Le Colosse de Wall Street - Anna Zaires - E-Book

Le Colosse de Wall Street E-Book

Anna Zaires

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Beschreibung

Un milliardaire à la recherche d’une femme parfaite…

À trente-cinq ans, Marcus Carelli a tout : la richesse, le pouvoir et un physique qui ne laisse pas les femmes indifférentes. Parti de rien, il est devenu milliardaire, à la tête de l’un des fonds spéculatifs les plus importants de Wall Street. Il lui suffit d’un mot pour faire tomber des sociétés réputées. La seule chose qui lui manque ? Une épouse trophée, preuve de réussite aussi belle que les milliards sur son compte en banque.

Une femme à chats à la recherche d’une nouvelle rencontre…

Emma Walsh, employée de librairie âgée de vingt-six ans, est ce que l’on appelle une femme à chats, d’après son amie. Elle n’est pas forcément d’accord avec cette étiquette, et pourtant les faits sont là. Vêtements négligés couverts de poils de chat ? Oui. Dernière coupe de cheveux chez le coiffeur ? Il y a plus d’un an. Oh, et trois chats dans un petit studio de Brooklyn ? Tout y est, la totale.

Sans compter qu’elle n’est pas sortie avec un homme depuis… trop longtemps pour s’en souvenir. Mais ça peut s’arranger. N’est-ce pas tout l’intérêt des sites de rencontres ?

Un malentendu qui tombe à pic…

Une entremetteuse haut de gamme, une appli de rencontres, un quiproquo qui change tout… Les opposés s’attirent peut-être, mais cela peut-il durer ?

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Le Colosse de Wall Street

Un roman Zone Alpha

Anna Zaires

♠ Mozaika Publications ♠

Table des matières

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Extrait de Twist Me - L’Enlèvement

Extrait de Liaisons Intimes

À propos de l'auteur

Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les incidents sont le produit de l’imagination de l’auteur ou employés de manière fictive, et toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, des sociétés, des événements ou des lieux ne serait qu’une coïncidence.

Dépôt légal© 2020 Anna Zaires

www.annazaires.com/book-series/francais/

Tous droits réservés.

Sauf dans le cadre d’une critique, aucune partie de ce livre ne peut être reproduite, scannée ou distribuée sous quelque forme que ce soit, imprimée ou électronique, sans permission.

Publié par Mozaika Publications, une marque de Mozaika LLC.

www.mozaikallc.com

Couverture par Najla Qamber Designs

www.najlaqamberdesigns.com

Photographie par Wander Aguiar

www.wanderbookclub.com

Sous la direction de Valérie Dubar

Traduction : Laure Valentin

e-ISBN : 978-1-63142-519-6

ISBN imprimé : 978-1-63142-520-2

1

Emma

— ... puis le véto a dit que M’sieur Dodu n’était pas prêt et que je...

— Ça suffit.

Kendall pose son verre de thé glacé d’un geste si brutal que la boisson à six dollars gicle par-dessus le rebord. Avec sa serviette, elle éponge les éclaboussures et me fusille des yeux par-dessus son assiette de crêpes de sarrasin à moitié consommées.

— Quoi ?

Je cligne des yeux en regardant ma meilleure amie.

— Tu te rends compte que tu ne me parles que de M’sieur Dodu, Coton et Reine Élisabeth depuis une demi-heure ?

Kendall se penche en plissant ses yeux noisette.

— Chat par-ci, chat par-là, et le véto.

— Oh.

Les joues rouges, je regarde la pendule au mur du restaurant où Kendall m’a traînée pour le brunch. En effet, cela fait presque trente minutes depuis notre arrivée et je n’ai pas cessé de jacasser pendant tout ce temps. Gênée, je regarde Kendall.

— Désolée, je ne voulais pas t’ennuyer.

— Non, Emma.

La voix de Kendall exprime une patience exagérée quand elle se penche en arrière, rejetant sa belle chevelure noire par-dessus son épaule.

— Tu ne m’as pas ennuyée. Mais tu m’as fait prendre conscience d’une chose.

— Quoi ?

— Ma chérie, tu es officiellement une femme à chats.

J’en reste bouche bée.

— Quoi ?

— Oui, une authentique femme à chats.

— Pas du tout !

— Ah bon ?

Elle hausse un sourcil parfaitement dessiné.

— Récapitulons, dans ce cas. À quand remonte la dernière fois que tu t’es fait coiffer par un professionnel ?

— Euh...

Un peu embarrassée, je tire sur mes boucles rousses explosives.

— Peut-être un an, environ ?

En fait, c’était à l’occasion des vingt-cinq ans de Kendall, ce qui signifie qu’aucun peigne digne de ce nom n’a touché mes boucles frisées depuis dix-huit mois.

— Bon.

Kendall découpe sa crêpe avec la délicatesse de Reine Élisabeth – mon chat, pas la monarque britannique. Après avoir mâché et avalé, elle demande :

— Et ton dernier rencard ?

Cette fois, je dois me creuser la tête pour répondre.

— Il y a deux mois, dis-je sur un ton triomphant quand le souvenir me revient.

Je coupe un morceau de ma propre crêpe et porte la fourchette à ma bouche en marmonnant :

— Ce n’est pas si lointain.

— Non, admet Kendall. Mais je parle d’un vrai rencard, pas d’un pauvre café avec ton voisin de soixante balais.

— Roger n’a pas soixante ans. Il en a quarante-neuf tout au plus...

— Et toi, tu as vingt-six ans. Fin de l’histoire. Alors, n’esquive pas la question. À quand remonte ton dernier vrai rencard ?

Je prends mon verre d’eau et je le vide tout en activant ma mémoire. Je dois reconnaître que sur ce point, Kendall me pose une colle.

— Il y a un an, peut-être ? dis-je, même si je suis à peu près certaine que le rencard en question – pas franchement mémorable, à l’évidence – date d’avant l’anniversaire de Kendall.

— Un an ? fait-elle en tambourinant sur la table de ses ongles couleur taupe. Vraiment, Emma ? Un an ?

— Quoi ?

Essayant d’ignorer le rougissement qui se propage dans mon cou, je me concentre sur le reste de ma crêpe à vingt-deux dollars.

— Je suis très occupée.

— Par tes chats, dit-elle avec insistance. Tes trois chats. Regarde les choses en face, tu es une femme à chats.

Je lève les yeux de mon assiette et les roule dans leurs orbites.

— D’accord, si tu le dis. Alors, oui, je suis une femme à chats.

— Et ça ne te dérange pas ? reprend-elle avec un regard incrédule.

— Qu’est-ce que tu voudrais, que je saute du pont de Brooklyn, au désespoir ?

Je fourre le reste de ma crêpe dans ma bouche. J’ai encore faim, mais il est hors de question que je commande autre chose sur ce menu hors de prix.

— Ce n’est pas un crime d’aimer les chats.

— Non, par contre ce qui l’est, c’est de passer tout ton temps libre à vider des bacs à litière alors que tu habites à New York.

Kendall repousse sa propre assiette vide.

— Tu as l’âge idéal pour mettre le grappin sur un homme, et toi, tu ne sors même pas.

Je lâche un soupir exaspéré.

— Parce que je n’ai pas le temps, c’est tout. Et puis, qui te dit que j’ai envie de mettre le grappin sur quelqu’un ? Je vis très bien toute seule.

— Et voilà, ce dont toutes les femmes à chats essaient de se persuader. Honnêtement, Emma, quand t’es-tu envoyée en l’air avec autre chose que ton vibro ces derniers temps ?

Kendall ne prend même pas la peine de baisser la voix, et je sens mon visage redevenir rouge pivoine lorsqu’un couple gay à la table voisine nous lance un coup d’œil avant de ricaner.

Par chance, avant que je puisse répondre, le sac Prada de Kendall se met à vibrer.

— Oh.

Les sourcils froncés, elle récupère son téléphone et consulte l’écran. Puis, levant les yeux, elle fait signe au serveur.

— Je dois y aller, dit-elle d’un air contrit. Mon patron a progressé avec le design de robe sur lequel il planche depuis un moment et il a besoin de moi pour lui trouver des mannequins illico presto.

— Aucun problème.

J’ai l’habitude des missions imprévisibles que reçoit toujours Kendall à la dernière minute. Je lui dis en posant ma carte bancaire sur la table :

— À un de ces quatre.

Puis je sors immédiatement mon téléphone pour vérifier l’état de mon compte-chèques.

À l’extérieur, la température est presque glaciale, et la station de métro que je dois rejoindre se trouve à une dizaine de pâtés de maisons du restaurant. Pourtant, je presse le pas, car a) un peu d’exercice ne fera pas de mal à mes hanches et b) je ne peux me permettre aucun autre moyen de locomotion. Cette sortie a grevé mon budget du week-end au point où je me vois contrainte de reporter à lundi ma visite à la supérette. J’ai demandé à Kendall d’arrêter de me proposer des restaurants hors de prix, mais j’aurais dû me douter que pour elle, un brunch à vingt-cinq dollars n’entrait pas dans cette catégorie.

À New York, c’est pratiquement donné.

Pour être honnête, Kendall n’a pas idée de l’état dramatique de mes finances. Je n’aime pas parler de mon prêt étudiant. Tout ce qu’elle sait, c’est que j’habite à Brooklyn dans un studio en sous-sol et que je découpe des bons de réduction dans les journaux parce que j’aime faire des économies. Elle-même ne roule pas sur l’or – le poste d’assistante d’un créateur de mode, étoile montante du métier, n’est guère plus rémunérateur que mon boulot dans une librairie et mes extras comme correctrice –, mais ses parents règlent la majeure partie de ses factures, de sorte que tout son salaire passe en fringues et autres dépenses de luxe.

Si elle n’était pas une si bonne amie, je la détesterais.

En entrant dans la station de métro, je manque trébucher sur un sans-abri étendu dans l’escalier.

— Désolée... je bafouille.

Je suis sur le point de détaler quand il m’adresse un sourire édenté en tendant vers moi un sac en papier brun.

— Ce n’est rien, ma petite dame, fait-il d’une voix traînante. Tu veux boire un coup ? On dirait que tu as besoin d’un bon remontant.

Stupéfaite, je recule.

— Non, merci. Ça va.

Quelle mine je dois avoir si même les SDF m’offrent de l’alcool ! Kendall a peut-être mis le doigt sur un fond de vérité avec son diagnostic de femme à chats.

En haussant les épaules, l’homme boit une rasade au goulot de sa bouteille cachée et je dévale les marches avant qu’il me propose de partager autre chose – par exemple, les pièces de monnaie dans le chapeau à côté de lui.

Je suis en galère financière, mais tout de même pas désespérée à ce point.

Après un long trajet, j’émerge du métro à Bay Ridge, mon quartier à Brooklyn. Dès l’instant où je sors, une bourrasque me frappe le visage.

Une bourrasque très humide.

De la neige fondue.

Génial. Franchement génial. Les dents serrées, j’agrippe les pans de mon vieux manteau de laine pour empêcher le col de s’ouvrir et je commence à marcher. Je n’habite pas très loin du métro – cinq pâtés de maisons seulement –, mais ils sont longs et je maudis chacun d’eux alors que la pluie glacée s’intensifie.

— Attention, lance une femme trapue lorsque je la heurte.

Aussitôt, je bredouille des excuses. Ce n’est pas entièrement ma faute – il faut être deux pour se cogner –, mais je ne suis pas de nature agressive.

Mes grands-parents m’ont élevée mieux que ça.

Lorsque j’arrive enfin à la maison mitoyenne en grès rouge où je loue un studio en sous-sol, j’ai l’impression d’avoir escaladé le Mont Everest. Mon visage est mouillé et glacial, et en dépit de mes efforts pour garder mon manteau fermé, la neige fondue s’est infiltrée et m’a glacée jusqu’aux os. Je fais partie de ces gens qui ont besoin d’avoir le haut du corps au chaud. Je peux tolérer d’avoir les pieds froids – d’ailleurs, c’est aussi le cas, puisque mes baskets ne sont pas imperméables –, mais je ne supporte pas de sentir l’eau froide dégouliner dans mon cou.

Si j’en ai voulu sur le coup à M’sieur Dodu quand il a déchiré ma seule écharpe correcte, maintenant je suis folle de rage. Ce chat va le sentir passer.

— Dodu ! je rugis en ouvrant la porte, pénétrant dans mon appartement à une pièce. Viens ici, créature infernale !

Le matou n’est nulle part. Au lieu de ça, Reine Élisabeth lève un regard placide depuis mon lit tout en se léchant la patte, puis elle commence à faire sa toilette, lissant méticuleusement chaque poil blanc pelucheux. Coton est à côté d’elle. Il somnole sur mon oreiller. Les deux félins sont au chaud, heureux et parfaitement insouciants. Ce n’est pas la première fois que j’éprouve un élan de jalousie irrationnelle envers mes animaux de compagnie.

Moi aussi, j’adorerais dormir toute la journée et me laisser nourrir par quelqu’un.

En frissonnant, je retire mon manteau trempé et le suspends au crochet près de la porte avant de me déchausser. Ensuite, je me mets à la recherche de M’sieur Dodu.

Je le retrouve dans son nouvel endroit préféré : l’étagère supérieure de mon placard. C’est là que je range mes bonnets, gants, écharpes et sacs – déjà que je n’en ai pas beaucoup, c’est une tragédie aux proportions épiques chaque fois que ce petit diable décide de déchiqueter un accessoire afin de libérer plus de place pour son corps velu.

— Dodu, viens ici.

Comme je ne suis pas très grande, je dois me hisser sur la pointe des pieds pour l’attraper. Au prix d’un gros effort, je parviens à l’enlever de là-haut. Le chat pèse près de sept kilos, et en moulinant des pattes dans les airs, il me paraît deux fois plus lourd.

— Je t’ai déjà dit que tu n’avais pas le droit de te percher ici.

Je le dépose au sol et il me lance un regard vexé, me laissant comprendre que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il se charge de mes autres accessoires. Comme son frère et sa sœur, M’sieur Dodu est tout blanc et tout doux, parfait exemple de la race des persans, mais les similitudes s’arrêtent là. Ce chat n’a absolument rien de calme ni de posé. Je me demande s’il lui arrive de dormir. Peut-être est-ce un vampire qui prend la forme d’un gros persan pendant la journée.

En tout cas, il est assez méchant pour l’être.

Alors que je m’apprête à le gronder, furieuse qu’il ait abîmé mon écharpe à cette période de l’année, il frotte sa tête contre mon jean mouillé et émet un ronronnement sonore. Puis il lève vers moi ses grands yeux verts, qu’il cligne d’un air innocent.

Aussitôt, je fonds – à moins que ce soient les gouttes glaciales qui fondent le long de mes vêtements. Quoi qu’il en soit, j’éprouve une sensation de chaleur et de bien-être dans la poitrine.

— Allez, viens ici, boule de poils, je grommelle en m’agenouillant pour le caresser.

Il ronronne encore plus fort en frottant sa tête contre ma main, comme si j’étais sa meilleure amie du monde entier. Je suis presque certaine qu’il me manipule délibérément – ce chat est un malin –, mais je ne peux pas résister.

Je suis gaga de mes chats.

Les câlins se poursuivent jusqu’à ce que M’sieur Dodu soit sûr d’échapper à mes remontrances, puis il rejoint mon lit d’une démarche détendue et se roule en boule sur mon oreiller à côté de Coton.

En soupirant, j’entre d’un pas lourd dans la salle de bain pour prendre une douche chaude. Ça me fait mal de l’admettre, mais Kendall a raison.

Sans m’en rendre compte, je suis devenue une authentique femme à chats.

Sous la douche, j’essaie de me convaincre que ce n’est pas grave. D’accord, mes habits sont vieux et un peu miteux, et je ne fais rien d’autre à mes cheveux que les laver et y mettre un peu de gel de temps en temps. Oui, j’ai trois chats. Et alors ? Beaucoup de gens adorent les animaux. C’est un trait de caractère positif. Je n’ai jamais fait confiance à ceux qui n’aiment pas les animaux de compagnie. Ce n’est pas naturel, comme détester le chocolat et la crème glacée. Je peux concevoir que l’on ait des préférences dans ce domaine – malheureusement, certains se fourvoient en préférant les chiens aux chats, par exemple –, mais ne pas aimer les animaux du tout ? C’est le signe d’un tueur en série.

Malgré tout, quelque chose me chiffonne dans cette appellation, femme à chats. C’est peut-être parce que je n’ai que vingt-six ans. Comme l’a dit Kendall, je suis censée vivre mes plus belles années. Si je me laisse aller aujourd’hui, qu’est-ce que ce sera quand j’aurai cinquante ou soixante ans ? Mes périodes de vide sentimental s’éterniseront et il s’écoulera bientôt une décennie entre deux rencards, au lieu d’un an et quelques. Alors, j’errerai dans les rues en parlant toute seule, tout en tricotant des bonnets en poils de chat.

Non, c’est ridicule. Et puis, je n’ai pas besoin d’un homme. Vraiment pas. Bon, d’accord, peut-être au lit – je suis une femme normale en bonne santé –, mais je ne veux pas que quelqu’un me dicte ma vie et s’accapare tout mon temps libre. C’est ce qui est arrivé à Janie, mon autre meilleure copine de l’université. Elle est en couple maintenant et je ne la vois plus. Même Kendall, qui se targue d’être indépendante, disparaît pendant des semaines d’affilée quand elle sort avec quelqu’un. Mon dernier petit ami sérieux remonte à la fin de mes années fac et j’ai failli échouer dans une matière parce qu’il exigeait toute mon attention – et encore, c’était avant que je prenne des chats. Maintenant que Reine Élisabeth, M’sieur Dodu et Coton ont débarqué dans ma vie, j’imagine mal y trouver de la place pour un homme.

Pourtant, quand je sors de la douche et prends mon téléphone, un petit diable sur mon épaule – une diablesse élégante qui ressemble étrangement à Kendall – me pousse à allumer l’appli de rencontres à laquelle Janie m’a forcée de m’inscrire quelques mois plus tôt. C’est comme ça qu’elle a rencontré son petit ami, celui pour qui elle me délaisse maintenant. Avant qu’elle ne disparaisse avec lui, elle m’a persuadée de me créer un profil. J’y ai traîné pendant quelques jours avec le vague espoir de trouver un type sympa et cool, qui aime les chats et les promenades au parc, mais après une dizaine de photos de bites, j’ai laissé tomber et j’ai cessé de m’y connecter.

— Tu n’as pas vraiment essayé, m’a reproché Janie, frustrée, quand j’ai évoqué ces photos indésirables. Bien sûr, il y a des abrutis comme partout, mais il y a aussi des garçons formidables, comme mon Landon.

— C’est vrai, ai-je répondu en hochant poliment la tête.

Kendall et moi sommes du même avis sur Landon, qui fait l’objet de nos moqueries perpétuelles et de nos médisances coupables : c’est un vrai con, et pourtant je ne le dirai jamais à Janie. Cela dit, avec du recul, je pense que j’aurais mieux fait de lui en parler, car peu de temps après qu’elle m’a convaincue de créer ce profil en ligne, elle a disparu des radars, absorbée dans cette relation, et Kendall et moi ne l’avons jamais revue.

Je pose le téléphone sur le lit et je me prépare un dossier avec mes oreillers – pour cela, je dois expulser Coton et M’sieur Dodu d’un coussin et déplacer Reine Élisabeth. Coton et Reine Élisabeth se laissent faire avec désinvolture – la chatte décide même de quitter le lit –, mais M’sieur Dodu me foudroie du regard et agite sa queue d’un air menaçant avant de se blottir à côté de mes pieds. Je sais qu’il me gardera rancune pour cet affront, mais au moins, je suis confortablement installée pour découvrir toutes les photos de bites qui doivent m’attendre dans la messagerie de l’appli.

Je me laisse tomber sur les oreillers et je me connecte à mon profil, consultant les premiers messages. Évidemment, il y en a trois cents au moins, dont une bonne centaine avec des fichiers joints très explicites. Pour rire un coup, j’en parcours quelques-uns – certains sexes sont de taille et de forme très respectables –, mais je finis par me lasser et je les efface systématiquement. Je me demande pourquoi les hommes s’imaginent que les photos de ce genre sont excitantes, parce que c’est clairement le contraire. Je n’ai rien contre les pénis, mais ils ne me font aucun effet s’ils ne sont pas rattachés à un homme qui me plaît. Avec un bonus si l’homme en question a des tablettes de chocolat et de beaux pectoraux, mais ce qui compte le plus à mes yeux, c’est la personnalité.

J’aimerais mieux sortir avec un chauve de cent trente kilos qui soit gentil envers les animaux et les vieilles dames plutôt qu’avec un connard doté d’un physique de mannequin et d’une queue surdimensionnée.

Il me faut près d’une heure pour passer en revue la plupart des messages. Je suis dans la dernière ligne droite – convaincue, dur comme fer, que je n’utiliserai plus jamais d’appli de ce genre – quand je le vois.

Un simple message sans pièce jointe, avec comme avatar le dessin de type cartoon d’un homme au visage rond et au sourire timide.

Intriguée, je clique sur le message, envoyé il y a seulement trois jours.

Salut, Emma, je lis. On doit souvent te le dire, mais je te trouve très charmante et j’aime les chats sur ta photo. J’ai deux persans. Ils sont trop gros et pourris gâtés, mais je les adore et je suis sûr qu’ils m’aiment aussi, même s’ils prennent un malin plaisir à griffer tous mes meubles. À part passer du temps avec eux, j’aime bien découvrir les cafés originaux de Brooklyn, lire (la fiction historique, essentiellement) et faire du roller au parc. Oh, et je travaille dans une librairie en parallèle de mes études de vétérinaire. Ça te dirait de me rencontrer pour un café ou un dîner un de ces jours ? Je connais un endroit sympa à Park Slope. Si ça t’intéresse, tiens-moi au courant.

Merci,

Mark

Mon cœur s’emballe et je relis le message avant de consulter son profil. Il y a deux photos de Mark. Sur chacune, je découvre un type qui correspond parfaitement à mon genre d’homme. Elles sont un peu floues, mais elles ressemblent au dessin de son avatar. Son visage rond est plutôt avenant, son sourire de biais est à la fois réservé et un brin ironique, et sur une photo, il porte des lunettes qui lui donnent un côté intello pas désagréable. D’après sa description, il a vingt-sept ans, ses cheveux sont bruns et ses yeux bleus, et il habite à Carroll Gardens, à Brooklyn.

Il est tellement parfait qu’il semble tout droit sorti de ma liste de vœux la plus secrète.

En souriant, je lui réponds que j’adorerais le rencontrer, puis je descends du lit pour exécuter une petite danse de la joie. Mes boucles rousses hirsutes rebondissent devant mon visage et mes chats me regardent comme si j’étais devenue folle, mais ça m’est égal.

Kendall et ses clichés sur les femmes à chats peuvent aller se faire voir.

J’ai un rencard.

2

Marcus

— Oui, c’est exact, dis-je avec humeur. Je veux qu’elle soit impeccable et irréprochable en toutes circonstances. Elle doit avoir le sens du style, c’est primordial. Une brune serait mieux, mais j’accepte aussi une blonde, tant que sa coiffure est classique. Elle ne doit pas avoir l’air de sortir d’un numéro de Playboy, c’est compris ?

— Oui, bien sûr, Monsieur Carelli.

La brune sophistiquée devant moi croise ses longues jambes et m’adresse un sourire poli. Victoria Longwood-Thierry, entremetteuse pour l’élite de Wall Street, est exactement l’image que je me fais de ma future femme, si ce n’est qu’elle a une cinquantaine d’années et qu’elle est mariée, avec trois enfants.

— Ses loisirs et centres d’intérêt ? demande-t-elle d’une voix soigneusement modulée. Que doit-elle apprécier dans la vie ?

— Quelque chose d’intellectuel. Je veux pouvoir lui parler en dehors de la chambre à coucher.

— Bien sûr.

Victoria prend des notes sur son carnet.

— Et sa profession ?

— Aucune importance. Elle peut être avocate, docteur ou consacrer tout son temps libre à lever des fonds pour les orphelins d’Haïti – pour moi, ça revient au même. Une fois que nous serons mariés, elle pourra rester chez nous avec les enfants ou bien poursuivre sa carrière. Les deux options me conviennent.

— C’est très progressiste de votre part.

Victoria demeure impassible et j’ai le sentiment qu’elle se moque un peu de moi.

— Quelle est votre opinion sur les animaux de compagnie ? Préférez-vous les chats ou les chiens ?

— Ni l’un ni l’autre. Je n’aime pas avoir des animaux à l’intérieur.

Victoria inscrit quelque chose avant de demander :

— Sa taille ? Avez-vous des préférences ?

— Grande, dis-je du tac au tac. En tout cas, plus que la moyenne.

Je mesure un mètre quatre-vingt-dix et les femmes de petite taille me donnent l’impression d’être des enfants.

— Bon, très bien, répond Victoria en prenant des notes. Sa morphologie ? Athlétique ou fine, je suppose ?

Je hoche sèchement la tête.

— Oui. J’aime le sport et je veux qu’elle soit en forme physiquement pour pouvoir suivre mon rythme.

Les sourcils froncés, je consulte ma montre Patek Philippe et constate qu’il ne me reste qu’une demi-heure avant l’ouverture du marché. Reportant mon attention sur Victoria, je résume :

— En un mot, je veux une femme intelligente, élégante et raffinée qui sache prendre soin d’elle.

— C’est noté. Vous ne serez pas déçu, je vous le garantis.

Je suis sceptique, mais je n’en laisse rien paraître lorsqu’elle se lève et me raccompagne poliment à la porte de son bureau. Elle me promet de prendre contact avec moi dans quelques jours, me serre la main et retourne à l’intérieur, laissant derrière elle des effluves de parfum haut de gamme. C’est discret – Victoria Longwood-Thierry n’opterait jamais pour un parfum vulgaire –, mais j’éternue en me dirigeant vers l’ascenseur.

Il faudra que j’ajoute ce détail à la liste : la candidate au mariage ne doit pas se parfumer, point à la ligne.

Lorsque j’arrive à mon immeuble de Park Avenue après avoir quitté le bureau de Victoria à West Village, mes programmeurs et mes traders sont rivés à leurs écrans. Seuls quelques-uns me remarquent alors que je rejoins mon bureau d’angle. En temps normal, je m’arrête à leurs bureaux pour les interroger sur leurs week-ends et faire le point sur nos affaires, mais le marché vient d’ouvrir et je ne veux pas les déconcentrer.

Avec les quatre-vingt-douze milliards de dollars que m’ont confiés les investisseurs, nous n’avons pas le droit à l’erreur.

Mon bureau est immense et offre une vue imprenable sur les gratte-ciel de Park Avenue, mais je ne prends pas le temps de l’admirer. Autrefois, ce bureau représentait l’apogée du succès pour un gosse miséreux de Staten Island comme moi, mais maintenant, j’ai envie de plus. La réussite est ma drogue personnelle, et chaque fois, il me faut une dose plus forte encore pour retrouver le frisson. Il ne s’agit plus d’argent – en plus de mes intérêts directs, j’ai quelques milliards dans l’immobilier et autres investissements passifs. J’aime savoir que j’en suis capable, que je peux réussir là où d’autres ont échoué. Le marché est capricieux, ces derniers temps, et l’on enregistre des pertes records autant pour les fonds spéculatifs que pour les fonds communs de placement, et pourtant Carelli Capital Management caracole en tête, supérieur au marché à plus de quarante pour cent. Les fondations, les fonds de pension, les grandes fortunes, tous se bousculent pour investir avec moi. Malgré cela, j’en veux encore.

Je veux tout, y compris une femme assortie à la vie que j’ai travaillé si dur pour me construire.

En surface, ce devrait être facile. À trente-cinq ans, j’ai suffisamment d’argent pour arroser en sacs Louis Vuitton et en chaussures Louboutin toute la population féminine de Manhattan, je suis plutôt bel homme et je fais du sport tous les jours afin de rester en forme. C’est davantage pour des questions de santé que de vanité, mais il s’avère que les résultats plaisent aux femmes. Je peux séduire n’importe quelle femme dans un bar en quelques minutes seulement, mais aucune ne m’intéresse.

Ce que je veux, c’est la grande classe. C’est l’élégance.

Je veux une femme à l’exact opposé de celle qui m’a élevé – d’où Victoria Longwood-Thierry et ses liens avec les familles de renom.

C’est mon ami Ashton qui m’a suggéré ses services.

— Tu ne trouveras pas dans un bar le genre de femme que tu cherches, tu le sais ! a-t-il dit quand, après quelques bières, je me suis laissé aller à dresser la liste de ce que j’attendais chez une femme. Il s’agit de l’aristocratie américaine, les premiers pionniers et tout le tralala. Si tu vises sérieusement la marchandise de haut niveau, tu dois parler à l’amie de ma tante. C’est une entremetteuse professionnelle qui travaille avec les hommes politiques et les barons de Wall Street comme toi. Elle trouvera la pépite que tu cherches.

J’ai éclaté de rire avant de changer de sujet, mais l’idée a continué à germer. Plus je me renseignais sur l’amie de la tante d’Ashton, plus elle m’intriguait. Il se trouve que Victoria a marié au moins deux gestionnaires de fonds de placement que je connais – l’un avec une gymnaste olympique et l’autre avec une biologiste diplômée de Princeton, qui jouait aussi les top-modèles dans sa prime jeunesse. Après plus amples investigations, j’ai appris que les deux mariages étaient toujours solides et soudés. C’est ce qui m’a convaincu de donner sa chance à l’entremetteuse.

J’ai bien l’intention de réussir ma vie personnelle tout autant que ma vie professionnelle, et à ce titre, il est essentiel pour moi de trouver l’épouse parfaite.

Assis derrière mon bureau étincelant en bois d’ébène, j’allume mon terminal Bloomberg et me penche sur un tas de comptes-rendus de recherche. Maintenant que Victoria s’en charge, je chasse de mon esprit la question du mariage pour me concentrer sur ce qui compte vraiment : mon travail et l’enrichissement de mes clients.

Il est déjà vingt heures lorsque mon téléphone vibre, annonçant la réception d’un message. En me frottant les yeux, je me détourne de l’écran d’ordinateur et constate qu’il s’agit de Victoria.

J’ai la candidate parfaite pour vous, annonce le texto. Elle peut vous retrouver au café Sweet Rush de Park Slope demain à dix-huit heures. Si cela vous convient, je vous envoie plus de détails. Emmeline habite à Boston et elle n’est en ville que pour quelques jours.

Je me renfrogne. Dix-huit heures ? Je quitte rarement le bureau aussi tôt un mardi. Et Boston ? Comment suis-je censé apprendre à connaître cette fameuse Emmeline si elle ne vit pas à New York ?

Je commence à écrire une réponse pour indiquer à Victoria que ce ne sera pas possible, mais je me ravise au dernier moment. C’est exactement ce que je voulais : que Victoria me présente une femme que je n’aurais jamais rencontrée de moi-même. Étant donné le curriculum de l’entremetteuse, je peux bien sacrifier une soirée pour voir si cela vaut la peine de continuer.

Sans me laisser le temps de changer d’avis, j’envoie un bref texto à Victoria pour accepter le rendez-vous avant de revenir à mon écran d’ordinateur.

Si je quitte le bureau en avance demain, il me faut travailler quelques heures supplémentaires ce soir.

3

Emma

Je suis surexcitée en prenant le chemin du café Sweet Rush, où je dois retrouver Mark pour un café. Ça faisait longtemps que je n’avais rien fait d’aussi fou. Entre la nocturne de la librairie et son emploi du temps d’étudiant, nous n’avons pas pu échanger plus de quelques textos. Je ne dispose donc que de ses deux photos floues. Pourtant, j’ai un bon pressentiment.

Je sens que Mark et moi allons très bien nous entendre.

J’ai quelques minutes d’avance et je m’arrête à la porte pour prendre le temps d’enlever les poils de chat qui s’attardent sur mon manteau en laine. Il est beige, toujours mieux que noir, mais les poils blancs ressortent dès que le vêtement n’est pas parfaitement blanc. Je suppose que Mark ne s’en offusquerait pas – il sait comme les persans perdent leurs poils –, mais j’aime mieux être présentable à notre premier rencard. Il m’a fallu une heure pour réussir à dompter mes boucles et je suis même un peu maquillée, ce qui arrive aussi fréquemment qu’un tsunami dans un lac.

Je prends une grande inspiration et j’entre dans le café, jetant un regard circulaire pour voir si Mark est déjà là.

La salle est petite et chaleureuse. Des compartiments avec banquettes sont disposés en demi-cercle autour d’un bar. L’arôme des grains de café torréfiés et des pâtisseries me met l’eau à la bouche et mon estomac se met à gronder. J’avais l’intention de me contenter d’un café, mais j’opte aussi pour un croissant. Mon budget n’en souffrira pas.

Seules quelques tables sont occupées, sans doute parce que nous sommes mardi. Je les passe en revue à la recherche d’un homme correspondant à la description de Mark et j’aperçois quelqu’un, assis tout seul dans le dernier compartiment. Il me tourne le dos et je ne distingue que l’arrière de sa tête, mais il a les cheveux courts et foncés.

C’est peut-être lui.

Je prends mon courage à deux mains et je m’approche de la banquette.

— Excuse-moi, lui dis-je. Mark ?

Il se tourne alors vers moi. Aussitôt, mon rythme cardiaque s’envole dans la stratosphère.

L’homme en face de moi n’a rien de commun avec les photos de l’appli. Il a les cheveux bruns et les yeux bleus, mais la ressemblance s’arrête là. Ses traits taillés à la serpe n’ont rien de rond ni de timide. De son menton d’acier jusqu’à son nez aquilin, son visage est d’une virilité affirmée, marqué d’une assurance qui frôle l’arrogance. L’ombre d’une barbe de fin de journée obscurcit ses joues creuses, soulignant ses pommettes saillantes, et ses sourcils forment deux traits sombres et épais au-dessus de ses yeux clairs et perçants. Bien qu’il soit assis, je devine qu’il est grand et bien bâti. Ses épaules paraissent immenses dans son costume sur mesure, et ses mains font deux fois les miennes.

Cela ne peut pas être le même Mark que celui de l’appli, à moins qu’il ait passé son temps à la salle de sport depuis ses dernières photos. Est-ce possible ? Une personne peut-elle changer à ce point ? Il n’a pas indiqué sa taille sur son profil, mais j’en avais déduit qu’il complexait à ce sujet, un peu comme moi.

L’homme que je regarde en cet instant n’a absolument aucun complexe à avoir. Pas plus qu’il ne porte de lunettes.

— Je... je suis Emma, dis-je en bafouillant sous son regard intense.

Son expression est froide, indéchiffrable. Je presque certaine de m’être trompée, mais je demande quand même :

— Tu ne serais pas Mark, par hasard ?

— Je préfère Marcus.

Sa voix me surprend. C’est un grondement grave et viril qui réveille en moi un instinct féminin primaire. Mon cœur redouble d’ardeur et mes paumes deviennent moites lorsqu’il se lève en déclarant sans préambule :

— Tu ne corresponds pas à mes attentes.

— Moi ?

C’est quoi, cette histoire ? La colère balaie toutes les autres émotions. Je reste bouche bée, plantée devant ce colosse. Il est si grand que je dois me dévisser le cou pour le regarder.

— Et toi, alors ? Tu ne ressembles pas du tout à ta photo !

— Dans ce cas, nous avons tous les deux été induits en erreur, dit-il, la mâchoire contractée.

Avant que je puisse répondre, il désigne la banquette.

— Autant t’asseoir et manger avec moi, Emmeline. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien.

— C’est Emma, précisé-je, encore furieuse. Non, merci. Je m’en vais.

Ses narines frémissent et il se décale sur la droite pour me barrer le passage.

— Assieds-toi, Emma.

Dans sa bouche, mon prénom ressemble à une injure.

— Je dirai deux mots à Victoria, mais pour le moment, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas partager un repas comme deux adultes civilisés.

J’ai les oreilles brûlantes de colère, mais je préfère prendre place sur la banquette plutôt que de faire un scandale. Ma grand-mère m’a inculqué la politesse dès mon plus jeune âge, et même maintenant que je suis adulte et que je vis seule, j’ai toujours du mal à outrepasser ses enseignements.

Elle ne serait pas contente si je décochais un coup de genou entre les jambes de ce rustre et l’envoyais se faire voir.

— Merci, dit-il en s’asseyant en face de moi.

De ses yeux d’un bleu de glace, il étudie la carte.

— Ce n’était pas si difficile, n’est-ce pas ?

— Je ne sais pas, Marcus, dis-je en accentuant son prénom bon chic bon genre. Je ne suis avec toi que depuis deux minutes et j’ai déjà des envies de meurtre.

Je l’ai insulté comme une grande dame, avec un sourire que ma grand-mère aurait approuvé. Je laisse tomber mon sac à main à côté de moi sur le siège et je prends le menu sans même retirer mon manteau.

Plus vite nous mangerons, plus vite je décamperai.

Soudain, un ricanement grave me fait lever les yeux. À mon grand étonnement, cet abruti sourit, révélant deux rangées de dents blanches sur son visage au teint hâlé. Je remarque non sans une certaine jalousie qu’il n’a pas la moindre tache de rousseur. Sa peau est parfaitement harmonieuse. Pas même un seul grain de beauté sur la joue. Il n’est pas d’une beauté classique – ses traits ont trop de caractère –, mais il est franchement agréable à l’œil, dans le genre puissant et purement masculin.

À mon désarroi le plus total, une bouffée de chaleur monte dans mon bas-ventre et mes muscles internes se contractent.

Non. Impossible. Ce connard ne peut pas m’exciter. Je supporte à peine de rester assise en face de lui.

En grinçant des dents, je baisse les yeux sur mon menu et constate avec soulagement que les prix sont raisonnables. J’insiste toujours pour payer ma part lors d’un rencard, et maintenant que j’ai rencontré Mark – pardon, Marcus –, il me semble bien du genre à m’emmener dans un endroit chic où un simple verre d’eau coûte plus cher qu’un shooter de Patrón. Comment ai-je pu me tromper à ce point sur son compte ? À l’évidence, il a menti en prétendant être étudiant et travailler dans une librairie. Dans quel but, je l’ignore, mais tout chez l’homme assis en face de moi exprime la richesse et le pouvoir. Son costume à fines rayures épouse son corps large d’épaules comme s’il avait été conçu spécialement pour lui, sa chemise bleue est fraîchement amidonnée et je suis presque sûre que sa cravate à carreaux subtils vient d’une maison de haute couture qui ferait passer Chanel pour une vulgaire marque de supermarché.

Alors que tous ces détails s’impriment dans mon esprit, un nouveau soupçon me frappe. Serait-ce une plaisanterie à mes dépens ? Kendall, peut-être ? Ou Janie ? Toutes les deux connaissent mes goûts en matière d’hommes. L’une d’elles a peut-être décidé de m’attirer dans un guet-apens, même si je ne comprends toujours pas pourquoi elles me brancheraient avec lui ni pourquoi il aurait accepté... Le mystère reste entier.

Les sourcils froncés, je lève les yeux de la carte pour le dévisager. Il a perdu son sourire, concentré sur le menu, le front plissé. Il a l’air plus âgé que les vingt-sept ans indiqués sur son profil.

Cette partie aussi devait être un mensonge.

Je me sens encore plus furieuse.

— Alors, Marcus, pourquoi m’as-tu écrit ?

Je pose le menu sur la table et le regarde froidement.

— As-tu seulement des chats ?

Il lève la tête et son front se plisse encore davantage.

— Des chats ? Non, bien sûr que non.

La dérision dans sa voix me donne envie d’envoyer balader les recommandations de ma grand-mère et de gifler son visage sévère et fermé.

— C’est une blague ou quoi ? Qui t’a donné cette idée ?

— Pardon ?

Il hausse ses sourcils épais avec arrogance.

— Oh, arrête de feindre l’innocence. Tu as menti dans ton message et tu as le culot de me dire que je ne suis pas conforme à tes attentes ?

Je sens presque la vapeur sortir de mes oreilles.

— C’est toi qui m’as contactée et mon profil est absolument transparent. Quel âge as-tu ? Trente-deux ? Trente-trois ?

— J’ai trente-cinq ans, dit-il lentement en retrouvant son expression revêche. Emma, de quoi parles-tu... ?

— Ça suffit.

J’attrape une lanière de mon sac à main et me glisse au bout de la banquette pour me lever d’un bond. Grand-mère ou pas, je refuse de manger avec un enfoiré qui vient d’admettre qu’il m’a menti. J’ignore pourquoi un homme comme lui chercherait à jouer avec moi, mais je ne serai pas le dindon de la farce.

— Bon appétit, dis-je d’un ton sarcastique en tournant les talons.

Je sors avant même qu’il puisse tenter de me barrer le passage.

Toute à ma hâte de m’enfuir, je manque de renverser une grande brune élancée devant le café et le petit gars enrobé qui arrive derrière elle.

4

Marcus

Agrippant le bord de la table, je regarde la petite rousse sortir en trombe du restaurant, d’une démarche qui fait onduler ses fesses rondes. Malgré son manteau en laine informe, son petit corps voluptueux est particulièrement féminin... et bizarrement sexy. Je n’ai jamais spécialement aimé les femmes pulpeuses, mais dès l’instant où Emma s’est approchée, mes hormones se sont emballées et mon sexe est devenu aussi dur que la pierre.

Si je n’étais pas en costume, j’aurais passé un moment très gênant.

Il s’avère que toutes mes compétences sociales m’ont fait défaut dès que j’ai posé les yeux sur elle. Avec sa chevelure rousse indomptable et son look de l’Armée du Salut, Emma correspondait si peu à l’image que je me faisais d’elle – si attirante, malgré cela – que je lui ai avoué tout net que je ne m’attendais pas à ce genre de femme. À peine ai-je prononcé ces mots que je les ai regrettés, mais il était trop tard. Elle a plissé ses yeux gris clair, a pincé sa bouche en bouton de rose, et ses cheveux flamboyants ont semblé se hérisser sur sa tête, chaque boucle frémissant d’indignation. Ensuite, elle a rétorqué que moi non plus, je ne ressemblais pas à mes photos, et à partir de là, tout a dégénéré. Je ne me rappelle pas à quand remonte la dernière fois où j’ai montré aussi peu de respect à une femme, mais en présence d’Emma, on aurait dit que je m’étais changé en homme des cavernes.

Je lui ai ordonné de se joindre à moi, allant jusqu’à utiliser ma taille impressionnante pour l’intimider et la forcer à obéir.

Pourquoi Victoria me l’a-t-elle envoyée – si tant est qu’elle soit responsable, évidemment ? Maintenant que tout mon sang n’afflue plus entre mes jambes, le comportement de la rouquine me paraît extrêmement suspect. Ses accusations et ses divagations au sujet des chats n’ont absolument aucun sens... à moins que tout cela soit un malentendu.

Merde.

Je quitte mon siège pour suivre la jeune femme, mais avant que je puisse faire deux pas, une grande brune élégante s’avance en travers de mon chemin.

— Bonsoir, Marcus, dit-elle avec un joli sourire gracieux. Je suis Emmeline Sommers. Désolée d’être en retard.

Avant même qu’elle se présente, je comprends qui elle est – et à quel point je me suis planté.

C’est la femme dont me parlait Victoria, celle dont je n’ai pas eu le temps de télécharger la fiche avant d’être convoqué en réunion d’urgence avec l’un de mes gestionnaires de portefeuille. Victoria m’a envoyé les photos et la biographie d’Emmeline cet après-midi, et entre la réunion et ma course dans le métro pour éviter l’heure de pointe, j’ai débarqué au café sans préparation – ce qui ne m’arrive jamais, en temps normal. Je me suis dit que ce ne serait pas grave, qu’il me suffirait d’avouer à Emmeline que je n’ai pas eu le temps de consulter son dossier et que nous pourrions apprendre à mieux nous connaître, mais je ne comptais pas sur la présence d’une jeune femme au nom similaire qui, par une curieuse coïncidence, était également venue au café pour rencontrer un homme qu’elle n’avait jamais vu et qui répondait au même prénom que moi. Bon sang, quelles étaient les probabilités ?

En découvrant la belle brune, je n’en reviens pas d’avoir confondu Emma avec elle. Difficile de trouver plus différentes que ces deux femmes. Emmeline est un mélange entre la princesse Diana, Jackie Kennedy et Gisele pour un résultat éblouissant. Je l’imagine aisément briller à tous les événements sociaux et politiques qui occupent une grande part de ma vie actuelle. Elle doit savoir quelle fourchette utiliser et comment faire la conversation avec les sénateurs comme avec les serveurs, tandis qu’Emma... eh bien, je l’imagine plutôt en train de rebondir sur ma queue et c’est à peu près tout.

Chassant ces images pornographiques de ma tête, je souris à la grande brune.

— Aucun problème, dis-je en lui tendant la main. Je suis arrivé il y a quelques minutes à peine. C’est un plaisir de te rencontrer.

Les doigts d’Emmeline sont longs et fins, sa peau fraîche et sèche au toucher.

— Tout le plaisir est pour moi, répond-elle en me serrant la main, à la fois douce et énergique, avant de baisser gracieusement le bras. Merci d’être venu jusqu’ici pour me rencontrer. Ma sœur est étudiante au Conservatoire de Brooklyn, alors je suis venue la voir. Je reprends l’avion demain matin.

— Bien sûr. Merci d’avoir pris le temps de me rencontrer, dis-je alors que nous nous asseyons à table.

Nous employons les minutes suivantes à discuter, apprenant à nous connaître. Je ne dis pas un mot au sujet de la confusion avec Emma. Je ne veux pas qu’Emmeline me prenne pour un parfait idiot. Toutefois, je lui avoue que je n’ai pas eu l’occasion de lire le dossier envoyé par Victoria. Comme je l’espérais, Emmeline refuse mes excuses, décrétant que c’est aussi bien de pouvoir discuter sans idées préconçues au sujet l’un de l’autre. Il est évident qu’elle a étudié mon dossier, en revanche. Elle sait absolument tout à mon sujet, depuis mon master de Wharton jusqu’à mon poste à la tête de l’un des fonds spéculatifs les plus en vue de New York.

Une fois que nous avons passé commande, j’apprends qu’Emmeline a trente et un ans et qu’elle est diplômée en droit de l’Université de Harvard. Elle a consacré ces trois dernières années à diriger un organisme à but non lucratif offrant des services juridiques aux femmes et aux enfants victimes de maltraitance. Elle est passionnée par son travail et passe plus de quatre-vingts heures par semaine à la fondation. Pour elle, il ne s’agit pas d’un loisir, même si sa famille est assez riche pour lui permettre de choisir la carrière qu’elle souhaite – ou de ne rien faire du tout.

— Mon arrière-arrière-grand-père a fait fortune dans l’industrie du rail, il y a longtemps, m’explique-t-elle en souriant. Et ma famille a réussi à la faire fructifier pendant un siècle et demi. Alors oui, je suis un bébé des fonds fiduciaires, si on peut dire.

Il y a un certain second degré dans son sourire, un charme qui adoucit les traits aristocratiques de son visage, et je commence sincèrement à l’apprécier.

Emmeline est la femme idéale, celle que j’espérais rencontrer depuis que j’ai décidé de réussir un nouveau défi dans ma vie de succès : décrocher l’ultime femme trophée.

Le serveur nous apporte nos plats et nous discutons de tout et de rien, de l’actualité mondiale et des caprices du marché. Il se trouve que les opinions d’Emmeline sont assez proches des miennes. Elle est cultivée et réfléchie, on sent sa formation de juriste dans son approche méthodique de chaque sujet. J’aime l’écouter parler et elle semble intéressée par ce que j’ai à dire.

Et puis, son physique ne gâche rien. C’est une pure beauté de la haute bourgeoisie. Sa robe pull à manches longues est élégante sans être trop osée, ses accessoires haut de gamme, mais discrets. Sa chevelure noire et lisse offre un dégradé qui met en valeur son visage à l’ovale parfait.

C’est une femme somptueuse, et pourtant, alors que je regarde sa manière raffinée de tenir sa fourchette, je prends soudain conscience qu’elle ne m’attire pas. J’aime son apparence, de même que j’apprécierais une œuvre d’art ou une belle sculpture – un plaisir purement intellectuel, à l’opposé de ma réaction viscérale en présence de la rouquine.

Non. Arrête. Avant que mon esprit s’aventure sur ce chemin, je m’efforce d’oublier Emma. Emmeline est la femme que j’ai toujours désirée et je ne peux pas tout gâcher pour suivre les impulsions de mon sexe indiscipliné.