Le dernier des adultes - Pierre Dabernat - E-Book

Le dernier des adultes E-Book

Pierre Dabernat

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Beschreibung

Saraswati face au constat de la bêtise des grandes personnes, par une volonté, une force nouvelle qui soudainement naît en elle étrangement, cette fillette fragile, ce bout de chou de femme indienne de la caste la plus pauvre, sauvée par un miracle d'un enfer crée par l'incompétence des hommes, le pouvoir destructeur de l'argent, prend alors la décision, cette illustre décision, que dorénavant, elle cessera de grandir. Et qu'elle en restera là ! A l'âge de dix ans, toute son existence. Elle discerne avec l'acuité de son extrême intelligence qu'être une grande personne c'est la pire des choses qui puisse lui arriver. Qu'il est désormais inutile de devenir adulte comme ceux qu'elle connaît. Son amie, soeur Marie des Anges étant une exception, elle sait pertinemment que des êtres de cette fabrication sont extrêmement rares. Quant au docteur, il est encore trop tôt pour se prononcer. Il n'est qu'un homme et cela elle sait ce que cela veut dire.

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Seitenzahl: 100

Veröffentlichungsjahr: 2018

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Il ne faut pas vous étonner

De tous les morts que vous croisez

De cette violence acharnée

Qui vous prend comme la nausée

Aujourd'hui c'est la denrée

Indispensable à la marée

Des braves gens qui se bousculent

Du matin froid au crépuscule

Sommaire

La première fois. (Mars 2143)

Journal de Mathis (Janvier 2009) : Extrait n°1

Première séance (Retour en Août 1994)

Journal de Mathis (Noël 2009) : Extrait n°2

Deuxième séance (Retour en Décembre 1984)

Journal de Mathis (Premier janvier 2010) : Extrait n°3

Troisième séance (Retour en Juin 1981)

Journal de Mathis (Février 2010) : Extrait n°4

Quatrième séance (Retour en Mai 2005)

Journal de Mathis (Décembre 2014) : Extrait n° 5

Souvenirs...

Fin du journal de Mathis (Juin 2018) : Extrait n° 6

La dernière séance

Bien plus tard

La première fois. (Mars 2143)

Il n’y a rien à faire...

Encore attendre puis mourir. La nouvelle a été confirmée ce matin par ma petite infirmière. Elle a des cheveux blonds, bouclés. Son regard lumineux de compréhension s’est posé sur le vieillard que je suis. Elle m’a dit :

- C’est arrivé hier soir !

Je m’en doutais. J’ai levé les sourcils, j'ai fait un signe du menton prouvant que j’avais entendu et je me suis retourné sur le côté. Pas pour dormir. Le sommeil ne reviendra pas. Mais pour méditer. A la pendule, sur le mur blanc, il est neuf heures trente. Les minutes passent sous les paupières que je tiens fermées. Et certaines images du passé défilent à grande vitesse. Ces belles journées, ces magnifiques journées que j’ai eu la chance de vivre.

Moi seul peut les raconter ! Moi seul doit les raconter !

Les enfants ont eu raison de me faire venir ici, de s’occuper de ma vieille carcasse afin de réactiver ma pauvre mémoire défaillante. Ce travail qui me tient encore en vie, plus que la médecine, plus que les mille soins dont je suis l’objet dans cette maison de lumière.

Je vais fêter mon anniversaire. Encore un...

Puis le quotidien a repris son mouvement inexorable. J’ai ouvert les yeux et la jolie Sara s’est occupée de moi. J’ai du mal à accepter cela. Mais je suis obligé de reconnaître que ma vie s’est beaucoup améliorée depuis que je suis placé dans cette université de la mémoire. Les quarante années que j’ai passé comme un loup solitaire, blessé, terré dans un minuscule refuge parisien m’ont laissé des traces profondes de souffrance. J’étais résigné à crever, seul, sans que cela se sache. Je pensais que l’on m’avait oublié mais c’était sans compter avec les enfants.

Dans le grouillement de la vie, par je ne sais quel caprice du destin, j’ai atteint cet âge canonique de cent-trente-neuf ans. Toutefois, quand mon corps dont j’ai usé et abusé, par l’alcool et la nourriture, m’a lâché aux alentours de quatrevingts-dix ans, j’ai eu la chance de conserver un esprit sain, par lequel, en toute lucidité, je n’ai eu de cesse, chaque jour, de me torturer sur ma condition et aussi sur la solitude dans laquelle je m’étais englué depuis que ma famille n’existait plus.

Les enfants, en début de cette soirée de l’an 2094, ont donc débarqué dans mon logis.

J’étais attablé dans la cuisine. Je regardais dans mon assiette ce potage que m’avait cuisiné une jeune voisine, une enfant de dix ans, puisqu’il n’y avait plus qu’eux, et que je payais régulièrement pour s’occuper de mon intérieur et aussi de ma nourriture. Sauf que ce jour-là, la petite était pressée et qu’elle était partie rejoindre son amoureux avant même de se rendre compte que je n’avais rien d'autre à manger. Mais qu’importe ! Un vieillard n’avait pas de grands besoins et ce liquide clair, à peine tiède, me permettait, une fois encore, de replonger dans une réflexion qui ne laissait présager rien de bon en ce qui concernait ma future nuit de sommeil.

Les enfants ne m’ont pas laissé le choix.

Ils m’ont expliqué, du haut de leur petite taille, avec leur voix fluettes, mais aussi avec l'assurance de leur monde, qu’ils étaient venus spécialement me rendre visite. Il existait un programme de regroupement des personnes âgées. C'était récent. Ce projet était dans sa phase de démarrage. Comme témoin direct et privilégié de la révolution j’avais droit à des égards. J'étais parmi les premiers de la liste. Ils désiraient m'aider.

Ils m’ont bien soigné... Grâce aux progrès énormes qu’avait fait la médecine depuis que les enfants en étaient les garants j'ai retrouvé une certaine vitalité. Je n’ai pas été heureux, je n’ai pas été malheureux. J’ai eu moins mal dans mon corps, dans mes souffrances. Dans cette belle maison de confort il y avait d’autres personnes âgées avec qui parler, et quelques femmes aussi dont j’ai cru tomber amoureux, par un amour de vieillard qui passe ses journées à dire ce qu’il aurait fait s’il avait été plus jeune. Le temps s’est écoulé ainsi en me faisant oublier le passé.

Puis il y a maintenant bientôt deux ans, ce cher Abaï Bator est venu me voir. Je ne le connaissais pas mais je savais qui il était. Je vivais dans un autre établissement de confort. Le dernier établissement regroupant des vieux. Je faisais partie de cette poignée d’adultes encore vivants, de ces doyens de l’humanité, de cette pauvre, si misérable humanité qui avait été incapable de conserver la confiance de ses enfants. Avec sa façon bien à lui de convaincre, il m’a demandé d’accepter de le suivre au sein de son université, de me prêter à cette expérience de mémoire. Ce n’était pas l’heure pour moi de quitter ce monde. Je bénéficiais ainsi d’un autre sursis. Le côté noble de cette mission ne m’échappa point pour autant mais j’avoue humblement qu’il passa au second plan.

Aujourd’hui, je dois me rendre à l’évidence.

Malgré les nombreux soins prodigués à l’hôpital durant ces nombreuses années, malgré les nouveaux médicaments, le rafistolage sophistiqué de mes organes, et du remplacement des pièces défectueuses, du remodelage aussi des traits de mon visage, de mon corps, la machine humaine qui est la mienne semble arriver à son terme.

Mes cellules ne peuvent plus se régénérer. Je n’ai plus l’âge de mon physique. Je ne possède plus la vigueur d’antan. Le visage que me reflète le miroir reste souriant. Sous la barbe blanche, fournie, taillée régulièrement par les petits doigts experts de Sara, ce visage est celui d’un homme de soixantedix ans, bien conservé, beau et fier.

Mais sous ces traits lissés, il y a un personnage bien plus âgé qui a perdu le compte des années.

Ensuite, ce sera le petit déjeuner dans le joli salon ouaté qui m’est personnellement réservé. Je demanderai alors de me rendre sur la terrasse pour contempler l’océan dans l’espoir de voir un voilier solitaire dont la trace blanche d’écume marquera pour un instant éphémère le bleu profond de l’eau. Ce rendez-vous rare de plénitude m’est devenu nécessaire pour affronter la première séance de travail. Il me pousse pour avaler le reste de la journée qui pèse lourdement sur mon esprit.

C’est pour cette raison qu’ils sont venus me chercher dans ma maison de confort. Je dois me plier à cet exercice deux fois par jour, en fin de matinée, et après la sieste obligatoire. Au début, je ne voulais pas... Je n’avais jamais fait ça. Pour moi, dormir dans la journée, c’était une perte de temps, de la bonne vie gâchée. Pourquoi n’avait-t-on encore rien inventé pour éradiquer cette pénible servitude nocturne ?

Cependant les enfants ont eu encore raison.

Le besoin de se reposer lorsque la vieillesse harcèle le corps est une cuisante nécessité, une véritable leçon d’humilité. Bien sûr les journées paraissent plus courtes mais elles sont aussi plus intenses. Je les déguste avec un plaisir évident, m’y accrochant avec tout le poids de mon énergie par cette conscience exacerbée que j’ai du temps qui s’écoule. Je sais que si je me repose, j’en retirerai des bénéfices.

Pourtant aujourd’hui est différent d’hier. Les enfants ont-ils prévus quelque chose ? Une fête avec un gâteau sans doute car ils aiment bien ça !

Je suis habillé. Debout, en équilibre précaire, le dos appuyé contre le mur de la chambre, je suis tourné légèrement vers la gamine. J’attends sagement tandis qu’elle range le pyjama et mes affaires de toilette. Puis elle me fait asseoir avec sa prévenance habituelle sur mon siège, une machine adaptée à mon physique d'adulte et qui m’a permis de retrouver une mobilité puisque mes jambes ne m'obéissent plus.

- Ce matin vous prenez votre petit déjeuner avec Abaï Bator.

- Ma chère Sara, aujourd’hui, c’est spécial, n’est-ce pas ? Cela devait bien arriver... Où est-il ?

- A l’étage intermédiaire.

La petite infirmière est pressée. Elle file le long du couloir et trotte vivement certaine d’être suivie par son protégé. Je n’ai qu’à exercer une pression du doigt pour lui emboîter le pas. Plus loin, un large ascenseur chromé nous avale et nous entraîne à deux cent mètres sous le niveau de la mer. Puis ce sont d’autres couloirs, d’autres portes. Ma main est marbrée, gainée d’une peau transparente, propre à ceux qui n’ont plus d’âge. Elle manie avec un mélange de douceur et de fébrilité les commandes de la chaise. C’est comme un jeu d’enfant. Le vieux bonhomme s’amuse sans complexe. Pourquoi en aurais-je puisque le monde n’est qu’un vaste terrain de jeu ? C’est la seule certitude que j’ai en cet instant.

Le jeune Abaï Bator contemple l'immense aquarium. Il est habillé de noir. Il se retourne à notre arrivée et sa bouche se fend d’un sourire tandis que ses yeux bridés se plissent dans un imperceptible mouvement. Au cou, en évidence, il arbore une médaille en or avec un aigle gravé. C’est le signe de ses origines. Il descend d’une noble famille d’aigliers kazakhs, ce peuple de Mongolie décimé par la bêtise humaine.

Les chaetodons qui tournent autour d’un obélisque de corail est un spectacle dont il ne se lasse jamais. Il jette encore un dernier coup d’œil sur ces microphages omnivores dont le plus coloré, un mâle, broute délicatement le tapis des algues. Puis il s’extrait de sa rêverie mouillée et il m’accueille d’un autre sourire plus cordial.

- Félicitations mon cher Alex ! Vous entrez dans l’histoire de l’humanité par la grande porte. Vous voilà donc immortel.

- Un immortel qui ne va pas tarder à mourir.

Le gamin éclate de rire.

- Vous savez bien que la mort, c’est l’oubli. Votre nom est lié désormais à l’histoire de l’humanité. Même si cela vous déplaît c’est ainsi. En attendant, je vous propose de partager un chocolat. Il fait un soleil magnifique. Nous pourrions en profiter là haut... Qu’en dites-vous ?

Nous voilà repartis dans l’ascenseur qui nous propulse vers l’étage supérieur. Le garçon s’adresse à la machine avec une voix neutre pour lui indiquer l’étage désiré. Cinq secondes plus tard nous débouchons sur un vestibule vitré dominant les îles Maldives. Le paysage est sublime, immuable... Un télescope trône au milieu. Abaï Bator branche le son et le dirige sur la plage la plus proche. Les branches des cocotiers oscillent légèrement. Le rire d’enfants nus qui jouent dans les vagues nous parvient comme si nous étions avec eux. Ceci malgré les kilomètres qui nous séparent. A regret, Abaï abandonne l’appareil et me précède dans un long couloir à ciel ouvert. Le vent nous gifle violemment. Puis une porte s’ouvre à la vue de la silhouette du garçon.

Abaï Bator est chez lui, dans son appartement privé, réservé à son usage personnel puisqu’il est le directeur en titre de la cité numéro cinq. Une brunette, très stylée, nous a déjà servi le petit déjeuner. Elle semble avoir une dizaine d’années.

- Goûtez-moi ce chocolat ! C’est une merveille.

La discussion est mondaine... J’attends surtout que l’enfant veuille bien me dire ce qu’il a dans la tête.