Mystère Edimbourg et Docteur Stevenson - Tome A - John-Erich Nielsen - E-Book

Mystère Edimbourg et Docteur Stevenson - Tome A E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Une nouvelle enquête dans la capitale écossaise pour l'inspecteur Sweeney...

Édimbourg, la capitale écossaise, est l'une des plus belles villes d'Europe : avec son château imprenable, ses avenues victoriennes ainsi que ses superbes jardins, la cité millénaire jouit par ailleurs d'une vie culturelle exceptionnelle. Pourtant, la nuit, Édimbourg peut vite devenir Auld Reekie, la "vieille enfumée", aux ruelles pavées, tortueuses et sombres, au détour desquelles on craindrait de voir resurgir un Jack l'Éventreur... Or, ce soir, le téléphone de l'inspecteur Sweeney se met à sonner : la mort vient de frapper dans le quartier de Leith !

Ce polar en deux parties vous entraînera au cœur des secrets de l'Histoire !

EXTRAIT

– Oui, on vient de nous coller une nouvelle affaire sur les bras.
– Où ça ?
– À Leith, en banlieue. C’est pour nous.
– De quoi s’agit-il ?
– En fin de matinée, un gérant d’hôtel a retrouvé l’un de ses clients mort dans sa chambre. Au début, le type a cru que la victime était décédée de façon naturelle, pendant son sommeil. C’est en tout cas ce qui avait été annoncé au médecin, expliqua Law. Cependant, le toubib a vite compris que quelque chose clochait. En réalité, il semble à peu près certain que le client a été étouffé avec son propre oreiller. Et puisqu’il va s’agir d’une enquête criminelle, le coroner est déjà sur place. Il nous attend, magne ! finit d’aboyer le coéquipier de l’inspecteur.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une nouvelle enquête pour l'inspecteur Sweeney ! Oui, mais quelle enquête, qui va le mener à la fois dans le passé, mais aussi très loin, jusqu'en Polynésie ! - Sharon, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Chandelier de bronze

Île d’Upolu, Samoa – Janvier 1892

– Non ! s’écria la jeune femme.

Faauma sentit la main droite de l’homme, puissante et lourde, qui enserrait sa gorge. Puis la gauche, qui l’instant d’avant caressait encore ses seins, vint à son tour s’écraser sur son cou.

Sous l’effet de la surprise, l’esprit de la belle indigène fut aussitôt assailli par des images incontrôlées. Elle se revit en train de signer ce « certificat de mariage » d’une nuit, un bout de papier immonde dont les Européens s’acquittaient pour légitimer leur relation sexuelle avec une Polynésienne… Pourquoi ai-je accepté ? se reprocha Faauma. Qu’avais-je à gagner ? Rien… En effet, sa vie au domaine de Vailima, qui signifiait les « Cinq Rivières », était douce. La jeune femme y était appréciée de ses employeurs, de ses amis, ainsi que de ses proches. Son mari Lafaele l’aimait, trop peut-être, comme tous les hommes de la demeure. Et celui qui, à présent, les doigts de plus en plus enfoncés dans sa gorge, la privait désespérément d’air, n’était certainement pas le plus attirant d’entre eux… Pourquoi ai-je accepté de le suivre ? se répéta Faauma. Pour l’argent ? Non, car elle savait bien qu’il n’y avait rien à attendre de ce panier percé. Pour une meilleure position dans la maison du maître ? Non plus, car ce dernier lui faisait déjà toute confiance. Était-ce alors un besoin d’exotisme, le frisson de sentir contre elle le corps si blanc de l’un de ces étrangers qui dominaient l’île ? Si tel était le cas, alors elle ne valait pas mieux qu’eux, ces Européens qui pour un morceau de tissu ou une simple promesse, abusaient d’elles, femmes sensuelles et naïves, à la poitrine imprudemment dévoilée et au sourire de nacre. Non décidément, je ne vaux pas mieux qu’eux, continua de se persuader Faauma. Toutefois, le prix à payer pour sa faiblesse s’annonçait démesuré : elle allait mourir !

Terrorisée, la jeune femme hurla de nouveau :

– Non ! mais sa voix, étouffée par l’étau surpuissant des mains de l’homme, ne parvint pas à franchir ses lèvres. Instinctivement, la belle Samoane comprit que dans moins d’une minute, elle allait perdre connaissance… Ses yeux fixèrent alors ceux, exorbités, de cet étranger qui le moment d’avant lui faisait encore l’amour. Elle distingua son visage rouge, cerclé d’une tignasse frisée brune, qui n’exprimait plus que l’envie d’en finir avec elle. Son épaisse moustache frémissait au-dessus de sa bouche haletante ; sa chemise blanche et son foulard bleu, couverts de sueur, s’agitaient au rythme de ses bras appuyant toujours plus fort sur son cou. Elle ne sentait déjà plus le bas du corps dénudé de l’homme, frottant contre son ventre. Plus que quelques instants, et tout serait bientôt fini…

Dans une dernière pensée, Faauma songea qu’elle n’aurait jamais dû venir le retrouver après la fête, dans le village de Moto’Otua, à mi-chemin entre Vailima et la ville d’Apia. Pendant ce temps, son mari Lafaele avait dû rester au domaine pour s’occuper des bêtes : l’une d’elles menaçait de mettre bas durant la nuit. La jeune indigène en avait alors profité pour sortir seule. Sur le chemin, elle avait fini par se justifier en se disant qu’après tout, il fallait bien qu’elle honorât tôt ou tard ce « certificat de mariage » qu’elle avait eu la folie de parapher… Pour se rendre à la fête, Faauma avait revêtu son plus bel holoku, cette robe traditionnelle que même les missionnaires avaient fini par adopter. Pour sa part, l’homme s’était également fait élégant, arborant ses bottes de cavalier parfaitement cirées. La jeune femme ne comprenait d’ailleurs pas comment son épouse, d’habitude si jalouse, avait pu le laisser quitter le domaine dans cette tenue, sans même se douter de ses intentions. Puis lorsque l’homme, imbibé de kava, ce breuvage sacré des Polynésiens, l’avait entraînée dans une chambre isolée avant de la forcer à s’allonger sur une simple paillasse, la belle avait alors dénoué son lavalava1 rouge et blanc, laissé glisser son holoku, et enfin là… L’homme à la moustache s’était jeté sur elle comme une bête, avant de la pénétrer sans ménagement. Comme Faauma regrettait son insouciance. Elle voulait juste profiter de sa jeunesse, car les femmes polynésiennes vieillissaient vite. Elle savait que bientôt déjà, les hommes allaient se détourner d’elle… Elle songea aussi à Lafaele : que penserait-il d’elle lorsqu’il apprendrait ce qu’elle avait fait ? Soudain, cette idée la terrorisa plus encore que sa propre mort.

La jeune Samoane s’étonnait de toujours parvenir à penser à autant de choses. C’était comme si le temps avait décidé de ralentir sa course, juste pour elle, afin de lui laisser l’opportunité de faire le point sur sa trop courte existence… D’ailleurs, se dit-elle, pourquoi mon « mari d’un jour » est-il en train d’essayer de me tuer ? Après tout, je ne lui ai rien fait. Bien au contraire… Que craint-il ? Que sa femme apprenne son écart de conduite ? L’Américaine sait pourtant qu’il ne lui est plus fidèle depuis longtemps. Craint-il la réaction violente de mon Lafaele, un colosse qui lui briserait la nuque d’un seul coup de poing si jamais je parlais ? Non, les Européens ont tout pouvoir sur nous autres, Polynésiens. Tout cela n’a aucun sens, se désespéra-t-elle. Ou bien peut-être que ma vie n’a aucune valeur. Les missionnaires m’expliqueraient que Dieu me punit pour mes mauvaises actions, et que je l’ai bien mérité. Oui, peut-être, finit par se résigner Faauma. Il ne doit pas me rester plus de vingt secondes à vivre, estima-t-elle enfin, dans un ultime sursaut de lucidité.

Mais au même instant, Faauma vit apparaître la silhouette d’un deuxième homme sur sa droite. Celui-ci s’avança dans la pièce. Son regard bienveillant, sa moustache en bataille, ses bras trop maigres presque décharnés, croisés sur sa chemise de flanelle, elle les connaissait bien… Pourquoi ne bouge-t-il pas ? Pourquoi ne vient-il pas à mon secours ? s’étonna-t-elle. La jeune femme l’avait toujours considéré comme son protecteur, il l’avait prise sous son aile. Ce dernier s’était toujours montré si gentil et si prévenant avec elle. Dans un sourire, il l’avait même surnommée son « chandelier de bronze », en raison de sa stature fière et de sa peau cuivrée. Ce deuxième homme ne s’était pas manifesté durant la fête à Moto’Otua. Les avait-il suivis depuis Vailima ? Pourquoi ne bougeait-il toujours pas ? Hésitait-il ? Ou alors, est-ce qu’il voulait la violer lui aussi ? Attendait-il son tour ? Cette dernière incertitude effraya la belle Samoane… Mais elle ne se résolut pas à y croire. Dans un sursaut de désespoir, elle réussit à faire pivoter son regard dans sa direction, et elle le supplia des yeux. Allait-il intervenir ? Pourquoi ne le faisait-il toujours pas ? Qui voulait-il protéger : elle ou bien… l’homme de sa famille ?

Brusquement, Faauma sentit que ses forces l’abandonnaient. Déjà, sa pensée ralentissait, devenant plus confuse. Toutefois, elle lutta pour conserver son regard dans celui de l’homme. Elle avait l’impression de le fixer depuis des heures alors que, probablement, celui-ci n’était entré que depuis moins de deux secondes… Avait-il compris l’urgence de la situation ? Faauma sentait que dans quelques instants à peine, elle allait suffoquer. Définitivement.

Une dernière fois, ses yeux se firent implorants. Puis, d’un coup, ses paupières se fermèrent… Lorsque la réalité disparut derrière ce rideau noir, Faauma songea qu’elle ne saurait jamais si cet homme qu’elle appréciait tant, était au final un ange… ou un démon !

1 Tissu bariolé, équivalent samoan du paréo tahitien, le plus souvent orné de fleurs d’hibiscus ou de frangipanier, que l’on noue autour du cou ou de la taille.

L’air d’Auld Reekie

Mercredi 20 septembre, vingt-deux heures

– Hé, mon vieux Ed ! Fais attention… Tu vas tomber ! s’écria l’homme. Dans un réflexe, ce dernier agrippa le bras de son compagnon pour l’aider à se stabiliser.

– Viens, Ed… Viens t’asseoir, l’encouragea-t-il à le suivre sur le côté du trottoir.

Parvenu le long d’une grille en fer forgé, le premier homme réussit à adosser le second contre ce soutien providentiel avant, lentement, de l’obliger à s’asseoir sur le parapet. Une fois le colosse posé en équilibre sur la margelle de pierre, son ami vint à son tour s’installer à ses côtés.

– Ça va, mon vieux Ed ? Tu m’as fait peur. J’ai bien cru que tu allais te casser la figure… Ton hôtel, c’est encore loin ? voulut-il savoir.

Confronté au silence de son compagnon, l’homme prit le temps d’observer l’espace qui lui faisait face : Je ne sais plus comment s’appelle ce vaste parc de l’autre côté de Hermitage Place... Il est vraiment très grand. Dans le temps, j’ai dû venir y jouer au football avec mes garçons, se souvint-il encore. Avant de remarquer : La température est incroyablement douce. Vingt degrés au moins. À cette heure de la soirée, et en cette saison, Édimbourg jouit d’un été indien vraiment exceptionnel, s’étonna-t-il enfin.

Au même instant, l’épaule du géant assis à ses côtés s’affaissa d’un seul coup. L’homme eut à peine le temps de l’empêcher de basculer.

– Ed, ho ! essaya-t-il de le faire réagir. Ton hôtel, mon vieux ? Est-ce que c’est encore loin ?

Dans une semi-torpeur, l’ivrogne dressa son index vers la droite, avant de reposer ses deux coudes sur les cuisses, puis de laisser retomber une tête vissée sur un cou aussi épais que l’échine d’un taureau.

Il est complètement saoul, se désespéra son compagnon. S’il perd connaissance, seul, je ne parviendrai jamais à relever cette montagne de muscles. À cet instant, le jeune colosse ferma les yeux. L’autre homme s’empressa de réagir. Il lui administra une gifle bien sentie sur la joue droite, en lui disant :

– Ed ! Allez, ne t’endors pas !... Secoue-toi, mon pote !

Ce dernier sursauta brusquement et il redressa la tête.

– Ta clé, Ed ! Où est ta clé ? le questionna aussitôt son soutien, mais le jeune homme se contenta de laisser retomber les paupières.

– Ça ne fait rien, je vais la chercher… le prévint-il, puis il se mit à fouiller dans ses poches. Rapidement, celui-ci extirpa une clé jaune assortie d’une étiquette sur laquelle figurait l’inscription « Merith House ». Connais pas, se dit-il. J’espère juste que ça se trouve dans la direction qu’il vient de m’indiquer… Bon, on ne peut pas rester là. Il faut que je me dépêche de le faire avancer tant que ses jambes le portent encore. Et puis ensuite, il faudra en finir…

L’homme se releva tout en tenant son compagnon par la manche, puis il le tira par le bras en l’encourageant :

– Allez Ed, debout !... Viens, lève-toi !... Aide-moi un peu… Allez, hop ! Debout !...

Soudain, l’ivrogne obéit aux injonctions de son voisin et il réussit à redresser sa lourde carcasse. L’homme en profita pour se glisser sous son épaule gauche, lui prendre la main et, enfin, passer son bras derrière la nuque du géant.

– C’est bien Ed, c’est bien ! Allez, au pack ! Comme en mêlée… Viens, on va pousser !

Le colosse fit alors deux pas dans la direction désirée.

– Bravo Ed, continue comme ça ! se réjouit son compagnon. Pousse, continue de pousser. On va la tenir cette mêlée, comme cet après-midi au stade. Jusqu’à l’introduction !

Miraculeusement, ces encouragements portèrent leurs fruits, et le jeune homme se mit à avancer sur le trottoir.

– C’est bien Ed, c’est bien… Vas-y… Dis-moi, à quel poste joues-tu ? Où pousses-tu en mêlée ? Pilier gauche, pilier droit ?... Ne me dis pas que tu joues ailier quand même ! Dans ce cas, tu serais plus fort encore que Jonah Lomu1 lui-même ! essaya-t-il de le flatter.

Mais son compagnon resta muet et il continua de marcher comme un automate. Il est vraiment complètement fait, comprit son soutien. Mais bon, tant qu’il avance… Avant de réaliser soudain : Cependant, tout à l’heure, même s’il est ivre mort, il faudra que je me méfie de ses réflexes. Ce gars est dix fois plus costaud que moi. Même affaibli, il ne se laissera pas faire… Tout à coup, la pancarte d’un hôtel se dressa sur la droite : Culane House Hotel, lut l’homme. Mince, ce n’est pas encore ça. Pff ! soupira-t-il.

Un peu plus loin, une rue perpendiculaire surgit sur la droite, coupant le trottoir. Alors que l’individu s’apprêtait à la franchir, son regard fut attiré par un nouvel écriteau : Merith House Hotel, déchiffra-t-il avec soulagement. On y est ! Ce dernier réussit à faire ralentir le colosse ; puis il le fit pivoter sur le côté, avant de l’inciter à progresser dans l’allée qui menait vers la façade blanche de l’établissement. Il avisa encore deux volées de marches parallèles et choisit de se diriger vers celle de droite. L’entrée doit être de ce côté, crut-il deviner, la tête toujours coincée sous l’épaule du géant.

– On arrive ! annonça-t-il à ce dernier. Des marches, attention ! Lève tes pieds, Ed !

Mécaniquement, le jeune homme enjamba les escaliers et il parvint devant la porte de l’hôtel. Son soutien le mit en appui contre le mur latéral, puis il glissa la clé jaune dans la serrure.

Mince, elle n’ouvre pas. Ça doit être sa clé de chambre, pas celle de l’entrée, devina-t-il… Bien, qu’est-ce que je fais ? Je ne vais quand même pas l’abandonner là ? Non, pas maintenant. Je ne vais pas reculer. Pas cette fois ! s’énerva-t-il. Je l’ai fait trop souvent par le passé. Je sais trop bien ce que ça m’a coûté… Non, cette fois, c’est la chance de ma vie. Je ne vais sûrement pas la laisser passer. Je dois aller au bout des choses. Je dois le faire ! se décida-t-il enfin. Avant de songer encore : D’ailleurs, j’ai une idée…

Aussitôt, l’homme se résolut à sonner.

À l’intérieur de l’établissement, Peter Sitharaman, le gérant de l’hôtel, regardait la télévision. Lorsque le tintement strident de la sonnette retentit, il grommela : Ah non, zut ! Juste au moment où ils allaient donner le classement de la Scottish Premiership2 ! Et puis je voulais voir le score du rugby aussi. Déjà que je n’ai pas pu voir le match en direct, cet après-midi. J’espère au moins que l’Écosse a gagné… Sans compter les résultats du cricket, je les ai attendus toute la journée ! râla-t-il encore, avant de quitter son fauteuil et de s’engager dans le couloir.

– Que se passe-t-il, Peter ? lui demanda sa femme Clara, lorsqu’elle arriva dans la réception.

– Sûrement un client qui a oublié sa clé, se borna-t-il à lui répondre. Je vais voir… et Peter s’en alla faire pivoter le loquet de la serrure. Pendant ce temps, Clara sortit de la pièce et elle se positionna à l’autre bout du couloir.

Lorsque Mister Sitharaman ouvrit enfin, il découvrit derrière la porte un Monsieur Muscles de plus d’un mètre quatre-vingt-dix, la tête inclinée vers le sol, soutenu tant bien que mal par un inconnu âgé d’une soixantaine d’années.

– Bonsoir. Il est bien de chez vous ? lui demanda aussitôt l’homme.

Tiens, le colosse qui est arrivé avant-hier soir, le reconnut Peter. Il voulait aller voir le match de rugby à Murrayfield3puis visiter la capitale, se souvint-il. Avant de constater : Manifestement, il est surtout allé visiter les pubs !

– Hem, oui… Oui en effet, finit par confirmer le gérant.

– Je peux entrer ? souffla celui qui devait être un passant ayant découvert l’ivrogne dans la rue.

Visiblement, ce dernier semblait commencer à fatiguer sous le poids du volumineux jeune homme.

– Il est complètement saoul, ajouta l’inconnu. On peut entrer ? se dépêcha-t-il de répéter.

– Oui. Bien sûr, céda Peter. Donnez… Je vais le conduire à sa chambre.

– Non laissez, répliqua le passant. Maintenant que je le tiens, je vais finir de le porter, et le sexagénaire se mit à progresser dans le couloir.

L’hôtelier recula, tout en indiquant :

– C’est la 17. Premier étage, l’escalier de gauche, précisa-t-il, et il s’effaça pour laisser passer le duo.

L’inconnu répondit :

– Merci. J’ai gardé sa clé dans la main. On y va !

Puis il frôla Clara, qui lui répéta :

– La 17, au premier. Je vais vous y… voulut-elle ajouter.

Mais l’homme rétorqua :

– C’est bon, merci. Je vais trouver. C’est parti !

Demeuré dans le couloir, le couple de gérants observa les deux hommes qui gravissaient l’escalier avec difficulté, puis ces derniers disparurent sur la droite.

– C’est bon, déclara Peter à sa femme. Je vais retourner voir le sport… Est-ce que tu pourras lui ouvrir quand il descendra ? demanda-t-il, avant de prendre la direction de la salle de télévision.

Quelques minutes plus tard, Clara Neeson entendit des pas qui dévalaient l’escalier. Sortant de la réception, elle vit le passant qui revenait de l’étage. C’est alors seulement qu’elle remarqua que l’homme portait un pantalon de toile foncé, ainsi qu’une élégante veste à carreaux de couleur marron. Le visage sympathique, bordé d’une mèche de cheveux en bataille, l’inconnu marchait en secouant les mains comme s’il venait de se les laver, et il semblait essoufflé.

– Alors ? lui demanda Clara.

– Tout va bien, répondit le sexagénaire. Je l’ai allongé sur son lit, indiqua-t-il avant de se diriger vers la sortie.

– Ah, si ! dit-il encore sans cesser de marcher, j’ai déposé sa clé sur la table de nuit.

Au moment où le passant tournait le verrou de la porte, Clara lui demanda :

– Est-ce qu’il dort ?

L’homme s’arrêta, fit volte-face, pour finalement répondre :

– Ça m’en a tout l’air. Même pas le temps de lui retirer ses chaussures qu’il ronflait déjà !

Clara sourit, tandis que l’homme sortait en disant :

– Bonne nuit ! puis il tira la porte derrière lui.

La gérante tourna les talons en songeant : Encore une journée banale qui se termine au Merith Hotel.

Enfin, après avoir soupiré, Clara Neeson regagna sa chambre.

*

Jeudi 21 septembre, onze heures

– Clara ! appela Mister Sitharaman depuis la réception. Clara !... Je viens de regarder mon tableau, et la seule clé qui me manque encore est celle du grand costaud… Tu sais, le Polynésien-là, celui qui est rentré saoul hier soir !

Mrs Neeson traversa le couloir depuis la salle du petit déjeuner, puis elle entra dans la pièce.

– C’est la seule clé qui manque, répéta le gérant. Est-ce que tu as vu le client au breakfast ?

Clara posa les mains sur les hanches et lança :

– Il ne quitte l’hôtel que demain. Il doit être en train de cuver dans sa chambre.

– Réponds à ma question ! s’agaça Peter. Est-ce que tu l’as vu prendre son petit déjeuner ?

– Euh… Non, reconnut-elle. Je suis sûre que non… Paula, qui assurait le début du service en m’attendant, n’a coché que les noms de deux couples avant mon arrivée. Il ne s’est donc pas présenté à ce moment-là, et je ne l’ai pas vu non plus.

– Je vais aller vérifier, décréta aussitôt son compagnon.

– Laisse Peter, répliqua la gérante. Il doit encore dormir, il se lèvera plus tard.

– Mais il faut bien faire la chambre, protesta l’hôtelier. On ne sait jamais, il pourrait râler si jamais nous ne le réveillions pas, ou si sa chambre n’était pas nettoyée. On en a vu d’autres !… Je vais aller voir, insista Peter.

Mister Sitharaman quitta son fauteuil puis il se dirigea vers la sortie.

– Comme tu voudras… céda Clara en soupirant. Prends ton passe ! lui rappela-t-elle au dernier moment.

Le gérant fit demi-tour, s’empara d’un lourd trousseau de clés dans un tiroir, puis il s’engagea dans l’escalier qui faisait face à la réception. Les marches y étaient étroites et hautes. Parvenu devant la porte beige de la chambre 17, l’homme prêta l’oreille, mais aucun son ne provint de l’intérieur de la pièce. S’il dort, il ne ronfle pas, se dit simplement Peter.

– Monsieur ! l’appela-t-il. Monsieur… répéta-t-il, avant d’hésiter : Monsieur comment, déjà ? Je ne me souviens même plus de son nom. Je me rappelle juste que c’est un nom polynésien imprononçable, sourit-il.

– Monsieur ! Ho… Vous dormez ? Monsieur !... C’est le gérant ! Tout va bien ?... Il faudrait que nous fassions la chambre, s’il vous plaît. Il est déjà plus de onze heures… argumenta-t-il, mais aucune réponse ne parvint de la chambre 17.

– Monsieur ! essaya l’hôtelier une dernière fois puis, de guerre lasse, il décida : Bon, tant pis. Je vais aller voir.

Mister Sitharaman repéra son passe au milieu de la poignée de clés du trousseau et il l’introduisit dans une serrure dorée. La porte s’ouvrit sans problème sur une chambre minuscule, aux fenêtres de bois mal peintes. Le lit en constituait le seul mobilier. Avant même de jeter un œil en direction de son client, Peter détecta une odeur désagréable et rance, qui flottait dans la pièce. Il va falloir aérer, songea immédiatement le gérant. Puis il découvrit le corps gargantuesque de son client, couché en travers au-dessus des couvertures. Allongé sur le dos, toujours habillé mais déchaussé, l’homme reposait les bras légèrement écartés. Il n’a pas bronché, il dort comme un bébé, pensa Peter. Quelle tranquillité… Étonnant ! Et puis drôle de façon de dormir, avec un oreiller sur la tête. Voilà pourquoi il ne m’entendait pas, devina-t-il enfin.

– Monsieur !... Monsieur ! répéta-t-il pour le faire réagir. Il est temps de vous réveiller. Nous allons faire la chambre, dit-il en se penchant au-dessus du lit. Mais rien n’y fit, et son client continua de dormir.

Bon, ça suffit maintenant, s’énerva Peter. Je vais lui ôter son oreiller, ça devrait le réveiller.

Mister Sitharaman fit deux pas en avant, souleva le coussin qui recouvrait la tête du Polynésien et… recula d’un bond !

L’homme avait les yeux ouverts, les globes exorbités. Ses pupilles immobiles semblaient fixer le plafond. Sa langue pendait sur le côté, tandis qu’un peu de vomi s’était écoulé sur son menton ainsi que sur sa joue. Voilà d’où provenait l’odeur, comprit aussitôt le gérant. Ce dernier fit l’effort de contempler son client quelques instants encore : la teinte de son visage, pourtant cuivrée à l’origine, était devenue livide, presque grise. Une incroyable fixité marquait son expression, comme s’il portait un masque. Sa poitrine ne se soulevait plus, ses membres demeuraient inertes, et c’est alors seulement que l’hôtelier remarqua à quel point ses doigts étaient à la fois tendus et figés. Il est complètement raide, on dirait une statue… s’étonna Peter. Avant de comprendre : Bon, je crois qu’il est mort… Oui sûrement, il doit être mort