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Que Dreyfus est capable de trahir; je le conclus de sa race, déclara Maurice Barrès. Ce livre analyse à travers 300 caricatures l'antisémitisme de l'iconographie de l'Affaire. Parce que Dreyfus était juif, parce que certains de ses soutiens étaient francs-maçons, protestants; libres-penseurs ou socialistes, le fantasmé Syndicat Dreyfus fut accusé de livrer la France à l'ennemi allemand. Nourri de l'antijudaïsme millénaire, exacerbé par la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la métaphore religieuse Judas fit florès. Au(delà d'un homme c'est tout le peuple juif qui fut honni selon le syllogisme Dreyfus-Traître-Judas-Juif.
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Seitenzahl: 270
1ère
V. LENEPVEU, Musée des Horreurs n° 53, c.1900 (DP)
4e
LE PETIT, Ecrasons l’infâme, Dessin, Musées de Bretagne
« Un Juif nous espionnera, nous trahira » La Libre Parole 1892 1
« C’est la fatalité du type » Edouard Drumont, La Libre Parole2
Un Juif, « j’aurais dû m’en douter ! » Jean Sandherr*, chef de la Section des Statistiques de l’Etat-Major, en 1894 3
Figure 1 La Libre Parole, 6 novembre 1894 (DP)
« La culpabilité [de Dreyfus] est absolue, certaine. » Mercier, Ministre de la Guerre le 28 novembre 1894 soit un mois avant le Conseil de guerre 4
« Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race » Maurice Barrès 5
1 ANGENOT Marc. « Un juif trahira » : La préfiguration de l'Affaire Dreyfus (1886-1894)
2 BREDIN Jean-Denis, L’Affaire, Paris, Julliard, 1983, p. 84
3 THOMAS Marcel, L’Affaire sans Dreyfus, Fayard 1961p.130 cité par BREDIN p.69
4 MERCIER, déclaration au Figaro du 28 novembre 1894, Le Figaro cité par JARNIER p.216
5 BARRES Maurice, Doctrines du nationalisme, Félix Guven, 1902 p.152
Nos remerciements à Joël Auvin alia Nono, dessinateur de presse pour sa caricature (mars 2020) :
Nos remerciements à Jean-Luc Jarnier, auteur d’une thèse (2017) qui fait référence par l’étendue de son érudition et la pertinence de ses analyses, pour nous avoir donné l’autorisation de reproduire les œuvres de sa collection personnelle et pour ses conseils judicieux sur notre recherche. Toutes les imperfections de cet ouvrage restent les nôtres bien évidemment.
Cette étude est centrée sur l’étude de l’antisémitisme et en particulier le recours aux métaphores inspirées de l’antijudaïsme religieux, notamment celle de Judas Iscariot. Il ne s’agit ni d’une histoire de l’Affaire ni d’une présentation même synthétique de son immense iconographie. Nous renvoyons pour une approche plus systématique aux ouvrages indiquées en bibliographie et, au premier chef, à celui de monsieur Jean-Luc Jarnier.
Cet ouvrage est un développement à part du chapitre consacré à Dreyfus du tome III de mon livre Iconographie antisémite de la vie de Judas Iscariot (BOD 2020) auquel il est fait quelques renvois. Les deux ouvrages peuvent se lire séparément.
Un peu plus de 250 dessins de presse sont cités et commentées dans cet ouvrage. Pour le confort de lecture, tous ne sont pas reproduits dans cet ouvrage. Un lien internet hypertexte permet dans la version électronique de cet ouvrage de les consulter en pleine page via internet. La liste des œuvres figure en annexe. Les œuvres reproduites dans cet ouvrage sont pour la plupart dans le domaine public (DP). Celles provenant de collections privées sont signalées par « CP», les musées et collections publiques, le cas échant, indiquées.
Une table des principales personnalités représentées, signalées par une * et deux ** pour les dreyfusards, est annexée indique leur rôle dans l’Affaire.
Une table des journaux et dessinateurs cités dans cet ouvrage figure en annexe. Les noms des DESSINATEURS de presse sont en majuscule et indexés dans l’index général des noms. Les noms des journaux sont italiques.
La bibliographie reprend les seuls ouvrages cités, les principales bases documentaires consacrées à l’affaire ainsi que celles consacrées à la caricature politique. Le chercheur y trouvera l’indication d’ouvrages de référence et de bases bibliographiques sur l’Affaire.
Remerciements
Avertissement
Introduction
La France à la veille de l’Affaire Dreyfus
« La ligne bleu des Vosges » Jules ferry
On ne touche pas à l’Armée !
Une France chauffée à blanc par Panama et la guerre entre l’Eglise et la République laïciste
La trahison du Juif Dreyfus, une « divine surprise » pour le camp nationaliste
La France conservatrice a peur
Le complot judéo-maçonnique et le Syndicat Dreyfus
L’antisémitisme, ‘mal commun’ des nationalistes de tous bords
La caricature haineuse à la hauteur d’un art
Panama, un scandale d’Etat
La séparation de l’Eglise et de l’Etat
La séparation de la France siamoise
Caricatures cléricales
Caricatures anticléricales
Chronologie sommaire de l’Affaire
La France divisée par l’affaire Dreyfus
Dans la rue …
… au sein des familles…
… dans la chambre à coucher …
… dans le couple Jaurès …
Les partis politiques divisés par l’affaire Dreyfus
A droite
A gauche
La bataille de la presse
Les forces en présence
« Le grand coupable, la cause de tout le mal, est le papier noirci »
« La presse en rut »
Du tac au tac, la bataille des unes
Une presse d’actualité parfois non immédiate
« L’âge du papier »
« L’image monstre » La caricature, à la fois reflet et excitation de l’opinion publique
La presse étrangère
L’antisémitisme professionnel, un métier lucratif
Dessinateur de presse, un business
Une caricature de combat
Dreyfus, douze ans de mensonge d’Etat
L’antisémitisme dans l’iconographie de l’Affaire
Introduction
Résumé de l’accusation antisémitique
Judas, une efficace parce qu’obvie métaphore
La « question juive » dans l’Affaire
Dreyfus, Français avant d’être juif
Prudence et attentisme de la communauté juive de France
Codes antisémites ou comment dessiner un Juif
Inversion thématique de la caricature dreyfusarde
Traitre à la France
La France de Vercingétorix, Clovis, et tutti quanti
Le Juif voilà l’ennemi !
La France de Jeanne d’Arc
Attaquer l’Armée, c’est attaquer la France
Les Intellectuels, tête de turc des imagiers
L’Eglise vient au secours sinon de la République, de la France sa « fille ainée »
Le Juif moque les symboles des grandeurs de la France
La République menacée de l’intérieur par les Juifs
La République manipulée par les Juifs
Marianne vendue à l’ennemi
La France menacée par le crime de droit commun…
… et les anarchistes
Réplique de la caricature dreyfusarde
Les dreyfusards, trouble à l’ordre public
L’armée en danger
La menace d’une guerre
Le Juif, une cinquième colonne fautrice de guerre
« Au commandant Esterhazy, la France reconnaissante »
Le
coup d’Etat judiciaire
de l’Etat-Major
André, tête de turc de la caricature antidreyfusarde
.....
La Justice, juge et partie à l’Affaire
La Justice prise à partie
« Arma cedant togae »
Une cour de cassation aux ordres des Juifs puisqu’indépendante cqfd
Le Juif infiltre la Justice
Le Juif, ennemi de l’Eglise catholique
Une Eglise de France antisémite
Une Eglise en lutte contre la République laïciste
La métaphore pieuse au service de l’antidreyfusisme clérical
Abel et Caïn
Alchimie, Magie noire
Apôtre
Archange
Assomption
Baptême
Bons bergers
Bouc émissaire
Confession
Croix
Dieu protège la France
L’athéisme, religion nouvelle
L’irreligion, Emile Combes en est apôtre
Henri Brisson, apôtre du bloc Dreyfus
Jugement dernier du Syndicat
Nativité
Saint Picquart
Martyr
Satan & consorts
Veau d’or
Vierge Marie
Les protestants, des « demi-juifs »
Le complot judéo-maçonnique, soutien de Dreyfus
Antimaçonnisme clérical
Antimaçonnisme nationaliste
Antimaçonnisme anticlérical
Léo Taxil
Adversaire de Drumont
Antimaçon et anticlérical
L’Assiette au beurre
La Bastille
L’antisémitisme, ‘mal commun’ du camp antidreyfusard
L’arrestation de Dreyfus, une « divine surprise » pour Drumont et consorts
L’antisémitisme n’est pas né avec l’Affaire Dreyfus…
L’antisémitisme un business
Drumont, un national-socialiste ?
Il faut radier les Juifs des liste électorales !
Il faut chasser les Juifs de l’armée !
L’antisémitisme des catholiques
Le Juif voilà l’ennemi !
Antisémitisme social
Fouriéristes
La Libre Parole, antisémite et social
Antisémitisme nationaliste
Antisémitisme socialiste
Antisémitisme anarchiste
Syndicat juif Dreyfus
Un Syndicat financé par l’ennemi allemand
Le Syndicat à la manœuvre pour faire réhabiliter Dreyfus
Le Juif n’aime pas le populo
Judas
Introduction
Judas dans la caricature dreyfusarde
Calvaire
Chemin de Croix
Crucifixion
Graal
« Judet Iscariot »
La bourse de Judas
Pendaison de Drumont
Traitre
Judas défendu par ses frères
Les trente deniers
Baiser de Judas
La pendaison de Judas
Damnation
Le Juif, un métèque apatride
L’alliance israélite universelle
La Juiverie apatride
Le nouveau Juif errant, la finance juive internationale
Le Juif rêve de contrôler le monde
L’internationalisme, la faute aux socialistes
Le délit de faciès
,
l’antisémitisme à l’état pur
Antonomase antidreyfusarde
Animalité – Zoomorphisation du Juif
Araignée
Chenille
Hydre
Pou
Sauterelle
Singe
Scorpion
Botanique
Castration
Circoncision
Le sécateur de « Kabosch d’Ane »
Circoncision « Judas est-il coupable ? Non, il est déjà coupé ! »
Le sécateur du philosémite Zola pour « aller se faire… youtre ! »
Cochon
Nez sémite
Oreilles
Lubricité / Infidélité / Adultère
Suif
« Une shoah de papier »
La ‘nuit de cristal’ des antidreyfusards
Un antisémitisme ordinaire
Jouets antisémites
Contenir le Juif aux frontières
Bouter les Juifs hors de France
Massacrer les Juifs
Tous au Pilori !
Reinach, au pilori !
Zola, à la potence !
Dreyfus, au poteau !
« Une solution finale de papier »
Brûlement en effigie
Autodafés
L’argent du sang « Juifs, en France seul le sang peut laver cette tâche »
La réclame récupère l’affaire pour vendre des savons
Il faut couper les têtes…
Les Juifs, à la lanterne !
Edouard Drumont, l’Ogre antisémite
Drumont, La France juive (1886
)
Almanach de La libre parole
La Libre parole illustrée
Drumont croquant croqué
« Cette admirable race aryenne qui
a rendu tant de services à l’humanité »
Drumont, national-socialiste ?
L’inversion des symboliques par la caricature dreyfusarde
Anticléricalisme
L’alliance du sabre et du goupillon
La défense de la République
Dérision de Ferdinand Walsin-Esterhazy
Le Uhlan
La dame voilée
Les références à la vie du Christ
Archange Michel
Barrabas
Bouc émissaire
Bûcher
Calvaire
Chevalier blanc
Crucifixion
Christ laïc
Entrée à Jérusalem
Jean-Baptiste
Christ aux outrages
Zola aux outrages
Résurrection
David
Enfer
« Judet Iscariot »
Justice
Martyrs
Nativité
Noé
Noël
Flagellation
Inquisition
Passion
Sainteté
Satan - Lucifer
Judas
La bourse de Judas
Pendaison
Conclusion
Liste des oeuvres
Dessinateurs et journaux
Dessinateurs
Introduction
Liste nominative
Organes de presse
Presse française
Presse étrangère
Table des sigles
Bibliographie
Biographies
Index des noms
Près de deux mille ouvrages et articles racontent et analysent l’Affaire Dreyfus, l’étude de son iconographie a donné lieu à moins de production littéraire demeurant un domaine plus confidentiel malgré l’extrême popularité de la caricature humoristique de CARAN d’ACHE « Ils en ont parlé » sur le repas de famille ruiné par la discussion tournant au pugilat des convives. Depuis l’ouvrage contemporain de John Grand-Carteret (1898), premier prosopographe de l’Affaire, de très érudits chercheurs, Guillaume Doizy, Raymond Bachollet, Bruno de Perthuis, notamment, ont recensé et éclairé les images de l’Affaire. Le travail de récolement fait par les musées à l’occasion en 2006 du centenaire de la réhabilitation du capitaine est remarquable et offre au chercheur des bases d’œuvres numérisées précieuses. Des centres de recherche académiques (Euris) et privés (Caricadoc, Caricatures et caricature, notamment) publient d’excellentes monographies. La remarquable thèse de Jean-Luc Jarnier (2007) est venue heureusement proposer une vaste et pertinente lecture de l’iconographie.
Le présent ouvrage propose un prisme plus étroit, celui de l’analyse de l’antisémitisme dans le dessin de presse. Ce travail est le développement d’un ouvrage, en cours de publication, sur L’iconographie antisémite de la vie de Judas Iscariot. Notre angle d’étude est le recours à la métaphore religieuse, et, en particulier, l’invocation de « Judas ! » comme insulte allégorique dans le vocabulaire imagier. Deux mille ans d’antijudaïsme chrétien font de l’interpellation « Judas », une vindicte porteuse de sens obvie bien que multiple : judéité, traitrise, cupidité, félonie, hypocrisie, infidélité, relaps. Le verbe nationaliste fait de la supposée trahison d’Alfred Dreyfus un nouveau déicide celui de la France chrétienne, celle de Marie, celle de Vercingétorix, celle de Jeanne d’Arc. Dans la France humilié de la honteuse défaite de Sedan, en une République subie avec réticence par une part des catholiques conservateur, menacée par l’aventurisme d’un Boulanger en 1888-1889 celle de Déroulède en 1899, l’armée seul rempart contre l’ennemi allemand et protecteur des institutions, est sanctifiée, devient intouchable. L’espionite fait rage. La lutte des Républicains laïcistes pour encadres les activités d’enseignement des Congrégations religieuses traverse l’époque et deviennent force de loi en 2001 (associations) et 2005 (séparation de l’Eglise et de l’Etat). Le soutien actif de la Franc-Maçonnerie à la République des Ferry, Gambetta et Jaurès, l’athéisme publié du Grand Orient de France, en font l’ennemi déclaré de l’Eglise de Rome par l’encyclique humanum genus (1884). L’antijudaïsme enseigné dans les séminaires devient antisémitisme virulent d’une partie du bas clergé ; un curé de campagne qui versant son obole à la souscription lancée par La Libre parole pour venir en aide au commandant Henry suicidé après avoir avoué sa forgerie, le « faux patriotique » (Maurras), indique prier « pour avoir une descente de lit en peau de youpin ». Le scandale de Panama (1889) qui met en cause plusieurs affairistes juifs dont le baron Jacques de Reinach, grand-oncle et beau-père de de Joseph Reinach, journalistes, politicien, ardent dreyfusiste et chroniqueur de l’Affaire, constituent les ingrédients de l’expression antisémitique dans l’image antidreyfusarde. Les menées anarchistes d’un Ravachol, les meurtres en série d’un Vacher, la résurgence de la Saint-Barthélemy, l’hostilité à l’ennemi allemand, mais aussi anglais qui humilie la France à Fachoda (1898), l’internationalisme socialiste d’un Jaurès, les grèves ouvrières, constituent autant d’ingrédients politiques que les caricaturistes associent dans leurs charges graphiques.
Que Dreyfus soit alsacien et que sa famille ait quitté Mulhouse pour opter pour la nationalité française, qu’il ait choisi la carrière militaire pour reprendre l’Alsace et la Lorraine, qu’il soit riche et donc non corruptible, qu’il soit Juif très assimilé, qu’il soit grand, blond et aux yeux bleus, peu importe, il est juif. Un Juif, « j’aurais dû m’en douter ! » déclare Jean Sandherr*, chef de la Section des Statistiques de l’Etat-Major, l’anti-espionnage français dès 1894 lors de l’erreur initiale d’expertise graphologique qui deviendra un mensonge d’Etat obstiné qui durera douze ans (1894-1906) ? 6 « L'attente produisit son objet » 7, les dénégations du Kaiser Guillaume II de de toute relations avec Dreyfus ne fient que renforcer les convictions hostiles, les aveux de Henry puis son suicide devinrent un assassinat perpétré par les dreyfusistes, la mort accidentelle de Syveton un assassinat maçonnique, le complotisme avait ‘force d’évangile’. Les aveux mêmes et la fuite du Uhlan Esterhazy ne dissuadèrent pas les révisionnistes de bâtir force théories fumeuses pour ne pas exonérer Dreyfus de toute culpabilité. Barrès fera reproche à Dreyfus et à ses soutiens de pas avoir accepté l’injustice même car « son pire crime est d’avoir servi pendant cinq ans à ébranler l’Armée et la Nation totale ». 8 Les dessinateurs de presse prétendant raconter l’Affaire, en dévoiler les tenants et les aboutissants, trompent sciemment leurs lecteurs.
Plus fortes pour la propagande que les caricatures, les photomontages se sont développés au cours de l’affaire Dreyfus en particulier de la part du camp antidreyfusard pour inventer des pièces à charge. La Ligue antisémite de Jules Guérin est notamment l’auteur d’un cliché truqué montrant Picquart à Karslruhe en compagnie de Schwarkoppen. Pour dénoncer ces procédés, Yves Guyot le directeur du Siècle publia en 1899 par dérision des clichés improbables : Reinach et Drumont, Guyot et Méline, Zola et Davoust. 9 On trouvera dans les caricatures ici analysées nombre de ces manipulations. Pour n’en citer qu’une des plus flagrantes, l’association des soutiens de Dreyfus avec Vacher un tueur en série ou avec les anarchistes.
Le syllogisme « Dreyfus trahi – Dreyfus est Juif – Tous les Juifs sont traitres » peut se lire dans les deux ans comme un palindrome logique. « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race » doctrine Maurice Barrès 10 . L’antonomase Dreyfus-Juif-Traitre est pour le lecteur du Petit journal, le journal le plus vendu au monde avec cinq millions d’exemplaires revendiqué en 1899, journal dirigé par ‘Judas-Judet » (Couturier) non pas à démontrer mais une évidence. Si l’Affaire lava la gauche socialiste de la tentation de la perversion antisémite, elle « a définitivement lié l’antisémitisme à l’idéologie réactionnaire » 11 et développera un trésor de topoï iconographiques dans lequel l’extrême droite et le national-socialisme nazi puiseront. La reprise d’un dessin de CARAN d’ACHE de 1898 à la une rédigée en 1939 par Lucien Rebatet du Je suis partout cf. Fig. 301 et les caricatures de FIPS alias de Philipp Rupprecht dans Der Stürmer de Julius Streicher 12 illustrent cette filiation spirituelle et imagière. « L’Affaire Dreyfus n’est qu’un épisode, mais le plus significatif, d’une guerre civile qui dure encore » écrira en 1962 François Mauriac. 13
Anatole Leroy-Beaulieu, professeur à l’École libre de sciences politiques de Paris, collaborateur régulier de la Revue des deux Mondes, membre de l’Institut et engagé depuis une dizaine d’années dans la lutte contre l’antisémitisme, auteur de Les Juifs et l’antisémitisme. Israël chez les Nations 14 publie En 1902 Anatole Leroy-Beaulieu publie Les Doctrines de haine, l’antisémitisme, l’antiprotestantisme, l’anticléricalisme 15.
Personnalité qui échappe aux catégories politico-idéologiques de cette époque : grand bourgeois, politiquement libéral, c’est un catholique convaincu, l’un des rares à être ouvertement dreyfusard. Dans le conflit des « deux France » il ne peut être rangé dans aucun des deux camps. Selon lui, la violence politique de son temps est le résultat de trois doctrines « haineuses », l’antisémitisme, l’antiprotestantisme et l’anticléricalisme, même s’il en existe d’autres, qu’il cite, comme l’antiparlementarisme, l’antimilitarisme et l’anticapitalisme. On verra à travers les caricatures présentées dans cet ouvrage combien l’antisémitisme est la fange commune dans laquelle se roule un assemblage disparate d’anciens boulangiste, de royalistes, de nationalistes cléricaux mais aussi anticléricaux, de libertaires et d’anarchistes, de pieux catholiques et d’athées militants, qui selon leur obédience teintent leur antisémitisme de protestations d’amour pour la France chrétienne, la République, Marianne, l’Armée, le populo. L’Affaire brouille les lignes, divise les partis et les sensibilités, le nationalisme et l’antisémitisme rassemblent un camp, l’exigence de justice l’autre.
L’angle d’analyse de cet ouvrage, l’antisémitisme dans l’image de l’Affaire, par l’accumulation d’images antisémites, donne un sentiment de saturation thématique qu’il convient certes de relativiser au regard de l’énorme production graphique 16 mais qui fait date car elle libère la plume en amplifiant l’outrance parolière. « Le Juif fait vendre » ce constat cynique des pamphlétaires populistes crée une concurrence, une surenchère dans l’outrage. L’antisémitisme est aussi un business qui enrichira un Drumont dont La France juive est un immense succès de librairie. Un Taxil et un Drumont se détestent et s’affrontent aux élections. En conclure que toute la France de Dreyfus est antisémite serait aussi simpliste que de décrire la France comme coupée en deux par l’affaire ce que l’image de CARAN d’ACHE tend à laisser penser mais soulignons ici que l’antisémitisme alors n’est pas le mal commun de la droite nationaliste, d’une part du catholicisme, mais aussi d’auteurs anticléricaux (Léo Taxil,…), de journaux libertaires (La Calotte, L’assiette au beurre,…), de l’anarchisme (Proudhon,…), d’une part des socialistes (Blanqui,…). De même, il est faux, factuellement, de faire de la controverse entre opposants et tenants de la révision du jugement de 1894 puis de la complète réhabilitation de Dreyfus, un combat être chrétiens et juifs car nombre de chrétiens comme Péguy, Leroy-Beaulieu, pour ne citer qu’eux, ont été d’ardents défenseurs de la justice mais, aussi, parce que les principaux leaders dreyfusistes n’étaient pas juifs, Zola, Gambetta, Jaurès, même si leur engagement leur valut d’être sémitisés, « Gambetta juif » est un des poncifs de l’iconographie antidreyfusarde, et, également, parce que la communauté juive de France resta, pour son immense majorité, prudemment à l’écart de l’Affaire, soucieuse d’affirmer par sa neutralité son attachement à la République qui en avait fait des citoyens à part entière, attitude qu’un Léon Blum lui reprocha à mots non couverts. Dreyfus n’a jamais fait état de sa judéité ni pour y voir la cause de l’injustice qui lui était faite ni pour appeler à une solidarité de sa communauté. Si l’antisémitisme fut le fonds commun d’une coalition hétérogène d’antidreyfusards, hétérogénéité dont témoigne les innombrables moqueries et jalousies entre eux, le philosémitisme ne fut en rien le moteur du « Syndicat Dreyfus » pour reprendre ce terme du camp opposé, mais bien l’exigence de justice, celle qui inspira le Commandant Picquart qui disait en novembre 1898 : « Je ne comprends pas pourquoi je suis exalté par les uns et injurié par les autres. Je n’ai fait que mon devoir. »
Excessive donc l’imagerie antisémite de l’Affaire, oblitérant l’argument par l’insulte. « Au lieu de la grande satire sociale, ce sont les attaques personnelles, ce sont les injures graphiques, digne pendant des insultes que distille avec amour la presse quotidienne. Comme la plume et comme la parole, l’image crie, assourdit, attaque, accuse, grossit, exagère» formule John Grand-Carteret. 17 L’image forme l’imaginaire 18, la caricature la déforme. « Mentez, mentez quand même effrontément » s’indigne un abonné catholique face à la presse anticléricale, « Conspuez, conspuez toujours » intimait Henri de Rochefort à l’encontre de Zola, chaque camp on le verra à travers ces images pratique l’insulte, la calomnie et l’ordure parfois sans hésitation mais souvent avec un admirable trait de plume.
L’Affaire n’est pas franco-française, l’immense prestige international de Zola fait se passionner les rédactions de Vienne, Berlin, Bruxelles, Londres, Moscou… parfois stupéfiées par la passion française.
La caricature dépasse parfois son objet créant soit une hagiographie soit une mise aux orties par le simple pouvoir de l’image, de la charge, du trait assassin. « L’iconoclasme n’est que l’envers du culte des images » (Hans Beling). « Les héros ne valent que par l’interprétation qu’en donnent les artistes … (car l’artiste) crée de toute pièces le héros ou il le refait ; et c’est tel qu’il restera» écrit un critique de l’époque 19 . « Je n’étais qu’un simple officier qu’une tragique erreur a empêché de suivre son chemin» écrira Dreyfus à l’automne de sa vie, dépassé par l’Affaire, objet d’une haine qu’il ne comprenait pas restant confiant dans la Justice de la République et l’honneur de l’armée, héros malgré lui, héros dont les habits furent trop grands pour lui au dire de Péguy qui eut ces paroles cruelles au lendemain de l’affaire, lui reprochant avec Zola d’avoir accepté la grâce du Président Loubet : « Investi héros malgré lui , investi victime malgré lui, investi martyr malgré lui, il fut indigne de cette triple investiture. Historiquement réellement indigne. Insuffisant au-dessous incapable, indigne de ce triple sacre, de cette triple investiture. » Nous serions morts pour Dreyfus et Dreyfus n’est pas mort pour Dreyfus ». 20
C’est donc à une découverte de l’immense et souvent insupportable imagerie antisémite de l’Affaire que nous invitons le lecteur. On brûla Zola et Dreyfus en effigie, on appela les ‘vrais Français’ à chasser les Juifs de France, « La France aux Français » est le slogan de La libre parole de Drumont. On brisa de vitrines, on tenta de lyncher Dreyfus et Zola, on tenta d’assassiner Me Labori, son avocat avec Me Demange, mais aussi, c’est moins connu, Dreyfus en 2008 lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon. On tua des Juifs dans les rues d’Alger. La presse antisémite par le texte et par l’image appela au pogrom. La galerie de caricatures que vous découvrirez dans cet ouvrage ont « la férocité de la peur » selon la formule d’Anatole France dans son eulogie de Zola lors de son enterrement le 5 octobre 1900. 21 l’appel au meurtre parfois explicite en fait une « Shoah de papier ».
Puisse cet ouvrage contribuer à contrebattre l’ « enseignement de la haine » (Jules Isaac) propagé encore chaque jour par des mauvais prêcheurs.
6 THOMAS Marcel, L’Affaire sans Dreyfus, Fayard 1961p.130 cité par BREDIN p.69
7 BOUSSEL Patrice, L'Affaire Dreyfus et la presse, Julliard, 1960, p.11
8 BARRES Maurice, Doctrines du nationalisme, Félix Guven, 1902, p.209
9 TILLIER Bertrand, Les artistes et l'affaire Dreyfus: 1898-1908, Champ Vallon, 2016 pp.191-192
10 BARRES Maurice, Doctrines du nationalisme, Félix Guven, 1902 p.152
11 BREDIN Jean-Denis, L’Affaire, Paris, Julliard, 1983 p. 483
12 STENER Christophe, Iconographie antisémite de la vie de Judas Iscariot, Tome III, BOD, à paraître
13 MAURIAC François , Préface 1962 à la réédition de DREYFUS Albert, Cinq années de ma vie, 1901
14 LEROY-BEAULIEU Anatole, Les Juifs et l’antisémitisme, Israël chez les nations, 1894, Archive org
https://archive.org/details/lesjuifsetlanti01beagoog/page/n11/mode/2up
15 LEROY-BEAULIEU Anatole, Les doctrines de haine, 1902, Gallica,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k551908.texteImage
16 JARNIER Jean-Luc, L'affaire Dreyfus et l'imagerie de presse en France (1894-1908), Farina Ed. 2020 T I p.10
17 GRAND-CARTERET John, L’affaire Dreyfus et l’image, Flammarion, 1898, p.18 reproduction en ligne Gallica
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72898n.pdf
18 STENER Christophe, Iconographie antisémite de Judas Iscariot, T II, L’art chrétien, un art militant, BOD, 2020
19 SOUGUENET Léon, critique de La Plume cité par TILLIER Bertrand, Les artistes et l'affaire Dreyfus: 1898-1908, Champ Vallon, 2016 p.233
20 PEGUY Charles, Notre jeunesse, 1933, pp. 195-196 cité par BREDIN, p. 449
21 FRANCE Anatole cité par BREDIN Jean-Denis, L’Affaire, Paris, Julliard, 1983 p. 417
Si la France se fracturera autour de l’Affaire, elle est déjà divisée à la veille de l’inculpation d’Albert Dreyfus.
La défaite militaire imputée à Bazaine, la perte de l’Alsace et la Lorraine et la haine, mais aussi la peur, de l’ennemi allemand sont une plaie non refermée. Sinon le revanchisme, le nationalisme est non négociable dans l’opinion publique. Thème de littérature dont le chantre est Maurice Barrès, le nationalisme est un fonds de commerce politique pour des aventuriers politiques. Le coup d’Etat militaire évité par l’irrésolution d’un Boulanger tente les Déroulède* et autres Guérin*. La supposée trahison d’Alfred Dreyfus sera perçue comme un coup de poignard dans le dos ; c’est ce qu’exprime ce dessin de FORAIN publié dans Le Figaro, 25 décembre 1894, Après le verdict (série Le doux pays) (JJL 216) « D’Alsace – Bravo ! » s’exclame un père de famille alsacien du territoire sous occupation à l’adresse de soldats français.
Figure 2 FORAIN, Le Figaro, 25 décembre 1894, Après le verdict (série Le doux pays)
PILOTELL Georges, La Caricature politique, 11 mars 1871,L’exécutif « La France, incarnée par un corps de femme, est amputée d’un bras, marqué d’un double cœur percé portant l’inscription « Alsace-Lorraine ». Le sang s’écoule dans un casque à pointe fiché dans le sol « (JJL p.→)
Figure 3 PILOTELL Georges, La Caricature politique, 11 mars 1871,L’exécutif
Figure 4 FORAIN, Psst...! n°80 12 août 1899, Dans les Vosges
FORAIN, Psst...! n°80 12 août 1899, « Dans les Vosges » (CP) Un Juif désignant la ligne bleue des Vosges : « C’est de la-pas que j’esbère la fengeance ! »
Le peuple français est dans l’affliction de la déroute militaire de 1870 et orpheline de ses deux filles, l’Alsace et la Lorraine. L’Armée est le rempart face à l’ennemi allemand, au-delà de la « ligne bleu des Vosges » (Jules Ferry) que La France rêve de reconquérir. Un consensus politique, de la droite à la gauche socialiste, interdit de porter atteinte au prestige de notre Armée. « Depuis 1871, la France vaincue vivait dans l’humiliation et l’animosité à l’égard de l’Allemagne victorieuse. … L’espionnite et la xénophobie sont à cette époque les effets naturels de cet amour, douloureux et crispé, d’une patrie vaincue. » 22 La France républicaine s’enthousiasme pour un allié pourtant improbable, la grande Russie des Tsars. Les antidreyfusards feront reproche aux défenseurs de Dreyfus d’avoir affaibli la France en semant la division par leur obstination à obtenir la réhabilitation du capitaine. Quand bien même Dreyfus ait été innocent, l’intérêt supérieur de la nation commandait de juger l’Affaire jugée, telle est la conviction publiée de Barrès. L’Etat-Major fera de l’infaillibilité de l’Armée un acte de foi, faisant d’une instruction bâclée un crime d’Etat par la fabrication de fausses preuves et la manipulation des Conseils de Guerre.
La violence de la campagne de presse opposant dreyfusards et antidreyfusards, l’antisémitisme assumé, revendiqué, argument de propagande des opposants à la révision du jugement du Conseil de guerre de 1894, se comprennent par le fait que l’Affaire intervient comme une « divine nouvelle » pour le camp nationaliste, et en particulier catholique, dans une France chauffée à blanc par le scandale de Panama et la lutte engagée par la République laïque pour soumettre les Congrégations religieuses, lutte qui s’armera de la loi de 1901 sur les associations et aboutira à la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Les Trublions nationalistes végétaient, prophètes de malheur : « Autour du lit de pourpre et de fumier où se meurt cette société en décomposition, le Peuple attend » 23 peu écouté ; le scandale de Panama leur donne de la vigueur ; l’Affaire leur donnera toutes les audaces de tous les excès de langage et aussi d’ambition. Au lendemain de la déconfiture du boulangisme, la trahison du juif Dreyfus vient remettre en selle les Déroulède*, Rochefort*, Guérin*, Drumont*, solidaires dans la haine, concurrents dans l’arène politique. Le fait que Dreyfus soit un officier juif est proclamée comme la preuve de la justice de ses prédictions. Qu’il soit, et veuille bien rester pendant la décennie du mensonge d’Etat, , coupable est indispensable pour que prospèrent leurs boutiques de discorde.
22 BREDIN Jean-Denis, L’Affaire, Paris, Julliard, 1983 p.485
23 DRUMONT Edouard, La Fin d'un monde (1888) Fin du chapitre 1
L’Eglise catholique a accepté avec réticence d’accepter le fait accompli de l’Etat républicain. Le Pape Pie XI (1846-1878) « prisonnier du Vatican » durant le plus long pontificat de l’histoire formolise l’Eglise dans son Syllabus. Après la pieuse République versaillaise de Thiers et Galliffet, le Sacré-Cœur est menacé par le militantisme des Jules Ferry et l’anticléricalisme du « Petit Père Combes ». L’Armée dont le haut commandement est peuplé d’officiers issus des « jésuitières » devient le rempart de la France chrétienne. La chasse aux officiers juifs, apatrides, espions par race, occupe les colonnes de La Libre Parole de Drumont. Socialisme et anarchisme (Ravachol*) , mouvements sociaux, sont perçus par la France profonde, celle des campagnes, tenue par des aristocrates et notables, élus locaux s’appuyant sur un bas clergé antisémite (Cf. Monument Henry), comme semant la zizanie, un ferment de guerre civile. La délinquance de droit commun, celle de Vacher* le tueur en série, sont agités comme des épouvantails par la presse antidreyfusarde.
L’emprise du Grand Orient de France sur les institutions par l’appartenance supposée de nombre de dirigeants républicains, le plus emblématique étant « le petit Père » Combes, est honnie par les milieux catholiques qui dénoncent la pieuvre qui veut étouffer la France dans les tentacules de la haute finance apatride juive et de l’athéisme. La légende ( ?) du « signe de détresse » maçonnique qu’aurait fait Henri Brisson* du haut de la tribune de la Chambre des députés le 22 juin 1899 est apporté à preuve. Cf. LEPNEVEU, Musée des horreurs, n°15, Signe de grande détresse, 1900 (CC) Le « Syndicat Dreyfus » n’est qu’un avatar du mythe du complot judéo-chrétien auquel on ajoute pour faire bon poids les Protestants et les Libres-penseurs.
L’antisémitisme en France n’est pas, contre une idée reçue parfois, né avec l’Affaire. Le feu haineux couvait depuis les années 1880 Cf. infra Antisémitisme mais ce qui n’était que libelles obscurs et inconnus du grand public devient une vulgate par la force de l’incantation d’un Taxil ou d’un Drumont. Les populistes nationalistes feront commerce d’antisémitisme, rivaliseront d’abjection dans l’imprécation. L’antisémitisme fait vendre. Les journaux populaires dans leur course aux abonnés, les dessinateurs de cartes postales, les fabricants de jouets ‘amusants’ font répandre par les camelots leur odieuse marchandise. Faute d’actualité plus croustillante, les feuilles à un sou relancent à satiété le feuilleton du juif Dreyfus. En face, le Figaro doit mettre en sourdine son soutien à Dreyfus devant la fuite des abonnés. La guerre médiatique est aussi une affaire d’argent. Cf. infra Guerre de la presse
Les thématiques du rejet du métèque, du « youtre », préexistantes à l’Affaire, vont être déclinées ad nauseam