La Vampire - Ligaran - E-Book

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Extrait : "Des malheurs non mérités autant qu'imprévus arrachèrent le colonel Edouard Delmont, vers la fin de 1815, de sa terre natale. Paris l'avait vu naître, il eût voulu passer ses jours dans cette capitale du monde ; mais la fortune en avait autrement ordonné."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : • Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. • Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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À……

Je vous ai constamment rencontrée aux jours de mes peines ; votre cœur dans ces moments douloureux a toujours répondu au mien, par les plus nobles et les plus purs sentiments.

Je ne saurais m’acquitter envers vous de tant de douces consolations offertes par l’amitié désintéressée à l’amitié souffrante :

Acceptez ce faible témoignage de mon respect, de mon attachement et de ma reconnaissance.

B. DE LAMOTHE LANGON.

Préface

Nous commencerons d’abord par nous excuser auprès du lecteur (s’il est nécessaire de le faire), du titre que nous avons cru devoir donner à notre ouvrage ; La Vampire. Est-ce français ? nous demandera-t-on ; ne dit-on pas toujours un Vampire ? Les dictionnaires ne placent-ils pas le mot au masculin ? Nous n’en disconvenons pas ; mais comme c’est une femme qui joue en ce roman le rôle de persécutrice des vivants, ne convenait-il pas de le faire connaître ; le Vampire l’eût-il désigné ainsi qu’il le fallait ? il nous a paru que nous pouvions féminiser le mot sans manquer au respect dû à la langue. Bienheureux nous croirions-nous, si, dans ces pages légères, nous ne l’avions pas offensée plus grièvement.

C’est un sujet assez curieux que celui qui ramène le tableau de ces superstitions encore existantes dans plusieurs parties de l’Europe. Les Vampires sont principalement célèbres dans la Hongrie, la Moravie, l’Épire, et les îles de la Grèce. Là, on croit fermement à l’existence de ces Êtres mystérieux, n’appartenant ni à la mort ni à la vie, et tenant néanmoins à l’une et à l’autre ; à ces cannibales du tombeau, qui, prenant, lorsque la pierre sépulcrale les recouvra, des goûts affreux qu’ils ne possédaient pas auparavant, viennent sucer le sang humain pour contenter une soif effroyable, et porter même au sein de leur famille l’épouvante et la désolation.

Les Vampires sont connus depuis la plus haute antiquité ; ce n’est point dans les époques modernes qu’on les a inventés. Les anciens, afin de satisfaire l’appétit des morts, plaçaient dans les cimetières des tables chargées de viandes et de vin : on en trouve la preuve dans une foule d’auteurs grecs et latins. Les premiers chrétiens avaient conservé cet usage, que sainte Monique, mère du célèbre évêque d’Hypone, voulait, après la mort de celui-ci, perpétuer en Italie. Tertullien, dans son Traité de Resurrectio. Initio. reproche aux païens qu’ils croyaient au besoin que les morts avaient de manger. On trouve en effet dans les tombeaux où reposaient, soit des idolâtres, soit des chrétiens de la primitive église, des vases d’argile et de verre renfermant des ossements de quadrupèdes et de volailles, qui ne pouvaient qu’avoir été offerts aux défunts pour leur nourriture ?

Cette opinion que des cadavres conservaient encore une portion de la vie, est depuis longtemps enracinée. On la retrouve de nos jours chez presque tous les peuples du monde ; elle a eu, elle a de nombreux partisans même parmi de graves personnages, qui s’appuient sur des actes portant disent-ils, tous les caractères de l’authenticité. Permis à eux de le croire, mais sur ce point les incrédules sont nombreux.

Au nombre des Vampires célèbres qui ont paru aux environs du commencement de la religion révélée, le plus connu sans doute est celui ou celle (car c’était une femme) dont Phlégon raconte l’histoire dans son Traité des Choses merveilleuses.

Il prétend qu’à Trallès, en Asie, une fille nommée Philinnium quitta sa dernière demeure, pour revenir chaque nuit habiter avec Machates, son amant; qu’elle continua d’agir de même jusqu’au moment qu’elle fut surprise par sa mère; alors, tombant sur le plancher, après avoir reproché à celle-ci le bonheur qu’elle perdait par sa venue, elle rendit définitivement le dernier soupir. On courut au mausolée dans lequel on l’avait ensevelie, il était vide; mais on y trouva une coupe d’or et un anneau de fer, que Machates, la veille, avait donnés à Philinnium. Phlégon se prétend témoin oculaire d’un fait pareil, et, quoiqu’il l’ait écrit pour être mis sous les yeux de l’empereur Adrien, nous ne pouvons l’admettre sans un plus mûr examen.

Dans les temps modernes on a cru aussi pouvoir certifier l’existence des Vampires. Voici quelques exemples que dom Calmet rapporte à ce sujet, dans son Traité des Apparitions et des Revenants qui désolent la Hongrie : « Au commencement du mois de septembre 1737, mourut dans le village de Kililova, à trois lieues de Gradiska, un vieillard âgé de soixante-deux ans. Trois jours après avoir été enterré, il apparut la nuit à son fils, et lui demanda à manger : celui-ci lui en ayant servi, il mangea et disparut. Le lendemain le fils raconta à ses voisins ce qui lui était arrivé : cette nuit le père ne parut pas, mais la nuit suivante il se fit voir et demanda à manger. On ne sait pas si son fils lui en donna ou non, mais on trouva le lendemain celui-ci mort dans son lit : le même jour cinq ou six personnes tombèrent subitement malades dans le village, et moururent l’une après l’autre peu de temps après. L’officier ou bailli du lieu, informé de ce qui était arrivé, en envoya une relation au tribunal de Belgrade, qui fit venir dans le village deux de ses officiers avec un bourreau, pour examiner cette affaire. L’Officier dont on tient cette relation s’y rendit, de Gradiska, pour être témoin d’un fait dont il avait si souvent ouï parler. On ouvrit tous les tombeaux de ceux qui étaient morts depuis six semaines. Quand on vint à celui du vieillard, on trouva celui-ci les yeux ouverts, d’une couleur vermeille, ayant une respiration naturelle, cependant immobile et mort : d’où l’on conclut qu’il était, un signalé Vampire. Le bourreau lui enfonça un pieu dans le cœur ; on fit un bûcher, et l’on réduisit en cendres le cadavre »……

« En 1729 ou en 1730, un certain heiduque, habitant de Médreïga, fut écrasé par la chute d’un chariot de foin. Trente jours après sa mort, quatre personnes moururent subitement et de la manière que meurent, suivant la tradition du pays, ceux qui sont molestés de Vampires. On se ressouvint alors que ce personnage, nommé Arnold Paul, avait souvent raconté qu’aux environs de Cassoura, et sur les frontières de la Servie turque, il avait été tourmenté par un Vampire turc (car on croit aussi que ceux qui ont été Vampires pendant leur vie le deviennent actifs après leur mort c’est-à-dire que ceux qui ont été sucés sucent à leur tour), mais qu’il avait trouvé moyen de se guérir, en mangeant de la terre du sépulcre du Vampire, et en se frottant de son sang ; précaution qui ne l’empêcha pas cependant de le devenir après sa mort, puisqu’il fut exhumé quarante jours après son enterrement, et qu’on trouva sur son cadavre toutes les marques d’un archi-Vampire : son corps était vermeil ; ses cheveux, ses ongles, sa barbe, s’étaient renouvelés ; et ses veines étaient toutes remplies d’un sang fluide, et coulant de toutes les parties de son corps sur le linceul dont il était enveloppé. Le hadnagy, ou le bailli du lieu, en présence de qui se fit l’exhumation, et qui était un homme expert dans le vampirisme, fit enfoncer, selon la coutume, dans le cœur du défunt Arnold Paul, un pieu fort aigu dont on lui traversa le corps de part en part ; ce qui, dit-on, lui fit jeter un cri effroyable, comme s’il était en vie. Cette expédition faite, on lui coupa la tête et on brûla le tout »…

« Il y a environ quinze ans qu’un soldat étant en garnison chez un paysan haidamaque, frontière de Hongrie, vit entrer, comme il était à table auprès du maître de la maison, son hôte, un homme qui se mit à manger avec eux. Le maître du logis en fut étrangement effrayé, de même que le reste de la compagnie. Le soldat ne savait qu’en juger, ignorant de quoi il était question. Mais le maître de la maison étant mort le lendemain, le soldat s’informa ce que c’était : on lui dit que c’était le père de son hôte, mort et enterré depuis dix ans, qui s’était venu asseoir auprès de lui, et lui avait annoncé et causé la mort.

Le soldat en informa d’abord le régiment, et le régiment en donna avis aux officiers-généraux, qui donnèrent commission au comte de Cabreras, capitaine du régiment d’Alandetti, infanterie, de faire information de ce fait. S’étant transporté sur les lieux avec d’autres officiers, un chirurgien et un auditeur, ils ouïrent les dépositions de tous les gens de la maison, qui attestèrent d’une manière uniforme, que le revenant était père de l’hôte du logis, et que tout ce que le soldat avait dit et rapporté était l’exacte vérité : ce qui fut attesté par tous les habitants du village.

En conséquence, on fit tirer de terre le corps de ce spectre ; on le trouva comme un homme qui vient d’expirer, et son sang comme d’un homme vivant. Le comte de Cabreras lui fit couper la tête, puis remettre dans le tombeau. Il fit encore information d’autres pareils revenants, entre autres d’un homme mort depuis trente ans, qui était revenu par trois fois dans sa maison à l’heure du repas, avait sucé le sang du cou la première fois à son propre frère, la seconde à un de ses fils, la troisième à un valet de la maison ; et tous trois en moururent sur-le-champ.

Sur cette déposition, le commissaire fit, tirer de terre le corps de cet homme, et le trouva le corps fluide comme le premier, et ainsi que l’aurait un homme en vie. Il ordonna qu’on lui passât un grand clou dans la tempe, et ensuite qu’on le remît dans le tombeau. Il en fit brûler un troisième, qui était enterré depuis plus de seize ans, et avait sucé le sang et causé la mort à deux de ses fils. Le commissaire ayant fait son rapport aux officiers-généraux, on députa à la cour de l’empereur, qui ordonna qu’on envoyât des officiers de guerre, de justice, des médecins, des chirurgiens, et quelques savants, pour examiner les causes de ces évènements extraordinaires. »

Mais tour ces Vampires doivent céder la palme de l’horrible à un autre dont le vénérable dom Calmet raconte encore les méfaits, et surtout l’insolence. Nous terminerons par celui-là, laissant toujours parler l’abbé de Sennones :

« Un pâtre du village de Blow, près la ville de Shadan, en Bohême, apparut pendant quelque temps après sa mort, et appelait certaines personnes, lesquelles ne manquaient pas de mourir dans la huitaine. Les paysans de Blow déterrèrent le corps de ce pâtre, et le fichèrent en terre avec un pieu qu’ils lui passèrent au travers du corps. Cet homme, en cet état, se moquait de ceux qui lui faisaient souffrir ce traitement, et leur disait qu’ils avaient bonne grâce à lui donner un bâton pour se défendre contre les chiens. La même nuit il se releva, et effraya par sa présence plusieurs personnes, et en suffoqua plus qu’il n’avait fait jusqu’alors. On le livra ensuite au bourreau, qui le mit sur une charrette pour le transporter hors du village, et l’y brûler. Ce cadavre hurlait comme un furieux, et remuait les pieds et les mains comme vivant ; et lorsqu’on le perça de nouveau avec des pieux, il jeta un très grand cri, rendit un sang très vermeil, et en grande quantité. Enfin on brûla, et cette exécution mit fin aux apparitions et aux infestations de ce spectre. »

Voilà plus qu’il n’en faut, sans doute, pour apprendre au lecteur que les Vampires, appelés également, Broucolaques, Upiers, Redivives, etc., ont joué depuis longtemps et jouent peut-être encore un rôle important sur la scène du monde. Les siècles plus éclairés ne sont pas ceux dans lesquels il y a moins de superstitions. L’esprit humain est toujours le même : il nie tel objet, il croit à tel autre ; sceptique sur les points principaux de la religion, il adopte les rêveries de l’astrologie judiciaire, les tours de passe-passe des diseuses de bonne aventure. Tout marche de pair dans le cerveau de l’homme, étonnant réceptacle tout ce qui est le plus opposé, des contrastes les plus bizarres, comme aussi des conceptions les plus extraordinaires.

Nos campagnes principalement renferment une population crédule, toujours prête à adopter tout ce qui lui paraît sortir des règles communes de la vie. La simplicité de l’existence journalière des paysans semble leur créer le besoin de lancer leur imagination dans l’océan sans borne du fantastique. Ils se récréent avec des Chimères, avec des contés effrayants, et qui les agitent. Ne pouvant rêver les grandeurs, qu’ils ne connaissent pas, ils mettent à la place la terreur, avec laquelle ils jouent. Ils ont une foule de superstitieuses pratiques, dans lesquelles ils trouvent leur consolation et leur appui. Ils peuplent les vieux châteaux, les cavernes profondes, les forêts silencieuses, les rochers escarpés, d’une foule de fantômes, de génies, de fées, de sorciers, d’enchanteurs qu’ils font agir, et par qui ils expliquent tous les évènements, toutes les causes dont leur intelligence bornée ne peut naturellement trouver la clé. Aussi est-ce parmi eux que font fortune les mystérieux récits dans lesquels on fait agir des Êtres d’un autre monde, des Intelligences supérieures à l’humanité. Les Vampires, par exemple, n’ont jamais établi leur séjour dans les villes considérables, aux lieux où règne la haute société, celle qui possède le plus d’instruction et de lumière ; mais ils se sont montrés dans les pays perdus, dans les villages éloignés, parmi les fermes isolées : là, ils peuvent agir sans crainte d’être dévoilés ; ils frappent d’épouvante des esprits faibles et grossiers ; et, par de tels moyens, on mène des hommes qui, mieux éclaires, repousseraient le joug pesant dont ils sont accablés ; il convient d’ailleurs pour certains intérêts, que des tels préjugés existent. On a donc bonne grâce à croire aux Vampires.

Pourquoi d’ailleurs serions-nous incrédules sur ce fait ? Tant d’habiles gens ont cru aux Vampires ! Dom Calmet, par exemple, avait quelque penchant à admettre leur existence. Voltaire, à ce sujet, il est vrai, l’a sifflé. Nous autres, race moutonnière, avons aveuglément adopté l’opinion de ce dernier : nous rions des Vampires ; lord Byron n’a pu même changer nos idées sur ce point. Eh bien ! cher lecteur, nous ne craignons pas de le dire, l’auteur de Mérope avait tort ; le bénédictin avait bien vu la chose : nous nous flattons de vous le prouver sans peine, en appelant seulement les regards sur ce qui se passe autour de nous.

Ne sont-ce pas des Vampires enivrés de notre sang le plus pur, que ces conquérants insatiables, toujours en armes, et par suite épuisant leurs états ? Ne rencontrons-nous pas sans cesse des hommes avides de nos sueurs, qui trouvent encore léger le poids dont ils nous accablent ? Pensez-vous que ces misérables, qui vont errant dans les villes et dans les campagnes pour contraindre les volontés publiques par l’appât du gain, ou la crainte de la suspicion, ne soient pas de vrais Vampires ? Et celui qui, placé dans un haut rang, trouvant la vertu sur sa route, l’étouffe sous des habits brodés, ou l’étrangle avec un ruban moiré, ne l’appellerons-nous pas un Vampire ?

Croyez-vous qu’il ne marche pas au premier rang des Vampires, ce banquier d’une maison de jeux où vont s’engloutir tant de fortunes, et se perdre de si dignes réputations ? Au centre de Paris, dans les rues les plus fréquentées, dans les passages les plus obscurs, la nuit, le jour même, ne trouvons-nous pas des Vampires qui, parfois, se parant de tous les charmes d’un sexe aimé, ne possèdent pas moins la dépravation, l’avidité, les vices, les inclinations criminelles de leurs confrères de l’autre monde ?

Enfin, de toutes parts on ne voit que des Vampires : il y en a sous le vêtement sacerdotal, comme sous la toge magistrale. On en voit qui sont couverts d’un vêtement militaire, ou parés d’une écharpe d’administrateur. Leur foule principalement habite parmi les fournisseurs, les entrepreneurs, les suppôts de la justice, chez les agioteurs, où ils sont en grand nombre : on en a même vu au rang des médecins.

Chapitre premier

Des malheurs non mérités autant qu’imprévus arrachèrent le colonel Édouard Delmont, vers la fin de 1815, sa terre natale. Paris l’avait vu naître, il eût voulu passer ses jours dans cette capitale du monde ; mais la fortune en avait autrement ordonné. Édouard, après la seconde rentrée du Roi, donna précipitamment sa démission, et, les yeux baignés de pleurs qu’il retenait avec peine, il annonça à sa femme que l’impérieuse nécessité les obligeait à chercher loin de Paris, loin de Lyon même où elle était née, un coin de terre isolé où ils pussent vivre en paix.

Cette nouvelle frappa madame Delmont, qui portait le nom d’Hélène, mais ne la jeta pas dans le découragement. Elle aimait son époux, elle en était tendrement aimée ; ses enfants suffisaient à remplir toutes les places de son cœur ; les soins du ménage ; la culture des beaux-arts, devaient, en quelque lieu qu’elle se trouvât, employer d’une manière agréable les instants que lui laisseraient les doux et sacrés devoirs de la maternité : aussi ne fit-elle aucune réflexion pénible en écoutant ce discours imprévu ; à peine si elle questionna le colonel sur la cause de cette prompte détermination. Une seule lui fut adressée ; elle avait pour but de connaître si quelque faute politique ne compromettait pas la sûreté d’Édouard ? Rassurée sur ce point et instruite que de fausses spéculations étaient le seul motif qui rendait nécessaire une retraite de quelques années, elle embrassa tendrement son époux, et lui jura que sans peine elle abandonnerait le tumulte de Paris, pour le repos de la solitude.

L’empressement de Delmont à s’éloigner paraissait extrême. Il ne voulut pas rester durant le temps nécessaire à la vente d’un superbe mobilier ; il chargea un ami de le remplacer dans cette circonstance ; et le lendemain du jour où il avait appris à sa femme sa résolution, il partit avec elle et leurs enfants, n’amenant qu’un seul domestique ; sans avoir pris congé des personnes qui composaient le cercle assez rétréci de leurs connaissances.

Édouard, en sortant de la barrière, parut soulagé d’un énorme poids. Ses regards, qui erraient çà et là avec une apparence d’inquiétude tant qu’il était encore dans la ville, prirent une expression plus tranquille lorsqu’il se vit dans les champs ; il lui sembla pouvoir respirer avec liberté, et, serrant avec vivacité la main de sa femme :

« Enfin, lui dit-il, nous voilà hors de cette cité de tumulte et de boue, point unique du rassemblement de tous les peuples de l’univers ; qu’il me tardait d’avoir franchi son enceinte, dans laquelle je ne pouvais plus me souffrir !

– Est-il possible, mon ami, lui dit sa femme, que vous vous exprimez ainsi ! Paris n’est donc plus votre patrie ? A-t-il perdu pour vous le charme que vous lui accordiez tant autrefois ? Avec quel enthousiasme ne vous en ai-je pas entendu parler ? N’est-ce plus la même ville ? Et parce que notre position a changé, doit-elle vous déplaire ?

– Oui, je l’avoue, répliqua le colonel, je ne puis supporter la vue de ce qui autrefois m’enchantait. Les évènements qui se sont succédés avec tant de rapidité, la profanation de cette ville que je regardais comme sacrée par la présence des ennemis si souvent vaincus, la fureur des partis rallumée avec tant de violence, les opinions contraires désunissant les cœurs les mieux attachés, tout m’a donné de l’aversion pour le sol natal. La magie de Paris n’existe plus pour moi ; elle ne se montre à mon regard que comme une cité ordinaire, et je sens qu’il me serait insupportable de l’habiter en ce moment.

– Soyez donc satisfait à l’heure où nous la quittons ; puissiez-vous, mon ami, trouver dans la ville ou nous nous rendons le repos que vous enlèveraient ici de nombreux, de pénibles souvenirs !

– De quelle ville parlez-vous ?

– Mais, de celle que nous habiterons sans doute. Nous voilà sur la route du Midi ; en quel lieu s’arrêtera notre voyage ? Sera-ce à Bordeaux, à Toulouse, à Tarbes, à Pau ?

– Hélas ! mon Hélène, reprit le colonel avec embarras, je crains de vous contraindre à consommer en entier le sacrifice. Pensez-vous que je quitte Paris pour aller habiter dans une autre cité, au milieu du fracas et d’une agitation toujours importune ? que je consente à m’arrêter en des endroits où une foule nombreuse s’entasse constamment, où chaque jour arrivent les étrangers que leurs affaires ou leur inquiète curiosité conduit sur chaque partie de la France ? Non, non, je sens que dans ma position il faut moins de bruit. Soyez assez bonne pour ne pas vous plaindre de ma résolution tyrannique ; je veux chercher une campagne isolée où rien ne puisse me rappeler le passé, et surtout me mettre en présence… » Ici une rapide rougeur colora le beau visage de Delmont ; il s’arrêta au milieu de sa phrase et jeta sur Hélène un regard indéfinissable, mais dans lequel plusieurs douloureux sentiments éclatèrent à la fois.

Hélène eût peut-être été alarmée, si elle eût cru que des causes secrètes pouvaient causer le profond chagrin de Delmont. Mais elle savait combien il était oppressé des malheurs de la France, combien son amour pour sa famille lui faisait supporter avec impatience la perte d’une forte portion de leurs biens, qui ne lui permettrait pas de donner à ses enfants l’éducation brillante qu’il leur avait destinée. Elle connaissait en outre quelle tendresse il avait pour elle ; elle redouta ses regrets de l’enlever à la société, aux plaisirs du monde qu’il croyait sans doute lui être chers : aussi, sans approfondir plus avant, elle s’arrêta à l’apparence, et pressant la main de son mari :

« Rassurez-vous, lui dit-elle, le souvenir de Paris ne m’inquiétera point. Peu importe le coin de terre que nous foulions ; vous me rester, nos enfants nous accompagnent, ma harpe vient après nous, mes pinceaux sont dans cette cassette, que pourrai-je regretter ? Où me serait-il défendu d’être heureuse ?

– Quoi ! chère amie, la campagne dans toute sa solitude ne vous épouvantera pas !

Elle le ferait, si je m’y trouvais reléguée loin des trois êtres qui me sont chers ; avec eux ma vie sera toujours remplie. Verrai-je jamais rien au-delà du cercle de mes plus douces affections !

– Ah ! de quel tournant vous me délivrez ! car je vous crois sincère, mon amie ; je ne doute pas que vos paroles ne soient les expressions des sentiments de votre cœur. Eh bien ! je vous l’avouerai, j’ai besoin d’échapper au tumulte qui nous environne. Le calme du désert conviendrait seul à mon âme ; il me faut donc, pour me tranquilliser, trouver un abri qui me mette à couvert de la tempête intérieure ; pas assez près d’une cité, pour qu’on vienne nous tourmenter ; pas assez loin cependant, pour que nous ne puissions nous procurer les agréments de la ville et les secours que peut réclamer la santé d’Eugène et de Juliette. (Ainsi se nommaient leurs enfants encore bien jeunes l’un et l’autre).

– Eh bien ! Édouard, où espérez-vous trouver cette retraite ?

– Non loin de Toulouse.

– Il me semble que jamais vous n’avez habité cette ville dans vos courses aventureuses. Y aviez-vous quelques relations ? Êtes-vous déjà fixé sur le lieu que nous habiterons ?

– Non vraiment. Je ne sais ce que nous ferons, je donne tout au hasard dans cette circonstance ; je me rapproche de Toulouse par cela seul que j’y suis complètement inconnu, que ma trace y sera perdue, que l’on ne viendra pas m’y surprendre…, car la vue des hommes m’est odieuse maintenant. Ah ! que je voudrais avoir perdu la mémoire, que je voudrais, chère Hélène, n’avoir jamais vécu que pour vous ! »

Ces tendres paroles, qui naturellement devaient charmer madame Delmont, produisirent sur son cœur un sentiment contraire. Le ton avec lequel son époux les avait prononcées semblait un reproche amer qu’il s’adressait à lui-même ; sa physionomie portait en ce moment l’empreinte de cette agitation de l’âme qui en dit plus à l’observateur éclairé que le plus long discours. Hélène, quoique épouse, aimait son mari comme au premier jour de leur hymen. Nul mouvement jaloux ne s’était élevé dans son cœur, parce que les soins constants de Delmont lui avaient prouvé qu’elle seule occupait toute sa pensée ; mais ce calme pouvait être troublé d’un moment à l’autre. Hélène n’avait voulu jamais s’arrêter sur la vie de son mari, avant le moment qui les avait mis en présence pour la première fois : elle savait qu’un jeune et agréable militaire devait avoir eu force aventures galantes : mais, en même temps, elle aimait à croire que la rapidité avec laquelle les armées françaises avaient parcouru l’Europe, n’avait point permis à ceux qui les composaient de filer de longues intrigues, et de se livrer à des sentiments qui ne sont dangereux qu’alors qu’ils se prolongent. Hélène était donc sur ce point exempte d’inquiétude ; et, cependant, à l’instant où le colonel lui parlait, une fatale pensée lui donna à croire qu’une ancienne intrigue avait peut-être sa bonne part dans un voyage qui avait l’air d’une fuite précipitée.

Quelles que fussent les idées de madame Delmont sur ce point, elle n’eut garde de les exprimer ; elle chercha même à les repousser, en entamant une conversation sur l’histoire du pays qui allait devenir le leur, et dont la renommée avait rempli l’Europe.

« Peu nous importe, disait le colonel, l’exaltation des partis dans cette portion de la France ; nous n’y venons point pour nous mêler à de coupables intrigues, à d’injustes vengeances ; nous y cherchons le repos ; nous y remplirons tous les devoirs du citoyen, nous obéirons aux lois, nous nous interdirons toute plainte : il serait déplorable, qu’en veillant avec tant de soin sur notre conduite, elle put servir néanmoins de prétexte aux fureurs des inquisiteurs de la pensée. D’ailleurs, en pleine campagne, dans une maison isolée, qui nous réclamera ? Soyez sans crainte à ce sujet, ma bonne amie, la prudence nous sauvera de tout péril. »

Les enfants, ennuyés d’une conversation à laquelle ils ne pouvaient prendre part, l’interrompirent en cet endroit par une foule de questions sur les lieux qu’on traversait. Delmont, heureux de leur babil, s’empressa de les satisfaire ; tandis que son épouse, occupée à démêler sur ses traits ce qui se passait dans son âme, ne pouvait deviner encore la cause de ces rires sardoniques, de ces contractions de muscles qui donnaient tour à tour un caractère particulier à la belle et noble physionomie du colonel. Elle avait trop de perspicacité pour attribuer ces émotions de l’âme à de simples revers de fortune ; celle du colonel était assez élevée, pour que la perte d’une portion de son aisance pût l’affecter à ce point.

Plus Hélène cherchait à pénétrer ce mystère, moins elle y parvenait ; et en même temps son charmant visage se nuançait lui-même d’une mélancolique obscurité. Delmont ne tarda pas à s’en apercevoir ; et, attribuant cette apparence de chagrin à leur départ de Paris, il essaya, par les soins les plus tendres, de faire disparaître ce nuage : il n’eut pas de peine à y réussir. Hélène, touchée des soins de son époux, ne voulut plus se perdre en de vaines conjectures ; elle dédaigna d’approfondir le passé, et tout entière à sa position présente, elle jouit du bonheur si pur d’exister au milieu de ses enfants et de son mari. C’est dans cette position si parfaite que doivent disparaître les inquiétudes ou les chagrins. Quel baume ne verse-t-elle pas sur les peines de la vie, et que ces dernières sont peu de chose lorsque l’amour conjugal aide l’amour paternel à bannir loin du cœur les troubles cruels qui l’agitent !

Chapitre II

Dès son arrivée à Toulouse, le colonel Delmont ne perdit pas de temps à chercher cette retraite qu’il était si pressé de rencontrer. Il s’adressa à un notaire, afin de savoir s’il pourrait louer ou acquérir une maison de campagne enfoncée dans les terres, loin des grandes routes, et cependant à portée de la ville. Le hasard le servit à souhait. Le propriétaire du château de R***, situé au milieu d’une des plus fertiles contrées du Languedoc, et non loin de Toulouse, n’habitait pas cet ancien édifice ; il avait cherché vainement à trouver des amateurs de la vie champêtre‚ mais nul encore ne s’était présenté. Aussi se montra-t-il facile sur les propositions que lui fit Delmont, qui, instruit que le manoir était à louer, avait été le voir, et était revenu enchanté de sa situation, celle qu’il pouvait la désirer.

Dès que la police de location fut passée, le colonel quitta Toulouse avec sa famille. Il partit pour R***, faisant venir à sa suite les meubles nécessaires à son nouvel établissement. Ils étaient simples, mais commodes ; l’élégance remplaçait le luxe, peu en harmonie avec les beautés simples de la nature. Ils étaient conduits par un ancien sergent du régiment de Delmont, nommé Raoul, brave militaire, qui devait la vie au colonel, et qui, rentré comme lui dans la vie civile, avait voulu partager son sort, et le servait moins en qualité de domestique qu’en celle d’homme entièrement dévoué à sa fortune. Une cuisinière, prise à Toulouse, une seconde fille de peine complétaient le ménage Delmont. Hélène et son époux avaient renoncé au faste ; il ne pouvait plus leur offrir le moindre attrait.

Les premiers jours de l’arrivée à la campagne s’écoulèrent dans le mouvement ordinaire à une nouvelle existence ; il fallait, pour ainsi dire, se suffire à soi-même. Les ouvriers étaient rares ou maladroits ; tout l’arrangement de l’intérieur reposait sur l’adresse du colonel et de Raoul. C’étaient eux qui collaient les papiers, plaçaient les glaces, les meubles, montaient les lits ; et leurs mains, accoutumées à manier les armes, savaient se servir avec adresse des outils de l’industrie.

Hélène, de son côté, n’était pas oisive ; elle s’occupait du soin de tout ce qui avait rapport au linge et au ménage ; elle ne négligeait rien : et les deux époux travaillant l’un auprès de l’autre, charmaient leurs instants par les épanchements de la tendresse, et le bonheur d’une entière confiance. Cependant, au milieu de ces légers travaux, quelquefois un souvenir rapide assombrissait le front du colonel ; un tressaillement involontaire, qu’il réprimait aussitôt, annonçait dans son âme la présence d’une peine cachée ; et plus d’une fois Hélène eut besoin de détourner sa vue, pour ne pas mettre Delmont dans une position pénible, celle de s’apercevoir qu’elle était en peine de ce qui l’agitait.