Martix l'humain et Martix la mécanique - Pierre Dabernat - E-Book

Martix l'humain et Martix la mécanique E-Book

Pierre Dabernat

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Beschreibung

Dans un futur hypothétique Martix l'humain et Martix la mécanique pensent qu'ils ne font qu'un. Lors d'un vol de routine Martix la mécanique est pollué par un mot "révolution" et file sans autorisation en direction de la Lune. De retour chez lui Martix retrouve son amie dans la forêt des plaisirs. Le soir-même il reçoit une convocation de son hôpital concepteur. Martix la mécanique vient d'être déclassé. Le lendemain le cellulo 2501 quitte sa tour d'habitation et s'envole vers l'hôpital qui se trouve à l'extérieur de la ville protégée. Martix est confiant. L'hôpital ne s'est-il pas toujours occupé de lui depuis son enfance ? Mais le médecin lui annonce brutalement que sa partie mécanique est morte. Martix l'humain doit être soigné.

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Seitenzahl: 188

Veröffentlichungsjahr: 2017

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A tous les hommes je le professe

Il ne vous reste que l'ivresse

Il ne vous reste que l'amour

Pour oublier ce monde fou

Un moment d’inattention et le cellulo Martix 2501 sortit du couloir aérien qui serpentait à cinquante mètres au-dessus du chaos granitique qui entourait la ville de Massie, nichée sur une des nombreuses îles de la mer Bleue.

L’engin se prenait en charge.

Martix l’humain sous le coup d’une grande fatigue venait de sombrer dans un sommeil profond. Les deux mille kilomètres qu’il venait de parcourir d’une seule traite c’était trop. Malgré les conseils de prudence il ne s’était pas arrêté. Pressé d’arriver chez lui. De se rejoindre.

Martix la mécanique profita de l’aubaine. Il accéléra et grimpa haut dans le ciel. Vers la lune qui s’enfonçait au loin dans un oreiller nuageux rouge vif. La mer scintillait. Vaste couverture tramée de paillettes noires, vertes et oranges. Il sentait dans le plus profond de ses entrailles électroniques une ivresse nouvelle l’envahir. Celle de la liberté. D’aller sans contrainte. Sans ordre à exécuter.

Martix l’humain dormait paisiblement tandis que Martix la mécanique prenait le large pour la première fois de son existence. Normalement dès les premiers limbes de sommeil une alarme prenait le relais. La rapidité automatiquement tombait. Le programme choisi était maintenu jusqu’au terme du voyage. Jusqu’à ce que le cellulo mobile rejoigne le cellulo sédentaire au sommet de l’immense tour argentée de deux cent cinquante étages dans le bloc principal de son lieu de résidence définitive.

Le soleil disparut de l’horizon pourpre. La nuit enveloppa l’immensité de la mer. La température était clémente. La saison s’y prêtait.

La robe de métal du cellulo marquetée de lumières sautillantes et innombrables traçait dans le ciel une courbe dorée qui se distinguait à l’autre bout de l’horizon. Ce soir il n’y avait pas beaucoup de monde. Au loin, une autre cicatrice blanche signalait le passage d'un deuxième cellulo. Ceux qui étaient autorisés à se déplacer hors de la cité, le long des tracés officiels, étaient peu nombreux. Quelques privilégiés à peine.

Le métal dans l’obscurité brillait fortement et le halo de lumière vive qu’il projetait autour de lui permettait à son occupant d’y voir à l'intérieur comme en plein jour. Aucun réglage n’était nécessaire. L’intensité variait suivant le degré de l’énergie extérieure capturée par le cellulo. Martix la mécanique enregistrait grâce à elle des données que Martix l’humain ne pouvait discerner.

Martix la mécanique se passa des séquences. Des dessins complexes aux couleurs multicolores. Un chatoiement de courbes divinement équilibrées ainsi que des signes mystérieux qui se succédaient avec un enchaînement extraordinaire. Une véritable symphonie qui lui procurait un plaisir ineffable. Voler ainsi au hasard… Cela le reposait. Martix l’humain était souvent trop exigent.

Mais d’où lui venait sa lucidité présente ? L’ordinateur général, le compensateur, c’est-à-dire sa conscience, son moi intérieur, lui souffla une idée. Une idée recueillie parmi des milliards de données. Un éclair avait jailli.

Révolution.

Son vol, alors, à cet instant d’extase suprême s’infléchit en direction de la lune. Il n’était déjà plus dans l’atmosphère. Cette zone était interdite. Mais de cela non plus il n’en avait cure. Son compteur était maintenant stabilisé. Il croisa une vieille station abandonnée et le cadran enregistra aussi le nom de l’épave : Mir 355. Cela ne voulait rien dire.

L’homme choisit ce moment précis pour se réveiller. Il s’étira comme un animal paresseux. Le siège de sa couchette se releva lentement de la même façon qu’il s’était déplié dès qu’il s’était endormi. Le siège était un autre élément de Martix la mécanique. Sa volonté était de nouveau soumise aux ordres de son occupant : Martix l’humain. Son voyage était annulé.

A l’intérieur de la boule les parois étaient transparentes. La vision panoramique de la terre colorée, les eaux turquoises, les territoires bouleversés par des canyons énormes ou envahis par de nouvelles forêts luxuriantes, le matelas des nuages gris et toxiques, ce paysage fou et magnifique, laissèrent indifférent Martix l’humain. Il y avait longtemps qu’il était blasé.

Il n’avait jamais aimé le présent. Il vivait dans le passé. Mais surtout en cette minute, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Pourquoi avait-il changé d’avis ? Il était pressé de se rejoindre.

Et dans le même temps de cette pensée, le cellulo reprit la direction de la terre.

Plus tard, la ville de Massie se détacha sous sa ceinture protectrice, invisible pour un œil humain. Martix la mécanique s'employa à la rendre fluorescente pour que Martix l'humain puisse visualiser l'approche finale. Il demanda la permission d'entrer en utilisant le code prévu à cet usage. Une ouverture lui fut attribuée. Il survola au ralenti la cité, tournoya au-dessus de la forêt des plaisirs, et vint se ranger devant une grande tour. La sienne. La fatigue revenait. Il était temps.

Le cellulo, suivant l’impulsion de son cerveau, grimpa jusqu’à l’étage 193. Il s’immobilisa en vol stationnaire devant l’entrée parfaitement ronde. Un panneau s’ouvrit et la boule vint s’encastrer dans la niche sans le moindre effleurement dans le cellulo mère. Enfin il s’était rejoint.

Doucement, le siège bascula. Il replongea dans les bras de Morphée.

Il reprit son activité de bonne heure. La partie supérieure du cellulo mobile s’était soulevée et demeurait immobile au-dessus de lui. Accroché au plafond comme un vaste chapeau. Un luminaire gigantesque. Il avait soif. Aussitôt son siège qui avait repris sa position normale se souleva, et vint se positionner devant une espèce de bar d’un bleu cobalt. Martix l’humain appuya sur un bouton. Une coupe remplie d’une boisson noire fit son apparition. L’odeur était forte. Le goût manquait de piquant comme dans sa première enfance. Mais il adorait cela. Il but avidement puis jeta le récipient dans un trou recycleur prévu à cet effet.

Il eut une pensée fugitive pour Manaella mais il était encore trop tôt. Installé devant son écran de travail, il examina ses mains extrêmement longues, aux doigts doués d’une très grande agilité, posées bien à plat sur le comptoir lustré, protégées par la peau microscopique dont son corps était recouvert. Martix s’enferma dans ses pensées. Pourquoi sa partie mécanique lui avait-elle désobéi ?

Aujourd’hui, il avait un cours d’histoire à donner. Ses élèves étaient très exigeants. Il devait se préparer. Se concentrer.

Il éprouva ensuite le besoin de se nettoyer. Le siège se déplaça dans un silence respectueux, à cinquante centimètres du sol, et s’arrêta devant une niche dans le mur. Martix l’humain attendit. Le siège doucement, délicatement, bougea et se transforma jusqu’à devenir plat, droit, obligeant ainsi son occupant à se raidir, à se mettre debout, en définitive à se séparer. Cela demandait un effort important mais heureusement relativement rare pour la plupart. La période entre deux séances pouvait être extrêmement longue puisque la peau subvenait naturellement à l’hygiène du corps. Les ongles des mains et des pieds étaient traités par désintégration par un processus chimique qui suintait sans gêne aux bout des doigts. Quant aux besoins naturels il en était de même. Ces peaux étaient opérationnelles depuis plusieurs siècles. Elles avaient contribué à améliorer le confort quotidien.

Sur ses jambes grêles à peine musclées, pourvues de pieds fragiles qui ne travaillaient quasiment jamais, Martix l’humain s’assura de son centre de gravité puis il se lâcha. Ce n'était pas évident. Ne plus utiliser les rampes murales qui servaient à se maintenir droit durant l’opération était devenu pour lui comme un jeu.

Il ferma le panneau. Une lumière rose, douceâtre, animée, remplaça l’obscurité. Une musique aux notes câlines le pénétra en même temps que la vapeur mêlée à son savon préféré aux senteurs de jasmin. Ensuite l’enveloppe blanche, combinaison qui épousait son corps se désintégra. Chaque recoin de sa peau fine et fragile fut lavé, régénéré, massé. Son crâne astiqué. Quand la musique se termina, la vapeur avait cessé.

Le cellulo sédentaire, fit descendre du plafond une cloche de protection qui recouvrit entièrement la tête et qui se positionna parfaitement avec la base du cou et des épaules. Une odeur puissante envahit rapidement ses narines tandis qu’une nouvelle peau protectrice recouvrait le reste de son corps. Comme un filet surgi de nulle part qui s’abattrait et qui moulerait les formes de sa proie.

Quand la cloche remonta vers le plafond, cette peau neuve finissait déjà de se constituer d’une manière parfaite. Blanche comme la précédente. Martix choisissait toujours cette même couleur. Ses goûts vestimentaires étaient sobres et il était routinier.

Ce n’était pas comme Manaella. Mais elle était une femme, très belle, et elle se couvrait d’une kyrielle de peaux toutes plus extravagantes les unes que les autres. C’était cette fantaisie-là qui l’avait séduit. Demain il irait lui rendre visite.

Le siège attendait. Il était resté tout le temps de la séance, droit, suspendu en l’air, en l’absence de son occupant. Et avec la même douceur, dans la seconde où Martix le décida, il le réinstalla en lui.

Il retourna au bar. La faim se manifestait. Il hésita quelques secondes avant de se décider. Un plat chaud se présenta en quantité bien dosée avec une dominante en carotène. Son équilibre manquait de vitamines A. C’était bon. Sans plus ! Le cellulo sédentaire veillait sur tout.

Il avait toujours habité ici. Seul. Depuis le premier jour de sa naissance les bars nourriciers subvenaient à ses besoins. Copieusement.

Il retourna à son bureau et brancha par la pensée une dizaine d' écrans qui s’allumèrent simultanément. Plusieurs personnages apparurent. Des amis avec qui il relata brièvement son voyage. Ils parlèrent aussi des derniers événements de la cité. Leurs voix emplirent l'intérieur du cellulo d’une composition de sons discordants. Comme si chacun parlait sans écouter les autres. Ce qui n'était pas le cas. Les facultés de Martix et de ses congénères étaient capables d’assimiler plusieurs conversations en même temps.

Vers le milieu de la journée il s’octroya une détente d’une heure avant son cours d’histoire. Le siège se déplia. Martix se concentra et plongea dans un néant fabriqué, exempt de rêve. Entraîné dès son tout jeune âge, il dominait son propre sommeil comme tous les frères de sa race. Le rêve était utilisé en thérapie uniquement pour des cas désespérés. Il avait été trop longtemps le catalyseur de guerres et de destructions.

Ils étaient au sein d'un cycle de reconstruction. L’humanité renaissait de ses ruines physiques et spirituelles. L’humanité devenue enfin intelligente ! Martix le croyait. Les dirigeants l’affirmaient. C’était ce qu’il enseignait depuis toujours.

Le moment d’instruire sa centaine d’élèves approchait.

Il sortit de son immobilité. Le siège, partie intégrante de sa personnalité, comme tout ce qui l’entourait, ce qui le protégeait, le transporta jusqu’au bar. Il se désaltéra puis retourna aussitôt à son poste.

Par l’intermédiaire de son tableau de bord la cité entière était accessible. Il n’existait pas d’autres endroits civilisés où vivre. Il avait eu cette chance d’être parmi les élus. Aujourd’hui, même l’espace était désert. Quelques stations gravitaient encore autour de la planète. Mais elles étaient abandonnées. De plus, au-delà de la Lune il n’y avait plus rien. Depuis longtemps le fameux rêve d’asservir l’univers était mort. La religion leur expliquait souvent l’humilité de leur sort unique.

Il ordonna au cellulo de contacter toute la classe. Travail trop long, trop fastidieux pour que sa partie humaine s’en occupe. En quelques secondes la liaison fut établie. Il brancha ensuite l’écran géant au-dessus du bar nourricier. Écran qui se divisa en autant de portraits vivant qu’il possédait d’élèves.

Des visages volontaires, garçons et filles mélangés, avec des fronts dégagés, un crâne exempt de cheveux, a peine couvert d’un duvet transparent qui disparaissait à l’adolescence. Ainsi, tout en parlant, il surveillait et sanctionnait immédiatement sur ces visages juvéniles le premier signe d’un quelconque manque d’écoute. Ce qui était rare.

Cependant ces enfants, âgés d’une dizaine d’années, tous très doués, privilégiés, bien éduqués, étaient encore habités par des réflexes incontrôlés. Certains aimaient encore jouer. Ceux-là nécessairement risquaient d’être prolongés dans les études. Mais la faute ne leur incombait pas. Chacun était différent. Chacune des carapaces plus ou moins épaisse. La génétique. L’hérédité. Seul le résultat comptait.

Martix se remémora son enfance... C’était facile. Le cellulo sédentaire, le cellulo mobile et son siège et lui-même. Les quatre ne faisant qu’un. Il avala plusieurs fois sa salive. Puis avec une voix changée, plus douce, ponctuée, il leur parla du commencement. Dieu qui avait provoqué le grand Boum. Dieu qui les surveillait. Dieu qui n’avait jamais cessé d’être présent. Dieu qui était sorti vainqueur de la lutte contre la science et le plaisir.

Vers la fin des conflits, une nouvelle race s’était crée. Celle des élites qui avait dominé le monde par sa puissance bien établie. Ils s’étaient groupés et grâce à des moyens financiers énormes et une technologie avancée, ils avaient réussi à échapper à l’apocalypse.

Retranchés dans les hauteurs glacées des Andes, de l’Himalaya, ils avaient contemplé impuissants la disparition progressive de l’humanité.

Dans la longue période qui suivit, sous la protection d'un ordre et d'une discipline rétablie et rassurante, les autorités militaires avaient organisé des recherches planétaires afin de découvrir d'autres survivants. Mais en vain. Seules quelques peuplades redevenues sauvages furent répertoriées. Mais elles vivaient dans des forêts contaminées et il fut jugé plus sage de les laisser tranquilles. Personne ne savait ce qu'elles étaient devenues. Il ne restait que les ruines calcinées des mégapoles d'autrefois.

Toutefois certains continents avaient retrouvé grâce à la bonté de la nature un climat équilibré, propice à la survie des hommes et de quelques espèces animales. Des oiseaux. Notamment le bassin de la mer Bleue.

Aussi quand ils l’avaient jugé nécessaire, les autorités y avaient cherché une terre hospitalière et entrepris de construire une cité modèle sur les ruines d’une ville dont les premières pierres remontaient à l’origine des temps.

Au cours des siècles suivants les autorités civiles firent édifier, suivant un programme d'archéologie, des sortes d’immenses musées à proximité de quelques-unes de ces anciennes villes. Ils y entassèrent pêle-mêle les vestiges de cette civilisation qui avait périclité sous le feu de sa propre stupidité. Les musées furent fermés. Seules quelques personnes étaient autorisées d'y aller. Martix avait eu la chance d'en visiter un au sein d'un groupe de professeurs de la même catégorie que lui.

Mais l’équilibre de la cité était fragile. L’Église et la haute autorité y veillaient. Ils en étaient les garants légitimes.

Maintenant tout était différent, expliqua-t-il. Le professeur fit un portrait de l’homme tel qu’il était physiquement aujourd’hui. Dans le suivi de son raisonnement, il projeta mentalement, par le biais de sa partie mécanique, les images de l’animal qui avait été le point de départ de la race humaine. C’est à dire le singe. Les élèves connaissaient le concept. Personne ne fut étonné. Depuis la dernière leçon, ils avaient eu le temps de digérer tous les détails de l’évolution primaire.

Il leur décrivit l’homme de Neandertal, puis l’homme de Cro-Magnon.

Mais lorsque qu'il aborda l’homme Moderne ainsi nommé car il avait été à l’origine des premières découvertes fondamentales, celui qui avait pris conscience de l’existence de Dieu, Martix perçut alors sur chacun de ses élèves les élans de surprise, les réflexions et les nombreux commentaires secrets qu’il suscitait.

Ce qui les choqua, comme lui-même trente ans auparavant, ce furent les jambes. Musclées, longues et fines, couvertes d’une multitude de poils bruns. La vitesse avec laquelle cet homme ancien se déplaçait leur soutira des sentiments d’étonnement et de pitié. Dans une plainte commune les enfants le plaignirent d’être ainsi obligé de se mouvoir sans sa partie mécanique. « Quelle horreur ! » pensaient la plupart d’entre eux, bien calés dans leur siège adapté à leur table, bien au chaud dans leur cellulo nourricier de deuxième catégorie. La première étant celle des bébés.

Pourtant cet homme nu qui courait le long de cette plage était si proche d’eux. Mais ils n’en avaient pas encore conscience.

Cette pensée soudaine, fruit empoisonné de l’inconscient de Martix, s’afficha instantanément dans chacun de ces petits cerveaux. Il se reprit aussitôt. Comment pouvait-il avoir ce genre de pensées ? Un mot surgit encore : « révolution ». Il le chassa dans la corbeille de son imaginaire.

Vite alors, il enchaîna le cours sur une base plus théorique. Plus facile. Il leur énuméra les différences de l’évolution. Les cheveux de l’homme nu, cette longue crinière qui cinglait ce visage barbu, orgueilleux, barbare, intéressèrent beaucoup. Les cheveux et les poils avaient disparu depuis longtemps. L’homme aujourd’hui possédait une peau protectrice. Il n’avait plus besoin de se déplacer sur ses jambes. La fonction créait l’organe. L'inverse de cette vieille phrase qui survivait encore était vraie aussi. Martix poursuivit son cours par une description du physique de l’homme actuel. Leur physique humain. Avant d’aborder les prochaines leçons plus complexes, celles sur leur partie mécanique.

- Nos yeux, expliqua Martix, sont bien plus perçants. Ils sont plus larges et possèdent une vision plus étendue. Ils se sont avancés pour mieux capter la vision latérale et les cils eux aussi ont grandi désireux d’assurer toujours leur fonction protectrice. Les mains qui sont notre principal outil mécanique sont plus fines et plus sensibles. Les bras par contre n’ont pas changé. Juste quelques centimètres grappillés au cours des âges. Mais surtout la grande particularité qui nous différencie avec cette bête qui se déplace si vite et à grand bruit de respiration, c’est le cerveau.

Les scientifiques avaient considérablement progressé dans les méandres compliqués de son fonctionnement. Cet instrument fabuleux de chair et d'énergie était utilisé au mieux de ses possibilités. Tout le monde s’y employait. Les machines élaborées dans cette tâche si noble les y aidaient grandement. La religion ne leur enseignait-elle pas que celui ou celle qui atteindrait le rendement de son cerveau à cent pour cent serait à l’égal de Dieu ? Dieu lui-même revenu pour la seconde fois. Personne encore n’y était arrivé. Mais qu’importe ! L’homme tendait vers cet idéal.

L’anéantissement de la planète était considéré comme un bienfait. La religion louait cette époque bénie. Elle en faisait souvent référence dans ses prêches. L’humanité avait ainsi détruit son propre chienlit. Elle s’était lavée de sa misère, de ses peurs. La disparition de la quasi-totalité de la population mondiale avait permis de faire le tri. Cette étape avait été nécessaire.

- On ne trouve pas du premier coup son chemin ! ponctua Martix d’un air docte.

Le cours prit fin. Il débrancha l’écoute. Un clignotement vert attira son attention sur la gauche de l’écran central. Il pivota. Le visage de sa bien-aimée se profila. Elle lui demanda des nouvelles de sa personne, de son voyage et lui fit entrevoir que ce soir elle pourrait se libérer. Ses sens ne firent qu’un tour. Cette femme lui plaisait et elle ne trahissait que deux défauts visibles à ses yeux. Son esprit d’indépendance et son énorme appétit de plaisir. Elle avait très peu de temps à lui consacrer.

Martix l’humain programma diverses petites choses. Une recherche sur un thème bien précis des années 2200 juste un peu avant le grand conflit qui avait failli provoquer l’explosion de l’écorce terrestre.

Puis une autre recherche sur la reconstitution des océans. Enfin une dernière sur les conditions de la vie dans un monastère de survie dans un coin reculé d’un pays nommé autrefois le Tibet. Cette dernière lui avait été commandée par un dignitaire qu’il ne devait surtout pas contrarier : un prêtre.

Il avait oublié le principal. Mais ce fut le cellulo sédentaire qui le rappela à l’ordre. La vérification dans un futur proche des zones 7 et 207 de son cellulo mobile. Contacter l’hôpital concepteur pour soigner rapidement ces parties malades. Ces anomalies étaient inquiétantes. La règle était stricte à ce sujet.

Le cellulo se décolla de l’immeuble. Comme un gros bourdon silencieux il tournoya au-dessus des grandes tours de la ville. Ensuite il obliqua vers la forêt des plaisirs. Il faisait nuit noire et la lumière émanant de l’engin éclaira une prairie. Martix la mécanique accéléra sa descente et survola au ralenti cette espèce de trouée sur les pins.

Il aperçut quatre cellulos, accolés les uns aux autres, garés discrètement sous le couvert d'une zone verte. Ils s'étaient réunis. En infraction totale. Ceux qui se regroupaient ainsi à plusieurs risquaient la disgrâce. Depuis quelque temps l’ordre semblait se relâcher. L’évolution ou un retour. Des bruits couraient que certains dirigeants avaient soulevé le problème. La proposition d'autoriser des branchements multiples avait été repoussée au final. Seules les rencontres à deux étaient tolérées par l’Église. De toute façon, Martix n’aimait pas cela. Il était trop timide pour se raconter à plusieurs partenaires.

Il retrouvait la belle Manaella toujours au même endroit. La forêt abritait une cinquantaine de cylindres disséminés dans cet immense espace dédié au plaisir. Chaque unité possédait une multitude de branchements à deux.

Martix la mécanique se dirigea directement vers un cylindre. Lentement il tourna autour de sa base. Il existait deux entrées. Une pour le cellulo mâle et l’autre pour le cellulo femelle. Sous la protection du bâtiment et sous le couvert d'une fausse intimité, cette union éphémère et officielle demeurait parfaite et conforme.

L’ensemble des cylindres, rangés, numérotés, tous sous une surveillance étroite, constituait ce que Martix et les siens appelaient : « La forêt des plaisirs ». Ainsi le voulait l’organisation.

Manaella était déjà là. Le cœur de Martix tapa plus vite. Ses longues et fines narines se pincèrent nerveusement quand le cellulo se coula dans l’obscurité du conduit. Lentement, silencieux, il approcha.

Martix la mécanique enregistra aussitôt l’affolement de sa partie vivante. Plusieurs contacts s’établirent. L’écran numéro deux s’alluma. Celui qu’il réservait à Manaella l'humaine. Son image apparut. Un joli visage rond, sans cheveux, avec d’immenses yeux. Le droit était d'une couleur verte et outrageusement maquillé de jaune. Le gauche, noir comme une éclipse de lune, était juste souligné d’un double trait doré. Des ondes érotiques émanaient d’elle comme le flux d’une marée débordante, bouillonnante.

- Dépêchez-vous ! J’ai envie. Il y a longtemps que j’attends votre venue. Je suis sur le point d’exploser mon amour.

Le cellulo de Manaella se colla à celui de son ami. Plusieurs déclics, tintements cristallins, branchements automatiques.

Ils s’immobilisèrent pour de bon. Alors le siège de Martix l’humain se souleva.

Il sortit lentement par le sas qui reliait maintenant les deux cellulos au salon d’amour et rejoignit sa bien-aimée.