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"Le Blé en herbe" raconte l’histoire de deux jeunes adolescents, Philippe et Vinca, qui vivent dans une villa en bord de mer avec leurs familles. Leur amitié se transforme progressivement en un amour naissant, mais leur relation est marquée par la naïveté et les maladresses de la jeunesse. Philippe, plus réservé, commence à prendre conscience de ses sentiments pour Vinca, tandis que celle-ci, plus vive et spontanée, cherche à comprendre les siens. Leur idylle est compliquée par les attentes des adultes, les fausses pistes et les malentendus.
Alors que le temps passe, les deux jeunes gens sont confrontés à la réalité de la séparation, des premiers échecs et des désillusions. Vinca, plus affirmée, cherche à vivre ses désirs sans se soucier des conséquences, tandis que Philippe reste plus hésitant et vulnérable. Le roman suit l’évolution de leur relation à travers les épreuves de l’adolescence, les moments de doute et les découvertes, jusqu’au moment où leur histoire se termine, marquée par la rupture et le passage à l’âge adulte.
"Le Blé en herbe" est un récit tendre et réaliste de l’adolescence, de l’amour et des premières passions.
Colette décrit avec précision les émotions des jeunes amants et les conflits qui surgissent lorsqu’ils sont confrontés à la réalité de leurs sentiments et de leurs rêves. Un roman sans fioritures qui peint le portrait d’un amour éphémère, mais intense, entre deux jeunes personnes à la croisée de l’enfance et de l’âge adulte.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Sidonie Gabrielle Colette, née en 1873 en France, fut une icône littéraire intemporelle. Connue sous le nom de
Colette, elle brilla par sa plume unique et sa rébellion subtile. Ses œuvres emblématiques, dont "Claudine à l'école" et "Gigi", captivèrent le public du début du 20e siècle.
Colette n'était pas seulement une auteure, mais une femme audacieuse qui bouscula les conventions sociales. Son art saisissant et son regard perspicace sur la condition féminine lui ont valu une place permanente dans le cœur des lecteurs du monde entier.
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Seitenzahl: 159
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Le Blé en herbe
Colette
– 1923 –
I
— Tu vas à la pêche, Vinca ?
D’un signe de tête hautain, la Pervenche Vinca aux yeux couleur de pluie printanière, répondit qu’elle allait, en effet, à la pêche. Son chandail reprisé en témoignait, et ses espadrilles racornies par le sel. On savait que sa jupe à carreaux bleus et verts, qui datait de trois ans et laissait voir ses genoux, appartenait à la crevette et aux crabes. Et ces deux havenets sur l’épaule, et ce béret de laine hérissé et bleuâtre comme un chardon des dunes, constituaient-ils une panoplie de pêche, oui ou non ?
Elle dépassa celui qui l’avait hélée. Elle descendit vers les rochers, à grandes enjambées de ses fuseaux maigres et bien tournés, couleur de terre cuite. Philippe la regardait marcher, comparant l’une à l’autre Vinca de cette année et Vinca des dernières vacances. A-t-elle fini de grandir ? il est temps qu’elle s’arrête. Elle n’a pas plus de chair que l’autre année. Ses cheveux courts s’éparpillent en paille raide et bien dorée, qu’elle laisse pousser depuis quatre mois, mais qu’on ne peut ni tresser ni rouler. Elle a les joues et les mains noires de hâle, le cou blanc comme lait sous ses cheveux, le sourire contraint, le rire éclatant, et si elle ferme étroitement, sur une gorge absente, blousons et chandails, elle trousse jupe et culotte pour descendre à l’eau, aussi haut qu’elle peut, avec une sérénité de petit garçon…
Le camarade qui l’épiait, couché sur la dune à longs poils d’herbe, berçait sur ses bras croisés son menton fendu d’une fossette. Il compte seize ans et demi, puisque Vinca atteint ses quinze ans et demi. Toute leur enfance les a unis, l’adolescence les sépare. L’an passé, déjà, ils échangeaient des répliques aigres, des horions sournois ; maintenant le silence, à tout moment, tombe entre eux si lourdement qu’ils préfèrent une bouderie à l’effort de la conversation. Mais Philippe, subtil, né pour la chasse et la tromperie, habille de mystère son mutisme, et s’arme de tout ce qui le gêne. Il ébauche des gestes désabusés, risque des « À quoi bon ?… Tu ne peux pas comprendre… », tandis que Vinca ne sait que se taire, souffrir de ce qu’elle tait, de ce qu’elle voudrait apprendre, et se raidir contre le précoce, l’impérieux instinct de tout donner, contre la crainte que Philippe, de jour en jour changé, d’heure en heure plus fort, ne rompe la frêle amarre qui le ramène, tous les ans, de juillet en octobre, au bois touffu incliné sur la mer, aux rochers chevelus de fucus noir. Déjà il a une manière funeste de regarder son amie fixement, sans la voir, comme si Vinca était transparente, fluide, négligeable…
C’est peut-être l’an prochain qu’elle tombera à ses pieds et qu’elle lui dira des paroles de femme : « Phil ! ne sois pas méchant… Je t’aime, Phil, fais de moi ce que tu voudras… Parle-moi, Phil… » Mais cette année elle garde encore la dignité revêche des enfants, elle résiste, et Phil n’aime pas cette résistance.
Il regardait la plate et gracieuse fille, qui descendait à cette heure vers la mer. Il n’avait pas plus l’envie de la caresser que de la battre, mais il la voulait confiante, promise à lui seul, et disponible comme ces trésors dont il rougissait, — pétales séchés, billes d’agate, coquilles et graines, images, petite montre d’argent…
— Attends-moi, Vinca ! Je vais à la pêche avec toi ! cria-t-il.
Elle ralentit le pas sans se retourner. Il l’atteignit en quelques bonds et s’empara d’un des havenets.
— Pourquoi en avais-tu pris deux ?
— J’ai pris la petite poche pour les trous étroits, et mon havenet à moi, comme d’habitude.
Il plongea dans les yeux bleus son plus doux regard noir :
— Alors ce n’était pas pour moi ?
En même temps il lui offrait la main pour franchir le mauvais couloir de rochers, et le sang monta sous le hâle des joues de Vinca. Un geste nouveau, un regard nouveau suivaient à la confondre. Hier, ils battaient les falaises, sondaient les trous côte à côte — à chacun son risque… Aussi leste que lui, elle ne se souvenait pas d’avoir requis l’aide de Phil…
— Un peu de douceur, Vinca ! pria-t-il en souriant, parce qu’elle a retiré sa main d’un trop grand geste anguleux. Qu’est-ce que tu as donc contre moi ?
Elle mordit ses lèvres, fendillées par les plongeons quotidiens, et chemina sur les rochers hérissés de balanes. Elle réfléchissait et se sentait pleine de doute. Qu’a-t-il donc lui-même ? Le voici prévenant, charmant, et il vient de lui offrir la main comme à une dame… Elle abaissa lentement la poche de filet dans une cavité où l’eau marine, immobile, révélait des algues, des holoturies, des « loups », rascasses tout en tête et en nageoires, des crabes noirs à passepoils rouges et des crevettes… L’ombre de Phil obscurcit la flaque ensoleillée.
— Ôte-toi donc ! Tu mets ton ombre sur les crevettes, et puis c’est à moi, ce grand trou-là !
Il n’insista pas et elle pêcha toute seule, impatiente, moins adroite que de coutume. Dix crevettes, vingt crevettes échappèrent à son coup de filet trop brusque, pour se tapir dans des fissures d’où leurs barbes fines tâtent l’eau et narguent l’engin…
— Phil ! Viens, Phil ! C’en est rempli, de crevettes, et elles ne veulent pas se laisser prendre !
Il approcha, nonchalant, se pencha sur le petit abîme pullulant :
— Naturellement ! C’est que tu ne sais pas…
— Je sais très bien, cria Vinca aigrement, seulement je n’ai pas la patience.
Phil enfonça le havenet dans l’eau et le tint immobile.
— Dans la fente de rocher, chuchota Vinca derrière son épaule, il y en a de belles, belles… Tu ne vois pas leurs cornes ?
— Non. Ça n’a pas d’importance. Elles viendront bien.
— Tu crois ça !
— Mais oui. Regarde.
Elle se pencha davantage, et ses cheveux battirent, comme une aile courte et prisonnière, la joue de son compagnon. Elle recula, puis revint d’un mouvement insensible, pour reculer encore. Il ne parut pas s’en apercevoir, mais sa main libre attira le bras nu, hâlé et salé, de Vinca.
— Regarde, Vinca… La plus belle, qui vient…
Le bras de Vinca, qu’elle déroba, glissa jusqu’au poignet dans la main de Phil comme dans un bracelet, car il ne le serrait pas.
— Tu ne l’auras pas, Phil, elle est repartie…
Pour suivre mieux le jeu de la crevette, Vinca rendit son bras, jusqu’au coude, à la main demi-fermée. Dans l’eau verte, la longue crevette d’agate grise tâtait du bout des pattes, du bout des barbes, le bord du havenet. Un coup de poignet, et… Mais le pêcheur tardait, savourant peut-être l’immobilité du bras docile à sa main, le poids d’une tête voilée de cheveux qui s’appuya, un moment vaincue, à son épaule, puis s’écarta, farouche…
— Vite. Phil, vite, relève le filet !… Oh ! elle est partie ! Pourquoi l’as-tu laissée partir ?
Phil respira, laissa tomber sur son amie un regard où l’orgueil, étonné, méprisait un peu sa victoire ; il délivra le bras mince, qui ne réclamait point de liberté, et brouillant, à coups de havenet, toute la flaque claire :
— Oh ! elle reviendra… Il n’y a qu’à attendre…
II
Ils nageaient côte à côte, lui plus blanc de peau, la tête noire et ronde sous ses cheveux mouillés, elle brûlée comme une blonde, coiffée d’un foulard bleu. Le bain quotidien, joie silencieuse et complète, rendait à leur âge difficile la paix et l’enfance, toutes deux en péril. Vinca se coucha sur le flot, souffla de l’eau en l’air comme un petit phoque. Le foulard tordu découvrait ses oreilles roses et délicates, que les cheveux abritaient pendant le jour, et des clairières de peau blanche aux tempes qui ne voyaient la lumière qu’à l’heure du bain. Elle sourit à Philippe, et sous le soleil d’onze heures le bleu délicieux de ses prunelles verdit un peu au reflet de la mer. Son ami plongea brusquement, saisit un pied de Vinca et la tira sous la vague. Ils « burent » ensemble, reparurent crachant, soufflant, et riant comme s’ils oubliaient, elle ses quinze ans tourmentés d’amour pour son compagnon d’enfance, lui ses seize ans dominateurs, son dédain de joli garçon et son exigence de propriétaire précoce.
— Jusqu’au rocher ! cria-t-il en fendant l’eau.
Mais Vinca ne le suivit pas, et gagna le sable proche.
— Tu t’en vas déjà ?
Elle arracha son bonnet comme si elle se scalpait, et secoua ses raides cheveux blonds :
— Un monsieur qui vient déjeuner ! Papa a dit qu’on s’habille !
Elle courait, toute mouillée, grande et garçonnière, mais fine, avec des os durs et de longs muscles discrets. Un mot de Phil l’arrêta.
— Tu t’habilles ? et moi ? je ne peux pas déjeuner en chemise ouverte, alors ?
— Mais si, Phil ! Tout ce que tu veux ! D’ailleurs, tu es beaucoup mieux, décolleté !
Le petit masque mouillé et hâlé, les yeux de la Pervenche exprimèrent tout de suite l’angoisse, la supplication, un revêche désir d’être approuvée. Il se tut avec morgue et Vinca gravit le pré de mer fleuri de scabieuses.
Phil grommela, tout seul, en battant l’eau. Il se souciait peu des préférences de Vinca. « Je suis toujours assez beau pour elle… D’ailleurs, elle n’est jamais contente, cette année ! »
Et l’apparente contradiction de ses deux boutades le fit sourire. Il se renversa à son tour sur la vague, laissa l’eau salée emplir ses oreilles d’un silence grondant. Un petit nuage couvrant le soleil haut, Phil ouvrit les yeux et vit passer au-dessus de lui les ventres ombrés, les grands becs effilés et les pattes sombres, repliées en plein vol, d’un couple de courlis.
⁂
« Fichue idée, se disait Philippe. Non, mais, qu’est-ce qui lui a pris ? Elle a l’air d’un singe habillé. Elle a l’air d’une mulâtresse qui va communier… »
À côté de Vinca, une petite sœur, à peu près pareille, ouvrait des yeux bleus dans un rond visage cuit, sous des cheveux blonds en chaume raide, et appuyait sur la nappe, à côté de l’assiette, des poings clos d’enfant bien élevée. Deux robes blanches pareilles habillaient la grande et la petite, repassées, empesées, en organdi à volants.
« Un dimanche à Tahiti, railla Philippe en lui-même. Je ne l’ai jamais vue si laide. »
La mère de Vinca, le père de Vinca, la tante de Vinca, Phil et ses parents, le Parisien de passage cernaient la table de chandails verts, de blazers rayés, de vestons en tussor. La villa, louée tous les ans par les deux familles amies, sentait ce matin la brioche chaude et l’encaustique. L’homme grisonnant, venu de Paris, représentait, parmi ces baigneurs bariolés et ces enfants noircis, l’étranger délicat, pâle et bien vêtu.
— Comme tu changes, petite Vinca ! dit-il à la jeune fille.
— Parlons-en, marmotta Phil hargneux.
L’étranger se pencha vers la mère de Vinca pour lui avouer à mi-voix :
— Elle devient ravissante ! Ravissante ! Dans deux ans… vous la verrez !
Vinca entendit, jeta un vif regard féminin sur l’étranger, et sourit. La bouche pourpre se fendit sur une lame de dents blanches, les prunelles, bleues comme la fleur dont elle portait le nom, se voilèrent de cils blonds, et Phil lui-même fut ébloui. « Eh !… qu’est-ce qu’elle a ? »
Dans le hall tendu de toile, Vinca servit le café. Elle évoluait roidement et sans heurt, avec une sorte de charme acrobatique. Un coup de vent ayant bousculé la table fragile, Vinca retint du pied une chaise renversée, du menton un napperon de dentelle qui s’envolait, et ne cessa point de verser, en même temps, un jet impeccable de café dans une tasse.
— Voyez la ! s’extasia l’étranger.
Il la traita de « tanagra », l’obligea à goûter de la chartreuse, lui demanda les noms des amoureux qu’elle désolait au casino de Cancale…
— Ah ! ah ! le casino de Cancale ! Mais il n’y a pas de casino à Cancale !
Elle riait, montrant le demi-cercle solide de toutes ses dents, virait comme une ballerine sur la pointe de ses souliers blancs. La ruse lui venait, avec la coquetterie ; elle ne tournait pas son regard vers Philippe, qui, sombre derrière le piano et le grand bouquet de chardons planté dans un seau de cuivre, la contemplait.
« Je m’étais trompé, s’avoua-t-il. Elle est très jolie. Voilà du nouveau ! »
Comme l’étranger, au son du phonographe, proposait à Vinca de lui apprendre le balancello, Philippe se glissa dehors, courut vers la plage et tomba en boule dans un creux de dune, où il mit sa tête sur ses bras et ses bras sur ses genoux. Une Vinca nouvelle, pleine d’insolence voluptueuse, persistait sous ses paupières fermées, Vinca coquette, bien armée, accrue tout à coup d’une chair ronde, Vinca méchante et rebelle à souhait…
— Phil ! mon Phil ! Je te cherchais… Qu’est-ce que tu as ?
La séductrice, haletante, était auprès de lui, et lui tirait ingénument les cheveux à poignée pour l’obliger à relever le front.
— Je n’ai rien, dit-il d’une voix enrouée.
Il ouvrit les yeux avec crainte. Agenouillée dans le sable, elle froissait ses dix volants d’organdi et se traînait comme une squaw.
— Phil ! je t’en prie, ne sois pas fâché… Tu as quelque chose contre moi… Phil, tu sais bien que je t’aime mieux que tout le monde. Parle-moi, Phil !
Il cherchait sur elle la splendeur éphémère qui l’avait irrité. Mais ce n’était plus qu’une
Vinca consternée, une adolescente chargée, trop tôt, de l’humilité, des maladresses, de la morne obstination du véritable amour… Il lui arracha sa main qu’elle baisait :
— Laisse-moi ! Tu ne comprends pas, tu ne comprends jamais rien !… Lève-toi, voyons !
Et il cherchait, lissant la robe froissée, nouant le ruban de la ceinture, calmant les raides cheveux dressés dans le vent, il cherchait à remodeler sur elle la forme de la petite idole entrevue…
III
— Les vacances, à présent, c’est l’affaire d’un mois et demi, quoi !…
— Un mois, dit Vinca. Tu sais bien que je serai le vingt septembre à Paris.
— Pourquoi ? Ton père est libre jusqu’au premier octobre, tous les ans.
— Oui, mais maman et moi, et Lisette, nous n’avons pas trop de temps, du vingt, septembre au quatre octobre, pour les affaires d’automne, — une robe pour aller au cours, un manteau, un chapeau pour moi, et la même chose pour Lisette… Je voulais dire nous, les femmes, enfin…
Phil, couché sur le dos, jeta des poignées de sable en l’air.
— Ah ! là là… « Vous, les femmes… » Vous en faites des embarras, pour tout ça !
— Il faut bien… Toi, tu trouves ton complet préparé sur ton lit. Tu t’occupes juste de tes chaussures, parce que tu les achètes chez un marchand où ton père te défend d’aller ; le reste, ça te pousse tout seul. C’est bien commode, vous, les hommes !…
Philippe s’assit d’un coup de reins, prêt à répondre à l’ironie. Mais Vinca ne se moquait pas. Elle cousait, bordant d’un feston rose une robe en crépon du même bleu que ses yeux. Ses cheveux blonds, taillés à la Jeanne d’Arc, allongeaient lentement. Elle les divisait quelquefois sur la nuque, et liait de rubans bleus deux courts balais couleur de blé, au long de chaque joue. Depuis le déjeuner, elle avait perdu un de ses rubans, et la moitié de sa chevelure battait, en rideau éployé, la moitié de son visage.
Philippe fronça les sourcils :
— Dieu, que tu es mal peignée, Vinca !
Elle rougit sous son hâle de vacances et lui jeta un humble regard en repoussant ses cheveux derrière l’oreille :
— Je sais bien… Je serai mal coiffée tant que mes cheveux seront trop courts. Cette coiffure-là, c’est en attendant…
— La laideur temporaire, ça t’est égal… dit-il durement.
— Je te jure que non, Phil.
Honteux de tant de douceur, il se tut, et elle leva sur lui des yeux étonnés, car elle n’attendait point de mansuétude. Lui-même crut à une trêve passagère de susceptibilité et s’apprêta aux reproches, aux sarcasmes enfantins, à ce qu’il appelait « l’humeur lévrière », de sa petite compagne. Mais elle sourit mélancoliquement, d’un sourire errant qui s’adressait à la mer calme, au ciel où le vent haut dessinait des fougères de nuages.
— J’ai, au contraire, très envie d’être jolie, je t’assure. Maman dit que je peux encore le devenir, mais qu’il faut patienter.
Ses quinze ans fiers et gauches, entraînés à la course, salés, durcis, maigres et solides, la rendaient souvent pareille à une houssine cinglante et cassante, mais ses yeux d’un bleu incomparable, sa bouche simple et saine étaient des œuvres achevées de la grâce féminine.
— Patienter, patienter…
Phil se leva, gratta du bout de son espadrille la dune sèche, perlée de petits escargots vides. Un mot détesté venait d’empoisonner sa sieste heureuse de lycéen en vacances, dont les seize ans vigoureux s’accommodaient d’oisiveté, de langueur immobile, mais que l’idée d’attente, de patiente évolution exaspérait. Il tendit les poings, bomba sa poitrine demi-nue, défia l’horizon :
— Patienter ! Vous n’avez que ce mot-là à la bouche, tous ! Toi, mon père, mes « profs »… Ah ! bon Dieu…
Vinca cessa de coudre, pour admirer son compagnon harmonieux que l’adolescence ne déformait pas. Brun, blanc, de moyenne taille, il croissait lentement et ressemblait, depuis l’âge de quatorze ans, à un petit homme bien fait, un peu plus grand chaque année.
— Et que faire d’autre, Phil ? Il faut bien. Tu crois toujours que, de tendre tes deux bras et de jurer : « Ah ! bon Dieu », ça y changera quelque chose. Tu ne seras pas plus malin que les autres. Tu te représenteras à ton bachot et, si tu as de la chance, tu seras reçu…
— Tais-toi ! cria-t il. Tu parles comme ma mère !
— Et toi comme un enfant ! Qu’est-ce que tu espères donc, mon pauvre petit, avec ton impatience ?
Les yeux noirs de Philippe la haïssaient, parce qu’elle l’avait appelé « mon pauvre petit ».
— Je n’espère rien ! dit il tragiquement. Je n’espère surtout pas que tu me comprennes ! Tu es là, avec ton feston rose, ta rentrée, ton cours, ton petit train-train… Moi, rien que l’idée que j’ai seize ans et demi bientôt…
Les yeux de la Pervenche, étincelants de larmes d’humiliation, réussirent à rire :
— Ah ! oui ? tu te sens le roi du monde, parce que tu as seize ans, n’est-ce pas ? C’est le cinéma qui te fait cet effet-là ?
Phil la prit par l’épaule, la secoua en maître :