Un bon petit diable - Comtesse de Ségur - E-Book

Un bon petit diable E-Book

Comtesse de Ségur

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Beschreibung

Une édition de référence d’ Un bon petit diable de la Comtesse de Ségur, spécialement conçue pour la lecture sur les supports numériques.

« Betty sortit, et, après quelques instants, rentra précipitamment en feignant une grande frayeur.

« Madame ! Madame ! Charlot est tué... étendu mort sur le plancher ! Quand je disais ! Les fées l’ont étranglé. »

Mme Mac’Miche se dirigea avec épouvante vers le cabinet, et aperçut en effet Charles étendu par terre sans mouvement, le visage blanc comme un marbre. Elle voulut l’approcher, le toucher ; mais Charles, qui n’était pas tout à fait mort, fut pris de convulsions et détacha à sa cousine force coups de poing et coups de pied dans le visage et la poitrine. Betty, de son côté, fut prise d’un rire convulsif qui augmentait à chaque coup de pied que recevait la cousine et à chaque cri qu’elle poussait ; la frayeur tenait Mme Mac’Miche clouée à sa place, et Charles avait beau jeu pour se laisser aller à ses mouvements désordonnés. » (Extrait du chapitre I.)

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Le plus grand soin a été apporté à la mise au point de ce livre numérique de la collection Candide & Cyrano, afin d’assurer une qualité éditoriale et un confort de lecture optimaux.

Malgré ce souci constant, il se peut que subsistent d’éventuelles coquilles ou erreurs. Les éditeurs seraient infiniment reconnaissants envers leurs lectrices et lecteurs attentifs s’ils avaient l’amabilité de signaler ces imperfections à l’adresse [email protected].

Un bon petit diable

Comtesse de Ségur

À ma petite-fille Madeleine de Malaret Ma bonne petite Madeleine, tu demandes une dédicace, en voici une. La Juliette dont tu vas lire l’histoire n’a pas comme toi l’avantage de beaux et bons yeux (puisqu’elle est aveugle), mais elle marche de pair avec toi pour la douceur, la bonté, la sagesse et toutes les qualités qui commandent l’estime et l’affection. Je t’offre donc le bon petit diable escorté de sa Juliette, qui est parvenue à faire d’un vrai diable un jeune homme excellent et charmant, au moyen de cette douceur, de cette bonté chrétiennes qui touchent et qui ramènent. Emploie ces mêmes moyens contre le premier bon diable que tu rencontreras sur le chemin de ta vie. Ta grand-mère,

I Les fées

Dans une petite ville d’Écosse, dans la petite rue des Combats, vivait une veuve d’une cinquantaine d’années, Mme Mac’Miche. Elle avait l’air dur et repoussant. Elle ne voyait personne, de peur de se trouver entraînée dans quelque dépense, car elle était d’une avarice extrême. Sa maison était vieille, sale et triste ; elle tricotait un jour dans une chambre du premier étage, simplement, presque misérablement meublée. Elle jetait de temps en temps un coup d’œil à la fenêtre et paraissait attendre quelqu’un ; après avoir donné divers signes d’impatience, elle s’écria : « Ce misérable enfant ! Toujours en retard ! Détestable sujet ! Il finira par la prison et la corde, si je ne parviens à le corriger ! »

À peine avait-elle achevé ces mots que la porte vitrée qui faisait face à la croisée s’ouvrit ; un jeune garçon de douze ans entra et s’arrêta devant le regard courroucé de la femme. Il y avait, dans la physionomie et dans toute l’attitude de l’enfant, un mélange prononcé de crainte et de décision.

Madame Mac'Miche. D’où viens-tu ? Pourquoi rentres-tu si tard, paresseux ?

Charles. Ma cousine, j’ai été retenu un quart d’heure par Juliette, qui m’a demandé de la ramener chez elle parce qu’elle s’ennuyait chez M. le juge de paix.

Madame Mac'Miche. Quel besoin avais-tu de la ramener ? Quelqu’un de chez le juge de paix ne pouvait-il s’en charger ? Tu fais toujours l’aimable, l’officieux ; tu sais pourtant que j’ai besoin de toi. Mais tu t’en repentiras, mauvais garnement !... Suis-moi.

Charles, combattu entre le désir de résister à sa cousine et la crainte qu’elle lui inspirait, hésita un instant, la cousine se retourna, et, le voyant encore immobile, elle le saisit par l’oreille et l’entraîna vers un cabinet noir dans lequel elle le poussa violemment.

« Une heure de cabinet et du pain et de l’eau pour dîner ! et une autre fois ce sera bien autre chose.

– Méchante femme ! Détestable femme ! marmotta Charles dès qu’elle eut fermé la porte. Je la déteste ! Elle me rend si malheureux, que j’aimerais mieux être aveugle comme Juliette que de vivre chez cette méchante créature... Une heure !... C’est amusant !... Mais aussi je ne lui ferai pas la lecture pendant ce temps ; elle s’ennuiera, elle n’aura pas la fin de Nicolas Nickleby, que je lui ai commencé ce matin ! C’est bien fait ! J’en suis très content. »

Charles passa un quart d’heure de satisfaction avec l’agréable pensée de l’ennui de sa cousine, mais il finit par s’ennuyer aussi.

« Si je pouvais m’échapper ! pensa-t-il. Mais par où ? comment ? La porte est trop solidement fermée ! Pas moyen de l’ouvrir... Essayons pourtant... »

Charles essaya, mais il eut beau pousser, il ne parvint seulement pas à l’ébranler. Pendant qu’il travaillait en vain à sa délivrance, la clef tourna dans la serrure ; il sauta lestement en arrière, se réfugia au fond du cabinet, et vit apparaître, au lieu du visage dur et sévère de sa cousine, la figure enjouée de Betty, cuisinière, bonne et femme de chambre tout à la fois.

« Qu’est-ce qu’il y a ? dit-elle à voix basse. Encore en pénitence ! »

Charles. Toujours, Betty, toujours. Tu sais que ma cousine est heureuse quand elle me fait du mal.

Betty. Allons, allons, Charlot, pas d’imprudentes paroles ! Je vais te délivrer, mais sois bon, sois sage !

Charles. Sage ! C’est impossible avec ma cousine ; elle gronde toujours ; elle n’est jamais contente ! Ça m’ennuie à la fin.

Betty. Que veux-tu, mon pauvre Charlot. Elle est ta protectrice et la seule parente qui te reste ! Il faut bien que tu continues à manger son pain.

Charles. Elle me le reproche assez et me le rend bien amer ! Je t’assure qu’un beau jour je la planterai là et j’irai bien loin.

Betty. Ce serait bien pis encore, pauvre enfant ! Mais viens, sors de ce trou sale et noir.

Charles. Et qu’est-ce qu’elle va dire ?

Betty. Ma foi, elle dira ce qu’elle voudra ; elle ne te battra toujours pas.

Charles. Oh ! pour ça non ! Elle n’a plus osé depuis que je lui ai si bien tordu la main l’autre jour... Te souviens-tu comme elle criait ?

– Et toi, méchant, qui ne lâchais pas ! dit Betty en souriant.

Charles. Et après, quand j’ai dit que ce n’était pas exprès, que j’avais été pris de convulsions et que je sentais que ce serait toujours de même.

Betty. Tais-toi, Charlot ! Je crois que sa peur est passée ; et puis c’est très mal tout ça.

Charles. Je le sais bien, mais elle me rend méchant ; méchant malgré moi, je t’assure.

Betty fit sortir Charles, referma la porte, mit la clef dans sa poche, et recommanda à son protégé de se cacher bien loin pour que la cousine ne le vît pas.

Charles. Je vais rejoindre Juliette.

Betty. C’est ça ; et comme c’est moi qui ai la clef du cabinet, ce sera moi qui l’ouvrirai dans trois quarts d’heure ; mais sois exact à revenir.

Charles. Ah ! je crois bien ! Sois tranquille ! Cinq minutes avant l’heure, je serai dans ta chambre.

Charles ne fit qu’un saut et se trouva dans le jardin, du côté opposé à la chambre où travaillait sa cousine. Betty le suivit des yeux en souriant.

« Mauvaise tête, dit-elle, mais bon cœur ! S’il était mené moins rudement, le bon l’emporterait sur le mauvais... Pourvu qu’il revienne... Ça me ferait une belle affaire !

– Betty ! cria la cousine d’une voix aigre.

– Madame ! » répondit Betty en entrant.

Madame Mac'Miche. N’oublie pas d’ouvrir la prison de ce mauvais sujet dans une demi-heure, et qu’il apporte Nicolas Nickleby ; il lira haut jusqu’au dîner pendant que je travaillerai.

Betty. Oui, Madame ; je n’y manquerai pas.

Au bout d’une demi-heure, Betty alla dans sa chambre ; elle n’y trouva personne. Charles n’était pas rentré ; elle regarda à la fenêtre... personne !

« J’en étais sûre ! Me voilà dans de beaux draps, à présent ! Qu’est-ce que je dirai ? Comment expliquer ?... Ah ! une idée ! Elle est bonne pour Madame, qui croit aux fées et qui en a une peur effroyable. On lui fait croire tout ce qu’on veut en lui parlant fées. Je crois donc que mon idée est bonne ; avec toute autre, ça n’irait pas.

– Betty, Betty ! » cria la voix aigre.

Betty. Voici, Madame.

Madame Mac'Miche. Eh bien ? Charles ? envoie-le-moi.

Betty. Je l’aurais déjà envoyé à Madame, si j’avais la clef du cabinet ; mais je ne peux pas la trouver.

Madame Mac'Miche. Elle est à la porte, je l’y ai laissée.

Betty. Elle n’y est pas, Madame ; j’y ai regardé.

Madame Mac'Miche. C’est impossible ; il ne pouvait pas ouvrir par-dedans.

Betty. Que Madame vienne voir.

Mme Mac’Miche se leva, alla voir et ne trouva pas la clef.

Madame Mac'Miche. C’est incroyable ! je suis sûre de l’avoir laissée à la porte. Charles !... Charles !... Veux-tu répondre, polisson !

Pas de réponse. Le visage de Mme Mac’Miche commença à exprimer l’inquiétude.

Madame Mac'Miche. Que vais-je faire ? Je n’ai plus que lui pour me lire haut pendant que je tricote. Mais cherche donc, Betty ! Tu restes là comme un constable, sans me venir en aide.

Betty. Et que puis-je faire pour venir en aide à Madame ? Je ne suis pas en rapport avec les fées !

Madame Mac'Miche, effrayée. Les fées ? Comment, les fées ? Est-ce que vous croyez... que... les fées... ?

Betty, l’air inquiet. Je ne peux rien dire à Madame : mais c’est extraordinaire pourtant que cette clef ait disparu... si... merveilleusement... Et puis, ce Charlot qui ne répond pas ! Les fées l’auront étranglé... ou fait sortir peut-être.

Madame Mac'Miche. Mon Dieu ! mon Dieu ! Que dis-tu là, Betty ? C’est horrible ! effroyable !...

Betty. Madame ferait peut-être prudemment de ne pas rester ici... Je n’ai jamais eu bonne opinion de cette chambre et de ce cabinet.

Mme Mac’Miche tourna les talons sans répondre et se réfugia dans sa chambre.

« J’ai été obligée de mentir, se dit Betty ; c’est la faute de ma maîtresse et pas la mienne, certainement ; il fallait bien sauver Charles. Tiens ! je crois qu’elle appelle.

– Betty ! » appela une voix faible.

Betty entra et vit sa maîtresse terrifiée, qui lui montrait du doigt la clef placée bien en évidence sur son ouvrage.

Betty. Quand je disais ! Madame voit bien ! Qui est-ce qui a placé cette clef sur l’ouvrage de Madame ? Ce n’est certainement pas moi, puisque j’étais avec Madame !

L’air épanoui et triomphant de Betty fit naître des soupçons dans l’esprit méfiant de Mme Mac’Miche, qui ne pouvait comprendre qu’on n’eût pas peur des fées.

« Vous êtes sortie d’ici après moi », dit-elle en regardant Betty fixement et sévèrement.

Betty. Je suivais Madame ; bien certainement, je n’aurais pas passé devant Madame.

Madame Mac'Miche. Allez ouvrir le cabinet et amenez-moi Charles, qui mérite une punition pour n’avoir pas répondu quand je l’ai appelé.

Betty sortit, et, après quelques instants, rentra précipitamment en feignant une grande frayeur.

« Madame ! Madame ! Charlot est tué... étendu mort sur le plancher ! Quand je disais ! les fées l’ont étranglé. »

Mme Mac’Miche se dirigea avec épouvante vers le cabinet, et aperçut en effet Charles étendu par terre sans mouvement, le visage blanc comme un marbre. Elle voulut l’approcher, le toucher ; mais Charles, qui n’était pas tout à fait mort, fut pris de convulsions et détacha à sa cousine force coups de poing et coups de pied dans le visage et la poitrine. Betty, de son côté, fut prise d’un rire convulsif qui augmentait à chaque coup de pied que recevait la cousine et à chaque cri qu’elle poussait ; la frayeur tenait Mme Mac’Miche clouée à sa place, et Charles avait beau jeu pour se laisser aller à ses mouvements désordonnés. Un coup de poing bien appliqué sur la bouche de sa cousine fit tomber ses fausses dents ; avant qu’elle eût pu les saisir, et pendant qu’elle était encore baissée, Charles se roula, saisit les faux cheveux de Mme Mac’Miche, les arracha, toujours par des mouvements convulsifs, les chiffonna de ses doigts crispés, ouvrit les yeux, se roula vers Betty, et, lui saisissant les mains pour se relever, lui glissa les dents de sa cousine.

« Dans sa soupe », dit-il tout bas.

Les convulsions de Charles avaient cessé ; son visage si blanc avait repris sa teinte rose accoutumée ; les sourcils seuls étaient restés pâles et comme imprégnés de poudre blanche, probablement celle que les fées avaient répandue sur son visage, et que l’agitation des convulsions avait fait partir. Betty, moins heureuse que Charles, ne pouvait encore dominer son rire nerveux. Mme Mac’Miche ne savait trop que penser de cette scène ; après avoir promené ses regards courroucés de Charles à la bonne, elle tira les cheveux du premier pour l’aider à se relever, et donna un coup de pied à Betty pour amener une détente nerveuse ; le moyen réussit : Charles sauta sur ses pieds et s’y maintint très ferme, Betty reprit son calme et une attitude plus digne.

Madame Mac'Miche. Que veut dire tout cela, petit drôle ?

Charles. Ma cousine, ce sont les fées.

Madame Mac'Miche. Tais-toi, insolent, mauvais garnement ! Tu auras affaire à moi, avec tes f..., tu sais bien !

Charles. Ma cousine, je vous assure... que je suis désolé pour vos dents...

Madame Mac'Miche. C’est bon, rends-les-moi.

Charles. Je ne les ai pas, ma cousine, dit Charles en ouvrant ses mains ; je n’ai rien... et puis, pour vos cheveux...

Madame Mac'Miche. Tais-toi, je n’ai pas besoin de tes sottes excuses ; rends-moi mes dents et mes boucles de cheveux.

Charles. Vrai, je ne les ai pas, ma cousine ; voyez vous-même.

La cousine le fouilla, chercha partout, mais en vain.

Betty. Madame ne veut pas croire aux fées ; c’est pourtant très probable que ce sont elles qui ont emporté les dents et les cheveux de Madame.

– Sotte ! dit Mme Mac’Miche en s’éloignant précipitamment. Venez lire, Monsieur ! et tout de suite.

Charles aurait bien voulu s’esquiver, trouver un prétexte pour ne pas lire, mais la cousine le tenait par l’oreille ; il fallut marcher, s’asseoir, prendre le livre et lire. Son supplice ne fut pas long, parce que le dîner fut annoncé une demi-heure après ; les fées avaient donné une heure de bon temps à Charles. Les événements terribles qui venaient de se passer effacèrent du souvenir de Mme Mac’Miche la faute et la punition de Charles : elle le laissa dîner comme d’habitude. À peine Mme Mac’Miche eut-elle mangé deux cuillerées de potage, qu’elle s’aperçut d’un corps dur contenu dans l’assiette ; croyant que c’était un os, elle chercha à le retirer et vit... ses dents ! La joie de les retrouver adoucit la colère qui cherchait à se faire jour ; car, malgré sa crédulité aux fées et la frayeur qu’elle en avait, elle conservait ses doutes sur le rôle que leur avaient fait jouer Betty et Charles ; elle se promit d’autant plus de redoubler de surveillance et de sévérité, mais elle n’osa pas en reparler, de peur d’éveiller la colère des fées.

Charles redemanda du bouilli.

Madame Mac'Miche. Ne lui en donne pas, Betty ; il mange comme quatre.

Charles. Ma cousine, j’en ai eu un tout petit morceau, et j’ai encore bien faim.

Madame Mac'Miche. Quand on est pauvre, quand on est élevé par charité et qu’on n’est bon à rien, on ne mange pas comme un ogre et on ne se permet pas de redemander d’un plat. Tâchez de vous corriger de votre gourmandise, Monsieur.

Charles regarda Betty, qui lui fit signe de rester tranquille. Jusqu’à la fin du dîner, Mme Mac’Miche continua ses observations malveillantes et méchantes, comme c’était son habitude. Quand elle eut fini son café, elle appela Charles pour lui faire encore la lecture pendant une ou deux heures. Forcé d’obéir, il la suivit dans sa chambre, s’assit tristement et commença à lire. Au bout de dix minutes, il entendit ronfler : il leva les yeux. Bonheur ! la cousine dormait ! Charles n’avait garde de laisser échapper une si belle occasion ; il posa son livre, se leva doucement, vida le reste du café dans la tabatière de sa cousine, cacha son livre dans la boîte à thé, son ouvrage dans le foyer de la cheminée, et s’esquiva lestement sans l’avoir éveillée. Il alla rejoindre Betty, qui lui donna un supplément de dîner.

Betty. Ne va pas faire comme tantôt et disparaître quand ta cousine te demandera. Elle se doute de quelque chose, va, nous ne réussirons pas une autre fois. Cette clef que j’avais si adroitement posée sur son ouvrage ! Ton visage enfariné, tes convulsions, les miennes ; tout ça n’est pas clair pour elle.

Charles. Je me suis pourtant trouvé bien à propos pour rentrer à temps dans ma prison !

Betty. C’est égal, c’est trop fort ! Elle croit bien aux fées, mais pas à ce point. Sois prudent, crois-moi.

Charles sortit, mais, au lieu de rentrer chez sa cousine, il ouvrit comme le matin la porte du jardin et courut chez Juliette. Voilà trois fois qu’il y va ; nous allons le suivre et savoir qui est Juliette.

II

« Comment, te voilà encore, Charles ? » dit Juliette en entendant ouvrir la porte.

Charles. Comment as-tu deviné que c’était moi ?

Juliette. Par la manière dont tu as ouvert ; chacun ouvre différemment, c’est bien facile à reconnaître.

Charles. Pour toi, qui es aveugle et qui as l’oreille si fine ; moi, je ne vois aucune différence ; il me semble que la porte fait le même bruit pour tous.

Juliette. Qu’as-tu donc, pauvre Charles ? Encore quelque démêlé avec ta cousine ? Je le devine au son de ta voix.

Charles. Eh ! mon Dieu oui ! Cette méchante, abominable femme me rend méchant moi-même. C’est vrai, Juliette : avec toi, je suis bon et je n’ai jamais envie de te jouer un tour ou de me fâcher ; avec ma cousine, je me sens mauvais et toujours prêt à m’emporter.

Juliette. C’est parce qu’elle n’est pas bonne, et que toi, tu n’as ni patience ni courage.

Charles. C’est facile à dire, patience ; je voudrais bien t’y voir ; toi qui es un ange de douceur et de bonté, tu te mettrais en fureur.

Juliette sourit.

« J’espère que non », dit-elle.

Charles. Tu crois ça. Écoute ce qui m’arrive aujourd’hui depuis la première fois que je t’ai quittée ; à ma seconde visite, je ne t’ai rien dit parce que j’avais peur que tu ne me fisses rentrer chez moi tout de suite ; à présent j’ai le temps, puisque ma cousine dort, et tu vas tout savoir.

Charles raconta fidèlement ce qui s’était passé entre lui, sa cousine et Betty.

« Comment veux-tu que je supporte ces reproches et ces injustices avec la patience d’un agneau qu’on égorge ?

– Je ne t’en demande pas tant, dit Juliette en souriant ; il y a trop loin de toi à l’agneau ; mais, Charles, écoute-moi. Ta cousine n’est pas bonne, je le sais et je l’avoue ; mais c’est une raison de plus pour la ménager et chercher à ne pas l’irriter. Pourquoi es-tu inexact, quand tu sais que cinq minutes de retard la mettent en colère ? »

Charles. Mais c’est pour rester quelques minutes de plus avec toi, pauvre Juliette ; il n’y avait personne chez toi quand je t’ai ramenée.

Juliette. Je te remercie, mon bon Charles ; je sais que tu m’aimes, que tu es bon et soigneux pour moi ; mais pourquoi ne l’es-tu pas un peu pour ta cousine ?

Charles. Pourquoi ? Parce que je t’aime et que je la déteste ; parce que, chaque fois qu’elle se fâche et me punit injustement, je veux me venger et la faire enrager.

– Charles, Charles ! dit Juliette d’un ton de reproche.

Charles. Oui, oui, c’est comme ça ; elle a reçu des coups dans la poitrine, au visage ; j’ai fait cacher par Betty (qui la déteste aussi) les vilaines dents dans sa soupe ; je lui ai arraché et déchiré sa perruque ; et quand elle va s’éveiller, elle va trouver sa tabatière pleine de café, son livre et son ouvrage disparus ; elle sera furieuse, et je serai enchanté, et je serai vengé !

Juliette. Vois comme tu t’emportes ! Tu tapes du pied, tu tapes les meubles, tu cries, tu es en colère, enfin ; tu fais juste comme ta cousine, et tu dois avoir l’air méchant comme elle.

– Comme ma cousine ! dit Charles en se calmant ; je ne veux rien faire comme elle, ni lui ressembler en rien.

Juliette. Alors sois bon et doux.

Charles. Je ne peux pas ; je te dis que je ne peux pas.

Juliette. Oui, je vois que tu n’as pas de courage.

Charles. Pas de courage ! Mais j’en ai plus que personne, pour avoir supporté ma cousine depuis trois ans !

Juliette. Tu la supportes en la faisant enrager sans cesse ; et tu es de plus en plus malheureux, ce qui me fait de la peine, beaucoup de peine.

Charles. Oh ! Juliette, pardonne-moi ! Je suis désolé, mais je ne peux pas faire autrement.

Juliette. Essaye ; tu n’as jamais essayé ! Fais-le pour moi, puisque tu ne veux pas le faire pour le bon Dieu. Veux-tu ? Me le promets-tu ?

– Je le veux bien, dit Charles avec quelque hésitation, mais je ne te le promets pas.

Juliette. Pourquoi, puisque tu le veux ?

Charles. Parce qu’une promesse, et à toi surtout, c’est autre chose, et je ne pourrais y manquer sans rougir, et... et... je crois... que j’y manquerais.

Juliette. Écoute, je ne te demande pas grand-chose pour commencer. Parle, crie, dis ce que tu voudras, mais ne fais pas d’acte de vengeance, comme les coups de pied, les dents, les cheveux, le tabac, le livre, l’ouvrage, etc. ; et tu en as fait bien d’autres !

Charles. J’essayerai, Juliette ; je t’assure que j’essayerai. Pour commencer, je vais rentrer, de peur qu’elle ne s’éveille.

Juliette. Et tu remettras le livre, l’ouvrage ?

Charles. Oui, oui, je te promets... Ah ! ah ! et le tabac ! ajouta Charles en se grattant la tête ; il sentira le café.

Juliette. Fais une belle action ; avoue-lui la vérité, et demande-lui pardon.

Charles, serrant les poings. Pardon ? À elle, pardon ? Jamais !

Juliette, tristement. Alors fais comme tu voudras, mon pauvre Charles ; que le bon Dieu te protège et te vienne en aide ! Adieu.

– Adieu, Juliette, et au revoir, dit Charles en déposant un baiser sur son front. Adieu. Es-tu contente de moi ?

– Pas tout à fait ! Mais cela viendra... avec le temps... et de la patience, dit-elle en souriant.

Charles sortit et soupira.

« Cette pauvre, bonne Juliette ! Elle en a de la patience, elle ! Comme elle est douce ! Comme elle supporte son malheur,... car c’est un malheur,... un grand malheur d’être aveugle ! Elle est bien plus malheureuse que moi ! Demander pardon ! m’a-t-elle dit... À cette femme que je déteste !... C’est impossible ; je ne peux pas ! »

Charles rentra avec un sentiment d’irritation ; il entra dans la chambre de sa cousine, qui dormait encore, heureusement pour lui ; il retira le livre de la boîte à thé, et voulut prendre le tricot caché au fond du foyer : mais, en allongeant sa main pour l’atteindre, il accrocha la pincette, qui retomba avec bruit ; la cousine s’éveilla.

« Que faites-vous à ma cheminée, mauvais sujet ?

– Je ne fais pas de mal à la cheminée, ma cousine, répondit Charles, prenant courageusement son parti ; je cherche à retirer votre ouvrage qui est au fond. »

Madame Mac'Miche. Mon ouvrage ! au fond de la cheminée ! Comment se trouve-t-il là-dedans ? Je l’avais près de moi.

Charles, résolument. C’est moi qui l’y ai jeté, ma cousine.

Madame Mac'Miche. Jeté mon ouvrage ! Misérable ! s’écria-t-elle se levant avec colère.

Charles. J’ai eu tort, mais vous voyez que je cherche à le ravoir.

Madame Mac'Miche. Et tu crois, mauvais garnement, que je supporterai tes scélératesses, toi, mendiant, que je nourris par charité !

Charles devint rouge comme une pivoine ; il sentait la colère s’emparer de lui, mais il se contint et répondit froidement :

« Ma nourriture ne vous coûte pas cher ; ce n’est pas cela qui vous ruinera. »

Madame Mac'Miche. Insolent ! Et tes habits, ton logement, ton coucher ?

Charles. Mes habits ! ils sont râpés, usés comme ceux d’un pauvre ! Trop courts, trop étroits avec cela. Quand je sors, j’en suis honteux...

– Tant mieux, interrompit la cousine avec un sourire méchant.

Charles. Attendez donc ! Je n’ai pas fini ma phrase ! J’en suis honteux pour vous, car chacun me dit : « Il faut que ta cousine soit joliment avare pour te laisser vêtu comme tu es. »

Madame Mac'Miche. Pour le coup, c’est trop fort ! Attends, tu vas en avoir.

La cousine courut chercher une baguette ; pendant qu’elle ramassait, Charles saisit les allumettes, en fit partir une, courut au rideau :

« Si vous approchez, je mets le feu aux rideaux, à la maison, à vos jupes, à tout ! »

Mme Mac’Miche s’arrêta ; l’allumette était à dix centimètres de la frange du rideau de mousseline. Pourpre de rage, tremblante de terreur, ne voulant pas renoncer à la raclée qu’elle s’était proposé de donner à Charles, n’osant pas le pousser à exécuter sa menace, ne sachant quel parti prendre, elle fit peur à Charles par l’expression menaçante et presque diabolique de toute sa personne. Voyant son allumette prête à s’éteindre, il en alluma une seconde avant de lâcher la première et résolut de conclure un arrangement avec sa cousine.

Charles. Promettez que vous ne me toucherez pas, que vous ne me punirez en aucune façon, et j’éteins l’allumette.

– Misérable ! dit la cousine écumant.

Charles. Décidez-vous, ma cousine ! Si j’allume une troisième allumette, je n’écoute plus rien, vos rideaux seront en feu !

Madame Mac'Miche. Jette ton allumette, malheureux !

Charles. Je la jetterai quand vous aurez jeté votre baguette (la Mac’Miche la jette) ; quand vous aurez promis de ne pas me battre, de ne pas me punir !... Dépêchez-vous, l’allumette se consume.

– Je promets, je promets ! s’écria la cousine haletante.

Charles. De me donner à manger à ma faim ?... Eh bien ?... Je tire la troisième allumette.

Madame Mac'Miche. Je promets ! Fripon ! brigand !

Charles. Des injures, ça m’est égal ! Et faites bien attention à vos promesses, car, si vous y manquez, je mets le feu à votre maison sans seulement vous prévenir... C’est dit ? Je souffle.

Charles éteignit son allumette.

« Avez-vous besoin de moi ? » dit-il.

Madame Mac'Miche. Va-t’en ! Je ne veux pas te voir, drôle, scélérat !

Charles. Merci, ma cousine. Je cours chez Juliette.

Madame Mac'Miche. Je te défends d’aller chez Juliette.

Charles. Pourquoi ça ? Elle me donne de bons conseils pourtant.

Madame Mac'Miche. Je ne veux pas que tu y ailles.

Pendant que Charles restait indécis sur ce qu’il ferait, la cousine s’était avancée vers lui ; elle saisit la boîte d’allumettes que Charles avait posée sur une table, donna prestement deux soufflets et un coup de pied dans les jambes de Charles stupéfait, s’élança hors de sa chambre et ferma la porte à double tour.

« Amuse-toi, mon garçon, amuse-toi là jusqu’au souper ; je vais donner de tes nouvelles à Juliette ! » cria Mme Mac’Miche à travers la porte.

III

Charles, furieux de se trouver pris comme un rat dans une ratière, se jeta sur la porte pour la défoncer ; mais la porte était solide ; trois fois il se lança dessus de toutes ses forces, mais il ne réussit qu’à se meurtrir l’épaule ; après le troisième élan il y renonça.

« Méchante femme ! Mon Dieu, que je la déteste ! Et Juliette qui voulait que je lui demandasse pardon ! Une pareille mégère !... Que puis-je faire pour me venger ?... »

Charles regarda de tous côtés, ne trouva rien.

« Je pourrais bien déchirer son ouvrage qu’elle a laissé ; mais à quoi cela servirait-il ? elle en prendra un autre ! Que je suis donc malheureux d’être obligé de vivre avec cette furie ! »

Charles s’assit, appuya ses coudes sur ses genoux, sa tête dans ses mains et réfléchit. À mesure qu’il pensait, son visage perdait de son expression méchante, son regard s’adoucissait, ses yeux devenaient humides, et, enfin une larme coula le long de ses joues.

« Je crois que Juliette a raison, dit-il ; elle serait moins méchante si j’étais meilleur ; je serais moins malheureux si j’étais plus patient, si je pouvais être doux et résigné comme Juliette !... Pauvre Juliette ! Elle est aveugle ! Elle est seule tout le temps que sa sœur Mary travaille ! Elle s’ennuie toute la journée !... Et jamais elle ne se plaint, jamais elle ne se fâche ! toujours bonne, toujours souriante !... il est vrai qu’elle est plus vieille que moi ! Elle a quinze ans, et moi je n’en ai que treize... C’est égal, à quinze ans je ne serai pas bon comme elle ! Non, non, avec cette cousine abominable, je ne pourrai jamais m’empêcher d’être méchant... Tiens ! qu’est-ce que j’entends ? dit-il en se levant. Quel bruit !... Qu’est-ce que c’est donc ?... Et cette maudite porte qui est fermée ! Ah ! une idée ! Je brise un carreau et je passe. »

Charles saisit une pincette, donna un coup sec dans un des carreaux de la porte qui était vitrée, et engagea sa tête et ses épaules dans le carreau cassé ; il passa après de grands efforts et en se faisant plusieurs petites coupures aux mains et aux épaules, une fois dehors, il descendit l’escalier, courut à la cuisine, où il n’y avait personne ; puis à la porte de la rue, qu’il ouvrit. Il se trouva en face d’un groupe nombreux qui escortait et ramenait Mme Mac’Miche ; un homme en blouse suivait, mené, tiré par ceux qui l’accompagnaient ; Mme Mac’Miche criait, l’homme jurait, l’escorte criait et jurait ; à ce bruit se mêlaient les cris discordants de Betty, qui, pour complaire à Mme Mac’Miche, accablait d’injures et de reproches tous les gens de l’escorte. La porte se trouvant ouverte par Charles, tout le monde entra. On plaça Mme Mac’Miche sur une chaise, Betty tira de l’eau fraîche de la fontaine et bassina les yeux de sa maîtresse qui ne cessait de crier :

« Le juge de paix, je veux le juge de paix, pour faire ma plainte contre ce monstre d’homme qui m’a aveuglée. Qu’on aille me chercher le juge de paix ! »

Betty. On y est allé, Madame, M. le juge de paix sera ici dans un quart d’heure.

Madame Mac'Miche. Qu’on garde bien le scélérat ! Qu’on le garrotte ! Qu’on ne le laisse pas échapper !

L'homme en blouse. Est-ce que je cherche à m’échapper, la vieille ? En voilà-t-il des cris et des embarras pour un coup de fouet ! J’en ai donné je ne sais combien dans ma vie ; c’est le premier qui amène tout ce tapage.

Betty. Je crois bien ! Un coup de fouet que vous lui avez lancé dans les yeux, mauvais homme !

L'homme en blouse. Et pourquoi qu’elle m’agonisait de sottises ? Sapristi ! quelle langue ! On dit que les femmes l’ont bien pendue ! Jamais je n’en avais vu une pareille ! Quel chapelet elle m’a défilé !

Un homme. Ce n’était pas une raison pour frapper avec votre fouet.

L'homme en blouse. Tiens ! mais... c’est que la patience échappe à la fin ; avec ça que je n’en ai jamais eu beaucoup.

Un autre homme. Une femme, ce n’est pas un homme ; on rit, on ne tape pas.

L'homme en blouse. Une femme comme ça ! Tiens ! ça vaut deux hommes, s’il vous plaît.

Toute l’escorte se mit à rire, ce qui augmenta l’exaspération de Mme Mac’Miche. Betty voyait que sa maîtresse n’était pas sérieusement blessée ; elle riait aussi tout bas, et employait toutes ses forces à la faire tenir tranquille. Elle continuait à lui bassiner les yeux, qui commençaient à se dégonfler. Charles s’était prudemment tenu éloigné de sa cousine, et avait demandé à un jeune homme de l’escorte ce qui s’était passé.

« Il paraîtrait que la dame a failli être renversée par ce charretier en blouse qui traversait la route pour faire boire ses chevaux. Elle s’est mise en colère, il faut voir ! Elle lui en disait de toutes les couleurs ; lui se moquait d’elle d’abord, puis il a riposté... il fallait voir comment ! Ça marchait bien, allez ! Avec ça que nous étions groupés autour d’eux et que nous riions... Vous savez... tant que c’est la langue qui marche, il n’y a pas de mal. Mais c’est qu’elle lui a mis la main sur la figure ! Alors le charretier est devenu de toutes les couleurs, et il lui a lancé un coup de fouet qui l’a malheureusement attrapée juste dans les yeux... Elle est tombée sur le coup ; elle a crié, elle s’est roulée ; elle a demandé M. le juge de paix. Et puis, comme le monde s’arrêtait et commençait à s’attrouper, Mlle Betty est accourue, l’a emmenée, et nous avons forcé l’homme à nous suivre pour faire honneur à M. le juge, afin qu’il ne vienne pas pour rien. Et voilà. »

Charles, content du récit, s’approcha tout doucement de sa cousine pour voir de près ses yeux, toujours fermés et gonflés. Pendant qu’il regardait le gonflement et la rougeur extraordinaire des paupières, et qu’il cherchait à voir si elle avait réellement les yeux perdus comme elle le disait, Mme Mac’Miche les entrouvrit, vit Charles et allongea la main pour le saisir ; Charles fit un saut en arrière et se réfugia instinctivement près de l’homme en blouse, ce qui fit rire tous les assistants, même le charretier.

« Elle ne dira toujours pas que je l’ai aveuglée, dit l’homme en riant. Je te remercie, mon garçon ; je craignais, en vérité, de lui avoir crevé les yeux. C’est toi qui nous as démontré qu’elle y voyait. »

Madame Mac'Miche. Pourquoi est-il ici ? Par où a-t-il passé ? Betty, renferme-le.

Betty. Je ne peux pas quitter Madame dans l’état où elle est. Que Madame reste tranquille et ne s’inquiète de rien.

Madame Mac'Miche. Mauvais garnement, va ! Tu n’y perdras rien.

Charles jeta un regard sur l’homme, comme pour lui demander sa protection.

L'homme. Que veux-tu que j’y fasse, mon garçon ? Je ne peux pas te venir en aide. Il faut que tu te soumettes ; il n’y a pas à dire.

Mais Charles n’entendait pas de cette oreille ; il ne voulait pas se soumettre, et, se souvenant de la défense de sa cousine d’aller chez Juliette, il sortit en disant tout haut :

« Je vais chez Juliette. »

Madame Mac'Miche. Je ne veux pas ; je te l’ai défendu. Empêchez-le, vous autres ; arrêtez-le ; amenez-le-moi. Charretier, je vous pardonnerai tout, je ne porterai pas plainte contre vous, si vous voulez saisir ce mauvais garnement et lui administrer une bonne correction avec ce même fouet qui a manqué m’aveugler.

L'homme. Je ne le toucherai seulement pas du bout de mon fouet. Que vous a-t-il fait, cet enfant ? Il vous regardait tranquillement quand vous avez voulu vous jeter sur lui ; il s’est réfugié près de moi, et, ma foi, je le protégerai toutes les fois que je le pourrai.

Madame Mac'Miche. Ah ! c’est comme ça que vous me répondez. Voici M. le juge de paix qui vient tout justement ; vous allez avoir une bonne amende à payer.

L'homme. C’est ce que nous allons voir, ma bonne dame.

Le juge. Qu’y a-t-il donc ? Vous m’avez fait demander pour constater un délit, Madame Mac’Miche ?

Madame Mac'Miche. Oui, Monsieur le juge, un délit énorme, qui demande une éclatante réparation, une punition exemplaire ! Cet homme que voici, qu’on reconnaît à son air féroce (tout le monde rit, le charretier plus fort que les autres), oui, Monsieur le juge, à son air féroce ; il se dissimule devant vous, il fait le bon apôtre ; mais vous allez voir. Cet homme m’a jetée par terre au beau milieu de la rue, m’a injuriée, m’a appelée de toutes sortes de noms, et, enfin, m’a donné un coup de fouet à travers les yeux, que j’en suis aveugle. Et je demande cent francs de dommages et intérêts, plus une amende de cent francs dont je bénéficierai, comme c’est de toute justice.

Le charretier et son escorte riaient de plus belle ; leur gaieté n’était pas naturelle ; elle donna au juge, qui était un homme de sens et de jugement, quelques soupçons sur l’exactitude du récit de M