L’illusion fantastique - Anna Zaires - E-Book

L’illusion fantastique E-Book

Anna Zaires

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Beschreibung

Mon accord avec Nero et mes pouvoirs grandissants sont censés être une garantie de sécurité pour mes proches et moi... pourtant, l'impensable se produit.

Quand les limites sont franchies et que coule le sang, plus rien ne sera jamais comme avant.

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L’illusion fantastique

Série Sasha Urban : Tome 4

Dima Zales

♠ Mozaika Publications ♠

Table des matières

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Extrait des Lecteurs de pensée

Au sujet de l’auteur

Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont soit le produit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés de manière fictive. Toute ressemblance avec des personnes, vivantes ou non, des entreprises, des événements ou des lieux réels n’est que pure coïncidence.

Copyright © 2021 Dima Zales et Anna Zaires

www.dimazales.com/book-series/francais/

Tous droits réservés.

Sauf dans le cadre d’un compte-rendu, aucune partie de ce livre ne doit être reproduite, scannée ou distribuée sous quelque forme que ce soit, imprimée ou électronique, sans permission préalable.

Publié par Mozaika Publications, une marque de Mozaika LLC.

www.mozaikallc.com

Couverture par Orina Kafe

www.orinakafe.design

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzanne Voogd

Révision linguistique : Ingrid Lombart, Lou Ledrut

e-ISBN : 978-1-63142-728-2

Print ISBN : 978-1-63142-729-9

Chapitre Un

J’entends l’horrible sonnette.

À travers mes paupières encore fermées, je sens les rayons du soleil qui se déversent par la fenêtre. Bien que j’aie l’impression de m’être couchée à l’instant, c’est déjà le matin.

La personne à la porte n’est pas aussi déraisonnable que je le croyais.

— Felix ! crié-je en gardant les yeux fermés. Peux-tu aller ouvrir ?

— Il est parti travailler, affirme Fluffster dans ma tête.

J’entends presque ce qu’il semble vouloir ajouter : « contrairement à quelqu’un d’autre ».

— Et toi ? dis-je en tirant la couverture au-dessus de ma tête. Peux-tu y aller ?

— Moi ?

La confusion vient remplacer la condescendance de Fluffster.

— Je ne peux pas ouvrir la porte avec mes pattes minuscules.

Nous savons tous les deux que ses « pattes minuscules » peuvent se transformer en griffes géantes qui dépècent et tuent, mais je n’argumente pas. À la place, j’ouvre les yeux à contrecœur et je baisse la couverture.

Oui, il fait jour.

En grommelant, je me lève, enfile une robe de chambre, enjambe Fluffster et me traîne jusqu’à l’entrée.

Pendant que je marche, la raison de mon état vaseux m’apparaît.

Malgré mes espoirs, mon sommeil n’a pas été sans rêves. J’ai fait des cauchemars au sujet de gangsters dont les esprits étaient contrôlés et qui essayaient de me tuer. Pire, certains rêves faisaient apparaître mon patron et moi dans des positions compromettantes… et je ne parle pas de notre portefeuille d’actions.

— Qui est-ce ? lancé-je à la porte d’une voix rauque.

— C’est Rose.

Le judas confirme l’exactitude de cette affirmation, alors je lui ouvre.

— Quelle heure est-il ? demandé-je en me frottant les yeux.

— Oh, pardon, s’excuse ma voisine âgée en battant ses cils couverts d’une épaisse couche de mascara. T’ai-je réveillée ?

— Il est huit heures, indique Fluffster, sans doute dans nos deux esprits. Sasha va être en retard au travail.

Zut. Avec tout ce qui est arrivé, j’ai complètement oublié de régler mon réveil.

— Nero va me tuer. Je vais être en retard pour mon premier jour de reprise.

— Oh.

Rose semble très déçue.

— Je voulais te demander quelque chose…

L’adrénaline chasse mon sommeil.

— Que se passe-t-il ? Est-il arrivé quelque chose ?

— Non, rien de ce genre.

Elle me jette un regard coupable avant d’observer Fluffster.

— Que dirais-tu de passer chez moi avant de partir au travail, je t’offrirai le petit déjeuner ? suggère-t-elle. Tu as besoin de te nourrir correctement.

Je me mords la lèvre, ayant conscience de l’heure.

— Je sais qu’il n’existe rien de tel qu’un petit déjeuner gratuit.

— Tu donnes l’impression que je suis vraiment machiavélique, dit-elle en gloussant. Je voulais simplement te demander une toute petite faveur.

— Très bien. J’arrive dans une minute.

Il faut bien que je mange.

Elle s’éloigne d’un pas traînant et je ferme la porte.

— Que veut-elle te demander, à ton avis ? m’interroge Fluffster lorsque je me dirige vers la salle de bains pour me préparer.

— Je n’en ai aucune idée. Quoi qu’il en soit, j’espère que ce sera rapide.

Je ferme la porte avant que Fluffster puisse entrer, puis je me prépare. Je finis en m’aspergeant de l’eau glacée sur le visage.

Je suis réveillée maintenant, mais profondément déçue.

J’avais espéré qu’une bonne nuit de sommeil clarifierait les événements de la veille, mais me voilà le matin et il n’y a toujours rien de compréhensible, particulièrement ce baiser…

— Alors, qu’est-il arrivé après ton départ ? demande Fluffster lorsque je me rends dans ma chambre.

— Felix ne te l’a pas dit ?

Je commence à m’habiller.

— Si. Mais il a également expliqué que tu lui avais raccroché au nez, alors je me demandais si…

— Il n’est pas arrivé grand-chose après ça, lui mens-je. Je suis sortie de là-bas et je suis rentrée.

Le chinchilla incline la tête d’un air étrangement humain.

— Eh bien… je suis là si jamais tu veux en parler.

Le message mental de Fluffster paraît-il particulièrement sage dans mon esprit, ou bien est-ce mon imagination ?

— Merci.

Bien sûr, je n’ai pas l’intention de discuter du baiser de Nero avec mon domovoi poilu.

Ni avec Felix.

Ni avec qui que ce soit, en réalité.

Je suppose que je peux m’imaginer en parler à Ariel si elle existe vraiment, mais elle est en cure de désintoxication pour son addiction au sang de vampire et elle ne me parlera pas avant un moment.

Je soupire. Ariel me manque déjà et je m’inquiète encore beaucoup pour elle, même si elle reçoit enfin l’aide dont elle a besoin.

Cependant, la culpabilité est bien ce qu’il y a de pire. Elle se cache juste sous la surface de mon esprit, prête à m’étouffer… comme Ariel a failli m’étrangler quand elle était sous le contrôle de Baba Yaga.

En secouant la tête, je me regarde dans le miroir et fronce les sourcils.

Logique.

Parce que j’ai fonctionné purement sur pilote automatique, j’ai enfilé mon pantalon en cuir, mes bracelets noirs, la veste en vinyle noir et le reste de ma tenue du restaurant.

Et alors ?

Quand Nero a si brutalement négocié mon retour, il n’a pas pris la peine de spécifier un code vestimentaire : je peux donc porter ce que je veux, même si j’ai l’air de me rendre en boîte de nuit gothique plutôt qu’au fonds d’investissement.

Je me précipite hors de la chambre, m’arrête près de la porte afin d’enfiler mes bottes coquées, puis je me rends chez Rose.

Elle ouvre la porte avant que j’appuie sur la sonnette et elle me fait un grand sourire.

— Entre, s’exclame-t-elle en me conduisant à la cuisine.

Mon estomac gargouille lorsque je sens les muffins fraîchement cuits et le thé au jasmin.

— Assieds-toi. Mange, dit Rose en indiquant le bout de la table, où elle a installé mon petit déjeuner.

— Je dois faire vite.

Je regarde son horloge murale et grimace.

— Nero n’aime pas que l’on soit en retard.

— Je suis certaine qu’il préfère t’affronter quand tu as mangé, plaisante Rose dont le sourire atteint les coins de ses yeux. Sinon, c’est lui que tu pourrais manger.

Je lutte pour ne pas rougir.

— Je ne sais pas ce que tu essaies de sous-entendre.

Je souffle sur mon thé d’un air aussi nonchalant que possible.

— D’accord, raconte-moi ce qui est arrivé après que Vlad vous a conduits à Gomorrah.

C’est donc ce que je fais. Je lui explique que j’ai espionné Nero et que j’ai trouvé un ancien contrat russe entre mon patron et l’homme qui se révèle être mon père biologique : Grigori Raspoutine. Lorsque Rose écarquille les yeux, je raconte comment Nero a rempli sa part du contrat en me surveillant toute ma vie et en interférant quand il estimait que c’était nécessaire. Je m’arrête juste avant de révéler le baiser, mais la façon dont elle bouge les sourcils quand j’explique qu’il m’a surpris avec le dossier dans les mains me pousse à me demander si elle a deviné.

— Ton anniversaire n’est donc pas en été ? demande-t-elle lorsque j’arrête de parler.

Je m’étrangle presque avec mon thé.

— C’est ça que tu retiens de tout ce que j’ai raconté ? Pas le fait que j’ai plus de cent ans, en quelque sorte ? Ou ce que Nero a fait ? Parmi un million d’autres choses, tu t’inquiètes de mon anniversaire ?

— J’ai besoin de savoir à quel moment je dois trouver ton cadeau, se justifie Rose avec des yeux pétillants. Les cadeaux, c’est important.

— Je vais continuer à fêter mon anniversaire en été, dis-je en luttant pour ne pas lever les yeux au ciel. Ça marque le jour où mes parents adoptifs m’ont trouvée à l’aéroport, et je ne vois aucune raison de ne pas le fêter comme je l’ai toujours fait.

— Merveilleux, répond Rose. C’est noté dans mon calendrier.

Je mords dans mon délicieux muffin aux myrtilles et sirote plus de thé.

Elle reste assise là, à me regarder.

— Tu n’es pas outrée par le comportement de Nero ? Tu ne penses pas que c’est incroyable qu’il…

— Le mauvais comportement de Nero est la raison pour laquelle tu es en vie… et Vlad aussi, me coupe-t-elle d’un ton maintenant plus sombre. Contrairement à toi, j’ai pour habitude de suivre l’adage « à cheval donné, on ne regarde pas les dents ».

— Eh bien, je te cède ce cheval avec plaisir, grommelé-je avant de me dépêcher de terminer mon muffin pour pouvoir partir.

Clairement, Rose ne comprend pas la perversité de la situation.

— J’ai mon propre cheval merveilleux que je peux chevaucher à loisir, merci beaucoup, rétorque Rose d’un ton pince-sans-rire. En outre, je suis certaine que tu ne penses pas ce que tu dis. Je doute que tu veuilles qu’une autre femme monte ce…

— Je suis en retard.

Le visage brûlant, je me lève d’un bond.

— Quelle était cette minuscule faveur que tu voulais ?

— Attends. S’il te plaît, ne t’enfuis pas ainsi.

Je me rassois en imputant mentalement mon impolitesse à Nero.

— Je suis désolée de t’avoir contrariée, s’excuse Rose lorsque je reprends ma tasse de thé. C’est juste que j’ai vu la façon dont Nero te regardait quand il t’a plongée dans ce sommeil réparateur, hier.

— Bien sûr. Comme Picsou regarde sa piscine de pièces d’or.

— La façon dont tu parles de lui te trahit, tu sais. Tu le désires, mais tu penses qu’il n’est pas approprié, alors tu ne veux pas lui laisser une chance.

Je me surprends à serrer la tasse avec tant de force que je suis étonnée qu’elle ne se casse pas.

— Tu n’as raison que sur une seule chose : ce scénario atroce serait vraiment inapproprié.

Les yeux bleus de Rose prennent un air lointain.

— Oh, mon enfant, je comprends ta situation bien plus que tu ne le penses.

— Ah bon ?

— Bien sûr.

Rose fixe la nappe comme si elle cherchait à connaître sa densité de tissage.

— Moi aussi, je me trouve dans une relation qui est la définition même de ce qui est inapproprié, et quand elle a commencé, j’étais dans le déni, comme toi, et sans doute pour les mêmes raisons.

J’ai très envie de crier qu’il n’y a pas de « relation » entre Nero et moi. Je veux également quitter la pièce et claquer la porte derrière moi, comme une adolescente. Cependant, je ne m’autorise pas à réagir ainsi. Rose parle enfin du mystère autour de sa relation avec Vlad, et je suis trop curieuse pour l’arrêter.

Je hausse légèrement les sourcils en restant silencieuse.

Cela ressemble peut-être à un tic nerveux.

— En théorie, l’espérance de vie de mon aimé est infinie, commence Rose doucement. Et de mon côté, il ne me reste que quelques décennies à vivre.

Je retiens ma respiration de peur que mon souffle la fasse taire.

— Nous n’avons jamais pu avoir d’enfant, et je voulais si désespérément une fille…

Elle continue à fixer la table comme si c’était un écran de cinéma affichant les images de sa longue vie.

— Son sang a le même effet sur moi que celui de Gaius sur Ariel, poursuit-elle d’une voix encore plus douce. Nous devons toujours faire extrêmement attention.

Incapable de retenir ma respiration plus longtemps, je laisse l’air s’échapper de mes poumons.

Ce bruit à peine audible ou bien un quelconque souvenir semble tirer Rose de son étrange rêverie. En levant la tête, elle surprend mon regard et fait une grimace.

— Je suppose que c’est une façon un peu élaborée de dire que quelles que soient les circonstances, cela vaut toujours la peine d’avoir de l’amour dans sa vie.

— Je ne vais pas contredire ça. Je reconnaîtrais ma chance si je trouvais quelqu’un d’aussi important pour moi que Vlad l’est pour toi. J’insiste sur le si.

Elle sourit, puis jette un regard gêné à l’horloge.

— Je vais te mettre en retard. Veux-tu que j’emballe un muffin que tu pourras manger en route ?

— Merci, avec plaisir.

Je finis mon thé pendant qu’elle se lève, qu’elle marche lentement vers le four et sort un muffin.

— Alors, au sujet de ce service, reprend-elle en emballant le gâteau. Vlad aimerait que l’on reprenne quelques vacances…

— C’est super, dis-je en me levant. Vous avez raison d’en profiter.

— Oui, mais voilà…

Elle me tend le sac en papier sans me regarder dans les yeux.

— Luci est très stressée par nos vacances. Et elle était tellement à l’aise chez toi hier. J’espérais que…

— Tu veux que je garde ta créature infernale ?

— Elle est déjà dans son panier, répond Rose, sur la défensive. Et elle a été lavée.

J’inspire profondément.

Rose mérite des vacances. Vlad également. Après la façon dont il a risqué sa vie pour nous hier, je pourrais même accepter de faire prendre un bain à ce chat. Sans même porter de tenue de protection.

— Où est-elle ? m’enquiers-je, résignée.

Rose me conduit au salon et soulève le panier. Lucifer dort dedans avec un air d’ange félin. Soit Rose l’a droguée, soit Vlad l’a ensorcelée… si ça fonctionne sur les chats ou les démons.

Ne souhaitant pas perdre un membre, je soulève la caisse avec précaution et la rapporte dans mon appartement. Rose me suit.

— Ne tue pas le chat, lancé-je à Fluffster lorsqu’il fixe la cage d’un air stupéfait.

— Une autre bouche à nourrir ?

Le chinchilla regarde Rose d’un air indigné.

— Je vais apporter sa nourriture et ses jouets, lui explique Rose. Sasha, tu devrais te dépêcher. Nero t’attend.

Elle m’adresse un clin d’œil et je lutte pour ne pas lever les yeux au ciel.

— Merci. Profite de tes vacances.

— Promis, répond Rose avant de retourner chez elle pour récupérer les affaires du chat.

L’ascenseur est toujours cassé depuis que j’ai foncé dedans en voiture, alors je prends les escaliers.

Lorsque je monte dans le taxi, je sors mon muffin et commence à le manger.

Non.

La nourriture ne fait rien pour disperser les papillons affamés qui semblent s’être installés au creux de mon ventre.

Vraiment ? Suis-je inquiète à l’idée de l’affronter ?

C’est vraiment bête.

Pourtant, l’angoisse augmente à mesure que nous approchons du travail. Des questions tournent dans ma tête, des questions de plus en plus difficiles.

Comment dois-je agir lorsque nous nous verrons ?

Dois-je faire semblant que le baiser n’a jamais eu lieu ?

Je devrais y arriver, mais ce serait comme se tenir au milieu des décombres de sa maison en niant qu’une tornade l’a détruite.

Avalant un autre morceau de muffin, je rejoue la fin de notre rencontre de la veille dans ma tête. Je surprends alors mes doigts sur mes lèvres et retire mes mains traîtresses.

Une pensée me ronge.

Embrasser le véritable Nero n’était pas du tout comme mon expérience avec Kit qui faisait semblant d’être lui. Avec le faux Nero, je me souvenais qu’il était mon patron, et je savais tout le temps qu’une liaison entre nous était impossible.

Ce n’était pas le cas dans la vraie situation.

C’était comme si mon cerveau s’était mis sur pause et avait laissé les commandes de mon corps à mes hormones – alors que l’aspect patron/mentor n’est que la pointe de l’iceberg des raisons qui font que c’est inapproprié.

Nero est assez vieux pour être un ancêtre éloigné, si l’on ne compte pas mon étrange naissance d’il y a un siècle… et il m’a vue grandir. Est-ce que ça n’en fait pas un genre de Humbert de Lolita ?

D’un autre côté, j’ai la vingtaine.

Une seconde, suis-je en train de le défendre ? Ai-je été ensorcelée par les paroles de Rose, ou bien ce baiser m’a-t-il causé des dégâts permanents au cerveau ?

— Nous y sommes, annonce le chauffeur de taxi en me tirant de mes pensées confuses.

Je le paie, fourre le restant du muffin dans ma bouche et pique un sprint jusqu’aux ascenseurs.

En arrivant à mon étage, je hoche la tête en direction de quelques collègues, dont la plupart me regardent bizarrement, et je me dirige vers mon bureau.

Sauf que mon bureau a disparu. Et pas seulement mon bureau. Ma chaise, mon ordinateur… tout est parti.

À la place, il y a un mot écrit à la main, ce qui est étrange dans ce bureau sans papier. Il est posé au milieu du sol maintenant vide. L’écriture impeccable est sublimée par des traits virils :

Viens me voir quand tu arrives.

-Nero

Chapitre Deux

Je passe à toute vitesse devant une Venessa outrée et fonce au bureau de Nero sans me faire annoncer.

Son bureau réglable est en position debout et il tapote joyeusement sur son clavier, n’ayant apparemment pas conscience de mon arrivée. Il est vêtu d’une chemise rayée et a enroulé ses manches jusqu’aux coudes, comme le font les magiciens pour prouver qu’ils ne cachent rien dans leurs vêtements.

N’importe quoi.

J’accorde autant de confiance à Nero qu’aux magiciens. C’est-à-dire, aucune.

Je me racle la gorge.

Il ne réagit pas à ma présence.

— Où est mon bureau ?

Même s’il est entièrement vêtu, je ne peux m’empêcher de l’imaginer nu. C’est sans doute par la faute de ses avant-bras exposés.

— Comment dois-je travailler sans chaise et sans ordinateur ? reprends-je.

— Tu nous fais enfin l’honneur de ta présence ?

Nero arrête de taper sur son clavier et me dévisage, son regard s’attardant sur mon pantalon en cuir.

— En plus du Friday Wear, existe-t-il aussi un lundi décontracté ?

— Les conseils mode font-ils partie de ton célèbre entraînement de mentor ?

Je me laisse tomber sur la chaise en face de son bureau sans y avoir été invitée.

— Si c’est le cas, j’aurais besoin de tes conseils en maquillage. ironisé-je.

— Tu n’as pas besoin de maquillage.

Les yeux de Nero scrutent mon visage comme s’il en créait un plan pour une imprimante 3D.

Je fronce les sourcils.

— Était-ce un compliment ?

S’il avait l’intention de me faire penser à autre chose, il a très bien réussi.

Nero baisse son bureau et s’assoit sur sa propre chaise, mettant nos yeux au même niveau.

— Dis-moi tout, ordonne-t-il d’un ton impérieux.

— Quarante-deux, lâché-je.

Il lève un sourcil, alors j’explique :

— C’est la réponse à la vie, l’univers et tout le reste.

— J’ai rencontré Douglas Adams, tu sais, l’auteur du livre auquel tu fais référence.

Les lèvres de Nero forment un sourire sardonique. Avant que je puisse le bombarder de questions au sujet d’une telle information, il poursuit :

— Je vais être très clair. Comment t’es-tu retrouvée dans ce bazar avec Baba Yaga ?

— Je n’ai pas l’impression que c’est lié au travail.

Je croise lentement mes jambes couvertes du pantalon en cuir, canalisant mon Basic Instinct intérieur.

Ma manœuvre fonctionne comme prévu. Les anneaux cornéo-limbiques de Nero semblent croître et, pendant un instant, il paraît sur le point de me sauter dessus.

Une seconde. Pourquoi voudrais-je cela ? Mon pouls accélère, je décroise les jambes et me penche en avant d’un air belligérant.

— Pourquoi devrais-je te le dire ?

Il parvient à se contrôler en un clin d’œil et, avec un calme irritant, il réplique :

— Parce que tu ne veux pas m’énerver ?

Je suis sur le point de lui avouer du fond du cœur « Si, c’est ce que je veux faire », mais il doit comprendre mon intention, car il m’adresse un sourire entendu de requin en ajoutant :

— Peu importe. Je suis ton mentor. Savoir ce genre de choses fait partie de mes prérogatives, alors tu vas répondre. Est-ce clair ?

En soupirant, j’explique comment la recherche de mes origines m’a conduite vers Baba Yaga et ce que voulait la sorcière en échange du souvenir qu’elle a rendu à Fluffster concernant Raspoutine. Lorsque j’arrive au moment où elle voulait que je couche avec Yaroslav le bannik, le visage de Nero devient si sombre que je crains l’apparition de ses griffes capables de déchiqueter des orques.

Je me dépêche d’expliquer comment le sexe avec le bannik n’a pas eu lieu et n’aurait jamais eu lieu tant que mon corps était conscient, et Nero se détend légèrement. Je mentionne ensuite ma fuite, et comment j’ai appris qu’Ariel avait été kidnappée. Enfin, je lui parle du sauvetage jusqu’au moment où je l’ai appelé à l’aide.

— Tout était ta faute, dis-je pour conclure. Tu as toujours su qui était mon père. Si tu me l’avais simplement dit, je n’aurais pas rencontré Baba Yaga.

— Tu vas aller voir Lucretia.

Nero sort son téléphone et regarde l’écran.

— Dans deux minutes.

— Tu changes de sujet, comme ça ?

Je résiste à l’envie de me lever d’un bond.

— Voir Lucretia fera partie de ton mentorat, et c’est pourquoi le temps que tu passeras avec elle ne sera pas soustrait à ta charge de travail.

Ma charge de travail ? Il plaisante ? Et mes réponses ?

— Qui est ma mère ? Et où est…

— Lucretia te recevra dans son bureau.

Nero range son téléphone.

— Je ne vais nulle part tant que tu ne m’as pas parlé de mes parents.

— Nous avons conclu un marché, rétorque froidement Nero. En ce qui concerne ton mentorat et ton travail ici, tu feras ce que l’on te demande.

— Est-ce à cause de la clause de confidentialité dans ce stupide contrat ?

Je croise les bras.

— Ne pouvons-nous pas trouver une façon de la contourner ? Tu pourrais m’écrire un mail, Internet n’avait pas été inventé en mille neuf cent seize.

Nero me regarde avant de jeter un regard appuyé vers la porte.

— S’il te plaît, Nero.

Laissant tomber mon attitude combative, je fais des yeux de chiot en espérant qu’il se fasse avoir comme cela arrive toujours à Felix.

— Imagine si quelqu’un te cachait ta famille. Si…

J’arrête de parler, car le visage de Nero devient terrifiant. Même les cieux au-dessus du Mordor sont moins effrayants que ça. Il devient flou, bougeant de la façon surnaturelle qui avait précédé le massacre des orques. Une fraction de seconde plus tard, il se tient près de la porte.

— Dehors, grogne-t-il en montrant la sortie avec le pouce. Maintenant.

Quelque chose dans sa voix me pousse à obéir sans poser de questions.

Je me lève vite et me précipite dehors comme si quelque chose d’extrêmement dangereux était sur le point de me pourchasser.

Et d’après ce que je sais, ça pourrait bien être le cas.

Chapitre Trois

— Je t’en prie, assieds-toi, m’indique Lucretia lorsque j’entre dans son bureau.

Je me laisse tomber sur le fauteuil en cuir marron, étire mes jambes et respire de façon à me détendre comme elle me l’a appris.

Elle m’observe avec une patience apparemment infinie.

Quand je suis suffisamment calmée, j’examine à nouveau la pièce.

Maintenant que je sais que Lucretia est âgée de plusieurs siècles, l’ambiance traditionnelle de son bureau me paraît plus logique. Elle possède sans doute cette étagère antique depuis qu’elle a été fabriquée, et elle a vu sa collection de livres jaunir et prendre de la valeur au cours des années.

D’un autre côté, Nero est également ancien, pourtant son bureau est ultramoderne.

Elle se lève et ferme les rideaux chargés qui couvrent les parois en verre de son bureau.

— Penses-tu que ça protège ma vie privée ? demandé-je. Je suis certaine que Nero a installé du matériel de surveillance partout dans cette pièce.

— Nous avons un contrat, Nero et moi.

Elle s’avance vers une étagère, attrape quelque chose et s’approche de mon fauteuil.

— Ce qui se passe dans cette pièce reste confidentiel.

— Si ça ne te dérange pas, je vais supposer que cet homme est un menteur et un tricheur.

J’examine la pièce, mais je ne vois pas d’appareil caché, ce qui signifie simplement que quelqu’un a bien fait son travail.

— C’est un contrat écrit qui l’engage légalement.

Lucretia me tend l’objet qu’elle tient, une espèce de poupée ancienne. Suis-je censée la serrer entre mes doigts pour soulager mon stress ? Avant de pouvoir poser la question, elle ajoute :

— De tels contrats ne peuvent pas être rompus.

Je serre le jouet entre mes doigts. C’est bien un antistress.

— Il peut voler tes notes. Il l’a fait à la thérapeute de ma mère, souligné-je.

— La confidentialité de mes notes fait partie du contrat.

Elle s’assoit sur sa chaise ressemblant à un trône.

— Bon, d’accord, mais si ça se trouve, tu pourrais toi-même lui rapporter tout ce que je dis.

Elle pousse un soupir, comme si elle venait de prendre un coup de poing dans le ventre.

Je baisse le regard vers la poupée dans mes mains.

— Pardon. Je ne suis pas vraiment d’humeur confiante aujourd’hui.

— Pourquoi ne pas me parler de ça ? dit-elle doucement. Fais comme si rien ne restait confidentiel. Il y a sûrement des sujets dont nous pouvons quand même parler ?

— Tu as raison.

Je me redresse dans mon fauteuil et je la regarde.

— Que sais-tu de ma situation ?

— Pas grand-chose. Pourquoi ne pas tout me raconter depuis le début ?

Je me lance alors dans mon histoire – le passage télévisé qui a mal tourné, les attaques de zombies, les visions, le Conseil, faire équipe avec Ariel pour s’occuper d’une nécromancienne nommée Béatrice, les orques de Nero, la petite amie succube de Béatrice, Harper, et la vengeance de Harper.

Je lui raconte ensuite l’histoire avec Baba Yaga, et elle avance au bord de sa chaise quand j’arrive à la partie concernant le bannik.

Pourquoi est-ce cela, parmi toutes les choses horribles qui me sont arrivées, qui attire le plus l’attention ?

— Connais-tu Yaroslav ? m’enquiers-je, poussée par l’intuition.

Elle remue et ses joues se colorent légèrement.

— Quand il avait plus d’autonomie, Yaroslav était un de mes clients. Nous nous rencontrons encore de temps en temps, mais moins formellement, étant donné sa nouvelle situation.

— Tu le vois encore ?

L’idée d’un bannik voyant une psy me semble étrange, mais d’un autre côté, je la consulte moi-même, alors pourquoi pas ? En fait, si j’étais à la merci de Baba Yaga, il me faudrait sans doute de nombreuses séances de psy.

— Pourquoi ne devrais-je pas le voir ?

Elle rougit davantage.

— J’ai le droit de m’offrir un spa de temps en temps, alors pourquoi ne pas bavarder avec quelqu’un qui s’y trouve déjà ?

— Je me dis que ça pourrait déranger Baba Yaga.

— Ce qu’elle ne sait pas ne peut pas la déranger.

Le visage de Lucretia reprend sa pâleur normale… pour une prévamp.

— Nous discutons seulement quand il n’y a personne d’autre dans son sauna. Le banya est ouvert à tous ceux qui acceptent de payer l’entrée, et Baba Yaga est fière des bénéfices qu’elle tire de l’endroit. En fait, il est assez populaire auprès de la communauté des Conscients, particulièrement chez les vampires.

— Sérieusement ?

Elle lève les sourcils.

— Et pourquoi pas ? Les vampires aiment les spas, eux aussi. J’y ai vu Gaius de nombreuses fois, et quelques autres Exécuteurs également. Quand j’étais là-bas la semaine dernière, il y avait…

— Tu y étais la semaine dernière ?

Je manque me lever de mon fauteuil.

— Bien sûr. Mais avant ta mésaventure.

Lucretia se mord la lèvre.

— Cependant, je ne peux pas te donner davantage de détails, c’est confidentiel, comme tu le sais.

— Mais…

— S’il te plaît, Sasha, me coupe Lucretia. Parlons de toi.

Elle est clairement revenue en mode professionnel et ne dira rien de plus sur ce sujet fascinant.

Pourtant, je ne peux m’empêcher d’y penser. Lucretia a-t-elle également une relation inappropriée ? Et avec un client ? Yaroslav était effectivement très agréable à regarder, alors je ne peux pas lui en vouloir de…

— Raconte-moi le reste de l’histoire, s’il te plaît, insiste Lucretia en se penchant en avant afin de scruter mon visage.

Oups. Mes émotions ont-elles trahi mes pensées ?

Il faut dire qu’elle est empathe.

— J’avais presque fini, dis-je avant de lui raconter le plan basé sur les visions du bannik afin de me faire évader.

Je conclus enfin par le fait que mes recherches concernant mes parents ont révélé le rôle de Nero dans ma vie la veille au soir.

Bien que je ne lui parle pas du baiser, j’ai la même sensation qu’avec Rose : que la psy a déduit cela d’une façon ou d’une autre.

Elle a un regard bien trop entendu.

— Cela fait beaucoup de choses à gérer, note Lucretia lorsque je me tais. Tes émotions partent dans tous les sens. Nero avait raison de suggérer que tu viennes me voir.

— Il ne l’a pas suggéré.

Je serre la poupée.

— Il l’a ordonné.

Elle me fait un sourire énigmatique.

— Bien. Au moins, il a le cœur sur la main.

— Son cœur est sûrement un morceau de métal qu’il conserve dans un bunker souterrain, grommelé-je.

Elle glousse.

— Quoi qu’il en soit, tu es ici, alors tu ferais aussi bien de profiter de la situation.

— Je suppose.

— Et si tu choisissais un sujet ? N’importe quel sujet de conversation. Nous pourrons alors simplement en parler en tant qu’amies, suggère-t-elle.

— Franchement, je ne sais pas par quoi commencer.

D’une manière que j’ignore, elle me met à l’aise par sa simple présence, chose que j’ai remarquée lors de notre première rencontre.

— J’ai senti beaucoup de culpabilité quand tu m’as raconté ton histoire, et la culpabilité est un lourd fardeau à porter. Alors, sauf s’il y a un rapport avec le sujet interdit qu’est Nero, pourquoi ne pas parler de ce qui te fait te sentir ainsi ?

Ai-je de la culpabilité liée à Nero ?

Je l’ai effectivement espionné en utilisant le gadget de Felix et je suis aussi entrée par effraction dans sa maison.

Non. Pas de culpabilité pour ça. C’est presque de la fierté que je ressens de ce côté-là.

La seule chose que je regrette, c’est d’avoir réagi à son baiser. Peut-être. Malgré tout, ça ne me fait pas me sentir coupable. Si quelqu’un doit se sentir coupable de ce baiser, c’est Nero. Les cochonneries ne faisaient pas partie du marché qu’il a conclu avec mon père, à mon avis.

— Nous pouvons parler de tout autre chose, reprend Lucretia alors que je reste silencieuse. J’ai décelé des émotions très complexes vers la fin de ton histoire, et…

— La culpabilité est un bon sujet, dis-je rapidement.

Je n’ai absolument pas l’intention de fouiller dans les émotions éveillées par le baiser.

— Je me sens extrêmement coupable du sort d’Ariel.

— L’addiction au sang de vampire est une affliction terrible.

Lucretia joint les bouts de ses doigts.

— À vrai dire, j’ai travaillé dans cet établissement de désintoxication au début de ma carrière. Il est excellent. Si Ariel veut vraiment guérir, ils pourront l’aider.

— Je ne sais pas si elle veut guérir. Mais je l’espère.

Je remonte mes jambes et les serre contre moi.

— Mmmh.

Lucretia me fixe sans cligner des paupières, comme si elle examinait mon âme.

— Je sais que la logique ne règle pas de telles situations, mais c’est peut-être un bon début ?

— La logique ?

— Ce n’est pas toi qui as poussé Ariel à se battre contre Béatrice, c’était le contraire. Elle allait affronter la nécromancienne et tu l’as forcée à être accompagnée par toi. Pourtant, tu réagis comme si elle avait été blessée parce que tu l’avais poussée à y aller.

— Elle me protégeait de mes problèmes.

Je repose mes jambes sur le sol et serre le jouet contre moi, comme je le fais avec Fluffster.

— Sans moi, elle n’aurait pas été blessée et elle n’aurait donc pas goûté le sang de vampire.

— Sais-tu qu’une seule consommation du sang de Gaius n’aurait pas dû la rendre accro ?

— Ah non ?

— Non.

Elle grimace avant d’ajouter :

— Je le sais par expérience personnelle. J’ai été blessée il y a longtemps, et par coïncidence, Gaius m’a sauvée de façon similaire. Je ne suis pas du tout devenue dépendante. Cela ressemble beaucoup à la prise de morphine après une blessure horrible : les chances de ressentir de l’euphorie sont minimes.

— Même si ce que tu dis est vrai, je pense qu’elle a développé une addiction à cause de son stress post-traumatique.

— Tu dis cela comme si c’était encore ta faute. Tu ne l’as pas envoyée à la guerre. Tu n’as pas…

— Malgré tout, j’aurais pu faire plus.

Je me surprends presque en train d’étrangler la pauvre poupée et je desserre les doigts.

— Par exemple, j’aurais pu suggérer à Ariel de venir te voir.

— Crois-tu que cela aurait fonctionné ? N’est-elle pas dans le déni concernant son stress post-traumatique ?

— Ça aurait fonctionné si j’avais fait assez d’efforts, m’entêté-je. En outre, l’addiction n’est qu’une partie du tout. Je n’ai pas non plus vu que mon amie avait été enlevée.

— Tu as dit qu’elle ne rentrait plus chez vous avant l’enlèvement. Comment pouvais-tu savoir qu’elle n’était pas simplement partie avec Gaius ?

— Peut-être.

Je pose la poupée sur mes genoux.

— Pourtant, ça ne me fait pas me sentir beaucoup mieux.

À vrai dire, c’est un mensonge. Je me sens un peu mieux.

— Nous pourrons parler de cela plus tard, dit-elle en percevant sans doute mon soulagement avec ses pouvoirs d’empathe. Veux-tu parler d’autres problèmes liés à la culpabilité ?

Je me surprends en répondant :

— Peut-être. Ou plus précisément, mon absence de culpabilité.

Elle me jette un regard encourageant et je ressens un fort besoin d’avouer.

— J’ai abattu et tué les hommes de Baba Yaga.

J’attrape à nouveau la poupée.

— Et je n’ai ressenti aucun remords. J’ai continué à leur tirer dessus, soufflé-je à voix basse en frissonnant lorsque je me souviens de la scène. Et jusqu’à présent, je n’ai pas vraiment pensé à leur mort. À la mort de Béatrice et de Harper non plus. Il est vrai que je n’ai pas personnellement…

— Je ressens à quel point ces actes te perturbent, dit Lucretia en fronçant les sourcils.

Je me mords l’intérieur de la joue.

— Eh bien… j’ai peur d’être une sorte de monstre.

— Ne t’inquiète pas. J’ai connu de véritables monstres dans ma vie, lâche-t-elle brusquement.

Puis elle inspire pour se calmer et semble chasser l’étrange émotion qui s’infiltre en elle.

— Tu n’es pas comme cela, me rassure-t-elle d’une voix plus apaisée. Tes questions démontrent que tu es capable de remords.

Elle sourit légèrement.

— Les monstres ne racontent pas leurs problèmes à des psys. Les monstres ne se sentent pas tiraillés.

Je pose la poupée sur la table basse à côté de mon fauteuil.

— Je ne dirais pas que je me sens tiraillée. Ce que tu perçois est sans doute dû à une certaine personne que j’ai parfois envie de tuer.

Son sourire s’élargit jusqu’au coin des yeux.

— La source de ton angoisse pourrait bien ressentir la même chose.

Je fronce les sourcils.

— Je ne suis pas certaine qu’il – je veux dire, la source – puisse ressentir quoi que ce soit.

— Tu serais surprise, dit-elle avant de regarder les rideaux. Quand il s’agit de sentiments, la personne hypothétique pourrait être tout aussi effrayée que toi, même si ses raisons sont différentes.

— Effrayée ?

Je suis tentée de reprendre la poupée, mais à la place je la regarde sans comprendre, ne sachant pas ce que je trouve le plus incroyable : les choses ridicules qu’elle sous-entend à mon sujet, ou le fait que Nero puisse être effrayé par quelque chose.

— Je pense que je préfère te conduire vers ce genre de conclusion en plusieurs séances.

Elle baisse la tête avant d’ajouter :

— Je ne suis pas une très bonne thérapeute en te révélant ça.

— Mais maintenant que tu l’as fait, tu dois développer, insisté-je. En tant qu’amie.

Elle jette un coup d’œil à la porte.

— Tu as dit que personne ne pouvait nous entendre. Tu ne peux pas utiliser cette excuse quand ça t’arrange !

— Très bien.

Elle me regarde en face.

— Cela fait longtemps que tu n’as pas eu de relation. Et tu n’en as jamais eu une dans laquelle tu te sentais émotionnellement vulnérable. Ai-je raison ?

Une seconde. Je ne lui ai jamais parlé de ma période de creux ni des relations brèves et insatisfaisantes qui l’ont précédée. Vient-elle de le découvrir en utilisant des méthodes de psy à la Hannibal Lecter ?

La magicienne en moi souhaite une explication plus simple, alors je demande :

— As-tu tiré cette information des dossiers que Nero détient sur moi ?

Ses yeux bleus deviennent tristes.

— Je savais que c’était une mauvaise idée.

— Non.

Je desserre les poings que j’avais serrés sans m’en rendre compte.

— Tu as raison sur mon passé, et alors ? C’est juste de la malchance. J’étais concentrée sur l’école, puis sur ma carrière. Il n’y a pas de sens profond et sinistre.

Elle incline la tête.

— Tu as peur d’être abandonnée par la personne dont tu tombes amoureuse.

— Évidemment, comme tout le monde, non ?

— Pas comme moi, dit-elle. Pas Vlad et Rose. Pas…

— Très bien, la coupé-je sèchement. Même si ce que tu dis est vrai, ce qui n’est pas le cas, ça n’a aucun rapport avec le reste. Je ne dois pas avoir de sentiments pour la personne hypothétique dont nous parlions auparavant, car il est parfaitement normal de se méfier des enfoirés malveillants et manipulateurs.

Je me rends compte que je hausse la voix, alors j’inspire profondément et ajoute plus calmement :

— De quoi a-t-il peur, lui ?

— Qu’une autre personne dont il se soucie puisse mourir, répond-elle sombrement. Mais ne me demande pas les détails, car ce n’est pas à moi de te les révéler.

Comme s’il attendait cet instant précis, l’estomac de Lucretia gargouille comme un ours tiré de son hibernation. Elle couvre son ventre d’une main délicate et rit d’un air gêné.

— Sauvée par l’estomac, marmonné-je, toujours écrasée par notre conversation.

En avalant ma salive, je redresse le dos.

— Devons-nous mettre fin à la séance ?

Elle hoche la tête.

— Si tu le souhaites.

Je me lève.

— Et si je t’offrais le petit déjeuner avant que je retourne affronter une certaine personne ?

— Marché conclu, accepte-t-elle en se levant de son trône. Mais tu dois me promettre de revenir.

— Ça m’étonnerait que j’aie le choix, dis-je lorsque nous sortons de son bureau.

Moi aussi, une visite à la cafétéria me ferait du bien. Pour affronter Nero, il me faut consommer une dose d’expresso qui rendrait un rhinocéros surexcité.

Chapitre Quatre

Fébrile à cause de toute la caféine, j’entre en trombe dans le bureau de Nero pour la deuxième fois de la journée. Cette fois, il s’arrête immédiatement de taper au clavier et me dévisage de haut en bas.

— Ça, c’était rapide, dit-il. Je n’ai jamais dit que tu étais obligée de te dépêcher pendant tes séances de psychothérapie.

— Je suis ici pour m’occuper de ma « charge de travail ». Il me tarde de savoir de quoi il s’agit et comment je peux l’accomplir sans bureau.

— Suis-moi, lance-t-il en sortant à grands pas de son bureau.

Lorsque je le rattrape enfin, il a déjà appelé l’ascenseur.

Me surprenant par un geste de gentleman, Nero empêche la porte de l’ascenseur de se refermer.

— Après toi.

Se moque-t-il de moi ?

Mon cœur battant plus vite pour une raison que j’ignore – sans doute la marche rapide –, je me faufile dans l’ascenseur et m’appuie contre la paroi du fond. Nero entre en sautillant et s’arrête à côté des boutons.

Je serre les dents d’irritation. Ce type parvient même à être superbe de profil.

J’ai la gorge très sèche lorsque je me rends compte que nous sommes confinés ensemble dans ce petit espace.

Occupe-t-il toujours plus de place que ce que dictent les lois de la physique ?

Ne tenant pas compte de mon inconfort, Nero sort une carte inhabituelle et la passe sur ce que je pensais être le bouton d’appel d’urgence de l’ascenseur. Ce dernier émet un tintement d’approbation. Nero appuie sur le bouton étiqueté B01, un bouton parmi plusieurs qui ne fonctionnent pas quand un simple pion de l’entreprise appuie dessus, malgré la curiosité dudit pion.

Nous descendons en silence. Un silence qui devient progressivement plus gênant.

— Descendons-nous vers ton repaire souterrain secret ? dis-je en ne plaisantant qu’à moitié.

Les rumeurs persistantes au sujet d’une grotte remplie d’argent et de trésors font souvent référence à ces étages interdits du sous-sol.

Nero lève un sourcil, mais ne répond pas.

— C’est sûr que j’aimerais beaucoup nager dans un tas d’or, ajouté-je.

— Pas le temps pour ça aujourd’hui, je le crains, rétorque-t-il, impassible. La tâche est extrêmement simple. Tu dois me fournir une recommandation d’un type d’action en bourse. Juste un. C’est tout.

— Ça n’a pas l’air si terrible.

Je lui adresse un sourire soulagé et il sourit à son tour, mais quelque chose ne va pas. On dirait qu’il rit de moi et non pas avec moi.

L’ascenseur sonne.

Nous sortons dans un long couloir mal éclairé qui me rappelle les passages secrets menant à la plateforme de portails de l’aéroport JFK. Lorsque je suis Nero en tournant plusieurs fois à des embranchements, la ressemblance devient plus forte.

Au cas où, je sors mon téléphone et note les directions que nous prenons, comme je l’ai fait dans le labyrinthe de JFK quand Ariel me guidait.

Nous tournons à droite et le couloir se termine par une porte métallique. Un écran digital se trouve sur le devant de la porte. Nero tend la main et je me prépare à espionner discrètement ce qu’il tape.

Comme si c’était lui le voyant, Nero se sert de son corps pour m’empêcher de voir les touches du clavier sur lesquelles il appuie. Je ne peux bien voir que son dos, ce qui n’est pas si terrible comme lot de consolation.

— Est-ce un coffre-fort ? demandé-je lorsque la porte s’ouvre. Est-ce l’endroit où tu conserves ton argent ?

Nero me fait signe d’entrer, c’est donc ce que je fais.

Le coffre-fort n’en est pas un.

C’est une pièce meublée.

Un tapis épais avec un motif moderne couvre le sol, et un coussin de méditation à l’air confortable est posé au milieu. Ma vieille chaise est là également. Elle est posée sur le côté, mais il n’y a ni bureau ni ordinateur. Cependant, je vois un canapé dans le fond.

L’ordinateur se trouve-t-il dans une des pièces adjacentes ? Je vois deux portes à l’intérieur, alors c’est peut-être là que se trouve le bureau ?

Le seul écran ressemblant à un ordinateur est identique à celui à l’extérieur.

Encore une fois, Nero cache ce qu’il tape et quand il a terminé, « 8:00.00 » apparaît sur l’écran au-dessus du clavier numérique. Une seconde plus tard, ça devient « 7:59.59 ».

Une minute.

Il ne faut quand même pas…

— Voici ton temps de travail, indique Nero en pointant du doigt le décompte. Tu dois travailler huit heures par jour tous les jours de la semaine.

— C’est n’importe quoi.

Je regarde le scintillement métallique des murs avant de fixer mon patron.

Nero lève encore un sourcil.

— Tu seras la seule personne du fonds d’investissement à travailler si peu, et tu le sais. Même toi, tu travaillais plus, avant.

— Je parle de ça.

J’agite les bras en montrant l’espèce de coffre-fort.

— C’est le pire cauchemar de n’importe quel claustrophobe.

— La pièce fait quatre-vingt-trois mètres carrés, ce qui en fait le deuxième plus grand bureau de ce bâtiment.

Nero croise les bras avant d’ajouter :

— Et tu n’es pas claustrophobe.

— Après huit heures dans cette cage, je pourrais bien en souffrir.

— Si tu parviens à convaincre Lucretia que tu souffres vraiment de claustrophobie, j’échangerai mon bureau avec le tien.

Nero s’avance vers moi.

Je recule.

— Pourquoi fais-tu ça ?

— Cette pièce est insonorisée et personne ne pourra t’interrompre.

Je suis soulagée de voir qu’il s’arrête à quelques pas de moi.

— Peux-tu imaginer un endroit plus favorable à tes visions ?

J’ai envie de me gifler pour ne pas avoir compris plus tôt.

Bien sûr.

Cet endroit est parfait pour la contemplation méditative. Comme pourrait l’être une grotte en montagne, par exemple.

D’un autre côté, elle ressemble également beaucoup à une cellule d’isolement, ce qui est généralement une punition pire que la simple incarcération.

Et tout cela se rapporte à mes stupides visions.

Comment avais-je pu l’oublier ?

Grigori Raspoutine – ou dois-je dire mon père biologique ? – a donné une prophétie à Nero qui faisait la liste de tous les événements marquants de 1916 à 2016. Comme Biff, le méchant dans Retour vers le futur II, Nero a transformé la prévision de Raspoutine en une somme d’argent obscène.

Maintenant que nous nous trouvons à l’extérieur de la chronologie de la liste, Nero va m’utiliser afin de continuer à gagner de l’argent.

J’ai peut-être de la chance qu’il prévoie de me laisser quitter cette cage après huit heures. En tout cas, c’est ce que je suppose.

Il se tourne vers la porte.

— Qu’en est-il pour le déjeuner ? dis-je très vite.

Il s’avance vers une des portes et l’ouvre. En dehors de ses murs de métal, la pièce ressemble à une cuisine de luxe, avec un micro-ondes et un four, un grille-pain et un frigo géant aux parois en verre.

Dans le frigo, je vois assez de plats gastronomiques pour nourrir une armée de gourmets difficiles.

Certains plats ont l’air si bons que je regrette presque d’avoir mangé tous ces muffins.

— Et les toilettes ? demandé-je, accablée, en sachant ce qui va suivre.

Nero me conduit à l’autre porte, et bien sûr, elle ouvre sur une salle de bains élégante, avec une douche et un jacuzzi. Lorsqu’il ouvre un placard, je suis perturbée de voir qu’il est rempli de mes marques préférées de cosmétiques, de shampooing, de savon et même de produits féminins.

— Et s’il y a une urgence ?

J’essaie de m’empêcher de me demander comment il a su ce qu’il devait acheter.

— Compose le 911 sur le pavé numérique.

Il doit voir une lueur dans mes yeux, car il ajoute :

— Si tu le fais alors qu’il n’y a pas d’urgence, ton temps de travail de la journée sera doublé.

Je sors à grands pas de la salle de bains.

Il me suit.

— Et n’essaie même pas de deviner le mot de passe en prétextant que tu essayais de composer le 911. Si un mot de passe erroné est composé pour quelque raison que ce soit, je le saurai… et ta charge de travail doublera pour toute une semaine. Est-ce clair ?

— Comme de l’eau de roche.

Je lui jette un regard assassin.

Comment ai-je pu embrasser un homme aussi insupportable ? Je devais être folle pour le trouver attirant.

— Je te verrai quand tu auras terminé, conclut-il en marchant vers la sortie.

— Tu t’attends à ce que je te recommande des actions sans faire de recherches ? Sans utiliser de technologie ?

— Je crois en toi.

Nero se tourne et se tapote le front.

— Au travail, maintenant.

Il sort et l’épaisse porte en métal se verrouille avec le caractère définitif d’un contrôle fiscal.

— T’es trop nul ! crié-je, mais je ne pense pas qu’il puisse m’entendre à cause de l’épaisseur du métal.

Oui. Aucune réponse. En fait, la pièce est tellement silencieuse que c’est étrange pour une New-Yorkaise comme moi.

Dans le silence total, je peux entendre ma respiration rapide.

Il a un tel culot ! Comment peut-il s’attendre à ce que j’obtienne des visions s’il m’énerve de cette façon ?

D’un autre côté, il a fait une erreur de calcul. Il n’a pas explicitement dit que je devais avoir une vision pour lui fournir le conseil en bourse. En théorie, je pourrais lui dire d’acheter n’importe quelle action qui me vient en tête.

Nous n’avons jamais investi dans CAKE, par exemple, qui est le symbole boursier de la Cheesecake Factory. Nous n’avons jamais acheté EAT – une entreprise qui possède plusieurs autres chaînes de restaurants.

Non, ce doit être mon estomac qui parle. Il y avait un cake dans le frigo.

Sinon, je pourrais conseiller BOOM, qui est une entreprise de travail du métal utilisant des explosifs. L’investissement dans ces actions ferait boum aussi.

Je souris à la façon du Grinch en me prenant au jeu.

Dois-je dire à Nero d’investir dans les motos Harley-Davidson ? Ça lui irait bien : leur symbole boursier est HOG, ou « porc » en anglais, et c’est bien comme ça que Nero agit.

Ou bien comme un chien ? Dans ce cas-là, il y a WOOF, une entreprise de médicaments vétérinaires.

Non.

C’est trop évident.

Je vais lui dire d’investir dans Majesco Entertainment, une entreprise de jeux vidéo dont le symbole est COOL.

Sauf s’il pense que c’est « cool » entre nous, ce qui n’est pas le cas.

Mon sourire s’estompe.

Que se passerait-il si je lui donnais un de ces noms amusants et qu’il perdait une tonne d’argent ? Cela doublerait-il également ma charge de travail ?

Je soupire.

Maintenant que je suis plus calme, je dois essayer d’obtenir une action intéressante en bourse en me basant sur une vision, même si j’aurais aimé me venger en le voyant investir dans des actions au hasard.

En posant mon derrière sur le coussin de méditation, je ferme les yeux et essaie d’entrer dans l’espace mental.

Lorsque ma respiration devient régulière, mon esprit se vide agréablement. Je ne remarque plus que ma respiration. Je flotte dans cet état merveilleux pendant un temps indéterminé, jusqu’à ce que mes paumes se réchauffent.

Ça y est.

Des éclairs jaillissent de mes mains et s’enfoncent dans mes yeux, et je suis entraînée dans un tourbillon.

Je suis une nouvelle fois désincarnée et entourée par l’étrangeté habituelle de l’espace mental. Je flotte en essayant de me réadapter aux sens spécifiques à cet endroit. Je prends bientôt conscience des formes irréelles autour de moi, des formes représentant des visions.

Bon, et maintenant ? Je ne sais pas du tout comment localiser les formes qui feront gagner de l’argent à Nero.

Dois-je chercher des formes couleur vert menthe, comme les dollars ? Ou celles qui sont en forme de pièces ou de diamants ?

Et surtout, pourquoi dois-je toujours découvrir ces choses-là par moi-même ?

Pourquoi Nero a-t-il chassé Darian ?

Malgré tous ses défauts et ses objectifs évidents, Darian m’a sauvé la peau plusieurs fois, et je ne pense pas que j’aurais pu atteindre l’espace mental si vite sans son cadeau de Jubilé sous forme de cassette vidéo.

Ce bon vieux Darian manipulateur.

Où est-il maintenant ? Existe-t-il un moyen de lui parler sans risquer la colère de Nero ?

Je l’imagine presque maintenant, évitant mes questions, parlant comme un membre de la royauté britannique…

Soudain, quelque chose d’extrêmement bizarre se produit… enfin, bizarre même pour l’espace mental.

Une forme mouvante apparaît à côté de moi.

Une forme si différente des autres qu’il pourrait bien s’agir d’une espèce totalement nouvelle.

Non, c’est plutôt comme essayer de comparer un objet physique et concret comme un cornichon ou une mouffette à un élément intangible comme l’honneur ou la justice.

En plus des attributs de l’espace mental que j’ai triés sous les étiquettes de température, couleur, goût et musique, cette apparition en possède des millions d’autres, la plupart n’ayant pas de parallèle avec les sens.

Pourtant, ce n’est pas ce qu’elle a de plus étrange.

J’ai la conviction que cette apparition a été déclenchée par mes pensées sur Darian.

Ça, et elle est consciente.

Je ne sais pas comment je le sais, je sais simplement que cette chose est comme moi. Je parie que si je focalisais mon attention vers l’intérieur, je verrais la même complexité merveilleuse.

L’entité semble pulser en attendant quelque chose.

— Que veux-tu que je fasse ? ai-je envie de lui demander, mais je ne sais pas comment.

Impatiemment, l’entité fait bouger les myriades d’attributs comme dans un kaléidoscope.

Je flotte en me demandant quoi faire.

Et soudain, j’ai une idée.

Pourquoi ne pas essayer comme d’habitude ?

Pour les formes normales, je devais m’étirer et les toucher métaphoriquement afin de déclencher une vision.

Cela fonctionnerait-il dans ce cas ?

J’essaie.

L’entité pulse d’excitation et elle semble s’étirer vers moi comme moi vers elle… et c’est alors qu’un trou noir m’avale, comme pour les visions.