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Sur la balustrade un oiseau me regardait. Mon oiseau ! C'était une hallucination... Le psychiatre m'avait expliqué ce processus diabolique... Lorsque mon cerveau se mettait au travail, qu'il élaborait des hypothèses fumeuses et tortueuses, lorsqu'il cherchait avec énergie l'astuce capable de confondre un criminel, cela au prix d'une immense cogitation, un oiseau apparaissait et me causait dans un langage que moi seul comprenait. Le commissaire Visconti est désigné par le maire de Toulouse pour aller aider la police égyptienne à résoudre la disparition d'un de ses vieux amis, un éminent égyptologue qui faisait partie d'une croisière sur le Nil. Les cadavres sur lesquels on retrouve à chaque fois, un exemplaire du roman d'Agatha Christie, "Mort sur le Nil", vont jalonner la croisière, pas si paisible que cela, entre Louxor et Abou Simbel. Le commissaire Marcello Visconti et son piaf vont seconder le lieutenant Dalida, une jeune femme aux multiples talents, au cours de ce dangereux périple. Cependant, notre commissaire sera dans l'obligation de rentrer à Toulouse, une première fois, puis de repartir, pour enfin revenir et percer, au final, le fameux secret de l'oeil d'Horus.
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Seitenzahl: 358
Veröffentlichungsjahr: 2021
Musée Georges Labit
David Marchand était attendu au port
L'hélicoptère se posa devant l'étang
Ma conductrice s'appelait Dalida
C'est une menace ?
Un policier éclairait la scène
C'était des convocations
Vous pouvez me dire ce que vous cherchez
Alors de quoi est-il mort ?
J'étais complètement abasourdi
Nous nous étions levés ensemble
Au cours du repas mon entrée fit sensation
Nous étions les messagers de la mort
Le serveur nous apporta nos plats
Je me déshabillai vite fait
La traduction doit être interprétée
Il y avait un quatrième homme
Ce n’est pas malin
Quelle arme ?
Le bougre était sacrément dangereux
J’avais reconnu un Beretta
Allez ! Salut la vie…
De parler boulot lui fit le plus grand bien
Je vais éclairer ta lanterne
On resta toute la matinée
Ce type était accroc à l’herbe
C’est le bon moment
Je fis volte-face
Je ne comprends pas ce que je fais ici. Je suis étendu sur le sol et j’ai mal à la nuque. Il fait noir et devant moi, un rayon de lumière éclaire le visage d’une petite fille. Ce rayon provient de la torche qui m’a échappée des mains. Je ne vois pas d’autres explications car je sais que c’est la mienne.
La petite fille est minuscule. Est-ce mon imagination ? Elle est nue et se tient droite comme un piquet. Son bras droit est collé à son corps et l’autre posé en travers de sa poitrine, sous ses jolis seins menus. Son visage est hermétique.
Je rampe avec difficulté vers la torche car j’ai toujours mal. Dès que je peux m’en saisir je l’oriente un peu plus haut. Cette fois-ci, j’aperçois deux géants, comparé à la taille de la petite fille. Un homme avec une barbe noire carrée et des cheveux tressés. Il fixe quelque-chose au-dessus de moi. Il est vêtu d’un vêtement ocre. Son bras gauche est posé sur les épaules d’une femme, avec des yeux immenses. Elle aussi possède une chevelure abondante. Ils sont installés sur une sorte de banc en pierre. La petite-fille semble encore plus fluette, dressée ainsi entre leurs pieds.
Voilà ! Cela me revient. C’est la famille Renout. Ils ne sont pas réels. C’est un ensemble statuaire égyptien en calcaire peint. Si je me souviens bien, il y a aussi de chaque côté, la représentation de leurs deux fils. Cette statuette provient de Thèbes. Merde ! On m’a assommé et soudain l’angoisse saute comme un bouchon de champagne. J’ai brusquement envie de vomir.
Je suis toujours incapable de me relever. La lumière de la torche vacille dans l’obscurité et se fixe sur Isis allaitant son fils Horus. Cette fois c’est un bronze de la basse Égypte. Et plus loin, c’est encore lui, mais représenté sous la forme d’un faucon pèlerin. Un autre bronze incrusté. Les yeux sont en obsidienne et le larmier en lapis-lazuli. Un larmier c’est le coin des yeux où les larmes s’écoulent. C’est le conservateur du musée qui me l’a dit. Je suis affecté au musée Georges Labit depuis quinze jours et ce n’est pas parce que je ne suis qu’un simple vigile que je ne m’intéresse pas à l’art. Au contraire ! J’ai sauté de joie quand le chef m’a nommé sur ce nouveau poste de nuit. Je viens à peine d’être titularisé.
Peu à peu, mes forces me reviennent. Je me tiens debout et je braque la torche vers la vitrine. Je remarque que la serrure est fracturée et qu’il manque une pièce. Une seule, car je viens de voir les autres. La peur revient comme un boomerang. Je pivote et je me trouve nez à nez avec un autre homme. Celui-là, n’est pas en bronze ni en calcaire. Je ressens une douleur fulgurante dans le ventre qui me coupe le souffle. Je me plie en deux et je m’écroule à nouveau sur le sol.
Je tente de garder le peu de conscience qui me reste pour ne pas sombrer. Je me laisse aller sur le côté et j’observe un court instant mon agresseur. Je ne distingue qu’une ombre. Il a pris la torche et m’éblouit avec. Il a une arme. Un révolver ou un pistolet. C’est avec cela qu’il m’a frappé au ventre. C’est un cambrioleur et je n’ai rien vu venir. Avant que je reprenne mon souffle, l’inconnu m’a posé le canon sur la tempe. Je comprends qu’il va me tuer.
Je voudrais lui dire que je n’ai pas vu son visage. Mais la peur me cloue la langue. Je suis incapable de parler.
Je pense à ma mère qui ne m’a jamais dit qu’elle m’aimait. Et à l’indifférence de mon père. L’une c’est le pognon de la famille qui l’intéresse et l’autre c’est le tabac et l’alcool. Mais je ne vaux pas mieux ! Depuis que je suis môme, je n’ai pas cessé de les faire chier. Je leur ai tout fait. Je leur ai rendu la monnaie de la pièce. Mais dans ce musée, avec ce canon froid sur ma tête, je voudrais qu’il en soit autrement, et leur dire, malgré tous leurs défauts, que je les aime.
Il y a aussi Emilie, qui vit à Lyon et à qui j’ai fait un enfant avant de la fuir lâchement pour me réfugier dans la maison familiale avec tout son confort. Fric et employés de maison… Je n’ai pas été fichu de faire des études. J’ai baigné dans le confort et dans la fumée du chichon. J’ai fait l’armée et je l’ai quittée dès que j’ai pu. Le seul job que j’ai réussi à décrocher, c’est celui-là. Simple vigile. Diplôme que j’ai obtenu avec difficulté au bout de quinze jours de formation à Blagnac. Le jour de l’épreuve, j’ai failli tout foirer car j’avais bu un peu trop pour me donner du courage. Au sous-sol de l’hôtel, dans la chaufferie, il y avait un mannequin qui était étendu. Il tenait un fil électrique dans la main. J’ai failli me précipiter pour le tirer par les pieds mais je me suis souvenu à la toute dernière seconde qu’il ne fallait jamais faire ça. Sinon on était mort. Qu’il convenait de couper le jus avant de porter secours à la victime. Puis j’ai pratiqué les gestes essentiels des premiers secours, bouche-à-bouche et massage cardiaque. Le capitaine des pompiers, ainsi que le chef de la sécurité de l’hôtel, m’ont donné une note à peine moyenne. Ils avaient capté mon premier geste et j’avais brisé les côtes du moribond car mon massage cardiaque avait été trop violent. Pourquoi je pense à ça ? J’ai la bouche sèche mais je sens que je vais parler. Je le dois si je ne veux pas crever. Pourquoi le type a-t-il enlevé le canon de ma tempe. Il vient d’y poser quelque-chose de doux à la place. Mais c’est quoi ? Merde ! On dirait un vêtement, un pull ! Mais pourquoi ? Je ne…
La France venait de battre l'Argentine pour son premier match de la coupe du monde de rugby sur le stade flambant neuf de Tokyo. Un combat rude, où les bleus avaient brillé en première mi-temps mais qui avaient bien failli tourner en débâcle durant la seconde partie. Pour une fois la chance s'était rangée du côté de l'équipe nationale, grâce à une pénalité ratée de l'Argentine à la dernière minute de la rencontre. Ouf ! On l'avait échappé belle, avait prononcé David Marchand à son voisin de gauche. Celui-ci, avait posé la Dépêche sur la tablette devant lui et avait tourné la tête vers cet inconnu qui venait de lui adresser la parole. Il prit conscience que cet homme avait parlé un peu fort mais en voyant les oreilles de ce type, bouchonnées par des écouteurs, il sut qu'il avait à faire à cette catégorie de gens qu'il n'aimait pas, celle des supporters. David avait eu les yeux rivés sur son téléphone, et il n'avait eu de cesse de bouger, de sursauter, et de souffler comme un bœuf depuis l'instant où il avait pris place sur son siège à côté du hublot de cet Airbus, qui pour une raison ignorée, s'attardait depuis plus de vingt minutes sur la piste de l'aéroport de Blagnac. Excédé, le passager, derrière son journal bougonna :
- Si cela continue je me demande à quelle heure on va arriver à Louxor ?
David Marchand avait toujours ses écouteurs et il n'avait rien compris à la remarque de son voisin. Il les enleva et dit de la façon la plus naïve qui soit, pensant qu'à cet instant précis la France entière ressentait la même émotion que lui :
- C'est génial ! Je suis sûr que nous avons une chance d'aller en quart et même plus loin !
L'homme reprit son journal et profitant du passage de l'hôtesse il demanda :
- On décolle quand ?
- Dans cinq minutes, répliqua l'hôtesse pour la dixième fois.
L'homme haussa les épaules et ouvrit largement le journal pour faire barrière à ce gêneur qui l'emmerdait copieusement. Encore un, se dit-il, qui disait « nous » en parlant d'une équipe de sport au lieu de dire « ils ». L'identification des masses populaires à tout ce qui portait les couleurs tricolores sur un stade ou ailleurs l'horripilait. Enfin, l'avion se bougea et se positionna sur la piste.
David Marchand avait bien compris le message du paravent en papier. De son côté, il voyait d'un mauvais œil tous ces bobos écolos qui ne buvaient jamais de bière et qui snobaient les gens du peuple qui s’enthousiasmaient pour les grandes rencontres de foot ou de rugby. Lui était issu de ce terreau. Il y avait grandi et cela ne l'avait pas empêché de faire des études et de réussir sa vie. Il avait été surtout bien plus malin que les autres et, même si certains souvenirs venaient parfois gêner son sommeil, il s'en était parfaitement accommodé. Il regarda sa montre Rolex en or et il marmonna entre ses lèvres :
- Pauvre con !
Ce que l'autre avait certainement entendu au vu du froissement de la page qui venait d'être tournée.
L'avion se posa sur l’aéroport international de Louxor alors qu'il faisait déjà nuit sur la ville. Chacun prit son bagage à main et s'enfila dans les couloirs, pressé de récupérer ses valises, et de passer les formalités.
David Marchand était attendu au port. C'était un homme grand et mince avec un visage en triangle avec un bouc poivre-sel qui en accentuait la géométrie. Un vrai visage de satire, se plaisaitil à ironiser lorsqu'il se regardait dans le miroir du matin. Ses yeux clairs, sous des sourcils épais et désordonnés, s'étiraient en longueur, un souvenir d'un peuple asiatique, devenu sédentaire dans le centre de l’Espagne, dont était native sa mère.
Le taxi zigzaguait dans le flot des voitures. Un autre aurait eu peur mais ce n'était pas son premier séjour en Égypte. Le quai, à cette heure tardive était désert. Un homme qu'il avait appelé, cinq minutes auparavant, tardait à venir... Il régla le taxi et sa valise au sol, il attendit. Il en profita pour allumer une cigarette. Son regard accrocha le message explicite, sur le dos du paquet, qui mettait en garde contre la nocivité du tabac : « fumar mata ». Il n'en avait rien à fiche des recommandations hypocrites sur la santé de ses concitoyens. L'état se gavait juste sur les taxes. Et le cancer du poumon coûtait moins cher à la sécurité sociale. Ainsi allait le nouveau monde. Il avait l'habitude de se rendre à la Junquera, faire le plein de cartouches, et aussi d'alcool. Avec, de temps à autre, une visite dans un hôtel où il savait trouver de quoi satisfaire son appétence sexuelle. Malgré ses soixante-neuf ans, il se sentait un homme accompli quand il s'agissait de s'envoyer une pute. La ville frontière espagnole avait une belle réputation, notamment auprès des chauffeurs poids-lourds. Un sourire idiot s'étala furtivement sur son visage. Sa pensée avait cliqué sur l'image d'une petite chambre minable où il retrouvait cette fille incendiaire et particulièrement chère ; pour cette raison il ne fit pas attention à l'homme qui descendait du débarcadère. Celui-ci s'approcha par derrière, et lui tapa dans le dos. Revenu à la réalité il se retourna.
- Tu n'as presque pas changé.
- Banalité ! Mon vieux... Tu sais bien que les années sont là... C'est bizarre ce qui nous arrive. Tu ne penses pas ?
David Marchand tira une bouffée sur sa cigarette. Cela datait ! Une bonne trentaine d'années. S'il était là, c'était pour les mêmes raisons que son ancien collègue.
- Écoute ! reprit Amada Youssef. Allons sur le bateau ! Je vais te conduire à ta cabine. Le repas est servi dans une heure. On a le temps de prendre un verre au bar en attendant. Cette histoire m'intrigue sérieusement.
Amada Youssef avait été un des collaborateurs du célèbre ex-ministre des Antiquités, Zahi Hawass, qui avait exercé avec une certaine autorité entre 2002 et 2010. Cet homme avait la sinistre réputation d'humilier les journalistes. Aujourd'hui, il était encore une pointure, crainte et respectée… Ceci pour dire qu'Amada Youssef avait été à la bonne école.
David Marchand défit sa valise et rangea avec soin son contenu dans le placard de sa cabine. Le bateau possédait trois étages et la sienne était à l'avant, au second niveau. Il tira les rideaux mais il n'aperçut que le miroitement des lumières sur le noir des eaux du Nil. Le ciel était couvert et il n'y avait aucunes étoiles suspendues là-haut. Il rabattit d'un coup sec le rideau. La beauté du fleuve, sur un écran de lune dénudé, le laissait froid car il avait autre chose en tête.
Au bar, il retrouva Amada.
- Peut-on avoir un verre de whisky sur ce rafiot ? demanda-t-il au serveur qui ne parlait qu’anglais.
La salle se remplissait... Une bonne centaine de plaisanciers qui allaient faire partie, comme lui et comme Amada Youssef, de la croisière qui allait les conduire jusqu'aux Éléphantines et, pour ceux qui le désireraient, jusqu'au au temple d'Abou Simbel. La majorité était des fonctionnaires territoriaux en activité ou bien à la retraite de la mairie de Toulouse. Quant au reste, c'était leur homologue du ministère des Antiquités du Caire. Marchand et Youssef semblaient être parmi les doyens de ce groupe, assez bruyant pour l'heure. Au bar, le toulousain se saisit de son verre tandis qu'Amada remuait son verre de thé à la menthe. Il n'était pas question de boire de l'alcool en public !
Deux jeunes femmes se présentèrent. Une française à l'accent du midi, au visage rosé, et une égyptienne au regard étincelant. Celle-ci aussi brune que sa copine était blonde. Elles étaient les animatrices qui allaient orchestrer la croisière. La blonde prit le micro. Elle s'appelait Nathalie et elle s'occupait notamment de toute l'organisation. A son tour, Yasmine expliqua qu'elle serait de toutes les visites et que c'était elle qui les guiderait et qui leur fournirait toutes les explications historiques, toute fière de son master en histoire.
Les deux compères échangèrent un regard complice.
David jeta sèchement :
- Elle va sans doute nous en apprendre, cette petite pute !
- A ce propos, j'ai lu ton dernier livre sur Ramsès II. Cela ne t'a jamais lâché la passion, monsieur le conservateur ? Pourtant tu aurais pu passer à autre chose, après…
- Et quoi faire d'autre ? J'ai passé des années à étudier l’Égypte ancienne. Toi tu es bien resté dans le giron de Zahi Hawass, tant que tu as pu. Si aujourd'hui, tu es arrivé en haut de la hiérarchie, c'est bien grâce à lui... Au fait, pourquoi tu n'es pas à la retraite comme moi ? On a presque le même âge.
- Le régime de retraite en Égypte n'a rien à voir avec le tien.
- Tu vas me faire pleurer ! Je ne parle pas de ça.
- Tu as raison. Heureusement que je ne compte pas sur ce genre d'indemnités. Disons que je suis comme toi. Cela me passionne.
Les deux hommes éclatèrent d'un rire rapide et retrouvèrent très vite leur air de conspirateur. Amada demanda :
- Tu as reçu la lettre ?
- Oui ! répondit David, sans oser en dire plus.
La salle à manger comportait une vingtaine de tables nanties de belles et lourdes nappes en coton, avec des serviettes assorties. Nathalie plaça les convives à leur table respective. Les deux hommes n'étaient pas ensemble. Les confidences seraient pour plus tard.
Autour de la table de David Marchand, il y avait six personnes. Deux couples de vieux et un autre de jeunes gens, des novices en ce qui concernait la vie maritale. Lui avait été marié onze ans, puis un jour, il s'était débarrassé brutalement de sa femme qui l'encombrait. N'ayant pas d'enfant, et surtout un bon avocat, il avait évité le pire. Il avait de l'argent mais il n'aimait pas le dépenser en futilité. Dans son esprit, son épouse avait été une erreur de jeunesse. Et depuis, il s'était tenu éloigné des femmes amoureuses. Il donnait sa préférence à celles qui tarifaient leurs prestations sexuelles. Il était donc le seul célibataire de sa table. A sa gauche, une femme, une brune piquante, alerte pour son âge, monopolisait la conversation. C'était une ancienne cadre de l'urbanisme. Son mari, à sa gauche, était lui aussi retraité. Il avait été le patron de la police municipale de la ville rose. Pour l'heure, il matait sa voisine de gauche. Une belle femme plantureuse qui n'hésitait pas à s'afficher avec un chemiser noir en dentelles et transparent à travers lequel un soutien-gorge rouge appelait sans équivoque au crime de la chair. Le mari était psychanalyste. La tenue excentrique et provocante de sa moitié semblait ne pas le déranger. Bien au contraire… Les apparences étaient cependant souvent trompeuses et David Marchand était bien placé pour le savoir. Quant aux deux jeunes amoureux, ils étaient aux anges. Ils venaient juste de se marier. C'était leur premier grand voyage.
De temps à autre David coulait un regard vers la table voisine ou Amada Youssef dînait. Il était entouré lui aussi de couples. Mais à la différence, lui s'était marié, et il avait eu des enfants. Tout ce que David exécrait. L'égyptien n'était pas venu pour le plaisir et il était seul. Le Nil avait été son lieu de travail durant des années. Il l'était encore... Pour lui, c'était le dernier endroit où passer des vacances.
Le repas terminé, dans le brouhaha de fin de soirée, il rejoignit Amada qui l'invita au bar du grand salon pour boire un verre.
Le fonctionnaire des Antiquités commanda un thé spécial en coulant des regards soupçonneux autour de lui. La barmaid eut un sourire complice et discrètement lui versa du whisky dans sa tasse. Elle poussa le jeu en lui demandant s'il désirait du sucre. Il haussa les épaules et faillit injurier la jeune fille. Il se ravisa à temps. David connaissait cette façon de pratiquer, surtout en période de ramadan, et dans le cercle bien sûr d'une certaine élite. Il réclama la même chose mais dans un verre et avec une double dose. Il n'appréciait pas les quantités ridicules que l'on servait habituellement dans les bars. Il demanda à Youssef :
- Tu me montres la lettre ?
Ils restèrent ensemble un moment. Puis l'égyptien s'en alla et le toulousain réclama la bouteille. Il étala un billet de cinq-cents sur le comptoir et s'installa dans un fauteuil. Il picola une heure durant en relisant plusieurs fois la lettre, celle qu'il avait reçue et qui ressemblait en tous points à celle de Youssef. La bouteille en prit un sacré coup puis, d'un pas chancelant, il regagna à son tour sa cabine.
Malgré ses années l'homme tenait une forme physique qu'il avait intelligemment entretenue. A l’exception de quelques problèmes de thyroïdes l'ensemble fonctionnait pas mal. Il se déshabilla et débrancha la climatisation pour éviter d'avoir des crispations aux épaules. En cette saison, la température nocturne oscillait autour d'une vingtaine de degrés. Le taux d'humidité était important. En réalité, c'était une mauvaise période pour visiter la région. C'était pour cette raison que les prix des tour-opérateurs étaient attractifs.
A peine eut-il fermé les yeux, que les gros moteurs diesels se mirent en branle. La coque du bateau trembla et cela le dégagea brutalement de son premier sommeil. Durant la manœuvre, la cabine tangua légèrement. Ensuite, les moteurs cessèrent et le calme revint à bord. Le capitaine avait sans doute ses raisons. De toute manière, il n'était pas prévu de remonter le fleuve cette nuit puisqu’il y avait la visite du temple de Louxor, le matin et celle de la vallée des rois dans le courant de l'après-midi. David Marchand se retourna et ferma les yeux. Il pensa un moment à la discussion qu'il avait eu avec Youssef, et finit par s'endormir. Il ronfla plus que de coutume à cause de l'alcool. A trois heures du matin, il se réveilla et fut obligé d'aller pisser. Il avait la gorge sèche et pesta intérieurement car il n'avait pas acheté de bouteille d'eau. Il n'était pas question de boire celle du robinet. Il se remit dans le lit et resta éveillé jusqu'au petit matin.
David Marchand s'était réveillé de bonne heure. Il avait mal au dos. Il se leva et s'habilla avec lenteur. Il enfila sa saharienne et décrocha son éternel sac en cuir qu'il portait en bandoulière lors de ses déplacements. Une vieille habitude. Il y avait dedans sa vieille paire de jumelle, un Laguiole, un appareil photo, et son carnet à croquis. Les cigarettes, le briquet, les lunettes et le téléphone avaient leur place dans les poches plaquées de sa saharienne beige. Ce n'était plus vraiment la mode, cela faisait clicher, archéologue mondain, mais il n'en avait cure... Il était d'une humeur épouvantable. Sur le point de sortir de sa cabine, il vit qu'un papier avait été glissé sous sa porte. Il se pencha et s'en saisit. Il le lut et le glissa dans sa poche. Il retourna à sa valise et en sortit un objet entouré d'un chiffon. Il le soupesa et il le rangea dans son sac. Puis il sortit.
Après le petit-déjeuner, pris à la même table que la veille, avec les mêmes convives, David Marchand se leva le premier et s'en alla à l'entrée du bateau. Son compère, installé à la table, juste à côté, avait compris la manœuvre. Il avait avalé d'un trait son thé et il l'avait rejoint.
Devant le trépied qui affichait le programme de la journée, ils purent échanger à peine quelques mots mais ils furent dérangés par la belle guide égyptienne. Yasmine savait qui il était et cela lui plut. Il se demanda si elle était vénale.
- Bonjour chers messieurs ! Cette première journée est assez classique. Je vois que vous lisez mon tableau. J'espère que je n'ai pas fait d'erreur... et j'avoue que votre présence érudite me met un peu la pression. Je voulais vous dire que si vous jugez bon de prendre la parole, au cours de la visite, je n'y verrais aucun ombrage.
L'ancien conservateur toulousain répondit d'un ton aimable qu'il lui faisait entièrement confiance. Il n'était pas venu pour se faire valoir et donner une conférence. Il lui expliqua que des amis lui avaient offert ce voyage et il en avait profité pour demander à son ex-collègue, Amada Youssef, de le rejoindre sur la croisière pour évoquer le bon vieux temps.
Très vite, le groupe de touristes grossit et ils descendirent tous sur le quai. Il faisait relativement bon malgré l'heure matinale. Des nuages gris stagnaient sur le fleuve. La météo annonçait une éclaircie. Septembre en Égypte était relativement chaud et sec. La température pouvait osciller entre 25 et 40 degrés. Les bus attendaient, moteur au ralenti, et chacun monta dedans, la plupart pressés de découvrir les merveilles de Louxor. David Marchand et Amada Youssef s'en fichaient complètement. Ils allèrent se réfugier sur la banquette du fond, au beau milieu, une attitude pour décourager ostensiblement la venue d'autres personnes à leur côté. Durant le parcours les deux hommes se parlèrent à voix basse.
Le bus avait eu du mal à se frayer un chemin dans le dédale de la circulation. De nombreuses calèches, des chariots tirés par des chevaux ou des mules, des cyclistes, des mobylettes, des voitures, encombraient les rues dans un tintamarre incessant. Sur le parking du temple, il y avait déjà beaucoup de monde… Des marchands ambulants se précipitèrent à leur rencontre pour tenter de leur vendre des petites statuettes ou autres babioles. La guide leur intima de les laisser tranquille mais cela ne servit à rien.
Yasmine agita son chapeau de paille et expliqua que c'était son signe de ralliement. Puis, comme la bergère avec son troupeau de moutons, elle poussa son petit monde vers l'entrée du temple et exhiba son billet de groupe. A l'écart, les deux égyptologues regardaient d'une œil blasé les touristes ébahis, plantés comme des artichauts, devant le majestueux portique du temple et le grand obélisque qui pesait ses 375 tonnes. Ces hommes et ces femmes semblaient écrasés par tant de grandeur. Pour ceux qui débarquaient pour la première fois en Égypte, cette première rencontre était à couper le souffle. Les obélisques servaient à percer le ciel pour attirer les énergies positive du cosmos sur les temples. En 1836, le célèbre Champollion, né à Figeac, avait fait expédier la sœur jumelle de l'obélisque à Paris, cela va sans dire, avec quelques difficultés. Elle trônait de nos jours au milieu de la place de la Concorde. Mais elle ne crevait plus les nuages pour recueillir la sagesse du ciel.
David Marchand sortit son paquet de cigarette et en offrit une à Amada Youssef qui refusa. Celui-ci paraissait anxieux.
- Cette lettre me laisse perplexe. Si c'était un piège ?
Le français ne répondit pas de suite. Il alluma une cigarette et observa une chinoise qui faisait un selfie devant un des sphinx de l'allée qui reliait à l'époque les temples de Louxor et celui de Karnak. Tous les sphinx avaient la tête de Ramsès II. Un mur de briques en terre les séparait des immeubles d'habitations. Ce pharaon était à l'origine du temple au XIII siècle avant notre ère, ayant poursuivi ainsi l’œuvre de son prédécesseur Amenhotep III. Cette allée était longue de quatre kilomètres environ dont il ne restait qu'une petite partie visible. Le reste était enfouie sous la ville. La chinoise souriait bêtement à son téléphone dans des attitudes ridicules.
- A notre époque, répondit David Marchand, il fallait demander à quelqu'un de vous photographier.
- Je te parle de la lettre ! s'impatienta l'égyptien.
- Que risque-t-on ? C'est ancien cette histoire, mais je voudrais bien savoir avant d’être trop vieux ce qu'il est devenu…
- Quoi donc ?
- Tu sais bien ! Le coffret…
- Si tu le dis... Mais je ne peux m'empêcher de me méfier. J'ai trop à perdre.
- Certes ! Mais tu es venu et la curiosité est la plus forte.
- Oui je l'admets mais je commence à me demander si j'ai eu raison de faire le déplacement.
La guide leur fit signe de se dépêcher. Ils étaient les derniers.
Le groupe était passé sous le regard impassible de deux statues géantes qui gardaient l'entrée. Ces colosses, il n'en restait que deux sur les six, étaient encore à l’effigie du pharaon.
David jeta sa cigarette allumée et ils la rejoignirent. Ils passèrent, sous le pylône monumental qui était décoré avec des scènes de la bataille de Kadesh. Le pharaon, encore jeune homme, y avait affronté, en compagnie de son père, les Hittites, un peuple de Syrie. La bataille s'était soldée par un match nul, mais Ramsès s'en était glorifié pour magnifier sa grandeur. La nature humaine ne changeait jamais.
Le groupe était arrêté à l'entrée de la cour du pharaon, ornée de soixante-quatorze colonnes papyriformes sur deux rangées. Les portables engendraient leurs millions de pixels. Chaque visiteur désirant ses propres photos pour les accumuler dans des albums ou des tablettes. Les deux anciens observaient ce manège d'un air entendu. Yasmine, avec sa voix grave et perchée, expliquait à son groupe que le pharaon était omniprésent dans le temple.
Le soleil fit son apparition. Les nuages semblaient être partis cette fois pour de bon. Le groupe, maintenant était réuni au pied d'une ancienne mosquée. A partir de trois cents ans après Jésus Christ, l'empereur Dioclétien avait établi un camp militaire sur le site, puis les chrétiens y avaient édifié une église. Ensuite les musulmans au XIIIe siècle l’avaient transformé en mosquée. Par la suite des familles avaient occupé les lieux et les détritus, les grabats, au cours des siècles, s'étaient amoncelés. Les fouilles terminées, le sable enlevé, sable qui avait sauvegardé si bien les vestiges du lieu, la mosquée resta suspendue à plusieurs mètres de hauteur.
Puis Yasmine, secoua en l'air son chapeau de paille et repartit d'un pas énergique entre les colonnes. Le groupe lui emboîta le pas. Quand Amada Youssef releva la tête il s'aperçut que David Marchand n'était plus là. Il le chercha du regard parmi les têtes mais en vain. Il ne sut quoi faire. Cette visite devait l'emmerder passablement, pensa-t-il. David en avait eu certainement assez de cette mascarade et il avait préféré faire demi-tour. Il serait, à ne pas en douter, revenu en arrière et les attendrait à l'autocar en grillant cigarette sur cigarette. Le fonctionnaire du ministère des antiquités se souvint du temps où ils avaient travaillé sur les sites de l'époque, et aussi de leur première rencontre en 1985. David Marchand alors jeune stagiaire avait montré un caractère qui trahissait une impatience certaine.
Amada Youssef continua la visite et oublia son compagnon.
Pendant ce temps, David Marchand, profitant du remue-ménage du groupe s'était éclipsé. Le mot trouvé au pied de sa porte était griffonné en anglais. On lui donnait rendez-vous sans aucune précision d'heure. Il y avait juste un nom. Celui de la mosquée Abou el Haggag. Il se dépêcha.
Il fit le tour et grimpa pour accéder à l'entrée de la mosquée. Elle était fermée. Seul l'imam autorisait les visites. Il trouva une porte et la poussa. Elle résista. Le mot était explicite. Il disait que le rendez-vous était devant le bâtiment. Perplexe, il grilla une allumette et alluma une cigarette. Il transpirait et il sortit de son sac qu'il tenait en bandoulière une casquette. Il commençait déjà à perdre patience… Il n'y avait personne dans l'allée. Sauf un gamin qui le regardait avec curiosité. Puis, celui-ci sembla se décider et s'avança vers lui. Le môme lui tendit un papier. Il s'en saisit et l'enfant détala. Étonné, il le regarda s'enfuir puis il lut ce qu'il y avait écrit. L'inconnu lui donnait un autre rendez-vous dans l'après-midi à Karnak.
David Marchand fit la grimace et il jeta son mégot sur le sol. L'inconnu était particulièrement bien informé sur le programme de la journée. Il s'en alla et retrouva le groupe confiné dans le sanctuaire qui avait été édifié par Hatchepsout, la reine-pharaon. Dans cette salle étaient entreposées les barques du dieu Amon, de son épouse Mout et de Khonsou, le dieu de la lune. Durant les fêtes d'Olet qui duraient plusieurs jours, la statue du dieu Amon, descendait le Nil dans une barque couverte d'or jusqu'au temple de Louxor. Ces processions majestueuses qui donnaient lieu à de somptueuses fêtes étaient très importantes pour les égyptiens de l'époque. Ce furent les paroles qu'entendit David Marchand quand il rejoignit Amada Youssef, surpris de le voir de retour.
- Où étais-tu passé ? demanda-t-il.
- J'en avais assez de l'écouter. Je suis allé faire un tour.
- Tu sais ! Elle ne dit pas de sottises. Elle connaît bien le sujet.
- Je vais te dire mon ami… Celle-là je me fiche pas mal de ce qu'elle a dans le cerveau. Je préfère plutôt ce qu'elle cache sous sa veste si tu vois ce que je veux dire.
- Je vois que tu n'as pas changé !
- Et pourquoi je changerais ? s'esclaffa discrètement David.
- Les années ! Les années ! répondit Amada en se moquant.
David Marchand eut un geste de mépris et il s'en alla précédant le groupe. Pourquoi diantre cet inconnu jouait-il avec lui au chat et à la souris ? Il commençait, à son tour, à être inquiet.
A la sortie de la visite, les bus les emmenèrent en ville, dans un restaurant typique. Quand ils furent installés à leur table, les deux hommes ne furent guère enclins à partager les bavardages de leurs voisins de voyage. Chacun étant dans ses pensées. David Marchand avait posé son sac à ses pieds. Au cours du repas, il ne put s'empêcher de se pencher et de glisser sa main à l'intérieur pour la caresser. Elle était bien là. Enfin il allait savoir…
En début d'après-midi, les autobus repartirent vers le temple de Karnak. Ils furent vite rendus à pied d’œuvre.
Yasmine les regroupa devant l'entrée et elle commença :
- Karnak est le temple le plus vaste. C'était une entité qui était propriétaire de nombreuses terres, de troupeaux, d'un chantier naval et de soixante-dix villages. Il n’y avait pas moins de 80.000 employés avec des prêtres permanents, des temporaires pour les festivités, des artisans, des bouchers, des brasseurs et bien sûr des agriculteurs. Cette entité, ce temple, était un lieu spirituel mais aussi économique où régnait un petit groupe d'initiés. Les nourritures étaient sacralisées par des rituels puis elles étaient redistribuées ou stockées dans des caves suivant les cas pour le confort des prêtres. Il y avait aussi des sculpteurs, des peintres, des orfèvres, des menuisiers, des chanteurs, des danseuses mais aussi des parfumeurs qui passaient leur temps à embaumer les différentes salles du temple. Quand les nuits étaient claires des astrologues ainsi que des astronomes grimpaient sur les toits pour observer le cosmos où habitaient les dieux.
David Marchand profita de cette longue tirade pour fausser compagnie pour la deuxième fois au groupe. Amada Youssef le vit s'éclipser mais resta à écouter Yasmine. Il aimait cette petite guide. Il était sous le charme. Il était évident qu'elle ne savait pas grand-chose sur les temps anciens mais le peu qu'elle disait était vrai et cela sonnait correctement dans sa jolie bouche. De toute façon, ces commentaires basiques suffisaient amplement à la compréhension de la majorité de ces touristes. Comme David Marchand, Amada Youssef en connaissait un rayon sur la vie de ses anciens concitoyens.
Pendant ce temps, David accéléra le pas. Il connaissait le site par cœur. Il y était venu des dizaines de fois pour écrire son dernier ouvrage. Il passa sans le regarder devant un obélisque, puis se dirigea à l'écart du grand axe, est-ouest, où se dressaient les vestiges de deux temples. Le conservateur toulousain entra dans celui dédié à Ptah, le dieu des artisans et des architectes. Dans ce lieu discret, encore peu visité, il y avait trois chapelles dont l'une était condamnée par des palissades en contreplaqué. C'était justement celle-là qui l'intéressait. Cette chapelle était celle de la redoutable Sekhmet, une déesse hybride possédant un corps de femme, taille fine et seins arrondis, robe moulante et sensuelle, avec une tête de lionne effrayante. Détentrice de la puissance qui tantôt, engendre les maladies, les destructions, et tantôt, pouvant aussi rétablir la santé, si la fantaisie lui prenait. Au cours des milliers d'années, elle parut si effrayante que personne n'avait osé la détruire.
Le presque septuagénaire hésita quelques minutes... Il reprenait sa respiration car il avait arpenté un peu trop vite. Il y avait une porte provisoire avec une chaîne qui pendait sur le côté. La voie était libre... Ayant retrouvé son souffle, il entra dans la chapelle. Au pied de la déesse il y avait un autre papier. Il se pencha pour le ramasser. Courbé et vulnérable, il reçut sur le dos une masse humaine qui lui fit perdre l'équilibre. L'impact fut extrêmement violent. Il avait senti, l'espace d'une seconde, le souffle chaud de l'agresseur sur sa nuque. Il essaya de résister mais l'assaillant était nettement plus costaud que lui. De toute façon, à son âge, il n'avait aucune chance. Plaqué au sol, face à terre, l'odeur forte du chloroforme envahit ses narines. Il perdit connaissance. Quand il se réveilla il était prisonnier dans un grand sac de jute. Il ne comprit pas pourquoi il était nu. Il tenta de se libérer, de déchirer le sac, mais celui-ci était solide. Il gigota, appela au secours, pris par la panique et soudain, David Marchand décela le long de sa jambe quelque chose qui ondulait et qui se glissait sous lui. Il comprit ce qui se passait et se mit à hurler. Il hurla longtemps car il ne voulait pas mourir de cette façon. Épuisé, il finit par s'étouffer et perdit connaissance.
C'était entre chien et loup. L'étang miroitait encore de couleurs éphémères. Le soleil couchant disparaissait derrière les roseaux. Je m'étais assis sur le ponton. Je fixai l'eau qui clapotait devant mes pompes. J'étais comme Zorro. Sauf que moi, je n'avais pas une grotte où logeait mon cheval. A la place, j'étais l'heureux et improbable propriétaire d'un chalet lacustre, planqué dans un endroit magique et perdu de la Camargue. D'où je me tenais, je ne pouvais pas le voir.
Cela faisait bientôt cinq mois. J'avais toujours dans ma tronche les images de ces événements tragiques qui avaient eu lieu dans ce même chalet. Herma, le tueur repenti y avait laissé la vie. Ce tueur, hermaphrodite, qui m'avait légué sa fortune et ce bout de paradis dont je n'avais su quoi faire. Jusqu'à ce que je rencontre ce jeune couple bourré d'enthousiasme.
Nous étions faits pour nous comprendre. Je leur avais permis de réaliser leur rêve en leur louant le domaine pour une peau de chagrin. La création d'un centre équestre dans un milieu encore sauvegardé. J'espérais que le réchauffement de la planète leur laisserait quelques répits, avant de s'attaquer à cette magnifique région. Ils voulaient utiliser le mas pour en faire des piaules.
J'avais commencé à faire rénover les bâtiments car ils étaient en ruine. J'avais hérité, en plus de la fortune de l'hermaphrodite, de son frère aîné, qui avait une bonne quarantaine. Alex était un être différent. Il vivait dans un monde dont il était le seul à voir les paysages.
L'hermaphrodite m'avait fait son héritier, avec la condition que je m'occupe de lui. J'étais donc devenu le tuteur d'Alex. Je ne savais pas comment celui-ci avait supporté la disparition de son frangin. Il parlait peu et il était attaché à ce lieu tranquille, où personne ne venait l'emmerder, et lui faire sentir sa différence. Il vivait avec ses chevaux et se débrouillait bien avec eux, malgré le fait qu'il ne les montait quasiment jamais. Herma lui avait fait construire un studio, attenant au mas, et qu'Alex tenait dans un ordre plus que parfait. Aussi, dans le contrat avec mes futurs locataires, il était stipulé qu'Alex resterait avec eux. Il ne serait nullement lié à eux comme employé. Il aurait ses chevaux dont il s'occupait depuis le début. Ce serait à lui de voir s'il désirait que d'autres personnes les approchent ou les montent parfois. Le couple avait la charge de veiller sur Alex, de l'approvisionner en nourriture. En contrepartie de ce service, je leur avais octroyé un loyer dérisoire. Bien sûr, j'avais gardé la jouissance du chalet. Ce lieu était marqué par l'horreur d'une tuerie. Cela ne m'effrayait nullement... La mort était mon quotidien. J'étais un flic et, contre toute attente, je n'avais pas encore donné ma démission. Encore une fois, j'étais passé entre les mailles du filet et j'avais évité l'hôpital psychiatrique.
Tout à l'heure, quand le soleil dardait son dernier rayon sur ma figure, j'avais ressenti une plénitude comme jamais. Durant cet éphémère moment, je m'étais dit que le bonheur pouvait être cela. Un baiser solaire qui vous vidait le cerveau de toute votre merde. J'étais resté ainsi, les yeux fermés, le corps relâché, la respiration ralentie, durant de longues minutes. Quand j'étais revenu de cette extase, je m'étais souvenu que le beau blond, comme je l'avais baptisé, pouvait rester des heures à méditer ainsi, devant la baie vitrée de sa pièce de vie, dans son chalet qui pivotait et qui suivait la marche du jour. C'était un drôle de type. J'avais encore du mal à lui donner une étiquette. Pour moi le monde se divisait en deux. Les malfaisants et tous les autres. Herma avait été, à la fois, un homme et une femme, et il se situait dans un équivoque milieu. Cependant, en ce qui concernait le bien et le mal, je pensais que nous étions tous des hermaphrodites.
Je m'extirpai de ma songerie. La petite barque était attachée au piquet et je sautai dedans pour rejoindre le chalet. Il allait faire nuit et je venais d'apercevoir la silhouette d'Alex qui rentrait chez lui. Il allait sans doute se préparer une omelette dont il raffolait, jouer ensuite sur son ordinateur et se coucher comme les poules.
Une vie réglée comme du papier à musique.
L'escalier escamotable replié dans son caisson, j'avais enlevé mes bottes maculées de boue avant de pénétrer dans le séjour.
Je venais de passer plusieurs heures à débroussailler les abords du mas. Le chalet était autonome en énergie. Un ordinateur gérait les lumières ainsi que le chauffage. Les éclairages, en fonction de mes mouvements, s'allumaient automatiquement.
Nous étions dimanche soir. Et pour mézigue, c'était une soirée comme les autres. J'étais divorcé et célibataire. Ma petite amie, Isabelle Zancarini, capitaine à la criminelle de Marseille m'avait laissé tomber. Il était vrai qu'entre la place du Capitole et le vieux Port il y avait des kilomètres... Aux dernières nouvelles, elle sortait avec un autre capitaine. Mais celui-là, était pompier et c'était, paraît-il, du sérieux. C'était pour cette raison que le téléphone qui sonnait n'émanait sûrement pas d'elle.
- Ouais ! dis-je d'un ton peu amène.
- Bonsoir Marcello. Alors cette vie de millionnaire ça ressemble à quoi ?
- C'est plus compliqué qu'avant.
- Ne me fais pas marrer ! J'échange ma condition tout de suite avec la tienne.
- C'est ta femme qui serait contente !
- Tu parles ! Elle serait bien capable de me ruiner en quelques années.
Généralement le commandant Frédéric Costessec ne m’appelait jamais pour tailler une bavette. Comme moi, c'était un taiseux et quand il téléphonait c'était qu'il avait une bonne raison.
- L'avantage d'avoir autant de fric et autant de choses à gérer c'est que je ne t'ai plus importuné pour décrocher une affaire.
- C'est vrai vieux frère ! Mais cette fois-ci, contrairement aux autres enquêtes dont tu as eu la charge, c'est pressé !
Inquiet, je rétorquai car je n'aimais pas être bousculé. Ni mon piaf d'ailleurs !
- C'est quoi cette embrouille ?
- Cela vient d'en haut... C'est parti du Capitole jusqu'à Paname.
Puis c'est redescendu dans la demi-heure.
- Pourquoi moi ?
- Ils ont besoin de toi et ...
Je le coupai avant qu'il continue :
- Ce n'est pas la peine d'en rajouter. Tes allusions récurrentes au sujet de mon hallucination volante cela commence à m'énerver sérieusement. Maintenant que je suis un homme riche peut-être jugera-t-il utile enfin de ne plus vouloir m'apparaître.