Le Diable boiteux - Ligaran - E-Book

Le Diable boiteux E-Book

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Extrait : "Une nuit du mois d'octobre couvrait d'épaisses ténèbres la célèbre ville de Madrid : déjà le peuple, retiré chez lui, laissait les rues libres aux amants qui voulaient chanter leurs peines ou leurs plaisirs sous les balcons de leurs maîtresses ; déjà le son des guitares causait de l'inquiétude aux pères et alarmait les maris jaloux ; enfin il était près de minuit lorsque don Cleophas Leandro Perez Zambullo, écolier d'Alcala, sortit brusquement par une lucarne."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Le Diable Boiteux.
Notice sur Le Sage

Il faut placer Le Sage tout simplement à côté de Molière ; c’est un poète comique, dans toute l’acception de ce grand mot, la comédie. Il en a les nobles instincts, l’ironie bienveillante, le dialogue animé, le style net et limpide, la malice sans cruauté ; il a étudié à fond les différents états de la vie, en haut et en bas du monde. Il sait très bien les mœurs des comédiens et des grands seigneurs, des hommes d’épée et des gens d’église, des étudiants et des belles dames. Exilé du Théâtre-Français, dont il eût été l’honneur, et moins heureux que Molière, qui avait les comédiens à ses ordres et qui était le propriétaire de son théâtre, Le Sage s’est vu obligé plus d’une fois de refouler en lui-même cette comédie, qui n’avait pas de débouché au dehors faute d’acteurs pour la représenter ; alors, force a bien été à l’auteur de Turcaret de trouver une forme nouvelle qui lui permît de jeter dans le monde l’esprit, la grâce, l’enjouement, l’enseignement qui l’obsédaient. De pareils hommes, quand on écrit leur biographie, il n’y a qu’une chose à faire, c’est la louange. Plus ils ont été cachés et modestes dans leur vie, et plus les critiques qui s’en occupent ont le droit de les entourer de respects et d’éloges ; c’est là une justice tardive si vous voulez, mais enfin une justice ; et d’ailleurs, qu’importent ces évènements vulgaires ? Toutes ces biographies se ressemblent. Un peu plus de pauvreté, un peu moins de misère, une jeunesse vivement dépensée, l’âge mûr sérieux et rempli de travail, une vieillesse respectée, honorable, et au bout de tous ces travaux, de toutes ces peines, de toutes ces angoisses de l’esprit et du cœur dont les grands artistes ont seuls le secret, l’Académie-Française en perspective. Alors si vous êtes un homme médiocre, toutes les portes vous sont ouvertes ; si vous êtes un homme de génie, la porte s’ouvre difficilement ; enfin, êtes-vous par hasard un de ces esprits excellents qui n’apparaissent que de siècle en siècle ? il peut se faire que l’Académie-Française ne veuille de vous à aucun prix. Ainsi a-t-elle fait pour le grand Molière, ainsi a-t-elle fait pour Le Sage : ce qui est un grand honneur, savez-vous, pour l’illustre auteur de Gil Blas.

René Le Sage est né dans le Morbihan, le 8 mai 1668 ; et cette année-là, Racine faisait jouer les Plaideurs, Molière faisait jouer l’Avare. Le père de Le Sage était un homme quelque peu lettré, comme pouvait l’être un honorable avocat de province, qui vivait au jour le jour en grand seigneur, et sans trop s’inquiéter de l’avenir de son fils unique. Le père mourut comme l’enfant n’avait que quatorze ans ; bientôt après le jeune René perdit sa mère, il resta seul sous la tutelle d’un oncle, et il fut trop heureux d’avoir pour tuteurs les savants maîtres de la jeunesse du XVIIe siècle, les Jésuites, qui devaient plus tard être les maîtres de Voltaire, comme ils ont été les instituteurs de toute la France du grand siècle. Grâce à cet habile et paternel enseignement, notre jeune orphelin pénétra bien vite dans les savants et poétiques mystères de cette antiquité classique, qui est encore aujourd’hui et qui sera jusqu’à la fin du monde la source intarissable du goût, du style, de la raison et du bon sens. C’est une louange à donner à Le Sage, qu’il a été élevé avec autant de soin et de zèle que Molière et Racine, que La Fontaine et Voltaire ; les uns et les autres ils se sont préparés par de sévères études et par leur respect pour leurs maîtres, à être des maîtres à leur tour ; ils sont devenus des écrivains classiques, pour avoir respecté les écrivains classiques, ce qui peut servir, au besoin, d’enseignement aux beaux esprits de nos jours.

Mais, quand cette première éducation fut accomplie, et quand il sortit de ces maisons savantes tout rempli de grec et de latin, tout animé de la ferveur poétique, Le Sage rencontra ces terribles obstacles qui attendent inviolablement, au sortir de ses études, tout jeune homme sans famille et sans fortune. Le poète Juvénal l’a très bien formulé dans un de ses plus beaux vers : Ceux-là surnagent difficilement, à qui la pauvreté fait obstacle :

Haud facilè emergunt, quorum virtutibus obstat
Res angusta domi…

Mais qu’importe la pauvreté quand on est si jeune, quand l’espérance est si vaste, la pensée si puissante et si riche ? On n’a rien, il est vrai ; mais le monde vous appartient en propre, le monde est votre patrimoine ; vous êtes le roi de l’univers ; autour de vous la vingtième année touche toute chose de sa baguette d’or. Votre regard net et limpide pourrait regarder en face le soleil, comme fait l’aigle. C’en est fait, toutes les puissances de votre âme sont éveillées, toutes les passions de votre cœur s’appellent les unes et les autres pour entonner l’hosanna in excelsis ! Qu’importe alors que l’on soit pauvre ? un beau vers, une noble pensée, une phrase bien faite, la main d’un ami, le doux sourire d’une jeune fille qui passe, voilà de la fortune pour huit jours. Ceux qui, au commencement de toute biographie, entrent dans toutes sortes de lamentations pour déplorer d’une voix pathétique la triste destinée de leur héros, ceux-là ne sont guère dans le secret des faciles bonheurs de la poésie, des adorables joies de la jeunesse ; les insensés ! ils s’amusent à compter, un à un, les haillons qui couvrent ce beau jeune homme, et ils ne voient pas à travers les trous de son manteau ces membres vigoureux et forts, ces bras d’Hercule, cette poitrine d’athlète ; ils s’apitoient sur ce pauvre jeune homme dont le chapeau est usé, et sous ce chapeau difforme, ils ne voient pas cette abondante, noire et soyeuse chevelure, qui est le diadème flottant de la jeunesse. Ils vous disent, en poussant de gros soupirs, comment Diderot s’estimait heureux quand il avait sur son pain sec un morceau de fromage, et comment ce pauvre René Le Sage ne buvait à ses repas que de l’eau claire ; la belle affaire, en vérité ! Mais Diderot, en mangeant son fromage, méditait déjà toutes les secousses de l’Encyclopédie ; mais cette belle eau claire que l’on boit, à vingt ans, dans le creux de sa main blanche, vous enivre bien mieux que ne le fera vingt ans plus tard, hélas ! le meilleur vin de Champagne, versé dans des coupes de cristal.

Voilà donc pourquoi il ne faut pas trop nous inquiéter des premières années de Le Sage ; il était jeune et beau, et tout en marchant le nez au vent comme un poète, il rencontra, chemin faisant, ces premières amours que l’on rencontre toujours quand on a le cœur honnête et dévoué. Une belle dame l’aima et il se laissa aimer tant qu’elle voulut, et, sans plus s’inquiéter de sa bonne fortune que l’eût fait maître Gil Blas dans pareille occasion, ces premières amours de notre poète ont duré tout autant que doivent durer ces sortes d’amours, assez longtemps pour qu’il n’y ait pas de regrets, pas assez longtemps pour qu’il y ait de la haine. Quand donc ils se furent bien aimés, elle et lui, ils se séparèrent pour aller chacun de son côté, comme on fait toujours ; elle prit un mari plus sensé et mieux posé que son amant ; il prit une femme plus jolie et moins riche que sa maîtresse. Et bénie soit-elle l’honnête et dévouée jeune fille qui a consenti, de gaieté de cœur, à courir tous les hasards, tous les chagrins, et aussi à s’exposer aux joies si douces de la vie poétique ! Ainsi, Le Sage entra presque sans s’en douter dans cette vie laborieuse où il faut dépenser chaque jour les plus rares et les plus charmants trésors de son esprit et de son âme ; il écrivit, pour commencer, une espèce de traduction des Lettres de Calistène, sans se douter qu’il avait plus d’esprit à lui tout seul que tous les Grecs du quatrième siècle. L’ouvrage n’eut aucun succès, et cela devait être. Quand on a le génie de Le Sage, il faut faire des œuvres originales ou ne pas s’en mêler. Traduire est un métier de manœuvre, imiter est un métier de plagiaire. Au reste, le non-succès de ce premier livre rendit Le Sage moins superbe et moins fier : il accepta une pension, ce qu’il n’eût jamais fait s’il eût réussi tout d’abord, de M. l’abbé de Lyonne ; cette pension était de six cents livres ; et à ce propos, les biographes s’extasient sur la générosité de l’abbé de Lyonne. Six cents livres ! et quand on pense que si Le Sage vivait de nos jours, rien qu’avec son théâtre de la Foire il gagnerait trente mille francs chaque année ! De nos jours un roman comme Gil Blas ne vaudrait pas moins de cinq cent mille francs ; le Diable Boiteux en eût rapporté cent mille, tout autant ; mais cependant il ne faut pas en vouloir à M. l’abbé de Lyonne pour avoir fait six cents livres de pension à l’auteur de Gil Blas. L’abbé de Lyonne fit plus encore, il ouvrit à Le Sage un admirable trésor d’esprit, d’imagination et de poésie, il lui enseigna la langue espagnole, cette belle et noble institutrice du grand Corneille ; et certes, ce n’est pas là une gloire médiocre pour la langue de Cervantes, d’avoir donné naissance chez nous au Cid et à Gil Blas. Vous pensez si Le Sage accepta avec joie ce nouvel enseignement, s’il se trouva bien à l’aise dans ces mœurs élégantes et faciles, s’il étudia avec amour cette galanterie souriante, cette jalousie loyale, ces duègnes farouches en apparence, mais au fond si facile ; ces belles dames élégantes, le pied dans le satin, la tête dans la mantille ; ces charmantes maisons, brodées au dehors, silencieuses au-dedans ; la fenêtre agaçante, sourire par le haut, et murmurant concert à ses pieds !… Vous pensez s’il adopta ces soubrettes éveillées et coquettes, ces valets ingénieux et fripons, ces grands manteaux si favorables à l’amour, ces vieilles charmilles si favorables au baiser ! Aussi, quand il eut découvert ce nouveau monde poétique, dont il allait être le Pizarre et le Fernand Cortès, et dont le grand Corneille était le Christophe Colomb, René Le Sage battit des mains de joie ; dans son noble orgueil, il frappa du pied cette terre des enchantements ; il se mit à lire, avec quel ravissement vous pouvez le croire, cette admirable épopée du Don Quichotte, qu’il étudia sous son côté gracieux, charmant, poétique, amoureux, faisant un lot à part de la satire et du sarcasme cachés dans ce beau drame, pour s’en servir plus tard quand il attaquerait les financiers. Certes, M. l’abbé de Lyonne ne croyait pas si bien faire le jour où il ouvrait cette mine inépuisable à l’homme qui devait être plus tard le premier poète comique de la France, puisque aussi bien Molière est un de ces génies à part dont toutes les nations de ce monde, dont tous les siècles littéraires revendiquent au même droit la gloire et l’honneur.

Le premier fruit de cette étude de l’Espagne fut un volume de comédies que publia Le Sage, et dans lequel il avait traduit quelques belles comédies du théâtre espagnol ; il y en avait une seule de Lopez de Vega, si ingénieux et si fécond ; c’était vraiment trop peu : il n’y en avait pas une seule de Calderon de la Barca ; et ce n’était vraiment pas assez. Dans ce livre que nous avons lu avec soin, pour y rechercher quelques-uns de ces sillons lumineux qui font reconnaître l’homme de génie partout où il a passé, nous n’avons pu rien rencontrer de plus qu’un traducteur ; l’écrivain original ne s’y montre pas encore : c’est que le style est une chose longue à venir ; c’est que, dans cet art de la comédie surtout, il y a certains secrets du métier que rien ne remplace, qu’il faut apprendre à toute force. Ce métier-là, Le Sage l’apprit comme on apprend toutes choses, à ses dépens. De simple traducteur qu’il était, il se fit arrangeur de comédies, et en 1702 (le XVIIIe siècle commençait, mais d’une façon timide, et nul ne pouvait prévoir ce qu’il allait devenir) Le Sage fit représenter au Théâtre-Français une comédie en cinq actes, intitulée le Point d’honneur. Ce n’était là qu’une imitation de l’espagnol : l’imitation eut peu de succès, et Le Sage ne comprit pas cette leçon du public ; il ne comprit pas que quelque chose disait tout bas à ce parterre si réservé, qu’il y avait dans ce traducteur un poète original. Pour prendre sa revanche, que fit Le Sage ? Il tomba dans une faute plus grande encore : il se mit à traduire, le croirez-vous ? la suite du Don Quichotte, comme si Don Quichotte pouvait avoir une suite, comme si personne au monde, pas même Cervantes lui-même, avait le droit d’ajouter un chapitre à cette fameuse histoire ! Et véritablement il est bien étrange qu’avec son goût si sûr, sa raison si correcte, Le Sage ait jamais pensé à cette malencontreuse suite. Aussi bien, cette fois encore, cette nouvelle tentative n’eut aucun succès ; le public parisien, qui est un grand juge, quoi qu’on en dise, fut plus juste pour le véritable Don Quichotte que Le Sage lui-même ; c’était donc encore une fois à recommencer. Lui, cependant, tenta encore une fois cette route nouvelle, qui ne pouvait le mener à rien de bon. Il revint à la charge, toujours avec une comédie espagnole, Don César Ursin, imitée de Calderon. La pièce fut jouée, pour la première fois, à Versailles, et applaudie à outrance à la cour, qui se trompait presque aussi souvent que la ville. Cette fois, Le Sage crut enfin que la bataille était gagnée. Vain espoir ! c’était encore une bataille perdue, car, rapportée de Versailles à Paris, la comédie de Don César Ursin fut sifflée à outrance par le parterre parisien, qui brisa ainsi sans pitié les éloges de la cour et la première victoire de l’auteur. Alors il fallut bien se rendre à l’évidence. Averti par ces rudes enseignements, Le Sage comprit enfin qu’il ne lui était pas permis, à lui moins qu’à tout autre, d’être un plagiaire ; que l’originalité était une des grandes causes du succès, et qu’à s’en tenir sans fin et sans cesse dans cette imitation banale des poètes espagnols, il était un poète perdu.

Aussitôt donc le voilà qui se met à être à son tour un poète original. Cette fois, il ne copie plus, il invente ; il arrange sa fable à son gré, sans se mettre plus longtemps à l’abri de la fantasmagorie espagnole. Avec l’idée originale, lui vient le style original ; il rencontre enfin ce merveilleux et impérissable dialogue que l’on peut comparer au dialogue de Molière, non pas pour le naturel peut-être, mais, sans contredit, pour la grâce et l’élégance ; il trouva en même temps, et à sa grande joie, à présent qu’il était lui-même, qu’il ne marchait plus à la suite de personne, il trouva que le métier était devenu bien plus facile ; cette fois, il était à l’aise dans cette fable qu’il disposait à son gré ; il respirait librement dans cet espace qu’il s’était ouvert ; rien ne gênait son allure, non plus que sa fantaisie poétique. À la bonne heure ! le voilà enfin le suprême modérateur de son œuvre, le voilà tel que le voulait le parterre, tel que nous l’espérions tous.

Cette heureuse comédie, qui est, sans nul doute, la première œuvre de Le Sage, a pour titre Crispin rival de son maître. Quand il l’eut achevée, Le Sage, reconnaissant de l’accueil que la cour avait fait à Don César Ursin, voulut aussi que la cour eût les prémices de Crispin rival de son maître : il se souvenait avec tant de bonheur que les premiers applaudissements qu’il reçut étaient partis de Versailles ! Le voilà donc qui produit sa comédie à la cour. Mais, hélas ! cette fois, l’opinion de la cour était changée ; sans égard pour les applaudissements de Versailles, le parterre de Paris avait sifflé Don César Ursin ; Versailles à son tour, et comme pour prendre sa revanche, siffla Crispin rival de son maître. Avouez que, pour un esprit moins fort, il y avait de quoi se troubler à tout jamais, et ne plus rien comprendre ni au succès ni à la chute de ses œuvres. Heureusement, Le Sage en appela du public de Versailles au parterre de Paris, et autant Crispin rival de son maître avait été sifflé à Versailles, autant cette charmante comédie fut applaudie à Paris. Cette fois, ce n’était pas seulement pour donner un démenti à la cour, que la ville applaudissait ; Paris avait retrouvé, en effet, dans cette comédie nouvelle, toutes les qualités de la comédie véritable, l’esprit, la grâce, l’ironie facile, la plaisanterie inépuisable, beaucoup de franchise, beaucoup de malice et aussi un peu d’amour.

Quant à ceux qui voudraient tourner en accusations les sifflets de Versailles, ceux-là doivent se souvenir que plus d’un chef-d’œuvre, sifflé à Paris, s’est relevé par le suffrage de Versailles : les Plaideurs de Racine, par exemple, que la cour a renvoyés au poète avec des applaudissements merveilleux, avec les grands rires de Louis XIV, qui sont venus délicieusement troubler le sommeil de Racine, à cinq heures du matin. Heureux temps, au contraire, quand les poètes avaient pour les approuver, pour les juger, cette double juridiction, quand ils pouvaient en appeler des censures de la cour aux louanges de la ville, des sifflets de Versailles aux applaudissements de Paris !

Maintenant, voilà René Le Sage à qui rien ne fait plus obstacle ; il a deviné sa vocation véritable, qui est la comédie ; il a compris ce qu’on peut faire de l’espèce humaine, et à quels fils légers est suspendu le cœur humain. Ces fils d’or, de soie ou d’airain, il les tient dans sa main à cette heure, et vous verrez comme il sait s’en servir. Déjà dans cette tête, qui porte Gil Blas et sa fortune, fermentent les récits les plus charmants du Diable Boiteux. Faites silence ! Turcaret va paraître, Turcaret, que n’eût pas oublié Molière si Turcaret eût vécu de son temps ; mais il fallut attendre encore que la France eût échappé au règne si correct de Louis XIV, pour voir arriver après l’homme d’Église, après l’homme de guerre, cet homme sans cœur et sans esprit, que l’on appelle l’homme d’argent. Dans une société comme est la nôtre, l’homme d’argent est un de ces pouvoirs bâtards et effrontés qui poussent dans les affaires de chaque jour, comme le champignon pousse sur le fumier. On ne sait pas d’où vient cette force inerte, on ne sait pas comment elle se maintient à la surface des choses ; nul ne peut dire comment elle disparaît après avoir jeté son phosphore d’un instant. Il faut, en vérité, qu’une époque soit bien corrompue et bien infâme pour remplacer par l’argent l’épée du soldat ; par l’argent la sentence du magistrat ; par l’argent l’intelligence de l’homme de guerre ; par l’argent le sceptre du roi lui-même. Une fois qu’une nation en est arrivée là, d’adorer l’argent à genoux, ne lui demandez plus ni beaux-arts, ni poésie, ni amour : elle est abrutie comme l’était le peuple juif agenouillé devant le veau d’or. Heureusement, de toutes les puissances éphémères de ce monde, l’argent est la puissance la plus éphémère ; on lui tend la main droite, il est vrai, mais on le soufflette de la main gauche ; on se prosterne jusqu’à terre quand il passe, oui ; mais quand il est passé on lui donne du pied au derrière ! Voilà ce que Le Sage a merveilleusement compris, comme un grand poète comique qu’il était. Il a trouvé le côté ridicule et affreux de ces hommes dorés qui se partagent nos finances, valets enrichis de la veille, qui, plus d’une fois, par une méprise toute naturelle, ont monté derrière leur propre carrosse. Ainsi est fait Turcaret. Le poète l’a affublé des vices les plus honteux, des ridicules les plus déshonorants ; il arrache de ce cœur abruti par l’argent, les sentiments les plus naturels ; et cependant, même dans cette affreuse peinture, Le Sage est resté dans les limites de la comédie, et pas une seule fois, dans cet admirable chef-d’œuvre, le mépris et l’indignation ne font place à l’éclat de rire. Ce fut donc à bon droit que toute la race des gens de finances, à peine eut-elle entendu parler de Turcaret, s’ameuta contre le chef-d’œuvre ; ce fut dans tous les riches salons de Paris, parmi la finance qui prêtait son argent aux grands seigneurs, et parmi les grands seigneurs qui empruntaient de l’argent à la finance, un tolle général, un haro universel. Jamais le Tartufe de Molière ne trouva plus d’opposition parmi les dévots, que Turcaret ne trouva d’opposition parmi les financiers. Et, pour nous servir du mot de Beaumarchais à propos de Figaro, il fallait autant d’esprit à Le Sage pour faire représenter sa comédie, qu’il lui en avait fallu pour l’écrire ; mais cette fois encore, le public, qui est le maître tout-puissant dans ces sortes de chefs – d’œuvre, fut plus fort que l’intrigue. Monseigneur le grand dauphin, ce prince illustre par sa piété et par sa vertu, protégea la comédie de Le Sage comme son aïeul Louis XIV avait protégé la comédie de Molière ; alors les financiers, voyant que tout était perdu du côté de l’intrigue, en appelèrent à l’argent, qui est la dernière raison de ces sortes de parvenus, comme le canon est la dernière raison des rois. Cette fois encore l’attaque fut inutile ; le grand poète refusa une fortune pour faire jouer sa comédie, et certes il a fait là un grand marché, préférable cent mille fois à toutes les basses fortunes qui se sont dissipées et perdues dans la rue Quincampoix. De Turcaret le succès fut immense ; le Parisien s’égaya avec un rare bonheur de ces loups cerviers voués au plus cruel ridicule. Que si Le Sage avait tardé plus longtemps à faire représenter son chef-d’œuvre, ces hommes-là auraient disparu pour faire place à d’autres, et ils auraient emporté avec eux la comédie qu’ils auraient payée ; c’était donc un chef-d’œuvre perdu à tout jamais, et jamais, que nous sachions, l’agiotage ne nous aurait porté un coup plus funeste.

Qui le croirait cependant ? après cet ouvrage éminent qui devait le rendre le maître de la comédie française, Le Sage fut bientôt obligé de s’éloigner de cet ingrat théâtre qui ne le comprenait pas. Il renonça, lui, l’auteur de Turcaret, à la grande comédie, pour écrire, en se jouant, la comédie frivole, de petits actes mêlés de couplets qui faisaient la joie du théâtre de la foire Saint-Laurent, du théâtre de la foire Saint-Germain. Malheureux exemple que Le Sage a donné là en dépensant sans prévoyance tout son esprit, au jour le jour, sans pitié pour lui-même, sans profit pour personne. Quoi ! l’auteur de Turcaret remplir tout à fait le même office que M. Scribe, perdre son temps, son style et son génie, à cette comédie légère qu’un souffle emporte ! Et les comédiens français ne se sont pas inquiétés, et ils n’ont pas été se jeter aux genoux de Le Sage, le priant et le suppliant de prendre sous sa protection toute-puissante ce théâtre élevé par le génie et par les soins de Molière ! Mais ces comédiens imbéciles ne savaient rien prévoir.

Toujours est-il que s’il avait renoncé au Théâtre – Français, Le Sage n’avait pas renoncé à la grande comédie. Toutes les comédies qui l’obsédaient au-dedans de lui-même, il les entassa dans ce grand livre qui a nom Gil Blas, et qui résume à lui seul la vie humaine. Que dire de Gil Blas qui n’ait pas été déjà dit ? Comment louer dignement le seul livre véritablement gai de la langue française ? L’homme qui a écrit Gil Blas s’est placé au premier rang parmi tous les écrivains de ce monde ; il s’est fait par la toute-puissance de sa plume le cousin germain de Rabelais et de Montaigne, le grand-père de Voltaire, le frère de Cervantes, le frère cadet de Molière. Il est entré de plein droit dans la famille des poètes comiques qui ont été eux-mêmes des philosophes ; dans cette même veine a été encore écrit le Bachelier de Salamanque, qui serait un charmant livre si le Gil Blas n’existait pas, si surtout, avant que d’écrire son Gil Blas, il n’avait pas écrit ce charmant livre intitulé le Diable Boiteux.

Donc, sauve qui peut ! le Diable est lâché dans la ville, un Diable tout français, qui a l’esprit, la grâce et la vivacité de Gil Blas. Allons, prenez garde à vous, vous les ridicules et les vicieux, qui avez échappé à la grande comédie ; car, par un effet de cette baguette toute-puissante, non seulement vos maisons, mais encore vos âmes, seront de verre tout à l’heure. Gare à vous ! car Asmodée, le terrible railleur, va plonger son œil impitoyable dans ces intérieurs que vous croyez si bien cachés, et à chacun de vous il racontera son histoire secrète ; il vous frappera sans pitié de cette béquille d’ivoire qui ouvre toutes les portes et tous les cœurs ; il proclamera tout haut vos ridicules et vos vices. Nul n’échappe à ce gardien vigilant, à cheval sur sa béquille, qui glisse sur les toits des maisons les mieux fermées, et qui en devine les ambitions, les jalousies, les inquiétudes, les insomnies surtout. Considéré sous le rapport de l’esprit sans fiel et de la satire qui rit de tout, et sous le rapport du style, qui est excellent, le Diable Boiteux est peut-être le livre le plus français de notre langue ; c’est peut-être le seul livre qu’eût signé Molière après le Gil Blas.

Telle fut cette vie toute remplie des plus charmants travaux et aussi des plus sérieux ; cet homme qui était né un grand écrivain, et qui a porté jusqu’à la perfection le talent d’écrire, a marché ainsi de chef-d’œuvre en chef-d’œuvre sans jamais s’arrêter. On ne sait pas au juste le nombre de ses pièces ; à soixante-quinze ans, il écrivait encore un volume de mélanges ; il est mort sans se douter lui-même à quelle gloire il était réservé. Aimable et gai philosophe, il a été jusqu’à la fin plein d’esprit et de bon sens ; causeur agréable, ami fidèle, père indulgent, il s’était retiré dans la petite ville de Boulogne-sur-Mer, où il était devenu sans façon un bon bourgeois, à qui chacun prenait la main sans trop se douter que c’était un homme de génie. Des trois fils qu’il avait eus, deux s’étaient faits comédiens, à la grande douleur de leur noble père, qui avait gardé aux comédiens, comme on peut le voir dans Gil Blas, une rancune bien méritée. Cependant, Le Sage pardonna à ses deux enfants, et même il allait souvent applaudir l’aîné, qui s’appelait Monmenil, et quand Monmenil mourut, avant son père, Le Sage le pleura, et jamais, depuis ce temps, il ne remit le pied à la comédie. Son troisième fils, le frère de ces deux comédiens, était un bon chanoine de Boulogne-sur-Mer ; ce fut chez lui que se retira Le Sage, avec sa femme et sa fille, dignes objets de sa tendresse et qui firent tout le bonheur de ses derniers jours. Un des plus affables gentilshommes de ce temps-là, qui eût été remarqué par son esprit quand bien même il n’eût pas été un grand seigneur, M. le comte de Tressan, gouverneur de Boulogne-sur-Mer, a pu voir encore le digne vieillard la dernière année de sa vie ; sur ce beau visage ombragé d’épais cheveux blancs, on pouvait deviner que l’amour et le génie avaient passé par là. Le Sage se levait de très bonne heure, et tout d’abord il se mettait à chercher le soleil ; peu à peu les rayons lumineux tombant sur lui, la pensée revenait à son front, le mouvement à son cœur, le geste à sa main, le regard perçant à ses deux yeux ; à mesure que le soleil montait dans le ciel, cette pensée ressuscitée apparaissait, de son côté, plus brillante et plus nette, si bien que vous aviez tout à fait devant vous l’auteur du Gil Blas. Mais, hélas ! toute cette verve tombait à mesure que s’éloignait le soleil, et quand la nuit était venue, vous n’aviez plus sous les yeux qu’un bon vieillard qu’il fallait ramener à sa maison.

Ainsi il s’est éteint un soir d’été ; le soleil s’était montré bien haut dans le ciel ce jour-là, et il n’était pas tout à fait couché quand Le Sage appela sa famille pour la bénir. Il n’avait guère moins de quatre-vingt-dix ans quand il est mort. Pour vous donner une idée de la popularité dont cet homme a joui, même pendant son vivant, je finirai par cette anecdote : Quand parut le Diable Boiteux, en 1707, le succès de cette admirable et ingénieuse satire de la vie humaine fut si grand, le public trouva si charmantes les vives épigrammes qu’il renferme, que le libraire fut obligé d’en faire deux éditions en huit jours ; le dernier de ces huit jours, deux gentilshommes, l’épée au côté, comme c’était l’usage, entrèrent dans la boutique du libraire pour acheter le roman nouveau : un seul exemplaire restait à vendre. L’un de ces gentilshommes veut l’avoir, l’autre le réclame ; comment faire ? Aussitôt, voilà nos deux acharnés lecteurs qui tirent leur épée et qui se battent au premier sang et au dernier Diable Boiteux.

Mais qu’auraient-ils donc fait, je vous prie, s’il eût été question cette fois du Diable Boiteux illustré par Tony Johannot ?

JULES JANIN.

Chapitre premier

Quel diable c’est que la Diable boiteux – Où et par quel hasard don Cleophas Leandro Perez Zambullo fit connaissance avec lui.

Une nuit du mois d’octobre couvrait d’épaisses ténèbres la célèbre ville de Madrid : déjà le peuple, retiré chez lui, laissait les rues libres aux amants qui voulaient chanter leurs peines ou leurs plaisirs sous les balcons de leurs maîtresses ; déjà le son des guitares causait de l’inquiétude aux pères et alarmait les maris jaloux ; enfin il était près de minuit lorsque don Cleophas Leandro Perez Zambullo, écolier d’Alcala, sortit brusquement par une lucarne d’une maison où le fils indiscret de la déesse de Cythère l’avait fait entrer. Il lâchait de conserver sa vie et son honneur, en s’efforçant d’échapper à trois ou quatre spadassins qui le suivaient de près pour le tuer, ou pour lui faire épouser par force une dame avec laquelle ils venaient de le surprendre.

Quoique seul contre eux, il s’était défendu vaillamment, et il n’avait pris la fuite que parce qu’ils lui avaient enlevé son épée dans le combat. Ils le poursuivirent quelque temps sur les toits ; mais il trompa leur poursuite à la faveur de l’obscurité. Il marcha vers une lumière qu’il aperçut de loin, et qui, toute faible qu’elle était, lui servit de fanal dans une conjoncture si périlleuse. Après avoir plus d’une fois couru risque de se rompre le cou, il arriva près d’un grenier d’où sortaient les rayons de cette lumière, et il entra dedans par la fenêtre, aussi transporté de joie qu’un pilote qui voit heureusement surgir au port son vaisseau menacé du naufrage.

Il regarda d’abord de toutes parts ; et, fort étonné de ne trouver personne dans ce galetas, qui lui parut un apporte-ment assez singulier, il se mit à le considérer avec beaucoup d’attention. Il vit une lampe de cuivre attachée au plafond, des livres et des papiers en confusion sur une table, une sphère et des compas d’un côté, des fioles et des cadrans de l’autre ; ce qui lui fit juger qu’il demeurait au-dessous quelque astrologue qui venait faire ses observations dans ce réduit.

Il rêvait au péril que son bonheur lui avait fait éviter, et délibérait en lui-même s’il demeurerait là jusqu’au lendemain ou s’il prendrait un autre parti, quand il entendit pousser un long soupir auprès de lui. Il s’imagina d’abord que c’était quelque fantôme de son esprit agité, une illusion de la nuit ; c’est pourquoi, sans s’y arrêter, il continua ses réflexions.

Mais, ayant ouï soupirer pour la seconde fois, il ne douta plus que ce ne fût une chose réelle ; et, bien qu’il ne vît personne dans la chambre, il ne laissa pas de s’écrier : Qui diable soupire ici ? C’est moi, seigneur écolier, lui répondit aussitôt une voix qui avait quelque chose d’extraordinaire ; je suis depuis six mois dans une de ces fioles bouchées. Il loge en cette maison un savant astrologue qui est magicien : c’est lui qui, par le pouvoir de son art, me tient enfermé dans cette étroite prison. Vous êtes donc un esprit ? dit don Cleophas, un peu troublé de la nouveauté de l’aventure. Je suis un démon, repartit la voix. Vous venez ici fort à propos pour me tirer d’esclavage. Je languis dans l’oisiveté ; car je suis le diable de l’enfer le plus vif et le plus laborieux.

Ces paroles causèrent quelque frayeur au seigneur Zambullo ; mais, comme il était naturellement courageux, il se rassura, et dit d’un ton ferme à l’esprit : Seigneur diable, apprenez-moi, s’il vous plaît, quel rang vous tenez parmi vos confrères, si vous êtes un démon noble ou roturier. Je suis un diable d’importance, répondit la voix, et celui de tous qui a le plus de réputation dans l’un et l’autre monde. Seriez-vous, par hasard, répliqua don Cleophas, le démon qu’on appelle Lucifer ? Non, repartit l’esprit ; c’est le diable des charlatans. Êtes-vous Uriel ? reprit l’écolier. Fi donc ! interrompit brusquement la voix, c’est le patron des marchands, des tailleurs, des bouchers, des boulangers et des autres voleurs du tiers-état. Vous êtes peut-être Belzébuth ? dit Leandro. Vous moquez-vous ? répondit l’esprit ; c’est le démon des duègnes et des écuyers. Cela m’étonne, dit Zambullo, je croyais Belzébuth un des plus grands personnages de votre compagnie. C’est un de ses moindres sujets, repartit le démon. Vous n’avez pas des idées justes de notre enfer.

Il faut donc, reprit don Cleophas, que vous soyez Léviathan, Belphégor ou Astaroth ? Oh ! pour ces trois-là, dit la voix, ce sont des diables du premier ordre, ce sont des esprits de cour. Ils entrent dans les conseils des princes, animent les ministres, forment les ligues, excitent les soulèvements dans les états et allument les flambeaux de la guerre. Ce ne sont point-là des maroufles comme les premiers que vous avez nommés. Eh ! dites-moi, je vous prie, répliqua l’écolier, quelles sont les fonctions de Flagel ? Il est l’âme de la chicane et l’esprit du barreau, repartit le démon. C’est lui qui a composé le protocole des huissiers et des notaires. Il inspire les plaideurs, possède les avocats et obsède les juges.

Pour moi, j’ai d’autres occupations : je fais des mariages ridicules ; j’unis des barbons avec des mineures, des maîtres avec leurs servantes, des filles mal dotées avec de tendres amants qui n’ont point de fortune. C’est moi qui ai introduit dans le monde le luxe, la débauche, les jeux de hasard et la chimie. Je suis l’inventeur des carrousels, de la danse, de la musique, de la comédie et de toutes les modes nouvelles de France ; en un mot, je m’appelle Asmodée, surnommé le Diable boiteux.

Eh quoi ! s’écria don Cleophas, vous seriez ce fameux Asmodée dont il est fait une si glorieuse mention dans Agrippa et dans la Clavicule de Salomon ? Ah ! vraiment, vous ne m’avez pas dit tous vos amusements ; vous avez oublié le meilleur. Je sais que vous vous divertissez quelquefois à soulager les amants malheureux : à telles enseignes, que, l’année passée, un bachelier de mes amis obtint, par votre secours, dans la ville d’Alcala, les bonnes grâces de la femme d’un docteur de l’université. Cela est vrai, dit l’esprit ; je vous gardais celui-là pour le dernier. Je suis le démon de la luxure, ou, pour parler plus honorablement, le dieu Cupidon ; car les poètes m’ont donné ce joli nom, et ces messieurs me peignent fort avantageusement. Ils disent que j’ai des ailes dorées, un bandeau sur les yeux, un arc à la main, un carquois plein de flèches sur les épaules, et avec cela une beauté ravissante. Vous allez voir tout à l’heure ce qui en est, si vous voulez me mettre en liberté.

Seigneur Asmodée, répliqua Leandro Perez, il y a longtemps, comme vous savez, que je vous suis entièrement dévoué : le péril que je viens de courir en peut faire foi. Je suis bien aise de trouver l’occasion de vous servir ; mais le vase qui vous recèle est sans doute un vase enchanté : je tenterais vainement de le déboucher, ou de le briser : ainsi je ne sais pas trop bien de quelle manière je pourrai vous délivrer de prison. Je n’ai pas un grand usage de ces sortes de délivrances ; et, entre nous, si, tout fin diable que vous êtes, vous ne sauriez-vous tirer d’affaire, comment un chétif mortel en pourra-t-il venir à bout ? Les hommes ont ce pouvoir, répondit le démon. La fiole où je suis retenu n’est qu’une simple bouteille de verre, facile à briser. Vous n’avez qu’à la prendre, et qu’à la jeter par terre, j’apparaîtrai tout aussitôt en forme humaine. Sur ce point-là, dit l’écolier, la chose est plus aisée que je ne pensais. Apprenez-moi donc dans quelle fiole vous êtes ; j’en vois un assez grand nombre de pareilles, et je ne puis la démêler. C’est la quatrième du côté de la fenêtre, répliqua l’esprit. Quoique l’empreinte d’un cachet magique soit sur le bouchon, la bouteille ne laissera pas de se casser.

Cela suffit, reprit don. Cleophas. Je suis prêt à faire ce que vous souhaitez ; il n’y a plus qu’une petite difficulté qui m’arrête : quand je vous aurai rendu le service dont il s’agit, je crains de payer les pots cassés. Il ne vous arrivera aucun malheur, repartit le démon ; au contraire, vous serez content de ma reconnaissance. Je vous apprendrai tout ce que vous voudrez savoir ; je vous instruirai de tout ce qui se passe dans le monde ; je vous découvrirai les défauts des hommes ; je serai votre démon tutélaire ; et, plus éclairé que le génie de Socrate, je prétends vous rendre encore plus savant que ce grand philosophe. En un mot, je me donne à vous avec mes bonnes et mauvaises qualités ; elles ne vous seront pas moins utiles les unes que les autres.

Voilà de belles promesses, répliqua l’écolier ; mais vous autres, messieurs les diables, on vous accuse de n’être pas fort religieux à tenir ce que vous nous promettez. Cette accusation n’est pas sans fondement, repartit Asmodée. La plupart de mes confrères ne se font pas un scrupule de vous manquer de parole. Pour moi, outre que je ne puis trop payer le service que j’attends de vous, je suis esclave de mes serments ; et je vous jure, par tout ce qui les rend inviolables, que je ne vous tromperai point. Comptez sur l’assurance que je vous en donne ; et, ce qui doit vous être bien agréable, je m’offre à vous venger, dès cette nuit, de dona Thomasa, de cette perfide dame qui avait caché chez elle quatre scélérats pour vous surprendre et vous forcer à l’épouser.

Le jeune Zambullo fut particulièrement charmé de cette dernière promesse. Pour en avancer l’accomplissement, il se hâta de prendre la fiole où était l’esprit ; et, sans s’embarrasser davantage de ce qu’il en pourrait arriver, il la laissa tomber rudement. Elle se brisa en mille pièces, et inonda le plancher d’une liqueur noirâtre, qui s’évapora peu à peu et se convertit en une fumée, laquelle, venant à se dissiper tout à coup, fit voir à l’écolier surpris une figure d’homme en manteau, de la hauteur d’environ deux pieds et demi, appuyé sur deux béquilles. Ce petit monstre boiteux avait des jambes de bouc, le visage long, le menton pointu, le teint jaune et noir, le nez fort écrasé ; ses yeux, qui paraissaient très petits, ressemblaient à deux charbons allumés ; sa bouche excessivement fendue était surmontée de deux crocs de moustache rousse, et bordée de deux lippes sans pareilles.

Ce gracieux Cupidon avait la tête enveloppée d’une espèce de turban de crépon rouge, relevé d’un bouquet de plumes de coq et de paon. Il portait au cou un large collet de toile jaune, sur lequel étaient dessinés divers modèles de colliers et de pendants d’oreilles. Il était revêtu d’une robe courte de satin blanc, ceinte par le milieu d’une large bande de parchemin vierge, toute marquée de caractères talismaniques. On voyait peints sur cette robe plusieurs corps à l’usage des dames, très avantageux pour la gorge, des écharpes, des tabliers bigarrés, et des coiffures nouvelles, toutes plus extravagantes les unes que les autres.

Mais tout cela n’était rien en comparaison de son manteau, dont le fond était aussi de satin blanc. Il y avait dessus une infinité de figures peintes à l’encre de la Chine, avec une si grande liberté de pinceau, et des expressions si fortes, qu’on jugeait bien qu’il fallait que le diable s’en fût mêlé. On y remarquait, d’un côté, une dame espagnole couverte de sa mante, qui agaçait un étranger à la promenade ; et de l’autre, une dame française qui étudiait, dans un miroir, de nouveaux airs de visage pour les essayer sur un jeune abbé qui paraissait à la portière de sa chambre, avec des mouches et du rouge. Ici, des cavaliers italiens chantaient et jouaient de la guitare sous les balcons de leurs maîtresses ; et là, des Allemands déboutonnés, tout en désordre, pris de vin, et plus barbouillés de tabac que des petits-maîtres français, entouraient une table inondée des débris de leur débauche. On apercevait dans un endroit un seigneur musulman sortant du bain, et environné de toutes les femmes de son sérail, qui s’empressaient à lui rendre leurs services ; on découvrait dans un autre un gentilhomme anglais qui présentait galamment à sa dame une pipe et de la bière.

On y démêlait aussi des joueurs merveilleusement bien représentés : les uns, animés d’une joie vive, remplissaient leurs chapeaux de pièces d’or et d’argent ; et les autres, ne jouant plus que sur leur parole, lançaient au ciel des regards sacrilèges, en mangeant leurs cartes de désespoir. Enfin l’on y voyait autant de choses curieuses que sur l’admirable bouclier que le dieu Vulcain fit à la prière de Thétis ; mais il y avait cette différence entre les ouvrages de ces deux boiteux, que les figures du bouclier n’avaient aucun rapport aux exploits d’Achille, et qu’au contraire celles du manteau étaient autant de vives images de tout ce qui se fait dans le monde par la suggestion d’Asmodée.

 
Chapitre II

Suite de la délivrance d’Asmodée.

Ce démon, s’apercevant que sa vue ne prévenait pas en sa faveur l’écolier, lui dit en souriant : Eh bien, seigneur don Cleophas Leandro Perez Zambullo, vous voyez le charmant dieu des amours, ce souverain maître des cœurs. Que vous semble de mon air et de ma beauté ? Les poètes ne sont-ils pas d’excellents peintres ? Franchement, répondit don Cleophas, ils sont un peu flatteurs. Je crois que vous ne parûtes pas sous ces traits devant Psyché. Oh ! pour cela non, repartit le Diable ; j’empruntai ceux d’un petit marquis français, pour me faire aimer brusquement. Il faut bien couvrir le vice d’une apparence agréable, autrement il ne plairait pas. Je prends toutes les formes que je veux, et j’aurais pu me montrer à vos yeux sous un plus beau corps fantastique ; mais, puisque je me suis donné tout à vous, et que j’ai dessein de ne vous rien déguiser, j’ai voulu que vous me vissiez sous la figure la plus convenable à l’opinion qu’on a de moi et de mes exercices.

Je ne suis pas surpris, dit Leandro, que vous soyez un peu laid : pardonnez, s’il vous plaît, le terme ; le commerce que nous allons avoir ensemble demande de la franchise. Vos traits s’accordent fort avec l’idée que j’avais de vous ; mais apprenez-moi, de grâce, pourquoi vous êtes boiteux.

C’est, répondit le démon, pour avoir eu autrefois, en France, un différend avec Pillardoc, le diable de l’intérêt. Il s’agissait de savoir qui de nous deux posséderait un jeune Manceau qui venait à Paris chercher fortune. Comme c’était un excellent sujet, un garçon qui avait de grands talents, nous nous en disputâmes vivement la possession. Nous nous battîmes dans la moyenne région de l’air. Pillardoc fut le plus fort, et me jeta sur la terre, de la même façon que Jupiter, à ce que disent les poètes, culbuta Vulcain. La conformité de ces aventures fut cause que mes camarades me surnommèrent le Diable boiteux. Ils me donnèrent en raillant ce sobriquet, qui m’est resté depuis ce temps-là. Néanmoins, tout estropié que je suis, je ne laisse pas d’aller bon train. Vous serez témoin de mon agilité.

Mais, ajouta-t-il, finissons cet entretien. Hâtons-nous de sortir de ce galetas. Le magicien y va bientôt monter, pour travailler à l’immortalité d’une belle sylphide qui le vient trouver ici toutes les nuits. S’il nous surprenait, il ne manquerait pas de me remettre en bouteille, et il pourrait bien vous y mettre aussi. Jetons auparavant par la fenêtre les morceaux de la fiole brisée, afin que l’enchanteur ne s’aperçoive pas de mon élargissement.

Quand il s’en apercevrait après notre départ, dit Zambullo, qu’en arriverait-il ? Ce qu’il en arriverait ? répondit le boiteux ; il paraît bien que vous n’avez pas lu le livre de la contrainte. Quand j’irais me cacher aux extrémités de la terre, ou de la région qu’habitent les salamandres enflammées ; quand je descendrais chez les gnomes ou dans les plus profonds abîmes des mers, je n’y serais point à couvert de son ressentiment. Il ferait des conjurations si fortes, que tout l’enfer en tremblerait. J’aurais beau vouloir lui désobéir, je serais obligé de paraître, malgré moi, devant lui, pour subir la peine qu’il voudrait m’imposer.

Cela étant, reprit l’écolier, je crains fort que notre liaison ne soit pas de longue durée : ce redoutable nécromancien découvrira bientôt votre fuite. C’est ce que je ne sais, répliqua l’esprit, parce que nous ne savons pas ce qui doit arriver. Comment, s’écria Leandro Perez, les démons ignorent l’avenir ? Assurément, repartit le Diable ; les personnes qui se fient à nous là-dessus sont de grandes dupes. C’est ce qui fait que les devins et devineresses disent tant de sottises, et en font tant faire aux femmes de qualité qui vont les consulter sur les évènements futurs. Nous ne savons que le passé et le présent. J’ignore donc si le magicien s’apercevra bientôt de mon absence ; mais j’espère que non. Il y a ici plusieurs fioles semblables à celle où j’étais enfermé ; il ne soupçonnera pas qu’elle y manque. Je vous dirai de plus que je suis dans son laboratoire comme un livre de droit dans la bibliothèque d’un financier : il ne pense point à moi ; et quand il y penserait, il ne me fait jamais l’honneur de m’entretenir : c’est le plus fier enchanteur que je connaisse. Depuis le temps qu’il me tient prisonnier, il n’a pas daigné me parler une seule fois.

Quel homme ! dit don Cleophas. Qu’avez-vous donc fait pour vous attirer sa haine ? J’ai traversé un de ses desseins, repartit Asmodée. Il y avait une place vacante dans certaine académie : il prétendait qu’un de ses amis l’eût ; je voulais la faire donner à un autre : le magicien fit un talisman composé des plus puissants caractères de la cabale ; moi, je mis mon homme au service d’un grand ministre, dont le nom l’emporta sur le talisman.

Après avoir parlé de cette sorte, le démon ramassa toutes les pièces de la fiole cassée, et les jeta par la fenêtre. Seigneur Zambullo, dit-il ensuite à l’écolier, sauvons-nous au plus vite : prenez le bout de mon manteau, et ne craignez rien. Quelque périlleux que parût ce parti à don Cleophas, il aima mieux l’accepter que de demeurer exposé au ressentiment du magicien ; et il s’accrocha le mieux qu’il put au Diable, qui l’emporta dans le moment.

 
Chapitre III

Dans quel endroit le Diable boiteux transporta l’écolier ; et des premières choses qu’il lui fit voir.

Asmodée n’avait pas vanté sans raison son agilité. Il fendit l’air comme une flèche décochée avec violence, et s’en alla se percher sur la tour de San Salvador. Dès qu’il y eut pris pied, il dit à son compagnon : Eh bien, seigneur Leandro, quand on dit d’une rude voiture que c’est une voiture de diable, n’est-il pas vrai que cette façon de parler est fausse ? Je viens d’en vérifier la fausseté, répondit poliment Zambullo. Je puis assurer que c’est une voiture plus douce qu’une litière, et avec cela si diligente, qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer sur la route.

Oh çà, reprit le démon, vous ne savez pas pourquoi je vous amène ici : je prétends vous montrer tout ce qui se passe dans Madrid ; et comme je veux débuter par ce quartier-ci, je ne pouvais choisir un endroit plus propre à l’exécution de mon dessein. Je vais, par mon pouvoir diabolique, enlever les toits des maisons ; et, malgré les ténèbres de la nuit, le dedans va s’ouvrir à vos yeux. À ces mots, il ne fit simplement qu’étendre le bras droit, et aussitôt tous les toits disparurent. Alors l’écolier vit, comme en plein midi, l’intérieur des maisons, de même, dit Luis Velez de Guevara, qu’on voit le dedans d’un pâté dont on vient d’ôter la croûte.

Le spectacle était trop nouveau pour ne pas attirer son attention tout entière. Il promena sa vue de toutes parts ; et la diversité des choses qui l’environnaient eut de quoi occuper longtemps sa curiosité. Seigneur don Cleophas, lui dit le Diable, cette confusion d’objets que vous regardez avec tant de plaisir est, à la vérité, très agréable à contempler ; mais ce n’est qu’un amusement frivole. Il faut que je vous le rende utile ; et, pour vous donner une parfaite connaissance de la vie humaine, je veux vous expliquer ce que font toutes ces personnes que vous voyez. Je vais vous découvrir les motifs de leurs actions, et vous révéler jusqu’à leurs plus secrètes pensées.

Par où commencerons-nous ? Observons d’abord dans cette maison, à ma droite, ce vieillard qui compte de l’or et de l’argent. C’est un bourgeois avare. Son carrosse, qu’il a eu presque pour rien à l’inventaire d’un alcade de Corte, est tiré par deux mauvaises mules qui sont dans son écurie, et qu’il nourrit suivant la loi des Douze Tables, c’est-à-dire qu’il leur donne tous les jours à chacune une livre d’orge ; il les traite comme les Romains traitaient leurs esclaves. Il y a deux ans qu’il est revenu des Indes, chargé d’une grande quantité de lingots, qu’il a changés en espèces. Admirez ce vieux fou ; avec quelle satisfaction il parcourt des yeux ses richesses ! il ne peut s’en rassasier. Mais prenez garde en même temps à ce qui se passe dans une petite salle de la même maison. Y remarquez-vous deux jeunes garçons avec une vieille femme ? Oui, répondit Cleophas. Ce sont apparemment ses enfants ? Non, reprit le Diable, ce sont ses neveux qui doivent en hériter, et qui, dans l’impatience où ils sont de partager ses dépouilles, ont fait venir secrètement une sorcière pour savoir d’elle quand il mourra.

J’aperçois dans la maison voisine deux tableaux assez plaisants. L’un est une coquette surannée qui se couche après avoir laissé ses cheveux, ses sourcils et ses dents sur sa toilette ; l’autre, un galant sexagénaire qui revient de faire l’amour. Il a déjà ôté son œil et sa moustache postiches, avec sa perruque, qui cachait une tête chauve. Il attend que son valet lui ôte son bras et sa jambe de bois, pour se mettre au lit avec le reste.

Si je m’en fie à mes yeux, dit Zambullo, je vois dans cette maison une grande et jeune fille faite à peindre. Qu’elle a l’air mignon ! Eh bien, reprit le boiteux, cette jeune beauté qui vous frappe est sœur aînée de ce galant qui va se coucher. On peut dire qu’elle fait la paire avec la vieille coquette qui loge avec elle. Sa taille, que vous admirez est une machine qui a épuisé les mécaniques. Sa gorge et ses hanches sont artificielles ; et il n’y a pas longtemps qu’étant allée au sermon, elle laissa tomber ses fesses dans l’auditoire. Néanmoins, comme elle se donne un air de mineure, il y a deux jeunes cavaliers qui se disputent ses bonnes grâces. Ils en sont même venus aux mains pour elle. Les enragés ! il me semble que je vois deux chiens qui se battent pour un os.

Riez avec moi de ce concert qui se fait assez près de là dans une maison bourgeoise, sur la fin d’un souper de famille. On y chante des cantates. Un vieux jurisconsulte en a fait la musique, et les paroles sont d’un alguazil qui fait l’aimable, d’un fat qui compose des vers pour son plaisir et pour le supplice des autres. Une cornemuse et une épinette forment la symphonie. Un grand flandrin de chantre à voix claire fait le dessus, et une jeune fille, qui a la voix fort grosse, fait la basse. Ô la plaisante chose ! s’écria don Cleophas en riant : quand on voudrait donner exprès un concert ridicule, on n’y réussirait pas si bien.

Jetez les yeux sur cet hôtel magnifique, poursuivit le Démon, vous y verrez un seigneur couché dans un superbe appartement. Il a près de lui une cassette remplie de billets doux. Il les lit pour s’endormir voluptueusement, car ils sont d’une dame qu’il adore, qui lui fait faire tant de dépenses, qu’il sera bientôt réduit à solliciter une vice-royauté.

Si tout repose dans cet hôtel, si tout y est tranquille, en récompense on se donne bien du mouvement dans la maison prochaine à main gauche. Y démêlez-vous une dame dans un lit de damas rouge ? C’est une personne de condition. C’est dona Fabula, qui vient d’envoyer chercher une sage-femme, et qui va donner un héritier au vieux don Torribio, son mari, que vous voyez auprès d’elle. N’êtes-vous pas charmé du bon naturel de cet époux ? Les cris de sa chère moitié lui percent l’âme : il est pénétré de douleur ; il souffre autant qu’elle. Avec quel soin et quelle ardeur il s’empresse à la secourir ! Effectivement, dit Leandro, voilà un homme bien agité ; mais j’en aperçois un autre qui paraît dormir d’un profond sommeil dans la même maison, sans se soucier du succès de l’affaire. La chose doit pourtant l’intéresser, reprit le boiteux, puisque c’est un domestique qui est la cause première des douleurs de sa maîtresse.

Regardez un peu au-delà, continua-t-il, et considérez dans une salle basse cet hypocrite qui se frotte de vieux-oing pour aller à une assemblée de sorciers qui se tient cette nuit entre Saint-Sébastien et Fontarabie. Je vous y porterais tout à l’heure pour vous donner cet agréable passe-temps, si je ne craignais d’être reconnu du démon qui fait le bouc à cette cérémonie.