Les vacances - Comtesse de Ségur - E-Book

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Comtesse de Ségur

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Beschreibung

Voilà des grandes vacances bien animées au château de Fleurville ! Pêche, chasse aux papillons, construction de cabanes... Les activités ne manquent pas pour Camille, Madeleine, Marguerite, Sophie et leurs trois cousins. Mais la grande surprise, c'est le retour de M. de Rosbourg et de Paul, le cousin de Sophie, que tous croyaient morts avec les parents de Sophie dans le naufrage de leur navire. Les vacances prennent un goût nouveau avec le récit de leurs aventures !

"Les vacances", deuxième volet de " La trilogie de Fleurville" a été publié en 1859, orné de 36 vignettes par Bertall.
L'ouvrage est dédié à Jacques de Pitray, fils du Vicomte Émile de Simard de Pitray et de la Vicomtesse née Olga de Ségur. Jacques fut peut-être le petit-fils préféré de la Comtesse de Ségur.

Dans cet ouvrage on rencontre un véritable foisonnement de personnages dont certains figuraient déjà dans " Les Petites Filles Modèles".

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Comtesse de Ségur

Les vacances

table des matières

LES VACANCES

Chapitre 1. Arrivée

Chapitre 2. Les cabanes

Chapitre 3. Visite au moulin

Chapitre 4. Biribi

Chapitre 5. Rencontre inattendue

Chapitre 6. Naufrage de Sophie

Chapitre 7. Nouvelle surprise

Chapitre 8. La mer et les sauvages

Chapitre 9. Suite et délivrance

Chapitre 10. Fin du récit de Paul

Chapitre 11. Les revenants

Chapitre 12. Les Tourne-boule et l’idiot

Chapitre 13. La comtesse Blagowski

Chapitre 14. Dernier chapitre

LES VACANCES

Comtesse de Ségur

À mon petit-fils

Jacques de Pitray.

Très cher enfant, tu es encore trop petit pour être le petit JACQUES des VACANCES, mais tu seras, j’en suis sûre, aussi bon, aussi aimable, aussi généreux et aussi brave que lui. Plus tard sois excellent comme PAUL, et plus tard encore, sois vaillant, dévoué, chrétien comme M. DE ROSBOURG. C’est le vœu de ta grand’mère qui t’aime et qui te bénit.

Comtesse de SÉGUR,

née ROSTOPCHINE.

Paris, 1858.

Chapitre 1. Arrivée

Tout était en l’air au château de Fleurville ; Camille et Madeleine de Fleurville, Marguerite de Rosbourg, et Sophie Fichini, leurs amies, allaient et venaient, montaient et descendaient l’escalier, couraient dans les corridors, sautaient, riaient, criaient, se poussaient. Les deux mamans, M me de Fleurville et M me de Rosbourg, souriaient à cette agitation qu’elles ne partageaient pas, mais qu’elles ne cherchaient pas à calmer ; elles étaient assises dans un salon qui donnait sur le chemin d’arrivée. De minute en minute, une des petites filles passait la tête à la porte et demandait :

« Eh bien ! arrivent-ils !

— Pas encore, chère petite, répondait une des mamans.

— Ah ! tant mieux, nous n’avons pas encore fini. »

Et elle repartait comme une flèche.

« Mes amies, ils n’arrivent pas encore ; nous avons le temps de tout finir.

CAMILLE

Tant mieux ! Sophie, va vite au potager demander des fleurs…

SOPHIE

Quelles fleurs faut-il demander ?

MADELEINE

Des dahlias et du réséda, ce sera facile à arranger, et l’odeur en sera agréable et pas trop forte.

MARGUERITE

Et moi, Camille, que dois-je faire ?

CAMILLE

Toi, cours avec Madeleine chercher de la mousse pour cacher les queues des fleurs. Moi je vais laver les vases à la cuisine, et j’y mettrai de l’eau.

Sophie courut au potager et rapporta un grand panier rempli de beaux dahlias et de réséda qui embaumait.

Marguerite et Madeleine ramenèrent une brouette de mousse.

Camille apporta quatre vases bien lavés, bien essuyés et pleins d’eau.

Les quatre petites se mirent à l’ouvrage avec une telle activité, qu’un quart d’heure après, les vases étaient pleins de fleurs gracieusement arrangées les dahlias étaient entremêlés de branches de réséda. Elles en portèrent deux dans la chambre destinée à leurs cousins Léon et Jean de Rugès, et deux dans la chambre du petit cousin Jacques de Traypi.

CAMILLE, REGARDANTDETOUSCô Té S.

Je crois que tout est fini maintenant ; je ne vois plus rien à faire.

MADELEINE

Jacques sera enchanté de sa chambre ; elle est charmante !

SOPHIE

La collection d’images que nous avons mise sur la table va l’amuser beaucoup.

MARGUERITE

Je vais voir s’ils arrivent !

CAMILLE

Oui, va, nous te suivons.

Marguerite partit en courant, et, avant que ses amies eussent pu la rejoindre, elle reparut haletante et criant :

« Les voilà ! les voilà ! les voitures ont passé la barrière, elles entrent dans le bois. »

Camille, Madeleine et Sophie se précipitèrent vers le perron, où elles trouvèrent leurs mamans : elles auraient bien voulu courir au-devant de leurs cousins, mais les mamans les en empêchèrent.

Quelques instants après, les voitures s’arrêtaient devant le perron aux cris de joie des enfants. M. et M me de Rugès et leurs deux fils, Léon et Jean, descendirent de la première. M. et M me de Traypi et leur petit Jacques descendirent de la seconde. Pendant quelques instants, ce fut un tumulte, un bruit, des exclamations à étourdir.

Léon était un beau et grand garçon blond, un peu moqueur, un peu rageur, un peu indolent et faible, mais bon garçon au fond ; il avait treize ans.

Jean était âgé de douze ans ; il avait de grands yeux noirs pleins de feu et de douceur ; il avait du courage et de la résolution ; il était bon, complaisant et affectueux.

Jacques était un charmant enfant de sept ans, il avait les cheveux châtains et bouclés, les yeux pétillants d’esprit et de malice, les joues roses, l’air décidé, le cœur excellent, le caractère vif, mais jamais d’humeur ni de rancune.

CAMILLE

Comme tu es grandi, Léon !

LÉON

Comme tu es embellie, Camille !

MADELEINE

Jean a l’air d’un petit homme maintenant.

JEAN

Un vrai homme, tu veux dire, comme toi tu as l’air d’une vraie demoiselle.

MARGUERITE

Mon cher petit Jacques, que je suis contente de te revoir ! comme nous allons jouer !

JACQUES

Oh oui ! nous ferons beaucoup de bêtises comme il y a deux ans !

MARGUERITE

Te rappelles-tu les papillons que nous attrapions ?

JACQUES

Et tous ceux que nous manquions ?

MARGUERITE

Et ce pauvre crapaud que nous avons mis sur une fourmilière ?

JACQUES

Et ce petit oiseau que je t’avais déniché, et qui est mort, parce que je l’avais trop serré dans mes mains ?

« Oh ! que nous allons nous amuser ! » s’écrièrent-ils ensemble en s’embrassant pour la vingtième fois.

Sophie seule restait à l’écart ; on l’avait embrassée en descendant de voiture ; mais elle sentait que, ne faisant pas partie de la famille, n’ayant été admise à Fleurville que par suite de l’abandon de sa belle-mère, elle ne devait pas se mêler indiscrètement à la joie générale. Jean s’aperçut le premier de l’isolement de la pauvre Sophie, et, s’approchant d’elle, il lui prit les mains en lui disant avec affection :

« Ma chère Sophie, je me suis toujours souvenu de ta complaisance pour moi lors de mon dernier séjour à Fleurville ; j’étais alors un petit garçon maintenant que je suis plus grand, c’est moi qui te rendrai des services à mon tour.

SOPHIE

Merci de ta bonté, mon bon Jean ! merci de ton souvenir et de ton amitié pour la pauvre orpheline.

CAMILLE

Sophie, chère Sophie, tu sais bien que nous sommes tes sœurs, que maman est ta mère ! pourquoi nous affliges-tu en t’attristant toi-même ?

SOPHIE

Pardon, bonne Camille ; oui, j’ai tort j’ai réellement trouvé ici une mère et des sœurs.

— Et des frères, s’écrièrent ensemble Léon, Jean et Jacques.

— Merci, mes chers frères, dit Sophie en souriant. J’ai une famille dont je suis fière.

— Et heureuse, n’est-ce pas ? dit tout bas Marguerite d’un ton caressant et en l’embrassant.

— Chère Marguerite ! répondit Sophie en lui rendant son baiser.

— Mes enfants, mes enfants ! descendez vite ; venez goûter », dit M me de Fleurville qui était restée en bas avec ses sœurs et ses beaux-frères.

Les enfants ne se firent point répéter une si agréable invitation ; ils descendirent en courant et se trouvèrent dans la salle à manger, autour d’une table couverte de fruits et de gâteaux.

Tout en mangeant, ils formaient des projets pour le lendemain.

Léon arrangeait une partie de pêche ; Jean arrangeait des lectures à haute voix. Jacques dérangeait tout ; il voulait passer toute la journée avec Marguerite pour attraper des papillons et les piquer dans ses boîtes, pour dénicher des oiseaux, pour jouer aux billes, pour regarder et copier les images. Il voulait avoir Marguerite le matin, l’après-midi, le soir. Elle demandait qu’il lui laissât la matinée jusqu’au déjeuner pour travailler.

JACQUES

Impossible ! c’est le meilleur temps pour attraper les papillons.

MARGUERITE

Eh bien ! alors, laisse-moi travailler d’une heure à trois.

JACQUES

Encore plus impossible ; c’est justement le temps qu’il nous faudra pour arranger nos papillons, étendre leurs ailes, les piquer sur les planches de liège.

MARGUERITE

Comment, les piquer ! Pauvres bêtes ! Je ne veux pas les faire souffrir et mourir si cruellement.

JACQUES

Ils ne souffriront pas du tout ; je leur serre la poitrine pour les étouffer avant de les piquer ; ils meurent de suite.

MARGUERITE

Tu es sûr qu’ils meurent, qu’ils ne souffrent plus ?

JACQUES

Très sûr, puisqu’ils ne bougent plus.

MARGUERITE

Mais, Jacques, tu n’as pas besoin de moi pour arranger tes papillons ?

JACQUES

Oh ! ma petite Marguerite, tu es si bonne, je t’aime tant ! je m’amuse tant avec toi et je m’ennuie tant tout seul !

LÉON

Et pourquoi veux-tu avoir Marguerite pour toi tout seul ? nous voulons aussi l’avoir ; quand nous pêcherons, elle viendra avec nous.

JACQUES

Vous êtes déjà cinq ! Laissez-moi ma chère Marguerite pour m’aider à arranger mes papillons.

MARGUERITE

Écoute Jacques. Je t’aiderai pendant une heure ; ensuite nous irons pêcher avec Léon.

Jacques grogna un peu, Léon et Jean se moquèrent de lui, Camille et Madeleine l’embrassèrent et lui firent comprendre qu’il ne fallait pas être égoïste, qu’il fallait être bon camarade et sacrifier quelquefois son plaisir à celui des autres. Jacques avoua qu’il avait tort, et il promit de faire tout ce que voudrait sa petite amie Marguerite.

Le goûter était fini ; les enfants demandèrent la permission d’aller se promener, et partirent en courant à qui arriverait le plus vite au jardin de Camille et de Madeleine. Ils le trouvèrent plein de fleurs, très bien bêché et bien cultivé.

JEAN

Il vous manque une petite cabane pour mettre vos outils, et une autre pour vous mettre à l’abri de la pluie, du soleil et du vent.

CAMILLE

C’est vrai, mais nous n’avons jamais pu réussir à en faire une ; nous ne sommes pas assez fortes.

LÉON

Eh bien ! pendant que nous sommes ici, Jean et moi nous bâtirons une maison.

JACQUES

Et moi aussi j’en bâtirai une pour Marguerite et pour moi.

LÉON, RIANT.

Ha ! ha ! ha ! Voilà un fameux ouvrier ! Est-ce que tu sauras comment t’y prendre ?

JACQUES

Oui, je le saurai, et je la ferai.

MADELEINE

Nous t’aiderons, mon petit Jacques, et je suis bien sûre que Léon et Jean t’aideront aussi.

JACQUES

Je veux bien que tu m’aides, toi, Madeleine, et Camille aussi, et Sophie aussi ; mais je ne veux pas de Léon, il est trop moqueur.

JEAN, RIANT.

Et moi, Jacques, Ta Grandeur voudra-t-elle accepter mon aide ?

JACQUES, Fâ CHé.

Non, monsieur, je ne veux pas de toi non plus ; je veux te montrer que Ma Grandeur est bien assez puissante pour se passer de toi.

SOPHIE

Mais comment feras-tu, mon pauvre Jacques, pour atteindre au haut d’une maison assez grande pour nous tenir tous ?

JACQUES

Vous verrez, vous verrez, laissez-moi faire ; j’ai mon idée.

Et il dit quelques mots à l’oreille de Marguerite, qui se mit à rire et lui répondit bas aussi :

« Très bien, très bien, ne leur dis rien jusqu’à ce que ce soit fini. »

Les enfants continuèrent leur promenade ; on mena les cousins au potager, où ils passèrent en revue tous les fruits, mais sans y toucher, puis à la ferme, où ils visitèrent la vacherie, la bergerie, le poulailler, la laiterie ; ils étaient tous heureux ; ils riaient, ils couraient, grimpant sur des arbres, sautant des fossés, cueillant des fleurs pour en faire des bouquets qu’ils offraient à leurs cousines et à leurs amies. Jacques donnait les siens à Marguerite. Ceux de Jean étaient pour Madeleine et Sophie ; Léon réservait les siens à Camille. Ils ne rentrèrent que pour dîner. La promenade leur avait donné bon appétit ; ils mangèrent à effrayer leurs parents. Le dîner fut très gai. Aucun d’eux n’avait peur de ses parents : pères, mères, enfants riaient et causaient gaiement. Après le dîner on fit tous ensemble une promenade dans les champs, et on rapporta une quantité de bluets ; le reste de la soirée se passa à faire des couronnes pour les demoiselles ; Léon, Jean, Jacques aidaient ; ils coupaient les queues trop longues, préparaient le fil, cherchaient les plus beaux bluets. Enfin arriva l’heure du coucher des plus jeunes, Sophie, Marguerite et Jacques, puis des plus grands, et enfin l’heure du repos pour les parents. Le lendemain on devait commencer les cabanes, attraper des papillons, pêcher à la pièce d’eau, lire, travailler, se promener ; il y avait de l’occupation pour vingt-quatre heures au moins.

Chapitre 2. Les cabanes

Les enfants étaient en vacances, et tous avaient congé ; les papas et les mamans avaient déclaré que, pendant six semaines, chacun ferait ce qu’il voudrait du matin au soir, sauf deux heures réservées au travail.

Le lendemain de l’arrivée des cousins, on s’éveilla de grand matin.

Marguerite sortit sa tête de dessous sa couverture et appela Sophie, qui dormait profondément ; Sophie se réveilla en sursaut et se frotta les yeux :

« Quoi ? qu’est-ce ? Faut-il partir ? Attends, je viens. »

En disant ces mots, elle retomba endormie sur son oreiller.

Marguerite allait recommencer, lorsque la bonne, qui couchait près d’elle, lui dit :

« Taisez-vous donc, mademoiselle Marguerite ; laissez-nous dormir ; il n’est pas encore cinq heures ; c’est trop tôt pour se lever.

MARGUERITE

Dieu ! que la nuit est longue aujourd’hui ! quel ennui de dormir ! »

Et, tout en songeant aux cabanes et aux plaisirs de la journée, elle aussi se rendormit.

Camille et Madeleine, éveillées depuis longtemps, attendaient patiemment que la pendule sonnât sept heures, et leur permît de se lever sans déranger leur bonne, Élisa, qui, n’ayant pas de cabane à construire, dormait paisiblement.

Léon et Jean s’étaient éveillés et levés à six heures ; ils finissaient leur toilette et leur prière lorsque leurs cousines se levaient.

Jacques avait eu, avant de se coucher, une conversation à voix basse avec son père et Marguerite ; on les voyait causer avec animation ; on les entendait rire ; de temps en temps Jacques sautait, battait des mains et embrassait son papa et Marguerite ; mais ils ne voulurent dire à personne de quoi ils avaient parlé avec tant de chaleur et de gaieté. Le lendemain, quand Léon et Jean allèrent éveiller Jacques, ils trouvèrent la chambre vide.

JEAN

Comment ! Déjà sorti ! À quelle heure s’est-il donc levé ?

LÉON

Écoute donc ; un premier jour de vacances on veut s’en donner des courses, des jeux, des promenades. Nous le retrouverons dans le jardin. En attendant mes cousines et nos amies, allons faire un tour à la ferme ; nous déjeunerons avec du bon lait tout chaud et du pain bis.

Jean approuva vivement ce projet ; ils arrivèrent au moment ou l’on finissait de traire les vaches. La fermière, la mère Diart, les reçut avec empressement. Après les premières phrases de bonjour et de bienvenue, Léon demanda du lait et du pain bis.

La mère Diart s’empressa de les servir.

« Allons, la grosse, cria-t-elle à une lourde servante qui apportait deux seaux pleins de lait, donne du lait tout chaud à ces messieurs. Passe-le… Plus vite donc ! Est-elle pataude ! Faites excuse, messieurs, elle n’est pas prompte, voyez-vous. Pose tes seaux ; j’aurai plus tôt fait que toi… Cours chercher un pain dans la huche… Voilà, messieurs ; à votre service tout ce qu’il vous plaira de demander. »

Léon et Jean remercièrent la fermière et se mirent à manger avec délices ce bon lait tout chaud et ce pain de ménage, à peine sorti du four et tiède encore.

« Assez, assez, Jean, dit Léon. Si nous nous étouffons, nous ne serons plus bons à rien. N’oublie pas que nous avons nos cabanes à commencer. Nous aurons fini les nôtres avant que ce petit vantard de Jacques ait pu seulement commencer la sienne.

JEAN

Hé, hé Je ne dis pas cela, moi. Jacques est fort ; il est très vif et intelligent ; il est résolu, et quand il veut, il veut ferme.

LÉON

Laisse donc ! ne vas-tu pas croire qu’il saura faire une maison à lui tout seul, aidé seulement par Sophie et Marguerite ?

JEAN

Je n’en sais rien ; nous verrons.

LÉON

C’est tout vu d’avance, mon cher. Il fera chou blanc.

JEAN

Ou chou pommé. Tu verras, tu verras.

LÉON

Ce que tu dis là est d’une niaiserie pommée. Ha ! ha ! ha ! Un petit gamin de sept ans, architecte, maçon.

JEAN

C’est bon ! Tu riras après ; en attendant, viens chercher nos cousines ; il va être huit heures.

Ils coururent à la maison, allèrent frapper à la porte de leurs cousines, qui les attendaient, et qui leur ouvrirent avec empressement. Ils se demandèrent réciproquement des nouvelles de leur nuit, et descendirent pour courir à leur jardin et commencer leur cabane. En approchant, ils furent surpris d’entendre frapper comme si on clouait des planches.

CAMILLE

Qui est-ce qui peut cogner dans notre jardin ?

MADELEINE

C’est sans doute dans le bois.

CAMILLE

Mais non ; les coups semblent venir du jardin.

LÉON

Ah ! voici Marguerite ; elle nous dira ce que c’est.

Au même instant, Marguerite cria très haut :

— Léon, Jean, bonjour ; Sophie et Jacques sont avec moi.

— Ne crie donc pas si fort, dit Jean en souriant, nous ne sommes pas sourds. »

Marguerite courut à eux, les arrêta pour les embrasser tous, puis ils prirent le chemin qui menait au jardin, en tournant un peu court dans le bois.

Quelle ne fut pas leur surprise en voyant Jacques, le pauvre petit Jacques, armé d’un lourd maillet, et clouant des planches aux piquets qui formaient les quatre coins de sa cabane. Sophie l’aidait en soutenant les planches.

Jacques avait très bien choisi l’emplacement de sa maisonnette ; il l’avait adossée à des noisetiers qui formaient un buisson très épais et qui l’abritaient d’un soleil trop ardent. Mais ce qui causa aux cousins une vive surprise, ce fut la promptitude du travail de Jacques et la force et l’adresse avec lesquelles il avait placé et enfoncé les gros piquets qui devaient recevoir les planches avec lesquelles il formait les murs. La porte et une fenêtre étaient déjà indiquées par des piquets pareils à ceux qui faisaient les coins de la maison.

Ils s’étaient arrêtés tous quatre ; leur étonnement se peignait si bien sur leurs figures que Jacques, Marguerite et Sophie ne purent s’empêcher de sourire, puis d’éclater de rire. Jacques jeta son maillet à terre pour rire plus à son aise.

Enfin Léon s’avança vers lui.

LÉON, AVECHUMEUR.

Pourquoi et de quoi ris-tu ?

JACQUES

Je ris de vous tous et de vos airs étonnés.

JEAN

Mais, mon petit Jacques, comment as-tu pu faire tout cela, et comment as-tu eu la force de porter ces lourds piquets et ces lourdes planches ?

JACQUES, AVECMALICE.

Marguerite et Sophie m’ont aidé.

Léon et Jean hochèrent la tête d’un air incrédule ; ils tournèrent autour de la cabane, regardèrent partout d’un air méfiant, pendant que Camille et Madeleine s’extasiaient devant l’habileté de Jacques et admiraient la promptitude avec laquelle il avait travaillé.

CAMILLE

À quelle heure t’es-tu donc levé, mon petit Jacques ?

JACQUES

À cinq heures, et à six j’étais ici avec mes piquets, mes planches, et tous mes outils. Tenez, mes amis, prenez les outils maintenant, chacun son tour.

LÉON

Non, Jacques, continue ; nous voudrions te voir travailler, pour prendre des leçons de ton grand génie.

Jacques jeta à Marguerite et à Sophie un coup d’œil d’intelligence et répondit en riant :

« Mais nous travaillons depuis longtemps, et nous sommes fatigués. Nous allons à présent courir après les papillons. »

LÉON, AVECIRONIE.

Pour vous reposer sans doute ?

MARGUERITE

Précisément, pour nous reposer les mains et l’esprit.

Et ils partirent en riant et sautant.

Léon les regarda s’éloigner et dit :

« Ils ne ressemblent guère à des gens fatigués. »

Au même instant Camille et Madeleine se rapprochèrent avec inquiétude de Léon et de Jean.

CAMILLE

J’ai entendu les branches craquer dans le buisson.

MADELEINE

Et moi aussi ; entendez-vous ? On s’éloigne avec précaution.

Pendant que Léon reculait en s’éloignant prudemment du buisson et des bois, Jean saisissait le maillet de Jacques et s’élançait devant ses cousines pour les protéger.

Ils écoutèrent quelques instants et n’entendirent plus rien. Léon alors dit d’un air mécontent :

« Vous vous êtes trompées ; il n’y a rien du tout. Laisse donc ce maillet, Jean ; tu prends un air matamore en pure perte ; il n’y a aucun ennemi pour se mesurer avec toi.

MADELEINE

Merci, Jean ; s’il y avait eu du danger, tu nous aurais défendues bravement.

CAMILLE

Léon, pourquoi plaisantes-tu du courage de Jean ? Il pouvait y avoir du danger, car je suis sûre d’avoir entendu marcher avec précaution dans le fourré, comme si on voulait se cacher.

LÉON, D’ UNAIRMOQUEUR.

Je préfère la prudence du serpent au courage du lion.

JEAN

Il est certain que c’est plus sûr.

Camille, qui pressentait une dispute, changea, la conversation en parlant de leur cabane. Elle demanda qu’on choisît l’emplacement ; après bien des incertitudes, ils décidèrent qu’on la bâtirait en face de celle de Jacques. Ensuite, ils allèrent chercher des pièces de bois et les planches nécessaires pour la construction. Ils firent leur choix dans un grand hangar où il y avait du bois de toute espèce. Ils chargèrent leurs planches et leurs piquets sur une petite charrette à leur usage ; Léon et Jean s’attelèrent au brancard, Camille et Madeleine poussaient derrière, et ils partirent au trot, passant en triomphe devant Jacques, Marguerite et Sophie, qui couraient dans le pré après les papillons ; ceux-ci allèrent se ranger en ligne au coin du bois et leur présentèrent les armes avec leurs filets à papillons, tout en riant d’un air malicieux. Jean, Camille et Madeleine rirent aussi d’un air joyeux ; Léon devint rouge et voulut s’arrêter ; mais Jean tirait, Camille et Madeleine poussaient, et Léon dut marcher avec eux.

Bientôt après, la cloche du déjeuner se fit entendre les enfants laissèrent leur ouvrage et montèrent pour se laver les mains, donner un coup de peigne à leurs cheveux et un coup de brosse à leurs habits.

On se mit à table. M. de Traypi demanda des nouvelles des cabanes.

« Marchent-elles bien, vos constructions ? Êtes-vous bien avancés, vous autres grands garçons ? Quant à mon pauvre Jacquot, je présume qu’il en est encore au premier piquet. Hé, Léon ?

LÉON, D’ UNAIRDEDé PIT.

Mais non, mon oncle ; nous ne sommes pas très avancés nous commençons seulement à placer les quatre piquets des coins.

M. DE TRAYPI

Et Jacques, hé, où en est-il ?

LÉON, DEMê ME.

Je ne sais pas comment il a fait, mais il a déjà commencé comme nous.

MARGUERITE

Dis donc aussi qu’il est bien plus avancé que vous autres, grands et forts, puisqu’il cloue déjà les planches des murs.

M. DE TRAYPI

Ha ! ha ! Jacques n’est donc pas si mauvais ouvrier que tu le craignais hier, Léon ?

Léon ne répondit rien et rougit. Tout le monde se mit à rire ; Jacques, qui était à côté de son père, lui prit la main et la baisa furtivement. On parla d’autres choses ; de bons gâteaux avec du chocolat mousseux mirent la joie dans tous les cœurs et dans tous les estomacs. Après le déjeuner, les enfants voulurent mener leurs parents dans leur jardin pour voir l’emplacement et le commencement des maisonnettes, mais les parents déclarèrent tous qu’ils ne les verraient que terminées ; ils firent alors ensemble une petite promenade dans le bois, pendant laquelle Léon arrangea une partie de pêche.

« Jean et moi, dit-il, nous allons préparer les lignes et les hameçons ; en attendant, allez, je vous prie, mes chères cousines, demander des vers au jardinier ; vous les ferez mettre dans un petit pot pour qu’ils ne s’échappent pas. »

Camille et Madeleine coururent au jardin où leurs cousins ne tardèrent pas à les rejoindre en quelques minutes, le jardinier leur remplit un petit pot avec des vers superbes, et ils allèrent à la pièce d’eau, où ils trouvèrent Jacques, Marguerite et Sophie, qui avaient préparé un seau pour mettre les poissons et du pain pour les attirer.

La pêche fut bonne ; vingt et un poissons passèrent de la pièce d’eau dans le seau qui était leur prison de passage ; ils ne devaient en sortir que pour périr par le fer et par le feu de la cuisine.

La pêche était déjà bien en train, et l’on ne s’était pas encore aperçu que Jacques s’était esquivé furtivement. Madeleine fut la première qui remarqua son absence, mais elle ajouta :

« Il est probablement rentré pour arranger ses papillons.

— Les papillons qu’il n’a pas pris », dit Marguerite en riant, à l’oreille de Sophie.

Sophie lui répondit par un signe d’intelligence et un sourire.

« Qu’est-ce qu’il y a donc ? dit Léon d’un air soupçonneux. Je ne sais pas ce qu’elles complotent, mais elles ont depuis ce matin, ainsi, que Jacques, un air riant, mystérieux, narquois, qui n’annonce rien de bon.

MARGUERITE, RIANT.

Pour vous ou pour nous ?

LÉON

Pour tous ; car si vous nous jouez des tours à Jean et à moi, nous vous en jouerons aussi.

JEAN

Oh ! ne me craignez pas, mes chères amies ! jouez-moi tous les tours que vous voudrez, je ne vous les rendrai jamais.

MARGUERITE

Que tu es bon, toi, Jean ! dit Marguerite en allant à lui et lui serrant les mains. Ne crains rien, nous ne te jouerons jamais de méchants tours.

SOPHIE

Et nous sommes bien sûres que vous nous permettrez des tours innocents.

JEAN, RIANT.

Ah ! il y en a donc en train ? Je m’en doutais. Je vous préviens que je ferai mon possible pour les déjouer.

MARGUERITE

Impossible, impossible ; tu ne pourras jamais.

JEAN

C’est ce que nous verrons.

LÉON

Voilà près de deux heures que nous pêchons, nous avons plus de vingt poissons ; je pense que c’est assez pour aujourd’hui. Qu’en dites-vous, mes cousines ?

CAMILLE

Léon a raison ; retournons à nos cabanes, qui ne sont pas trop avancées ; tâchons de rattraper Jacques, qui est le plus petit et qui a bien plus travaillé que nous.

JEAN