La Paix chez les bêtes - Sidonie-Gabrielle Colette - E-Book

La Paix chez les bêtes E-Book

Sidonie-Gabrielle Colette

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Beschreibung

Je suis le diable. Le diable. Personne n'en doit douter. Il n'y a qu'à me voir, d'ailleurs. Regardez-moi, si vous l'osez ! Noir, — d'un noir roussi par les feux de la géhenne. Les yeux vert poison, veinés de brun, comme la fleur de la jusquiame. J'ai des cornes de poils blancs, raides, qui fusent hors de mes oreilles, et des griffes, des griffes, des griffes. Combien de griffes ? je ne sais pas. Cent mille, peut-être. J'ai une queue plantée de travers, maigre, mobile, impérieuse, expressive, — pour tout dire, diabolique.

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Seitenzahl: 149

Veröffentlichungsjahr: 2025

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La Paix chez les bêtes

Colette

AVERTISSEMENT

« POUM »

LA CHIENNE JALOUSE

« PRROU »

POUCETTE

« LA SHÂH »

LE MATOU

LA PETITE CHIENNE À VENDRE

LA CHIENNE TROP PETITE

« LOLA »

CHIENS SAVANTS

NONOCHE

LA MÈRE CHATTE

LE TENTATEUR

LA CHIENNE BULL

AUTOMNE

LE NATURALISTE ET LA CHATTE

JARDIN ZOOLOGIQUE

RICOTTE

LES COULEUVRES

L’HOMME AUX POISSONS

LES CHATS-HUANTS

LA PETITE TRUIE DE M. ROUZADE

LES PAPILLONS

EXPOSITION CANINE

L’OURS ET LA VIEILLE DAME

INSECTES ET OISEAUX VIVANTS

SALON D’AUTOMNE

LA SALIVATION PSYCHIQUE

LES LUTTEURS AU CIRQUE

BEL-GAZOU ET BUCK

CONTE POUR LES PETITS ENFANTS DES POILUS

LES CHIENS SANITAIRES

LA PAIX DES BÊTES

AVERTISSEMENT

À l’heure où l’homme déchire l’homme, il semble qu’une pitié singulière l’incline vers les bêtes, pour leur rouvrir un paradis terrestre que la civilisation avait fermé. La bête innocente a le droit, — elle seule, — d’ignorer la guerre.

Dès le printemps de 1914, des passereaux nichèrent, respectés, dans la gueule ébréchée d’un canon. Entre deux combats, nos poilus ont élevé des merles, etplus d’un sansonnet, retourné aux bois, y siffle Rosalie. Des zouaves ont donné leur part de lait à un renard nouveau-né, qui se mourait dans le taillis ; et les ramiers, gorgés de riz, les faisans rassurés s’abattent sur les poings tendus qui, l’heure d’avant, jetaient la mort.

N’avez-vous pas ri comme moi de voir, au cinématographe, le petit chat noir qui joue à cache-cache de créneau en créneau, pendant le tir ? L’écureuil, le lapin, le rat même viennent s’asseoir dans la tranchée, s’y nourrir, écouter sans crainte la voix humaine, mendier un peu de chaleur…

J’ai rassemblé des bêtes dans ce livre, comme dans un enclos où je veux qu’ « il n’y ait pas la guerre ». Quatre d’entre elles — Lola, Manette et Cora, et la chatte Nonoche, — ont parlé déjà, qui dans les Vrilles de la Vigne, qui dans l’Envers du Music-Hall. Qu’elles entrentquand même, celles-là résignées à leur besogne d’artistes foraines, celle-ci béate et traînant son nourrisson gavé. Je dédie ce livre à n’importe quel soldat inconnu que le printemps pourra revoir, sanguinaire, doux et rêveur comme le Premier Homme de la planète, étendu au long de sa bonne arme, une verte brindille aux dents, avec une couleuvre enroulée au poignet et un louveteau docile contre ses talons.

Colette.

« POUM »

J

e suis le diable. Le diable. Personne n’en doit douter. Il n’y a qu’à me voir, d’ailleurs. Regardez-moi, si vous l’osez ! Noir, — d’un noir roussi par les feux de la géhenne. Les yeux vert poison, veinés de brun, comme la fleur de la jusquiame. J’ai des cornes de poils blancs, raides, qui fusent hors de mes oreilles, et des griffes, des griffes, des griffes. Combien de griffes ? je ne sais pas. Cent mille, peut-être. J’ai une queue plantée de travers, maigre, mobile, impérieuse, expressive, — pour tout dire, diabolique.

« Je suis le diable, et non un simple chat. Je ne grandis pas. L’écureuil, dans sa cage ronde, est plus gros que moi. Je mange comme quatre, comme six, — je n’engraisse pas.

« J’ai surgi, en mai, de la lande fleurie d’œillets sauvages et d’orchis mordorés. J’ai paru au jour, sous l’apparence bénigne d’un chaton de deux mois. Bonnes gens ! vous m’avez recueilli, sans savoir que vous hébergiez le dernier démon de cette Bretagne ensorcelée. « Gnome », « Poulpiquet », « Kornigaret », « Korrigan », c’est ainsi qu’il fallait me nommer, et non « Poum » ! Cependant, j’accepte pour mien ce nom parmi les hommes, parce qu’il me sied.

« Poum ! » le temps d’une explosion, et je suis là, jailli vous ne savez d’où. « Poum ! » j’ai cassé, d’un bond exprès maladroit, le vase de Chine, et « poum ! » me voilà collé, comme une pieuvre noire, au museau blanc du lévrier, qui crie avec une voix de femme battue… « Poum ! » parmi les tendres bégonias prêts à fleurir, et qui ne fleuriront plus… « Poum ! » au beau milieu du nid de pinsons, qui pépiaient, confiants, à la fourche du sureau… « Poum ! » dans la jatte de lait, dans l’aquarium de la grenouille, et « poum ! » enfin, sur l’un de vous.

« En trois secondes, j’ai tiré une mèche de cheveux, mordu un doigt, marqué quatre fleurs de boue sur la robe blanche, et je m’enfuis… N’essayez pas de me retenir par la queue, ou je jure un mot abominable, et je vous laisse dans la main une pincée de poils rêches, qui sentent le brûlé et donnent la fièvre !

« Les premiers jours, je vous faisais rire. Vous riez encore, mais déjà je vous inquiète. Vous riez, quand j’apporte auprès de vous, à l’heure du repas, un gros hanneton des dunes, jaspé comme un œuf de vanneau. Mais je le mange — croc, croc, — avec une telle férocité, je vide son ventre gras avec tant d’immonde gourmandise que vous éloignez l’assiette où refroidit votre potage… Je déroule pour vous, en serpentins gracieux, les entrailles du poulet que vous mangerez ce soir, et je joue au salon, dédaignant le ruban qui pend au loquet, avec un beau lombric vivant, élastique et souple !…

« Je mange tout : la mouche verte et le crabe, la sole morte sur le sable, l’orvet vivant qui brille dans l’herbe comme une gourmette d’acier. Je tue la salamandre au bord de la fontaine, pour entendre, quand elle meurt, sa suffocation émouvante. Je carde, du bout des griffes, la peau suintante du crapaud. J’ai sucé le lait de la chatte grise, en la mordant exprès, et celui de la chienne colley, pêle-mêle avec ses petits, ses énormes petits tout laineux…

« Depuis ce jour-là, les tétines de la chienne sont devenues noires. Je suis malingre, malveillant, fétide. Quand je crache de colère : « Khh !… », ma gueule fume, et vous reculez !

« Vous reculez, mais j’avance, dévastateur et sociable. Pourquoi me cacherais-je ? Je ne suis pas de ces démons pusillanimes, terrés dans la cave, embusqués sous l’auvent du toit, ou grelottants dans le puits. Trois paroles pieuses, une goutte d’eau bénite, et les voilà en déroute. Mais moi ! je vis au grand jour, actif, dormant peu, voleur, macabre et gai.

« L’heure de midi, qui pâlit les yeux des chats, dessine à mon côté, sur la terrasse chaude, une ombre cornue, courte, presque sans pattes. J’ouvre les bras, je me dresse debout et je danse avec elle. Infatigables tous deux, nous joutons de légèreté. Quand je saute, elle s’éloigne, et nous retombons embrassés, pour recommencer plus fort, comme deux noirs papillons qui s’accolent, puis se disjoignent, puis s’accolent…

« Vous riez, sans comprendre. Les arabesques de ma danse, les signes maléfiques que j’écris dans l’air, les hiéroglyphes de ma queue qui se tord en serpent coupé, qu’y pouvez-vous lire ? Vous riez, au lieu de trembler, quand j’écrase sous moi, d’un bond définitif, l’ombre cornue, la démone jumelle que je sens palpiter et se débattre, l’ombre qui grandirait comme un nuage et couvrirait, d’une aile effrayante, cette terrasse, et le pré, et la plaine, et votre maison fragile…

« Ce soir, tandis que le jardin arrosé sent la vanille et la salade fraîche, vous errez, épaule contre épaule, heureux de vous taire, d’être seuls, de n’entendre sur le sable, quand vous passez tous deux, que le bruit d’un seul pas…

« L’un de vous étend le bras vers l’ouest et désigne, au-dessus de la mer, une trace longue, d’un rose obscur, un peu de cendre du soleil éteint…

« L’autre lève la main et montre les étoiles, les arbres, la faible lueur des fleurs pâles qui bordent l’allée… Pauvres gestes humains de possession et d’embrassement !… Immobiles, vous joignez vos doigts pour goûter mieux le délice d’être seuls.

« Seuls ? de quel droit ? Cette heure m’appartient. Rentrez ! La lampe vous attend. Rendez-moi mon domaine, car rien n’est vôtre, ici, dès la nuit close. Rentrez ! Ou bien « poum ! » je jaillis du fourré, comme une longue étincelle, comme une flèche invisible et sifflante.

« Faut-il que je frôle et que j’entrave vos pieds, mou, velu, humide, rampant, méconnaissable ?… Rentrez ! le double feu vert de mes prunelles vous escorte, suspendu entre ciel et terre, éteint ici, rallumé là. Rentrez en murmurant : « Il fait frais » pour excuser le frisson qui désunit vos lèvres et desserre vos mains enlacées. Fermez les persiennes, en froissant le lierre du mur et l’aristoloche.

« Je suis le diable, et je vais commencer mes diableries sous la lune montante, parmi l’herbe bleue et les roses violacées. Je conspire contre vous, avec l’escargot, le hérisson, la hulotte, le sphinx lourd qui blesse la joue comme un caillou.

« Et gardez-vous, si je chante trop haut, cette nuit, de mettre le nez à la fenêtre : vous pourriez mourir soudain de me voir, sur le faîte du toit, assis tout noir au centre de la lune !… »

LA CHIENNE JALOUSE

C

ette allée-là ? Si tu veux… L’autre est plus belle, verte, humide, déserte — mais c’est toi qui choisis. Moi, je te suis.

« Je te suis, mais je ne t’aime pas.

« Je te suis, parce qu’Il me l’a ordonné. Je te garde, parce que tu Lui es chère. Je Lui obéis avec un désespoir scrupuleux. Marche ; goûte le matin de septembre, rouge et doré comme une pêche de vigne, va sans crainte jusqu’au fond du bois : ta gardienne est là, noire dans l’ombre de ta robe, prête à donner, pour obéir à son maître, tout le sang de son cœur fanatique.

« Quoi ? Que veux-tu ? C’est pour traverser l’allée que tu m’appelles ? Tu crains que je ne me fasse écraser ? Tu as l’air de croire, vraiment, que c’est toi qui me promènes ! Tu ne sais même pas te servir de moi : tu te retournes, tu me siffles, tu m’appelles, — tu ignores donc que je suis là, que je suis toujours là ? Si tu cesses de me voir, c’est que je suis trop près. Je tourne autour de toi, comme ton ombre, comme Sa pensée à Lui, hélas !…

« (Prends garde !… cette voiture a failli t’atteindre. Ne peux-tu courir plus vite ?)

« … Comme la pensée de mon Maître, hélas ! Ah ! je ne puis t’aimer, ni oublier le soir où tu vins dans Sa maison. Quand tu songes à ce soir-là, toi, tu souris, et tes paupières descendent lentement…

« Le premier soir, je n’ai presque pas souffert. J’étais couchée contre ses pieds, et j’écoutais sa voix. Il s’est penché vers moi en te parlant et m’a meurtri l’oreille d’une caresse un peu nerveuse. Il a joué avec moi pour te plaire. Il s’est vanté de ma beauté, de mon intelligence. Il a voulu te montrer le sursaut qui m’agite dès qu’il prononce mon nom ; il a violenté mon regard qui, sous le sien, se dore et s’élargit… Je t’ai donné — sur Son ordre, sur Son ordre seulement ! — ma patte dans ta main, et tu feignais de m’admirer, tu disais : « Elle est belle », en Le regardant.

« Mais il y eut un second soir, un troisième… Le troisième soir, tu t’en souviens ? J’avais compris, et je luttais contre toi comme une rivale. Tu t’en souviens ? Je te barrais la porte, et je hurlais, raidie, hérissée, avec de tels accents, avec des bonds d’une si féminine fureur que tu devins pâle.

« Et pourtant, ce n’est pas ce soir-là que tu faillis perdre la vie. Ce n’est pas non plus le jour où Il t’appelait dans le jardin, pour le seul plaisir de crier ton nom, et où chacun de ses appels m’arrachait un gémissement. Gémir, moi, gémir, quand je me tais sous le fouet !… Ce n’est pas le jour qu’Il revint, après une semaine d’absence, et que je léchais, désespérée, ses mains couvertes de ton parfum… Non, tu ne sauras jamais à quelle heure j’ai voulu m’élancer, refermer mes dents sur ta gorge et ne plus bouger, et entendre ton sang murmurer comme un ruisseau…

« (Je n’aime pas la figure de cet homme qui marche derrière nous. Va devant. Je vais le regarder un instant, et il comprendra… Tu vois ? c’est fait.)

« Et te voilà dans Sa maison, à présent. Et je vis encore. Il a continué de me demander, avec le despotisme de ceux qui se savent aimés uniquement, ma gaîté, ma force, ma vigilance de bergère. Il m’a demandé de t’aimer… Ah ! qu’Il me pardonne ! je ne puis…

« Tu m’es sacrée, — mais je ne t’aime pas. Je te juge trop bien. Qu’as-tu de plus que moi ? Je suis la plus belle, noire, haut chaussée de rouge brun, et coiffée de parlantes oreilles. J’ai des yeux à te faire envie, sommés de mouvants sourcils orange, des yeux qui voient la nuit et le jour, des yeux à faire crier : « Au loup ! », des yeux, si je voulais, à brûler tes pensées derrière ton front… Tu sais que je te renverse sans effort, n’est-ce pas ? et que ces dents-ci, ces dents incorruptibles, rafraîchies d’une claire salive et d’une haleine pure, ont tordu les barreaux d’une grille…

« Je suis la plus belle, et tu triomphes. Ce n’est pas assez : tu voudrais que je t’aime ? Ne demande pas l’impossible…

« (Pourquoi marches-tu si près de l’eau ? La rive est friable, et tu ne sais pas choisir, pour poser ton pied, une place sûre. Recule un peu. Laisse-moi passer entre toi et l’eau. Là. C’est bien ainsi. Il serait content de moi…)

« Ne demande pas l’impossible. Promène-toi, sous ma garde. Tu remplaces mon troupeau d’autrefois, mes moutons odorants dont les petits pieds grêlaient la route… Je vais, je viens, je te dépasse, je reviens, je t’environne, en cercles, en ellipses, en huit… Tu es la prisonnière de l’entrelacs magique que je dessine sans fin. Tu crois que je joue, et je travaille. Je passe si près de toi que tu veux, chaque fois, me caresser ; mais je t’évite, chaque fois, d’un mouvement si juste que tu le penses involontaire.

« Rentrons à présent, le soir tombe. Reviens vers la maison vide, où l’heure de minuit ramènera celui qui t’a confiée à moi. Ma tâche est finie pour aujourd’hui. Je vais me coucher et L’attendre. Je ne bougerai pas, je ne respirerai pas. Tu ne sauras plus qu’il y a, à tes pieds, une chienne jalouse qui ne veut pas t’aimer.

« S’il tarde à revenir, tu vas t’alarmer encore, et soupirer, et m’appeler, comme si je pouvais te porter secours… Ah ! comment te cacher que c’est le moyen de me fléchir ? La nuit nous rapproche, anxieuses, le cœur agité, — la même couche nous reçoit côte à côte, accoudées, tendues vers la porte, — tu grondes de déception, et ma profonde voix menace le passant, — le même cri nous échappe quand Sa main, à Lui, frôle enfin la serrure, et son entrée dénoue, bras et pattes mêlés, une brève, une furtive et fraternelle étreinte…

« PRROU »

Q

uand je l’ai connue, elle gîtait dans un vieux jardin noir, oublié entre deux bâtisses neuves, étroit et long comme un tiroir. Elle ne sortait que la nuit, par peur des chiens et des hommes, et elle fouillait les poubelles. Quand il pleuvait, elle se glissait derrière la grille d’une cave, contre les vitres poudreuses du soupirail, mais la pluie gagnait tout de suite son refuge et elle serrait patiemment sous elle ses maigres pattes de chatte errante, fines et dures comme celles d’un lièvre.

Elle restait là de longues heures, levant de temps en temps les yeux vers le ciel, ou vers mon rideau soulevé. Elle n’avait pas l’air lamentable, ni effaré, car sa misère n’était pas un accident. Elle connaissait ma figure, mais elle ne mendiait pas, et je ne pouvais lire dans son regard que l’ennui d’avoir faim, d’avoir froid, d’être mouillée, l’attente résignée du soleil qui endort et guérit passagèrement les bêtes abandonnées.

Trois ou quatre fois, je pénétrai dans le vieux jardin, en râpant ma jupe entre les planches de la palissade. La chatte ne fuyait pas à mon approche, mais elle se dérobait comme une anguille, à la seconde juste où j’allais la toucher. Après mon départ, elle attendait héroïquement que la brise du vieux jardin eût emporté mon odeur et l’écho de mes pas ; puis elle mangeait la viande laissée près du soupirail, en ne trahissant sa hâte que par un mouvement avide du cou et le tremblement de son échine.

Elle ne cédait pas tout de suite au sommeil des bêtes repues ; elle essayait, avant, un bout de toilette, un lissage de sa robe grise à raies noires — une pauvre robe terne et bourrue, car les chats qui ne mangent pas ne se lavent pas, faute de salive…

Février vint, et le vieux jardin ressembla, derrière sa grille, à une cage pleine de petits fauves. Matous des caves et des combles, des fortifs et des terrains vagues, le dos en chapelet, avec des cous pelés d’échappés à la corde, — matous chasseurs, sans oreilles et sans queue, rivaux terribles des rats, — matous de l’épicier et de la crémière, allumés et gras, lourds, vite essoufflés, matous noirs à collier de ruban cerise, et matous blancs à collier de perles bleues…



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