Mort au grand largue - John-Erich Nielsen - E-Book

Mort au grand largue E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Partagez les émotions des compétiteurs de l'America's Cup !

Un coup de feu ! L'océan Pacifique se fige dans le port d'Auckland...
Qui en voulait à Martha McClane ?
A la barre du Spirits of Scotland, la jeune navigatrice était sur le point de remporter la prestigieuse Coupe de l'America. Et de battre à domicile l'équipage du Néo-Zélandais Tom Read.
Une fois de plus, les vents changeants de la baie d'Hauraki se montrent imprévisibles...
Jalousie sportive, enjeu financier, ou déception amoureuse ?
Dépêché sur la "Terre du Long Nuage Blanc", l'inspecteur Sweeney n'aura que deux jours pour démasquer l'assassin.
Mission difficile car, aux antipodes, même la vérité semble marcher sur la tête...

Fraîcheur du Pacifique, vents violents, coups de barre, et coups de sang : les ingrédients d'un suspense riche en émotions ! Découvrez vite le 6e tome des Enquêtes de l'inspecteur Sweeney !

EXTRAIT

Ce matin-là, le coup de feu avait claqué dans l’air habituellement si léger de Viaduct Harbour. L’inconnu, encagoulé, avait surgi de la terrasse d’un café du port. En un éclair, il avait sorti l’arme de sous son manteau, visé la jeune femme, et tiré. Mais au tout dernier moment, Martha avait vu la balle qui lui était destinée se ficher par miracle dans l’épaule d’un jeune homme qui, par hasard, passait devant elle en rollers. Décontenancé par son échec, l’assassin avait pris la fuite et réussi à disparaître.
Immédiatement, l’annonce de cet attentat avait suscité un émoi planétaire. À quelques heures à peine de l’ultime régate de la Coupe de l’America, un meurtrier avait tenté de ravir à Martha McClane sa victoire, en même temps que sa vie. Et quelques heures plus tard, à des milliers de kilomètres de là, tout avait également basculé pour l’inspecteur Sweeney.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce roman s'inscrit dans la bonne tradition de la comédie policière, nous invitant à la fois à sourire et à nous interroger sur les faits criminels. C'est agréablement distrayant, très plaisant à lire, donc le but est atteint. - Claude Le Nocher, Rayon Polar

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Marée montante…

– Est-ce que vous avez le pied marin ?

Sweeney sursauta.

– Je… Je m’étais assoupi, bredouilla l’inspecteur. Sûrement le décalage horaire – je ne suis arrivé que ce matin – et puis le poulet au curry… se justifia-t-il encore.

– Je vous demandais, lui répéta en souriant Martha McClane : est-ce que vous avez le pied marin ?

Omettant de lui répondre, Sweeney continua de contempler la jeune femme.

Vêtue d’un pantalon de ciré bleu marine et d’un tee-shirt floqué aux couleurs de son bateau le Spirits of Scotland, la navigatrice hypnotisait l’inspecteur. Le regard du jeune homme ne parvenait pas à se détacher du visage de Martha. Sa longue chevelure auburn et ses adorables frisures encadraient une paire de petits yeux bruns, vifs et mutins, qui paraissaient s’amuser du trouble qu’ils suscitaient. Puis un nez malicieusement pointu, posé là comme les deux points d’une ponctuation, vous préparait à la véritable splendeur de ce visage : son sourire. Car le sourire de Martha McClane était… lumineux. Il vous irradiait de bonheur, happait votre conscience, et anéantissait toute autre volonté que celle de l’admirer.

Je n’avais jamais ressenti ça, pensa Sweeney. Cette jeune femme rayonne de l’intérieur. Il y a chez elle comme une présence. C’est ça, se convainquit l’inspecteur. Sa personne dégage comme… un supplément d’âme ! parvint-il à identifier la cause de son émoi.

Sweeney finit même par songer : Pas étonnant qu’elle ait échappé à son assassin…

– Alors ? répéta Martha, tandis qu’elle quittait sa chaise. Vous ne m’avez toujours pas répondu. Est-ce que vous embarquez avec nous ?

– Bien sûr ! le devança John McCallum, et il tapa sur la cuisse du policier. Votre ange gardien ne vous quitterait pour rien au monde. Pas vrai, inspecteur ?

Sweeney se retourna vers son voisin de gauche. Spontanément, l’Écossais se dit que John McCallum avait tout l’air d’un honnête homme. Sexagénaire, le visage rond et l’œil rieur, sa bouche paraissait avoir une tendance naturelle à sourire. Et comme son crâne dégarni, ainsi que ses joues couperosées, avaient cruellement souffert des brûlures du soleil des antipodes, on ne pouvait s’empêcher de vouloir plaindre ce pauvre, et si sympathique « monsieur Pickwick ».

Même si sous ses airs débonnaires… se surprit à penser Sweeney.

Car, avant tout, John McCallum était un puissant capitaine d’industrie. À la tête de l’une des plus célèbres distilleries de whisky d’Écosse, il avait décidé, avec douze de ses confrères tous aussi férus de voile que lui, de lancer un défi aux tenants de la Coupe de l’America, les Néo-Zélandais d’Aotearoa(1).

Les treize brasseurs avaient réuni des sommes colossales, créé spécialement le Scottish Yacht Squadron – dont John McCallum était aussitôt devenu le président –, fait construire dans le plus grand secret un navire ultramoderne, puis recruté seize équipiers, tous de nationalité écossaise. Une fois le bateau terminé, l’équipage était parti s’entraîner en Australie, dans des conditions proches de celles qu’il allait devoir affronter à Auckland, site retenu par les Néo-Zélandais pour héberger les régates de la future Coupe de l’America et tenter d’y défendre leur bien. Enfin, après trois ans d’efforts acharnés, de sacrifices, et d’une préparation millimétrée, le défi insensé du tycoon(2) écossais était sur le point de… réussir !

En effet, à la barre du Spirits of Scotland, Martha McClane avait écœuré la concurrence. Lors de la Rodex Cup, le tournoi préliminaire réservé aux challengers, la jeune skipper n’avait pas concédé la moindre manche. Régate après régate, l’Écossaise était parvenue à distancer Américains, Japonais, Australiens, Français ou Italiens, sans jamais connaître la défaite. La jeune navigatrice semblait se jouer des vents changeants de la baie d’Hauraki. Au point que ses adversaires, vexés mais beaux joueurs, avaient tous fini par la surnommer la "Déesse Éole".

Qualifiée pour disputer la finale contre les tenants d’Aotearoa, et leur redoutable skipper Tom Read, le scénario des courses précédentes s’était aussitôt répété. En dépit d’une résistance acharnée – Read s’était incliné pour moins de deux secondes lors de la troisième régate –, Martha et son Spirits of Scotland avaient déjà remporté les quatre premières manches de la finale. Une dernière victoire, la cinquième, et la jeune navigatrice entrerait dans l’histoire à deux titres : Tout d’abord, elle allait ramener pour la première fois en Écosse, sur les pontons du Scottish Yacht Squadron d’Édimbourg, la prestigieuse Coupe de l’America. Et pour la première fois aussi, Martha était sur le point d’inscrire le nom d’une femme au palmarès du plus ancien trophée sportif au monde, créé en… 1851 !

Depuis des semaines, l’engouement du public ne cessait de croître. L’opinion et les médias écossais s’enthousiasmaient pour le parcours miraculeux de la jeune barreuse. Martha était devenue leur pasionaria. Elle incarnait la dignité retrouvée du sentiment national écossais. Encore une régate, la dernière, et le destin de Martha allait s’accomplir. Une main divine semblait la guider. Dorénavant, plus rien ne pouvait s’opposer à son succès.

Jusqu’à ce jeudi 28 janvier…

Ce matin-là, le coup de feu avait claqué dans l’air habituellement si léger de Viaduct Harbour. L’inconnu, encagoulé, avait surgi de la terrasse d’un café du port. En un éclair, il avait sorti l’arme de sous son manteau, visé la jeune femme, et tiré. Mais au tout dernier moment, Martha avait vu la balle qui lui était destinée se ficher par miracle dans l’épaule d’un jeune homme qui, par hasard, passait devant elle en rollers. Décontenancé par son échec, l’assassin avait pris la fuite et réussi à disparaître.

Immédiatement, l’annonce de cet attentat avait suscité un émoi planétaire. À quelques heures à peine de l’ultime régate de la Coupe de l’America, un meurtrier avait tenté de ravir à Martha McClane sa victoire, en même temps que sa vie. Et quelques heures plus tard, à des milliers de kilomètres de là, tout avait également basculé pour l’inspecteur Sweeney.

Convoqué d’urgence dans le bureau de son supérieur le commissaire Wilkinson, le jeune policier avait reçu pour mission, en accord avec le gouvernement néo-zélandais, de partir veiller sur la sécurité de sa compatriote. Balancé dans le premier avion en partance pour Auckland, l’inspecteur avait atterri le matin même à l’International Airport, moins de quarante-huit heures après le drame. Après un bref entretien avec un représentant du ministère de l’Intérieur, Sweeney avait aussitôt été conduit au port. Accueilli par John McCallum au club house du défi écossais, sur les pontons de Viaduct Harbour, il y avait rapidement fait la connaissance de sa célèbre protégée. Et de son sourire magnétique. Après déjeuner, l’inspecteur avait escorté Martha jusqu’au briefing de l’équipage. Avant de finalement s’assoupir, et d’être réveillé par le sourire désarmant de la jeune barreuse…

*

John McCallum reprit soudain :

– Martha, puisque l’inspecteur vous accompagne, est-ce que vous m’autorisez tout de même à prendre ma petite place habituelle lors des sorties d’entraînement ?

– À une seule condition John, lui sourit la jeune femme.

– Ah ? Et laquelle ? s’inquiéta le tycoon.

– Que vous vous dispensiez de me donner le moindre conseil. Ou bien je n’hésiterai pas à vous faire jeter par-dessus bord ! se moqua la navigatrice.

Amusé, Sweeney s’éveilla et réagit enfin :

– Pour ma part, je vous assure que je serai muet, plaisanta le policier.

– Ça vaut mieux pour vous ! lui renvoya la jeune femme, facétieuse. Contentez-vous de garder un œil sur moi, et j’envisagerai alors peut-être de vous ramener à bon port.

– Ça marche ! conclut l’inspecteur.

John McCallum en profita pour observer le policier écossais.

Difficile de se faire une opinion, abdiqua rapidement le tycoon.

Car le problème avec Sweeney, c’est que l’on ne pouvait rien en dire. À cause de sa… À cause de cette… Parce qu’en fait, Sweeney n’était qu’une barbe. Une barbe rousse, courte, mal peignée, mal taillée, mal fichue vraiment !, qui éclipsait tout le restant de son apparence. McCallum avait beau chercher… Non, à part cet insupportable collier de barbe rousse… De taille moyenne, Sweeney ne se distinguait par aucun signe particulier. À l’exception d’une ridicule canne de golf que le jeune homme trimbalait sans cesse sur son épaule, au prétexte qu’elle lui avait un jour porté chance.(3)

Sweeney ne portait pas de lunettes. Les traits de son visage étaient définitivement anéantis par cette détestable auréole pileuse qui lui enflammait joues et menton. Ses yeux noirs et minuscules y apparaissaient comme immobiles, inexpressifs, tout juste ouverts-un-point-c’est-tout. Quant à ses vêtements… Bah ! Un pull vert à col roulé, aux manches élimées. Un pantalon de toile grise, qui n’avait jamais croisé la route d’un fer à repasser. Enfin, des chaussures brunes et tristes, pareilles à celles d’un pasteur anglican : un véritable désastre ! La silhouette de Sweeney semblait n’avoir pour seule finalité que de lui servir à déplacer son agaçante barbe rousse d’un point à un autre.

Étonnant pour un jeune homme d’à peine vingt-six ans, se dit encore McCallum. Une vraie dégaine d’étudiant attardé ! Mais bon, se persuada finalement le tycoon, si Scotland Yard nous envoie ce blanc-bec, c’est certainement qu’il est encore l’un de leurs meilleurs enquêteurs…

– À propos, enchaîna Martha, il faut que j’aille préparer le départ. Est-ce que vous me laissez sortir ?

– Non ! sursauta Sweeney. Pas si vous êtes seule. Je dois…

– Seule ? sourit à nouveau la jeune femme, et elle désigna du menton la quinzaine de robustes gaillards, tous affublés du même polo qu’elle, qui s’apprêtaient à quitter la salle du briefing.

– Vous avez bien dit que j’embarquais avec vous ? insista le jeune inspecteur.

– Seulement si vous êtes correctement équipé ! continua de s’amuser Martha. John, vous l’accompagnez au vestiaire ?

– On devrait pouvoir trouver une tenue à votre taille, acquiesça le tycoon.

– Et un gilet de sauvetage, insista la navigatrice.

– Un gilet ? s’inquiéta Sweeney.

– Un gilet ! lui confirma McCallum. Vous comprendrez vite, tout à l’heure, en pleine mer.

– Ah ? continua de douter le policier.

– Bon j’y vais, les quitta Martha. À tout de suite.

– Vous restez à proximité de l’équipage ! lui recommanda encore l’inspecteur.

– Oui oui, feignit-elle d’ignorer son conseil, et la jeune femme tourna les talons.

En la regardant s’éloigner, John McCallum dit à Sweeney :

– Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Sa bonne étoile veille sur elle.

– Je ne suis pas sûr que cette bonne étoile ait suffi pour placer un passant sur la trajectoire de la balle qui lui était destinée, rétorqua le policier. Et encore moins qu’en cas de besoin, cette bonne étoile puisse rééditer pareil exploit.

– Vous craignez une nouvelle tentative ? pâlit McCallum.

– Pas vous ? riposta Sweeney, agressif. Avant de s’excuser :

– Pardon, je suis fatigué. J’arrive à peine…

– Je comprends, lui pardonna le sexagénaire.

– Et ceux-là ? ajouta soudain le policier. Où vont-ils ?

– Eux ? C’est notre équipe météo, devina le tycoon. Ils sont cinq, ils vont nous suivre en zodiac jusque dans la baie d’Hauraki. Leurs renseignements sont capitaux, surtout sur ce plan d’eau. À Auckland, un simple changement de vent peut décider du sort d’une régate.

– Vraiment ? l’interrogea Sweeney.

– Vous verrez bien tout à l’heure, conclut McCallum.

– Et le dernier, là, qui sort les mains dans les poches : c’est aussi un gars de la météo ? voulut savoir l’inspecteur.

– Non, c’est Noisette, le détrompa le tycoon.

– Noisette ? sourit Sweeney. C’est quoi ça, Noisette ?

– Le surnom de Stuart Dickinson, répondit le sexagénaire. Il est Australien, c’est le remplaçant de Martha.

– Un remplaçant et un Australien ? s’étonna l’inspecteur.

– Oui, confirma McCallum. Le règlement le permet. Comme en Écosse nous ne disposions pas d’un autre skipper du niveau de Martha, nous avons préféré jouer la sécurité et recruté Stuart.

– Mmm… enregistra le policier.

– Tout le monde l’appelle Noisette, poursuivit le tycoon, à cause de sa petite taille et de ses cheveux roux. On dirait vraiment un écureuil !

– Je vois, comprit Sweeney. Et c’est un bon marin ?

– Un très bon, lui assura McCallum. Même si, actuellement, il ronge un peu son frein dans l’ombre de Martha. Alors Noisette préfère travailler avec les météorologistes. Il connaît parfaitement la baie, ses conseils nous sont précieux. Et puis Stuart s’est fait une raison, termina le tycoon. Il sait que Martha est la meilleure et qu’elle conduira le défi à la victoire. Même si je le trouve un peu plus sombre ces derniers jours. Sûrement à cause de l’attentat…

Puis Stuart Dickinson quitta la pièce à son tour.

– Bien, inspecteur. Nous sommes les derniers, fit remarquer McCallum. Allons nous habiller. La marée n’attend pas !

*

– Nous y sommes. Faites votre choix, déclara le tycoon, et il invita l’inspecteur Sweeney à se servir parmi les tenues suspendues.

– Euh… hésita le jeune policier. Que faut-il prendre ?

– Il faut vous couvrir. Le Spirits of Scotland n’est pas un bateau de plaisance, annonça McCallum. C’est une machine de course. En outre, avec Martha McClane à la barre, il faut vous attendre à recevoir des embruns plein la figure ! Même pendant un entraînement, la gamine ne fait pas semblant. Elle pousse toujours le navire dans ses derniers retranchements.

– La gamine ? Quel âge a-t-elle ?

– Seulement vingt-cinq ans. Mais un palmarès déjà long comme le bras : un titre de championne olympique en finn, ainsi que deux victoires dans des transatlantiques en solitaire. Cette fille est incroyable… La légende veut même qu’elle n’ait jamais perdu une seule course.

– Est-ce que c’est vrai ? s’intéressa le policier.

– J’ai bien peur que oui… le surprit le ton inquiet de l’industriel.

Sweeney changea de sujet :

– Vous dites que nous allons être trempés John, mais le temps paraît pourtant calme.

– Ne vous y fiez pas, persista le tycoon. Je ne suis monté que deux fois à bord du Spirits, mais je vous garantis que Martha vire et change d’amure à la vitesse de l’éclair. Elle donne au bateau un rythme assez « rock and roll ». C’est ce qui fait sa force. Attendez-vous à être secoué, et à boire des paquets de mer.

– Vraiment ?

– Faites comme moi, enchaîna McCallum. Prenez une veste et un pantalon étanches. Du L, ça ira très bien. Et des bottes antidérapantes… Quelle est votre pointure ?

– Du 42, répondit Sweeney.

– Le 42 est à votre droite. La tenue est juste au-dessus. Allez-y, équipez-vous, le pressa McCallum, avant de commencer lui-même à s’habiller.

Hésitant, l’inspecteur finit par s’emparer de l’une des combinaisons bleues.

– Quel jour sommes-nous ? demanda soudain Sweeney, alors qu’il enfilait sa dernière botte.

– Pardon ?

– Quel jour sommes-nous ? répéta le barbu.

– Vous voulez dire « Quelle heure ? », crut devoir rectifier le tycoon. Il est bientôt quatorze heures et…

– Non non, insista l’inspecteur. Avec la vingtaine d’heures que je viens de passer dans l’avion, et le décalage horaire, je vous avoue que je suis un peu perdu. J’ai même la désagréable sensation d’avoir laissé filer une journée complète de mon existence… Quel jour sommes-nous ?

Devant l’entêtement du jeune policier, McCallum finit par céder :

– Eh bien c’est simple, commença-t-il. La prochaine régate contre les Kiwis aura lieu lundi, dans deux jours. Nous sommes donc samedi. Quant à l’agression contre Martha, elle a eu lieu jeudi dernier, c’était il y a quarante-huit heures.

Déjà samedi… réfléchit Sweeney. J’aurais préféré qu’il m’annonce vendredi matin. La date aurait été plus conforme aux sensations de mon organisme !

– Est-ce que vous vous rendez compte ? poursuivit l’industriel. La dernière manche aurait dû se courir aujourd’hui. À cause de l’attentat, l’organisation a décidé de reporter la régate à lundi, provoquant du même coup l’annulation de l’Anniversary Regatta. Les Néo-Zed sont fous de rage.

– Pourquoi donc ? s’interrogea Sweeney. Qu’est-ce que c’est que ça, l’Anniversary Regatta ?

– Mais c’est la plus grande régate au monde ! s’agita McCallum. Plus de mille voiliers se donnent rendez-vous chaque année à Auckland pour l’anniversaire de la ville, le dernier lundi de janvier. C’est un évènement ! Avec l’organisation de la Coupe de l’America, Auckland mérite bien son surnom de "City of Sails"(4)… Et puis, sourit McCallum l’air moqueur, annuler cette grande messe populaire pour une régate qui, si tout va bien pour nous, devrait sceller la défaite de leurs compatriotes… Je peux comprendre la colère des Kiwis.

– Mmm… parut l’approuver l’inspecteur, avant de se redresser.

Sweeney finit alors de tirer sur les manches de son blouson, puis il ajusta son pantalon. Enfin, il épaula son club de golf et demanda :

– Ma tenue, ça va ? Il manque quelque chose ?

– Non. Vous êtes très bien, le rassura McCallum. Je dirais même, ajouta-t-il en lorgnant vers la canne du jeune homme, que vous êtes un peu trop équipé !

Puis le sexagénaire se leva à son tour.

– Avant d’embarquer, enchaîna-t-il, est-ce que vous pouvez me dire si l’enquête avance ? C’est vrai, insista le tycoon, si l’on pouvait arrêter ce dingue avant lundi, la gamine serait plus tranquille. Je n’ai pas envie qu’elle soit perturbée pour la course. On risquerait de tout perdre au dernier moment.

Sweeney avait déjà deviné les arrière-pensées du mécène :

– John, combien coûte un défi comme le Spirits of Scotland ?

– Comment ? s’étonna McCallum.

– Vous m’avez parfaitement compris, insista Sweeney. Combien avez-vous misé sur Martha McClane ?

En bon Écossais, soucieux des affaires d’argent, le tycoon répondit sans ambages :

– Le budget global s’élève à plus de cent vingt millions de livres, une somme colossale ! C’est pour cette raison que nous nous sommes associés avec douze autres distilleries afin de pouvoir réunir le montant. En cas de victoire, les retombées seront extraordinaires pour l’image du whisky écossais, et nous doublerons notre mise. En revanche, si les Kiwis l’emportent, nous perdrons presque tout. Il n’y a que la victoire qui compte. Malheur au vaincu !

– Je vois, comprit le policier. Merci pour votre franchise.

– Et pour l’enquête ? répéta McCallum.

– Je n’en sais pas beaucoup plus que les médias, ou que ce que Martha a pu vous raconter. Le représentant du ministère ne m’a reçu qu’une quinzaine de minutes, ce matin, à mon arrivée. Puis je suis passé rapidement à mon hôtel, avant de vous rejoindre tout à l’heure, au club house. Je ne verrai le superintendant Redgrave, le directeur de l’enquête, que ce soir.

– Martha m’a dit qu’elle n’avait pas eu le temps de se rendre compte de grand-chose, précisa le sexagénaire.

– Effectivement, confirma Sweeney. Elle venait de quitter sa chambre pour Viaduct Harbour… D’ailleurs, s’interrompit brusquement l’inspecteur, comment se fait-il que Martha ne soit pas hébergée avec le reste de l’équipage, dans les appartements réservés aux compétiteurs sur le port ?

– Il faut la comprendre, expliqua McCallum. Martha est l’unique femme parmi tous les équipages engagés. Seule au milieu de plus de deux cents malabars, ce n’était vraiment pas l’idéal. Et puis Martha préférait s’éloigner un peu du lieu de la compétition. C’est encore la meilleure façon de décompresser.

– D’accord, acquiesça le jeune homme. Mais après la tentative d’assassinat, pourquoi n’a-t-elle toujours pas quitté son hôtel ?

– Pour quoi faire ? sourit McCallum. La police néo-zélandaise ne l’a pas quittée d’une semelle ces deux derniers jours. Et maintenant que vous êtes là… suggéra le tycoon.

– Mmoui, grommela Sweeney. Mais j’aurais préféré…

– Et alors, l’enquête ? le coupa McCallum.

– Rien de décisif, reprit l’inspecteur. Les témoignages concordent : le type est sorti de la terrasse d’un bar, sans avoir été repéré au préalable. Il portait une cagoule et un manteau long. Martha l’a soudain vu brandir une arme dans sa direction et…

– Elle vous a dit, pour l’arme ?

– Non, mais le représentant du ministère m’en a parlé. D’après les descriptions de Martha, ainsi que celles des témoins, il pourrait s’agir d’un pistolet-mitrailleur équipé d’un silencieux.

– Un silencieux ? sursauta le sexagénaire.

– Oui, ça paraît surprenant, commenta le policier. Si c’est le cas, on aurait affaire à une arme de professionnel. Ce qui exclurait la piste d’un déséquilibré. Mais la balistique nous en dira plus.

– Ah ?

– Oui, poursuivit Sweeney. Martha a eu la chance incroyable qu’un jeune homme en rollers s’interpose entre elle et le tireur. Le gars a reçu le projectile dans l’épaule, heureusement sans gravité. La balle a été extraite, mais on ne l’a toujours pas exploitée.

– Depuis deux jours ? s’indigna McCallum.

– Le type de ce matin m’a expliqué que le projectile extrait par le chirurgien avait été jeté par mégarde. Les hommes de Redgrave ne l’ont retrouvé qu’hier soir, dans les poubelles de l’hôpital. Le rapport de la balistique devrait tomber d’ici une dizaine d’heures.

– D’accord, se calma le tycoon. Mais pour le tireur, est-ce que vous êtes au courant ?

– Quoi ? s’agaça Sweeney. Vous voulez parler…

– De ce qu’a vu Martha, compléta McCallum. On vous a dit ?

– Son signalement ?

– Oui. Ses yeux, précisa-t-il. Martha est sûre que…

Cette fois, ce fut au tour du policier de lui couper la parole :

– Martha n’est sûre de rien ! lui asséna-t-il. La scène s’est passée en quelques secondes à peine. Et puis le coup de feu, ainsi que la blessure occasionnée au passant, l’auront fortement choquée… Non, reprit-il, on ne peut être sûr de rien. Martha pense que son agresseur était de taille moyenne, assez corpulent, et qu’elle ne le connaissait pas. Elle a juste insisté sur la couleur de ses yeux.

– Des yeux très bleus, presque délavés, ajouta McCallum.

– Apparemment, répliqua Sweeney. Mais il est…

La porte du vestiaire s’ouvrit tout à coup dans leur dos.

– Tiens, Bobby ! s’exclama McCallum.

– Bonjour John, répondit le nouvel arrivant. On m’a dit que vous étiez là, en train de vous changer.

– Inspecteur, je vous présente Bobby West. Sur cette Coupe de l’America, Bobby est le représentant de la Fédération Internationale de Voile. Notre grand organisateur si vous préférez.

– Et ce n’est pas le rôle le plus facile ces derniers jours, soupira l’homme. Mais vous monsieur, s’adressa-t-il au jeune barbu à la canne de golf, qui êtes-vous ?

Avant de lui répondre, Sweeney observa rapidement Bobby West.

Avec son teint rose, ses cheveux clairsemés, sa presque soixantaine et son blazer impeccable, West était le portrait-type du haut fonctionnaire du sport. D’ailleurs ses yeux inquiets, ainsi que ses traits trop lisses, semblaient traduire une certaine indécision. Il était même probable que Bobby West se sentait totalement dépassé par les évènements récents.

– Je suis l’inspecteur Sweeney de la criminelle d’Édimbourg, finit par l’informer le jeune homme. Je suis arrivé d’Écosse ce matin pour…

– C’est vous qui servez de garde du corps à Martha McClane ? l’interrogea l’organisateur.

– Oui, je…

– Je vois que les nouvelles vont vite, intervint McCallum. C’est pour ça que tu es venu ?

– Évidemment, répondit Bobby West. Jack doit savoir ce qu’il se passe à Auckland.

– Jack ? s’interrogea Sweeney à voix haute.

– Oui, Jack Wilson, le renseigna le tycoon. C’est le président de la Fédération Internationale, un Américain, mais il est resté en Floride. Il a prétendu que…

– Jack n’a rien prétendu du tout ! s’énerva Bobby West. Tu sais très bien qu’il est malade et qu’il est absolument navré de ne pas pouvoir assister aux régates de la Coupe de l’America.

– Tu parles, une maladie diplomatique oui ! protesta McCallum. La vérité, c’est que Jack avait tout simplement prévu d’assister à une finale entre les Kiwis et le défi américain. Voilà tout ! Il était tellement persuadé qu’Anderson et son équipage étaient imbattables, qu’il prévoyait déjà que la Coupe rentrerait enfin au pays. Près de cent cinquante ans de suprématie yankee, de 1851 à 1983, ça ne s’oublie pas comme ça ! Alors, évidemment, quand il a compris que Martha allait bouleverser tous ses plans et ramener l’aiguière(5) à Édimbourg, il a pété les plombs !

– Comment ça ? s’intéressa Sweeney.

John McCallum précisa :

– Quand ce brave Jack Wilson a constaté que le tour préliminaire n’était qu’une formalité pour Spirits of Scotland