Les chroniques policières de Biscarrosse - Tome 4 - Rémy Lasource - E-Book

Les chroniques policières de Biscarrosse - Tome 4 E-Book

Rémy Lasource

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Beschreibung

Un savant mélange de contemplation et d'aventures palpitantes.

Arnaud est un ex-flic qui vit au bord de l’océan. Approché par la Sécurité Intérieure pour surveiller la communauté tchétchène, il retrouve ses mauvais penchants en n’en faisant qu’à sa tête, comme enquêter seul sur le clan Reyes, un groupe de gitans fichés au grand banditisme. Pris entre des voyous aguerris, des policiers et des islamistes, Arnaud va se frotter à des gens dangereux. Imprévisibles comme des serpents. Mais ce fonceur tête baissée ne compte que sur sa chance, et sur la présence mystérieuse d’un chien abandonné qu’il croit être son ange gardien. Seuls son amour pour Claire, ses amis et la contemplation de l’océan le protègeront de la tempête de sable qu’il s’apprête à affronter.
Les Serpents de Sable est le 4è tome des chroniques policières de Biscarrosse.

Dans ce thriller hard-boiled, retrouvez les péripéties d'Arnaud, l'ex-flic intrépide de Biscarrosse!

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après avoir fait des études de droit, Rémy Lasource est devenu fonctionnaire. Il a travaillé quelques années en banlieue nord de Paris au contact des policiers et des magistrats. Il vit aujourd’hui en Limousin. Son univers littéraire se partage entre le fantastique et le thriller. Jury du Prix Zadig de la nouvelle policière, ce roman est son 14° livre publié aux éditions Ex Aequo.

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Les serpents de sable

Les chroniques policières de Biscarrosse

Thriller

ISBN : 978-2-37873-958-4

Collection Rouge 

ISSN : 2108-6273

Dépôt légal : mai 2020

© couverture Nathalie Delclos pour Ex Aequo

© 2020 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Toute modification interdite.

Éditions Ex Aequo

6 rue des Sybilles

88370 Plombières les bains

www.editions-exaequo.com

Bisca, un soleil écrasant métallise la houle bleue qui ondule comme un serpent en approche, et les lèvres d’écume qui moussent à nos pieds nous délivrent une fraîcheur pétillante de sel. Assis les pieds dans le sable, je guette les attaques qui arrivent de derrière. Claire rigole comme une enfant, elle mordille mon oreille et m’envoie quelques baisers doux effleurant ma peau comme des ailes de papillon, tout en regardant progresser la chair de poule dans mon cou. Pendant ce temps, les vagues s’écrasent avec un bruit de délivrance, certaines remontent jusqu’à mes pieds pour chatouiller ma peau avec leurs bulles de sel. Je les regarde se lever, s’enrouler pour charger vers moi et s’effondrer dans un bain d’écume, tout bouillonnant de pépites blanches réverbérantes de soleil. Nous sommes seuls, et ne parlons plus depuis que l’océan a rempli nos têtes. Comme si avec Claire, nous n’avions plus besoin des mots sinon être l’un près de l’autre. Des cheveux de son chignon tombent sur mon front ou accrochent un de mes cils, je lève les yeux et vois ses dents sortir de son sourire, et son regard bleu électrique recèle le cœur de l’océan. Alors elle ouvre sa bouche et m’embrasse comme si j’étais un fruit, les lèvres ouvertes, sa langue venant jouer dans mon palais et sortir aussitôt, sonnant la fin de son baiser dans le déferlement d’un petit rire mutin.

Nous sommes sur une plage retirée des touristes, où il faut marcher en forêt pour jouir d’être seul au monde, ici, dans une bulle d’éternité. C’est ce que je me dis quand je sens la poitrine de Claire venir se frotter contre mon cou, et sa tête redescendre vers la mienne, sa bouche encore plus ouverte violer la mienne et goûter mes lèvres, mon corps, ma peau, m’envoyant l’éclair bleu de ses yeux dans l’âme et la caresse de ses cheveux blond cendré contre mes joues. Puis elle s’assoit à califourchon sur moi, sa robe recouvrant mes jambes. Elle tient mon visage entre ses mains pour m’observer, sa tête s’inclinant légèrement. Et sans rien dire, elle écarte la braguette de mon short de surf et s’emboîte sur moi. Je m’allonge, toujours habité du bruit des rouleaux remplissant l’espace immense. Je reste un instant les yeux perdus aux portes des cieux où résonne l’écho océanique. Mon sexe est en elle, je goûte chaque seconde. Je ressens les vibrations de l’océan se réverbérer sous le sable. Claire pose ses mains sur mes pectoraux et commence à trouver sa danse des hanches pour mieux goûter à ma pénétration en oscillant. Je descends les bretelles de sa robe pour lui caresser les seins. Claire, cette fille landaise qui a grandi au bord du rivage est à l’image de ce pays bordé par l’Atlantique. Elle est une femme solaire à la peau hâlée, naturelle, belle sans être sophistiquée, habitée par un souffle, et tandis que j’observe sa bouche gourmande s’entrouvrir et qu’elle se remue concentrée, tantôt contractée ou ouverte sur moi, c’est le bleu électrique de ses yeux qui me happe, comme s’il m’avait appelé, capturé et enivré, comme si Claire m’offrait cette clarté qui irradie l’océan et les cieux de Bisca. Et tandis que nous faisons l’amour et que j’écoute ses soupirs, je comprends que cette femme m’offre une liberté que je ne savais pas exister, comme si elle me réconciliait au monde, comme si elle me faisait connaître la vie telle que chacun d’entre nous peut la vivre : innocente, extatique et pure.

Quand elle m’arrache tout mon désir j’ai cette force qui s’échappe de moi et qui me délivre, lourde et abondante alors qu’elle sourit les yeux fermés en sentant ma semence chaude l’inonder. Elle est heureuse, son corps halé, chaud de soleil et moite, je lèche ses seins salés par les embruns et l’effort. L’océan soupire en mourant à nos pieds.

En rentrant de la plage il y a à l’orée de la forêt dunaire un endroit où les pins ont poussé de façon torturée à cause des vents violents, avec des troncs vrillés et des branches tordues, comme suppliciés par les intempéries, en formant un cercle d’arbres anamorphosés qui ressemble à une assemblée de sorcières une nuit de sabbat, et si je suis attiré par l’endroit, c’est à cause de cette odeur de mort que je connais trop bien. Je demande à Claire de m’attendre sur le chemin alors que je m’approche en franchissant les dunes. Ça empeste la charogne au fur et à mesure que j’arrive en même temps que j’entends bourdonner les mouches. Là, comme une verrue dans ce coin calme, ou un sacrilège mal dissimulé dans mon petit paradis, trois têtes de chevreuil décapitées sont posées dans des arbres et se regardent en triangle, la langue sortie de leur gueule et le front portant des marques de sang. Plus haut dans les branches pendent des boyaux grouillants de mouches comme de lugubres manèges aériens. Il ne reste pas de corps. Je fouille minutieusement par terre et autour, sans rien découvrir pouvant m’apprendre quelque chose sur celui qui aurait fait cette mise en scène. Je retourne auprès de Claire et décide de ne rien lui dire, et ce bien qu’une inquiétude pique ma nuque sur le retour. Je sais que cette mise en scène a été préparée et pensée par quelqu’un de minutieux et d’intelligent. Qu’elle délivre un message que je n’ai pas eu le temps de saisir et auquel je dois réfléchir. Qu’un type dangereux vient de s’installer dans les environs de Bisca. Plus tard j’appelle la gendarmerie pour leur signaler. Mais depuis, une inquiétude pique ma nuque. Pour me rappeler de regarder derrière moi.

***

Le printemps se termine avec l’arrivée des grandes et interminables lumières d’été, des soirées qui enflamment les crépuscules et vous font croire que le monde est parfait, à condition de vivre loin du monde des hommes, ici à Biscarrosse, au seuil de l’immensité. À condition de vivre loin de tout détraqué.

Au restaurant-bar de Jack « le Corto », je retrouve mes potes Bruno la tortue et sa Isa, William Hure et sa Séverine, puis Trop Chaud qui doit arriver dans la soirée s’il n’a pas une panthère à dompter, parce qu’avec lui on ne sait jamais s’il a du temps à nous consacrer. Si la partie restau se remplit, le bar reste encore à nous pour l’instant. J’ai pas envie de manger, Claire me regarde avec ses grands yeux, ce qui a pour unique effet d’augmenter ma soif. Il y a peu, un flic Éric Brindavoine me faisait la réflexion que sa mère, qui est de mes lectrices, me reprochait de faire l’apologie de l’alcool dans mes textes. J’avais alors répondu à ce flic pour qu’il le répète bien à sa mère, « ben oui, je suis un ogre, j’aime bouffer et boire, j’ai des appétits sans borne, une soif qui parfois me fait penser à de la fureur ». C’est à ça que je pense dis-je à Claire en terminant mon premier rhum macéré. J’écoute distraitement Jack nous raconter son hiver passé dans les latitudes australes, où la canicule là-bas l’alarme sur l’avenir de la planète, alors que ma soif me commande un autre rhum, chacun voit les priorités à la hauteur de ses besoins, lui dis-je en lui montrant mon verre vide. Je louche déjà sur le décolleté de Claire et sur son cocktail encore à moitié plein, évaluant mes choix stratégiques pour ce soir, quoi qu’il en soit je ne vais pas lui sauter dessus en public, alors autant me concentrer sur la soif.

— Arnaud, raconte-nous, me somme Duf.

Jack pose son verre « vas-y, il paraît que tu réintègres la police ? ».

Je dois rougir, moi qui souhaitais siffler le rhum du Corto en douce.

— Ouais, on dirait que je vais renouer avec mon ancienne vie.

En disant ça, je ne peux m’empêcher de poser ma main sur la cuisse de Claire, parce que je sais que c’est la police qui a conduit mon premier mariage au divorce.

— Je vais être une espèce de chargé de mission, apparemment.

— Classe, déclame William. Et de quelles missions seras-tu chargé ?

Je hausse les épaules, incrédule. Mais Claire qui n’en a pas perdu une miette a posé sa paume sur ma main.

— Et il faudra que je continue à te sauver la vie ? ironise William en référence à l’été dernier.

— Oui, j’ai rien contre, dis-je en riant de bon cœur.

Jack se lève régulièrement pour accueillir les groupes. Cette fois il reçoit de nouveaux visages, et je remarque malgré moi que ce sont des « clients ».

— Vous voyez ceux-là ? dis-je. Ce sont des gitans.

Un homme de corpulence athlétique porte un tee-shirt avec Léonidas qui hurle « Sparte ! » écrit en rouge, suivi d’un homme plus discret, visiblement son frère, plein de retenue ou de secret. Rentrent ensuite une jeune athlète blonde aux yeux bleus et un colosse hidalgo, la carrure athlétique, un christ d’or tombant sur sa poitrine aux muscles bombés.

— Ils ont l’air balaizes ceux-là, me répond Duf. À quoi tu vois qu’ils sont gitans ?

— Je ne saurais pas t’expliquer. Je dirais tout de suite qu’ils ne sont pas des voleurs à la petite semaine. Tu vois le plus costaud ? Observe ses mâchoires : normales, et les veines sur ses bras et ses jambes, normales également.

—  Et alors ? me lance Duf.

— Ça nous apprend qu’il n’est pas chargé de produits. Que sa musculature est le fruit d’entraînements, si ses veines avaient été difformes et que sa mâchoire avait poussé pour s’avancer comme celle d’un singe, alors on aurait affaire à un type shooté, chargé à l’hormone de croissance et à des tas de stéroïdes. Alors que là on a un molosse musclé, mais sain.

— OK, répond Claire qui s’en fout. Et tu comptes les arrêter sans menottes ?

— Ben voilà, ça renvoie à ce genre de réflexes mon ancienne vie, dis-je. Des réflexes que j’ai jamais vraiment perdus.

Jack, qui revient d’installer le groupe nous demande comment on trouve sa nouvelle décoration.

— Tu veux mon avis ? lui dis-je, excité.

— Je t’écoute Arnaud, j’ai comme l’impression que ça va pas me plaire.

— Le Corto c’est bien en bar intime. Agrandi avec une terrasse aux canapés dans le sable, c’est plus chic et tu as respecté l’esprit intimiste du lieu. Mais le vrai problème c’est qu’il est ouvert au public, et pas juste à nous.

Jack me tape gentiment sur l’épaule « eh, faut bien que je gagne ma croûte mon pépère ».

— Bon alors Bruno, tu écris des romans ? demande Claire.

Ce grand bonhomme aux yeux clairs penche sa tête.

— Vas-y, raconte ! dit-elle.

Après quelques rhums, je ne peux m’empêcher d’observer les gueules du groupe de gitans, de la nana surtout qui a un air de famille me faisant penser à quelqu’un, à une personne que j’ai dû fréquenter dans mon passé de flic. Au moment où je crois trouver la ressemblance je sens ce regard posé sur moi et je remarque l’homme plus discret du groupe qui m’observe, le type le plus calme aussi du clan, celui qui doit faire office de chef sinon de cerveau, et il me regarde avec un sourire poli, pas menaçant, non presque bienveillant, comme si lui aussi m’avait repéré comme un flic en vacances, ou pire, comme s’il savait qui j’étais. Une décharge d’adrénaline allume soudain quelque chose dans mon cerveau, faisant bouillir mon sang et augmenter ma température corporelle. Je tourne le dos au groupe et ne veux rien montrer à Claire, les femmes devraient savoir que les hommes savent à peu près tout leur cacher, sauf leur envie de coucher avec elle bien sûr, de boire, ou de ne pas ranger leurs affaires, ni de passer la serpillière, de récurer les chiottes bref, merde, j’ai encore terminé mon verre, et prends d’autorité celui de ma chérie pour éteindre le feu qui me brûle le dos, les flammes de ces regards de gitans qui me connaissent et que je sens converger vers moi, et dont je n’arrive toujours pas à retrouver avec certitude la ressemblance avec un voyou du passé dans les limbes de ma mémoire de flic de banlieue.

— T’en penses quoi, Arnaud ? me demande Duf à propos de son livre.

— Euh, top ! Bien sûr, j’adore quand tu décris les scènes de surf, on a l’impression d’y être !

— Alors, quand est-ce que tu vas te jeter à l’eau mon pépère ? me titille Jack.

Et là je comprends. C’est évident, cette fille blonde aux yeux bleus, sa ressemblance, merde. Elle est venue avec son clan, des voyous professionnels avais-je dit en les voyant rentrer, elle est de la famille de Laurent Malvielle, le gitan qui est mort lors de notre duel il y a deux ans. Ils sont donc là pour venger leur cousin, et donc ils sont là pour moi.

Dans la nuit je rêve. Je me trouve entre des arbres aux branches pliées et noueuses, tordues par la violence des vents du rivage, comme torturées. Ces pins à bien les regarder, on dirait des suppliciés. J’y observe les têtes de chevreuil décapitées dans une atmosphère nébuleuse avant l’aurore, et dans le mystère irréel lié aux rêves. J’entends l’océan pas loin qui semble me murmurer quelque chose. L’air est doux et humide. Dans la lumière diffuse flotte une brume molle nimbée d’or, et elle s’étire sous les pins. C’est là que je sens la présence de Chamane, un vieux chien abandonné qui vit dans la forêt dunaire et qui me tourne autour quand je suis en danger de mort. Je crois même qu’il m’a déjà sauvé la vie, et qu’il est plus un esprit qu’un animal. Or, entre ces trois têtes de chevreuil, je cherche une solution à l’énigme qu’elles ont l’air de me soumettre. J’essaie de voir le vieux chien qui se terre pas loin, quelque part dans les fougères entre les troncs tombés dans les bruyères. Mais il ne veut pas se montrer alors je retourne à ma réflexion sur cette mise en scène, sous les boyaux dégoulinants dans les branches et bougeant comme un manège aérien. Les mouches en sont parties. Les têtes de chevreuil me regardent d’un air macabre ou goguenard. Il y a quelque chose à comprendre ici qu’elles ont l’air de me chuchoter. Et Chamane que je sens près de moi, mais qui ne veut pas se montrer est là pour me protéger. Sa simple présence me rassure. Je sais que mon rêve a un sens, une portée prophétique. Soudain j’ai la certitude d’une chose, c’est que Chamane me prévient d’un danger qui rôde autour de moi. Alors je me réveille.

Dans le miroir de la salle de bains, ma gueule de bois me fait face. J’ai les yeux clairs en vieillissant, avec des éclats gris qui forcent leur teinte verte quand j’ai abusé de l’alcool. Je n’arrive toujours pas à me décider quel rhum macéré je préfère au Corto. J’essaie de chasser mon rêve dans les oubliettes de la conscience. Toute la nuit l’océan est venu bercer les pins de notre jardin, et toute la nuit j’ai cru que le vent me parlait avec des rêves de sirène. En me brossant les dents, je tâte le bourrelet de mon ventre qui a tendance à pousser malgré mes abdos. J’ai encore des pecs assez larges et lourds pour faire illusion, mais bientôt je n’aurai le choix qu’entre deux issues, ou développer encore plus mes pecs, ou maigrir du bide. La nature est vache avec moi. Je termine mon brossage de dents et range le vieux roman de James Crumley que m’a conseillé Claire « les serpents de la frontière ». Je vais être récupéré par mon nouveau commissaire traitant, Pierre Vinlouve de la DGSI. Il passe me prendre à 8 h 45 pour me conduire à Bordeaux. J’ai eu affaire à lui l’été dernier à propos de la drogue du zombie quand j’ai remué ses hommes dirigés par le commandant Boirin, un « pue la sueur » avec des moustaches, qui faisait passer un de ses indics au-dessus de la déontologie. Résultat j’ai fait sauter leur taupe qui trafiquait une drogue de synthèse, et gagné la confiance du commissaire qui œuvre pour me reprendre dans la police comme consultant occasionnel. Claire appréhende un peu cette journée et se demande si on va m’embarquer dans une mission dangereuse, alors je lui prends le visage entre mes mains pour lui sourire et l’embrasser. Une grosse berline vient de se garer. Je sors rejoindre mon nouveau patron, avec le sentiment que ce que je fais est peut-être risqué.

Sur la route de Bordeaux, le commissaire est nerveux. Il me tourne autour avec des sujets ordinaires de la même façon que je faisais avec les violeurs, il part de trucs généraux pour resserrer ses propos vers un point qui l’intéresse. Alors je lui coupe l’herbe sous le pied.

— C’est vous qui êtes venu me chercher l’été dernier pour ce job, et là vous commencez à avoir la trouille pour me tourner autour comme un dompteur avec un fauve ?

La musique classique que diffuse la radio est simplement grandiose et je cherche à reconnaître le compositeur.

— Non, Arnaud. Je vais vous conduire au commissariat puis en préfecture pour votre reprise, et ensuite nous parlerons de votre première mission. Et vous comprenez qu’il est important qu’elle se passe bien.

— Ça va s’organiser comment ?

— Vous continuez votre vie à Bisca. Et quand j’ai besoin de vous, je vous le fais savoir pour que vous fouiniez et me donniez les infos que je cherche. J’évalue votre travail et votre mission une fois validée est rémunérée. Je mettrai ensuite en branle d’autres services de police pour assurer la partie judiciaire de ce que vous aurez levé.

— C’est quoi qu’on écoute ?

— Wagner. Les adieux de Wotan à sa fille Brunehilde. Peut-être une des plus belles pages de la musique classique.

Je fouille ma mémoire.

— Il n’y a pas une histoire de trahison entre le chef des dieux et sa walkyrie ?

Pierre Vinlouve réprime un petit sourire passionné.

— Oui, enfin. Wotan est tenu par les lois qu’il a dictées lui-même. Elles sont à la source de son pouvoir, mais l’entravent dans son action et il finit par se retrouver piégé par elles. Et voilà que sa fille Brunehilde les viole uniquement pour le bien de son père, pour l’aider à réaliser ses dessins. Pourtant il doit la sanctionner, il n’en a pas le choix. Et il le fait la mort dans l’âme, pour conserver son autorité et son pouvoir, mais aussi un monde en ordre.

— Vous le faites exprès ? C’est pas un peu notre histoire ? Vous venez me chercher pour faire votre barbouze parce que vous ne pouvez plus agir à cause des procédures. Vous me laissez faire de la police comme un mercenaire et si je suis pris, vous m’emprisonnez ?

— Euh, oui ça pourrait y ressembler, mais vous avez une lecture de Wagner, euh…

— Quelle est la punition que Wotan inflige à sa fille, qu’il châtie parce qu’elle a combattu pour lui ?

Pierre Vinlouve est acculé par ma relecture et répond du tac au tac. Il n’a pas dû faire beaucoup d’interrogatoires, le jeune commissaire.

— Wotan enlève la divinité à sa fille et l’enferme dans une prison de flammes au-dessus d’une montagne.

— On ne vous apprend pas la psychologie en école de commissaire ?

— Non enfin, là ça n’a rien à voir, je l’ai mis pour la beauté de la musique, pas pour vous stresser.

On écoute. Le morceau est magnifique.

— Ça geint trop pour moi dis-je, on dirait des moutons malades qui sortent de la tonte et qui se trouveraient ridicules, vous les entendez bêler comme moi ? Vous êtes sûrs que ce sont des chanteurs au moins ? dis-je pour le vexer.

— Ah oui, Wagner n’est pas facile d’accès.

— Ne soyez pas pédant non plus.

— Je vous ai vexé ?

— Non, je suis nerveux, j’imagine, alors je mords et vous pose la question sans tourner autour du pot. C’est quoi mon rôle et ma couverture si ça part en sucette ?

— On va fonctionner selon le mode des sources, et je vous paierai sur le même budget.

— Je suis une espèce d’indic ?

— En réalité, vous êtes un laboratoire d’expérimentation. Le premier d’une nouvelle série au niveau national. Alors je resterai près de vous au début pour voir comment tout se déroule.

— Je suis immatriculé ?

— Oui, mais je n’ai pas le droit de vous le dire.

— Donc, devant un juge je peux y faire référence ?

— Oui, mais si ça vous donne un pouvoir d’enquêteur en renseignement, vous n’êtes pas James Bond, pas le droit de tuer, pas d’hôtels de luxe, conclut-il en riant.

— J’ai pas oublié la définition de la légitime défense si je refroidis un mec.

— Quoi ? Vous êtes sérieux ?

— Détendez-vous, c’est de l’humour.

Pierre Vinlouve a un costume classe, il ne porte pas d’arme de service, sa voiture de fonction banalisée est dotée de gyrophares récents avec des feux de pénétration dans la carlingue. L’entrée dans Bordeaux bouche, cette ville ressemble à un entonnoir à bouchons. Je cherche la console des gyrophares.

— Vous faites quoi ? s’inquiète le chef.

— Ça bouche, on fout le gyro !

— Mais on n’a pas le droit !

— Bien sûr, on est des flics. Arrêtez de vous penser en service public, soyez plus régalien bordel. Allez, appuyez et faufilez-vous que je vois si vous avez un peu de terrain sous toute cette matière grise.

J’envoie le son et lumière et putain que la sirène deux tons m’avait manquée. Je rabaisse le pare-soleil « police » et retrouve des sensations avec plaisir. Il se prête au jeu et il assure le jeune taulier. Il conduit bien. Rien à redire là-dessus. J’enlève le gyro juste avant le commissariat central. Il me sourit, ça va, on va s’entendre.

— Qu’est-ce que je dois savoir sur vous Arnaud qui n’est pas dans votre dossier ?

— Que je suis un type gentil. Sauf quand je pète un plomb et que je vois tout rouge. Comme si la violence s’emparait de moi.

Il réprime un tic nerveux « j’ai vu cette affaire qui vous a poussé hors de la police, mais c’est du passé tout ça, hein ? »

— Bien sûr !

Je ne lui parle pas de cette chose étrange qui m’arrive depuis que je suis arrivé à Bisca. De ce soir il y a trois ans où j’ai rencontré un vieux chien miteux avec un regard perçant, presque humain, de race Boxer, un animal abandonné qui hante la forêt dunaire. Il apparaît chaque fois que je suis en danger de mort, comme la fois où le gitan Laurent Malvielle a failli me tuer au couteau une nuit d’orage. Le chien le tenait à distance en aboyant aux cieux quand l’éclair est tombé sur la lame de mon agresseur, le foudroyant devant moi, je suis sûr que la foudre avait été appelée par le chien, qu’il l’avait commandée aux nuages. L’an dernier encore, quand nous courrions après un monstre de muscles, un géant bourré de stéroïdes dealer de la drogue du zombie, le chien l’a acculé sous les pins en nous attendant, le trafiquant m’avouant au téléphone qu’il était coincé là par un chien des enfers lui lançant des yeux rouges et que, mort de peur, il était en plein infarctus. Quand nous étions arrivés, le type était mort et le chien parti. Non, je ne vais pas expliquer à un jeune commissaire brillant, sorti d’école, qu’un vieux chien abandonné rôde autour de moi comme un esprit, apparaissant à mes côtés quand je suis mal en point, et que si j’ai cherché à le retrouver les premiers temps, j’ai abandonné et attends inexplicablement la prochaine fois où je vais le croiser, avec une joie mystique où se mêle une crainte sacrée.

La DGSI est un endroit très sécurisé dans un commissariat, et dans son bureau, Pierre Vinlouve appelle un moniteur de tir. Alors que je goûte au café de bienvenue, je suis content de retrouver Pierre Indoles, ancien flic d’un service d’élite que j’avais rencontré l’été dernier sur l’affaire de la drogue du zombie.

— Salut.

Il me dit ça de sa voix grave, virile et gasconne, avec un sourire plein de malice, « alors, tu reviens occasionnellement parmi nous ? »

— Oui, intervient le commissaire, il revient à mon service. Si vous pouvez lui faire faire son tir de reprise.

Quelques minutes plus tard, je redescends avec Pierre, « c’est toi qui es pote avec Trop Chaud de la Brigade Anti-Criminalité ? » me demande-t-il dans les escaliers, « carrément » dis-je. On passe dans son bureau où il prend une petite mallette noire avec l’inscription « Glock » et on file au stand de tir.

Je lorgne cet objet et me demande si je vais avoir ce flingue en dotation.

— C’est quoi que tu tiens ? dis-je, crevant d’envie.

— Tu ne sais pas lire ? me répond-il, un sourire en coin. Je vois qu’il est passionné par les armes. On parle un peu. Ancien des forces spéciales de la police, avec une spécialité de sniper, il reste humble « tu sais nous, le plus dur est d’y entrer, ensuite tu t’entraînes pour faire partie des meilleurs, le collègue de police secours qui n’est pas ou peu aguerri arrive parfois épuisé sur des interventions dangereuses le premier, et là il a plus de mérite que nous ». Il aime toutes les armes, surtout les vieilles. Il me tend la mallette. J’ouvre et découvre dans son écrin un Glock 26, tout neuf.

— Heureux ? me demande-t-il, observant mes yeux ouverts comme ceux d’un garçon à l’ouverture des cadeaux.

— Tu m’étonnes !

Je prends l’arme, elle est ultra-compacte, ramassée sur elle-même, canon court, faite pour les gardes rapprochées, discrète, légère et invisible sous des vêtements. Elle est magnifique. C’est Noël.

— Elle sera pour moi ?

— Le taulier dit que tu l’auras quand tu seras en mission, en attendant elle restera dans son bureau ou dans le mien, on verra. Tu te rappelles la mise en service ?

— Ouais, dis-je aux anges.

Je graille le chargeur de 12 coups avec du 9 mm à tête pleine, puis le second. Je me rends au pas de tir avec casque et lunettes. Et je fais jaillir l’éclair du creux ma main. Les premières ogives perforent la cible tandis que les douilles giclent de la culasse avec une fumée qui m’apporte cette bonne odeur de poudre. J’avais oublié le plaisir de sentir une balle partir quand on tient un pistolet. Je mets tout dans la silhouette noire de la cible à dix mètres, heureusement. Quelques dizaines de cartouches tirées plus tard, je nettoie ce petit bijou avec application. J’arrive pas à ne pas sourire.

— On a du temps, me dit Pierre, suis-moi dans mon bureau, on poursuit ta reprise de poste. J’y retrouve son collègue moniteur Nicolas Gallardo, un Pyrénéen avec un accent chantant, mais tempétueux comme un torrent roulant ses pierres. Je dois essayer de traduire les mots en enlevant des « angue », ou des « ingue », parce que ce collègue a une diction que je n’ai jamais entendue jusqu’alors. Ancien CRS, cet ancien boxeur poings pieds est vice-champion de France de Boxe Française en super léger, et avec son nez encore un peu droit, ce type n’arrive pas à ne pas sourire « on va enfiler les gants pour une petite remise à niveau » me chuchote-t-il sans me quitter des yeux. Mais là, c’est moi qui souris à Pierre « il blague ? ».

Quelques minutes plus tard, sur les tatamis, casque et gants, protège-tibias, Nico me dit « alôrs tu vas me munntrer ce qu’illeuh te rêste. » Il danse et saute autour de moi avec une vitesse qui m’apprend que je vais devoir le coincer contre un mur de la salle, c’est ce que je me dis avant qu’il m’envoie un doublé gauche et une droite que je n’ai pas vu venir, pile sur le front et sans que je n’y aie rien compris. Pierre rigole de bon cœur « je t’avais prévenu ! », insiste le gascon avec sa voix grave, il a déjà les larmes aux yeux. Au bout de longues minutes où Nico me force à travailler, à réviser, à tester mes réflexes, sentant que mon premier souffle s’épuise je m’en fous et tente le tout pour le tout en me jetant sur l’adversaire que j’emprisonne entre mes bras et plaque au sol, mon coude écrasant sa gorge. C’est ça qu’il voulait « tu vois on se fatigue, la bagarre doit rester courte, tu ne sais pas qui tu as en face de toi, si le gars fait des combats ou non, il faut que ce soit éclair ou tu t’enfuis ».

Après une révision des positions et des sorties en cas de baston, Nico aime bien frotter le haut de mon crâne avec ses gants pour m’agacer. « Ce qu’il te faut éviter, c’est d’en prendre pleingue fers, alors n’hésite pas à faire des coups bas puis à fuir, il n’y a pas de honte à ça ».

— Pleingue fers  ? dis-je pour me moquer.

— Pleins fers, si tu préfères, j’y peux rien si je suis né avec mon accengue.

— Pleins fers ça veut dire quoi ?

— Mets-toi en position de garde, je vais te munntrer.

Nico relève ses épaules, ce qui n’est pas bon signe, et Pierre continue de me sourire au bord du tatami. Il est rejoint par le commissaire. J’ai juste le temps de mettre ma garde quand tombe ce déluge de poings entre mes gants, forçant leur barrage pour s’abattre sur mon casque ; des directs, crochets, et même des coups de pied en pleine tempe pleuvent que j’essaie de bloquer avec mes avant-bras et poings fermés devant mes yeux. Mais chaque coup fait mouche, renverse ma défense et touche mon visage sans toutefois chercher à me blesser, une délicatesse somme toute pédagogique de Nico que j’apprécie. Pleins fers, putain je saurai. Je suis en nage, les muscles tétanisés, le souffle court.

— Alors ? demande mon taulier aux moniteurs.

— Oui, on sent qu’il y a du lourd avec lui, répond Pierre. Le tir est OK, et en ce qui concerne la self, il a l’air de savoir se débrouiller sans nous, même si Nico s’amuse à se défouler sur lui.

— Bon pour le service alors, ironise le commissaire.

Une douche plus tard, je me retrouve en direction de la préfecture nouvelle aquitaine avec mon nouveau chef. Là, j’aime moins. Nous sommes conduits aux portes d’une salle où nous attendons dans le couloir. Le taulier regarde sa montre, s’impatiente et s’invite dans un salon où se déroule une remise de médailles. Des agents d’accueil sont décorés pour avoir donné des informations cruciales au contre-espionnage. Je manque de m’étouffer en voyant les deux jolies filles recevoir leur décoration. Elles sont féminines et je me demande les risques encourus par des petites comme elle, en même temps, quand je pense aux trucs que j’ai eus à gérer, en me mettant en péril, pour avoir fini hors de la police sans un merci, j’ai bien envie de ressaisir ma chance comme chargé de mission, parce que mon gène flic n’est pas mort. Il y a un préfet, de nombreux sous-préfets, un jeune type en costume classe qui porte l’intelligence dans un regard calme et amusé et que j’identifie facilement comme le stagiaire ENA. Rapidement je constate qu’en plus d’être beau gosse, il est brillant, avec un cerveau qui carbure beaucoup plus vite que la normale et qu’il ne perd pas son sang-froid quand on le taquine. La cérémonie terminée, un banquet est dressé dans les salons. Je suis le seul à être en jeans. Quelques petits fours plus tard avec le stagiaire ENA, et après m’avoir appris qu’il avait fait son 3e cycle après Sciences Po en Écosse, Alex Grudé (c’est son nom) me demande comment j’envisage mes nouvelles missions, et je m’en sors avec une pirouette qu’il feint de croire, bien que ses yeux continuent de m’analyser en profondeur. Je ne suis pas habitué à frayer avec des types aussi vifs d’esprit.

On monte dans le bureau d’un sous-préfet, le Secrétaire Général Jérôme Christcours.

— Alors vous avez fait connaissance avec notre stagiaire ENA ? me dit-il dans un sourire.

— Oui, il est d’une grande pertinence.

— Oui, celui-ci promet, d’habitude le grand oral sert à filtrer les candidats pour ne garder que les cerveaux lessivés à l’idéologie rose verte, idiots bobos parisiens prêts à bêler avec les pasteurs des droits des hommistes.

J’observe le SG avec un air surpris. Il sourit.

—  Je suis agrégé d’histoire. Mes professeurs ont été des bolcheviques pontifiants, et je sais de quoi je parle quand je dis que nous sommes dirigés et informés par des idéologues. Je ne sais pas quoi lui répondre.

— Que savez-vous des Tchétchènes ? poursuit-il.

— Bien, comme tout le monde. Leurs guerres dans les années 90 je crois, un bourbier pour la Russie, les condamnations de l’ONU. Eltsine aux commandes, puis Poutine lors du 2e conflit. Des musulmans contre l’URSS. Du terrorisme, l’affaire de l’attentat de l’opéra. Euh, un peuple de montagnards qui aime la lutte ?

Le SG sourit, ça va j’en sais plus que la moyenne. Il va jouer avec moi pour me secouer un peu.

— Oui, tout ça à la fois. Ils ont aujourd’hui une République islamique soufiste, modérée, que les islamistes disent servile à la Russie. Au sein de ce pays, de nombreux résistants radicaux salafistes ont participé à l’émirat du Caucase et nourrissent les rangs de Daesch.

Je l’écoute le regard vide. Il se gratte le menton, « Pour vous un barbu et une femme voilée c’est de l’islam radical ? »

—  Euh.

Il souffle, désabusé.

— L’Islam est multiple. Les sunnites et les chiites s’entre-tuent depuis des siècles. Il faudra que vous vous informiez sur les courants de l’islam. Vous ne pouvez pas travailler sur ces dossiers comme ça.

Voyant ma mine paumée, il poursuit « je parle et lis l’arabe littéral, j’ai enseigné une dizaine d’années en Syrie où j’ai vu le fanatisme monter, à l’époque mes collègues me traitaient de fasciste jusqu’à ce qu’ils ne me parlent plus, et puis est arrivé ce que je ne cessais de dire, mais mes collègues ne me parlent toujours pas, on a un tabou qui empêche les Français de penser les problèmes liés à l’Islam. »

— Bon, les soufistes, dis-je, c’est les derviches tourneurs ?

Le sous-préfet ne répond pas.

— Ramzan Kadirov dirige la Tchétchénie depuis 2006, ce soufiste est jugé modéré et soumis à la Russie par les salafistes, ça ira ?

— Oui.

Mais ma réponse agace le sous-préfet.

— Comprenez pour l’instant que la Tchétchénie est indépendante, mais garde des rapports diplomatiques avec le Kremlin, et que les salafistes tchétchènes sont dans la mouvance radicale.

— D’accord.

— En France nous avons beaucoup de réfugiés tchétchènes, et parmi eux il y a des sympathisants de Daesch que nous surveillons. Ce sont des gens très durs, qui ont grandi avec une guerre russe qui frappait sans distinction les hommes armés et les civils. Ils vivent aujourd’hui de petits trafics et ont une culture du combat, ils aiment les sports de lutte et manient les armes depuis leur naissance. Ils n’ont pas forcément de velléités envers la France, mais sont en lien avec des réseaux de l’EI qui eux sont en guerre avec nous. Ça va jusque-là ? Vous voyez où je veux en venir ?

— Que je suis là pour une menace terroriste.

— Sans prendre de gants, un petit rappel de chiffres. D’ici 2022 nous aurons 800 combattants de Daesh remis en liberté, dont beaucoup sortiront de nos prisons, on a déjà 15 000 radicalisés qui assureront la logistique de ces combattants ; ceux-là forment le premier cercle. En second cercle on a quelque 50 000 sympathisants à la cause. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

— Que les attentats sont devant nous.

— Exactement. Et vous êtes là pour débusquer des logisticiens proches de combattants qui vivent comme des ombres. Pas pour retrouver des voyous de droit commun. Trouvez les logisticiens du premier cercle, comportez-vous comme un éléphant dans un magasin de porcelaine pour faire sortir les fantômes de l’ombre et vos collègues interviendront.

Sur le retour je reste silencieux. Le commissaire me ramène à Biscarrosse et je me demande ce que je vais dire à Claire que cette situation va stresser. Le soleil décroît sur l’océan et j’ai l’impression que je n’aurais pas dû accepter cette mission si étrange. Je vais frayer dans des eaux dont j’ignore tout. Je suis un novice.

— C’était imagé.

Le commissaire me tire de ma rêverie.

— C’était imagé l’éléphant dans un magasin de porcelaine, reprend-il, faut pas faire la brute qui remue et casse tout, hein ? Ce seront des missions de renseignement et de déstabilisation de l’ennemi. On est plus avec des dealers de cité, là. Fini de faire les gros bras.

— Je l’aurai quand mon arme ?

—  Pas encore. Vous aurez une carte police prochainement. Pas d’arme pour l’instant.

— Quand est-ce que j’ai des infos sur mon objectif ?

— On attend une signature de Paris, pour que tout soit officiel vous concernant, et pour me couvrir. Ensuite on attaque.

Quand je rentre à la maison, une jolie Landaise sous les pins, Claire m’attend sur le seuil et a décoré le jardin. Je remercie Pierre Vinlouve, et m’approche de mon amoureuse le remords dans l’âme. Dans quoi nous ai-je mis ? Elle a un sourire d’ange et des yeux brillants d’amour quand elle me serre dans ses bras, pour blottir sa tête contre ma poitrine et me gratifier d’un baiser. Elle est très heureuse de me retrouver, avec un mélange d’excitation et de fierté. La table est dressée dehors, des bougies sont posées et attendent d’être allumées. Elle s’assoit une fois que je me suis assis, une attitude cérémonieuse qui tranche de notre quotidien. Elle a deviné que retrouver mes fonctions de policier était important pour moi, mais elle n’a pas mesuré le tombereau de merde qui va se déverser sur nos vies.

— Alors, Monsieur le policier ? Raconte-moi ta journée !

— Oh ! Bien, dis-je tout sourire malgré moi, j’ai effectué un tir de reprise, un peu de self-défense.

— Ouah. Tu vas avoir une arme ?

— Durant la conduite de certaines missions, oui.

— Oh !

Je comprends qu’elle se rappelle ce qui s’est passé l’été dernier, quand elle a fait feu sur Léo, un monstre gavé aux stéroïdes qui allait tuer Béa.

— Je n’aurai pas besoin que tu viennes à mon secours, cette fois.

Elle part d’un petit rire soulagé, mais ambigu.

— Bon, t’es content ?