Dictionnaire politique d'internet et du numérique - Christophe Stener - E-Book

Dictionnaire politique d'internet et du numérique E-Book

Christophe Stener

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Beschreibung

Le Dictionnaire politique d'internet et du numérique, ouvrage collectif, coordonné par Christophe Stener, rassemble les contributions de quatre-vingts auteurs : décideurs politiques, dirigeants des institutions de régulation, chefs d'entreprise, experts. L'ensemble des enjeux d'internet et du numérique sur la vie politique et sociale, l'économie, les relations internationales et la société sont analysés.

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Auteurs

Aigrain Philippe - Arpagian Nicolas - Babinet Gilles - Bauer Alain - Beigbeder Charles - Bellanger Pierre - Benhamou Bernard - Bensoussan Alain - Berberian Vannik - Berhault Gilles - Bloche Patrick - Castex Françoise - Censi Yves - Charriras Alain - Chebel Malek - Colin Nicolas - Collin Gérard - Colosimo Jean-François - Couchet Frédéric - Curien Nicolas - de La Raudière Laure - de La Villardière Bernard - Delevoye Jean-Paul - di Falco Léandri Jean-Michel - El Oifi Mohammed - Falque-Pierrotin Isabelle - Féral-Schuhl Christiane - Fischer Hervé - Fornay Georges - Forest Fred - Franceschini Laurence - Gattaz Pierre - Goosens Aline - Haigneré Claudie - Huitema Christian - Ifrah Laurence - Janneau Clément - Jeanneney Jean-Noêl - Jollet-David Natacha - Juillet Alain - Juppé Isabelle - Kaplan Daniel - Kessler David - Korsia Haïm - Lasserre Bruno - Lemoine Philippe - Lorentz Francis - Lorenzi Jean-Hervé - Martin Alban - Martin Pierre - Martin-Lalande Patrice - Menand Isabelle - Migaud Didier - Milliet-Einbinder Martine - Moullier Boutang Yann - Nitot Tristan - Owens Jeffrey - Patino Bruno - Paul Christian - Pernot Jean-Marc - Peugeot Valérie - Phéline Christian - Poulin Richard - Retailleau Bruno - Riester Franck - Rogard Pascal - Roubaud Jean-François - Rufo Marcel - Santini André - Schmidt Philippe A - Seydoux Nicolas - Sillard Benoit - Sorbier Laurent - Soriano Sébastien - Soufron Jean-Baptiste - Stener Christophe - Tessier Marc - Thieulin Benoit - Tisseron Pierre - Tronc Jean-Noël - Türk Alex - Tymen Marina - Vanryb Bruno - Verdier Henri - Villedieu Julien - Zimmermann Jérémie –

INTRODUCTION

En feuilletant cette nouvelle édition du Dictionnaire politique d’Internet et du numérique, en découvrant le nom des contributeurs, je me suis dit « quelle somme ! » Et quelle impatience de lire les mots de celles et ceux qui construisent le numérique dans notre pays et pensent l’avenir.

Je partage entièrement le parti pris de l’ouvrage, ambitieux dans son objet comme dans son champ, et qui associe le numérique au politique. Car il n’est plus lieu de considérer le numérique comme un thème technique cantonné à la seule sphère des développeurs, ingénieurs et autres geeks ; il est véritablement devenu un phénomène social, sociétal et économique qui appelle des réponses politiques globales et transversales. De l’étudiant qui suit ses cours sur un Mooc, au couple de retraités qui fait sa première déclaration d’impôts en ligne, en passant par les jeunes parents qui surveillent la santé de bébé à l’aide de capteurs connectés… De l’artisan qui démultiplie ses ventes en distribuant ses produits sur une place de marché, à la start up qui se finance sur une plateforme participative, en passant par la multinationale qui revoit en profondeur sa stratégie pour l’adapter à l’innovation numérique… Du policier qui demande le retrait de contenus illicites au laboratoire pharmaceutique qui s’inquiète d’une fuite de données… Du sociologue qui étudie les nouvelles formes de mobilisation citoyenne au patron de presse qui s’interroge sur la monétisation des contenus journalistiques… Il n’est plus un seul pan des vies intimes et publiques qui n’est pas impacté par l’irruption des technologies et de la culture numérique. Le numérique s’imposera comme une priorité politique absolue dans les années à venir.

Encore faut-il en appréhender pleinement les enjeux, une tâche à laquelle contribuera immensément le présent Dictionnaire mis à jour. Je me suis moi-même pliée au jeu, pour deviner à l’aveugle les entrées : Accessibilité, Afrique ou algorithme ? Data, données personnelles ou democratech ? E-sport ou édition ? French Tech ou fréquences ? Intelligence collective ou artificielle ? Médiation ou mort numérique ? Terrorisme ou transparence ? Mauvaise pioche, mais l’esprit est le même, les entrées sont multiples et les lettres se démultiplient, ce qui est heureux tant il existe toujours un décalage entre l’omniprésence du numérique et son appréhension complexe. De nouveaux sujets ont fait leur apparition depuis la dernière édition, qui reflètent le sens des technologies – blockchain et cloud personnel – ou sont le signe d’une gravité nouvelle : droit à l’oubli, islamisme 2.0, souveraineté, communs, barbares, démocratie, cyberterrorisme. Les attentats qui ont frappé la France en janvier et novembre 2015 ont sans doute marqué un tournant dans notre perception du niveau nécessaire d’intervention publique. Il n’est plus temps d’écouter le lobby de l’impuissance publique qui prônait un laisser faire coupable face aux appels à la haine sur les réseaux sociaux. Et sans paradoxe, les exigences de transparence, d’ouverture et d’affirmation des libertés numériques en sortent plus renforcées encore.

Le numérique et son moteur, la data, est un outil puissant de transformation, qui peut être synonyme de progrès social, d’innovation créatrice, d’essor économique, d’attractivité internationale, de création de nouveaux liens, de transformation des administrations et de renouvellement des pratiques démocratiques. Mais pour atteindre ces objectifs, il faut aussi répondre aux défis nombreux qui se posent : le maintien de la confiance et la protection de l’intimité numérique, l’inclusion de tous les citoyens et de tous les territoires, la préservation d’un internet ouvert et concurrentiel. Voilà le coeur du projet de loi pour une République numérique actuellement en cours d’examen au Parlement. Le texte s’inscrira, je l’espère, dans l’histoire des lois qui ont profondément modifié l’état du droit pour le faire avancer : ouverture et portabilité des données, circulation des savoirs, nouveaux droits des citoyens internautes, loyauté des grandes plateformes, accessibilité et connectivité. Il reste désormais moins de chemin à parcourir pour ériger l’accès à internet en principe universel au niveau européen et international.

De nombreux autres chantiers engagés par le gouvernement se poursuivront au-delà de 2017 : le dynamisme des écosystèmes d’innovation, la couverture numérique de tous les territoires en très haut débit fixe et mobile, l’éducation et la formation à la culture et aux métiers du numérique, la transition numérique des entreprises, en particulier des PME, la dématérialisation des services publics et son accompagnement, la réinvention du dialogue démocratique par le numérique. Je ne doute pas que l’ensemble des contributeurs de cet ouvrage seront toujours aux avants postes pour analyser auprès du plus grand nombre le sens et la portée de ces changements. Le gouvernement aura œuvré pour construire avec les citoyens une République numérique forte de ses valeurs, aux citoyens et aux lecteurs du Dictionnaire politique de l’internet et du numérique de la faire vivre !

Axelle Lemaire

Secrétaire d’Etat chargée du Numérique

AVERTISSEMENT

Cette édition 2016 intègre des contributions nouvelles ou actualisées et reprend des articles publiés dans les éditions 2011 et 2012

Contributions nouvelles

Introduction de madame la ministre Axelle Lemaire

Anonymat et chiffrement – Philippe Aigrain

Barbare - Sébastien Soriano

Block Chain – Clément Janneau

Capitalisme - Yann Moulier Boutang

Cloud personnel – Tristan Nitot

Communs (Biens) – Valérie Peugeot

De la démocratie en numérique – Patrice

Martin-Lalande

Directive «Services média» - Laurence

Franceschini

Diversité culturelle – Patrick Bloche

Droit à l’oubli - Isabelle Falque-Pierrotin

Indépendance – Christian Phéline

Islamisme 2.0 – Christophe Stener

Mash up – Alain Charriras

Métamorphose – Pierre Gattaz

Souveraineté numérique - Bernard

Benhamou

Urgence – Marina Tymen

Articles actualisés

Amour - Christophe Stener

Chine – Christophe Stener

Cinéma - Pascal Rogard

Empire américain - Christophe Stener

Intelligence économique – Alain Juillet

Musique – Alain Charriras

Protestantisme - Marc Pernot

Nous remercions l’ensemble des contributeurs

SOMMAIRE

ACTA - Françoise Castex

Adolescents Marcel Rufo

Aménagement numérique du territoire Bruno Retailleau

Amour Christophe Stener

Anonymat et chiffrement – Philippe Aigrain

Art - Fred Forest

Artisans - Pierre Martin

Audiovisuel - Marc Tessier

Barbare - Sébastien Soriano

Beaux-arts – Christophe Stener

Block Chain – Clément Janneau

Blogosphère - Pierre Bellanger

Capitalisme - Yann Moulier Boutang

Chine – Christophe Stener

Cinéma - Pascal Rogard

Cinémas - Nicolas Seydoux

Cloud personnel – Tristan Nitot -

CNIL - Isabelle Falque-Pierrotin

Commerce électronique - Philippe Lemoine &Isabelle Menant

Communs (Biens) – Valérie Peugeot

Compétitivité – Jean-Hervé Lorenzi

Concurrence - Bruno Lasserre

Contrefaçon – Natacha Jolet-David

Convergence – Francis Lorentz

Copyright - Benoit Sillard

Cybercriminalité - Laurence Ifrah

Cybermonde - Hervé Fischer

Cybersécurité – Nicolas Arpagian

De la démocratie en numérique – Patrice Martin-Lalande

Démocratie et Internet – Christiane Feral-Schul

Démocratie locale – André Santini

Démocratie politique - Benoit Thieulin

Développement durable - Gilles Berhault & Gérard Collin

Directive « Services média » - Laurence Franceschini

Diversité culturelle – Patrick Bloche

Données massives - Henri Verdier

Droit à l’oubli - Isabelle Falque-Pierrotin

Droit du numérique – Alain Bensoussan

Ecole numérique – Vannik Berbérian

Eglise catholique - Jean-Michel Falco di Léandri

Egocratie - Alban Martin

Empire américain - Christophe Stener

Enfance - Isabelle Falque-Pierrotin

Environnement - Christophe Stener

Etat - Christian Paul

Femme - Isabelle Juppé

Filtrage – Jérémie Zimmermann

Fracture numérique sociale - Daniel Kaplan

Gouvernance d’Internet - Christian Huitéma

Gratuité – Laurent Sorbier

Guerre de l’accès - Jérémie Zimmermann

Haut débit - Laure de la Raudière

Humanisme – Alain Bauer

Impôt - Martine Milliet-Einbinder & Jeffrey Owens

Indépendance – Christian Phéline -

Industrie du logiciel - Bruno Vanryb

Innovation - Henri Verdier

Intelligence économique – Alain Juillet

Islam politique – Mohammed El Oilfi

Islam - Malek Chebel

Islamisme 2.0 – Christophe Stener

Jeu vidéo - Julien Villedieu

Jeu vidéo - Georges Fornay

Jeunes - Christophe Stener

Journalisme - Bernard de la Villardière

Judaïsme - Haïm Korsia

Livre - Jean-François Colosimo

Livre numérique – Christophe Stener

Logiciel libre - Frédéric Couchet

Mash up – Alain Charriras

Métamorphose – Pierre Gattaz

Microblogging – Jean-Baptiste Souffron

Mondialisation et numérique - Alban Martin

Multitude - Henri Verdier & Nicolas Colin

Musique - Alain Charriras

Musique et numérique - Jean-Noël Tronc

Net neutralité - Laure de la Raudière

Neutralité d’Internet - Nicolas Curien

Nouvelle économie - Charles Beigbeder

Objets - Bernard Benhamou

Partage - Philippe Aigrain

Patrimoine culturel français – Franck Riester

PME - Jean-François Roubaud

Politiques numériques – Gilles Babinet

Presse - Bruno Patino

Protestantisme - Marc Pernot

Psychanalyse - Serge Tisseron

Racisme - Philippe A. Schmidt

Radio numérique terrestre - David Kessler

Réforme de l’Etat - Dider Migaud

Savoirs - Jean-Noël Jeanneney

Sciences - Claudie Haigneré

Sectes - Aline Goosens

Services publics - Yves Censi

Sexe - Richard Poulin

Souveraineté numérique - Bernard Benhamou

Temps - Jean-Paul Delevoye

Travail - Christophe Stener

Urgence – Marina Tymen

Vie privée - Alex Türk

Index des auteurs

Aigrain Philippe →,→,→,→

Arpagian Nicolas →

Babinet Gilles →

Bauer Alain →

Beigbeder Charles →

Bellanger Pierre →

Benhamou Bernard →,→

Bensoussan Alain →

Berberian Vannik →

Berhault Gilles →

Bloche Patrick →

Castex Françoise →

Censi Yves →

Charriras Alain →,→

Chebel Malek →

Colin Nicolas →

Collin Gérard →

Colosimo Jean-François →

Couchet Frédéric →

Curien Nicolas →

de La Raudière Laure →,→

de La Villardière Bernard →

Delevoye Jean- Paul →

di Falco Léandri Jean Michel →

El Oifi Mohammed →

Falque-Pierrotin Isabelle →,→,→

Féral-Schuhl Christiane →

Fischer Hervé →

Fomay Georges →

Forest Fred →

Franceschini Laurence →

Gattaz Pierre →

Goosens Aline →

Haigneré Claudie →

Huitema Christian →

Ifrah Laurence →

Janne au Clément →

Jeanneney Jean-Noêl →

Jollet-David Natacha →

Juillet Alain →

Juppé Isabelle →

Kaplan Daniel →

Kessler David →

Korsia Haïm →

Lasserre Bruno →

Lemoine Philippe →

Lorentz Francis →

Lorenzi Jean-Hervé →

Martin Alban →,→

Martin Pierre →

Martin-Lalande Patrice →

Menand Isabelle →

Migaud Didier →

Milliet-Einbinder Martine →

Moullier Bout ang Yann →

Nitot Tristan →

Owens Jeffrey →

Patino Bruno →

Paul Christian →

Pernot Jean-Marc →

Peugeot Valérie →

Phéline Christian →

Poulin Richard →

Retailleau Bruno →

Riester Franck →

Rogard Pascal →

Roubaud Jean-François →

Rufo Marcel →

Santini André →

Schmidt Philippe A →

Seydoux Nicolas →

Sillard Benoit →

Sorbier Laurent →

Soriano Sébastien →

Soufron Jean-Baptiste →

StenerChristophe →,→,→,→,→,→,→

Tessier Marc →

Thieulin Benoit →

Tisseron Pierre →

Tronc Jean-Noël →

Türk Alex →

Tymen Marina →

Vanryb Bruno →

Verdier Henri →,→,→

Villedieu Julien →

Zimmermann Jérémie →,→

ACTA

L’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) est un accord mixte (L'Union européenne et ses Etats membres doivent signer et ratifier le texte) conclu le 1er octobre 2011 entre l’Union européenne et dix États tiers (Australie, Canada, Japon, Corée, Maroc, Nouvelle Zélande, Singapour et Etats-Unis, la Suisse et le Mexique ) et dont l'objectif affiché de renforcer les outils juridiques des États signataires décidés à lutter contre la contrefaçon matérielle classique (vêtements, médicaments,…) et la contrefaçon numérique (téléchargement). Il a été rejeté par le Parlement européen le 4 juillet 2012.

Négocié secrètement de 2007 à 2010, tout avait été prévu pour que l’accord soit signé en catimini, contournant les parlements, les organisations internationales et... les citoyens. C’était sans compter sur la vigilance de quelques eurodéputés et sur une mobilisation sans précédent des internautes européens - « Internautes de tous les pays : unissez vous ! », aurait-on lire à l’époque sur le net -. Si le mouvement des Anonymous a popularisé le combat contre ACTA courant 2012, c’est sur la toile, avec des associations tels que la Quadrature du Net ou Reporters Sans Frontières, sur la scène politique européenne, que dès 2010, le front décisif pour le mettre en échec s’est construit.

Alors que les négociations de l'accord étaient empreintes d’un lourd secret, le Parlement européen a obtenu, à coup de résolutions et de pétitions, de la Commission européenne qu’elle respecte le droit de l’Union européenne et l’informe de l’évolution du texte jusqu’à sa signature. Une fois le traité signé, celui-ci a cependant continué de subir de très nombreuses attaques. Les raisons de ces rejets sont multiples et portent aussi bien sur les mesures contenues dans le texte lui-même que sur le message politique qu’il offre aux populations.

En lieu et place des dangereuses obligations portées par les versions initiales du texte, l’accord prévoyait en son sein des formulations obscures et liberticides, ne serait-ce que par l’insécurité juridique patente qu’elles emportent. Le message diffusé par les promoteurs du texte a alors été de dire que les citoyens n’avaient rien à craindre de l’ACTA. Il ne s’agirait que de procédures, de la mise en œuvre, par-delà nos frontières, de droits existants dans nos ordres juridiques. Comme si les avis critiques de la Commission des Libertés civiles du Parlement européen ou encore celle du contrôleur européen de la protection des données devaient être ignorés.

Privé de sens, l’ACTA a finalement révélé le mépris porté par certains aux valeurs démocratiques de l’Union. Les mesures promues par l’ACTA trouveraient leur place en droit quelle que soit la position du Parlement européen. Contrariée par la croissante opposition à cet accord, la Commission européenne a finalement décidé de soumettre ce dernier à l’examen de la Cour de justice de l’Union européenne. Pour la Commission, cet examen devrait primer sur l’expression politique des représentants des peuples européens. Or, si nous avons toujours marqué notre faveur pour la consultation de la Cour de justice, jamais nous n’avons entendu que son avis pouvait blanchir l’affront fait aux citoyens européens.

C’est donc en toute logique que le Parlement européen s’est prononcé contre l’ACTA. Un autre vote aurait validé un processus antinomique avec les valeurs d’un internet neutre, tel que nous le concevons, et, de l’Union politique que nous construisons chaque jour. Concernant la protection internationale du droit de propriété intellectuel, l’Union européenne doit poser, en son sein, les jalons d’une nécessaire collaboration internationale à venir. La révision des textes juridiques européens pertinents sera la scène de ce débat démocratique.

Pour autant, par le vote historique contre l’ACTA, les eurodéputés, appuyés par les citoyens européens, n’ont pas seulement formalisé leur opposition à une vision de la propriété intellectuelle ; ils ont aussi agi pour une Union européenne démocratique. Par ce vote, le Parlement européen a mis les dirigeants européens face à une réalité : celle des contre- pouvoirs démocratiques, de la société civile européenne organisée aux représentants élus au suffrage universel.

Françoise Castex

Députée européenne

Vice-présidente de la Commission des Affaires juridiques du Parlement européen

http://www.francoisecastex.org/

Adolescents

Réduire la toile

Lorsque le vent force, il faut savoir réduire la toile. On sait aussi le temps passé par tous les adolescents du monde à " surfer sur le Net «. Les analogies nautiques s’imposent donc au niveau de cet actuel moyen essentiel de communication.

Il y a de multiples intérêts à utiliser son ordinateur, son portable. Le premier, d’évidence, est un renforcement de la sociabilité, qui, dans sa nouveauté, reprend les chemins les plus classiques du passé. Tel adolescent vient de se retirer des " amis " du site Face book de sa dulcinée, il signifie ainsi au groupe de leurs pairs, son nouveau statut de fiancé libre. De nouvelles solidarités, messages de soutien, SMS amicaux peuplent et enrichissent ce mode virtuel, relationnel, des jeunes d’aujourd’hui.

Mais parlons un peu du gros temps, ce qui est plus dans le champ de notre discipline de psychiatre de l’adolescent.

Le plus banal, le plus courant, c’est de s’agripper à l’ordinateur et surtout aux jeux qu’il propose. Du plus simple au jeu en réseau. On peut néanmoins comprendre l’attractivité ludique de cet outil. Il est sans doute proche des flippers du temps passé, beaucoup plus frustres, alors que les images sont plus complètes, avec une technologie qui, sans cesse, s’améliore. Les thèmes proposés sont ceux de cette période de la vie ; on a ainsi de multiples amitiés virtuelles. Le plus souvent, au bout de quelques mois, parfois une paire d’années, le jeu a moins d’intérêt et il est peu à peu abandonné. Il peut paraître surprenant de considérer comme banal quelques années de dépendance à la machine.

Ne vous souvenez- vous pas de la passion adolescente pour le jazz par exemple et combien de temps, combien d’années, avez- vous été fidèle, voire " addict " pour faire moderne, à ce type de musique libératrice et entraînant Malgré tout un certain nombre de jeunes exagère la durée journalière de fixation à l’écran : plus de trois heures, voire six heures par jour, et ainsi s’isolent de plus en plus du monde réel et social. Ils se désintéressent de leur scolarité, de leur sport ; ne parlons pas du piano de leur petite enfance, et passent leur temps sur la toile avec de multiples stratégies de dissimulation pour éviter la sanction parentale.

Il faut considérer ces comportements non pas tant comme la preuve d’une fragilité, mais plutôt comme le révélateur d’une vulnérabilité. Insistons sur le fait que l’addiction est le signe d’une fragilité narcissique, d’un trouble de l’insertion sociale et d’une carence de l’estime de soi.

Mais grâce à elle, on peut proposer des prises en charge diversifiées qui permettront d’éviter une évolution morbide qui, antérieurement se développait à bas bruit.

L’ordinateur est déjà un outil - diagnostic.

Marcel Rufo

Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - Faculté de Médecine de Marseille Directeur médical de l’Espace Méditerranéen de l’adolescent

Hôpital Salvator à Marseille

Aménagement numérique du territoire

L’avènement du numérique est une véritable révolution qui modifie nos façons de communiquer, de travailler, de nous divertir. Les réseaux forment l’infrastructure essentielle de la société de la connaissance de demain. Mais, si ces nouvelles technologies constituent une formidable opportunité, notamment économique, le risque est grand d’élargir la fracture numérique territoriale avec une France à deux vitesses où les conditions d’accès en débit et en couverture ne seraient pas les mêmes pour tous. Il est évidemment plus facile de déployer les réseaux supportant ces communications dans une zone à forte densité de population. Plus que nos voisins européens, la France possède une ruralité vivante, dynamique et il serait inacceptable de laisser cet espace de vie qui attire de plus en plus à l’écart des innovations technologiques avec un internet des campagnes et un internet des villes. Internet haut débit, téléphonie mobile, télévision numérique terrestre sont ainsi devenus les éléments déterminants de l’attractivité et de la compétitivité de nos territoires.

Si l’aménagement numérique des territoires est devenu un objectif de politique publique majeure c’est bien parce qu’il répond au principe légitime de l’égalité territoriale, égalité qui est par ailleurs « une passion française ». Mais c’est aussi parce qu’il est un enjeu de développement économique essentiel.

Le numérique est en effet un multiplicateur de croissance et de productivité. Un investissement dans ce secteur a trois fois plus d’impact sur la productivité que n’importe quel autre investissement.

Ainsi, un surcroît de couverture de 10% se traduit par un accroissement de 1,3% du PIB. Ce lien entre l’aménagement numérique des territoires et la croissance économique sont donc incontestables.

C’est la raison pour laquelle les collectivités territoriales ont pris le relais des opérateurs de télécommunication pour leur désenclavement numérique. Depuis 2004, elles disposent en effet d’une compétence générale pour ces réseaux et même, lorsque l’initiative privée est défaillante, pour intervenir comme opérateur de communications électroniques. Grâce à leurs efforts et à ceux des opérateurs la France bénéficie d’un taux de pénétration du Haut débit qui est l’un des meilleurs d’Europe et d’une offre de services à des tarifs les plus bas du monde.

Mais les nouvelles technologies de l’information ont quelque chose du mythe de Sisyphe. Rien n’est jamais définitivement acquis et le risque d’une fracture numérique apparaît à chaque nouvelle technologie. Si le haut débit et la deuxième génération de téléphonie mobile couvrent désormais près de 99% de la population, la perspective du Très Haut Débit (THD) fixe et mobile, de même que la TNT suscitent des craintes dans les territoires les moins densément peuplés. Afin d’écarter le risque de l’écran noir, le gouvernement a pris pour la TNT des mesures vigoureuses notamment en demandant au CSA d’augmenter la puissance des émetteurs et en subventionnant l’équipement satellitaire des foyers dans les zones d’ombre. L’abandon de la vieille diffusion analogique et le passage au tout numérique avant le 30 novembre 2011 sont aussi un enjeu capital pour l’aménagement numérique du territoire. En effet, les fréquences qui ont été libérées par cette mutation vont permettre demain d’apporter sur ce que l’on appelle communément le dividende numérique une très grande partie du territoire le THD en usage fixe et mobile, grâce à la quatrième génération de la téléphonie mobile qui permettra des débits théoriques de 100 Mégabits.

Pour répondre à l’accroissement considérable du trafic et à l’émergence de nouveaux usages (interactivité, simultanéité des usages, vidéo haute définition, etc.…) deux grands défis doivent être relevés : celui de la capacité et du débit et celui de la mobilité dans une société où la connexion doit être permanente. Le THD est une nouvelle frontière avec ses promesses en termes de gisement d’emplois et de croissance mais aussi avec ses menaces de laisser pour compte les trois quarts de notre territoire si l’on s’en remet aux seules forces du marché. La loi du 17 décembre 2009 relative à la fracture numérique définit une stratégie nationale qui s’appuie sur des schémas d’aménagement numérique territorial qui devront avoir des périmètres de péréquation et sur un fond qui va être abondé par l’Etat en partie grâce à l’emprunt national.

Au-delà, cette stratégie doit veiller à promouvoir des complémentarités : entre les technologies, puisque la fibre optique n’ira pas partout rapidement. D’autres technologies comme le satellite avec le projet Mégasat ou encore l’hertzien avec le dividende numérique devront être sollicitées. La couverture du territoire en THD sera nécessairement multimodale, entre les opérateurs privés et les pouvoirs publics. Le modèle français de la concurrence pour les infrastructures a aussi encouragé la couverture territoire. Des financements publics trop faciles décourageraient l’initiative privée. En revanche, il est clair que pour les zones les plus rurales, l’intervention publique sera décisive. Mais alors, elle devra être impulsée par les collectivités et non par l’Etat.

Il s’agit d’un vaste chantier de plusieurs années mais qui déterminera la place de la France de demain au sein des grandes puissances numériques.

Bruneau Retailleau

Sénateur de la Vendée

Amour

Dans le film Rendez-vous de Ernst Lubitsch, l’héroïne Margaret Sullavan va retirer en poste restante les lettres de son amoureux inconnu qui n’est autre que James Stewart son collègue du magasin d’articles de mode. Aujourd’hui des centaines de milliers d’amoureux se rencontrent, des âmes seules confient à Internet leurs secrets et envoient des bouteilles sur la mer numérique. Les sites de rencontre comportent une part de recherches d’aventures d’un soir mais elles n’excluent pas un vrai romantisme. Les blogs personnels ou les pages des sites sociaux sont autant de journaux intimes à livre ouvert.

L’amour est toujours virtuel et le numérique vient se substituer au papier. Il permet l’usage d’avatars, dont il est intéressant de noter que pour un hindouiste, il s’agit d’une des représentations de Dieu sur terre et généralement de Vishnu, mais dans le langage courant ont l’assimile à métamorphose mais il a aussi le sens d’un coup du sort, d’un malheur. Pour l’internaute, l’avatar lui permet de dissimuler de l’autre et de lui-même en s’inventant une personnalité plus attirante.

Le marché des sites de rencontre est estimé à plus de 1 milliard € en 2006 dont près de la moitié aux Etats-Unis et de l’ordre de 400 m en Europe. Le marché américain étant mature, la concurrence est animée en Europe, marché encore en forte croissance potentielle avec un CA estimé de 550 m € en 2011. La concurrence se concentre entre les deux leaders mondiaux, Match.com, leader américain qui compte environ 1,350 m d’abonnés contre environ 700 000 pour Meetic mais qui est leader sur le marché européen. Parmi les grands acteurs citons également e.harmony (US), FriendScout (filiale de DeutscheTelekom).

Compte tenu des particularités culturelles des divers marchés, la croissance se fait par l’exportation du site mais beaucoup par le rachat d’acteurs locaux (DatingDirect, Lexa, Parperfeito, Neu.de par Meetic, Netclub par Match.com…). On compte plus de 1000 sites de rencontre en France.

La conquête des abonnés est faite également largement par marketing direct dont le spamming. Meetic déclare investir 50 % de son CA en publicité. Le concept de la rencontre évolue du ‘dating’, recherche de rencontres au ‘matchmaking’, proche des clubs de rencontres et des agences matrimoniales. La rencontre repose sur l’indication de profils construits sur des questionnaires conçus par des psychologues et des logiciels d’appariement.

Certains acteurs nouveaux se développent sur des marchés ‘de niche’ : seniors avec The Right One ou Together dating américains, sites confessionnels, chrétien comme theotokos.fr, musulman comme Mektoube, amourmaghreb.com,juif feujworld.com,… Vinealove pour les oeunophiles…

La pratique des sites de rencontre génère des potentiels conflits de priorités au sein de la sphère professionnelle et de la sphère privée. 24 % des américains avouent consulter les sites de rencontre de leur lieu de travail pour rechercher l’amour, 12 % admettent consulter des sites érotiques, reconnaissant dans leur majorité que cela peut impacter leur productivité au travail. Beaucoup d’entreprises et d’organisations ont pris des mesures techniques pour bloquer l’accès à certains sites. La navigation sur des sites de rencontres documentée par certains conjoints sert de fondement à des demandes de divorce.

Les sites de rencontre sont aussi un business florissant. La France compte au moins 200 sites de rencontres représentant environ 200 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’INSEE comptabilise 18 millions de célibataires en France. Et selon les dernières données de l’institut, 51% des Parisiens seraient célibataires…Près d'un tiers des internautes français déclarent avoir été ou être inscrits sur un site de rencontres sur Internet. Meetic, numéro un sur le marché, créé en 2002, totalise 164 millions d'euros de chiffre d’affaires en EuropeAdopte un mec prévoit 22 millions en 2013. Selon une enquête réalisée par l’IFOP en 2012 : 56% des sondés pensent que les sites de rencontres rendent plus faciles les rencontres amoureuses que par le passé. Les personnes inscrites interrogées à cette occasion ne rêvent pas pour autant de rencontrer le grand amour : ils sont 62% à répondre « une aventure sans lendemain», 38% seulement une « relation sérieuse ». Les femmes sont d’ailleurs –cliché oblige- plus romantiques que les hommes : elles sont 56% à s’être inscrites sur un site de rencontres pour augmenter leurs chances de rencontrer l’âme sœur contre 48% pour les hommes.

Les amours internet ne sont pas que virtuelles et après des rencontres parfois chonométrées ‘speed dating’ vient la désillusion et, quand certains quittaient le foyer familial en prétextant ‘descendre aller acheter des cigarettes’, certains coupent les ponts de quelques clics, mettant le numéro de téléphone et le mail de leur ex en liste noire sur leur téléphone et réseau socialn les ‘ghostant’ de leur vie. Selon un sondage de Fortune, 78 % des 20-30 ans auraient été ainsi ‘ghostées’, en bon français jettés.

Christophe Stener

Droit à l'anonymat et au chiffrement

Le secret des correspondances est la condition d'une société où la pensée est libre. Les régimes qui l'ont massivement bafoué, comme celui de Vichy, sont au ban de l'histoire. C'est moins connu, mais l'existence d'espaces et de temps où l'on peut être anonyme est non moins essentielle à la possibilité de penser et de s'exprimer librement. L'anonymat, c'est le statut sous lequel Voltaire publia le Traité sur la tolérance et le secret des communications était nécessaire pour qu'il puisse le transmettre à son imprimeur. Mais le secret des correspondances et la possibilité de l'anonymat ne sont pas nécessaires seulement aux lanceurs d'alerte ou à ceux qui veulent dénoncer l'injustice. Chacun et chacune en ont besoin, qu'il s'agisse de communiquer avec un proche, un médecin ou un avocat, un amant, un collègue ou un délégué syndical ou de pouvoir être quelque part ou s'exprimer sur internet en n'étant pas reconnu ou tout au moins – dans l'espace physique – seulement par ceux qui vous connaissent déjà.

Le devenir de ces droits à l'anonymat et au secret des communications est comme pour d'autres droits soumis à des tensions contradictoires à l'âge numérique. Pour le résumer en une phrase : ces droits ne peuvent survivre que si l'on accepte qu'ils soient renforcés. Ces droits sont en réalité en état de siège. Le numérique permet une capture systématique des données d'usage de toutes les applications connectées, la localisation de tous les dispositifs, la mise en place dans l'espace public d'une surveillance systématique des présences et des actes. Cette capture massive d'informations a des conséquences qui sont grandement amplifiées par la centralisation depuis une dizaine d'années des applications clé du numérique au-delà de celle plus ancienne des moteurs de recherche. Réseaux et médias sociaux, hébergement de médias, applications en ligne, stockage des données dans un nuage (cloud) qui n'est brumeux que pour les usagers, tout concourt à que les données les plus personnelles et les plus révélatrices soient capturées. Même l'activité d'écrire, de penser pourrait-on dire (puisque raturer un mot pour le remplacer par un autre dans un brouillon révèle la pensée la plus intime) est capturée en temps réel lorsqu'on utilise un outil d'écriture en ligne. Toutes les enveloppes sont ouvertes par défaut si l'on veut filer plus loin la métaphore du courrier. Et l'exploitation des données correspondantes fait l'objet d'un gigantesque partenariat public-privé réunissant les grandes sociétés de l'internet (même si elles se plaignent à l'occasion d'y être contraintes) et les services de sécurité et de police.

Si toutes les enveloppes sont ouvertes par défaut, si chacun est observé partout, l'anonymat et le secret des pensées et des communications, l'intimité qui est la condition de l'existence et de la pensée libre ne peuvent survivre que si l'on permet à chacun d'utiliser des moyens qui empêchent de façon solide la lecture des contenus ou la reconnaissance des personnes. Or qu'observons-nous : exactement l'inverse. On a mis hors la loi avec des sanctions sévères le fait de dissimuler son visage dans l'espace public. Les outils qui permettent le chiffrement et l'anonymisation des communications et activités sur internet ont connu d'importants progrès techniques et leur usage est devenu plus aisé. Le chiffrement de bout en bout en logiciels libres avec des clés fabriquées sur la machine de l'usager et sous son contrôle, des logiciels comme Tor pour l'anonymisation des échanges et navigations et comme Tails pour la combinaison des deux en sont des exemples. Ces outils et leur usage sont devenus essentiels à l'activité sociale et économique. Mais cela n'empêche pas les responsables politiques de multiplier les efforts pour en interdire l'usage ou les affaiblir de façon à ce qu'ils puissent les contourner pour surveiller et soupçonner tout un chacun.

Il est devenu vital pour les droits fondamentaux que chacun comprenne que c'est la surveillance de masse elle-même qui constitue un régime totalitaire et non les motifs invoqués pour la développer. L'anonymat et le secret des communications et activités numériques sont les conditions contemporaines pour que l'article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ne devienne pas une aimable fiction :

Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.

Philippe Aigrain

Co-fondateur de La Quadrature du Net, Philippe Aigrain est informaticien, essayiste et poète. II a été membre de la Commission « numérique » de l'Assemblée nationale dont le rapport recommande d'affirmer le droit à l'anonymat et au chiffrement. Avec la romancière Céline Curiol, il vient d'éditer Surveillances, un recueil de textes littéraires aux Éditions publie.net.

https://www.laquadrature.net/fr

Art

Hier l'artiste laissait sa trace dans un espace physique (les murs des cavernes, le marbre de Carrare, la toile de lin) en confrontant directement sa pratique à la matière physique pour laisser son empreinte au monde. Aujourd'hui, s'il inscrit son signe identitaire dans l'univers des réseaux, son œuvre est partout à la fois. Pour diffuser son œuvre, et lui donner existence sociale, il n'est plus contraint de façon, quasi obligée, de passer par des pouvoirs institutionnels, politiques, culturels, marchands...

Le numérique est émancipateur de l’œuvre d’art en autorisant sa " déterritorialisation ", son autoproduction, sa visibilité planétaire et lui procure une liberté nouvelle. Cela conduit l’artiste à avoir des initiatives, et à ne pas limiter son activité à l’espace de son atelier, ni à celui des institutions muséales ou marchandes. Pour les artistes du numérique, le virtuel signifie aussi que l’artiste n’a plus de contact direct avec la matière, le pigment, la toile. Ceci induit que le " geste créateur " se déplace, et que son résultat ne soit pas uniquement une image ou un objet fini, mais une puissance générative qui appartienne à l’ordre du temps et de l’événement, une œuvre, échappant à la permanente immobilité des arts de l’espace euclidien.

Avec les arts du virtuel nous sommes en situation de rupture par rapport aux arts plastiques traditionnels par le passage d’une économie de stock à une économie de flux. La définition même de la conservation traditionnelle de la mémoire, en vue d’un usage pérenne, est mise à mal par cette rupture car l’art numérique est fondé sur des principes inverses : multiplicité, reproductibilité infinie, donc impossibilité d'appropriation. Une œuvre qui se veut expérience plus qu’objet, flux plus que stock. Comment, dans de telles conditions organiser la rareté, créer de la valeur marchande ?

J'ai moi-même tenté d'apporter en 1996 une réponse en forme de provocation, en mettant aux enchères publiques (mise à prix 0 franc) une œuvre numérique on line intitulée Parcelle Réseau, image créée sur Internet mais sans référent physique autre que celui de ses propres pixels constitutifs, à l'Hôtel Drouot sous le marteau de Maître Jean-Claude Binoche. Deux acheteurs ont ainsi payé 58 000 frs, un code d’accès sur Internet qui leur a été communiqué, confidentiellement, en échange de leur règlement. L’œuvre numérique, Parcelle-Réseau, produite à cette occasion est bien plus qu’une œuvre numérique. Il s’agit en effet, au-delà de l’image représentée et de la technique numérique utilisée, d’une œuvre critique, relevant des systèmes complexes, dans laquelle sont partie prenante, autant pour sa forme que pour son sens : le cadre social, ses acteurs et leur idéologie.

L’infini diversité des œuvres réalisées sur Internet rend difficile leur définition aussi bien que leur classement en genres spécifiques. Certaines de ses œuvres sont essentiellement visuelles (Miguel Chevalier, Sophie Lavaud, Joseph Nechvatal) d’autres relèvent de la communication sociale (Olga Kisseleva, David Guez, Ricardo Mbarkho) d’autres du sémantique (Jean-Pierre Balpe) d’autres des principes d’une navigation complexe (Maurice Benayoun , Gregory Chatonsky, Karen O’Rourke, Olivier Auber) d’autres encore de contenus sociaux-critiques et politiques (Antoni Muntadas, Etoy Corporation, Fred Forest, le Tech Model Rail road du MIT)) d’autres, enfin, du détournement (Christophe Bruno, Yann Thomas, Eduardo Kac, Nicolas Frespech).

Dès les années 1990, on voit naître des artistes pionniers comme Jodi, Vuk Cosic, Alexei Shulgin, Heath Bunting, Nathalie Bookchin, Roy Ascott qui révolutionnent l’art en transposant leurs productions d’art plastique sur Internet en y apportant ces trois dimensions supplémentaires qui sont désormais : interactivité et participation active du public, réalisation dans un nouvel espace immatériel et communication à distance différée ou instantanée. Ces données nouvelles, imposent nécessairement l’élaboration de nouvelles grilles d’interprétation et d’analyse de ces productions « autres », afin qu’elles puissent être appréhendées pour ce qu’elles sont et …sans référence obligée au passé. Le Web, par ailleurs, étant un objet dynamique en constante évolution, qui met en jeu l’hybridation des langages, des formes et des techniques, ces œuvres ne sont « saisissables » que dans le mouvement inhérent à cette condition.

L'art numérique, par ses pratiques de communication instantanée à distance dans les réseaux, de tous ces artistes du Net Art, ci-dessus cités, nous confronte brutalement à une quasi-abolition de l'espace, et témoigne, tout simplement, ici et maintenant, du changement fondamental de notre rapport au monde, dans lequel ces pratiques artistiques nous impliquent et nous immergent étroitement.

Fred Forest

Artisans

Les artisans disséminés sur l'ensemble du territoire assurent un rôle de service de proximité et un lien social incontestable. Présent dans les secteurs de l’alimentation, du bâtiment, de la production et des services, l’artisanat rassemble plus de 510 activités différentes et occupe ainsi une place importante dans l’économie de notre pays. Avec plus de 3 millions d’actifs, l’Artisanat entend rester pour longtemps la « Première entreprise de France ».

Parmi les points positifs de leur vie professionnelle, les artisans citent, en masse, les relations avec leurs clients (96%), largement devant leur rémunération (41%). Cet élan humaniste naturel leur est d’ailleurs bien rendu par l’opinion publique qui indique à 95% avoir une image positive de l’Artisanat.

Mais ce tableau idyllique ne doit pas masquer leur difficulté à se mouvoir dans ce nouveau monde aux teintes numériques. Car contrairement à l’idée reçue, la fracture technologique en France dans les très petites entreprises n’est pas réduite. En effet, près des deux tiers des TPE ne sont toujours pas présents sur le Net contre plus de 90% des PME. A la source de cette situation, on relève une combinaison d’éléments structurels et culturels.

L’une des raisons structurelles les plus néfastes fut la mise en place tardive et encore incomplète du haut débit dans les zones rurales. L’entreprise artisanale très présente dans nos campagnes (31%) n’a pas pu, en effet, profiter du potentiel d’Internet au même rythme que ses consœurs les PME. Au surplus, cette situation pose à différentes échelles géographiques des inégalités évidentes de chance en termes de compétitivité.

Mais le frein le plus prégnant reste l’identité même de l’artisan. Comment, en effet, ces hommes dépositaires de nombreux savoir-faire transmis par l’apprentissage, adeptes du « bouche à l’oreille » pour se faire un nom, peuvent-ils trouver de façon naturelle un intérêt au développement de l’Internet et du virtuel Dès 2000, le réseau des Chambres de Métiers et de l’Artisanat (CMA) s’est emparé de cette problématique et de ses enjeux pour son secteur, en mettant en place des formations et des outils spécifiques. En 2007, les CMA entrent dans le programme gouvernemental « passeport pour l’économie numérique ». Ce plan national est destiné à sensibiliser les TPE en exposant, à l’occasion de sessions gratuites, les bienfaits des technologies numériques. L’opération, à ce jour encore en cours, ne mobilise pas suffisamment les artisans. Raison principale ? Le manque de temps. Revêtant dans une journée les différents costumes de chef de chantier, de chargé de communication, de comptable, de DRH, ces hommes et ces femmes sont en effet confrontés à une charge de travail importante. Et pourtant, c’est bien à l’occasion de ces rencontres qu’ils pourront découvrir les apports concrets d’Internet pour leur communication mais aussi les effets positifs sur l’ensemble des fonctions de l’entreprise. Au total, l’introduction des TIC dans leur gestion pourra assurément leur faire gagner ce temps qui leur est si précieux. Le développement des outils nomades, la mise en place des téléprocédures donnant accès 24h sur 24h aux administrations et aux banques sont en effet particulièrement adapté au rythme de l’artisan.

Au fond, Internet est l’un de ses meilleurs amis, mais le problème c’est que l’artisan ne le sait pas encore ou pas suffisamment ! Mais la situation n’est pas aussi verrouillée qu’elle n’y paraît. De nombreux signes montrent que les artisans ne rateront pas, en cette deuxième décennie de notre siècle, ce virage technologique. Il en va pour certains d’entre eux de leur survie.

Ainsi, à titre d’exemple un brodeur de Saône-et-Loire décide d’abattre sa dernière carte pour sauver son entreprise en investissant dans un site web. Deux ans plus tard, l’entreprise réalise près de 80% de son chiffre d’affaire sur Internet. L’un des avantages d’Internet, c’est qu’avec cet outil « on peut être petit et avoir l’air d’être grand ».

Autre signe positif, la multitude d’entreprises artisanales positionnées sur des petits segments de marché répondant aux attentes d'une clientèle étroite. Il est incontestable que pour ces activités de niche, seule une démarche commerciale volontaire sur Internet peut leur assurer la visibilité nécessaire pour lancer leur activité et la rendre pérenne.

Citons aussi ces sous-traitants de l’industrie automobile qui possèdent un savoir-faire de très haute technicité et qui utilisent quotidiennement les nouvelles technologies numériques.

Le tableau de « l’artisan et de l’Internet » ne serait pas complet si l’on passait sous silence les métiers d’art. Ses gardiens des techniques traditionnelles de fabrication pourraient bien être paradoxalement les meilleurs ambassadeurs d’Internet pour l’artisanat. En effet, ils ont compris très tôt que le web allait leur ouvrir leur zone de chalandise bien au-delà de leur atelier. Pour ces artisans, Internet n’est rien d’autre qu’un canal supplémentaire qui dans leur schéma vient comme un « facilitateur de relations humaines » réduire le temps et l’espace sans en bousculer forcément leur précieux équilibre séculaire.

De même qu’il existe des centaines de métiers différents dans l’artisanat, il existe de multiples réponses pour prendre le virage du net. Pour que ces réponses soient efficaces il semblerait utile de mettre en place une enquête ad hoc sur cette thématique pour notre secteur. Les indicateurs ainsi obtenus permettront d’établir un plan de sensibilisation et la conception d’outils encore plus adaptés.

Pierre Martin

Président de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de Région Bourgogne

http://www.artisanat-bourgogne.fr/

http://www.upa.fr/index.php

Audiovisuel

Les nouvelles structures

L’Audiovisuel, et son encadrement réglementaire comme son financement, entrent dans une nouvelle ère, celle de la concurrence, de l’ouverture internationale et plus largement, de la diversité qu’offre la diffusion numérique. On peut le regretter, en souligner les risques, ou même en refuser les conséquences sur la création, mais rien ne pourra endiguer le mouvement engagé, pas plus que n’ont pu être contenues dans leurs domaines respectifs les percées réussies de groupes tels que Google, Amazone, Apple et autres… Il n’est ni possible, ni réaliste, d’interdire aux téléspectateurs français d’accéder à des services performants comme Apple Tv, Google Play, Youtube Channels qui vont s’approvisionner aux mêmes sources que leurs homologues français (films et séries, jeux, sports mais avec des meilleures conditions notamment quant au prix d’acquisition) et avec le souci de programmer aussi des œuvres ou émissions plus spécifiquement nationales. Les Pouvoirs Publics ont déjà fort à faire pour contenir le piratage sur Internet…

Comment pourraient-ils justifier qu’ils cherchent à bloquer des services et offres légales, d’un prix compétitif et accessibles aux autres publics européens ?

Oui, nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Se clôt celle qui a commencé il y a plus de quarante années par la création d’un petit nombre de chaînes, offertes gratuitement et disposant d’un accès privilégié aux téléspectateurs par le truchement de l’allocation de fréquences hertziennes rares. Le câble, puis le satellite ont certes ouvert une nouvelle étape, plus diversifiée dans les offres, mais fortement encadrée par des règlements. Le recours à l’abonnement a permis également d’élargir l’assiette économique de l’audiovisuel. La concurrence s’est faite plus vive au niveau de chaque bassin culturel et/ou national même si des concentrations en ont limité l’effet sur les marges opérationnelles des diffuseurs (4 groupes majeurs en France, 3 en Allemagne, 2 en Italie, 3 en Grande Bretagne, etc.…).

La clé du succès ? L’accès aux fréquences hertziennes jalousement gardées et attribuées, non pas par enchères financières, mais en contrepartie d’obligations et d’engagements de programmation plus ou moins contraignants.

De nombreux pays ont édictés des règles pour que cette situation d’oligopoles publics et privés ne se développent pas au détriment de la création et des producteurs indépendants. La France en premier lieu, mais aussi les pays Anglos saxons, le Japon, la Corée etc.… L’Europe s’est efforcée de coordonner et d’harmoniser ces politiques, parfois avec succès, mais l’initiative dans ce domaine est restée du ressort des Etats.

Cet univers, plus ou moins favorable à la création, avec ses défauts que l’on observe en France dans le domaine de la fiction et ses avantages (par le financement du cinéma ou le documentaire notamment) repose sur des bases qui s’effritent :

D’abord, parce que l’internaute et le téléspectateur ne font plus qu’un. On l’a assez souligné et cela, quel que soit l’angle d’analyse retenu (technologique, sociologique, consumérisme) :. Il a désormais accès à tout, ne s’interdit rien, compare et choisit. La création nationale ne peut désormais jouer que de sa qualité propre, de sa proximité avec les goûts et les attentes de son public et de sa capacité à se diffuser en dehors des frontières. Le concept de quotas de diffusion obligatoire a perdu de sa pertinence dans un monde où la consommation est personnelle.

Ensuite, parce que les droits se négocient dans un double cadre (territorial certes au plan juridique mais aussi par référence au poids économique relatifs des acteurs mesurés au plan international, que ce soit pour les films, le sport, les images d’actualités…). Les professionnels français sont désormais mis en concurrence avec des groupes étrangers, y compris pour l’accès aux évènements majeurs et aux programmes nationaux.

Enfin, parce que l’accès aux téléspectateurs n’est plus contrôlé, mais ouvert au point même que les acteurs internationaux sont parfois privilégies sur leurs homologues nationaux divisés entre eux.

Le tout, sans oublier le double jeu des Autorités Européennes qui d’un côté encouragent la création nationale (quotas, programme média, directives SMAD…) et de l’autre plébiscitent les acteurs internationaux qui développent une stratégie pan européenne.

Cette nouvelle ère est bien celle d’une mutation profonde. Elle conduit à repenser « l’exception culturelle », fondement des politiques audiovisuelles en Europe ; en tenant compte des nouveaux modes de diffusion et du contrôle de plus en plus vigilant des internautes/téléspectateurs.

Les réglementations technocratiques, l’adoption de règles spécifiques au niveau national, la recherche parfois sans nuance d’une « exception française » en Europe, sont autant de mode de pensée qu’il faut désormais considérer comme du passé. Tout simplement parce qu’il n’y a plus de frontières et que même un pays centralisé et despotique comme la Chine peine à contrôler son marché audiovisuel intérieur et recourt pour y parvenir à des procédés qu’il serait regrettable de transposer en démocratie.

Dans ce nouveau cadre, comment agir ? Est-il possible de construire une « exception culturelle européenne » respectueuse des cultures nationales et décentralisée ? Peut-on encore soustraire le marché audiovisuel français à la pression des opérateurs internationaux ?

Quelques pistes de réflexion :

Concurrence et ouverture ne doivent pas être synonymes ni d’oligopole, ni d’intégration verticale ni de pratiques d’exclusivité .L’Europe doit se doter d’un code de pratiques et d’usages qui préservent, et la diversité des acteurs, et les chances des opérateurs nationaux (producteurs comme diffuseurs). Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Lier le recours à des exclusivités à des engagements de financement Renforcer les circuits du financement en s’appuyant sur des institutions telles que le CNC en France ou les fonds régionaux et assoir leurs ressources sur des prélèvements au niveau de l’usager.

Plus spécifiquement consolider les pratiques favorables à la création en conduisant des négociations au niveau européen :

Droits d’auteurs et droits voisins

Chronologies de diffusion

Réglementation des prix, notamment.

L’audiovisuel, comme le livre ou la musique ne peut pas de concevoir sans une coopération entre les acteurs travaillant dans des univers distincts (Telecom, électroniques grand public, internet, diffuseurs, producteurs, acteurs). Les équilibres sont trop subtils pour ne pas être codifiés et les interventions publiques mieux dosées que pour d’autres secteurs d’activité économique. Oligopoles et création ne font pas bon ménage …

Marc Tessier

Président de Videofutur - www.videofutur.fr

Président du Syndicat des Editeurs de VOD (SEVAD).

Barbare

L’article « Barbare (philosophie) » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert commence ainsi : « c’est le nom que les Grecs donnaient par mépris à toutes les nations qui ne parlaient pas leur langue, ou du moins qui ne la parlaient pas aussi bien qu’eux ». A l'origine, le terme désigne donc une différence de langue, mais il s'est rapidement élargi et traduit aujourd’hui une vision plus négative, distante, de l’étranger. « Barbare » évoque ainsi un envahisseur conquérant, souhaitant imposer ses mœurs et son pouvoir en détruisant la civilisation en place - même s'il en résulte en fait souvent une synthèse.

Dans le numérique, la qualification de « barbare » fait référence aux entrepreneurs qui révolutionnent, grâce aux outils numériques, les secteurs d’activités qu’ils traversent. Ces nouveaux barbares appartiennent à des tribus très variées, mais partagent une même idée : celle d'utiliser les nouvelles technologies pour changer le monde tel qu’on le connaît.

Dans son essai intitulé « Les barbares. Essai sur la mutation », Alessandro Baricco analyse cette mutation génétique mondiale qui provoque l’effacement progressif d’un monde « vertical » au profit d'un monde « horizontal » permis par les nouvelles technologies. Sa conclusion ? Rien ne sert de résister, mieux vaut adopter au plus vite la langue de ces barbares des temps modernes pour réussir à sauver ce qui vous est cher.

Ces nouveaux barbares sont de plus en plus nombreux, et obligent tout le monde à se remettre en cause : si certains secteurs comme l’industrie du disque ou les voyages sont déjà convertis, d’autres sont en train d’y goûter. Alors que BlaBlaCar barbarise la SNCF et que Critéo colonise les terres de Publicis, KissKissBankBank s'attaque à la chaine de financement et Doctissimo aux consultations médicales.

Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas à la seule sphère business : après les FinTech, BioTech, FoodTech, LegalTech, etc. les barbares de la CivicTech s'intéressent aujourd'hui aux systèmes politiques et aux initiatives citoyennes. La Paillasse construit un réseau mondial de laboratoires ouverts et citoyens et les startups d'état du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) inventent un Etat-plateforme dont le rôle est de créer les conditions permettant une autoorganisation de cette puissance qu’Henri Verdier et Nicolas Colin appellent « la multitude ».

Et même les régulateurs s'y mettent ! L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a ainsi organisé en 2015 son colloque annuel sur le thème « barbariser la régulation », en partenariat avec TheFamily et d'autres régulateurs : l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Consumer and market authority (CMA) britannique.

L'une des conclusions de ce colloque est que les modèles créés par ces nouveaux barbares doivent désormais servir d'inspiration pour moderniser la régulation à l'heure du numérique, dans l’objectif de construire une « régulation-plateforme ».

Nouveau mode d'intervention affirmé par l’Arcep à l’issue de sa revue stratégique, la régulation par la data est l'application concrète de cette logique.

Il s'agit d'utiliser le pouvoir de l’information pour construire une régulation plus efficace et moins intrusive. Plus efficace parce que le secteur des télécoms touche tout le monde par le biais de la connectivité et il se produit donc autour de lui une quantité énorme de données, dont l’exploitation peut être riche d’enseignement pour la régulation du secteur lui-même. Moins intrusive parce que l’action indirecte, par la data, délègue aux utilisateurs une partie de la fonction d’arbitre du régulateur : au lieu de prendre une décision juridiquement contraignante, il s’agit de donner à chaque utilisateur le pouvoir de faire avancer les acteurs économiques dans la bonne direction.

« Il n'existe pas de forteresse imprenable, il n'y a que des attaques mal menées » disait le marquis de Vauban. La citadelle de la régulation ne doit pas faire exception à cette règle si elle veut jouer son rôle d'aiguillon dans un écosystème toujours plus diffus, mondialisé et porteur de ruptures.

Sébastien Soriano

Président de l’Arcep

http://www.arcep.fr/

Beaux-Arts

L’enseignement artistique et la formation technique des artistes est très enrichie par le numérique. Les professeurs des écoles font ainsi un usage ‘militant’ des outils numériques.

La création artistique trouve dans les outils numériques des sources d’inspiration et d’expression de la forme de l’objet artistique variables selon les formes d’art. La peinture reste largement réticente au recours aux outils numériques. L’architecture, recherche un équilibre entre l’esquisse numérique et le geste de la main.

Le numérique, outil de création musicale (Quatuor Illiac’, Yannis Xenakis…) peut devenir manipulation de la réalité pour obtenir un beau artificiel comme la voix du castrat Farinelli. La photographie et le cinéma ont été profondément enrichis par le numérique s’agissant des retouches des photos, des effets spéciaux du cinéma. Le numérique a permis le cinéma d’animation qui aborde aujourd’hui la 3D. Les jeux vidéo sont une forme d’expression littéraire et artistique totalement numérique. Les jeux dits sérieux (didacticiels, logiciels de stratégie,…) en sont une autre illustration.

Le recours au numérique comme outil de création d’œuvres artistiques est revendiqué comme continuité du geste artistique et comme rupture avec l’art ‘traditionnel’ par ses théoriciens et praticiens. Le numérique autorise en effet une interactivité nouvelle entre le spectateur et l’œuvre.

Cette idée d’interactivité entre l’œuvre et le spectateur fonde des spectacles de danse ou de théâtre. De manière plus radicale encore, certains artistes revendiquent la création d’œuvres éphémères ou purement virtuelles. Certains tenants de l’art ‘traditionnel’ voient dans le Net Art une forme de canular quelque peu dadaïste. La musique aléatoire créée à partir d’ordinateur, ou de la concaténation de SMS (projet Art Internet de création d’œuvres artistiques à partir de messages Twitter), n’est pas sans rappeler la ‘dictée automatique’ des surréalistes.

La recherche artistique, la connaissance des artistes et des œuvres, l’expertise artistique s’appuient de manière toujours accrue sur des outils numériques. Datation des œuvres, détection de faux, analyse des ‘regrets’ des peintres, connaissance des techniques anciennes (pigments, mode d’abrasage des pierres,…), ‘autopsie’ de la momie de Ramsès, passage aux rayons X de la Joconde, … le numérique est partout dans les laboratoires des musées.

La conservation numérique des œuvres d’art est essentielle pour la restauration et la préservation des films anciens, la numérisation des manuscrits, la capture en images 3D des monuments, la sauvegarde de la musique non notée notamment des peuples ‘primitifs’…. Cette numérisation est très coûteuse et donne lieu aujourd’hui à un débat passionné autour de la numérisation du patrimoine public.

L’enjeu du numérique pour les musées est double : un enjeu de promotion et un enjeu d’accessibilité. Les musées ne peuvent rayonner que grâce à des sites internet de promotion de leurs collections et de commerce électronique offrant services de billetterie et boutiques en ligne. Des musées comme le musée Pompidou abordent une autre étape qui vise à permettre au visiteur de préparer son itinéraire. Malraux aurait certainement composé ainsi son Musée imaginaire s’il avait vécu au XXIe siècle. Le projet ‘Google art project’ provoque la même fracture, que ‘Google books’, entre ceux qui voient en Google un partenaire et ceux qui voient en lui ‘un marchand du temple’ et déplorent le semi échec d’Europeana. Internet et les outils numériques sont de formidables outils de démocratisation de l’accès à l’art. Les bases de données numériques permettent la consultation aisée du patrimoine artistique mondial à tout internaute. Nous sommes entrés dans une époque de consommation artistique et notamment muséographique de masse. La consommation de masse conduit au marketing et à la vente de produits dérivés qui choquent l’amateur d’art éclairé élitiste mais faut-il mépriser cette démarche alors même qu’elle permet aux grandes institutions d’assurer une part importante de leur équilibre financier ? Certains artistes vont se faire ‘marketeurs’ pour prendre des parts de marché que leurs seuls mérites purement artistiques ne leur auraient pas assuré mais échapper à l’emprise des intermédiaires.

Le marché de l’art est impacté par le développement d’Internet. Des milliers de sites marchands existent. L’impact le plus fort d’Internet est sur le marché des œuvres d’art intermédiaires, aujourd’hui segmenté nationalement, voire localement, entre les mains de spécialistes. La massification rendue possible par les galeries virtuelles n’a pas échappé à l’appétit des acteurs généralistes comme eBay et d’acteurs spécialistes comme Art net, Artprice…. 20 % la part du commerce électronique mondial, estimé à 43 milliards d’euro, se fait sur Internet. Internet est également un moyen de ‘désintermédiatisation’ qui permet l’autopromotion d’artistes sur la toile, créateurs de leur propre galerie virtuelle ou par l’intermédiaire de galeries promouvant de jeunes artistes comme Artfloor, Internet permet également la constitution de bases de données d’objets volés grâce à Interpol.

La promotion du patrimoine artistique culturel national repose largement sur un usage efficace des outils numériques. L’ouverture du Louvre d’Abou Dhabi a fait l’objet d’une forte controverse. Qu’on s’en afflige ou qu’on la soutienne, la compétition entre quelques très grands musées est internationale avec une politique de marque. Guggenheim installe des ‘franchises’ à Bilbao, Venise, Berlin, Abu Dhabi. La France peut-elle, pour paraphraser Mac Luhan, rester en dehors de ce ‘village culturel et artistique mondial’ ?

Christophe Stener

www.stenerconsulting.fr

Blockchain

La blockchain est une technologie éminemment politique. Pour bien le comprendre, il est d'abord essentiel de revenir à son origine : le bitcoin. Blockchain et bitcoin sont en effet historiquement indissociables : la blockchain, qui n’est initialement que l’architecture sous-jacente au bitcoin, est née en même temps que celui-ci, en 2009, dans un contexte de défiance massive vis-à-vis des institutions financières et des Etats.

L’éclatement de la plus importante crise financière et économique depuis les années 1930 n’est évidemment pas sans lien avec l’arrivée du bitcoin. Par nature, l’idéologie qui sous-entend le bitcoin s’oppose aux institutions financières centralisées, en s’inscrivant dans une mouvance libertarienne, voire crypto-anarchiste. L’épisode de la crise chypriote de 2013 est à ce sujet intéressant : le bitcoin avait connu un regain massif d’intérêt suite à l’annonce de la banque centrale de Chypre selon laquelle les titulaires de comptes de la plus grande banque du pays, la Bank of Cyprus, allaient être ponctionnés et perdre 60% de leur épargne au-dessus de 100.000 euros. Le bitcoin a alors été vue comme un remède à la dépendance des citoyens au système bancaire traditionnel.

Au-delà du seul bitcoin, le cœur de la blockchain réside dans la désintermédiation qu’elle rend possible. Sa promesse n’est rien de moins que de rendre caduques les tiers de confiance. La blockchain repose en effet sur le principe d’un réseau décentralisé, où les données sont partagées entre les différents utilisateurs, publiquement et sans intermédiaire.

Les premiers grands acteurs touchés par la blockchain pourraient être les établissements financiers. Le caractère décentralisé de cette technologie permet en effet en théorie à de multiples acteurs d’offrir facilement certains services financiers. La désintermédiation rendue possible par la blockchain pourrait même permettre de se passer complètement de certains acteurs financiers existants, notamment pour les transferts d’argent entre particuliers. Ainsi, sur les plusieurs milliards d’euros par an que représentent les mouvements financiers des diasporas vers les pays émergents, près de 10% sont aujourd’hui prélevés par un acteur comme Western Union. Un rapport de l’ONG l’ONG britannique Overseas Development Institute (ODI) paru en 2014 relève par exemple que la diaspora africaine perd près de deux milliards d’euros par an en raison du coût d’envoi des transferts d’argent. A cause d’un manque de concurrence, l’Afrique subsaharienne va même jusqu’à subir les frais de transferts les plus élevés au monde - quasiment le double de la moyenne mondiale - alors qu’il s’agit de la région la plus pauvre qui soit. La blockchain a ici un rôle considérable à jouer en permettant de réduire les frais de transferts à quelques centimes – outre le fait que ces transferts pourraient être effectués quasiment sans délai d’attente.