Les cinq mains de Dieu - Pierre Dabernat - E-Book

Les cinq mains de Dieu E-Book

Pierre Dabernat

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Beschreibung

Belo employé ordinaire, athée et tourmenté, découvre dans une grotte à Montségur une machine mystérieuse qui lui procure des pouvoirs extraordinaires à l'égal d'un dieu. Belo devient alors Belogrande le magicien qui défraye la chronique à Las Vegas avec son numéro de l'apparition de la Vierge Marie. Puis son personnage évolue. Mais comment concilier sa conviction profonde, que le paradis c'est maintenant, lorsqu'on est encore en vie, quand d'autres élus lui affirment l'existence de Dieu et de son vaisseau.

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Veröffentlichungsjahr: 2017

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L'homme n'a pas l'humilité de reconnaître qu'il n'est pas plus important qu'une

pierre dans le désert.

Et aussi misérable soit-il, il pense qu'il est autorisé à se sentir supérieur à celle-ci et

à être reconnu par un dieu, quel qu'il soit, auquel il se plie toute sa vie afin

d'affronter ce qui lui fait peur depuis des millénaires : la mort.

Sommaire

La grotte

La main

La bilocation

Patricia

Las Vegas

Rome

La vente

L’argent

La séquestration

La discussion

Le retour

L’escapade

L’échange

Les retrouvailles

Le retour

Le passage

La rencontre

Épilogue

La grotte

Belo était un tout petit homme. Guère plus important qu’une poussière de cette humanité, celle que l’on appelait Terre. Il vivait comme des milliers d’humains. Il respirait, mangeait et parfois il pensait. Fins de mois difficiles, douleurs dans le corps et dans le fond de l’âme… Une âme sans religion. Mais juste pour dire que c’était dedans, dans le ventre et que cela faisait mal.

Il y avait aussi ses amours perfides, l’angoisse du lendemain, la frousse de la maladie, la grande malchance qui fauchait autour de lui ; ceux qui avançaient, qui tombaient et qui mouraient.

Il travaillait. Il se rendait chaque jour dans une pièce sombre, coincée dans un immeuble ancien, où il se démontait l’épaule pour répondre au téléphone, enseveli dans ses dossiers. Dans son fichu bordel. Des locataires, des propriétaires, énervés par les incommodités de leur habitation l’engueulaient dès neuf heures le matin. Puis, c’était lui qui criait après le plombier, le couvreur, le menuisier ou l’électricien. Enfin c’était son patron qui lui bavait dessus avant de remonter dans sa BMW. Toute la journée, c’était le cirque, l’urgence, la déprime. Le soir crevé, il s’écroulait devant la télévision. Il n’avait envie de rien, hormis le petit écran, cette dévoreuse des neurones.

S’empiffrer, dormir…

Mais quand venait le vendredi soir.

Dès que cette foutue pendule qui le narguait annonçait dix-huit heures, il récupérait sa voiture et s’enfuyait. Il fonçait, il taillait la route pour rejoindre son havre de paix. Non pas de bonheur. Il ne savait pas à quoi cela ressemblait. Ce n’était qu’un trou pour célibataire où il pouvait manger, regarder encore cette merde de télévision et dormir... Avec le désir de lire, de dessiner, de se balader. Trop souvent que le désir. C’était l’endroit l’idéal pour l’introverti qu’il était devenu. Au pied des Pyrénées, à quelques kilomètres du château de Montségur.

Du temps de sa splendeur, celui des illusions, des chimères, et d’un portefeuille bien rempli, époque d’une voiture rutilante de frime, il avait acheté la maison quand la moindre grange à la montagne coûtait déjà une fortune. Cette bâtisse, trempée de silence, perdue au-dessus de la route qui menait à la station du Mont d’Olmes, avait touché sa solitude.

Il avait craqué pour cette vieille bergerie. Les murs couverts de lierre abritaient des dizaines de lézards. Les marronniers et les chênes qui l’entouraient grouillaient d’oiseaux. L’hiver, le froid, le vent, la glace et la neige s’installaient durant de longs mois et l’endroit revêtait un charme plus rude, plus montagnard mais qui lui plaisait beaucoup.

Par contre, ce qu’il n’avait pas prévu c’était que sa femme le laisserait tomber. Le mari avait tué le prince charmant. Il s’était retrouvé seul le lendemain du divorce. Un américain avait croisé le chemin de sa « douce » comme il se plaisait à dire à l’époque de leur mariage. Elle avait suivi cet homme outre-atlantique, avec les gosses, le laissant perdu, désemparé. Ce jour-là, il avait pleuré mais trop tard…

De temps à autre, il recevait une lettre avec quelques photos des enfants. Pour mesurer le temps. Parfois il appelait ou recevait un appel téléphonique qui le plongeait ensuite dans une tristesse profonde. Cette déchirure ainsi que l’absence de ces êtres chers qu’il n’avait pas revus depuis bientôt quatre ans constituaient la majorité de sa déprime permanente.

Ce soir-là, il faisait un froid sec. C’était le mois de novembre et c’était normal. Avec sa vieille guimbarde, il lui fallait deux heures pour parvenir jusqu’à chez lui. Il prenait l’autoroute jusqu’à Pamiers puis la nationale vers Mirepoix, Lavelanet, et enfin la route qui montait vers la station. Il faisait déjà nuit. Il neigeait. Il avait eu la chance d’avoir pu grimper sans mettre les chaînes.

Il se gara sous le hangar et pénétra dans la maison glacée. Il était conscient qu’il existait des chauffages avec commande à distance mais il n'avait plus les moyens de se payer une telle installation. Il utilisait la cheminée ainsi qu’un vieux poêle à bois qui trônait dans un coin de la cuisine depuis cinquante ans. A la montagne le bois n’était pas un problème.

Le feu crépitait. Il mangea un bout puis il se coucha, c'est-à-dire, il s’endormit devant la télévision.

Très tôt le bruit du chasse-neige l’avait réveillé. La neige avait recouvert la terre. Blanche était la montagne. Noir était son moral. Pourquoi était-il devenu comme ça? L’éloignement des enfants, le naufrage de son amour, la faillite de son entreprise de travaux publics. C’était ses chapitres préférés. Il les relisait chaque jour. Mais il y avait autre chose. C’était un mal léché. Il avait été chien et il était devenu loup. Il avait attrapé aussi une quarantaine grasse. Son existence était comme un escalier qu’il dégringolait. Il fumait comme deux, il buvait du whisky, trop souvent, du mauvais, et il regardait les femmes sans oser les aborder.

Deux grandes tasses de café et allez donc savoir pourquoi la forme revint! C'était celle du cerveau, la seule qui poussait, qui bougeait le corps. Il ne cherchait jamais à comprendre. Il était de ce bois et fonctionnait ainsi avec des hauts et des bas.

Il mit le nez dehors.

Il faisait beau. Il contempla avec fierté sa maison. Elle était imposante. Au rez-de-chaussée la pièce avec la cheminée lui servait de salle de vie. L’hiver il y passait de longues journées monotones et le soir, sur son vieux canapé de cuir, plutôt que de monter dans une des chambres, il s’enroulait dans une couette blanche, grise de saleté, pour passer la nuit au chaud.

Derrière c’était la cuisine avec son évier qu’il arrivait à tenir propre. Plus d’autres pièces où il entassait pêle-mêle tout ce qu’il amassait. Et il aimait conserver les objets. Même un clou rouillé il avait du mal à le jeter. Au-dessus, il y avait le grenier, éclairé par trois velux, orientés plein sud, qu’il avait fait poser quelques jours après la signature chez le notaire. Pour en faire un atelier de peinture. Qui se voulait tel. Mais il n’y était pas souvent. Jamais l’hiver. Peu l’été. Cette soif de réaliser des toiles n’était qu’un des aspects de sa personnalité qui désirait beaucoup et qui ne faisait rien pour l’obtenir.

En contrebas, il entendit le moteur d'une voiture qui peinait dans la grande boucle. Les skieurs du samedi. Cela lui donna envie mais surtout pas d’aller faire la queue au télésiège. Plutôt chausser ses skis de randonnée. La neige ce matin dégageait un côté irréel. Elle l’invitait.

Belo démarra sa voiture et tandis que les pistons du moteur se réchauffaient, il s’habilla chaudement. Son sac était prêt et ses skis étaient sous le hangar.

Le téléphone bipa mais il ne répondit pas. C’était son frère. Il était le seul à l’appeler le week-end. Il rangea les skis dans la voiture et installa les chaînes. Aujourd’hui c’était plus prudent, pensa-t-il. Il avait l’idée de monter au château et subodorait que, là-haut, il devait y avoir pas mal d’épaisseur.

La route était partiellement dégagée et lorsqu’il parvint sur le parking il était presque dix heures. Il n’y avait pas de touriste. Par contre, l’été, ça grouillait de monde... Il éteignit le moteur et sortit griller une cigarette. Le château était devant lui, perché sur sa hauteur, immuable, antique.

Il était seul… Silence de la neige… Personne pour s’attaquer à la forteresse. Chaque fois, il s’imaginait l’horreur de la scène qui s’était jouée au bas de cette pente. Un bûcher énorme pour plus de deux cents cathares avait été dressé par le sénéchal de Carcassonne Hugues des Arcis. Des hommes et des femmes, qui n’avaient pas voulu renier leur religion, avaient péri sous la proie des flammes. Cette sacrée religion! Comment était la vie en l’année 1244, se demanda Belo écrasant son mégot sous la pointe de sa chaussure?

Il y avait un sentier qui contournait le « pog ». Cette promenade qu’il affectionnait tant, il n’avait jamais osé la faire par temps de neige. Il avait une sensation bizarre.

Le ciel était d’un bleu limpide. Sa respiration élaborait des volumes éthérés. Il faisait la grimace et plissait les paupières pour se protéger de la réverbération. Il n’aimait pas les lunettes de soleil. Ce n’était pas assez viril. Connerie! aurait dit Cécile. Mais son épouse n’était plus là. C’était inutile de se lamenter. Il n’y avait personne pour l’écouter. A l’exception des fantômes… Des deux cent cinq fantômes…

Il ceintura son sac à dos, claqua la portière qui se perdit dans un écho assourdi et chercha du regard le départ du sentier qui se trouvait en bordure du champ enneigé. Dix minutes plus tard il comprit que la balade serait difficile. Le sentier était invisible et le suivre était problématique. Mais il était du genre obstiné, un peu bourrin, et, puisqu’il avait décidé de réaliser ce parcours, il irait jusqu’au bout.

Elle était terminée l’époque heureuse quand il crapahutait sans transpirer. Maintenant son visage ruisselait. Il soufflait comme un bœuf et il avait chaud. Rapidement les gants et le bonnet furent rangés dans une poche de son sac.

Cela faisait une bonne demi-heure que Belo était parti. Au pied d’un sapin brisé par la foudre il s'était arrêté afin de s’orienter. En été, le sentier était facile pour les randonneurs. Les rochers qui étaient signalés en rouge avaient disparu sous le manteau neigeux. Il ne restait que les troncs balisés. Ils n’étaient pas les plus nombreux.

Il dut se rendre à l’évidence… Il peinait de plus en plus pour se frayer un chemin dans cette végétation. Pourtant l’énorme bloc de roche calcaire qui culminait à 1218 mètres était toujours sur sa droite. Jusque-là, il lui avait paru aisé de se diriger. Soudain il réalisa qu’il avait dévié et qu’il n’avait plus ses repères.

Il s’était débattu pour traverser un amas de ronces obstruant le passage ; les mains écorchées, une petite estafilade sur la joue, des étincelles plein les yeux, il s’appuya alors contre le sapin pour récupérer. Mais il n’avait pas vu que celui-ci était sec. En réalité ce n’était qu’un tronc ravagé par les bestioles, si usé, si creusé, qu’il ne tenait debout que par miracle.

Le fait de s’appuyer dessus le fit faillir. Dans un craquement sinistre, soudain le tronc se désolidarisa du sol.

Cet arbre était dressé dans le sens de la pente. Belo s’abattit en même temps que lui et chuta dans un ravin d’une quinzaine de mètres. Heureusement la pente n’était pas à-pic. Il s’enchevêtra dans son équipement avec le ridicule d’un personnage de Tex Avery. Il s’éclata, glissa, boula, et cela dura une éternité... Ses skis déclenchèrent. Il perdit ses bâtons et son sac à dos. La neige s’était infiltrée dans son blouson, sous le pull-over. Elle s’était aussi glissée sournoisement dans le pantalon. Quand il eut fini de dévisser, il s’immobilisa enfin, la bouche pleine de neige, les cheveux blancs. Il constata avec effarement que dans son caleçon c’était aussi un véritable frigo.

Il était sonné. Un instant, il crut avoir quelque chose de cassé. Mais il n’en était rien. Péniblement, il tarda à se redresser. Le long du tracé qu’il avait creusé dans la pente toutes ses affaires étaient parsemées. Un ski était planté dans la neige dépassant au trois quart.

Il essaya de se dégager, de se mouvoir mais il était enfoncé plus haut que les genoux dans l’épaisseur de poudreuse. Le décor n’avait plus rien de romantique. Il eut toutes les peines du monde pour se hisser au niveau de son ski. Sur le point de s’en saisir, il perçut un bruit imperceptible. Avec un vif étonnement sa planche s’enfonça brusquement dans les profondeurs du sol.

Belo était au-dessus d’un trou recouvert d’une mince épaisseur de terre, de branchages, le tout caché par la neige. Cependant, il n’était pas question d’abandonner son ski malgré le danger. Sans lui, s’avoua-t-il, comme pour se donner une excuse, le retour vers la voiture devenait compliqué.

Le ciel était au beau fixe. Il avait retrouvé sa lucidité et pour lui, c’était évident : il suffisait de dégager précautionneusement la neige et ce qu’il y avait autour pour repérer où son fichu ski était tombé.

Belo travailla un bon quart d’heure, suant et jurant à la fois. Puisque rien ne pressait, il s’octroya une pause pour récupérer son sac. Il avait soif. Reposé, il revint près du trou. Sous la neige, la terre était apparue recouverte de mousses et d’épines. Agenouillé, il écarta cet amalgame. Un trou comme la main apparût enfin. Un trou étroit. Un trou qui avait mangé son ski.

Il pesta. Cependant son attitude demeura pragmatique. Dans la poche ventrale de son sac à dos il avait rangé dans son étui de cuir son vieux compagnon : « Alfred ». C’était son poignard qu’une bête sentimentalité lui avait fait baptiser de la sorte en souvenir de son père qui en possédait un aussi. S’en servir pour creuser. Voilà l’idée! Belo s’attela à la tâche. Cette zone où il s’activait pouvait soudain s’effondrer sur une excavation, voire un gouffre. Il s’en fichait. Derrière l’appréhension se cachait la curiosité. C’était elle la plus forte.

La couche était mince. Le ski l’avait percée facilement. Par contre, autour, elle était bien plus épaisse. C’était plus difficile à creuser. Une heure durant il peina. Au terme d’une débauche d’énergie le passage fut assez large pour qu’il puisse s’y glisser. Son dos était cassé et un dernier mouvement lui arracha une grimace. Sa dernière goutte d’eau avalée, il s’offrit une autre pose, sorte de délai de réflexion avant de risquer l’aventure.

Son imagination cavala. Les saletés qu’il avait déblayées et qui étaient tombées dans l’orifice avaient résonné curieusement. Il avait mis à jour, semblait-il, une grotte. Comme la région en était truffée sa découverte ne l’étonna point. A genoux, n’ayant d’autre moyen que son briquet, sous le couvert d’une flamme vacillante, il se pencha. Il aperçut un amoncellement de très gros cailloux, comme un début d’éboulis. Prudent, il jeta une poignée de terre, puis une pierre pour l’écouter rebondir. C’était profond. Malgré la neige, à plat ventre, en allongeant le bras, Belo tenta d’en voir davantage.

A quelques mètres de là il entrevit une forme qui ressemblait à son ski. Avec d’infimes précautions il s’enfila dans l’ouverture et posa un pied sur l’éboulis qui roula légèrement sous son poids. Il respira et pénétra alors sous terre. La flamme de son Zippo lui permit de distinguer un amas de rochers qui fuyait dans l’obscur des profondeurs.

Lentement, Belo tourna sur lui-même. Il respirait à peine. Son cœur tapait fort. Il avança lentement le bras et récupéra le ski. Deux minutes plus tard il était dehors.

Habituellement il n’était pas claustrophobe. C’était bizarre. Il prit une cigarette, la première depuis son arrivée sur le parking. Cette fameuse cigarette qui tuait sournoisement comme c’était écrit en grosses lettres noires sur le paquet. Mais il n’en avait cure des moralisateurs. L’oppression s’estompa. Avec le recul il avait eu la frousse. Il se traita de poule mouillée et cracha un jet de nicotine qui fit tâche sur la blancheur du sol.

Le temps avait bel et bien tourné. Le vent gémissait. Le ciel était chargé de nuages laiteux. La neige avait capturé les bruits. Sa respiration désordonnée résonnait dans sa poitrine. Parfois le craquement d’une branche qui se délestait griffait le silence. Une escouade de corneilles troubla quelques secondes le ciel et lui fit lever les yeux. Au loin, un aigle royal tournoyait autour des ruines du château. En avalant avec extase sa fumée, son poison, il résuma mentalement la situation.

Il n’y avait aucun doute. Il avait découvert une grotte et il se fit le film. Montségur était proche. Là-haut les cathares avaient soutenu contre les troupes du roi de France un siège célèbre et désespéré. Quiconque s’était intéressé à l'histoire savait qu’il était fortement question d’un fabuleux trésor. Pierre Roger de Mirepoix, chef de cette garnison religieuse, avait fait évader quatre hommes avant l’assaut final. Ils s’étaient échappés le long de la paroi vertigineuse à l’aide de cordes. Il était connu que le trésor avait été caché bien avant le siège pour éviter qu’il ne tombe aux mains ennemis en cas de défaite. Ces hommes avaient eu pour mission, suivant les historiens, de le récupérer et de le mettre en lieu sûr.

Ces inconnus avaient-ils seulement survécu? Avaient-ils eu le temps de transporter le trésor ailleurs? A Rennes-le-Château ou dans ses environs comme le prétendaient certains? Et dans le cas contraire, s’ils avaient été massacrés ou capturés, le trésor était-il toujours dans les parages? Autant de questions que Belo se posa en allumant une deuxième cigarette sur le mégot de la précédente. Les alentours avaient été pourtant fouillés par des centaines de chercheurs, de curieux, d’illuminés, en vain…

Le froid était mordant. Il avait transpiré et il frissonna. Son dos était mouillé. Sa cigarette s’était éteinte sur le bord de sa lèvre bleutée. Il avait froid. Il se déshabilla et changea de tee-shirt avant de récupérer ses affaires.

A l’aide du poignard, il coupa des branches et en recouvrit le trou. Puis il parsema de la neige dessus pour masquer l’endroit. Quelques flocons vinrent s’écraser mollement autour. Le ciel avait viré au gris. Il était crucial qu’il repère l’emplacement de l’entrée. Il se promit de revenir. Malgré sa peur du noir.

Son mégot était toujours planté dans sa bouche. Il le ralluma et prit son temps pour le fumer, en fixant, sans réellement la voir, la neige qui virevoltait. Enfin, pesamment, il chargea ses skis sur son épaule et entreprit de remonter la pente du ravin.

Quand il parvint enfin sur le parking il était exténué. Il neigeait abondamment. C’était une bonne chose, pensa-t-il. Le saccage, occasionné par sa chute, par son piétinement autour du trou, qui aurait pu attirer l’œil d’un randonneur, disparaîtrait.

La Ford démarra au deuxième tour de clef. Le moteur ronfla gentiment. Puis il alluma une autre cigarette avant de déposer son équipement dans le coffre. Il lui fallait revenir avec des cordes, un harnais, des lampes. Il possédait dans son hangar, dans une vieille armoire qui fermait à clef, une de ces armoires que se disputaient les antiquaires, un matériel de spéléologie, hérité de son frère qui avait pratiqué ce sport dans un club de Saint-Girons.

Il posa ses deux mains sur le volant, tenta de réfléchir mais l’idée s’était envolée. Sans plus attendre, il enclencha la marche arrière et sortit prudemment du parking. La voiture glissa sur la route immaculée, vierge de trace. Le tic-tac caoutchouté des essuie-glaces le ramena vite à la réalité car la conduite requerra toute son attention.

Quand il arriva chez lui, il dut abandonner la voiture sur le talus. Le raidillon qui menait chez lui était devenu impraticable. Il avait l’expérience de cet inconvénient de saison. Ses skis rangés, il se débarrassa aussi de son sac. Déchaussé, les orteils en liberté, il rejoignit son séjour toujours tiède. Le feu couvait dans l’âtre. Sous un drap de cendres des braises rougeoyaient encore. Ajouter une bûche, donner quelques coups de soufflet, et les flammes se lancèrent à nouveau dans une belle farandole. Il neigea toute la journée et toute la nuit.

Le temps resta couvert, maussade, durant le dimanche. Il fit extrêmement froid. Belo n’avait rien d’un montagnard aguerri, ni d’un aventurier. Une grue n’aurait pas suffi pour le lever du canapé. Avachi, il se délecta d’un roman de Jean-Christophe Rufin. Il zappa sur les chaînes de télé, mangea, somnola. Sa bouteille n’était pas loin. Son excitation s’était bizarrement évanouie. L’exploration de la grotte pouvait attendre. Le trésor il verrait plus tard... Beau temps ou pas, le dimanche n’était pas un bon jour. C’était ainsi… Il vivait avec un moral en dents de scie. Aller là-haut par ce temps de chien était au-dessus de ses forces. Depuis le divorce il était devenu un homme patient. Attendre le retour du soleil.

En fin de journée, à dix-huit heures, comme s’il portait tout le poids de la montagne sur le dos, Belo chargea ses affaires dans la voiture, jeta le reste des victuailles dans une poche plastique et boucla la maison.

Retour vers Toulouse. C’était dimanche soir. Une autre semaine à croupir dans son bureau, à supporter les collègues, les sautes d’humeur de son promoteur de patron.

Le week-end suivant s’annonçait sous de meilleurs hospices. Le vendredi, l’horloge donna le départ. Cette fois-ci, la limitation de vitesse autorisée sur l’autoroute l’emmerda copieusement et il appuya sur l’accélérateur. Sur les hauteurs de Lavelanet il y avait toujours de la neige, mais la route était dégagée. La météo était optimiste pour les deux jours. Un régal pour les skieurs et les randonneurs.

Tôt le samedi matin, les voitures s’étaient élancées à l’assaut de la station. Mais en direction du château il y avait encore peu de passage. La pendule de grand-mère avait donné ses dix coups, la température dehors était clémente. Il était temps de visiter cette fameuse grotte.

Sur le parking une voiture grise était en stationnement. Les silhouettes, une rouge et une blanche, gravissaient la montée vers les ruines de Montségur. Ces deux-là n’étaient pas gênants, pensa-t-il. Cette fois-ci il avait troqué sa paire de skis contre des raquettes plus appropriées. Le dos courbé sous le poids du sac lourdement chargé, il s’engagea dans le champ. Il retrouva l’endroit. Avec des gestes mesurés, il écarta les branchages. La neige était gelée. Il observa les alentours, mais personne ne rôdait dans les parages. La corde solidement fixée à un arbre, il s’équipa alors sans plus attendre. Il se faufila avec précaution par le trou et entreprit la descente après avoir caché son sac dans les broussailles.

Il affichait des gestes tranquilles. Pourtant une appréhension l’étreignait. Le contact de la corde à laquelle il était accroché, la présence du mousqueton, lui donnèrent toutefois un semblant de courage.

La lampe transperça le noir. Une lumière jaune sautilla sur les rochers. Il fit attention de ne pas se casser la figure. De temps en temps, il levait la tête. Une torche fixée sur le devant de son casque éclairait la paroi. Celle-ci paraissait lointaine. Pas à pas, attentif, il descendit. Il faisait bon et il avait déjà chaud. C’était la première fois qu’il pénétrait seul dans une grotte pareille. Il n’était pas à son aise. Sa progression dérangeait l’équilibre des blocs figés dans une immobilité depuis plusieurs siècles voire beaucoup plus. Le bruit de ceux qui s’échappaient, qui roulaient sous ses pas, claquaient dans ce silence souterrain comme un cri d’alerte. Il était conscient d’être un intrus. Qui pouvait bien habiter ici?

Au pied de l’éboulis des dizaines de cailloux avaient dévalé sur le sol. Belo s’arrêta et reprit son souffle. Il pivota avec lenteur. Autour c’était immense. Il éclaira le haut mais il ne distingua rien. A peine une faible lueur. Cela lui fit chaud au cœur. Quelle idée avait-il eu de descendre dans ce foutu piège à rats? Il n’était pas du genre courageux. Mais la curiosité était la plus forte. Cependant, il était dans l’obligation de se défaire de la corde trop courte. Le clic du mousqueton qu’il défit fut comme un cordon ombilical que l’on sectionnait. Avec des pas de loup, concentré sur une zone qu’il balaya largement avec une torche, il s’enfonça dans la grotte. A priori, il était dans une première salle. Le sol était praticable, plat. Lorsque la montagne s’était effondrée cela avait dû faire pas mal de bruit, pensa-t-il. Et la grotte avait été bouchée définitivement par le tas de rocailles. Il n’était resté qu’un trou que la végétation inexorablement avait recouvert. Puis une marne imperméable s’était déposée faisant obstacle aux infiltrations interdisant la formation de stalactites. Les parois étaient jaunâtres, rugueuses. Le sol ressemblait a de l’argile.

Belo appréhenda avec davantage d'acuité l’espace. Il se portait mieux. Il s’aventura plus loin… Le sol, à cet endroit, descendait légèrement. Il le conduisit jusqu’au fond de la salle. Sur la gauche il aperçut un passage, qui continuait plus bas encore. Il n’avait pas le choix s’il voulait progresser. Il posa la main sur la paroi, à sa hauteur. Avec la lampe il l’observa avec attention. La roche était lisse, calcifiée, hérissée de cristaux. De l’eau était passée par ici il y avait fort longtemps ; une rivière avait creusé ce passage.

Il balaya d’un revers de lumière et son cœur explosa.

La torche avait tremblé sous l’effet de la surprise. Le poignet avait hésité. Le rond de lumière s’était perdu dans les ténèbres de la caverne. Belo le fit courir aussitôt le long de la paroi, puis le rond de lumière se fixa et le poignet ne trembla plus.

C’était une main, une main en négatif, une main ocre sur un fond noir. Une main avec cinq doigts.

Balayant plus haut, plus bas, il discerna d’autres peintures, des signes incompréhensibles. Il n’en revenait pas. Fasciné par sa découverte, devant cet art premier, ce langage propre à l’âge de pierre, il était partagé entre joie délirante et humilité profonde.

Il continua son inspection. Le tunnel était couvert d’ornements pariétaux. Des bisons, des bouquetins, des chevaux couraient sous la lumière torche. Des milliers d’années de totale obscurité effacées par une seconde de clarté. Ces signes préhistoriques représentaient des sortes de carrés alignés. Certains possédaient une croix à l’intérieur. A côté de ces figurations des bâtonnets étaient gravés, regroupés ensemble par paquets, à l’image d’un prisonnier qui aurait griffé le mur de sa cellule pour écrire son calendrier carcéral.

Le tunnel descendait de plus en plus. Par prudence il abandonna l’exploration des parois et éclaira le sol. Peur de tomber dans un trou. Un danger pouvait surgir. Le plafond baissait encore. Bientôt, il avança courbé. Autour, sur les parois, il n’y avait plus de bestiaire mais des dizaines de mains, grandes, petites, certaines avec quatre doigts. Des mains dessinées, appliquées. Chamanisme? Culte? Initiation?

Belo n’en menait pas large… Dans ces profondeurs, il se sentait désarmé et fragile. Mais il désirait ardemment aller jusqu’au bout. Dans cette démarche, il progressa encore, décidé à en voir davantage. Il poursuivit son effort mais stoppa plus loin. Il s'installa sur un rocher. L’envie de fumer le reprit. C’était quand il était le plus vulnérable qu’il devait en griller une.

Comme pour se cacher, il éteignit les lampes pour affronter la nuit totale. C’était une impression des plus bizarres. Ce geste n’avait pas été anodin. La cigarette était un prétexte. Il désirait par bravade se confronter à la solitude absolue. Seul, sous terre, dans le noir.

Il y eut le clic du briquet, le souffle léger de la flamme, enfin le goût de nicotine qui emplit son palais. Il était moins seul. Son cerveau profita de ce répit pour faire du rangement.

Belo avait tiré si fort sur sa cigarette que ses doigts en avaient senti la chaleur du foyer. Quand il eut fini de fumer il se servit du talon pour éteindre le mégot puis il ralluma une lampe, celle que tenait sa main. Il joua avec le bouton, le poussant, puis le tirant, se laissant bercer par le spectacle de l’obscurité, de la lumière, puis encore de l’obscurité et encore de la lumière. Une main vivante qui éclairait des mains mortes.

Il y en avait partout.

Il aperçut d’autres reproductions animales : ours, aurochs, cerfs. Foisonnement d’un temps ancien qui emplissait l’espace. Des bêtes, dont le geste, la course, la blessure avaient été figés à jamais dans la pierre et la couleur. Ce lieu dépositaire du mythe des origines dégageait une force qui obligeait au respect.

Des noms lui revinrent à l’esprit. Niaux, Bedeilhac, le Mas d’Azil, les Trois frères, le Cheval ainsi que d’autres endroits célèbres dont il avait oublié le nom. L’art paléolithique était très représenté dans les Pyrénées.

Une pensée jaillit soudain. S'il prévenait les autorités la grotte serait fouillée durant de longs mois, pour être livrée ensuite à l’appétit des scientifiques, des universitaires. Dans l’immobilité ambiante, dans le fouillis de son esprit, un gros doute s’installa. L’art pariétal restait toujours fragile. Les dégâts occasionnés de Lascaux en étaient la preuve. Pour protéger sa découverte d’une dégradation occasionnée par la fréquentation avide d’un public, les officiels la feraient fermer. En outre Belo n’était pas certain qu’il pourrait lui-même s’y rendre lorsqu’il le désirerait.

Pourquoi partager alors dans ces conditions?

Il était temps de continuer. Belo se releva puis se ravisant, il ramassa le mégot. Il avançait courbé et dut progresser à quatre pattes. Sur le point de renoncer, il aperçut devant lui un objet. Dans l’euphorie de sa découverte il avait éclairé les parois en négligeant d’observer le sol. Il était sans doute passé à côté de traces de pas, d'outils, de pointes, de sagaies ou autres trucs de cette époque-là.

Sa main se saisit de l’objet. Il le détailla et devina aisément ce que cela représentait. Une lampe creusée dans la pierre. Avec un peu de graisse de renne. Il y avait des milliers d’années, un homme était passé par là. Il s’était baissé comme lui. Avec, de surcroît, la peur au ventre, avec sa faible flamme de luciole, cet ancêtre lointain avait rampé, il avait osé, et ne s’était pas arrêté en chemin.

Dans un état second, exaltation suprême, ce qu’avait fait cet ancien, Belo pouvait le réaliser. Il s’allongea, se tortilla, devint serpent, et il se coula dans le trou. Il s’éloigna encore plus du monde de la lumière, celui des humains. Le tunnel était long ou était-ce seulement dans sa tête? Au prix de reptations, d’efforts, il déboucha dans une salle aux dimensions d’une chapelle. Sitôt sur ses pieds, il inspecta les parois. Comme dans le tunnel, elles étaient couvertes d’une couche de calcite. Cette cavité, bien avant la venue des hommes de Cro-Magnon ou de Neandertal était remplie d’eau. Puis celle-ci ayant disparu, l’homme s'était approprié l’espace. Il avait apposé sa marque, ses dessins, sa signature et ses dizaines de mains qui tapissaient ce sanctuaire.

Belo recommença son manège d’inspection, de haut en bas, et de long en large. Il était dans un refuge sacré, berceau d’une croyance, début d’une religion. Puis sa lampe donna des signes de faiblesse et il se maudit. Il n’avait pas pensé à prendre des piles de rechange. Profitant de ces derniers instants, il vérifia qu’il était dans une impasse. Il n’y avait dans le fond qu’une fissure qui plongeait dans les entrailles… Sans doute, existait-il ailleurs des croisements qui lui avaient échappé. A contrecœur il s’apprêta à faire chemin arrière.

La main

Caprice du destin. Le restant de lumière accrocha dans un coin un rocher particulier. Mais bien à y regarder c’était autre chose. C’était gris foncé mais ce n’était pas non plus du métal. C’était de la dimension d’une grande table, massif, oblong, luisant et bizarre.

Belo s’en approcha avec précaution. La puissance diminuée de ses piles faisait fondre irrémédiablement la clarté de sa torche. Il ne lui restait que celle du casque mais elle était faible. Devant l'objet, entouré d’une aura surgie d’un passé révolu, il demeura figé, immobile, dans l’attente d’une réponse qui ne vint pas. Un frémissement de son dos marqua le désarroi qu’il ressentit. Puis dans ce silence oppressant, sous la voûte de granit, comme sous le narthex d’une église préhistorique, les piles de la torche rendirent l’âme. L’obscurité recouvrit d'un manteau de mystère l’objet sorti d’un autre temps.

Rapidement, il ôta son casque et récupéra la lampe fixée par un clip comme sur les vélos. L’instant suivant, il brandit le rayon sur sa découverte. Dans le même élan, et osant s’en approcher, Belo posa sa main droite sur cette substance spéciale.

Les yeux écarquillés, pour apercevoir ce que l’obscur cachait, la bouche close, les lèvres sèches, la déglutition pénible, Belo examina la chose avec attention. Il y avait une entaille profonde creusée dans la partie supérieure, avec la forme d’une main.

« Une main, encore une! » lâcha-t-il à voix haute. Par contre, celle-ci était différente. Une empreinte comme si une main de fer, portée au rouge par le feu de l’enfer, avait fondu la matière pour creuser un sillon vertical de la longueur d’un bras. L’objet portait le signe de cette main tel un bœuf brûlé par la marque de son propriétaire.

Belo était tenté d’y mettre la sienne mais son geste restait en suspend. Quelque chose d’indéfinissable le retenait... Son front empourpré de sueur l’agaçait. Une crispation stomacale soudain lui procura un début de nausée. Ce trou était comme un gant rigide. Un sentiment d’une irrévocabilité fatale l’empêchait de bouger.

Son attention fut alors attirée par une forme, un objet appuyé sur la paroi, sur la droite de cette chose immémoriale. Il braqua le rayon. Plus que la découverte de la grotte, des peintures, plus que la lampe trouvée sur l’argile, plus que la chose gardienne du lieu, c’était une épée qui le narguait par son anachronisme.

Belo se demanda avec stupéfaction ce que pouvait faire là une arme du Moyen Âge alors que les hommes du Magdalénien ne possédaient que des sagaies ou des couteaux... Détachée dans la lueur spectrale de la lampe, l' arme antique le propulsa, pareil à un trait qui aurait traversé les siècles, vers ces funestes jours de la prise de la vieille citadelle. Parmi les preux chevaliers de Montségur, les soldats, les arbalétriers, les mercenaires, tous les hommes de sac et de corde qui défendaient le « castrum ».

Couvert par la chape d’un immense respect Belo s’en saisit et se laissa surprendre par son poids. La contemplation de cette arme avait modifié sa perception du temps. Il resta là, ignorant les nouvelles faiblesses de sa deuxième lampe.

Revenant à la réalité, muni de sa prise, Belo dut se résoudre à revenir vers le tunnel. Avec cette pesante épée, encore rangée dans son fourreau, couvert d’un cuir mangé par le temps, il eut des difficultés pour ramper. Cahin-caha, il se débrouilla quand même pour tirer l’arme. Il n'était pas question de l’abandonner. Il tenait la preuve qu’ils étaient venus. Dans le noir de la grotte éternelle, les coffres remplis d’un trésor flamboyant miroitaient dans son imagination.

Progressant par à-coups, respiration cassée, genoux, coudes en lambeaux, écorchés aux mains, il parvint enfin à s’extraire du goulet. Il put alors se redresser et avancer. Brusquement ce fut le néant. La lampe, contrairement à la torche, avait décliné plus vite. Il eut un instant de panique. Heureusement les neurones jouèrent leur rôle. Ils rassurèrent le cœur, annihilant la panique et affichèrent la solution. Il n’y avait qu’un seul chemin. A tâtons il suffisait de suivre la paroi du tunnel. Et Belo possédait toujours son briquet.

Il refit le parcours inverse. Puis l’air ambiant virevolta, bougea, chahuta la poussière, caressa ses joues. Ses pas firent rouler des cailloux qui résonnèrent dans l’immense caverne. Il aperçut, là-haut, un point blanc opalescent. Le trou au sommet de l’éboulis lui montrait la voie à suivre.

Épuise, Belo fit une nouvelle halte. Sans changer un iota à sa façon de faire, par un tour de magie dont seul les fumeurs sont capables, il décora le pli de ses lèvres du mégot qui avait traîné dans sa poche. Il sortit son vieux Zippo. Clac! Flamme! La fumée fut inhalée dans les poumons. Il était sorti d’affaire… Dans la pénombre, inconsciemment, sa main caressa la poignée de l’épée qu’il tenait serrée contre sa jambe.

Ayant retrouvé son entrain, porté par une jubilation de bon aloi, il gravit la pente qui le conduisit vers la lumière. La corde était toujours là. Ce fut le soulagement. L’ascension de l’éboulis ne posa aucune difficulté. En un tour de main, après avoir risqué perdre l’équilibre, il déboucha enfin au prix d’un ultime effort, d’une dernière contorsion, à l’air libre.

Belo prit le temps de savourer son exploration. Assis, les pieds pendant dans l’orifice, il examina avec attention sa curieuse trouvaille posée sur ses genoux. Son index remonta le long du la garde. Il sortit l’épée du fourreau. Le contact de l’acier sur son doigt lui délivra une image fugace. Celle du siège. Des hommes, chevaliers, gens humbles, vêtus de cotte de maille ou de simples pourpoints, tapis derrière les créneaux du donjon ou à l’abri dans la barbacane, qui guettaient les noires silhouettes des soldats du roi de France. Combien de coups cette arme avait-elle distribués, combien de visages et de ventres avait-elle tranchés, en tuant, estropiant, faisant pisser le sang, donnant la mort. A qui avait-elle appartenu? A sire Doumergue qui avait été l’instructeur de la forteresse, à l’un de ces inconnus qui s’étaient échappés la veille de la bataille? Ou bien à quelqu’un d’autre?

Mais la question qui l’interpella, qui vrilla sa raison, était de savoir pourquoi il y avait une épée. Il ne savait pas comment désigner cette espèce de mégalithe. Comment un tel objet avait-il franchi le tunnel, là où il avait été obligé de ramper tel un lombric? Quand il n’y avait aucune explication, se dit-il, autant ranger l’énigme et attendre.

Belo était l'inventeur d'une grotte préhistorique, couverte de dessins, de gravures merveilleuses. Il avait de surcroît trouvé une épée dont la présence restait anachronique. Une découverte qui risquait de déterrer d’anciennes passions liées au trésor des cathares.

Ses connaissances archéologiques étaient limitées. Mais il avait la solution. Son frère était professeur d’histoire géographie au lycée de Foix. En outre il était féru de sa région et de son passé.

Précautionneusement, Bélo rangea sa trouvaille contre un sapin puis il s’attacha à masquer le passage. Il rangea la corde, son attirail dans le sac à dos et, perplexe, perdu dans l’entrelacs de pensées contradictoires, il grimpa en direction du sentier et retourna vers le parking.

En fin d’après-midi, devant la télévision allumée et muette, installé en tailleur sur le canapé, les chaussures devant l'âtre, le téléphone ventousé sur l’oreille, la main gauche en bataille avec le plastique récalcitrant d’un paquet de cigarettes, il composa le numéro de son frère.

- Bonsoir c’est moi!

Une voix douce avec une touche pointue lui répondit. C’était l’épouse de Jacques. Belo, depuis son divorce, avait parfois une tendance au machisme. Il considérait sa belle-sœur, qui était, fonctionnaire au trésor public, avec hauteur. Comme une jeune femme charmante mais incontestablement idiote. Idiote mais pas bête. Elle lui demanda :

- Tu as besoin de lui?

Il accusa le coup. C’était la vérité. Il ne téléphonait jamais pour une parlote. Il avait évidemment un service à quémander. Il se coula alors dans une amabilité feinte en sachant qu’elle n’était point dupe.

- Ouais! Je peux m’inviter à dîner ce soir? C’est important. Et quand je dis « dîner », c’est une façon de dire, tu sais bien... Surtout ne fait rien de spécial.

- Tu dormiras aussi?

Belo hésita mais la discussion risquait de se prolonger dans la nuit.

- Si c’est trop tard pour reprendre la route, avec plaisir…

Et traîtresse qui le connaissait bien, elle rajouta :

- Et comme tu vas picoler c’est quand même plus prudent.

Ignorant la provocation, il demanda pour en finir avec elle :

- Il est là?

- Non! Il est descendu en ville mais il a oublié son portable. Tu arrives quand?

- Aux alentours de dix-neuf heures… ça ira?

- Parfait… A ce soir!

Il raccrocha le premier. Le sort en était jeté. Son excitation était à son comble. Il avait besoin de partager son secret. Il était clair qu’il ne dirait pas tout. Il voulait avoir l’avis de son frère.

Ce n’était aucunement la découverte de la grotte et des vestiges préhistoriques qui le motivait. Mais celle de se confronter avec l’objet en question, d’y mettre la main. Un besoin impérieux lui dictait que c’était l’unique priorité. Le pourquoi, il n’en savait rien. Le reste n’était que simple décor. Cette obsession était-elle le signe d’un envoûtement?

Dès qu’il fut prêt, Belo ferma la maison et prit la route. Dans la vallée la circulation était intense. A Foix il dédaigna le tunnel qui évitait l’agglomération et préféra profiter de la superbe vue sur le château et sur les anciennes maisons qui trempaient leurs fondations dans l'eau tumultueuse de l'Ariège.

A Saint-Girons il quitta la route nationale et bifurqua vers une petite route qui escaladait la montagne. Elle était sinueuse et les virages étaient sans visibilité. Heureusement il n’y avait pas de neige ni de verglas. Le temps s’était radouci.

Jacques et sa compagne Nathalie vivaient dans un vieux chalet. Depuis des années ils travaillaient à le rénover. La maison était dotée d’un splendide paysage et dominait la vallée qui s’étirait dessous, défigurée par les miasmes de la ville. Des centaines de constructions groupées en paquet. Ce tableau urbain revêtait comme un air de fête dès les premières heures de la nuit. Ces lumières au loin désignaient chacune un foyer. Des milliers d’ampoules qui éclairaient la vie nocturne de ces hommes, de ces femmes, qui descendaient des hommes de Cro-magnon. Ses pensées s’entremêlèrent. Il était grand temps qu’il arrive. Un bon apéritif et la figure réjouie des enfants, la tignasse du prof, le sourire de l’idiote, la télévision en bruit de fond, la cafetière toujours branchée, et l’odeur des spaghettis ou du pot-au-feu. Voilà ce dont Belo avait besoin!

Il était arrivé. Il gara la voiture dans l’allée en pente et sans plus attendre se manifesta à la porte d’entrée.

- Bonjour BB.

Jacques était l’aîné. Il avait toujours appelé son frère par ses initiales. Bertrand Belo. Ce jeu de mot trouvé à l’âge de dix ans était devenu définitif.

- Salut Jacques.

Les joues râpeuses des deux frères s’effleurèrent dans un baiser viril. Ensuite ce fut au tour de Nathalie et des enfants. Benjamin avait onze ans et lui sauta au cou avec la fougue de sa jeunesse. Éléonore treize ans fut plus réservée. Quant à l’aînée, Myriam, qui en avait presque seize, elle lui jeta un bonjour rapide avec l’air contrit de ces adolescents qui étaient obligés d’abandonner l’écran de leur ordinateur.

La pièce était spacieuse. Un séjour avec une cuisine américaine. Au fond, une cheminée blanche dont les flammes artificielles crépitaient silencieusement proposaient une ambiance tronquée. Le bois était partout. Les plafonds, les murs étaient lambrissés. Le plancher était en noyer. Les meubles en pin. Il y avait deux fauteuils en cuir et de nombreux bibelots de valeur. Tout était beau, propre, bien à sa place, grâce à l’idiote.

Jacques sortit la carafe en cristal. C’était un whisky de quinze ans d’âge mais Belo s’en fichait. Seule comptait l’ivresse. Les verres s’entrechoquèrent dans une tendresse fraternelle. Les deux frères, quoique à l’opposé, étaient heureux de se retrouver. Nathalie ne buvait rien. Elle s’activait dans la préparation du repas : endives au fromage. Et cela sentait bon.

Tandis que Jacques fouillait le placard à la recherche d'amuse-gueules Belo en profita aussitôt pour mater sa belle-sœur à la dérobée. Elle était bien fichue, pensa-t-il. Belle poitrine, beau cul, fausse blonde. Idiote mais heureuse. Il était naturellement conscient d’envier Jacques. Mais on ne se refaisait pas. Il était né angoissé, tourmenté et il mourrait plus tard dans la peur et la solitude.

Jacques le tira de ses noires pensées en lui demandant :

- Qu’est-ce qui t’amène?

Belo hésita puis il se jeta à l’eau.

- J’ai découvert une grotte préhistorique.

Il avait énoncé cela à voix basse. C’était quasiment inaudible. Jacques était son frère mais par une pudeur mal placée ils ne s'abandonnaient jamais à de véritables confidences. Dans la famille les hommes se taisaient peut-être parce que les femmes parlaient trop. Ils ne savaient pas communiquer, chacun à côté des autres, mais chacun enfermé dans sa vie.

Haussement de sourcils, yeux ronds et bouche ouverte dans l’attente du verre qui resta bloqué dans la main de Jacques. L’effet de surprise passé, la bouche se referma. Le verre fut posé sur la table, oublié pour un temps. Ses yeux brillaient de curiosité.

- Que dis-tu?

- J’ai découvert une grotte. Je me suis cassé la gueule en ski et je suis tombé quarante mille ans en arrière.

Le sort en était jeté. Belo se plongea dans son récit tandis que Jacques écoutait médusé. Pour aiguiser les mots, pour délier sa langue, il buvait à fines lampées. Il parlait à voix basse, à l’aide de mimiques pour lui faire comprendre que sa ravissante idiote d'épouse ne devait pas être mise au courant. Jacques acquiesçait de temps à autre. Nathalie était une pipelette et il y avait tout à craindre si elle devinait ce qui ce tramait.

Sous le halo du lampadaire, penchés l’un en face de l’autre, les coudes sur les genoux, les yeux dans les yeux, verre contre verre, les frères ressemblaient à des conspirateurs. Jacques avait avalé son breuvage d’un trait. Puis il posa la question que Belo attendait.

- Où se trouve la grotte?

- Écoute, Jacques… Pour l’instant je ne peux pas te le dire… Ce n’est pas que je n’ai pas confiance mais je désire y retourner avant d’être sûr.

- Sûr de quoi? Y a-t-il des dessins ou pas?

- Oui! Oui! répondit Belo vivement. Là n’est pas la question. Des représentations rupestres il y en a partout.

- Pourquoi hésites-tu alors? Tu aurais ton heure de gloire. La télé et les journaux. Tu peux même gagner du fric si tu sais t’y prendre avec les médias.

- Ouais! L’argent tu as raison. Mais je tiens surtout à conserver ma tranquillité. Et puis cette grotte n’est pas si grande si on la compare à Niaux ou Lascaux. Ouverte au public les peintures s’abîmeront. Sans parler des changements que cela va apporter sur le site. Grand parking, béton, buvette, hôtel et que sais-je encore?

- Tu vas peut-être un peu vite en besogne. Ne me dis pas que ça te gênes. Tu n’es pas non plus sans savoir que les mentalités et les techniques ont évoluées. Il existe une déontologie dans les milieux scientifiques aujourd’hui.

Jacques était un intuitif. Belo ne savait pas mentir. Il n’était pas à l’aise dans ce jeu de paroles. Il était coincé car il ne voulait pas révéler la raison de son obstination. Ce n’était pas l’épée qu’il tenait cachée sous le lit mais cet objet anachronique qui l’obsédait. La conversation faiblit alors dans l’entonnoir de la gêne. Nathalie fit diversion et convia tout le monde à table. Les enfants mirent rapidement l’ambiance. Ils discutèrent de choses et d’autres. Belo, habilement, tenta de remettre la conversation sur les grottes. Plus précisément sur l’art paléolithique.

Les enfants étaient de bons élèves, éduqués dans le droit fil de l’éducation nationale dont le père était un représentant brillant. Ils détenaient déjà une certaine culture. Curieux, chacun voulut y aller de ses petites connaissances. De son côté Jacques ne resta pas insensible au sujet. Très vite, ce fut lui qui monopolisa la conversation.

- Les mains représentent une des premières manifestations de l’art rupestre. Elles sont souvent liées à une initiation. On en trouve partout sur la planète ou presque. Beaucoup par ici, dans les Pyrénées. Dans la grotte de Gargas il y a plus de deux cent trente mains. Mais on en trouve aussi en Patagonie. Un abri sous roche réputé, appelé « Pico pinturas » possède des traces sombres et claires de mains en négatif.

- Que veut dire négatif? demande Belo.

Ce fut la petite Éléonore qui répondit, fière de son savoir.

- Les hommes préhistoriques posaient une main sur le rocher et soufflaient dessus de la poudre de couleur qu’ils gardaient dans l’autre. Le dessin était fait. Ils étaient malins.

Jacques reprit l’exposé de sa fille.

- Par contre la technique inverse en appliquant la main couverte de pigments reste plus rare et on l' appelle : main en positif.

- Pourquoi des mains? dit Nathalie fort à propos.

Jacques continua son cours.

- On pense que c’était une façon de se soumettre à des règles. On a trouvé au Mexique des mains blanches d’adolescents avec des motifs de quadrupèdes ajoutés souvent ultérieurement.

- Et tous ces signes bizarres, les zigzags, les étoiles, les barres? énuméra consciencieusement Belo.

- Ces dessins ont un rapport avec le chamanisme… D’après une théorie, les hommes préhistoriques, par des procédés divers, suivant les régions, suivant leur rite, ont découvert les effets de la transe. Ce qui est évident, de nos jours, c’est que cet état, étudié par les neuropsychologues, obéit à trois stades. Toujours les mêmes, quel que soit la personne qui parvient à cet état. Lors de la première étape le sujet voit ces signes. Ce sont les premières hallucinations. La deuxième partie de la transe c’est comme un couloir, un trou dans lequel on tombe à grande vitesse, un tourbillon prodigieux qui entraîne le sujet dans une autre dimension. Les fameux signes bizarres sont encore là. Ils semblent tournoyer autour du sujet. Enfin, pour les plus endurants, c’est le troisième niveau. On est prisonnier comme dans un jeu vidéo. Les hallucinations sont d’une vérité criante. Elles surgissent avec force du subconscient. Les angoisses, les rêves, les croyances, auxquelles chacun alors peut s’identifier, prennent toutes sortes de formes. Des humains, des animaux, se mélangent dans la fabrication de personnages composites, de corps monstrueux. On a retrouvé des statuettes en ivoire d’hommes à tête de lion. Dans la grotte des Trois Frères il y a une gravure magnifique d’un homme à tête de renne, baptisé le sorcier ou le dieu cornu. Il en existe d’autres en Dordogne et dans des centaines de grottes de par le monde.

Jacques était lancé. Plus rien ne paraissait devoir le stopper. C’était sans compter avec Nathalie. Fatiguée de ce début de cours magistral, elle profita de l’opportunité de son plateau de fromages pour interrompre son mari.

La soirée se termina. Les discussions se turent. Les enfants avaient depuis longtemps rejoint les chambres. Nathalie avait dit bonsoir à son beau-frère et Jacques était resté le dernier à lui tenir compagnie.

Il était deux heures du matin quand Belo se coucha. Il était ivre. Le plafond tanguait, se transformait, les murs vacillaient. Dans sa soûlographie il voyait sur le mur des centaines de mains,

vivantes, rouges, noires, sanguinolentes, qui marchaient sur les doigts, qui grimpaient sur le drap et qui sautaient sur son ventre. Des mains comme des araignées qui l’agrippaient, qui l’entraînaient vers l’armoire, vers le trou de l’armoire. Le trou de la terre. La caverne.

Nuit de merde où il s’épuisa au lieu de se reposer. Les volets étaient ouverts. Le soleil l’avait réveillé. Ses yeux clignotaient et le tableau de la nature virginale ne le toucha nullement. Sa bouche était en carton. Son cerveau était en bois. Il avait sombré dans un naufrage de whisky où il s’était retrouvé solitaire. Son frère ayant rejoint sa ravissante idiote aux alentours de minuit.

En fin de matinée, il prit congé de ses hôtes pour rentrer sur Toulouse directement. Dans son petit appartement la soirée s’étira interminable. Il n’avait en tête qu’une idée : celle de retourner à la grotte. L’énigme de l’épée et de la masse bizarre restait entière. C’était cette dernière qui l’intriguait le plus. L’empreinte était une invitation si forte qu’il ne pouvait s’y soustraire. Cette inclinaison était irrationnelle. Néanmoins, elle était si présente qu’il lui était impossible de ne pas y céder. L’arme avait-elle un rapport avec l’empreinte? Suivant la configuration du tunnel qui menait à la salle, il ne s’expliquait toujours pas comment ce mégalithe avait pu se retrouver là. Ces questions tournaient dans sa tête comme le tambour d’une machine à laver en plein essorage.

Une nouvelle semaine vint s’additionner à la longue liste du calendrier. En montagne la neige était de retour. Mais elle était différente. Après une longue averse de flocons cotonneux elle était devenue agressive, sous forme de minuscules boulettes, dures, solides, à l’image d’une pluie en matière plastique. Le vent était glacé et c’était une folie vouloir sortir par ce temps.

Jusqu'à Lavelanet il n'y avait aucune difficulté. Mais la route ensuite était bloquée. La gendarmerie filtrait les voitures qui montaient. Il avait eu l'autorisation de passer à condition de mettre les chaînes. En rouspétant il avait finalement obtempéré et il s'était garé. Quand il était arrivé chez lui la maison était glacée. Aussitôt il s'était activé devant la cheminée et peu à peu la chaleur avait envahi la pièce. Ayant ôté son anorak trempé il s'était étendu sur le canapé pour avaler les sandwichs qu'il avait achetés avant de quitter Toulouse. L'habitude aidant, il s'était endormi devant la télé, sa bouteille à peine entamée posée sur le sol.

La tempête avait sévi toute la nuit. Le hurlement du vent, les rafales de grésil sur les volets, ne l’avaient pas réveillé. Au matin la route avait totalement disparu sous une couche de poudreuse. Le chasse-neige était en retard. Sa tasse de café à la main, le nez collé à la vitre de la fenêtre, Belo était coincé pour un bout de temps. Il n’avait d’autre solution que de prendre son mal en patience, attendre que les routes soient dégagées.

Dehors tout semblait s’être ralenti. C’était terrible d’avoir un désir violent et de ne pouvoir l’assouvir. Il n’avait qu’une hâte, revenir à la grotte. Une rage impuissante le faisait bouillir.

Tôt le lendemain, il se leva et scruta avec perplexité le ciel. Celui-ci était dégagé. La neige avait repris la veille mais elle avait finalement cessé au cours de la nuit. Il chaussa ses bottes en caoutchouc et se rendit dans le jardin pour inspecter la route. Le chasse-neige était passé.

Avec les chaînes toujours accrochées aux roues de sa voiture il était probable qu’il pouvait monter jusqu’à Montségur.

Optimiste, Belo prépara un copieux petit déjeuner : œufs à la poêle, fruits, fromage… Il dégusta une dernière gorgée de vin de Fronton et prépara son matériel d’explorateur sans oublier, cette fois-ci, les piles de rechange qu’il entassa en priorité dans son sac à dos.

Vers dix heures il était garé sur le parking. Il n’y avait personne à l’exception de quelques maigres corbeaux qui faisaient tâche sur la blancheur du parking. A son approche ils s’envolèrent lourdement pour se poster plus loin. Mais pas trop, afin de surveiller de leurs yeux perçants l’intrus qui les avait dérangés. Il chaussa les raquettes.

Traverser le champ à pas réguliers, puis retrouver le sentier à travers le feuillage bruissant, pour dénicher l’entrée cachée par ses soins, furent autant d’étapes qu’il franchit sans hésitation. Il boucla son ceinturon et se glissa dans l’ouverture. L’éboulis était dangereux. Il se méfia donc de ne pas perdre l’équilibre malgré la corde fixée qu’il tenait bien tendue. Dès la descente terminée il se débarrassa d’un geste décidé de son mousqueton. Enfin, pensa-t-il, je suis à pied d’œuvre.

Dans la grotte, devant les différentes scènes des mains, celles des animaux bichromes cerclés de noir, il s’attarda longuement, détaillant chaque centimètre de la paroi, sans se soucier d’user la pile de sa torche, savourant le plaisir ineffable du découvreur qui dialoguait avec le passé.

L’ambiance ouaté le poussait au recueillement. Il n’était pas vraiment descendu pour contempler ces magnifiques dessins mais il ne pouvait cependant se résoudre à passer son chemin sans s’arrêter. Son rendez-vous avec l’objet était inéluctable. Mais il avait tout son temps. Même si ce mot, dans ce temple préhistorique, paraissait dérisoire.

Boulonné sur le sol par le talent de ces artistes Belo parvint toutefois à progresser. Il atteignit le fond du tunnel. Respirant un bon coup, il s’allongea et s’employa à ramper rapidement dans le passage pour rejoindre la fameuse salle. Quand il fut debout et qu’il épousseta son jean maculé de poussière, il n’eut pas d’état d’âme. Il était maintenant pressé d’en finir avec cette démangeaison qui le tarabustait, qui lui suçait le cerveau… Il désirait mettre sa main dans l’empreinte, sa misérable petite main, unique pourtant parmi toutes celles qui le hantaient depuis huit jours.

Ses artères palpitaient à se rompre mais il parvint à dominer son stress. Il était motivé. C’était la deuxième fois qu’il venait ici. La peur de l’inconnu était moins forte. La salle était figée dans l’espace et le temps.

La lumière éclaira la masse mystérieuse. Elle avait été installée contre la paroi comme pour gagner le plus de place dans cette salle réduite. Elle dégageait une onde qu’il capta dans les replis de son émoi. Le rond de lumière la caressa respectueusement avec l’idée floue de la déshabiller de son mystère, de lui ôter cette pelure d’un autre monde.

Comment cet œuf géant était-il arrivé là? Par le passage, se dit-il, cela demeurait impossible. Avait-elle été taillée sur place? C’était improbable. La matière restait étrange. Ce n’était pas de la roche, ni du métal. Son aspect était lisse, brillant, mais à bien l’examiner, en passant doucement le plat de l’index, il s’aperçut que la surface était constituée de grains minuscules. Il posa la main dessus et il s’attendit à la sentir vibrer. Mais il ne se passa rien. Belo ferma le poing et de la pointe de ses articulations il tapa dessus, pour la sonder. Son ventre était plein, extrêmement lourd sans doute.

Il avança lentement la main droite au-dessus de l’ouverture. Les contours épousèrent parfaitement la forme de ses doigts. Belo s’enfonça millimètre par millimètre dans cette saignée. Ce fut d’abord le médius qui effleura le fond. Puis l’index, l’annulaire, l’auriculaire puis enfin le pouce. Prenant la dernière décision, retenant son souffle, il se hissa ensuite sur la pointe des pieds pour bien aplatir la main, appuyer fermement la paume.

Il resta ainsi, statufié dans cette position, lié à la chose par cette passerelle étrange. Excepté l'étrangeté de la situation et du lieu, il ne ressentit rien de particulier. La minute passée, il retira sa main à regret et soulagé à la fois.

Soudain, Belo eut un étourdissement. Il se sentit défaillir. La paroi bougeait. Des carrés, des rectangles, des losanges, des cercles et des signes biscornus dansaient dans une farandole colorée. Cette sorte de tourbillon cabalistique l'emporta avec force et soudain il s’accéléra.

La salle était illuminée. Plus exactement, la paroi devant lui faisait office d’écran de cinéma. Il projeta dessus la vision qui le possédait. Puis le rythme augmenta de vitesse et Belo tomba dans un puits, entraîné par une spirale infernale. Les signes grandirent et s’entrechoquèrent dans un cliquetis de mauvaise augure. Leurs aspérités acérées le frôlaient paraissant pouvoir le déchiqueter.

Il perdit la notion du temps. Il s’évanouit.

Une étoile bleutée brillait devant lui. Tout autour c’était le noir absolu. Puis ses yeux s’habituèrent. Il était allongé sur un sol dur et tiède. Paradoxalement il avait froid et son corps tressaillit à plusieurs reprises. Ses extrémités étaient glacées. Il se dressa, un genou à terre. Où se trouvait-il?

L’étoile était proche. Le noir devint gris, s’habilla de formes. L’étoile n’en était pas une. Il s’approcha et resta sidéré. Il était confronté à cette fameuse représentation. L’étoile était une main grandeur nature. Il était subjugué. Bizarrement, contrairement à sa première impression, elle n’était pas dessinée sur le mur. Elle était gravée. Les doigts étaient orientés vers le haut, le pouce vers la droite. Une main gauche aux contours lumineux comme si le tracé avait été fait par un crayon de clarté.

Mais, à bien y regarder, il découvrit, sous le halo faible de la lumière, trois mains identiques qui n’étaient pas éclairées et qui décrivaient un arc de cercle. Toutes positionnées sur la droite de celle qui brillait. Une autre enfin se trouvait plus bas, décalée. Des empreintes de mains délivrant un message énigmatique. Intrigué au plus haut point mais n’ayant aucune réponse, il se tourna et scruta attentivement le reste de cet endroit étrange.