Travaux scientifiques exécutés à la tour de 300 mètres - Ligaran - E-Book

Travaux scientifiques exécutés à la tour de 300 mètres E-Book

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Extrait : "Sans remonter à la Tour de Babel, on peut observer que l'idée même de la construction d'une tour de très grande hauteur a depuis longtemps hanté l'imagination des hommes. Cette sorte de victoire sur cette terrible loi de la pesanteur qui attache l'homme au sol lui a toujours paru un symbole de la force et des difficultés vaincues."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Avant-propos

L’exposé qui va suivre est extrait d’un ouvrage qui vient de paraître, constituant la monographie complète de la Tour de trois cents mètres, comme historique, calculs, exécution des travaux, description des organes mécaniques et applications scientifiques (La Tour de trois cents mètres, Imprimeries Lemercier, texte in-folio de 382 pages, album de 67 planches in-folio).

Il m’a paru utile d’en détacher le chapitre relatif aux travaux scientifiques, non seulement en raison de l’intérêt propre qui s’attache à chacun d’eux, mais encore pour répondre à ce reproche d’inutilité que tant de personnes peu renseignées continuent encore d’adresser à la Tour, malgré la grande part qu’elle peut revendiquer dans le succès de l’Exposition de 1889.

J’ai fait précéder cet exposé d’un chapitre relatif aux origines de la Tour, en y joignant une description et des renseignements très sommaires.

Enfin, un Appendice, extrait en majeure partie de la publication : « Les grandes usines, de Turgan », contient une Notice sur les travaux exécutés par mes Établissements industriels, de 1867 à 1890.

CHAPITRE PREMIEROrigines de la Tour et description sommaire
§ 1Projets antérieurs

Sans remonter à la Tour de Babel, on peut observer que l’idée même de la construction d’une tour de très grande hauteur a depuis longtemps hanté l’imagination des hommes.

Cette sorte de victoire sur cette terrible loi de la pesanteur qui attache l’homme au sol lui a toujours paru un symbole de la force et des difficultés vaincues.

Pour ne parler que des faits de notre siècle, la Tour de mille pieds qui dépassait par sa hauteur le double de celle que les monuments les plus élevés construits jusqu’alors avaient permis d’atteindre, s’était posée dans l’esprit des ingénieurs Anglais et Américains comme un problème bien tentant à résoudre. L’emploi nouveau du métal dans la construction permettait d’ailleurs de l’aborder avec chance de succès.

En effet, les ressources de la maçonnerie, au point de vue de la construction d’un édifice très élevé, sont fort limitées. Dès que l’on aborde ces grandes hauteurs de mille pieds, les pressions deviennent tellement considérables que l’on se heurte à des impossibilités pratiques qui rejettent l’édifice projeté au rang des chimères irréalisables.

Mais il n’en est pas de même avec l’emploi de la fonte, du fer ou de l’acier, que ce siècle a vu naître comme matériaux de constructions, et qui a pris un développement si considérable. Les résistances de ces métaux se meuvent dans un champ beaucoup plus étendu, et leurs ressources sont toutes différentes.

Aussi, dès la première apparition de leur emploi dans la construction, l’ingénieur anglais Trevithick, en 1833, proposa d’ériger une immense colonne en fonte ajourée de 1 000 pieds de hauteur (304,80 m), ayant 30 mètres à la base et 3,60 m au sommet. Mais ce projet fort peu étudié ne reçut aucun commencement d’exécution.

La première étude sérieuse qui suivit eut lieu en 1874, à l’occasion de l’Exposition de Philadelphie. Il fut parlé plus que jamais de la Tour de mille pieds, dont le projet (décrit dans la Revue scientifique « La Nature ») avait été établi par deux ingénieurs américains distingués, MM. Clarke et Reeves. Elle était constituée par un cylindre en fer de 9 mètres de diamètre maintenu par des haubans métalliques disposés sur tout son pourtour et venant se rattacher à une base de 45 mètres de diamètre. Malgré le bruit fait autour de ce projet et le génie novateur du Nouveau-Monde, soit que la construction parût trop hardie, soit que les capitaux eussent manqué, on recula au dernier moment devant son exécution ; mais cette conception était déjà entrée dans le domaine de l’ingénieur.

En 1881, M. Sébillot revint d’Amérique avec le dessin d’une Tour en fer de 300 mètres, surmontée d’un foyer électrique pour l’éclairage de Paris, projet sur le caractère pratique duquel il n’y a pas à insister.

MM. Bourdais et Sébillot reprirent en commun l’idée de cet édifice, mais leur Tour soleil était cette fois en maçonnerie. Ce projet soulevait de nombreuses objections qui s’appliquent d’ailleurs à une construction quelconque de ce genre.

La difficulté des fondations, les conséquences dangereuses qui pourraient résulter, soit des tassements inégaux du sol (tassements qui, dans le cas d’une tour en fer, n’ont aucun inconvénient sérieux), soit des tassements inégaux des mortiers et de leur prise insuffisante au sein de ces gros massifs, les difficultés et les lenteurs de construction qu’entraînerait la mise en œuvre du cube énorme des maçonneries, nécessaires, ainsi que le prix considérable de l’ouvrage, – toutes ces considérations nous ont donné la conviction qu’une tour en maçonnerie, très difficile à projeter théoriquement, présenterait en pratique des dangers et des inconvénients considérables, dont le moindre est celui d’une dépense tout à fait disproportionnée avec le but à atteindre. Le fer ou l’acier nous semble donc la seule manière capable de mener à la solution du problème. Du reste, l’Antiquité, le Moyen âge et la Renaissance ont poussé l’emploi de la pierre à ses extrêmes limites de hardiesse, et il ne semble guère possible d’aller beaucoup plus loin que nos devanciers avec les mêmes matériaux, – d’autant plus que l’art de la construction n’a pas fait de très notables progrès dans ce sens depuis bien longtemps déjà.

Voici du reste la hauteur des plus hauts monuments du monde actuellement existants :

Colonne de la place Vendôme45 mètresColonne de la Bastille47 mètresTours de Notre-Dame de Paris66 mètresPanthéon79 mètresCapitole de Washington93 mètresCathédrale d’Amiens100 mètresFlèche des Invalides105 mètresDôme de Milan109 mètresSaint-Paul de Londres110 mètresCathédrale de Chartres105 mètresTour Saint-Michel, à Bordeaux113 mètresCathédrale d’Anvers120 mètresSaint-Pierre de Rome132 mètresTour Saint-Étienne, à Vienne138 mètresCathédrale de Strasbourg142 mètresPyramide de Chéops146 mètresCathédrale de Rouen150 mètresCathédrale de Cologne156 mètresObélisque de Washington169 mètresTour Môle Antonelliana, à Turin170 mètres
 

L’édifice, tel que nous le projetions avec sa hauteur inusitée, exigeait donc rationnellement une matière sinon nouvelle, mais au moins que l’industrie n’avait pas encore mise à la portée des ingénieurs et des architectes qui nous avaient précédés. Cette matière ne pouvait pas être la fonte, laquelle résiste fort mal à des efforts autres que ceux de simple compression ; ce devait être exclusivement le fer ou l’acier, par l’emploi desquels les plus difficiles problèmes de construction se résolvent si simplement, en nous permettant d’établir couramment soit des charpentes, soit des ponts à grande portée, qui auraient paru autrefois irréalisables.

§ 2Considérations générales sur les piles métalliques

J’avais eu l’occasion, dans ma carrière industrielle, de faire de nombreuses études sur les piles métalliques, notamment en 1869 avec M. Nordling, ingénieur de la Compagnie d’Orléans. Je construisis, sous les ordres de cet éminent ingénieur, deux des grands viaducs de la ligne de Commentry à Gannat, ceux de la Sioule et de Neuvial.

Les piles de ces viaducs, dont la partie métallique a une hauteur maxima de 51 mètres au-dessus du soubassement en maçonnerie, étaient constituées par des colonnes en fonte, réunies par des entretoises en fer.

Je me suis attaché depuis à ce genre de construction, mais en remplaçant la fonte par le fer afin d’augmenter les garanties de solidité.

Le type de piles que j’y ai substitué consiste, à former celles-ci par quatre grands caissons quadrangulaires, ouverts du côté de l’intérieur de la pile, et dans lesquels viennent s’insérer de longues barres de contreventement de section carrée, susceptibles de travailler aussi bien à la compression qu’à l’extension sous les efforts du vent.

Ce type est devenu courant et je l’ai employé à de nombreux viaducs. Parmi ceux-ci, je ne citerai que le pont du Douro, à Porto, – dont l’arche centrale comporte un arc métallique de 160 mètres d’ouverture et de 42m,50 de flèche, et le viaduc de Garabit (Cantal), qui franchit la Truyère à une hauteur de 122 mètres. On sait que ce viaduc, d’une longueur de 564 mètres, a été établi sur le type du pont du Douro et que son arche centrale est formée par un arc parabolique de 165 mètres d’ouverture et de 57 mètres de flèche. C’est dans ce dernier ouvrage que je réalisai le type définitif de ces piles dont la hauteur atteint 61 mètres pour la partie métallique seule.

La rigidité des piles ainsi constituées est très grande, leur entretien très facile et leur ensemble a un réel caractère de force et d’élégance.

Mais si l’on veut aborder des hauteurs encore plus grandes et dépasser 100 mètres, par exemple, il devient nécessaire de modifier le mode de construction. – En effet, si les pieds de la pile atteignent la largeur de 25 à 30 mètres nécessaire pour ces hauteurs, les diagonales d’entretoisement qui les réunissent prennent une telle longueur que, même établies en forme de caisson, elles deviennent d’une efficacité à peu près illusoire et en même temps leur poids devient relativement très élevé. Il y a donc grand avantage à se débarrasser complètement de ces pièces accessoires et à donner à la pile une forme telle que tous les efforts tranchants viennent se concentrer dans ses arêtes. À cet effet, il y a intérêt à la réduire à quatre grands montants dégagés de tout treillis de contreventement et réunis simplement par quelques ceintures horizontales très espacées.

S’il s’agit d’une pile supportant un tablier métallique, et si l’on ne tient compte que de l’effet du vent sur le tablier lui-même, lequel est toujours considérable par rapport à celui qui s’exerce sur la pile, il suffira, pour pouvoir supprimer les barres de contreventement des faces verticales, de faire passer les deux axes des arbalétriers par un point unique placé sur le sommet de cette pile.

Il est évident, dans ce cas, que l’effort horizontal du vent pourra se décomposer directement suivant les axes de ces arbalétriers, et que ceux-ci ne seront soumis à aucun effort tranchant.

Si, au contraire, il s’agit d’une très grande pile, telle que la Tour actuelle, dans laquelle il n’y a plus au sommet la réaction horizontale du vent sur le tablier, mais simplement l’action du vent sur la pile elle-même, les choses se passent différemment et il convient, pour supprimer l’emploi des barres de treillis, de donner aux montants une courbure telle que les tangentes à ces montants, menées en des points situés à la même hauteur, viennent toujours se rencontrer au point de passage de la résultante des actions que le vent exerce sur la partie de la pile qui se trouve au-dessus des points considérés.

Enfin, dans le cas où l’on veut tenir compte à la fois de l’action du vent sur le tablier supérieur du viaduc et de celle que subit la pile elle-même, la courbe extérieure de la pile est moins infléchie et se rapproche de la ligne droite.

Ce nouveau système de piles sans entretoisements et à arêtes courbes fournit pour la première fois la solution complète des piles d’une hauteur quelconque.

§ 3Avant-projet de la Tour actuelle

C’est l’ensemble de ces recherches qui me conduisit de suite à considérer comme réalisable, à l’aide d’études approfondies, l’avant-projet que deux de mes plus distingués collaborateurs, MM Émile Nouguier et Maurice Kœchlin, ingénieurs de ma maison, me présentèrent pour l’édification, en vue de l’Exposition de 1889, d’un grand pylône de 300 mètres ; cet avant-projet réalisait, d’après des études qui nous étaient communes, le problème de la Tour de 1 000 pieds. Ils s’adjoignirent pour la partie architecturale M. Sauvestre, architecte.

Je n’hésitai pas à assumer la responsabilité de cette entreprise et à consacrer à sa réalisation des efforts que je ne croyais certes pas, à ce moment, devoir être aussi grands.

Quoique j’aie moi-même dirigé les études définitives et l’exécution de l’œuvre avec l’aide des ingénieurs de ma maison, j’attribue avec d’autant plus de plaisir à MM. Nouguier et Kœchlin, mes collaborateurs habituels, la part qui leur revient, que, soit pour les études définitives, soit pour les travaux de montage, ils n’ont cessé de m’apporter un concours qui m’a été des plus précieux. M. Maurice Kœchlin principalement a suivi toutes les études avec une science et un zèle auxquels je me plais à rendre hommage.

§ 4Présentation et approbation des projets

On me permettra de faire, pour l’historique de cette période, de larges emprunts au magistral Rapport Général de M. Alfred Picard, Inspecteur Général des Ponts et Chaussées, Président de section au Conseil d’État, aujourd’hui Commissaire Général de l’Exposition de 1900 (Tome deuxième – Tour Eiffel).

« Ces indications (sur les hautes piles métalliques) mettent en lumière et montrent en même temps combien, dans les ouvrages considérables, on était resté loin de la hauteur assignée à la Tour du Champ-de-Mars. Elles mettent aussi en lumière la part si large prise par M. Eiffel dans l’étude et l’exécution des travaux de ce genre : par sa science, par son expérience, par les progrès considérables qu’il a réalisés dans les procédés de montage, par la puissance de production de ses ateliers, cet éminent constructeur était tout désigné pour entreprendre l’œuvre colossale qui a définitivement consacré sa réputation.

L’entreprise était bien faite pour tenter un constructeur habile, expérimenté et audacieux comme M. Eiffel : il n’hésita point à en assumer la charge et à présenter des propositions fermes au Ministre du Commerce et de l’Industrie en vue de comprendre la Tour dans le cadre de l’Exposition universelle de 1889.

Dans la pensée de M. Eiffel, cette œuvre colossale devait constituer une éclatante manifestation de la puissance industrielle de notre pays, attester les immenses progrès réalisés dans l’art des constructions métalliques, célébrer l’essor inouï du génie civil au cours de ce siècle, attirer de nombreux visiteurs et contribuer largement au succès des grandes assises pacifiques organisées pour le Centenaire de 1789.

Les ouvertures de M. Eiffel reçurent un accueil favorable de l’Administration. Lorsque, à la date du Ier mai 1886, M. Lockroy, alors Ministre du Commerce et de l’Industrie, arrêta le programme du concours pour l’Exposition de 1889, il y inséra l’article suivant : Les concurrents devront étudier la possibilité d’élever sur le Champ-de-Mars une tour en fer à base carrée, de 125 mètres de côté à la base et de 300 mètres de hauteur. Ils feront figurer cette tour sur le plan du Champ-de-Mars, et, s’ils le jugent convenable, ils pourront présenter un autre plan sans ladite tour. »

« On peut dire que, dès cette époque, le travail était décidé en principe. »

Peu de jours après, le 12 mai 1886, M. Lockroy instituait une Commission pour l’étude et l’examen du projet d’exécution que j’avais présenté.

Cette Commission était ainsi composée : Le Ministre du Commerce et de l’Industrie, président ; – MM. J. Alphand, Directeur des travaux de la Ville de Paris ; – G. Berger, ancien Commissaire des Expositions internationales ; – E. Brune, architecte, professeur à l’École des Beaux-Arts ; – Ed. Collignon, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées ; – V. Contamin, professeur à l’École Centrale ; – Cuvinot, sénateur ; – Hersent, Président de la Société des Ingénieurs civils ; – Hervé-Mangon, Membre de l’Institut ; – Ménard-Dorian, député ; – Molinos, Administrateur des Forges et Aciéries de la Marine ; – Amiral Mouchez, Directeur de l’Observatoire ; – Phillipps, Membre de l’Institut.

« La Commission s’est réunie au Ministère du Commerce et de l’Industrie, le 15 mai 1886. Dans cette première séance, le Ministre a rappelé que l’adoption définitive du projet présenté par M. G. Eiffel restait subordonnée aux décisions ultérieures de la Commission de contrôle et de finances, et que la Commission actuelle était exclusivement chargée d’étudier ce projet au point de vue technique et d’émettre un avis motivé sur les avantages qu’il présente et les modifications ; qu’il pourrait comporter. La Commission a entendu les explications fournies par M. G. Eiffel et a confié l’étude détaillée des plans et la vérification des calculs à une Sous-Commission composée de MM. Phillipps, Collignon et Contamin.

Dans sa seconde séance, tenue le 12 juin, la Commission a reçu lecture du rapport présenté, au nom de la Sous-Commission, par M. Collignon, et, par un vote, a adopté à l’unanimité les conclusions de ce rapport. Ensuite, sur l’invitation du Ministre, elle s’est livrée à l’examen des divers autres projets de tour dont le Ministre s’était trouvé saisi dans l’intervalle des deux séances. Après avoir successivement examiné les projets présentés par MM. Boucher, Bourdais, Henry, Marion, Pochet, Robert, Rouyer et Speyser, la Commission a écarté plusieurs d’entre eux comme irréalisables, quelques autres comme insuffisamment étudiés, et finalement, sur la proposition de M. Alphand, elle a déclaré, à l’unanimité, que la tour à édifier en vue de l’Exposition universelle de 1889 devait offrir nettement un caractère déterminé, qu’elle devait apparaître comme un chef-d’œuvre original d’industrie métallique et que la tour Eiffel semblait seule répondre pleinement à ce but. En conséquence, la Commission, dans les limites du mandat purement technique qui lui était confié, a proposé au Ministre l’adoption du projet de tour Eiffel, sous la double réserve que l’ingénieur-constructeur aurait à étudier d’une manière plus précise le mécanisme des ascenseurs, et que trois spécialistes, MM. Mascart, Becquerel et Berger, seraient priés de donner leur avis motivé sur les mesures à prendre au sujet des phénomènes électriques qui pourraient se produire. (Extrait des procès-verbaux de la Commission.)

§ 5Traité définitif

Le 8 janvier 1887, MM. Lockroy, Ministre, Commissaire général de l’Exposition, Poubelle, préfet de la Seine, dûment autorisé par le Conseil municipal, et Eiffel, soumissionnaire, signaient une convention aux termes de laquelle ce dernier s’engageait définitivement à exécuter la Tour de 300 mètres et à la mettre en exploitation à l’ouverture de l’Exposition de 1889.

M. Eiffel demeurait soumis au contrôle des ingénieurs de l’Exposition et de la Commission spéciale instituée le 12 mai 1886.

Il recevait :

1° Une subvention de 1 500 000 francs, échelonnée en trois termes, dont le dernier échéant à la réception de l’ouvrage ;

2° L’autorisation d’exploiter la Tour pendant toute la durée de l’Exposition, tant au point de vue de l’ascension du public qu’au point de vue de l’installation de restaurants, cafés ou autres établissements analogues, sous la double condition que le prix de l’ascension entre 11 heures du matin et 6 heures du soir, serait limité, les jours ordinaires, à 5 francs pour le sommet et à 2 francs pour le premier étage, et les dimanches et jours fériés, à 2 francs pour le sommet et à 0,50 f. pour le premier étage, et que les concessions de cafés, restaurants, etc., seraient approuvées par le Ministre ;

3° La continuation de la jouissance pendant vingt ans à compter du 1er janvier 1890.

À l’expiration de ce dernier délai, la jouissance de la Tour devait faire retour à la Ville de Paris, qui était d’ailleurs substituée à l’État dans la propriété du monument, dès après l’Exposition. »

§ 6Protestation des artistes

« Il avait fallu beaucoup de ténacité à M. Eiffel et quelque courage au Ministre, Commissaire général, pour conclure cette convention.

Sans parler des sceptiques qui avaient mis en doute la possibilité de mener à bien une œuvre si nouvelle et si gigantesque, on avait assisté à une véritable levée de boucliers de la part des artistes.

Voici une lettre fort curieuse, au point de vue historique, qui était adressée à M. Alphand, vers le commencement de février 1887, et qui portait la signature des peintres, des sculpteurs, des architectes et des écrivains les plus connus :

Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d’esprit de justice, a déjà baptisée du nom de « Tour de Babel ».

Sans tomber dans l’exaltation du chauvinisme, nous avons le droit de proclamer bien haut que Paris est la ville sans rivale dans le monde. Au-dessus de ses rues, de ses boulevards élargis, le long de ses quais admirables, du milieu de ses magnifiques promenades, surgissent les plus nobles monuments que le génie humain ait enfantés. L’âme de la France, créatrice de chefs-d’œuvre, resplendit parmi cette floraison auguste de pierres. L’Italie, l’Allemagne, les Flandres, si fières à juste titre de leur héritage artistique, ne possèdent rien qui soit comparable au nôtre, et de tous les coins de l’univers Paris attire les curiosités et les admirations. Allons-nous donc laisser profaner tout cela ? La ville de Paris va-t-elle donc s’associer plus longtemps aux baroques, aux mercantiles imaginations d’un constructeur de machines, pour s’enlaidir irréparablement et se déshonorer ? Car la Tour Eiffel, dont la commerciale Amérique elle-même ne voudrait pas, c’est, n’en doutez pas, le déshonneur de Paris. Chacun le sent, chacun le dit, chacun s’en afflige profondément, et nous ne sommes qu’un faible écho de l’opinion universelle, si légitimement alarmée. Enfin, lorsque les étrangers viendront visiter notre Exposition, ils s’écrieront étonnés : « Quoi ? C’est cette horreur que les Français ont trouvée pour nous donner une idée de leur goût si fort vanté ? » Ils auront raison de se moquer de nous, parce que le Paris des gothiques sublimes, le Paris de Jean Goujon, de Germain Pilon, de Puget, de Rude, de Barye, etc…, sera devenu le Paris de M. Eiffel.

Il suffit, d’ailleurs, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer un instant une tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une noire et gigantesque cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de Triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans, nous verrons s’allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, nous verrons s’allonger comme un tache d’encre l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée.

C’est à vous qui aimez tant Paris, qui l’avez tant embelli, qui l’avez tant de fois protégé contre les dévastations administratives et le vandalisme des entreprises industrielles, qu’appartient l’honneur de le défendre une fois de plus. Nous nous en remettons à vous du soin de plaider la cause de Paris, sachant que vous y dépenserez toute l’énergie, toute l’éloquence que doit inspirer à un artiste tel que vous l’amour de ce qui est beau, de ce qui est grand, de ce qui est juste. Et si notre cri d’alarme n’est pas entendu, si nos raisons ne sont pas écoulées, si Paris s’obstine dans l’idée de déshonorer Paris, aurons du moins, vous et nous, fait entendre une protestation qui honore.

De la forme de cette philippique, je ne dirai rien : les grands écrivains qui l’ont revêtue de leur signature avaient cependant donné jusqu’alors à leurs lecteurs une idée différente de la langue française.

Dans le fond, l’attaque était tout à fait excessive, quelles que fussent les vues des protestataires sur la valeur esthétique de l’œuvre. Le crime qu’allaient commettre les organisateurs de l’Exposition, de complicité avec M. Eiffel, n’était point si noir que Paris dût en être à jamais déshonoré. De pareilles exagérations peuvent s’excuser de la part des artistes, peintres, sculpteurs et même compositeurs de musique : tout leur est permis ; ils possèdent le monopole du goût ; eux seuls ont le sentiment du beau ; leur sacerdoce est infaillible ; leurs oracles sont indiscutables. Peut-être les auteurs dramatiques, les poètes, les romanciers et autres signataires de la lettre méritaient-ils moins d’indulgence.

M. Lockroy, qui, pour être ministre, n’avait rien perdu de son esprit si fin ni de sa verve si mordante, remit à M. Alphand une réponse que j’ai plaisir à reproduire, en me bornant à en retrancher un passage pour ne point citer de nom propre :

 

Les journaux publient une soi-disant protestation à vous adressée par les artistes et les littérateurs français. Il s’agit de la Tour Eiffel, que vous avez contribué à placer dans l’enceinte de l’Exposition Universelle. À l’ampleur des périodes, à la beauté des métaphores, à l’atticisme d’un style délicat et précis, on devine, sans même regarder les signatures, que la protestation est due à la collaboration des écrivains et des poètes les plus célèbres de notre temps.

Cette protestation est bien dure pour vous, Monsieur le Directeur des travaux. Elle ne l’est pas moins pour moi. Paris, « frémissant encore du génie de tant de siècles », dit-elle, et qui « est une floraison auguste de pierres parmi lesquelles resplendit l’âme de la France », serait déshonoré si on élevait une tour dont « la commerciale Amérique ne voudrait pas ». « Cette main barbare », ajoute-t-elle dans le langage vivant et coloré qu’elle emploie, gâtera « le Paris des gothiques sublimes », le Paris des Goujon, des Pilon, des Barye et des Rude.

Ce dernier passage vous frappera, sans doute, autant qu’il m’a frappé, « car l’art et l’histoire français », comme dit la protestation, ne m’avaient point appris encore que les Pilon, les Barye, ou même les Rude, fussent des gothiques sublimes. Mais quand des artistes compétents affirment un fait de cette nature, nous n’avons qu’à nous incliner…

Ne vous laissez donc pas impressionner par la forme qui est belle, et voyez les faits. La protestation manque d’à-propos. Vous ferez remarquer aux signataires qui vous l’apporteront que la construction de la Tour Eiffel est décidée depuis un an et que le chantier est ouvert depuis un mois. On pouvait protester en temps utile : on ne l’a pas fait, et « l’indignation qui honore » a le tort d’éclater juste trop tard.

J’en suis profondément peiné. Ce n’est pas que je craigne pour Paris. Notre-Dame restera Notre-Dame et l’Arc de Triomphe restera l’Arc de Triomphe. Mais j’aurais pu sauver la seule partie de la grande ville qui fût sérieusement menacée : cet incomparable carré de sable qu’on appelle le Champ de Mars, si digne d’inspirer les poètes et de séduire les paysagistes.

Vous pouvez exprimer ce regret à ces Messieurs. Ne leur dites pas qu’il est pénible de ne voir attaquer l’Exposition que par ceux qui devraient la défendre ; qu’une protestation signée de noms si illustres aura du retentissement dans toute l’Europe et risquera de fournir un prétexte à certains étrangers pour ne point participer à nos fêtes ; qu’il est mauvais de chercher à ridiculiser une œuvre pacifique à laquelle la France s’attache avec d’autant plus d’ardeur, à l’heure présente, qu’elle se voit plus injustement suspectée au dehors. De si mesquines considérations touchent un ministre : elles n’auraient point de valeur pour des esprits élevés que préoccupent avant tout les intérêts de l’art et l’amour du beau.

Ce que je vous prie de faire, c’est de recevoir la protestation et de la garder. Elle devra figurer dans les vitrines de l’Exposition. Une si belle et si noble prose signée de noms connus dans le monde entier ne pourra manquer d’attirer la foule et, peut-être, de l’étonner.

Cette page bien française a dû étonner quelque peu les expéditionnaires du Ministère ; la correspondance administrative n’est malheureusement d’ordinaire ni si vive, ni si gaie, ni si spirituelle ; sa sévérité s’accommode mal à nos vieilles traditions gauloises. Si M. Lockroy pouvait faire école, l’exercice des fonctions publiques serait moins monotone et certainement mieux apprécié. Le ministre avait su mettre les rieurs de son côté. Son procès était gagné. »

Je dois ajouter, pour être juste, que les plus célèbres parmi les signataires de la protestation lue plus haut s’empressèrent, une fois l’œuvre achevée et consacrée par le succès, de me témoigner leur regret d’avoir cédé aux importunités de ceux qui colportaient ce ridicule factum et d’y avoir donné leur signature. Mais il n’en est pas moins vrai que s’il s’était produit avant qu’il ne fût beaucoup trop tard pour être d’un effet quelconque, il aurait rendu plus difficile encore l’appui que le Ministre, M. Lockroy, accorda au projet, et il en aurait peut-être empêché la réalisation, et ce au grand préjudice de l’Exposition de 1889, dont la Tour a été sans conteste un des grands éléments de succès.

On me permettra de rappeler ce que je disais moi-même dans un entretien que j’eus à ce sujet avec M. Paul Bourde et qui fut reproduit dans le journal le Temps :

« Quels sont les motifs que donnent les artistes pour protester contre l’érection de la Tour ? Qu’elle est inutile et monstrueuse ! Nous parlerons de l’utilité tout à l’heure. Ne nous occupons pour le moment que du mérite esthétique sur lequel les artistes sont plus particulièrement compétents.

Je vous dirai toute ma pensée et toutes mes espérances. Je crois, pour ma part, que la Tour aura sa beauté propre. Parce que nous sommes des ingénieurs, croit-on donc que la beauté ne nous préoccupe pas dans nos constructions et qu’en même temps que nous faisons solide et durable, nous ne nous efforçons pas de faire élégant ? Est-ce que les véritables conditions de la force ne sont pas toujours conformes aux conditions secrètes de l’harmonie ? Le premier principe de l’esthétique architecturale est que les lignes essentielles d’un monument soient déterminées par la parfaite appropriation à sa destination. Or, de quelle condition ai-je eu, avant tout, à tenir compte dans la Tour ? De la résistance au vent. Et bien ! je prétends que les courbes des quatre arêtes du monument telles que le calcul les a fournies, qui, partant d’un énorme et inusité empâtement à la base, vont en s’effilant jusqu’au sommet, donneront une grande impression de force et de beauté ; car elles traduiront aux yeux la hardiesse de la conception dans son ensemble, de même que les nombreux vides ménagés dans les éléments mêmes de la construction accuseront fortement le constant souci de ne pas livrer inutilement aux violences des ouragans des surfaces dangereuses pour la stabilité de l’édifice.

Il y a, du reste, dans le colossal une attraction, un charme propre, auxquels les théories d’art ordinaires ne sont guère applicables. Soutiendra-t-on que c’est par leur valeur artistique que les Pyramides ont si fortement frappé l’imagination des hommes ? Qu’est-ce autre chose, après tout, que des monticules artificiels ? Et pourtant, quel est le visiteur qui reste froid en leur présence ? Qui n’en est pas revenu rempli d’une irrésistible admiration ? Et quelle est la source de cette admiration, sinon l’immensité de l’effort et la grandeur du résultat ?

La Tour sera le plus haut édifice qu’aient jamais élevé les hommes. – Ne sera-t-elle donc pas grandiose aussi à sa façon ? Et pourquoi ce qui est admirable en Égypte deviendrait-il hideux et ridicule à Paris ? Je cherche et j’avoue que je ne trouve pas.

La protestation dit que la Tour va écraser de sa grosse masse barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de Triomphe, tous nos monuments. Que de choses à la fois ! Cela fait sourire, vraiment. Quand on veut admirer Notre-Dame, on va la voir du parvis. En quoi, du Champ de Mars, la Tour gênera-t-elle le curieux placé sur le parvis Notre-Dame, qui ne la verra pas ? C’est, d’ailleurs, une des idées les plus fausses, quoique des plus répandues, même parmi les artistes, que celle qui consiste à croire qu’un édifice élevé écrase les constructions environnantes. Regardez si l’Opéra ne paraît pas plus écrasé par les maisons du voisinage qu’il ne les écrase lui-même. Allez au rond-point de l’Étoile, et, parce que l’Arc de Triomphe est grand, les maisons de la place ne vous en paraîtront pas plus petites. Au contraire, les maisons ont bien l’air d’avoir la hauteur qu’elles ont réellement, c’est-à-dire à peu près quinze mètres, et il faut un effort de l’esprit pour se persuader que l’Arc de Triomphe en mesure quarante-cinq, c’est-à-dire trois fois plus. En conséquence, il est tout à fait illusoire que la Tour puisse porter préjudice aux autres monuments de Paris ; ce sont là des mots.

Reste la question d’utilité. Ici, puisque nous quittons le domaine artistique, il me sera bien permis d’opposer à l’opinion des artistes, celle du public.

Je ne crois point faire preuve de vanité en disant que jamais projet n’a été plus populaire ; j’ai tous les jours la preuve qu’il n’y a pas dans Paris de gens, si humbles qu’ils soient, qui ne le connaissent et ne s’y intéressent. À l’étranger même, quand il m’arrive de voyager, je suis étonné du retentissement qu’il a eu.

Quant aux savants, les vrais juges de la question d’utilité, je puis dire qu’ils sont unanimes.

Non seulement la Tour promet d’intéressantes observations pour l’astronomie, la météorologie et la physique, non seulement elle permettra en temps de guerre de tenir Paris constamment relié au reste de la France, mais elle sera en même temps la preuve éclatante des progrès réalisés en ce siècle par l’art des ingénieurs.

C’est seulement à notre époque, en ces dernières années, que l’on pouvait dresser des calculs assez sûrs et travailler le fer avec assez de précision pour songer à une aussi gigantesque entreprise.

N’est-ce rien pour la gloire de Paris que ce résumé de la science contemporaine soit érigé dans ses murs ?

La protestation gratifie la Tour d’"odieuse colonne de tôle boulonnée". Je n’ai point vu ce ton de dédain sans une certaine impression irritante. Il y a parmi les signataires des hommes qui ont toute mon admiration ; mais il y en a beaucoup d’autres qui ne sont connus que par des productions de l’art le plus inférieur ou par celles d’une littérature qui ne profite pas beaucoup au bon renom de notre pays.

M. de Vogüé, dans un récent article de la Revue des Deux Mondes, après avoir constaté que dans n’importe quelle ville d’Europe où il passait, il entendait répéter les plus ineptes chansons alors à la mode dans nos cafés-concerts, se demandait si nous étions en train de devenir les Græculi du monde contemporain. Il me semble que n’eût-elle pas d’autre raison d’être que de montrer que nous ne sommes pas simplement le pays des amuseurs, mais aussi celui des ingénieurs et des constructeurs qu’on appelle de toutes les régions du monde pour édifier les ponts, les viaducs, les gares et les grands monuments de l’industrie moderne, la Tour Eiffel mériterait d’être traitée avec considération. »

J’ai tenu à reproduire cette réplique, malgré la vivacité de sa forme, parce qu’elle rappelle l’ardeur des polémiques qui avaient été engagées au moment de la construction et les difficultés sans cesse renaissantes contre lesquelles pendant deux années j’ai eu jusqu’au bout à lutter. Mais, mon projet avait deux puissants auxiliaires qui lui sont encore fidèles : le patronage des hommes connus par leur haute science et la force irrésistible de l’opinion du grand public.

§ 7Autres objections contre la Tour et son utilité

Les objections les plus fréquemment mises en avant étaient que la construction elle-même était impossible, que jamais on ne pourrait lui donner une résistance capable de s’opposer à la violence du vent ; que même y arrivât-on sur le papier, on ne trouverait pas d’ouvriers capables de travailler à cette hauteur, les difficultés devant être encore aggravées par les énormes oscillations que prendrait cette colossale tige de fer sous l’effet des vents.

Ces objections, qui semblent actuellement bien puériles, ne me touchaient guère. Je savais, par mes travaux antérieurs, que quand il s’agit de constructions métalliques, la science de la Résistance des matériaux est parvenue, de notre temps, à un degré de précision qui permet d’être assuré, par le calcul, de la détermination des efforts en chaque point de la construction et des résistances qu’on peut leur appliquer. Je savais aussi par l’expérience acquise aux grands viaducs de Garabit, de la Tarde, etc., que je n’avais eu aucune difficulté à recruter des hommes travaillant à l’aise au-dessus de vides atteignant 125 mètres, et pour lesquels l’effet de la hauteur était sans conséquence appréciable. Quant aux oscillations, le calcul les montrait si faibles et si lentes que les ouvriers portés par la construction n’en devaient ressentir aucun effet gênant et à peine s’en apercevoir.

J’eus bien davantage à lutter contre cette objection sans cesse renaissante de l’inutilité de la Tour, qui était la tarte à la crème courante. Voici ce que je ne cessais de répéter :

Connue du monde entier, la Tour a frappé l’imagination de tous en leur inspirant le désir de visiter les merveilles de l’Exposition, et il est indiscutable qu’elle a excité un intérêt et une curiosité universels.

Étant la plus saisissante manifestation de l’art des constructions métalliques par lesquelles nos ingénieurs se sont illustrés en Europe, elle est une des formes les plus frappantes de notre génie national moderne.

En dehors de ces premiers résultats, dont l’importance matérielle et morale est capitale dans la circonstance, il n’est pas douteux que les visiteurs qui seront transportés au sommet de la Tour auront un vif plaisir à contempler sans danger, d’une plate-forme solide, le magnifique panorama qui les entourera. À leurs pieds, ils verront la grande ville avec ses innombrables monuments, ses avenues, ses clochers et ses dômes, la Seine qui l’entoure comme un long ruban d’argent ; plus loin, les collines oui lui forment une ceinture verdoyante, et par-dessus ces collines, un immense horizon d’une étendue de 180 kilomètres. On aura autour de soi un site d’une beauté incomparable et nouvelle, devant lequel chacun sera vivement impressionné par le sentiment des grandeurs et des beautés de la nature, en même temps que par la puissance de l’effort humain. Ces spectacles ne sont-ils pas de ceux qui élèvent l’âme ?

La Tour aura en outre des applications très variées, soit au point de vue de notre défense nationale, soit dans le domaine de la science.

« En cas de guerre ou de siège, on pourrait, du haut de la Tour, observer les mouvements de l’ennemi dans un rayon de plus de 70 kilomètres, et cela par-dessus les hauteurs qui entourent Paris, et sur lesquelles sont construits nos nouveaux forts de défense. Si l’on eût possédé la Tour pendant le siège de Paris en 1870, avec les foyers électriques intenses dont elle sera munie, qui sait si les chances de la lutte n’eussent pas été profondément modifiées ? La Tour serait la communication constante et facile entre Paris et la province à l’aide de la télégraphie optique, dont les procédés ont atteint une si remarquable perfection. » (Max de Nansouty. – La Tour Eiffel.)

Elle est elle-même à une distance telle des forts de défense qu’elle est absolument hors de portée des batteries de l’ennemi.

Elle sera, enfin, un observatoire météorologique merveilleux, dans lequel on pourra étudier utilement, au point de vue de l’hygiène et de la science, la direction et la violence des courants atmosphériques, l’état et la composition chimique de l’atmosphère, son électrisation, son hygrométrie, la variation de température à diverses hauteurs, etc.

Comme observations astronomiques, la pureté de l’air à cette grande hauteur et l’absence des brumes basses qui recouvrent le plus souvent l’horizon de Paris permettront de faire un grand nombre d’observations d’astronomie physique, souvent impossibles dans notre région.

Il faut encore y ajouter l’étude de la chute des corps dans l’air, la résistance de l’air sous différentes vitesses, l’étude de la compression des gaz ou des vapeurs sous la pression d’un immense manomètre à mercure de 400 atmosphères, et toute une série d’expériences physiologiques du plus haut intérêt.

Ce sera donc pour tous un observatoire et un laboratoire tels qu’il n’en aura jamais été mis d’analogue à la disposition de la science. C’est la raison pour laquelle, dès le premier jour, tous nos savants m’ont encouragé par leurs plus hautes sympathies. Parmi ceux-ci, je dois citer tout d’abord M. Hervé Mangon, membre de l’Institut, qui, dès le 3 mars 1885, dans une communication à la Société Météorologique de France, détaillait avec une grande science les services que devait rendre la Tour « dont, disait-il le premier, l’utilité comme instrument de recherches scientifiques ne saurait être mise en doute ».

À ce nom je dois ajouter celui de l’amiral Mouchez, directeur de l’Observatoire, du colonel Perrier, connu par ses grands travaux géodésiques, de M. Janssen, directeur de l’Observatoire de Meudon, etc.

Je puis maintenant ajouter que l’expérience a réalisé leurs prévisions et cet ouvrage est presque en entier consacré aux applications scientifiques et militaires de la Tour ainsi qu’aux recherches que je viens d’énumérer.