air toute maussade, tout va bien ?

— J’ai comme une appréhension, me dit-elle, tu sais avec le début de la saison qui commence, et tout ce qu’il faut préparer. Et puis l’été passé m’a éprouvée et j’en garde un mauvais souvenir. Je n’ai pas envie de retomber dans les ennuis, tu seras sage, hein ? Pas de trucs de flic imprévus ?

Je ris nerveusement, « mais Claire, voyons, que veux-tu qu’il nous arrive à la fête du lac ? »

Il est 20 heures quand je retrouve mon pote William Hure dans son fief de Sanguinet. Un sportif accro à l’adrénaline et à la vitesse, un type sec et tout en muscles qui a cependant un regard calme et réfléchi. Claire est avec un couple de vacanciers amis, Cindy, son mari et leur bouvier bernois, une énorme bête à poils qui prodigue des câlins baveux. Claire qui parle avec eux depuis de longues minutes cherche en réalité son fils Max partout avec un mélange d’excitation et d’anxiété, surtout qu’il vient de réussir son année universitaire. À moi aussi, ce sale gosse au grand cœur me manque.

— Est-ce qu’il a une petite amie ? me demande sa mère en se tordant les doigts de stress dans tous les sens.

Justement, Max arrive derrière nous et met ses mains sur les yeux de sa mère qui rit sous l’effet de la surprise. Elle se retourne et prend son grand garçon dans les bras. Elle est vraiment heureuse en le serrant contre elle, et rapidement il me fait une accolade. J’apprécie d’avoir ce grand jeune homme contre moi qui ressemble de plus en plus à sa maman. Il en profite pour tâter le bourrelet de mon ventre et évaluer mon niveau de pépérisation.

Rapidement, nous devons prendre congé de Cindy parce que Max insiste pour nous présenter ses nouveaux amis du campus. Je vois de jeunes sportifs en fac de sport, de sciences ou de droit, et d’autres, plus avachis au look rasta dans des filières universitaires inconnues. Je serre la main à toute cette jeunesse. Au bout d’un moment, après que j’ai été présenté à toute cette joyeuse troupe, on se détend. Claire est déjà repartie parler avec sa copine Cindy qu’elle appelle à tout bout de champ « Cindail », une cliente au rire incroyable devenue amie au fil des ans, tandis que je suis retenu entre les mains de Max et de ses potes.

En face d’un couple d’étudiantes en sociologie, je suis amené à faire un beau sourire, parce que je comprends que Max les adore. Aussitôt elles me sortent un breuvage de leur glacière :

— Vous allez goûter, beau papa de Max, c’est du punch maison.

Et elles remuent énergiquement leurs bouteilles en plastique, ce qui me permet d’apprécier la lente ondulation de leurs courbes.

Elles me déblatèrent avec enthousiasme leur vision du monde, un idéal de communauté expérimenté dans une ZAD (Zone À Défendre), mais aussi un rapport précis sur le méchant État policier qui nous surveille. Je manque de m’étouffer ; je suis déjà d’une autre génération (non, ma chérie l’État n’est pas policier, je devrais te montrer toutes les victimes de viols et d’agressions qui réclament encore justice dans leur silence mutique, non justement, l’État de droit est arrivé à ses limites), mais putain, ce punch est diablement fort ! Et plein d’épices, voici que mon foie me commande d’écouter comme à la messe le sermon décérébré d’étudiantes en socio du moment que je peux continuer à m’abreuver dans cette paroisse. Alors je les écoute sans rien entendre, un exercice que j’ai développé quand Claire invite ses copines le soir. Je ne reste que pour profiter d’un autre verre, en bon opportuniste. L’une d’elles, la plus ingénue du couple, me regarde avec ses jolis yeux naïfs :

— Est-ce que tu es un sale facho d’ex-flic ? C’est pas courant un policier qui aide un dealer comme Max à sortir de son trafic.

Qu’est-ce qu’elle est conne, c’est un vrai bonheur, mais son punch est délicieux. Je reprends de son breuvage bourré d’épices et de rhum, il doit friser les 50 degrés tant il brûle ma gorge, descend ma trachée avec des étincelles pour embaumer mes poumons de noix de muscade, de canne à sucre et d’épices encore non identifiées.

— Bien sûr, dis-je d’une grosse voix. Pour toi, je suis une sale brute et fier de l’être. Un type que tu peux pas éduquer.

Et je lui souris.

— Ah, c’est génial, Lucie qui est là (elle me désigne sa petite amie) veut rééduquer les pervers sexuels, et moi j’ambitionne de faire évoluer les fachos sécuritaires dans ton genre.

J’acquiesce de la tête.

— Avec un rhum comme le tien, je te suis tout ouïe, mais c’est vous qui l’avez fait ? ».

— Non, c’est un pote africain.

Je prends un air concentré en hochant de la tête comme si je réfléchissais à un truc grave et complexe. Je réalise juste que ces filles ne sauraient pas faire un truc aussi original. Puis j’écoute le flot passionnant sortir de la bouche de Béa, au sujet de l’entraide, de non-travail, de revenu universel, de culture bio dans le Massif central, etc.…

— Qu’est-ce que tu penses de la culture du chanvre, me relance Béa avec son air béat.

— Le chanvre c’est pour faire des pulls ou de la drogue ?

— Ben, les deux ! glousse-t-elle en remuant sa poitrine, tout amusée d’avoir un facho à débaucher.

Claire vient me prendre par le bras, peut-être parce qu’elle s’inquiète du décolleté de Béa et de son regard benêt. C’est vrai qu’en sentant ma chérie me tenir par le coude je comprends juste que je suis aussi en débardeur et que Béa, que je prenais pour une homo, a une ombre de déception dans le regard, visiblement ennuyée de l’arrivée de ma petite amie. Elle devait probablement se demander comment c’est de faire l’amour à un ex-flic aux grosses épaules. Comme un bon toutou, Claire me tire loin de ce lieu que mon foie avait identifié comme un précieux abreuvoir dans la longue traversée du désert de cette fête, et me voici ramené vers des têtes que je connais. Cindy me demande ce que je veux boire, et cette question me fait rire « de l’alcool, évidemment » lui dis-je en fixant son énorme bouvier bernois. Et elle m’apporte une bière que j’engloutis comme une limonade. Cindy est une jolie fille qui rit souvent et très fort, ce qui est surprenant, mais agréable, et puis sa joie de vivre est communicative. Cette amoureuse de la région m’explique qu’elle adore le coin pour ses endroits paumés, un point qu’on a en commun, comme le restau de la plage de la Salie sud sous les pins ; il n’y a même pas de réseau téléphonique. Là-bas, elle y est seule au monde, me dit-elle, avec son chéri et son chien ; et quand elle me raconte ça, elle a les yeux qui s’allument.

Au bout d’un moment, je sens quelque chose dénouer chacun de mes nerfs, comme si les chaînes qui tenaient mon corps s’étaient rompues. Et je me découvre presque désarticulé. J’ai de plus en plus chaud, et puis je me sens devenir lent. Ça y est, je suis encore saoul. Claire va me reprocher mes habitudes d’ex-flic toujours alcoolo. Mais ce punch est une tuerie. Cannelle, noix de muscade, vanille, et je ne sais quoi d’inhabituel et de singulier. Ouah, j’ai de plus en plus chaud. Je deviens soudain amorphe. Je cherche du regard le couple d’apprenties sociologues, et je remarque qu’elles sont dans un état pire que le mien. Raides défoncées. Ouah là, le sol tangue, pourtant je n’ai pas la nausée comme d’habitude. Et puis j’ai anormalement chaud. Je me mets à suer abondamment, j’ai dû choper un virus, une saloperie, un coup de froid. Je touche mon front, merde, je crois bien avoir de la fièvre. Je m’assois sur le trottoir pour contrôler mes premiers vertiges et observer Lucie et Béatrice. Leur grande bouteille de punch est presque vide, elles ne m’ont pas attendu, j’ai quand même un petit goût de regret. Elles ont l’air encore plus ivres que moi. Au-dessus, les lampions brillent intensément puis reviennent à une luminosité normale. Cindy se marre avec Claire et je réalise que je ne comprends rien à ce qui se passe autour de moi. À côté, les touristes s’amusent et j’essaie de regarder Lucie et Béa entre les jambes des gens qui dansent, tournent, et rient sous les lampions de la nuit parfumée. Une grosse langue râpeuse vient me nettoyer le front de toute ma sueur. C’est le bouvier bernois de Cindy qui a vu que je n’allais pas fort, merci, mon vieux. Sa gueule pleine de poils me tient chaud quand même, surtout qu’il monte la garde près de moi, comme un infirmier canin. Une secousse glacée me traverse. C’est de l’adrénaline qui m’envoie un jet de force et je me redresse malgré moi, soudain debout, ivre d’énergie comme un athlète dopé sans comprendre ce qui lui arrive. Je cherche toujours cette bouteille de rhum pour voir s’il en reste encore ; autant mettre mon regain d’énergie pour retrouver cette sucrerie alcoolisée. Je flatte l’énorme épaule du bouvier bernois tout en cherchant à localiser le Graal à boire. Justement, le couple d’étudiantes en socio se met à boiter ridiculement vers un angle de rue.

En route ! Et je me mets à sourire béatement aux étoiles que je vois scintiller au milieu des guirlandes lumineuses de Sanguinet quand j’entends crier. Devant moi, les deux filles Lucie et Béa agressent un homme qui se débarrasse d’elles difficilement. Et les voilà qui boitent vers lui comme deux pantins désarticulés, mais furieux. Puis Lucie sprinte soudain sur sa victime et la renverse avec une violence surprenante. Béa arrive en boitant vers eux. Je me mets à courir, un réflexe de flic, mais mes membres sont englués. Je suis témoin de cette agression qui a lieu à un coin de rue, à l’écart et dans une semi-obscurité. Les bruits alentour ne permettent pas à la foule de se rendre compte de ce qui se passe. Je respire vite sans comprendre pourquoi. J’essaie d’appeler à l’aide, mais je suis complètement dépossédé de mon corps. Est-ce que je fais un AVC ? Le type agressé s’est relevé, gardant toujours Lucie accrochée à sa jambe, et qui commence à lui mordre le mollet. Béa arrive vers eux, boitillant, mais menaçante. Mais qu’est-ce qu’il se passe, enfin ?

Puis arrive cette silhouette dans un éclair, je ne vois que ses cheveux blonds sous la lumière, je reconnais William à son sprint et j’associe la maîtrise de cette course à la réputation qui lui cheville au corps ; « la durite », celui qui n’aime pas l’injustice au rugby et qui pète sa durite en donnant de grands taquets aux gros baraqués. Or, William est déjà sur Lucie qu’il écarte de sa proie, et il est en train d’aider l’homme qui se tient le mollet de douleur. Mais Béa se jette sur William et veut le mordre à la joue, lui est surpris et n’ose pas être violent envers une femme, mais très vite il se ravise et projette son agresseur contre une voiture. Béa aurait dû être assommée. Mais elle ne sent pas la douleur. C’est là, dans les limbes de mon esprit ankylosé que je comprends que ce qui arrive n’est pas normal. Béa a ce regard haineux que je connais. Une méchanceté pure, qu’on trouve très souvent chez les toxs en crise. Lucie se jette sur le cou de la durite avec une rage et une force inouïe. William, un type tout en nerfs et en vitesse, a des muscles comme la lanière d’un fouet, rapides et durs, et il se dégage en repoussant sèchement la Lucie.

Pendant ce temps-là, j’ai réussi à courir lamentablement comme un vieillard et je dis dans ma bouche pâteuse « on est shootés, on n’est BBrogués, Dd-drogués par le punch ! Danger, faut les bloquer » William, lui, qui a le cerveau clair avec ce danger qui rôde autour m’a très bien compris. Je lui désigne sa ceinture :

— Bbenotte leur pied, menotte leur pied. Entrave-les.

C’est ainsi qu’il sort de son pantalon sa ceinture pour lier le pied de Lucie à celui de Béa. Et elles bavent et gueulent comme des incrédules.