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Judas Iscariot est une figure majeure du récit évangélique. Sans Judas pas de mort de Jésus-Christ en Croix et pas de Rédemption. Le geste de Judas, sa livraison de Jésus, sa trahison traduira à tort Jérôme dans sa Vulgate dans une intention accusatoire qui nourrira deux mille ans d'antijudaïsme chrétien, reste un mystère. Les motivations de l'Iscariot ne sont pas explicitées par Marc et Matthieu, Luc et Jean introduisent Satan dans l'intrigue évangélique, Jean invente l'avarice mais ne convainc pas. Pourquoi Jésus a-t-il laissé ce disciple agir ? Ne lui a-t-il même pas enjoint de le faire ? La fin de Judas, suicidé ou mort par accident, ayant survécu, reste incertaine. Les Ecritures autorisent bien des théories. Le cas Judas est une crux theologia. Face à ces apories, la littérature religieuse glose, celle profane invente un passé, une famille, des amours, un caractère au disciple égaré pour instruire son procès, à charge ou à décharge selon les auteurs. Hagiographié, sanctifié ou en Enfer pour l'éternité ? Judas le félon, le traître, le perfide ou Judas l'initié, le disciple le plus proche de Jésus, celui qui l'aimât tant qu'il fut le seul apôtre à assumer la fatale livraison. Damné ou corédempteur ? L'analyse de 392 textes montre combien le personnage fascine et reste mystérieux. Le volume 1er de cet ouvrage présente une analyse thématique et la littérature française, le volume 2nd présente la littérature non française. Cet ouvrage constitue le Ve tome de l'Iconographie antisémite de la vie de Judas Iscariot, ouvrage qui comporte sept volumes.
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Images de couverture
Ernest RENAN par GILL, dessin publié dans La Lune, N°62. 11 mai 1867
La Lune, journal satirique édité par Francis POLO, publiait sur sa Une la caricature de l’homme du jour par GILL. Napoléon III ayant censuré le journal qui l’avait croqué en Rocambole, celui-ci connut en décembre 1867, selon ses termes, ‘une éclipse’. Ernest RENAN est caricaturé en chat juché sur le balai des sorcières, sur un fond de flammes infernales, pour sa Vie de Jésus (1863) qui, à l’époque, fut jugée blasphématoire par les catholiques. Cf. Notice RENAN dans cet ouvrage
Dédicace
Remerciements
Avertissement
Introduction
Analyse
Méthodologie
Trois cents quatre-vingt-douze auteurs étudiés
Une exégèse en mouvement
Un procès en révision du damné Judas encore en instruction
Littérature profane
Judas, héros tragique
Littérature profane réhabilitant Judas Iscariot
Typologie
Judas participe du plan de Dieu
Judas corédempteur
Judas Chrétien
Hagiographié
Judas rédimé par Jésus
Judas un héros juif
Judas marxiste
Les amours de Judas
Judas abusé par la perfidie des grands prêtres
Le retour de Judas à la Loi ancienne
La jalousie amoureuse
Homosexualité
Judas plaide sa cause
Culpabilité de Judas
La cupidité, le lucre, l’avarice (terme scholastique)
La peur de perdre son patrimoine
Faiblesse de caractère
Lubricité
La tentation du Mal
L’orgueil
Coupable d’avoir douté de la miséricorde divine
Un agnostique
La puissance et la gloire
La jalousie de Jean
La jalousie de Pierre
La jalousie des autres apôtres
Un nationaliste déçu
Un Juif pieux voyant en Jésus un hérétique
Judas se détourne de Jésus qu’il juge fou
Rival de Jésus
La haine
Un méprisable mouchard
Critique de la ‘judasphilie’
Vie de Judas
Naissance de Judas
Un bâtard
Enfance de Judas
Jésus et Judas jouèrent enfants ensemble
Occupation de Judas
Parentèle de Judas
Judas ne meurt pas
La faute de Dieu
Varia sur Marie-Madeleine, Barrabas, Pilate, Caïphe et les autres
Ahasvérus, le Juif errant
Barrabas
Caïn
Claudia Procula
Jean
Caïphe
Marie-Madeleine
Léa
Nicodème
Panther
Paul de Tarse
Pilate
Salomé
Simon-Pierre
Tibère, Caligula…
Satanas ex machina
Satan guest-star
L’Antéchrist
Satan comparse de Dieu
Littérature satanique
Les trente derniers
Judas l’initié
Ésotérique, Occultiste
Littérature apocryphe gnostique
Gnosticisme
Initié
Judas victime de la jalousie des autres apôtres
Judas-Didyme
Littérature académique
Littérature athée et/ou anticléricale
Irreligion
Non divinité de Jésus
Non existence historique de Jésus et de Judas
Jésus n’est pas mort en Croix
Caïnisme de Judas
Réfutation de la culpabilité du peuple juif dans le déicide
Judas comme icône de l’antisémitisme
Dreyfus, le Judas français
Psychanalyse de l’Iscariot
Judas sur le divan
Je suis Judas
Homosexualité
Judas comme sujet de philosophie
Judas, un sujet très politique
Judas nom commun insultant d’un héros romanesque
Judas comme insulte politique d’un adversaire politique
Critique des mauvais gouvernements
Métaphore politique
Règlements de compte
Critique de l’Eglise
Judas le révolutionnaire
Judas le contrerévolutionnaire, le traitre à la cause
Judas, un capitaliste
Judas l’anarchiste
Les Judas de l’histoire
Négrophobie d’un auteur noir
Sionisme
Poésie
Ouvrages de fiction
Autobiographies plus ou moins déguisées
Exégétique
Historiques
Mondains, romans de salons, romans de gare
Policiers, romans noirs
Péplums
Saga irlandaise
Santé
Science-Fiction
Sectaire
Thrillers, Suspense…
Sociale chronique
Bande-dessinée, mangas
Littérature et cinéma
Vingt grandes œuvres littéraires sur Judas
Reclassement par genre littéraire
Notices bibliographiques
France
Blaise PASCAL
Jean MESLIER, Manifeste, 1725
Denis DIDEROT et Jean Rond d’ALEMBERT, Encyclopédie, 1751-1772
VOLTAIRE, Traité de la tolérance, 1763
Du LAURENS, L’Arretin moderne, 1763
Paul Henri Dietrich HOLBACH, Histoire critique de Jésus-Christ, ou Analyse raisonnée des évangiles, 1770
Pierre- Jean de BÉRANGER,
Monsieur Judas
, c.1829
Alfonse de LAMARTINE, Gethsémani ou La mort de Julia, 1835
Honoré de BALZAC
Gérard de NERVAL, Le Christ aux Oliviers, 1844
Une interpellation de Dieu, un Judas obligé, un poème de l’abyme
BEAUDELAIRE,
Le Reniement de Saint Pierre
, de 1852
Alfred de VIGNY, Le Mont des Oliviers, 1862
Victor HUGO
On est Tibère, on est Judas, on est Dracon, 1853
La fin de Satan, Le Gibet, 1854-1862
À celle qui est restée en France, 1956
Pas de représailles, L'Année terrible, 1872
L’âne (1881)
RENAN Ernest, Vie de Jésus, 1864
PONSON DU TERRAIL, Les Fils de Judas. Un conte des Mille et une nuits, 1867
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, 1870
Gustave FLAUBERT
La tentation de saint Antoine, 1874
Bouvard et Pécuchet, 1881
Guy de MAUPASSANT, Le père Judas, 1883
Bernard LAZARE,
La gloire de Judas
, 1890
Anatole France
Le Procurateur de Judée, 1892
Dans Le jardin d’Épicure, 1895
Sur la pierre blanche (1905)
Guillaume OEGGER, La Nouvelle Église du Seigneur dite la Nouvelle Jérusalem, 1834
Émile GEBHART, La dernière nuit de Judas, 1895
Pierre-Joseph Proudhon, Jésus et les origines du christianisme, 1896
Dreyfus, le Judas français
Louis TIERCELIN, Le Sacrement de Judas, 1899
Marie-André DUPONT, Judas, 1899
Louis ERNAULT,
L'horreur du baiser. III Le Miracle de Judas
, 1899
Émile ZOLA, Les quatre évangiles, Vérité, 1903
Léon BLOY
Le Révérend Judas des Frères Prêcheurs, 22 novembre 1880
Le Salut par les Juifs, 1906
Pierre VEBER, L’Évangile selon saint Judas l’Iskarioth, 1894
Maurice BARRÈS, La parade de Judas, 1895
Alfred LOISY
L'Évangile et l'Église, 1902
Le quatrième évangile, 1903
Rémy de GOURMONT, Promenades philosophiques, 1905
Albert SCHWEITZER, Vie de Jésus, 1906
CLAUDEL Paul, Mort de Judas, 1907
CLAUDEL et le problème juif
Mort de Judas, 1907
La trilogie des Coûfontaine, Le pain dur, 1913-1915
Journal, 1926, 1928
Une voix sur Israël, 1950
Henri LAVEDAN, Le baiser de Judas, 1908
Charles PÉGUY
Dialogues de l’histoire et de l’âme charnelle, 1909
Clio, 1910
Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, 1910
PÉGUY et VIGNY
Han RYNER, Le cinquième évangile, 1910
Maurice POTTECHER, Le mystère de Judas, 1911
DAUDET Léon, Au temps de Judas, 1920
Albert MALAURIE, La femme de Judas, 1924
Maurice LAURENTIN, Le roman de Ponce Pilate, 1926
Henri BARBUSSE, Jésus, Les Judas de Jésus, Jésus contre Dieu, 1927
Charles-Henry HIRSCH, Le secret de Judas, 1931
Edmond FLEG, Jésus raconté par le Juif errant, 1933
MAURIAC François, Vie de Jésus, 1936
Paul RAYNAL, A souffert sous Ponce Pilate, 1939
Hubert GIGNOUX, Judas, 1941
Georges BERNANOS
Le journal d’un curé de campagne, 1936
L'imposture, Plon, 1937
Pierre DRIEU LA ROCHELLE, L’homme qui se pend, 1943
Charles MAURRAS alias Pierre GARNIER, Une Promotion de Judas, 1948
Robert MOREL
L’Évangile DE JUDAS apocryphe, 1945
La Farce de Judas : mystère en trois actes, 1947
Ernest de GENGENBACH, Judas ou le vampire surréaliste, 1949
PILAMM, La trahison de Judas, 1949
G.I. GURDJIEFF, Récits de Belzébuth à son petit-fils, 1950
Wladimir RABI, Judas, suite tragique en 3 actes, 1951
Pierre BENOIT, La mort de Judas, 1953
Claude-André PUGET & Pierre BOST, Un nommé Judas, 1954
François MOUTIER, Judas devant Jésus, 1954
Marcel PAGNOL, Judas,1955
Raymond-Léopold BRUCKBERGER OP, Madeleine et Judas, 1956
Jean GUITTON, Jésus, 1956
Jean DANIÉLOU, Le fils de perdition (Jean 17, 12), 1974
Roger CAILLOIS, Ponce Pilate, 1961
Romain GARY
Bernard CLEMENT, Judas l'Iscariote, 1970
Bernard FAŸ, L’Église de Judas, 1970
Louis MARIN, Sémiotique de la Passion, 1971
Carlo SUARES, Le Vrai mystère de la passion de Judas, 1972
Jean BRUN, Témoignage et trahison. Les adorateurs de Judas, 1972
Pierre BOUTANG, Ontologie du secret, 1973
Paul GADENNE, Les Hauts-Quartiers, 1973
BOILEAU-NARCEJAC, Frère Judas, 1974
Jacques SINCLAIR, Judas Iscariote, 1974
Bernard MEYER, Le baiser de Judas, 1973
Jean-Jacques ORTLIEB, Evangile selon Judas, 1977
Jean-Claude BARREAU, Les Mémoires de Jésus, 1978
Vladimir VOLKOFF, Le Montage, 1982
Georges LAURIS, Judas, 1982
Jean GROSJEAN, Pilate, 1983
Bernard DUBOURG, Un coup de vasistas sur Judas, 1980266
Aurélia BRIAC, L’Évangile selon Marie-Madeleine, 1984
Jean FERNIOT, Saint Judas, 1984
Jean LANSARD, La fortune littéraire de Judas, 1984,1985
Pierre BOURGEADE, Mémoires de Judas, 1985
Dominique REZNIKOFF, Judas Iscariote, 1993
François CAVANNA, Tonton, Messaline, Judas et les autres Les mal-aimés de l’histoire, 1993
Frédéric BOYER, L’ennemi d’amour, 1995
Claude LOUIS-COMBET, Passions apocryphes, 1997
Xavier LÉON-DUFOUR, Judas, homme de foi ? 1997
Georges SUFFERT, En cheminant avec Jésus, 1997
Rémy BIJAOUI, Le procès Judas, 1999
Michel TOURNIER, Célébrations, 1999
Gérard-Denis FARCY, Le sycophante et le rédimé ou Le mythe de Judas, 1999
SOULARD Catherine (dir.), Judas, Autrement, Figures mythiques, 1999
Jacquot GRUNEWALD, Chalom, Jésus ! Lettre d'un rabbin d'aujourd'hui au rabbi de Nazareth, 2000
Jean CARDONNEL, Judas l’innocent, 2001
Bernard G. LANDRY, Judas et Marie-Madeleine, (correspondance intime), 2001
Armand ABÉCASSIS, Judas et Jésus : une liaison dangereuse, 2001
Bertrand WESTPHAL, Roman et Évangile. Transposition de l’Évangile dans le roman européen contemporain (19452000), 2002
Claude-Gilbert DUBOIS, Judas au fil des haines, 2003
Gérard MORDILLAT & Jérôme PRIEUR, Jésus après Jésus, 2004
Élie-Georges BERREBY, L’évangile de Judas, 2004
Hubert PROLONGEAU, Le baiser de Judas, 2004
Charles SINGER, Judas, l'autre disciple,2005
Pierre-Emmanuel DAUZAT, Judas. De l’Évangile à l’Holocauste, 2006
Jean-Yves LELOUP, Un homme trahi : le roman de Judas, suivi de Réflexions autour d’une énigme, 2006
Émile GILLABERT, Judas, traître ou initié, 2006
Nicolas GRIMALDI, Le Livre de Judas, 2006
Anne LAFRAN
Jacques DUQUESNE, Judas, le deuxième jour, 2007
Jean-Pierre LÉMONON, Ponce-Pilate, 1967
Gérald MESSADIÉ
Suite romanesque, L'Homme qui devint Dieu, 1988
L'Affaire Marie Madeleine (document) (2002)
Figure 269 L'Affaire Marie Madeleine (document), JC Lattès 2002
Judas, le bien aimé, 2007
Jésus dit Barabbas, 2014
Guy PAGÈS
Judas est en Enfer ! 2007
Judas est-il en Enfer ? 2017
Régis BURNET, L’Évangile de la trahison. Une biographie de Judas, 2008
Joseph DORÉ (dir), Saint Judas, ou le destin d’un traître, in Jésus, l’encyclopédie, 2017
Jean-François BOUTHORS, La nuit de Judas, 2008
Jeanne CHAMPION, L’ombre de Judas, 2008
Pedro VALENTE, Le traître nécessaire ? Judas l’Iscariote, 2008
François NUGUES, L’ami Judas, 2009
Juan ASENSIO, La Chanson d'amour de Judas Iscariote, 2010
Jeanne RAYNAUD-TEYCHENNÉ et Régis BURNET, Judas, le disciple tragique, 2010
Régis MOREAU
Présentation l'affaire judas - contre - enquête sur le disciple de jésus, 2010
L'Evangile selon Thomas : Un enseignement salvateur, 2014
JUDAS, Pourquoi Sarkozy va partir. Comment nous allons l'aider (2010)
Patrick BANON, Jésus, la biographie non autorisée, 2013
Iulia-Diana RUSU, Judas dans la littérature francophone du XXe siècle, 2013
Claude DAGENS Mgr, A cet ami qui s'est brisé : Lettres de Jésus à Judas, 2014
François SUREAU, J’ai des soldats sous mes ordres : deux mystères évangéliques, 2014
Bruno THIBAULT, Un Jésus postmoderne : les réécritures romanesques contemporaines des Évangiles, 2016
Yves MOATTY, Judas, apôtre et jumeau du Seigneur, 2017
Anne SOUPA, Judas le coupable idéal, 2018
Jacques Martin TARDIVAT, L’Évangile de Judas Iscariote, 2019
Christophe STENER, Qui a tué Judas ?, 2021
Table des illustrations
Index des mots clés
Nous dédicaçons cet ouvrage à François SUREAU, auteur de deux beaux Mystères évangéliques et parce qu’Académicien engagé, aux fortes convictions chrétiennes et humanistes
Ce livre fut inspiré de la lecture de l’ouvrage de Pierre-Emmanuel DAUZAT, ouvrage incontournable que nous citons abondamment. Nos vifs remerciements vont également à Michel NIQUEUX qui a bien voulu nous communiquer son manuscrit sur notre sujet même et relire le chapitre consacré à la littérature russe (les erreurs sont les nôtres). Une mention particulière également à madame Marie-Aude ALBERT pour nous avoir fait partager son érudition sur la littérature slave. Régis BURNET, Bertrand WESTPHAL et Bruno THIBAULT, auteurs d’ouvrages de référence, ont bien voulu nous encourager ; nous les avons un peu pillés ; qu’ils nous pardonnent cet hommage insistant.
Cette étude de la représentation de Judas dans la littérature est publiée en deux tomes, le second est consacré à la littérature non française et comporte une bibliographie.
« Judas cessa de voir Jésus. » (Evangile de Judas 58, 5-6) 1
Champ de l’étude
Cet ouvrage analyse la représentation de la figure de Judas Iscariot dans la littérature moderne dont le point de départ posé par nous est le siècle des Lumières. Quelques œuvres antérieures majeures, comme La Comedia de DANTE, sont présentées néanmoins tant elles demeurèrent des références obligées de toute la littérature ultérieure. La littérature profane constitue la majeure partie des textes présentés mais celle religieuse est étudiée également car le rapport entre la glose et la fiction est dynamique, les avancées de l’étude du Jésus ‘historique’ libérant les audaces des transpositions quand ce ne sont pas les libertés prises par les fictions qui ouvrirent la voie aux audaces des chercheurs.
De l’impossibilité même de la transposition littéraire
« Judas est un archétype absolu. » Pierre-Emmanuel DAUZAT 2
« Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? » » (Jean 18,38) « La boutade la plus subtile de tous les temps selon NIETZSCHE. » 3
« On observera que la conclusion précéda sans doute les « preuves. » Jorge Luis Borges 4
Il peut sembler paradoxal, voire gratuit, pire vain, d’ouvrir par cette question. Pourtant, de même que la question même de la possibilité de représenter Jésus fut le sujet d’un débat intense dans les premiers temps du christianisme entre tenants de l’aniconisme et promoteurs de l’emploi de l’image pour propager la foi, celle de la réécriture du Nouveau Testament, car toutes les œuvres présentées ici sont des interprétations des Écritures que ce soit glose religieuse voulant commenter, recherche de la vérité historique au-delà de ce que disent les versets ou constructions psychologiques proposant des explications des faits que relatent les évangélistes car ceux-ci disent mais n’expliquent que fort peu, à l’exception significative, mais tardive, de Luc et Jean. Tout dépassement de la seule lecture des versets est réécriture. De l’embellissement d’un RENAN à l’invention d’un KLOPSTOK, de l’invention à la transgression d’un REIMARUS, de la transgression au « cinquième évangile » laïque, anticlérical, athée (il en est une bonne dizaine dans notre florilège), de la fiction à l’inversion du sens par la littérature gnostique, de la récupération d’un matériel biblique par des romans de gare, il n’y a qu’une pente. Le meilleur et le pire est donc présenté au lecteur dans notre florilège pour montrer que, comme pour l’art pictural (qu’il suffise de penser à la reconversion des peintres flamands privés du commerce des tableaux de saints par le luthérianisme et reconvertis dans les marines et les natures mortes), les vies de Judas et de Jésus sont un sujet intarissable, toujours et jamais la même histoire et un bon business. Le cinéma connaît le même dilemme et rares, exceptionnels, sont ceux qui comme PASOLINI osèrent prendre le parti de faire du script de leur film la seule lecture des versets, ici matthéens, et face à une œuvre aussi scripturaire les critiques vont juger que la sélection, les intonations, la mise en scène détourne, impose un sens politique. Ecrire un livre sur Judas ne peut être qu’une interprétation imposant la conviction intime de son auteur au lecteur.
« La Bible échappe à tous les critères littéraires » note Northrop FRYE qui reprend les mots de BLAKE « L’Ancien et le Nouveau Testament comme le Grand Code de l’Art » pour titrer son remarquable ouvrage éponyme 5 où il montre comment l’ensemble de la culture consciente, et même inconsciente, judéo-chrétienne est forgée par ce livre archétypal.
Judas est en soi un archétype tant il est signifiant, porteur de sens, lourd de deux milles ans d’antijudaïsme religieux, chargé de haine portée à blanc par le feu des autodafés et des fours crématoires. Il n’y a pas, malgré l’apparente frivolité de certains romans de kiosque et de pièces plus boulevardières que religieuses, de littérature purement récréative. Mettre en scène Judas c’est ouvrir dans l’esprit du lecteur la boite de Pandore de ses préjugés d’autant plus puissants qu’ils sont largement refoulés, sédimentés de la transmission culturelle, de son éducation, de l’antisémitisme ambiant.
Il reste à écrire l’histoire d’un Judas heureux, cela serait, pour le coup, vraiment, transgressif mais cela ne serait pas crédible et ne ferait pas vendre.
« L’évangile, loin de révéler le destin de Judas, le dissimule plutôt. » Sergueï BOULGAKOV
« Ce que nous savons de Judas d’un point de vue historique représente très peu de choses, mais malgré tout un peu plus que rien. » Hans-Joseph KLAUCK 6
« Judas, disciple selon les Evangiles canoniques, fils de Simon, dit l’Iscariot (onomastique incertaine), livra aux grands prêtres juifs, pour trente pièces d’argent, le lieu où se saisir de Jésus, mourut dans des circonstances incertaines (se suicidant par pendaison selon Matthieu, s’éventrant par accident selon les Actes des apôtres très probablement rédigés par Luc). Selon Luc et Jean, Judas agit sous l’emprise de Satan » telle serait une notice bibliographique si l’on s’en tient aux faits relatés, pourtant des centaines de livres, des dizaines de milliers de pages ont brodé, extrapolé, interprété ces quelques notations scripturaires.
« L’apôtre traître incarne le problème de la tragédie de la personne humaine en général. » Serge BOULGAKOV 7
L’interrogation sur la culpabilité ou non de Judas bute sur le ‘mystère Judas’ ; Marc et Matthieu ne nous disent rien de ses motivations, indécision que Luc veut lever en marquant le disciple de la marque satanique et que Jean ratiocine par le larcinage supposé de l’intéressé. Deux mille ans de scholies n’ont pas résolu ce mystère qui reste une crux theologia qui rendra fou un certain Nils Runeberg.
Notre propos ici n’est pas de présenter notre explication. Le lecteur trouvera mille et une analyses contradictoires au fil de ces pages. A chacun, en conviction, d’en trancher. Pour ce qui nous concerne, notre sujet est de déconstruire les mécanismes de l’ « enseignement de la haine » (formule de Jules ISAAC) chargeant Judas des péchés d’Israël et en premier lieu du déicide.
« A partir du XIXe siècle, à de rares exceptions près, il est quasi impossible de penser Judas coupable. » Régis BURNET 8
“Il s’en est fallu de très peu que les larmes de Judas ne fussent confondues, dans le souvenir des hommes, avec celles de Pierre. Il aurait pu devenir un saint, le patron de nous tous qui ne cessons de trahir. » François MAURIAC 9
Deux mille ans d’homilétique antijudaïque faisant de Judas un architraître, un Erz-Schelm pour reprendre le terme de Abraham a SANCTA CLARA, vont se déliter en un siècle seulement. Sous les coups de boutoirs de la recherche historique de Jésus faisant de la psychologie un outil d’analyse légitime et du romantisme idéalisant le tragique du destin de l’Iscariot, porté par l’irreligion ambiante enfantée par le siècle des Lumières, le XIXème siècle voit la doxa chrétienne faisant de Judas un traitre poussé par l’avarice condamné à rejoindre son maître Satan en enfer voler en éclats. Exégèse moderne, littérature profane, arts (que l’on pense aux figures de Judas héros tragiques de l’art russe à la fin du siècle cf. T II), politique (séparation de l’Eglise et de l’Etat, développement des idéologies athées anarchistes, socialistes, communistes, nationales-socialistes), font de Judas un héros tragique. « Il faut plaindre Judas » cette affirmation se trouve sous la plume même des clercs « J’aime aussi Judas, c’est mon frère Judas. Je ne le condamne pas » prêche Primo MAZZOLARI en 1958. Rares sont les voix, en une alliance improbable de GORKI, LANZA DEL VASTO, PROUDHON, Rémi de GOURMONT, pour ne citer qu’eux, qui tentent de s’opposer à cette réhabilitation qui devient le nouveau stéréotype. Du topos exécratoire on est passé en un siècle à un topos hagiographique.
Encenser Judas devient une mode ; comme toute mode artistique, elle tombe dans l’excès inverse d’une sanctification : Judas devient le disciple le plus proche de Jésus, l’initié, le corédempteur. Le caïnisme est exhumé des bibliothèques, l’abbé OEGGER est porté au pinacle par Anatole FRANCE, le gnosticisme illumine les esprits obscurcis, l’occultisme d’un SVEDEMBORG fait des émules, VOLOCHINE, NIKOLAÏEV / DANZAS, GURDJIEFF, MESSADIE et d’autres ; tous n’ont pas l’imagination et la drôlerie satanique d’un GENGENBACH jubilatoire dans la transgression car eux se prennent au sérieux.
Judas au miroir de la Shoah
« Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié. » Ac 2, 36
« Pour le SEIGNEUR, il est temps d’agir : on a violé ta Loi. » Ps 119,126
L’histoire littéraire de Judas n’est pas linéaire, elle est marquée par un mouvement général rationaliste déconstruisant la doxa multimillénaire simpliste d’un Judas trahissant par lucre et, pour cette faute, damné pour l’éternité, par le questionnement de la raison et du sens même du geste du disciple. Au lendemain de la Shoah, la Chrétienté veut rompre avec deux milles ans d’antijudaïsme religieux endoctriné aux clercs et aux fidèles, l’ « enseignement de la haine » (Jules ISAAC) cède à l’exigence, à l’urgence même, de l’œcuménisme mais il serait naïf de croire à un avant et un après, d’un grand soir de la reconnaissance fraternelle du tronc mosaïque d’où est sorti le rameau chrétien, on lira dans ce florilège des ouvrages contemporains tant religieux que profanes qui continuent à véhiculer les topoï médiévaux hostiles au judaïsme.
Psychologicisme
« Le XIXe siècle réalise le passage de la christologie à l’anthropologie pour Jésus, et de la satanologie à la psychologie pour Judas » Régis BURNET 10
Le Nouveau Testament dit les faits, la littérature imagine le pourquoi des faits d’où un recours à l’analyse psychologique des acteurs de la tragédie de Judas. Judas au sortir de la lecture des Écritures est un mystère, on ne sait de lui rien de son origine (Judéen, Galiléen ?), de son milieu social, de son physique, de son caractère, des raisons de son ralliement au groupe suivant un nouveau prophète. De sa fin, nous disposons de deux fins contradictoires (suicide par pendaison selon Matthieu, éventrement accidentel selon les Actes des apôtres). Le déroulement même des quelques mois ou années où l’Iscariot partagea la vie de Jésus et des autres disciples, jusqu’au rapport fait de la livraison, terme plus conforme au texte grec que celui de trahison qui est la traduction tendancieuse de Jérôme dans la vulgate du mot paradonai cf. T I des quelques derniers jours de la Passion, varie, selon les évangiles, sur des détails mais des détails majeurs quand Luc et Jean, une à deux générations après Marc et Mattieu introduisent Satan dans le récit. Nulle surprise donc que, dès l’instant où l’auteur s’exonère de la catéchèse, il reconstruit l’enchainement des faits en les interprétant. La transposition du récit évangélique est toujours transgression au sens strict car tous les textes présentés ici vont au-delà de ce que les textes disent pour dire ce qu’ils veulent dire. Au final, le ‘mystère Judas’ reste entier et c’est une des raisons pour laquelle la veine n’est pas près de s’épuiser.
Vielle hérésie, nouvelles versions 11
« Aucun signe ne permet de distinguer le vrai du faux messie. » Pilate in François SUREAU 12
Les transpositions de la vie de Judas empruntent souvent à la Légende chrétienne et à la Légende noire de Judas ainsi qu’aux apocryphes, en particulier la littérature gnostique. Le marketing d’une traduction contestable du codex Tchacos devient « vérité d’évangile » sous la plume d’exégètes amateurs.
Nous signalons ces emprunts au lecteur en le renvoyant aux tomes I pour la littérature apocryphe et III pour la Légende noire. Disons-le en un mot, la littérature moderne est souvent, trop souvent, le réemploi de matériaux anciens avec, comme pour la filmographie de Judas, une surenchère d’épices (violence, sexe) pour relever un brouet mille fois gouté.
Transpositions, transgressions, profanations
« Il paraît qu’aujourd’hui l’espérance doit naître du scandale. » Diego FABBRI
« On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. » GIDE 13
Selon les sensibilités religieuses ou scientifiques du lecteur, on jugera licence artistique légitime la fiction ou on la qualifiera de sacrilège, profanatoire. L’auteur, convaincu de la vérité de son interprétation gnostique de la relation entre Jésus et Judas, ne saurait admettre l’accusation de blasphème alors que, pour lui, elle est révélation de LA vérité. Notre propos ici n’est pas d’affirmer UNE vérité mais de documenter le plus exactement possible ce qui relève de l’interprétation d’un fait rapporté par les évangélistes de ce qui est invention, fiction, légende et de départir les transpositions, la Vie de Jésus de RENAN étant un archétype du genre littéraire, des transgressions où l’auteur remet en cause le principe même de la mort en croix de Jésus acceptée et salvifique, L’Évangile selon Jésus-Christ de SARAMAGO illustrant magnifiquement ce genre. Nous traiterons en des chapitres spécifiques de la littérature athée, occulte, anticléricale, occulte, satanique, non pour constituer un ‘Enfer’ de bibliothèque mais parce que Judas n’y est souvent que prétexte à un propos autre, un argument au service d’une propagande. De même la littérature politique et l’analyse psychanalytique justifient d’être étudiées en tant que tel. Un florilège d’ouvrages de pure fictions (romans de gare, romans policiers, BD, …) est également présenté ici, sans aucune prétention à l’exhaustivité mais pour illustrer la force du mot JUDAS employé dans le titre à des fins marketing.
Jusqu’où peut aller la fiction romanesque ? Nous répondrons « sans limite » mais comme Bertrand WESTPHAL nous attacherons à dénoncer le « double jeu » de certaines transpositions consistant « à asséner ses vérités tout en se réservant, le cas échéant, la facile échappatoire du caractère fictionnel de ses hypothèses 14» qui visent à « ébahir son lecteur par des hypothèses disjonctives 15» dont un bel exemple est L’Évangile de Pilate de Pierre-Emmanuel SCHMITT mi roman policier mi novelas biblique qui fait de son auteur un épigone de Ferdinando PETRUCCELLI DELLA GATTINA, ce qui ne rend pas moins l’intrigue de leurs ouvrages non crédibles mais aussi agréables à lire que les fantaisies du Comte de Monte-Christo de DUMAS ce qui leur vaut de figurer, tous deux, dans notre liste des vingt meilleurs transpositions littéraires.
Judas fait vendre
« C’est une histoire qui ne tient pas debout. Il doit y avoir autre chose » Marcel PAGNOL 16
RENAN devint riche à millions par les droits de sa fort fleurie e doucettement transgressive Vie de Jésus dont les énormes tirages furent portés par la controverse. Si vous voulez faire lire votre ennemi, interdisez son livre ; la recette est ancienne, elle ne sera pas oubliée. Nous illustrons ce marketing de la trivialité d’un RAYNAL, de l’érotisation d’un MAETERLINCK, du blasphème d’un CHAZAL, à travers nombre de transpositions qui annoncent à grand renfort de quatrièmes de couverture révéler au lecteur ce que l’Église leur cache depuis deux mille ans ! Le sous-genre DA VINCI code est représenté par une petite dizaine de romans de gare classés par nous sous la rubrique Fiction. Des chercheurs ne s’y trompent pas et abandonnent le rayon Théologie ou Académique pour celui Fiction e.g. EASTERMAN, MOLONEY.
La fiction permet des chefs d’œuvre, nous en retenons vingt dans notre sélection, elle inspire de mauvais livres aussi, beaucoup plus nombreux.
Des ouvrages parfois injustement oubliés
Nous présentons en appui à notre étude des principales thématiques 380 notices bibliographiques. Une cinquantaine de ces ouvrages sont fort connus et abondamment étudiés, bien plus nombreux ceux oubliés mais un vaste panorama nous a semblé nécessaire à la fois pour remettre dans la lumière des ouvrages, selon nous fort intéressants par la créativité fictionnelle comme celui d’un Sholem ASCH (1915) ou d’un Georg YANIK (1949) pour ne citer qu’eux. Nous référençons aussi des ouvrages ‘à oublier’ selon nous, dont certains firent de forts tirages.
L’histoire de Judas reste à écrire
« Judas est un sujet maudit auquel il ne faut pas toucher. » Marcel PAGNOL 17
« Aujourd’hui, en effet, j’en suis arrivé à mesurer le drame d’un écrivain d’après sa rencontre avec le Christ. » Diego FABRI18
Cette abondance littéraire, - il existe probablement un millier d’ouvrages traitant spécifiquement du mystère Judas 1920, sans compter les milliers de Vies de Jésus, si l’on inclut les ouvrages de pure apologétique -, a deux raisons, la première, déjà évoquée, est qu’aucun ouvrage sur le sujet n’est définitif, un sur commentaire nouveau des mêmes rares informations ou une nouvelle invention étant toujours possible, la seconde est que le sujet ‘fait vendre’. L’expression est provocatrice mais il suffit au lecteur de dénombrer la liste des écrivains de premier plan qui se sont affrontés à leur Vie de Jésus et/ou de Judas pour montrer que comme la peinture d’une crucifixion était un ‘morceau de gloire’ incontournable pour un grand peintre et ce jusqu’au XXe siècle, que l’on pense, par exemple, à un DALI ou un CHAGAL, le sujet est un ‘marronnier’ propice à des succès de librairie. Pas moins de seize Académiciens français s’étant affrontés au sujet figurent à notre florilège : BRUCKBERGER, CAILLOIS, CLAUDEL, DAGENS, DANIELOU, FRANCE, GEBHART, GUITON, HUGO, LAVEDAN, MAURIAC, MAURRAS, PAGNOL, RENAN, SAINTE-BEUVE, SUREAU. Les journalistes osent leur Judas : DUQUESNE, FERNIOT, SUFFERT pour ne citer que quelques français contemporains.
Au panthéon des ventes de livres que nous oserons qualifier de romans de kiosque : CADWELL & STEARN (1977), Jeffrey ARCHER & Francis MOLONEY (2007), Tosca LEE (2013). La provocation fait vendre ; qu’il suffise de citer les énormes tirages de La Vie de Jésus (1863) par RENAN 21 malgré ou plutôt grâce à la mise à l’index de l’ouvrage et le qualificatif de « blasphémateur européen » tonné par Pie IX. Comme au cinéma, Judas et Jésus font les ventes. Cf. Judas Superstar : censure et polémique
Judas revisité, la fin de la foi ?
« L'acharnement à détruire l'image de Jésus comme homme idéal et prédicateur d'une morale éternelle est l'indice d'une crise profonde de civilisation. » Étienne TROCMÈ 22
Une interrogation sous-jacente à notre travail est de savoir si la prise de distance, car la rupture n’est pas toujours complète, d’avec la catéchèse traditionnelle, si la réhabilitation de Judas, participe d’un aggiornamento fécond pour l’Église romaine où s’il participe de la laïcisation du monde, de ce que Pie X appelait des « catholiques laïcs » dénonçant le « modernisme » d’Alfred LOISY. Comment ne pas soutenir l’appel à la réconciliation des religions d’Abraham engagée par Jean Paul II, Benoit XVI et François ? mais comment ne pas juger assez dérisoires les divagations de certains auteurs qui, faute d’arguments anticléricaux et il en est cf. MESLIER, empruntent la trivialité d’un RYNER (1911) ou l’humour graveleux d’un LANDRY (2001). Il est de l’excellente littérature anticléricale, qu’il suffise de lire FRANCE, BARBUSE ou BRANDÈS pour ne citer qu’eux, mais il en de la fort mauvaise que le lecteur découvrira au fil de ces pages.
Faut-il détester Judas pour aimer le Christ ?
La question dépasse le sujet de notre ouvrage mais se pose, au-delà des exécrations médiévales d’un Abraham a SANCTA CLARA, à lire des ouvrages modernes écrits par des clercs tels VERSCHAEVE (1911), FAY (1970), PAGÈS (2007), qui jugent la damnation éternelle de Judas dans un Enfer bien réel nécessaire à la foi chrétienne. Minoritaires, peu audibles, ces voix intégristes ne doivent pas être dédaignées car elles alimentent la blogosphère et participent d’une propagande mortifère que nous dénonçons comme celle des films antisémites d’un GIBSON ou de Chrétiens télévisions. Cf. Judas superstar
*
« Reconnaître ouvertement ce qui demeure énigmatique pour nous est préférable à cette manière d’en savoir trop […] L’absence de réponse est toujours préférable à une réponse fausse. » Hans-Joseph KLAUCK 23
« Si les évangélistes ne nous ont pas transmis un tableau complet et réaliste du traître et de sa trahison, ce n’est pas tant par manque de finesse et incapacité à observer et raisonner : c’est tout simplement qu’au lieu de tomber dans l’erreur des descendants – lesquels ont essayé de comprendre d’après des témoignages, des documents, des recherches historiques, archéologiques et juridiques, un mystère dont la réalité, la raison d’être et la justification logique se cachent dans bien d’autres sphères de la pensée et de l’existence – ils y ont sagement renoncé. » Mario BRELICH 24
« Seuls deux êtres au monde ont su le secret de Judas : Jésus et le traître. […] C’est l’unique mystère humain qu’on trouve dans les Évangiles. » Giovanni PAPINI25
« Si les évangélistes n’en disent pas plus sur Judas c’est parce qu’ils sont confrontés au mystère – au sens théologique du terme – de la trahison. » Régis BURNET 26
Au final, le mystère de Judas reste, pour nous, au sortir de la lecture de plusieurs centaines d’ouvrages, entier et c’est très bien comme cela, car, admettons-le, on est ici non dans le domaine de l’histoire mais dans celui de la conviction, de l’opinion, de la foi aussi pour certains. N’apportant pas notre pierre à l’édifice des explications de Judas, laissant le lecteur se déterminer, nous renvoyons le lecteur à notre roman « Qui a tué Judas ? » pour connaître, enfin, la vérité sur le geste de Judas à la suite de l’enquête conduite au Ier siècle par Flavius Josèphe et au XXIe siècle par l’exégète YHWH mais ce n’est qu’une fiction, une de plus qui ne se prend pas au sérieux et amusera, nous l’espérons, notre lecteur après celle du présent fort académique.
1 Evangile de Judas, fragment cité par Louis PINCHAUD, CRAI 2011, II (avril-juin), p. 875-895, texte sur academia.edu
2 DAUZAT Pierre-Emmanuel, Judas : de l'Evangile à l'Holocauste, Bayard, 2006, p. 17
3 Selon Sergio AGAMBEN, Pilate et Jésus, Ed. Rivages, 2014 référencé par Michel Jérôme, « Pilate et Jésus, Giorgio Agamben », Les Cahiers de la Justice, 2015/1 (N° 1), p. 121-123. DOI : 10.3917/cdlj.1501.0121. URL : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2015-1-page-121.htm
4 BORGES Jorge Luis, « Trois versions de Judas » in Fictions, Gallimard Folio, 1983
5 FRYE Northrop, The Great Code. The Bible and Literature. Harvest, Harcour Inc., 1982, Introduction, xvi
6 KLAUCK, Judas, un disciple de Jésus, Cerf 2006 p.163
7 BOULGAKOV Sergueï, Iouda Iskariot, Apostol Predatel’ (Judas Iscariote, l’apôtre félon). Paris, Put’, 26, p. 3-60 et 27, p. 3-42. Traduit en français par Michel NIQUEUX (éditions des Syrtes, 2015, 141 p., préface de Nikita STRUVE). P.122
8 BURNET Régis, L’évangile de la trahison, Seuil, 2008
9 MAURIAC François cité par Jacqueline SAYERLÉ, Judas dans la littérature des origines du Christianisme au 20ème Siècle, https://www.evangile-et-liberte.net/elements/archives/129.html
10 BURNET Régis, L’évangile de la trahison, Seuil, 2008, p.302
11 TIME MAGAZINE 30/09/1946, récension du livre de Robert GRAVES https://archive.is/20130204083858/http://www.time.com/time/magazine/printout/0,8816,887225,00.html#selection-113.0-113.291
12SUREAU, J’ai des soldats sous mes ordres. Deux mystères évangéliques, Ed. Salvator, 2014 p.43
13 SAYERLE Jacqueline, Judas dans la littérature des origines du Christianisme au 20ème Siècle https://www.evangile-et-liberte.net/elements/archives/129.html
14 WESTPHAL Bertrand, Roman & Évangile : Transposition de l'Évangile dans le roman européen contemporain, 1945-2000, Limoges, PULIM, 2002, 402 p.
15 Ibidem p. 198
16 PAGNOL Marcel, Préface à Judas cité par CARDONNEL p.7
17 PAGNOL Marcel, Aphorisme de l’auteur devant l’échec de sa pièce notamment suite à des accidents de santé des interprètes. Cf Notice PAGNOL http://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/auteurs/Pagnol/marcel-pagnol-5.html
18 MAULNIER Thierry in Livret Hébertot précité in Livret de la pièce par le théâtre Hébertot, 1958 http://www.regietheatrale.com/index/index/programmes/programmes.php?recordID=139&Proc%C3%A8s%20%C3%A0%20J%C3%A9sus-FABBRI-1958
19 Une recherche en mai 2021 sur le mot « Judas » dans la base https://archive.org/ propose 5154 occurrences dont 1405 textes
20 KUBLER Michel « On parierait fort que, hormis Jésus et sa mère Marie, Judas est le personnage du Nouveau Testament ayant suscité la plus abondante littérature au cours de l'histoire. » https://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Judas-traitre-et-Apotre-_NG_-2008-10-22-679173
21 « M. Renan, qui est poète autant que savant, a parfaitement compris son public. Il lui a servi les mets de son choix en parant l'histoire de toutes les couleurs du roman. […] Soixante-dix-huit mille exemplaires in octavo, et quatre-vingt-dix mille exemplaires in-dix-huit (chiffres officiels) » selon ZOLA cité par KAEMPFER Jean https://www.unil.ch/usagesdejesus/files/live/sites/usagesdejesus/files/shared/La_vie_de_Jesus.pdf
22 TROCMÈ Étienne. Albert Schweitzer et la vie de Jésus. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 56e année n°1-2,1976. pp. 28-36. DOI : https://doi.org/10.3406/rhpr.1976.4308www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1976_num_56_1_4308
23 KLAUCK Hans-Joseph, Judas, un disciple de Jésus, Cerf 2006, p. 172
24 BRELICH Mario, L’œuvre de trahison (L’Opera del tradimento), 1975, trad. Ariel Piasecki, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1979, p.23-24
25 PAPINI Giovanni, Storia di Cristo, p. 310 cité par Sergio STEVAN
26 BURNET Régis, L’évangile de la trahison, Seuil, 2008, p.120
Il existe, en langue française, quelques excellents ouvrages qui traitent notamment de la représentation de Judas dans la littérature moderne. L’Évangile de la trahison de Régis BURNET est l’ouvrage de référence pour l’exégèse biblique de Judas Iscariot, sujet que nous traitons dans notre tome I. Judas. Le passionnant De l’Évangile à l’Holocauste de Pierre-Emmanuel DAUZAT embrasse tout le champ de notre travail sur L’iconographie de la vie de Judas Iscariot pour montrer l’influence du mythe Judas dans la construction de l’antisémitisme depuis les Évangiles jusqu’à la Shoah. Ces deux auteurs partagent notre perspective et montrent comment, d’une glose tendancieuse des Écritures, s’est développé un antijudaïsme chrétien qui, à l’exception de quelques grandes voix, - celle d’un Bernard de CLAIRVAUX pendant les Croisades est exemplaire -, est devenue doxa, catéchèse banale pendant deux mille ans, entrant dans le subconscient collectif européen pour faire le lit de l’antisémitisme moderne jusqu’à un fort tardif aggiornamento à la fin du siècle dernier. Michel NIQUEUX, dans un ouvrage dont il a bien voulu nous communiquer le manuscrit, présente, par ordre chronologique, un très riche florilège depuis les textes canoniques et apocryphes, récension particulièrement riche pour la littérature russe dont il est un spécialiste éminent, somme enrichie de monographies de quelques œuvres majeures. Le brillant ouvrage de Bertrand WESTPHAL opte pour une typologie des genres littéraires et nous emprunteront sa typologie : transcriptions, transgressions, transactualisation. A ces ouvrages de référence, il convient d’ajouter ceux, moins vastes dans leur champ d’étude mais excellents, de Gérard-Denis FARCY et ceux de Jean LANSARD et Bruno THIBAULT ainsi que d’importants articles cités en bibliographie. La réflexion philosophique de Nicolas GRIMALDI est ainsi une des plus brillantes synthèses du sujet. Les Cahiers Evangile n°184, Cerf, 2018, Judas, sont une fort utile introduction au sujet. Les thèses universitaires sont, par nature, centrées sur un ou quelques auteurs, un pays, une époque.
A l’attention de nos lecteurs anglosaxons signalons le riche ouvrage de Kim PAFFENDORF et à ceux germanophones l’ouvrage de référence de Hans-Joseph KLAUCK, fort heureusement traduit en français.
Pour tenter d’apporter au lecteur des perspectives nouvelles mais complémentaires nous avons pris le parti, risqué, de tenter, sinon l’exhaustivité, du moins un forage très profond dans l’immense littérature traitant de Judas sur la période moderne que nous débutons, à quelques exceptions comme DANTE, au siècle des Lumières jusqu’au XXIe siècle, par un florilège rassemblant 392 auteurs ; des auteurs majoritairement profanes mais aussi des ouvrages d’exégèse, voire de théologie, pour montrer comment la fiction littéraire précède parfois mais aussi fait fond sur les audaces de la recherche d’un Jésus historique. Nous avons également retenu quelques ouvrages ‘hors sujet’ en ce qu’ils ne traitent pas du personnage biblique Judas Iscariot et que l’emploi du mot « Judas » dans le titre de romances, de pamphlets politiques, de poésie, de thrillers, de science-fiction, de BD, est manifestement marketing tant cinq lettres
JUDAS
fait vendre.
Le lecteur intéressé par approche par littérature nationale en trouvera un panorama assez complet. Les littératures germaniques, russes et anglophones sont, avec celle française, les plus représentées dans la présente étude.
Pour donner quelques statistiques du nombre d’auteurs étudiés par nationalité des Allemagne (48), Argentine (3), Autriche (1), Australie (1), Belgique (7), Copte (1 : codex Tchacos), Canada (2), Confédération helvétique (7), Congo Brazzaville (1), Costa Rica (1), Espagne (6), États-Unis d’Amérique (40), Danemark (7), France (134), Grande-Bretagne (29), Inde (1), Ile Maurice (1), Pays-Bas (7), Irlande (3), Israël (2), Italie (19), Japon (2), Nouvelle-Zélande (1), Pologne (4), Portugal (3), Roumanie (1) Russie (39), Suède (6).
Certains pays sont probablement sous-représentés compte tenu de nos insuffisantes capacités linguistiques, notamment l’Espagne et, plus généralement les littératures asiatiques, africaines et sud-américaines et notre étude est certainement trop européanocentrée. La part très importante des travaux exégétiques en langue allemande s’explique parce que l’Allemagne fut le pays fondateur et le plus actif dans la recherche d’un Jésus ‘historique’. La littérature française est également amplement représentée, parfois par la citation d’ouvrages d’un intérêt anecdotique (pléonasme). Le mérite de la forte représentation de la littérature russe revient à Marie-Aude ALBERT, Michel NIQUEUX et Serge ROLLET dont les travaux sont ici un peu pillés, mais avec leur consentement, dans notre ouvrage. Il est intéressant de noter la richesse de la production nord-américaine sur le sujet. Les États-Unis d’Amérique dont l’industrie du cinéma domine la production de biopics sur la vie de Jésus et de Judas se passionne pour le mythe Judas quitte parfois à en faire une saga propice au bestseller.
Espérons que ce travail suscite des publications académiques pour corriger nos erreurs et enrichir le champ d’étude par des auteurs non cités ici. Merci à nos lecteurs de nous signaler ces manquements en nous envoyant un mail pour une édition enrichie ultérieure.
Nous avons tenté, parce que parfois cela est incertain à la lecture des ouvrages, de départir ceux qui accablent (95) de ceux qui innocentent l’apôtre (141), rangeant dans une catégorie indécise les très nombreux travaux exégétiques dont l’exigence est de n’est point trancher mais peser les arguments et aussi des fictions qui n’osent en décider (64). Une catégorie à part des ouvrages, ceux qui n’ont que le mot Judas dans leur titre et sont hors sujet regroupe 54 auteurs. Les chiffres ne valent pas raison mais l’écrasante majorité de la production littéraire moderne trouve des circonstances atténuantes, justifie par des motifs ‘nobles’, hagiographient voire sanctifient le réprouvé. Il est dans la littérature contemporaine presque inaudible de damner l’Iscariot tant la « Judasmania » domine. Cette pente récente à excuser voire innocenter l’apôtre énerva Rémi de GOURMONT et GORKI. Très minoritaires sont les ouvrages contemporains vouant l’Iscariot aux flammes de l’Enfer ; parce que minoritaires, expression d’un christianisme rétracté sur lui-même, mais actif sur les blogs et présent dans des films récents, cette persistance de la doxa antijudaïque et même antisémite doit être étudiée pour être combattue par la déconstruction d’une exégèse faussée de parti pris où les arguments supportent une thèse posée celle du peuple déicide et ne découlent pas de la démonstration scripturaire objective.
La transgression est à la mode et, plus cyniquement, rapporte plus de droits d’auteur qu’une lecture pieuse. Après « « haro sur Judas ! » c’est « ce pauvre Judas ». Les derniers pontifes, Benoit XVI et, de manière encore plus explicite, le Pape François, s’interdisent de damner Judas et nombreux sont aujourd’hui les ecclésiastiques évoquant le « malheureux Judas ». Quelques voix dissonantes entendent bien gardées refermées les portes de l’Enfer, que Jésus-Christ avait brisé lors de l’anastasis, à jamais sur le félon mais elles sont minoritaires et peu audibles. Ces écrits inspirés par un catholicisme intégriste qui n’a toujours pas digéré Vatican II et des mouvements évangélistes illuminés, sont, comme les films antisémites que nous dénonçons dans notre Judas Superstar, certes isolés mais ô combien dangereux car agitant une blogosphère de sédévacantistes, nostalgiques d’une Chrétienté blanche, et autres TORQUEMADA au petit pied.
Cette analyse transversale regroupe par thématique analytique les centaines de notice de cet ouvrage auquel nous renvoyons pour l’étude de chaque œuvre.
Pour étudier de manière transverse cette immense littérature, et ne pas reformuler ce que nos prédécesseurs prénommés ont excellement fait, nous avons pris le parti de la simplicité en retenant plusieurs angles d’analyse littérature condamnant Judas Iscariot : Judas architraître versus littérature réhabilitant Judas Iscariot :
Judas malheureux, voire saint ou martyr.
La littérature gnostique, occultiste, caïnite, satanique : Judas l’initié
Littérature et cinéma
La parentèle de Judas est également matière à tant d’inventions romanesques que nous lui consacrons un chapitre.
Les autres personnages intimement liés au mystère Judas sont sujet à tant de créativité littéraire que nous leur consacreront une section : Marie-Madeleine, Barrabas, Pilate et Caïphe.
La psychanalyse de l’Iscariot : Judas sur le divan
La vie de Judas, un bon business
En un ‘enfer’ particulier nous présenterons la littérature athée, occultiste, satanique, genre qui a ses adeptes mais qui ne revalorisent pas tant Judas que Satan, Lucifer et consorts.
Parce que le mythe de Judas participe de « l’enseignement de la haine » (Jules ISAAC) nous conclurons notre analyse de la littérature moderne par la liste de quelques œuvres réfutant la responsabilité du peuple juif dans le déicide. Le sujet n’est pas tant Judas en tant que tel, ni même Caïphe et le Sanhédrin, mais le peuple juif dans sa participation à la Passion du Christ.
Cet ouvrage est le 5e tome de notre étude sur l’Iconographie antisémite de la vie de Judas Iscariot. Nous faisons des renvois aux tomes précédents de notre étude : T I – Sources religieuses, T II – Art chrétien, T III – Légende noire, Théâtre, Folklore, Caricature, T IV – Cinéma, mais cet ouvrage peut se lire sans le secours de ces développements cités. Le tome VI Judas en musique et le tome VII Dictionnaire de Judas sont à paraître. Un roman policier historique Qui a tué Judas ? permet une approche du mystère Judas sous une forme moins académique.
« Ivre d’insomnie et de dialectique vertigineuse, Nils Runeberg erra dans les rues de Malmö en suppliant à grands cris que lui soit accordé la grâce de partager l’Enfer avec le Rédempteur. » Luis BORGES 27
« Il disait par plaisanterie, mais il était facile de deviner qu’il ne plaisantait pas tout à fait, qu’il ne connaissait que deux sciences exactes : les mathématiques et la théologie. » Roger CAILLOIS, Ponce Pilate 28
« Dieu a agi comme Judas. » : Karl BARTH K. KD II/2 p.543 : Dogmatique II/2*,p.484)]. KLAUCK p.29 29
Que Judas soit coupable et doive être damné pour cela, telle est la position doctrinale irrécusable de la Chrétienté jusqu’au XVIIIe siècle. Avec les Lumières, les Églises perdent le soutien de divers Princes qui, s’enorgueillissant d’un certain libertinage, laissent publier à la fin du XVIIIème siècle des esprits forts, avec une courtisane hypocrisie VOLTAIRE et, sans détours, REIMARUS engager la sape de l’édifice doxique ; « nous voyons apparaître, au XVIIe siècle, la période aiguë de l'affaire Judas Iscariote, avec des compilations sans doute indigestes, et des discussions parfois peu courtoises, mais aussi avec un désir d'arriver au vrai par la logique, de discerner avant de dire, de comprendre avant d'affirmer 30 » ; la mise à l’index, l’interdiction n’est plus de mise, reste la controverse pour garder fermées les portes de l’Enfer sur Judas mais le combat devient inégal devant la qualité des théologiens, des Albert SCHWEITZER, Karl BARTH, Urs van BALTHAZAR, Sergueï BOULGAKOV pour ne citer que les plus illustres, qui contestent pied à pied la doxa bimillénaire ; l’exégèse se libère de l’enfermement du dogme et interroge rationnellement les Écritures ; elle interpelle un Jésus historique ; elle brise le tabou, osant contester le simplisme axiome johannique du lucre comme clé du mystère de la trahison. Nous montrerons ici une exégèse en mouvement en présentant tout simplement de manière chronologique les écrits théologiques présentés dans cet ouvrage.
La transposition littéraire de la vie de Judas est dans une dynamique complexe par rapport à cet aggiornamento irréversible. Parfois l’œuvre littéraire ose ce que l’exégète murmure, plus souvent elle se rue dans la brèche pour aller au-delà, devenir transgressive et même profanatoire car « en ce qui concerne ses réceptions les plus contemporaines, ce sont les gens de lettres qui ont précédé les exégètes dans l’interprétation de cette figure biblique » écrit Éric BURNET 31anticipation ou suivisme, la relation est, à l’évidence, dynamique.
En ce XXIe siècle, rares sont les théologiens qui résistant à ce modernisme qui fit en son temps excommunier un Alfred LOISY, refusent de céder, tournant même à l’œcuménisme publié lors du concile de Vatican II, osant, malgré la réalité de la Shoah, prôner une représentation antisémite de Judas. Comme pour le cinéma cf. les films antisémites contemporains (GIBSON, Chrétiens télévision, …) étudiés dans notre Judas Superstar, il n’est pas un avant et après Shoah exégétique. La Shoah n’a pas fait taire les voix honnissant Judas et faisant du peuple juif un peuple déicide, il n’a fait que leur retirer le soutien des plus hautes autorités ecclésiales mais le venin distillé par ces auteurs n’en reste pas moins perfide, au sens latin du terme per fides c’est-à-dire du manque de foi chrétienne, par égarement dans un sectarisme intégriste où se retrouvent les nostalgiques de la Chrétienté blanche, celle des Croisades et de l’Inquisition, celle d’une Eglise qui baptise par le feu des bûchers anciens qui fait hurler un Ilia EHRENBOURG un Romain GARY ou un Amos OZ.
Que Benoit XVI puis François affirment que Judas participât du plan divin et refusent de le damner ne doit pas laisser croire au lecteur que ‘la messe est dite’ ; non, il suffit de lire sur les blogs intégristes chrétiens les virulences des sédévacantistes, d’entendre les propos suprématistes blancs sur certains sites évangélistes, pour comprendre que la déconstruction de l’antijudaïsme chrétien reste un défi œcuménique du XXIe siècle car le regain de foi à la fin du siècle dernier a nourri et nourrit bien des prédicateurs de haine.
Publiés de 1625 à 2017, 65 ouvrages de théologie et/ou d’exégèse sont ici commentés. Il faut en lire et relire certains, non pas RENAN et ses afféteries, mais un SCHWEITZER, un MAZZOLARI, un CARDONEL, un BARTH, un Urs van BALTHAZAR, un Sergueï BOULGAKOV.
Les propos sacrilèges du Manifeste du curé Jean MESLIER (1625) légués en malédiction à l’intention de ses bons paroissiens par le prêtre renégat récusant la religion et faisant de Judas une invention à l’usage des christicoles, selon son expression, connurent grâce à VOLTAIRE (1762) une audience inespérée par la version édulcorée qu’il diffusera perfidement l’employant à son entreprise de libertinage se défendant, nouveau Tartuffe, d’adhérer aux opinions de son sacrilège auteur. L’athéisme d’un baron d'HOLBACH fera lui sans détours de Judas un caïnite (1770) tandis que REIMARUS (1778) affirme que Jésus est un révolutionnaire juif et que christianisme fut un culte inventé par les apôtres pour continuer à vivre de la charité ; tous deux marquent le vrai début du travail de sape à ciel ouvert du christianisme. LEIBNIZ (1686) use de forces arguties pour expliquer que le mal commis par Judas se récompense avec usure tandis qu’Abraham a SANCTA CLARA (1686) honnit, avec des accents moyenâgeux, Judas, le fils de l’Antéchrist, mais le doute est dans le fruit, du sein même de la Chrétienté, des docteurs interrogent au nom de la raison les syllogismes johanniques. SIBERSMA (1718) explique qu’il est fort cohérent que Judas ait douté de la messianité du Christ car, pour un Juif, comment imaginer que Dieu incarné puisse mourir en croix, flirtant sans en avoir l’air avec l’hérésie docète, LAMPE (1726) commente le geste de Judas comme une adhésion seulement terrestre à un prophète vu comme chef militaire. REIMARUS (1778) ira plus loin faisant de Jésus un révolutionnaire juif et du christianisme un culte inventé par les apôtres pour continuer à vivre de la charité. LAVATER (1782) tentera en vain d’évangéliser GOETHE et d’autre esprits forts de son temps tel Moses