Caviar et nuits blanches - John-Erich Nielsen - E-Book

Caviar et nuits blanches E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Quand la mort surgit dans les eaux glacées du Pacifique, la croisière de rêve se transforme en un terrible cauchemar !

"Le prospectus de l'agence était alléchant : Embarquez pour une croisière de rêve au large de la Terre de Feu. Naviguez une semaine dans le sillage des baleines bleues. Partez à la découverte d'icebergs aux proportions gigantesques.
Du caviar pour les yeux... Comment résister ?
Mais voilà... Depuis notre départ, la réalité s'avère bien différente. Avec l'été austral, le soleil ne se couche jamais. Je n'ai pas fermé l'oeil depuis trois jours. Hier, j'ai bien failli mourir gelé dans une tempête. "Un accident", m'a expliqué le capitaine. Enfin, ce matin, un passager allemand est décédé dans sa cabine. Décidément, le caviar promis me reste sur l'estomac. Une malédiction semble s'acharner sur le navire. A moins qu'il ne s'agisse de tout autre chose..."
Inspecteur Sweeney - Police criminelle d'Edimbourg

Un brise-glace, le détroit de Magellan et les icebergs du pôle sud : les ingrédients d'un suspense inédit ! Découvrez le troisième tome des Enquêtes de l'inspecteur Sweeney !

EXTRAIT

– Vous avez raison, l’approuva Sam Miller. La navigation est encore assez calme dans le canal Beagle. Mais cette nuit, dès que nous aborderons la haute mer par le détroit de Drake, je vous assure que l’on verra vite qui a le pied marin ou pas !
– Vraiment, Mister Miller ? s’inquiéta tante Midge.
– Sam… insista l’Américain. Croyez-en mon expérience Miss, les mers australes dans lesquelles nous allons pénétrer sont les plus agitées du globe. Même un rafiot de la taille du Professor Nevski peut s’y faire ballotter comme un bouchon dans une lessiveuse !
– Eh bien… soupira la vieille dame, impressionnée. Cela nous promet une nouvelle nuit blanche.
– Tu appelles ça une nuit tante ? releva Sweeney. Il faut attendre deux heures du matin pour que le jour commence à faiblir. D’ailleurs, je n’ai quasiment pas fermé l’œil depuis que nous avons atterri dans le sud de l’Argentine.
– Pareil pour moi, confirma Clara Miller en reposant son verre de vin. Je finirai par avoir des cernes horribles sous les yeux ! se lamenta l’Américaine.
– Ah ça chérie, rigola son géant de mari, c’est tout le charme de l’été polaire. Moi, il m’a fallu près de cinq ans pour m’y faire. Alors, vous autres, ce n’est pas en seulement sept jours de croisière que vous pourrez vous adapter, leur affirma Sam d’une mine navrée.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Sur fond d’icebergs, cette 3e aventure de Sweeney est agréablement divertissante. Entre sourire et suspense, on suit avec plaisir ce sympathique héros. - Claude Le Nocher, Rayon Polar

Caviar et nuits blanches est un polar agréable à lire, à condition de ne pas être trop sensible au froid. - Blog Des livres et Sharon

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Chaleurs en Terre de Feu

– Encore un peu de vin, Mister Miller ?

– Si vous voulez. Ce petit blanc chilien ne se défend pas mal du tout… Merci, fit signe l’Américain. Avant d’ajouter :

– Et appelez-moi Sam, d’accord ? Après deux jours de croisière, on peut laisser tomber les salamalecs.

– Eh bien, d’accord… Sam ! lui sourit l’inspecteur Sweeney. Puis le jeune homme poursuivit son tour de table :

– Et vous, Mrs Miller ?

– Clara ! rectifia son mari.

– Et vous… Clara ? s’autorisa l’inspecteur.

– Avec plaisir ! gloussa de contentement la dame au survêtement rose.

Luttant avec dextérité contre le tangage, Sweeney remplit un second verre sans en renverser la moindre goutte.

– Et toi tante Midge ? Un fond de blanc ? proposa-t-il à la vieille dame sur sa gauche.

– Non, merci Archie, répondit-elle en recouvrant son verre de la main. Ce soir, le mal de mer me laisse enfin tranquille. Je ne voudrais pas tenter le diable.

– Vous avez raison, l’approuva Sam Miller. La navigation est encore assez calme dans le canal Beagle. Mais cette nuit, dès que nous aborderons la haute mer par le détroit de Drake, je vous assure que l’on verra vite qui a le pied marin ou pas !

– Vraiment, Mister Miller ? s’inquiéta tante Midge.

– Sam… insista l’Américain. Croyez-en mon expérience Miss, les mers australes dans lesquelles nous allons pénétrer sont les plus agitées du globe. Même un rafiot de la taille du Professor Nevski peut s’y faire ballotter comme un bouchon dans une lessiveuse !

– Eh bien… soupira la vieille dame, impressionnée. Cela nous promet une nouvelle nuit blanche.

– Tu appelles ça une nuit tante ? releva Sweeney. Il faut attendre deux heures du matin pour que le jour commence à faiblir. D’ailleurs, je n’ai quasiment pas fermé l’œil depuis que nous avons atterri dans le sud de l’Argentine.

– Pareil pour moi, confirma Clara Miller en reposant son verre de vin. Je finirai par avoir des cernes horribles sous les yeux ! se lamenta l’Américaine.

– Ah ça chérie, rigola son géant de mari, c’est tout le charme de l’été polaire. Moi, il m’a fallu près de cinq ans pour m’y faire. Alors, vous autres, ce n’est pas en seulement sept jours de croisière que vous pourrez vous adapter, leur affirma Sam d’une mine navrée.

Puis l’Américain se concentra sur le contenu de son assiette. Sweeney l’observa planter sa fourchette affamée dans les flancs d’un filet de mérou. Manifestement, Sam Miller était plus à l’aise à bord du Professor Nevski qu’un poisson dans son bocal… Capitaine de pétrolier à la retraite, le sexagénaire avait bourlingué durant toute sa carrière dans les eaux du Pacifique nord, assurant la liaison régulière entre les côtes de l’Alaska et le port de Vladivostok. En offrant à sa femme cette croisière entre la Terre de Feu et le pôle Sud, Sam trouvait là l’occasion de lui faire découvrir cet univers hostile qui, pendant plus de trente ans, avait été le sien. Il savourait aussi ce plaisir, étrange et paradoxal, de commettre sa première infidélité aux eaux glacées du Pacifique en allant s’enivrer des charmes, plus glacés encore, de l’Antarctique !

Après tout, avait songé le jeune inspecteur, son comportement ne diffère en rien de celui de ces hommes qui prennent pour maîtresse l’exacte réplique de leur femme. Concilier aventure et sécurité, c’est peut-être ça, au fond, l’idéal masculin…

Tante Midge et Sweeney avaient fait la connaissance des Miller lors du cocktail de bienvenue donné dans le port d’Ushuaia. Au milieu d’une armada de touristes japonais, d’une poignée de Russes taciturnes, et d’un groupe de jeunes Australiens à l’enthousiasme bruyant, les deux Américains semblaient être les seuls anglophones fréquentables à bord du brise-glace.

Avec son embonpoint sans complexe, une barbe blanche aussi volumineuse que souriante, Sam Miller dégageait une joie de vivre à la Hemingway. Et, en dépit d’un irréductible désaccord entre lui et Sweeney au sujet du whisky écossais – selon Sam, rien ne prouvait qu’il fût meilleur que le bourbon du Kentucky – l’inspecteur avait fini par trouver sympathique cet ancien marin à la bedaine débonnaire et aux tee-shirts patriotiquement floqués “USA”.

Pour sa part, Clara Miller représentait le prototype même de l’Américaine décérébrée. Mâchant à longueur de temps un énervant chewing-gum verdâtre, cette croisière constituait pour elle sa première, et peut-être aussi dernière occasion, de découvrir autre chose du monde que sa ville de Cheyenne, une grosse bourgade perdue quelque part aux confins du Middle West.

Sweeney avait tout d’abord ressenti de la pitié pour elle : déjà abandonnée la moitié de l’année par son marin de mari, il lui fallait encore endurer, seule, le climat déprimant du Wyoming.

Dans ces conditions, avait estimé l’inspecteur, pas étonnant que son Q.I. soit resté bloqué au niveau des programmes lénifiants des chaînes de télévision américaines…

En effet, Clara Miller riait et souriait à tout propos, ponctuant chacune de ses interventions d’un surprenant claquement de chewing-gum. Elle en profitait alors pour dévoiler deux rangées de dents d’une insultante blancheur. Avec ses lunettes fashion et des baskets assorties à ses survêtements rose bonbon, elle réussissait à donner à sa silhouette, pourtant affligée d’un cholestérol de type cheeseburger, l’illusion du dynamisme.

Soufflée en une savante pièce montée, sa chevelure auburn se balançait au-dessus de foulards de soie aux relents tenaces de patchouli. Enfin, armée d’un caméscope high-tech en bandoulière, l’Américaine affrontait avec détermination la concurrence acharnée des touristes japonais en la matière. « Je veux tout filmer pour Chicco, mon chihuahua », expliquait Clara Miller. « Le pauvre est resté en pension chez mon amie Debby. Au retour, je lui montrerai les images de la croisière ; ça le consolera de notre absence. »

Le jeune inspecteur avait alors fini par abandonner tout sentiment de pitié pour Clara : en réalité, l’Américaine n’était qu’une Yankee stupide ! Mais il s’était bien gardé de faire part à tante Midge de ces réflexions désobligeantes. Car depuis que Mrs Miller leur avait déclaré être une protestante pratiquante, la vieille dame lui accordait un intérêt soutenu.

Tant pis, s’était résigné son neveu. Aussi longtemps qu’avec Sam nous parviendrons à nous éclipser pour boire un verre de whisky, ou pour fumer un cigare, la compagnie de Clara me paraîtra encore supportable.

– Archie ?

– …

– Archie ! le réveilla brusquement tante Midge.

– Euh… Oui, pardon. Tu disais ? marmonna Sweeney.

– Tu rêvais ? Je te demandais si tu voulais encore un morceau de poisson ?

– Ah ? Heu… Non merci, tante. Moi tu sais, le mérou bouilli… Un estomac d’Écossais peut tout ingurgiter, mais là, désolé : je jette l’éponge !

La vieille dame prit alors le temps d’observer son neveu.

Si son aspect vestimentaire était le plus souvent calamiteux, la période des vacances n’arrangeait rien à l’affaire. Depuis leur atterrissage à Buenos Aires, Sweeney n’avait pas quitté son vieux chandail gris, aux manches évasées et aux hanches élimées. En outre, son pantalon de toile sombre, ainsi que ses chaussures noires à semelle souple, semblaient tout droit sortis de la garde-robe d’un pasteur anglican. Étonnant pour un jeune homme d’à peine vingt-cinq ans !

Quant à son visage… bah ! L’inspecteur Sweeney n’était qu’une barbe : une barbe rousse, mal taillée, mal peignée, mal foutue vraiment ! qui lui enflammait joues et mentons. Perdus au milieu de cette auréole pileuse, deux petits yeux noirs, inexpressifs, immobiles, tout juste ouverts-un-point-c’est-tout, tentaient désespérément d’agrémenter la surface libre de sa barbe échevelée.

Et puis sa silhouette… Ma foi, on ne pouvait rien en dire. Banale, dépourvue de tout signe distinctif, elle paraissait n’avoir pour seule finalité que de lui servir à déplacer sa barbe rousse d’un point à un autre.

Une vraie dégaine de Scottish ! se désespérait tante Midge. Jamais on ne le mariera… avait-elle même fini par se convaincre.

*

Le dîner se poursuivit au rythme des vigoureux coups de fourchette de Sam et des gloussements singuliers de Clara Miller.

Sweeney oublia pour un temps les conversations de ses voisins de table. Il préféra contempler la luxueuse et vaste salle de restaurant du navire. Ses lumières jaunes et chaudes en faisaient l’espace le plus convivial du brise-glace. Même les immenses baies vitrées, flanquées tout autour et figées sur un ciel définitivement blanc, ne parvenaient pas à en altérer l’aspect festif. Les éclats de voix des Australiens, monopolisant le bar à tribord, contribuaient par ailleurs à en accroître la gaieté naturelle.

– Et vous Miss, comment vous est venue cette idée d’une croisière au pôle Sud ? demanda soudain Sam Miller.

– C’est assez simple, commença tante Midge. Le commissaire Wilkinson, le supérieur de mon neveu à la criminelle d’Édimbourg, ne cesse de l’accabler de travail, et…

– Tante ! fit mine de s’insurger le jeune inspecteur.

– Mais c’est la vérité, Archie ! haussa-t-elle le ton. Tu n’as même plus le temps de venir me rendre visite à Aberdeen. Combien de fois t’ai-je vu ces douze derniers mois ? Aurais-tu déjà oublié que c’est moi qui t’ai élevé ?… Et si je ne m’occupais pas personnellement de tes vacances, je crois que tu ne songerais même pas à en prendre. Je me trompe ?

– Tu exagères… se désola Sweeney.

– Tout ça ne nous dit pas pourquoi vous avez spécialement choisi l’Antarctique, la relança l’Américain.

– Comme je vous le disais, reprit alors tante Midge, c’est assez simple, et c’est même assez logique : l’année dernière – c’était à Noël – j’ai emmené Archie passer une semaine de vacances sous les tropiques, aux Canaries. Le paradis, n’est-ce pas ?

– Tante ! l’interrompit une nouvelle fois son neveu. Tu ne vas quand même pas ennuyer Sam et Clara avec cette histoire ?

– Monsieur m’a posé une question, je lui réponds ! protesta la vieille dame. Je sais que tu n’aimes pas que j’en parle. Tu vois, ajouta-t-elle, c’est bien la preuve que tu n’es pas fier de ce qu’il s’est passé là-bas !

Désabusé, Sweeney adressa un sourire navré à ses amis américains, et il laissa tante Midge poursuivre.

– En dépit de mes avertissements, expliqua-t-elle, ce jeune entêté a tenu à aller escalader un volcan. Et devinez quoi ? Deux des randonneurs sont morts au cours de l’ascension !

Sam et Clara Miller roulèrent des yeux effarés.

– Tu oublies de préciser qu’il s’agissait de deux meurtres, voulut lui faire remarquer l’inspecteur. Et que j’ai finalement réussi…

– Et que tu as réussi à te faire arrêter par la police ! le coupa-t-elle. Qu’ensuite tu as disparu pendant deux jours, et que je ne t’ai vu reparaître qu’une heure avant le départ de l’avion ! finit-elle par lui reprocher.

– Dites donc, intervint Sam Miller. Votre histoire, là, ça me rappelle la mort de John Hatchington, le patron de la grande marque de pneumatiques. C’était à la même période, je crois, et à Tenerife. Les journaux en ont beaucoup parlé. Est-ce que par hasard vous connaîtriez le policier qui a réussi à démasquer les assassins ?

– Mais c’est lui ! s’exclama tante Midge. C’est Archie qui a découvert le coup monté ! Alors vous imaginez les vacances qu’il m’a fait passer avec cette histoire ?

– Ah oui, j’imagine ! répondit l’Américain, à la fois admiratif et surpris. Si j’avais pu me douter… conclut-il, avant de jeter un coup d’œil appuyé à sa femme.

Mais Clara continua de sourire sans comprendre.

– Évidemment, termina tante Midge, je me suis juré que cette année, Archie n’aurait plus l’occasion de se mêler d’une affaire de ce genre. Les vacances, il faut savoir en profiter. Vous n’êtes pas de mon avis ?

– Euh… Oui, naturellement, fit semblant de l’approuver Sam Miller.

– Alors cette fois, j’ai décidé de l’emmener le plus loin possible, de préférence sur un bateau, pour être certaine qu’il n’aurait pas d’autre choix que de se reposer.

– Merci, tante… grogna l’inspecteur. N’empêche que cette croisière est une folie, lui reprocha-t-il encore. Le voyage a dû te coûter une fortune.

– Ça, c’est mon affaire jeune homme ! le rabroua-t-elle. Profite plutôt du calme de la mer, des paysages grandioses que nous traversons, et la semaine prochaine, crois-moi, tu pourras reprendre le travail en pleine forme.

– Parlons-en, se plaignit Sweeney. Avec ces journées polaires qui n’en finissent pas, je suis vidé. Complètement à cran ! Alors excuse-moi, mais pour ce qui est du repos…

– Excuse-moi à ton tour, continua tante Midge leur partie de ping-pong, mais le mois de janvier était encore la période la plus favorable pour cette croisière.

– Votre tante a raison, l’appuya l’Américain. L’été austral, de novembre à mars, est l’unique saison envisageable pour un périple de ce genre. Ensuite l’hiver, et une nuit de six mois, font très vite sentir leurs effets. La banquise emprisonne totalement le continent, et même un brise-glace à propulsion nucléaire comme le nôtre ne peut plus s’aventurer dans ces régions.

Soudain, sans aucun lien apparent avec la conversation, Clara Miller s’écria :

– Vous ne trouvez pas que les cabines sont trop petites ?…

Rodé aux questions naïves de sa femme, Sam Miller répondit :

– Mais c’est normal, chérie. Le bateau n’a été reconverti en navire de croisière qu’il y a cinq ans. Auparavant, il servait comme brise-glace dans le nord de la Russie. Une compagnie chilienne, la Cruceros Australis, l’a racheté avec tout son équipage. Il ne faut pas s’étonner du confort un peu spartiate du bâtiment, ainsi que du manque d’expérience du personnel.

– Manque d’expérience ? Tu veux rire ? répliqua Clara, et elle martela agressivement son chewing-gum. Tous ces Mexicains ne sont même pas fichus de nettoyer correctement les sols. Hier, j’ai découvert des traces de pas effroyables dans la coursive ! s’indigna-t-elle.

– Mais chérie, ne put s’empêcher de sourire Sam, ce ne sont pas des Mexicains. Le personnel est philippin.

– Eh bien quoi ? se vexa Clara. Ils parlent espagnol, non ?

– Oui, bien sûr, se moqua l’Américain. Il s’agit en fait du filipino. Ce sont des Asiatiques. J’en ai eu des dizaines à bord de mes pétroliers.

– Pour moi, c’est pareil ! s’entêta Clara. On ne peut pas leur faire confiance. Et puis l’hygiène…

– Vous exagérez, sourit à son tour Sweeney. Tenez, Diego par exemple, il s’en sort très bien.

– Mais c’est normal, lui répliqua Mrs Miller. C’est parce qu’il sert à notre table. Il a tout de suite compris à qui il avait affaire, alors il se tient à carreau.

– Chut ! les alerta tante Midge. Le voilà justement qui arrive.

En dépit du balancement prononcé du navire, le pas assuré d’un serveur en veste blanche s’approcha rapidement de leur table.

Le jeune Philippin n’avait pas vingt ans. Avec sa tête trop ronde, ses cheveux bruns gominés, ses dents trop longues qui lui tordaient la lèvre supérieure, et un pantalon bien trop court, l’allure du petit Diego pouvait sembler pitoyable. Et pourtant…

Au milieu de son visage lisse et cuivré brillait un regard noir, volontaire, et surtout intelligent. Sweeney le sentait : Diego n’était pas là par hasard. S’il avait accepté ce poste ingrat, si loin du soleil de ses îles, au service d’Occidentaux gras et suffisants, c’est qu’il avait une idée. Oui, Diego avait un plan.

Le jeune garçon imaginait certainement qu’après dix ans passés à endurer les récriminations de ses riches clients, et à résister aux journées interminables du pôle, il aurait alors mis suffisamment d’argent de côté. Il pourrait rentrer chez lui, s’offrir ce restaurant sur la baie de Manille dont il avait toujours rêvé. Et là, c’est lui que l’on respecterait. Il serait enfin quelqu’un !

Oui, Sweeney l’aurait juré, Diego avait un plan de ce genre…

– Est-ce que vous avez terminé ? demanda le jeune garçon en s’emparant des couverts.

– Le poisson était trop froid, crut bon de lui faire remarquer Clara Miller.

– Oui, madame. Je le dirai au chef, répondit Diego, sachant déjà qu’il n’en ferait rien.

– Qu’y a-t-il pour finir ? s’inquiéta Sam, dont l’appétit semblait loin d’être rassasié.

– Salade d’ananas, litchis et kumquats, le renseigna le jeune serveur.

– Shit ! lâcha l’Américain. Avant d’aussitôt s’excuser :

– Pardon mesdames, mais ces menus pour Asiatiques, c’est pire qu’une diète. Poisson-légumes-fruits, midi et soir, je ne suis pas venu en croisière pour perdre du poids !… Diego, votre chef, je parierais qu’il est Japonais, non ?

– Oui, Mister : chef Takemashi.

– Bingo ! pesta l’Américain. Tout ça parce que les deux tiers de la clientèle sont des Japs ! Je ne sais pas ce qui me retient…

Sa pile d’assiettes sur le bras, Diego sentit que le moment était venu pour lui de disparaître.

– Mister Miller… essaya tante Midge d’apaiser la mauvaise humeur de son voisin.

– Sam, Miss.

– Euh… Oui, Sam, corrigea-t-elle. Est-ce que vous avez une idée du nombre de passagers embarqués à bord du Professor Nevski ?

La ruse de tante Midge fonctionna à merveille. L’ancien capitaine oublia instantanément sa colère, et il se mit alors à fournir avec enthousiasme les informations qu’il avait collectées depuis le départ :

– Quarante-neuf, Miss. C’est la capacité maximale. Nous avons une majorité de bridés…

– De touristes japonais, c’est bien ce que vous voulez dire ? le reprit adroitement la vieille dame.

– Ben oui, des faces de citron quoi ! persista Sam… À part ça, continua-t-il, cinq kangourous, ou des Australiens si vous préférez : cinq jeunes blancs-becs, des commerciaux qui fêtent la signature d’un juteux contrat à ce qu’il paraît. Et puis deux groupes de Russes encore : les quatre hommes au faciès patibulaire, que vous apercevez attablés à l’entrée, et la famille de trois personnes de l’autre côté de la salle. Et pour finir, nous quatre.

– C’est la première fois qu’on les voit, intervint Clara.

– Qui ça ? demanda son mari.

– Eh bien, la famille russe. Ils n’avaient pas quitté leur cabine depuis Ushuaia.

– Peut-être… soupira Sam.

– Et vous avez remarqué la femme ? ajouta l’Américaine. Elle n’a même pas retiré ses lunettes noires pour dîner.

– C’est une Asiatique, précisa Sam. Elle me rappelle les femmes de Vladivostok. Je les connais bien, j’en ai connues tellement là-bas ! rigola le jeune retraité.

Mais, constatant l’arrêt subit de la mastication de son épouse, puis son sourire figé, Mister Miller s’empressa de donner le change :

– Ils devaient certainement avoir le mal de mer, crut-il devoir expliquer.

– Et c’est pour ça qu’elle garde ses lunettes ? persista Clara. Ils n’ont pas dit un mot de tout le repas. Même le jeune garçon est resté muet comme une carpe.

Impatientée par ce babillage stérile, tante Midge voulut relancer la conversation :

– Hem… Sam, et notre équipage ? Vous vous êtes renseigné également ?

– Bien sûr Miss ! lui affirma fièrement l’Américain. Dès hier après-midi, je suis allé faire un tour du côté du poste de commandement. C’était plus fort que moi, je brûlais de découvrir la passerelle d’un navire à propulsion nucléaire !

– Et alors, l’équipage ? insista la vieille dame.

– Vingt-trois hommes d’équipage, annonça l’ancien marin, sur un ton professionnel. Le patron est le capitaine Laptev, un Russe. Est-ce que vous l’apercevez à la grande table, là-bas ?

– Oui, répondit Sweeney. C’est lui qui nous a accueillis lors du cocktail d’arrivée.

– Tout à fait, acquiesça le sexagénaire. À sa droite, vous avez le docteur Grodno, le médecin du bord. Il est Biélorusse : tout sauf un marin ! Le troisième est Russe également ; il s’appelle Piotr, c’est le pilote de l’hélicoptère.

– Ah oui, c’est vrai ! se rappela soudain l’inspecteur. Nous avons un vol d’excursion demain. Vous m’accompagnerez, Sam ?

– Oh non ! Tout ce qui flotte, pas de problème. Mais loin du royaume de Neptune, je ne suis plus bon à rien.

– Et vous, Clara ?

– Si Sam n’y va pas, alors je n’y vais pas non plus.

– Bon… Et toi tante ?

– Tu me raconteras, répliqua la vieille dame.

– Je serai le seul de notre groupe alors ? constata Sweeney, dépité. Dommage… Au fait Sam, j’y pense : d’où tenez-vous toutes vos informations sur l’équipage ?

– De Monsieur Doubitch, le second. Je l’ai rencontré hier, sur la passerelle de commandement. Il est Russe lui aussi.

– Et vous parlez russe ? s’étonna Sweeney.

– Da tavarich(1) ! s’exclama l’Américain, avec un sourire amusé. Vous savez, trente années à fréquenter les terminaux pétroliers de l’île Sakhaline, j’ai fini par prendre l’accent.

– Je vois… Mais dites-moi, poursuivit Sweeney, comment se fait-il que le capitaine soit toujours présent en même temps que nous aux repas ? Ce n’est pas lui qui pilote le navire ?

– Il se relaie avec monsieur Doubitch. Sur ce genre de croisière, le capitaine a principalement un rôle commercial. Nous avons payé assez cher, la compagnie veut être sûre que nous en avons pour notre argent. Il est tout à fait normal qu’il soit là.

– Mmm… enregistra l’Écossais.

– Pour ce qui est du reste de l’équipage, conclut Sam Miller, ce sont tous des marins philippins. C’est la seule façon de réduire les coûts d’exploitation. J’ai connu ça, moi aussi, sur mes pétroliers.

– Tous des Philippins, à l’exception du cuisinier ! lui fit alors malicieusement remarquer Sweeney.

– C’est vrai, je l’oubliais celui-là, ronchonna l’Américain. Fichu Jap ! À cause de lui, j’ai une envie furieuse de viande. Une côte bien épaisse, un vrai T-bone vous voyez ? saliva-t-il.

– Vous disiez que nous allions aborder la haute mer cette nuit ? le détourna tante Midge de ces pensées obsédantes.

– Oui, Miss.

– Et est-ce que vous avez une idée de ce que nous allons découvrir ces deux prochains jours ? voulut-elle encore savoir.

– Bien sûr ! Enfin, à peu près… se reprit le géant à la barbe blanche. Je ne connais que le Pacifique nord vous savez, mais les deux pôles se ressemblent… Une chose est sûre cependant, nous ne rencontrerons pas d’ours blanc !

– Pourquoi ? s’étonna Clara.

– Mais chérie, parce qu’il n’y a pas d’ours au pôle Sud ! Ils vivent uniquement dans les glaces de l’Arctique.

– Ah bon… répondit-elle, visiblement déçue.

Sam Miller poursuivit :

– Avec la débâcle – la fonte des glaces pendant l’été, précisa-t-il – nous ne devrions pas tarder à apercevoir nos premiers icebergs. C’est un spectacle impressionnant : certains sont plus hauts qu’un immeuble de vingt étages, et d’autres peuvent être aussi vastes qu’un État d’Amérique !

– Vous exagérez, lui fit observer tante Midge.

– Pas du tout Miss, se défendit l’ancien marin. De toute façon, ils n’ont pas besoin d’être aussi imposants pour représenter un véritable danger. Même si nous sommes à bord d’un brise-glace de soixante-dix mètres de long, il suffirait d’un seul de ces glaçons flottants, d’une épaisseur d’à peine quelques pieds, pour nous envoyer par le fond.

– Mon dieu ! sursauta la vieille dame. Vous voulez nous faire peur ?

– Juste un peu, lui sourit Sam Miller. Il est vrai que le Professor Nevski dispose de moyens de détection performants : radar, observation par satellite, hélicoptère, etc. Mais rien ne remplace l’œil humain. Aucun des moyens modernes n’est en mesure de repérer un iceberg affleurant à la surface. Une simple collision latérale, et nous nous retrouvons tous à bord du Titanic !

– Mister Miller ! le gronda tante Midge. Si vous vouliez m’empêcher de dormir, c’est gagné.

– Déjà qu’il ne fait jamais nuit… râla Sweeney.

– Pardon Miss, s’excusa Sam. Il ne faut pas vous inquiéter inutilement. De toute façon, comme en cette période de l’année le jour ne tombe jamais vraiment, l’observation de la surface de la mer est optimale. Et puis, le navire réduira sa vitesse dès qu’il abordera les zones à risques du détroit de Drake.

– Mmoui… Mais quand même, s’émut la vieille dame. Vous allez bientôt me faire regretter d’avoir choisi cette croisière.

– Désolé Miss, désolé ! répéta l’Américain. En vous levant demain matin, vous aurez de toute façon des choses plus intéressantes que les icebergs à observer.

– Quoi donc ? réagit Clara, la main déjà posée sur son caméscope.

– Dans le ciel, vous apercevrez des pétrels. Ce sont de petits oiseaux blancs, au vol gracieux. Même s’ils ne retournent à terre que pour nicher, leur présence annonce déjà le continent. Et puis en mer, je suis sûr que nous verrons nos premières baleines.

– Vraiment ? s’enflamma tante Midge.

– Oh oui ! Et de toutes sortes : des bleues, des baleines franches, des baleines de Minke… Et puis des orques aussi, des dauphins…

– Incroyable ! finit de s’enthousiasmer la vieille dame. Et vous croyez qu’il y aura des pingouins également ?

– Ah ça Miss, sûrement pas ! Les pingouins, c’est comme les ours : ils ne vivent qu’au pôle Nord. Ici, ce sont des manchots. Ils sont plus grands que les pingouins, mais on ne sait jamais, nous pourrions avoir la chance d’en découvrir dès demain ; il n’est pas rare d’en voir passer à la dérive, piégés sur un morceau de banquise.

– Fantastique ! proclama Clara.

– Et lorsque nous serons en vue des côtes, termina Sam son descriptif, nous découvrirons encore des lions de mer, des phoques, ou des otaries.

Et voilà ! se désola l’inspecteur Sweeney. On jurerait un programme animalier de la BBC. J’ai horreur des programmes animaliers de la BBC. Ils sont d’une lenteur… une vraie plaie ! Déjà que ce rafiot me donnait l’impression de se traîner. Le jeune homme se lamenta encore : Et direque nous n’en sommes qu’au deuxième jour de traversée… Si tante Midge voulait que je me repose, c’est raté. En réalité, je crois que je vais finir par mourir d’ennui !

*

– Qu’est-ce que c’est que ça ? s’exclama soudain Sam Miller, avant de brusquement se retourner.

Sweeney perçut à son tour les éclats de voix qui fusaient depuis l’entrée de la salle.

Après dîner, les trois membres de la famille russe, assise à leur gauche, s’étaient levés de table. Ils avaient ensuite tranquillement traversé la salle de restaurant ; mais une fois parvenus à la hauteur des quatre autres touristes russes, le père venait d’être violemment pris à partie par le plus âgé du groupe. Et même si l’inspecteur ne comprenait rien aux propos échangés, le ton virulent des deux hommes montrait à l’évidence que l’affaire était sérieuse. D’ailleurs, pelotonnée dans le dos de son mari, la femme aux lunettes noires serrait contre elle son fils d’environ quinze ans, comme si elle essayait de le protéger.

– Vous comprenez ce qui se passe ? demanda Sweeney à Sam.

– Oui, attendez… Je crois qu’ils se connaissent… Celui qui est assis vient de dire au gars debout qu’il ne lui avait pas demandé la permission.

– La permission de quoi ? s’étonna l’Écossais.

– Je ne sais pas… En tout cas, ça chauffe. L’autre vient de lui répondre qu’il n’avait pas besoin de sa permission.

– Mais enfin ! s’écria tante Midge. Ils sont ivres ou quoi ?

– Je ne crois pas, estima Sam. Il s’agit plutôt d’une dispute, mais je n’en comprends pas la raison.

Pour sa part, Sweeney remarqua que, curieusement, les trois autres hommes assis ne se mêlaient pas à l’altercation.

En quelques phrases, le ton parut s’envenimer dangereusement. Jugeant alors que la plaisanterie avait assez duré, le capitaine Laptev quitta sa table pour mettre un terme à la querelle.

Mais le commandant du navire n’en eut pas le temps. D’un bond, les trois Russes les plus jeunes se levèrent à leur tour. Devant une salle médusée, ils tirèrent alors de sous leur veste… trois armes de poing ! et ils les braquèrent instantanément sur le père.

– Shit ! hurla Sam.

– Mon dieu ! lui fit écho tante Midge.

Clara Miller cessa de mastiquer.

Les touristes japonais se désintéressèrent de leur mérou bouilli. Même les Australiens du bar sortirent le nez de leur bière.

Quant à Sweeney, son œil de policier identifia immédiatement deux pistolets Makarov et un Uzi entre les mains des trois porte-flingue.

Le reste de la scène se déroula en un rien de temps.

L’Asiatique aux lunettes noires entraîna son fils en dehors de la salle.

Instinctivement, le capitaine Laptev se précipita sur l’homme debout et lui fit écran de son corps. Puis, sans ménagement, il le poussa hors du restaurant.

Juste avant de sortir, Laptev fit encore un signe à l’intention du docteur Grodno. Le médecin de bord fila aussitôt en direction du bar.

La famille russe sortie, sur un geste de celui qui semblait être leur chef, les trois gorilles rengainèrent leur artillerie et se rassirent. Au même instant, la musique réclamée par le docteur Grodno résonna enfin dans les haut-parleurs.

Le docteur s’empara d’un micro. Sur un ton faussement enjoué, l’animateur improvisé se mit à présenter en japonais, puis en anglais, le spectacle que le capitaine s’apprêtait à leur offrir. Et en effet, dès la fin de son annonce, le commandant du navire réapparut dans la salle.

Le visage éclairé d’un sourire de circonstance, le jeune officier demanda que les lumières soient éteintes. Il saisit le micro tendu par Grodno et, sans hésiter, entonna devant un auditoire japonais rassuré un chant russe tout d’abord lent, mélancolique, puis de plus en plus rapide et, enfin, furieusement endiablé.

En parfait chauffeur de salle, le docteur Grodno commença de taper dans ses mains. Les Australiens donnèrent à leur tour la cadence, vite imités par des touristes japonais au sourire retrouvé. Encouragé par ce succès, le capitaine Laptev agrémenta bientôt son tour de chant d’une danse cosaque aux évolutions périlleuses.

Et sans même s’en rendre compte, emportés par la vivacité de la musique, ainsi que les diaboliques passements de jambe du capitaine, Sweeney et tous ses voisins de table finirent également par frapper dans leurs mains.

Mais qu’est-ce que je fais ? se reprocha soudain l’inspecteur.

Tout en continuant lui aussi d’applaudir, Sam Miller se pencha discrètement à l’oreille du jeune Écossais :

– Dites… On se retrouve sur le pont, demain matin à huit heures, pour notre promenade habituelle ?… D’ici-là, j’irai voir l’équipage. J’essaierai d’en apprendre un peu plus sur cette bande de gangsters… puis l’Américain adressa un clin d’œil complice à l’inspecteur.

Sweeney acquiesça d’un hochement de tête, et il continua de faire mine de participer à la liesse habilement orchestrée par le capitaine Laptev.

Great Scott ! Je suis impatient de savoir ce que Sam aura découvert sur ces gaillards, songea-t-il. J’espère aussi que tante Midge n’aura pas été trop impressionnée ; je tenterai de la rassurer dès que nous serons de retour dans notre cabine… N’empêche, continua de réfléchir Sweeney, avec ces types et leurs dangereux joujoux à bord, la croisière s’annonce plus mouvementée que prévu… Vivement demain, ou plus exactement ce que les aiguilles de ma montre m’indiqueront être demain. Parce qu’avec ces fichues nuits blanches…

(1) : Oui camarade !

Menaces sur le caviar

L’inspecteur Sweeney humait un air réfrigéré par les embruns glacés qui giclaient par-dessus la proue du navire. Accoudé à l’arrière du Professor Nevski, l’Écossais observait la mer glissant sous la coque, s’enroulant autour de l’hélice, puis ressortant en épais bouillons blancs, pour s’éloigner, enfin, en un long sillage bleuâtre.

L’inspecteur souleva la manche de son anorak et il consulta sa montre : Huit heures. Sam ne va plus tarder…

Au même instant, le pas lourd et assuré de l’Américain résonna sur le pont métallique du brise-glace. Sweeney tourna la tête. La silhouette massive du géant s’approchait, insensible au roulis prononcé du bateau.

Les mains dans les poches, le haut du corps simplement recouvert d’un shetland torsadé, l’ancien marin semblait se jouer d’une gîte épouvantable qui aurait pourtant projeté n’importe quel autre passager inexpérimenté contre le bastingage.

Décidément, cet homme, c’est Hemingway réincarné ! songea le jeune inspecteur, en admirant la démarche si évidente de Sam Miller. Du moins, c’est ainsi que je me suis toujours imaginé le personnage du “Vieil homme et la mer”…

– Bonjour Sam ! le salua Sweeney.