Les Richesses des Pyrénées françaises et espagnoles - Ligaran - E-Book

Les Richesses des Pyrénées françaises et espagnoles E-Book

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Extrait : "Au milieu des efforts incessants qui se produisent sur tous les points de 'Europe pour découvrir de nouveaux éléments de richesse ; quand on considère l'activité, l'intelligence avec lesquelles mille agents artificiels sont mis en mouvement pour décupler les forces motrices et les agents producteurs, il n'est rien d'aussi pénible que de voir une vaste contrée, à laquelle le ciel a prodigué les faveurs d'un climat chaud et d'une terre féconde."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Les départements pyrénéens traversent une période d’activité particulière qui semble leur ouvrir une vie de prospérité jusqu’à ce jour inconnue. L’impulsion donnée aux améliorations agricoles par les sociétés d’agriculture, les concours départementaux et régionaux, l’ardeur que les Conseils généraux ont mis à multiplier les chemins de toutes les classes et à commencer les canaux d’irrigation, l’achèvement prochain des chemins de fer du Midi de la France et du Nord de l’Espagne, les vastes travaux d’utilité publique exécutés et projetés sous l’inspiration de l’Empereur, notamment dans les Landes, à Biarritz et à Saint-Sauveur, concourent à hâter dans cette région les développements de toutes les branches de la richesse publique.

Dans cette réunion d’efforts divers et de circonstances favorables, nous avons cru seconder ce mouvement général en popularisant la connaissance des divers éléments de richesses qui sont répandus sur les deux versants du plateau pyrénéen : connaissance qui est restée jusqu’à ce jour l’apanage de quelques hommes spéciaux, ingénieurs, administrateurs, économistes.

Rappeler à chaque département les ressources de toute nature qu’il possède, et lui révéler dans leurs détails celles qu’offrent les provinces voisines, est, selon nous, un utile encouragement à donner à ceux qui veulent concourir à la prospérité de tous, soit en s’occupant d’administration publique, soit en tirant personnellement parti des éléments de richesse que présente leur région.

Nous ne croyons pas nous tromper en disant qu’un des malheurs des populations méridionales, une des causes les plus fâcheuses de leur infériorité agricole et industrielle, c’est leur ignorance des ressources naturelles que renferme leur pays, des tentatives qui ont été faites à d’autres époques pour les exploiter, et de la valeur qu’elles sont susceptibles d’acquérir avec des aménagements mieux entendus, semblables à ceux qui ont été déjà mis en application dans des contrées plus avancées.

Plus d’un homme influent, plus d’un administrateur justement estimé, connaissant à fond tous les produits, tous les intérêts de leur département, ne sont pas toujours également instruits des richesses qui existent et des besoins qui se font sentir dans les départements placés à quelque distance, et moins encore dans les provinces situées de l’autre côté de la chaîne.

Cette insuffisance de notions et de renseignements pratiques ne peut manquer de nuire aux intentions administratives les plus louables, aux projets industriels et commerciaux les plus intelligents.

La vie sociale est une grande école d’enseignement mutuel, ou chacun apporte son contingent d’expérience et reçoit, en échange, le produit de l’étude et de l’expérience d’autrui. Autant d’hommes autant de moniteurs. En disant aux habitants des Basses-Pyrénées ou de la Haute-Garonne ce qui se fait utilement dans les Pyrénées-Orientales ou dans la Navarre, en disant aux Catalans et aux Aragonais ce qui se pratique avec avantage dans le Roussillon, les Landes ou le Bigorre, nous pensons être utile à tout le monde et augmenter l’activité productive d’un pays, en lui révélant les procédés en usage dans les autres ; nous pensons apprendre à tous, à éviter certaines erreurs, en leur montrant les conséquences que ces mêmes fautes produisent dans les contrées environnantes.

Jusqu’ici les efforts, les tentatives, nous semblent avoir eu dans les départements pyrénéens un caractère trop individuel, trop restreint ; de là des mécomptes, des insuccès regrettables. Nous voudrions que ces efforts eussent une portée plus générale, et que toute entreprise rentrât dans le programme des intérêts généraux de la région entière, au lieu de se circonscrire dans les limites de l’intérêt local. L’entente préliminaire des départements pyrénéens sur toutes les améliorations désirables, la discussion, la fixation du programme des routes, des canaux, des travaux publics à exécuter, donnerait, croyons-nous, à l’action des départements, soit dans les entreprises laissées à leur charge, soit dans les travaux qui concernent l’État ou les compagnies industrielles une sûreté de direction, une homogénéité de sentiment et d’efforts qui hâteraient l’achèvement de tous les projets, et assurerait aux populations la réalisation d’espérances trop longtemps attendues.

C’est pour concourir à cette entente, c’est pour encourager au travail, à la spéculation les personnes timorées, que nous avons rédigé ce tableau des productions et des ressources de diverses natures que renferment les départements pyrénéens. Pussions-nous, en publiant ces notions, augmenter l’ardeur, la confiance de tous, et retenir dans leur pays ceux qui seraient disposés à aller tenter au loin des chances de fortune bien moins favorables que celles qui leur sont offertes sur le sol natal.

Les irrigations dans les Pyrénées
I

Au milieu des efforts incessants qui se produisent sur tous les points de l’Europe pour découvrir de nouveaux éléments de richesse ; quand on considère l’activité, l’intelligence avec lesquelles mille agents artificiels sont mis en mouvement pour décupler les forces motrices et les agents producteurs, il n’est rien d’aussi pénible que de voir une vaste contrée, à laquelle le ciel a prodigué les faveurs d’un climat chaud et d’une terre féconde, rester dans une infériorité regrettable faute de savoir utiliser les principes fécondants que la nature a mis sous sa main.

Les populations et les princes sont dans une position identique : ce ne sont pas les flatteries qui concourent à leur assurer le progrès et la sécurité, mais les avertissements et même les reproches. Les habitants des départements Pyrénéens, dont nous étudions les intérêts depuis bien des années, nous prêteront, nous n’en doutons pas, une attention plus soutenue si nous leur faisons connaître les négligences qui arrêtent le développement de leur agriculture et de leur industrie, que si nous nous bornions à louer les améliorations très sérieuses assurément qu’ils ont réalisées depuis un demi-siècle dans ces deux branches de prospérité.

Il a été beaucoup fait ; mais si l’on réfléchit à ce qui reste à obtenir dans les voies indiquées par la nature du sol et du climat, il reste bien plus à faire encore ; or, ce n’est pas en arrière, mais devant lui que doit regarder tout homme de conviction et de courage.

IIHistoire et résultat des irrigations dans le nord de l’Italie

Il existe peu de contrées en Europe et sur le globe peut-être, où la topographie, le climat, la composition du terrain offrent autant de ressemblance que dans le nord de l’Italie et dans les départements Pyrénéens.

Mais si Dieu a créé ces deux pays dans un même mouvement de bienveillance, les hommes qui les habitent ont répondu bien diversement aux intentions du Créateur. Les Piémontais et les Lombards ont, de bonne heure, tiré de tous les agents naturels mis à leur disposition un parti admirable, à l’aide du système d’irrigation le plus intelligent, le plus vaste qui soit connu. Dans les départements Pyrénéens, au contraire, les eaux sont restées sans exploitation, sans aménagement systématiques, l’individu a profité quelquefois de celles que la nature dirige sur son champ ; l’association, la réunion des cultivateurs ou des communes n’ont pas réussi à tirer parti de cet agent fertilisateur dans des proportions un peu étendues.

Nous avons essayé, dans une précédente brochure, de montrer l’infériorité des départements Pyrénéens comparés aux départements Lombards, sous le rapport des routes qui traversent les Pyrénées et les Alpes.

Nous avons montré le nord de l’Italie relié à la Suisse, à l’Allemagne, à la France, par neuf routes carrossables, tracées dans les parties les plus abruptes, les plus difficiles des Alpes, tandis que le midi de la France et le nord de l’Espagne ne communiquent entre eux que par trois voies. Nous allons dans ce travail mettre en parallèle ces mêmes contrées, au point de vue des irrigations, convaincus que le meilleur moyen d’exciter l’émulation de nos compatriotes est de leur indiquer les obstacles qu’ils ont à vaincre, les préjugés qu’ils doivent combattre pour réaliser les améliorations que des peuples voisins ont atteintes depuis plusieurs siècles.

Les irrigations de la Lombardie s’étendent depuis la base des Alpes à Ivrée, Rivoli, Pignerolle, Saluces, jusqu’à la ligne de l’Adige, entre Vérone et Legnano ; c’est-à-dire dans une région de 300 kilomètres de longueur de l’est à l’ouest, et de 70 kilomètres du sud au nord, ce qui donne une superficie de 21 000 kilomètres, ou 2 100 000 hectares. Les Goths, que des erreurs historiques nous ont habitués à traiter de barbares, dans le sens moderne de ce mot, introduisirent en Italie les canaux de grande irrigation sous Théodoric Ier. Les Romains pratiquaient sans doute avec beaucoup d’intelligence l’arrosage restreint, l’arrosage à l’aide de simples rigoles ; les Visigoths lui donnèrent un caractère d’utilité provinciale plus générale. Il est à remarquer qu’un prince de la même race, le Visigoth Alaric, créa dans le midi de la France le premier canal d’irrigation dont on ait gardé le souvenir : il existe encore, porte le nom de son fondateur et arrose la rive droite de l’Adour dans les Hautes-Pyrénées.

Les Lombards et les successeurs de Charlemagne aimèrent mieux ravager l’Italie qu’exploiter la fertilité du sol ; ils laissèrent combler et détruire les canaux d’irrigation : cette décadence agricole se prolongea jusqu’au retour des premières croisades.

Les chrétiens, établis pendant bien des années dans la plaine d’Antioche, avaient eu le temps d’admirer avec quelle intelligence les eaux de l’Oronte étaient employées à l’arrosage de cette riche vallée. Telle était la fertilité des environs d’Antioche, depuis l’époque des Grecs et des Romains, qu’on les avait surnommés les jardins de Daphné.

Pendant que les barons de France et d’Allemagne ne rapportaient dans leur pays d’autre amélioration que celle des fortifications, des armures et des machines de guerre, les Italiens plus habiles, tout en étendant à la fabrication des armes de Milan les procédés des armuriers de Damas, surent appliquer aux cours de la Doirer et du Tessin, de l’Adda et du Mincio, les aménagements des eaux de l’Oronte.

Les premières irrigations de la plaine de Milan, à l’aide du canal de Vettabia ou Veterabia, remontent au milieu du douzième siècle ; ce n’est pas sans émotion qu’un Français apprend de la bouche même des Lombards que ce canal fut exécuté par les religieux d’une abbaye à moitié française, l’abbaye de Claravalle, fondée par saint Bernard, à peu de distance au sud de Milan. Cet essai donna de si brillants résultats que les Milanais entreprirent, très peu de temps après, le grand canal du Tessin, ou Naviglio-Grando qui arrose les provinces de Milan, de Pavie et de Lodi. Ce véritable fleuve, creusé de main d’homme de 1177 à 1179, a 50 kilomètres de longueur, 18 à 24 de large ; il ne prend pas moins de 45 mètres cubes d’eau au Tessin, et arrose 31 500, hectares de prairies naturelles et à rotation : l’eau est louée 14 fr. par hectare.

Au commencement du treizième siècle, on creusa le canal de Roggia-Muzza, qui prend les eaux de l’Adda à Casano ; il appartient à un hôpital de Milan, et traverse les provinces de Milan et de Lodi. Il reçut vers l’an 1 200 des accroissements d’une grande importance, et devint le nouvel Adda ou rivière de Muzza. Il a 70 kilomètres de développement et arrose 56 350 hectares : le prix des eaux ne s’élève pas au-dessus de 1 fr. par hectare de prairie.

Le canal de Bereguardo, dérivé du Naviglio-Grande, fut creusé en 1457 par ordre du duc François Ier Sforza ; il se dirige vers Pavie, sa longueur est de 18 kilomètres ; il arrose 7 900 hectares.

Le canal de la Martesana fut exécuté par le même duc François Ier Sforza, à l’aide d’une déviation de l’Adda, pratiquée à 10 kilomètres au-dessus de la prise de la Muzza ; les travaux commencèrent en 1 460 et durèrent 4 ans. Il a 45 kilomètres et arrose 22 000 hectares, au prix de 12 fr. par hectare.

Le Canal de Pavie, dérivé de l’extrémité du Naviglio-Grande, sous les murs de Milan, fut entrepris au commencement du dix-septième siècle, repris en 1807 par le gouvernement français et terminé en 1819. Sa longueur est de 33 kilomètres, sa largeur de 10 mètres ; il arrose 7 600 hectares, à des prix encore moins élevés que le Naviglio-Grande.

Le plus ancien canal du nord de l’Italie, après ceux du Milanais, est celui de Fossa di Pozzuelo, dérivation du Mincio qui arrose le territoire de Mantoue ; il a 25 kilomètres de développement, 10 à 12 mètres de large et débite de 16 à 18 mètres cubes par seconde. Il faut y ajouter, pour la province de Vérone, les rivières, le Tartare, la Tartarello, le Piganzo, le Tione, l’Essere, l’Essereto, la Frasca, l’Osone, le lac de Derotta, qui arrosent, avec la Fossa di Pozzuolo, 43 400 hectares, dont 12 000 de rizières.

Dans les provinces de Bergame, de Crema et de Crémone, les irrigations ne sont pas moins florissantes que dans le Milanais. L’Adda alimente trois dérivations principales, la Rogia-Vejlata, le Naviglio-Retorto (l’un et l’autre arrosent les provinces de Bergame et de Crema), et la Roggia-Rivoltata ; elles versent ensemble 18 744 litres par seconde.

Les provinces de Bergame et de Crémone reçoivent l’eau de l’Oglio par cinq canaux, ouverts sur sa rive droite, la Roggia-Sale, la Roggia-Madama, le Naviglio-Civico, le Naviglio-Pallavicino antiquo, le Naviglio-Pallavicino nuovo. Ils donnent ensemble 28 380 litres par seconde.

Le Serio répand ses eaux dans la province de Bergame, par six dérivations ouvertes sur la rive droite et par trois ouvertes sur la rive gauche. Celles de la rive droite sont la Roggia-Serio, la Morlana, la Guidana, la Vescovana, la Sechia ; celles de la rive gauche sont la Roggia-Borgognona, la Bonsaparta, la Catanea ; elles fournissent ensemble 10 542 litres par seconde.

Le Brembo arrose le territoire de Bergame par deux canaux dérivés de sa rive droite : la Seriola de filayo et la Roggia-Brambilla ; il alimente sur la rive gauche, dans la province de Crema, la Roggia Visconti, la Trevigliese, la Melzi, la Seriola-Alinina. Ajoutons enfin 8 400 litres fournis par des sources, et nous aurons un débit régulier de 79 170 litres arrosant environ 62 000 hectares dans les trois provinces de Crema, Cremone et Bergame.

La province de Brescia est arrosée par dix canaux dérivés de l’Oglio (rive gauche) la Roggia-Fusa, la Seriola di chiari, la Castrina, la Trenzana, la Bajona, la Rudiana, la Castellana, la Vascovada, la Rovati, la Seriola di orci nuovi ; ils fournissent ensemble 44 268 litres par seconde.

La Mella répand ses eaux dans la même province, par le moyen de six canaux : la Seriola-Cambarese, le canale Celato, le Fiume-Rova le Fiume-Grande, la Seriola-Capriana et la Seriola-Morica ; ils fournissent 11 634 litres.

La rivière de Chiere y ajoute le produit de trois canaux ; le Naviglio, la Seriola-Lonata, et la Calcinata qui débitent 19 495 litres, ajoutons-y les eaux de source fournissant 4 714 litres et nous aurons 79 800 litres d’eau arrosant 62 800 hectares.

Le Piémont n’est pas inférieur à la Lombardie pour l’habileté avec laquelle il a su diriger les eaux de ses grandes rivières sur la surface de ses vallées ; toutefois l’usage des irrigations y remonte à une antiquité moins haute.

Les canaux piémontais forment deux classes : les uns appartiennent à des particuliers, les autres à l’État.

Les canaux royaux sont :

Le canal del Rotto, dérivation de la Doire, exécutée en 1 400 par ordre de Jean de Monferrat : sa longueur est de 12 kilomètres, il alimente aussi le Naviletto della Camera, qui a 36 kilomètres ; ces canaux arrosent 10 800 hectares sur les territoires de 13 communes.

Le canal d’Ivrée fut ouvert en 1418, sous la régence d’Iolande de France sœur de Louis XII, femme d’Amédée IX duc de Savoie ; cette dérivation de la Doire (rive gauche), abandonnée en 1564 à l’occasion de graves accidents, fut rouverte en 1651 par le marquis de Pianezza ; sa longueur est de 70 kilomètres, et ses eaux se subdivisent en 20 canaux ; les principaux sont le della Mandria, le Tronzano, le Dasigliano antiquo, la Crova, le del termine, le Salasco et le Robarello ; ils forment, pris dans l’ensemble, un développement de 88 kilomètres et arrosent 12 600 hectares situées dans 32 communes.

Un nom français des plus illustres se rattache à la création du canal de Caluso ; il fut construit en 1559 par le maréchal duc de Cossé-Brissac, sous Henri II. Les eaux lui sont fournies par l’Orco, près de Catellamonte ; il a 28 kilomètres de longueur, 7 de large, et arrose 7 000 hectares.

Le canal de Cigliano dérivé de la Doire (rive gauche) fut ouvert en 1785 sous Victor-Amédée III ; il alimente le Naviletto di Saluggia ouvert à la même époque et le rive construit en 1837 en vertu de lettres patentes de Charles-Albert. Le Cigliano arrose 11 400 hectares situés dans 10 communes sur un parcours de 31 kilomètres. Plusieurs canaux particuliers se joignent aux canaux royaux pour compléter la fertilité du Piémont ; les principales artères de ce réseau secondaire sont : la Roggia-Gattinara prima, dérivée de la Sésia, au commencement du quatorzième siècle, par le marquis de Gattinara qui tenait à fief presque toute la rive droite de cette rivière ; il se divise en deux branches : la Roggia di Gattinara et le Cavo delle baraggie ; ils forment une longueur totale de 37 kilomètres et arrosent 1 800 hectares.

La Roggia-Gattinara seconda, autre dérivation de la Sésia (rive droite), n’arrose que 500 hectares sur 4 kilomètres d’étendue.

La Roggia-Mora, en aval de la ville de Vigevano, remonte au commencement du Moyen Âge ; le duc de Milan, Louis Sforza, dit le More, la fit élargir et réparer en 1481, elle prend également ses eaux dans la Sésia (rive droite), parcourt 52 kilomètres et arrose 3 000 hectares.

Une autre dérivation de la Sésia, rive gauche, porte le nom de Roggia-Busca ; elle fut exécutée en 1780, par la famille Crotta-Tettoni, elle a 32 kilomètres et arrose 13 communes.

La Roggia Rizza-Biragua, sur la rive gauche de la Sésia, fut creusée en 1488, par le marquis Rizzo de Biragua ; elle a 33 kilom. d’étendue et arrose 7 communes entre Capignano, province de Novare, et Zemme, province de Mortara.

La Roggia-Sartirana fut exécutée en 1380 par le marquis de Brenne ; elle prend ses eaux dans la Sésia à 15 kilomètres de Casale, et fertilise 8 000 hectares dans deux communes seulement.

Le Naviglio-Langoseo, dérivé de la rive droite du Tessin, fut ouvert au milieu du quatorzième siècle par la famille dont il porte le nom ; plus tard l’hôpital de Pavie et le cardinal Caldenara le prolongèrent ; il a maintenant 43 kilomètres de longueur, traverse 17 communes dans les provinces de Novarre et de Mortara, et irrigue 10 800 hectares.

Le Naviglio-Sforzesca est également dérivé de la rive droite du Tessin, il doit son origine au duc de Milan Ludovic Sforce qui le fit ouvrir en 1482, il arrose 10 800 hectares.

Le Piémont ne possède qu’un canal d’une certaine importance sur la rive droite du Pô ; c’est le Carlo-Alberto, dans la province d’Alexandrie ; il fut ouvert en 1839 par une compagnie qui vend l’eau 26 fr. par hectare, il traverse six communes et arrose 2 000 hectares sur un parcours de 36 kilomètres.

Plusieurs petits canaux exécutés par des communes tels que la Roggia-Molinara et la Roggia-Cavallera n’arrosent pas moins de 20 000 hectares ; 8 600 reçoivent également le bienfait des eaux vives dans les hautes vallées de Suze, de la Sture, d’Aoste, de Bielle, de Varollo, à l’aide de petites prises d’eaux, opérées directement dans les torrents naturels qui descendent des montagnes, ce qui donne pour les irrigations du Piémont un total de 110 200 hectares.

Si nous sommes entrés dans des détails qu’on trouvera peut-être un peu étendus, c’est que nous ne pouvons contenir notre admiration envers le merveilleux parti que les Italiens du nord ont su tirer de l’aménagement des eaux courantes ; des considérations trop générales n’auraient pu frapper le lecteur, le convaincre de la perfection du système des irrigations italiennes, comme le fera la description abrégée mais complète du réseau hydrographique qui embrasse l’immense bassin du Pô.

À force d’habileté et de persévérance, les Piémontais et les Lombards sont parvenus à dévier les plus grosses rivières dans un si grand nombre de canaux que les lits primitifs sont presque à sec : ces canaux prennent le débit des rivières à différents niveaux, atteignent les terrains de toutes les hauteurs ; ils se superposent, s’entrecroisent, passent les uns sur les autres et se subdivisent en une infinité de rigoles secondaires. À voir l’Italie ainsi transformée par l’industrie humaine, on dirait le système artériel et veineux du corps humain appliqué à la fertilisation du sol. Ce système est d’autant plus remarquable que le Piémont et la Lombardie lui doivent non seulement leur fertilité, mais leur conservation.

Si ces nombreuses rivières restaient abandonnées à la pente rapide qui les précipite des Alpes, loin d’améliorer les champs, elles les inonderaient de gravier, entraîneraient la couche végétale, et feraient de tout le nord de l’Italie, ce que le Reno a fait de la vallée de l’Apennin entre Poretta et Pradaro-Sasso, près de Bologne, ce que la Servitia a fait de la province de Tortone, pays ravagé sur plusieurs points et réduit à un état de stérilité complète… Les environs d’Imola ne sont pas mieux traités ; le Santerno, l’Ammone et les divers courants qui descendent des Alpes, couvrent périodiquement de sable et de gravier les plaines de Facuse, de Chiavaso, de Turin et de Savigliano.

Les irrigations, en diminuant le volume des rivières, en divisant leurs eaux sur tous les points du sol, les empêchent d’exercer des désastres sur un seul et changent leur colère en action fertilisante.

Aujourd’hui le Milanais étend ses irrigations sur 146 180 hectares, les autres provinces lombardes sur 124 800, les provinces vénitiennes de Vérone et Mantoue sur 44 100, le Piémont sur 110 300, total 425 380.

Or, comme la surface totale du bassin irrigable du Pô, rive gauche est de 2 millions d’hectares, il se trouve que le quart à peu près, est complètement arrosé, ce qui constitue la proportion demandée pour le meilleur assolement ; car les vignes, les terres à blé, toutes les céréales proprement dites, les fourrages de rotation, les vergers, les bois, ne demandent pas à être arrosés.

Grâce à l’irrigation de ces 425 380 hectares, le nord de l’Italie augmente son revenu de 130 millions de francs chaque année. Aussi la Lombardie et le Piémont, destinés par la nature à n’être qu’un pays ravagé par les torrents et couvert de marais, est devenu le pays le plus productif, le plus prospère de l’Europe. Il possède 176 habitants par kilomètre carré, alors que la Belgique elle-même n’en renferme que 143.

IIILégislation italienne régissant les cours d’eau

Frappés de l’immense avantage de l’irrigation, les peuples du nord de l’Italie adoptèrent, dès l’époque romaine et durant le Moyen Âge, un principe législatif que nous n’avons inscrit dans nos codes qu’en 1845 : celui de l’obligation imposée au propriétaire supérieur, de laisser passer les eaux employées à l’irrigation d’un domaine inférieur.

D’après le droit romain, la servitude d’aqueduc (Aqueductum est jus aquam ducendi per fundum alienum) était comprise parmi les servitudes de passage. Le digeste les désigne ainsi, liv. VIII, tit. III, iter, actus, via aquæductus… iter droit de passer à pied ; actus, droit de passer avec une voiture et des troupeaux ; via droit de passer à pied, en voiture et avec des troupeaux ; aquæductus, droit de conduire les eaux.

La servitude d’aqueduc donnait au propriétaire inférieur le droit de faire, sur le fond d’autrui, tous les ouvrages nécessaires à la construction et à la conservation de la rigole ; mais la loi réservait en faveur du propriétaire supérieur, la faculté de fixer le passage des eaux sur la partie la moins dommageable de son champ.

Le titre XX du livre XLIII du Digeste, est encore plus explicite. Il est intitulé : De aqua quotidiana æstiva ; ce qui désigne nettement l’irrigation des terres dans la saison d’été ; il constate tous les droits que le propriétaire de l’aqueduc peut invoquer en faveur de la pleine jouissance de sa servitude, contre ceux qui voudraient en troubler le cours.

Ces principes ne firent que se développer dans le droit coutumier lombard. Bientôt le propriétaire supérieur qui subissait la servitude, ne fut plus obligé de la supporter gratuitement ; il dut recevoir une indemnité proportionnée au préjudice qu’on lui causait. Les ducs de Milan, les empereurs d’Autriche, les Français sous Louis XII, les Espagnols sous Charles-Quint, apportèrent tous une égale attention au perfectionnement de la législation et de la bonne administration des cours d’eau. Napoléon Ier enfin inscrivit, dans le code lombard, les principes du droit ancien (20 avril 1804), et l’on se demande quel fut le motif qui l’empêcha de l’étendre à la France. Voici les principales dispositions de ce code.

Art. 51. Tout particulier est tenu de céder le terrain nécessaire au creusement, à la rectification, à la dérivation, ainsi qu’à l’endiguement des fleuves, canaux de navigation, d’irrigation et d’écoulement publics, et en général à tous les travaux relatifs aux eaux et qui ont un but d’utilité publique : il sera indemnisé au besoin selon l’équité.

Art. 52. Quiconque, possédant légitimement des eaux privées ou publiques, entend les dériver dans l’intérêt de l’agriculture, ou pour mettre en jeu des machines hydrauliques, peut les faire passer sur le terrain d’autrui, en payant la valeur du terrain occupé par l’aqueduc à construire, plus le quart en sus…

Tous les codes du nord de l’Italie ont admis les mêmes principes.

D’après le Code civil de Parme de 1820 (art 537), celui qui, pour irriguer sa propriété, a besoin de dériver des eaux, en les faisant passer sur les fonds des autres propriétaires, peut contraindre ceux-ci à lui accorder le droit d’aqueduc, ou à lui livrer passage pour ces eaux, moyennant indemnité.

Le Code sarde, promulgué en 1837, renferme les dispositions suivantes :

Art 403. Les sources, les réservoirs et les cours d’eau sont considérés comme immeubles, ainsi que les conduits servant à faire arriver les eaux dans un héritage.

Art 622. Toute commune, tout corps, tous particuliers, sont tenus de donner passage sur leurs fonds aux eaux que veulent conduire ceux qui ont le droit de les dériver des fleuves, rivières, fontaines, pour l’irrigation des terres, ou pour l’usage de quelque usine : les maisons, ainsi que les cours, aires et jardins, qui en dépendent, sont cependant exceptés de la disposition du présent article.

Art 627. Celui qui veut conduire des eaux sur l’héritage d’autrui doit, avant d’entreprendre la construction d’un aqueduc, payer la valeur du sol, suivant l’estimation qui en aura été faite, sans déduction des impositions et des autres charges qui seraient inhérentes au fonds et avec l’augmentation du cinquième en sus.

Ces principes ont même franchi les Alpes ; ils ont pénétré en Allemagne. On les retrouve notamment dans le Code hessois de 1830, dans la loi des irrigations promulguée en Prusse en 1843, et dans la loi wurtembergeoise sur le même sujet.

IVÉtat des irrigations dans les départements Pyrénéens antérieurement à la loi de 1845

« Laisser couler une goutte d’eau à la mer, sans l’avoir auparavant étendue sur le sol, a dit un agronome, c’est gaspiller le plus précieux des engrais. » Les cours d’eau sont, en effet, principalement dans les climats exposés à un soleil ardent, de véritables torrents de fumier, de guano ; l’agriculture se procure, avec des frais énormes, ces agents chimiques et elle laisserait s’engloutir dans la mer ceux que les montagnes lui fournissent gratuitement !… nous allons chercher dans les entrailles de la terre, jusqu’à 500 mètres de profondeur, avec des dangers et des dépenses infinies, du minerai, du combustible, et cette ardeur civilisatrice, dont nous sommes si fiers, ne sait pas utiliser l’élément le plus productif, le plus facile à diriger, à exploiter de tous !

La nature n’a peut-être pas été favorable au midi de la France dans la même proportion qu’au nord de l’Italie ; les eaux des Pyrénées sont moins abondantes que celles des Alpes et la surface du sol n’est pas généralement aussi bien disposée pour construire des rigoles et en répandre les eaux. De nombreuses collines courent en sens très divers, et opposent des obstacles qui ne se rencontrent que rarement dans la Lombardie. Néanmoins à travers ce réseau de hauteurs, se développent des vallées spacieuses, des plaines considérables où l’aménagement des eaux serait tout aussi facile que dans le nord de l’Italie. La plaine de l’Aude, entre Capendu et Narbonne, est immense : celle de la Garonne, de Saint-Martory à Agen, égale la vingtième partie de la vallée du Pô ; les belles vallées du Salat, de la Nesté, des divers gaves des Basses-Pyrénées, seraient d’une irrigation aussi facile que productive. Or, pour atteindre le plus haut degré de prospérité désirable, une contrée vaste n’a pas besoin, dans nos climats tempérés, d’arroser sa surface tout entière : nous voyons, en prenant exemple sur la Lombardie elle-même, qu’il suffit d’en irriguer le quart. Appliquons ce principe au midi de la France.

Les départements Pyrénéens présentent, de l’Océan à la Méditerranée, un développement de 304 kilomètres de longueur, sur une largeur très irrégulière qui varie de 3 à 100 kilomètres. Voici d’ailleurs quelle est la superficie de cette zone divisée par départements :

Pyrénées-Orientales412 210Aude631 324Ariège489 387Haute-Garonne628 988Gers628 130Hautes-Pyrénées452 944Basses-Pyrénées762 265Landes932 130Lot-et-Garonne et Tarn-et-Garonne, pour la partie située sur la rive gauche, environ200 000Total4 005 228

Soit le double de la contenance du bassin du Pô rive gauche.

Mais cette surface doit être soumise à des réductions considérables. Quand il s’agit de zones accessibles à l’irrigation, et si l’on tient compte des montagnes, des coteaux, et de la majeure partie du département des Landes non seulement inculte mais incultivable, on arrive à un million d’hectares seulement…

Nous connaissons par les statistiques l’étendue positive de la surface en pleine culture comprenant la terre labourable, les vignes, les prés et les vergers. Elle est de 2 403 547 hectares, parmi lesquelles 1 400 000 au moins sont placées sur des coteaux.

Reste donc 1 million d’hectares en pleine culture où l’irrigation peut être réalisée. Or, c’est plus qu’il n’en faut pour atteindre la proportion en usage dans la Lombardie où l’on arrose, comme nous l’avons déjà dit, 425 280 hectares sur 2 millions en pleine culture : nous possédons les 2 millions d’hectares de terres arables ou de prairies. Que nous reste-t-il donc à obtenir pour atteindre la prospérité agricole de l’Italie septentrionale ? des canaux d’irrigation qui conduisent l’eau des Pyrénées sur 425 000 hectares.

Les rivières qui descendent de nos montagnes fourniront-elles le volume d’eau nécessaire ? Il nous est facile d’en donner la preuve.

Dans les Pyrénées-Orientales, le département le plus desséché de tous, un 1/2 litre par seconde suffit à l’arrosage d’un hectare ; un mètre cube par seconde assure donc l’irrigation de 2 000 hectares, et 200 mètres celle de 400 000. Or, les calculs des ingénieurs établissent que les rivières des Pyrénées fournissent aux plus bas étiages un volume d’eau approximatif.

Dans les Pyrénées-Orientales, irrigation de 30 716 hectares à 1/2 litre l’une15 358 litres.Aude, volume d’eau à peu près égal15 358 litres.Bassin entier de la Garonne à Toulouse, d’après M. Raynal70 000 litres.Arros (Gers)2 000 litres.Baïses et Gelise2 000 litres.Hautes-Pyrénées, 5 546 hectares à grande irrigation, c’est-à-dire à 1 litre chaque5 546 litres.Eau de l’Adour non employée3 000 litres.Eau du lac Bleu, 1 000 litres par seconde pendant 160 jours.1 000 litres.Gave de Lourdes, M. Colomez proposait d’en dériver 30 mètres30 000 litres.Gaves d’Oleron, de Mauléon30 000 litres.Bidouse, Bardos, Nive, Nivelle10 000 litres.Total194 202 litres.

Les départements Pyrénéens réunissent par conséquent toutes les conditions nécessaires pour réaliser, à l’aide d’un vaste système d’irrigation, l’agriculture la plus perfectionnée dont le sol de l’Europe soit susceptible.

Voilà ce qui pourrait, ce qui devrait être obtenu déjà depuis bien des années : examinons ce qu’on s’est contenté de faire.

Sur ces dix départements, si heureusement préparés par la nature à recevoir le bienfait des arrosages deux seulement rappellent la Lombardie par les canaux qui fertilisent certaines parties de leur territoire : les Pyrénées-Orientales et les Hautes-Pyrénées.

Dans les Pyrénées-Orientales, les irrigations ne sont pas moins anciennes que dans la Lombardie. Plusieurs dérivations remontent aux Visigoths, aux Arabes et probablement aux Romains ; les substructions et l’aqueduc que l’on remarque dans la rivière de Montalba, au Saut d’Annibal, ne sont que le barrage d’un canal d’irrigation de cette époque ; il alimentait aussi les bains d’Arles. Un grand nombre de petits canaux qui prennent les eaux au Tech, à la Tet et à l’Agly, sont cités dans des chartes des neuvième, dixième, onzième, douzième, treizième et quatorzième siècles. Ici, plus encore que dans la Lombardie, les monastères, ces véritables fermes écoles du Moyen Âge, se mirent à la tête des premiers travaux d’irrigation après le passage des Barbares.

Le canal ou ruisseau du Vernet appartenait au chapitre d’Elne dès le commencement du neuvième siècle ; il fut vendu à l’Évêque, en 863.

Le canal ou ruisseau d’Els Molis, (des moulins) existait antérieurement à 866. Les rois de Majorque, à l’exemple des seigneurs italiens, secondèrent puissamment l’initiative agricole des monastères. Durant les treizième et quatorzième siècles, ils entreprirent, dans la vallée du Tech, un immense canal destiné à devenir navigable et à porter ses eaux à la mer ; il passait par Elne, et arrosait son territoire (chartes royales du 23 juin 1392 et du 11 août 1516). Dans la vallée de la Tet, les canaux royaux de Thuir et de Perpignan furent exécutés dans le but d’alimenter les moulins du roi, et de pourvoir à l’arrosage des terres. (Chartes royales du 5 septembre 1337, du 5 septembre 1408, du 7 août 1425, et du 28 juin 1427.) Ce dernier, qui porte le nom de las Canals, commence en amont d’Ille, irrigue 2 800 hectares, parcourt une distance de 30 kilomètres, et alimente les fontaines de Perpignan.

Dans la vallée de l’Agly, les canaux de Rivesaltes et d’Estaget, construits aussi par les rois de Majorque, arrosaient les terres sur les deux rives (chartes du 6 septembre 1312, 20 juin 1328, et 28 juin 1335) ; ils furent plus tard concédés aux communes et à quelques particuliers.

Divers autres petits canaux, d’une date inconnue, fertilisent 5 790 hectares. Deux canaux plus récents ont été exécutés par des associations de propriétaires ; celui de Formiguière, concédé par ordonnances royales de 1839 et de 1840, et celui de Fonpedrouse, près de Mont-Louis, autorisé en 1832. Ce dernier prend les eaux dans la Tet, parcourt une étendue de 5 kilomètres, et arrose 44 hectares. Quelques autres canaux particuliers en irriguent environ 80, ce qui élevait les irrigations dans les Pyrénées-Orientales à 12 914 hectares, à l’époque où la loi de 1845 vint donner une activité nouvelle à ce système de fertilisation. Mais avant de nous occuper de cette innovation législative et de ses conséquences, continuons d’examiner quelle était antérieurement la situation des départements Pyrénéens.

Le département de l’Aude ne possédait alors qu’un canal de quelque importance, celui de la Robine, canal de navigation qui ne sert que très secondairement à la fertilisation des terres… Il emprunte les eaux de l’Aude, rive droite, parcourt une distance de 31 kilomètres, arrose 200 hectares et bonifie par voie de colmatage ou de dépôt de limon plus de 5 000 hectares ; on arrose aussi une centaine d’hectares à l’aide de petites rigoles qui prennent les eaux des torrents dans les vallées supérieures de l’Aude et de l’Orbieu.

Les Hautes-Pyrénées, ancien comté de Bigorre, occupent le premier rang après le Roussillon. Le plus ancien et le plus étendu des canaux de ce département est le canal d’Alaric, creusé sous le règne de ce prince visigoth, du cinquième au sixième siècle ; il a 6 mètres de largeur, prend les eaux de l’Adour à 4 kilom. au-dessous de Bagnères, suit la rive droite de cette rivière sur une étendue de 40 kilomètres, arrose 2 200 hectares, et entre dans le Gers, où il continue les bienfaits de l’irrigation.

Cependant ses eaux baissent considérablement en automne, par suite des saignées que les propriétaires de l’arrondissement de Bagnères pratiquent à l’Adour, d’une manière fort irrégulière ; ce qui porte constamment les riverains à demander à l’administration un règlement d’eau.

Le canal de Gespe, qui prend ses eaux sur la rive gauche de l’Adour, entre Tarbes et Bagnères, a 12 kil de longueur et arrose 1 400 hectares.

Les deux canaux de Tarbes sont dérivés de l’Adour, rive gauche ; ils traversent cette ville et arrosent 1 946 hectares sur un parcours de 5 kilomètres chaque.

Indépendamment de ces canaux d’une certaine étendue, l’Adour et le gave d’Argelès alimentent une foule de rigoles particulières, qui arrosent plus de 550 hectares, ce qui portait en 1845 le total de la surface irriguée dans ce département à 5 546… Les agriculteurs des rives de l’Adour ont donc créé par leur intelligence, leur activité, et sans le secours de personne, une petite Lombardie, qui s’étend au centre même des Pyrénées, comme pour prouver aux départements voisins qu’il n’y a qu’à donner de l’eau à leurs terres pour obtenir deux récoltes successives de céréales (blé et millet noir), trois coupes abondantes de foins, sans autre travail qu’un labour et de l’eau ; aussi cette partie du Bigorre est-elle parvenue à nourrir 17 000 habitants par myriamètre quarré.

Dans les autres départements Pyrénéens, les irrigations sont tellement restreintes qu’elles méritent à peine d’être notées.

La Haute-Garonne qui réunirait au plus haut degré les conditions nécessaires au succès d’irrigations égales à celles de la Lombardie, la Haute-Garonne qui possède des plaines immenses, une abondance extrême d’eau (elle reçoit la Neste, la Garonne, le Salat et l’Ariège), des ressources financières considérables, et dont les habitants sont particulièrement laborieux et instruits, la Haute-Garonne ne possédait, en 1845, que deux petits canaux dans l’arrondissement de Saint-Gaudens : l’un, construit par M. Saint-Arroman, l’autre par M. Martin Lacoste de Villeneuve de Rivière, en vertu d’une ordonnance de 1833 ; ils n’arrosent pas plus de 900 hectares. Sur divers autres points du même arrondissement on irrigue 1 100 hectares à l’aide de saignées, pratiquées dans les canaux de moulins et d’usines, ce qui portait à 2 000 en 1845 les hectares irriguées dans un département qui devrait en avoir plus de 100 000.

Frappé de cet état de choses, un simple ouvrier de l’arrondissement de Saint-Gaudens, le sieur Marc, entreprit vers 1834, un canal d’une certaine importance ; il devait fertiliser toute la plaine de Valentine. Son plan, approuvé par l’administration, était conçu de manière à prendre dans la Garonne, à 420 mètres au-dessus du pont de Labroquer, 1 mètre cube d’eau en temps d’étiage, et à le conduire par un canal de 6 kilomètres de longueur sur 5 de large, en contournant la montagne de Gourdan, jusqu’à l’entrée de la plaine de Poliguan ; là commençait le canal d’irrigation proprement dit ; il traversait la plaine de Valentine sur une longueur de 16 kilomètres, arrosait 1 500, à 2 000 hectares ; il devait coûter 278 136 fr.

Le sieur Marc se mit à l’œuvre aux acclamations des populations, et avec les encouragements de la Société d’agriculture de la Haute-Garonne, du Conseil général, du Conseil d’arrondissement, de la Chambre de commerce de Toulouse. Mais il ne sut pas tenir compte de la nature du terrain, formé de roches crevassées, fendues ; à peine les 6 kilomètres étaient-ils tracés sur la montagne de Gourdan, que la fortune de l’entrepreneur était épuisée ; et l’on reconnaissait que le lit du canal ne pourrait retenir les eaux qu’après avoir reçu des travaux d’étanchement qui coûteraient plus de 200 000 fr.

Le Conseil d’arrondissement de Saint-Gaudens, le Conseil général de la Haute-Garonne appelèrent en vain la bienveillance du gouvernement, pendant leurs sessions de 1847, 1848, 1849, sur la position intéressante du sieur Marc.

Celui-ci reçut des consolations morales mais pas de secours ; et le malheureux, désespéré, se donna la mort sur les lieux mêmes où il s’était ruiné dans une entreprise qui devait doubler la fortune de ses concitoyens.

L’Ariège n’était guère mieux partagée que la Haute-Garonne. Ses habitants n’arrosaient alors et n’arrosent encore aujourd’hui qu’environ 1 300 hectares dans les hautes vallées, à l’aide de rigoles prises directement dans les cours du Salat, de l’Ariège et des autres torrents.

Dans les Basses-Pyrénées enfin, département qui, après la Haute-Garonne, serait le plus susceptible d’arroser de vastes étendues de terrain, les irrigations ne s’étendaient, en 1845, et ne s’étendent encore de nos jours qu’à 3 000 hectares ; elles se font, comme dans l’Ariège, à l’aide d’une infinité de petites saignées pratiquées aux canaux des usines, ou prises directement dans les lits des cours d’eau. Ces 3 000 hectares sont situés dans les hautes vallées des arrondissements de Pau, d’Oleron et de Mauléon ; l’arrosage des terres est à peu près inconnu dans les arrondissements d’Orthez et de Bayonne, bien que celui d’Orthez fût extrêmement favorable à l’établissement de ce système.

Le département du Gers possède depuis bien des années trois canaux d’irrigation, tous situés à son extrémité sud-ouest, sur la plaine de l’Adour :

Le canal d’Alaric arrose 17 hectares 94 ares dans la commune de Tieste-Uragnous, et tombe dans l’Adour en aval de cette localité.

Le canal des Moulins prend les eaux de l’Adour au point où le canal d’Alaric se jette dans cette rivière, il reçoit un peu plus bas une seconde prise d’eau à l’aide du Boussas, et fertilise 201 hectares 85 ares.

À la suite du canal des Moulins vient le canal des Rouges qui arrose 78 hectares dans les communes de Galiax, Goux, Tasque et Izotges, ce qui portait, en 1845, le nombre des hectares arrosées dans le Gers à 297 h. 79 ares. Total général pour les départements Pyrénéens : 25 176 hectares.

VDes causes de l’infériorité des irrigations dans les Pyrénées

D’où vient la profonde différence qui caractérise le nord de l’Italie et le midi de la France à l’endroit des irrigations ? Tout effet a des causes ; pour y porter remède il faudrait connaître les circonstances qui les ont produites.

Les habitants de ces deux contrées eurent, depuis l’époque romaine jusqu’à la Renaissance, une manière tout opposée de comprendre et de pratiquer l’agriculture. Les Gallo-Romains-Cisalpins habitaient un pays où la civilisation avait atteint ses dernières limites. Leurs villes étaient opulentes et nombreuses : témoin Bergame, Brescia, Vérone, Padoue, Mantoue, Plaisance, Milan qui devint la capitale de l’empire sous Maximien au troisième siècle. Catulle et un grand nombre de riches patriciens y possédaient de magnifiques villas : cette prospérité n’avait d’autre fondement que l’agriculture, et l’on n’est pas surpris d’apprendre que Virgile avait reçu dans cette contrée les leçons qui lui inspirèrent les Bucoliques et les Géorgiques.

Les sciences, le mouvement intellectuel ne cessèrent d’y conserver une grande activité relative à travers les invasions des Barbares, et si les premiers Croisés italiens surent ménager les eaux qui descendaient des Alpes, c’est qu’ils trouvaient en Lombardie des physiciens, des ingénieurs, des géomètres, élèves de la célèbre université de Padoue, et précurseurs des Galilée, des Pic de la Mirandole, des Castelli, des Torricelli, des Soldati, des Cassini ; le sol était d’ailleurs entre les mains d’une aristocratie instruite qui ne bornait pas les devoirs de l’homme à ceux de l’équitation et de l’escrime, mais qui appréciait la richesse et les beaux-arts, fils du travail et de l’intelligence.

Quelle différence dans le bassin sous pyrénéen ! Le sol était possédé par une population vaillante, forte, pleine d’imagination, mais dans un état tout primitif d’instruction et d’expérience. Pas d’université qui s’appliquât à l’étude des sciences exactes, celle de Toulouse se bornait à enseigner le droit civil, le droit canon, la médecine et les belles-lettres : les traces que la civilisation romaine avait laissées dans cette contrée avaient peu à peu disparu sous l’influence de l’invasion des Barbares ; la richesse et le luxe étaient peu appréciés par une aristocratie exclusivement belliqueuse, qui n’avait d’autre préoccupation que celle de défendre le sol contre les irruptions des Maures et des Francs… Abandonnant les plaines fertiles aux serfs de la glèbe, elle plantait ses châteaux sur des rochers incultes ; pour elle les Pyrénées n’étaient pas une terre exploitable, mais une forteresse où l’on se retranchait en prévision de la guerre, et la guerre était à peu près incessante.

Les populations pratiquaient un système d’agriculture approprié à cet état de campement ; elles labouraient peu, et faisaient peu de céréales ; elles se bornaient à élever des porcs dans les bois, des troupeaux de brebis et de bœufs dans les landes et les pâturages laissés à l’état de nature ; de là l’explication de ces immenses étendues de terres incultes qui couvrent le tiers des Basses, des Hautes-Pyrénées et de l’Ariège. Au premier bruit de guerre un peu sérieux chacun poussait ses troupeaux vers les hautes montagnes, emportait ses meubles, entraînait les femmes, les enfants, les vieillards et les mettait à l’abri du pillage et des violences.

L’histoire rapporte bien des faits à l’appui de cet état pastoral des contrées pyrénéennes pendant tout le Moyen Âge ; ainsi la généralité des donations seigneuriales en faveur des monastères et des églises concernait la propriété ou la jouissance de forêts et de dépescences.

Quand Charles VI fit son voyage dans le midi en 1389, il reçut un accueil fastueux dans les domaines de Gaston Phébus, comte de Foix… Pour exhiber aux yeux du monarque français ce que le pays possédait de plus remarquable, on ne lui montra pas des greniers remplis de céréales, ou des champs couverts de gerbes ; mais d’innombrables troupeaux de moutons et de bœufs qu’on avait fait descendre des montagnes : ils étaient conduits par des gentilshommes, vêtus en bergers de bonne compagnie ; ils portaient des sarraux de soie, des houlettes dorées, et des bainos entourées de rubans… Quelques siècles plus tard, sous Louis XIII, lorsque le Marino et M. Durfé faisaient les délices des précieuses de l’hôtel de Rambouillet on aurait pu voir dans cette cérémonie une simple fantaisie pastorale, conforme à la manie littéraire et galante du dix-septième siècle ; mais en plein Moyen Âge, à l’époque la plus brillante de la chevalerie, quand le berger n’était, dans les autres contrées de l’Europe, que le plus misérable serf de la glèbe, presque aussi méprisé que l’esclave à Rome, on attache plus d’importance à cet incident, on y voit la glorification de la véritable richesse des Pyrénées : l’élève du bétail fondé sur le pâturage.

Henri d’Albret, père d’Henri IV, fut le premier prince qui essaya de changer cet état de choses, en y substituant le défrichement des terres et la culture des céréales ; il publia divers règlements dans cet objet ; il appela dans le Béarn des laboureurs de la Bretagne, de la Saintonge, et créa, dans les environs de Pau, plusieurs métairies qui devaient servir de ferme modèle… Les sujets se montraient alors assez empressés à imiter le souverain ; les plaines les plus fertiles commencèrent à connaître le travail de la charrue.