L'étrange sourire de Pamela Dove - John-Erich Nielsen - E-Book

L'étrange sourire de Pamela Dove E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Deux célèbres publicitaires se suicident au sommet d'une falaise. Affaires classées... sauf pour l'inspecteur Sweeney !

" - Ma fille, suicidée ? Impossible inspecteur ! C'était l'une des publicitaires les plus en vue du pays. Je ne sais pas ce qui s'est passé : un rôdeur, un fou, mais on l'a tuée. Pamela n'a pas pu faire ça !
- Peut-être... Mais sans suspect, que faire ? Mrs Dove restait une mère éplorée - encore une - niant l'évidence. J'avais même fini par penser qu'elle me faisait perdre mon temps.
Jusqu'à cette photo du corps de Pamela : la jeune femme, découverte au bord d'une falaise surplombant la mer d'Irlande... Souriait !
Je n'avais jamais vu sourire un cadavre, surtout avec une balle de 9mm dans la tempe. Désormais, cette énigme me hantait. Je voulais comprendre..."
Inspecteur Sweeney - Police criminelle d'Edimbourg

Le romantique phare de Corsewall devient, contre toute attente, le point de départ d'un mystère haletant ! Découvrez une nouvelle enquête de l'inspecteur Sweeney dans ce 4e tome !

EXTRAIT

– C’était dans la nuit du quatorze au quinze mai dernier. Elle allait avoir vingt-neuf ans… Vous vous rendez compte ? Ma toute petite fille, elle n’avait pas encore trente ans ! Mon bébé…
Instantanément, de grosses larmes roulèrent le long de ses joues.
– Si c’est trop difficile… préféra lui proposer Sweeney.
– Non… Non, ça ira, se reprit Betty, et elle essuya ses larmes du revers de la main. Il y a trop longtemps que j’attends de pouvoir en parler à quelqu’un.
– Comment s’appelait-elle ? la relança l’inspecteur.
– Pamela. Elle était publicitaire. Elle travaillait pour Eagle’s à Glasgow.
– Mmm… Le nom de la firme me dit quelque chose, confirma Sweeney. Et que s’est-il passé ?
– La police a prétendu qu’elle s’était suicidée ! s’écria soudain Betty Dove, sur le ton du reproche.
Ha, nous y sommes ! se dit aussitôt le jeune homme. J’aurais dû m’en douter ! Encore une de ces mères qui ne peut se résoudre à accepter la mort tragique de son enfant… Elle culpabilise, c’est normal. À la criminelle, des comme ça, on en reçoit tous les mois.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

La belle tradition du roman d’enquête est parfaitement respectée. Outre le mystère, soulignons la précision narrative de l’auteur. Ce nouvel épisode est convaincant, vraiment agréable. - Claude Le Nocher, Rayon Polar

Toujours aussi prenant, aussi drôle mais aussi très bien documenté comme à son habitude. - fan06, Booknode

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Deux cadavres pour le thé

– Archie ! Te voilà enfin ! s’exclama tante Midge.

– Bonjour tante, lui répondit Sweeney. Avant de lui claquer deux bises sur les joues.

– Mais tu vas être trempé. Rentre ! l’invita la vieille dame. Et Berthie ! se réjouit-elle encore, en voyant surgir ventre à terre le teckel du jeune homme.

Aussitôt, l’animal se mit à s’ébrouer au beau milieu du couloir.

– Doucement Berthie, doucement ! protesta son maître.

– Laisse-le Archie, il n’y a pas de mal, lui sourit tante Midge. D’ailleurs, regarde : le voilà déjà qui file vers la cuisine. Ton chien se sent ici comme chez lui.

– Pardon tante, s’excusa Sweeney. Il avait besoin de se dégourdir les pattes. Nous avons mis plus de trois heures pour venir d’Édimbourg.

– Trois heures ? s’étonna-t-elle.

– Oui, un accident après Stonehaven, en bord de mer. Sûrement à cause de la pluie. J’ai roulé au pas les dix derniers miles avant d’atteindre Aberdeen.

– Tu es quand même à l’heure pour le thé, le félicita la vieille dame. Donne-moi ton imperméable. Je vais descendre le mettre à sécher à la cave, et tante Midge s’empara du manteau de son neveu.

Avant de s’éloigner, sa tante lorgna vers le club de golf que, depuis deux ans, le jeune homme trimbalait sans cesse sur son épaule. Elle lui lança alors, l’air réprobateur :

– Tu aurais pu laisser ta canne dans la voiture. Tu ne comptes quand même pas jouer au golf à l’intérieur de la maison ? finit-elle par se moquer.

– Désolé tante, mais je n’y fais même plus attention. Mon sand wedge est devenu pour moi un véritable porte-bonheur. Je ne m’en sépare jamais.

– Oui, bon. Si tu veux… grommela-t-elle. À part ça, dis-moi : est-ce que ça n’a pas été trop difficile de réussir à te libérer ? et, sans attendre la réponse, tante Midge descendit étendre l’imper ruisselant.

– Non… Non ! répéta Sweeney pour se faire entendre de la vieille dame. Nous ne sommes d’astreinte qu’un samedi sur deux avec mon coéquipier McTirney… Et puis j’avais prévenu le commissaire Wilkinson… Je lui avais dit que je ne t’avais plus rendu visite depuis des semaines.

– Ah ça, tu peux le dire ! souffla tante Midge en remontant les marches… Trois mois ! clama-t-elle, avant de réapparaître dans le couloir.

– Tu exagères, tante. Pas tant que ça.

– Mais si ! Trois mois, je t’assure ! La dernière fois, c’était en février pour mon anniversaire. Je m’en rappelle très bien.

– Tu crois ?

– Voyons Archie ! Ne fais pas l’innocent. Je vieillis, mais je garde toute ma tête.

– Si tu le dis…

– Et toi ? poursuivit tante Midge. J’espère au moins que tu te souviens de la raison pour laquelle je t’ai demandé de venir ?

– Bien sûr : cette amie qui prétend avoir besoin de moi… Mais franchement, enchaîna Sweeney, je suis fonctionnaire de police, tante. Pas assistante sociale. Si cette dame a de véritables ennuis, elle n’a qu’à s’adresser au commissariat d’Aberdeen. Je ne vois pas ce que…

– Mais Archie, le coupa sa tante, c’est que tu es célèbre. Dès qu’elle a su que tu étais mon neveu…

– La belle affaire ! l’interrompit le jeune homme à son tour. Si tu me fais venir d’Édimbourg pour signer des autographes maintenant !

– Chut ! protesta tante Midge. Elle nous attend dans la pièce à côté.

– Pardon, s’excusa l’inspecteur, et il baissa le ton. Mais je te préviens : je me contenterai de lui expliquer comment fonctionnent nos services et je lui conseillerai d’aller se renseigner auprès des collègues locaux. C’est tout ce que je peux faire pour elle.

– Ce sera déjà bien, l’encouragea la vieille dame. Elle n’a pas voulu me dire ce dont il s’agissait, mais j’imagine que ça concerne sa fille.

– Eh bien quoi ? Qu’est-ce qu’elle a sa fille ?

– Elle est morte, murmura tante Midge. Il y a un an.

– Mince ! laissa échapper Sweeney, embarrassé. Désolé, je ne pouvais pas deviner.

– Betty est très discrète à ce sujet. Je n’en sais pas beaucoup plus, moi non plus.

– Betty ? Quel est son nom de famille déjà ?

– Dove, Betty Dove. Nous nous connaissons depuis bientôt cinq ans. Depuis qu’elle s’implique de façon admirable au sein de notre paroisse. D’ailleurs, le révérend Davis me le disait hier soir encore, sans Betty nous…

– Hem ! abrégea le jeune inspecteur l’éloge de sa tante. Je ne doute pas un seul instant des mérites de ton amie. Mais je ne suis qu’inspecteur. Même à la criminelle, nous n’avons pas le pouvoir de ressusciter les morts. Il ne faut pas attendre de moi je ne sais quel miracle.

– Non non, rassure-toi. Betty est une personne tout à fait sensée. Je suis persuadée que si elle tient tant à te parler, c’est qu’elle a de bonnes raisons pour ça.

– Tante, insista Sweeney, ce n’est pas parce que les journaux ont parlé de quelques-unes de mes affaires que je pourrai…

– Archie ! l’implora-t-elle, et elle lui serra la main.

– Bon… D’accord ! finit-il par céder. Mais c’est bien pour te faire plaisir.

– Merci, lui sourit la vieille dame. Je savais que je pouvais compter sur ton bon cœur. Suis-moi, ajouta-t-elle aussitôt. Nous prenions le thé au salon.

Tante Midge s’avança dans le couloir et poussa la première porte sur la gauche.

– Ça y est, Betty ! s’exclama-t-elle. Il est enfin arrivé !… Betty, je te présente mon neveu, Archie.

Tout en prenant garde à ne pas renverser sa tasse de thé, Betty Dove se retourna lentement. L’invitée de tante Midge découvrit alors, dans l’embrasure de la porte, une silhouette totalement inattendue. Le jeune homme d’environ vingt-cinq ans qui venait de pénétrer dans le salon ne… ne ressemblait… Non, franchement : ce garçon ne ressemblait à rien !

De corpulence et de taille moyennes, Sweeney affichait des allures d’étudiant dégingandé. Ses chaussures de cuir brun, noyées par l’averse, paraissaient aussi modernes que celles d’un pasteur anglican. Et son pantalon de toile grise, surmonté d’un tee-shirt froissé, n’avait visiblement jamais croisé la route d’un fer à repasser. Sur son épaule, le jeune inspecteur maintenait en équilibre un club de golf aussi ridicule que surprenant. Et tout autour de son visage, Sweeney arborait une barbe rousse mal taillée, mal peignée, mal fichue vraiment ! qui lui enflammait joues et menton. Enfin, au milieu de cette auréole pileuse, ses deux petits yeux noirs, immobiles et inexpressifs, semblaient tout juste ouverts-un-point-c’est-tout. Un désastre ! En réalité, l’inspecteur Sweeney n’était qu’une barbe. Tout le restant de son apparence n’avait pour seule fonction que de lui servir à la déplacer d’un point à un autre.

Mon dieu ! s’étonna Betty Dove, alors qu’elle reposait sa tasse de thé sur le support instable de sa soucoupe.

– Ma tante m’a beaucoup parlé de vous, voulut alors la rassurer Sweeney, et il s’avança pour lui serrer la main.

– Assieds-toi Archie, lui dit tante Midge, puis elle lui désigna une chaise au tissu fleuri.

Sweeney s’exécuta tout en déposant son sceptre métallique à même le sol.

– Une tasse de thé ? lui demanda la vieille dame.

– Volontiers, répondit l’inspecteur. Et un nuage de lait, s’il te plaît.

*

Pendant que tante Midge lui versait son thé, Sweeney prit à son tour le temps d’observer Mrs Dove.

La virtuosité avec laquelle la dame faisait simultanément évoluer sa tasse de thé, sa petite cuillère et sa soucoupe, sans que jamais le moindre déséquilibre ne vienne entraver le mouvement parfait de chacun des objets, dénotait son expérience consommée des réunions mondaines et de leurs discussions guindées.

L’amie de tante Midge était vêtue d’un tailleur de tweed rose, sergé de vert, et ses jambes, prisonnières de collants opaques, disparaissaient entièrement sous la table du salon. Son port de tête rigide, voire hautain, était renforcé par une coiffure châtain montante, laquée, retenue par d’innombrables épingles en forme de V. Quant à l’expression de son visage, elle repoussait les outrages de la soixantaine grâce à une fermeté morale qui s’efforçait de compenser le relâchement inéluctable de la peau. Enfin ses yeux verts, qui s’agitaient sans cesse de droite à gauche, comme si elle voulait éviter de croiser les regards, paraissaient trahir une grande nervosité.

Ou peut-être essaie-t-elle simplement de masquer ses sentiments ? réfléchit l’inspecteur. Mais alors, qu’a-t-elle à cacher ?

– Voilà, Archie ! le fit sursauter sa tante, et elle lui tendit à son tour les encombrants ustensiles du service à thé.

– Merci, lui répondit l’inspecteur.

Ne possédant pas la même aisance que les dames dans le maniement de cette fragile porcelaine, Sweeney dut alors concentrer toute son attention sur les mouvements périlleux et circulaires qu’il lui fallait à présent faire exécuter à sa petite cuillère.

Tante Midge en profita pour reprendre la parole :

– Tu sais Archie, Betty est devenue l’un des piliers de notre paroisse. Par le montant de ses contributions, et plus encore par l’énergie qu’elle ne cesse de déployer, elle a su se rendre indispensable.

– Marjorie, vous allez me faire rougir ! se défendit Mrs Dove, d’une voix claire et bien posée.

– C’est la vérité ! insista tante Midge. Le révérend Davis me le disait hier encore : « Sans Betty, je crois que nous…

– Pardon ! préféra l’interrompre son neveu. Mrs Dove, est-ce que vous habitez Aberdeen ?

– Oui, bien sûr. Mon mari dirigeait la distillerie The Grey Trout, au nord de la ville. Vous connaissez ?

– Ah mais… Euh… Évidemment ! finit par répondre Sweeney, visiblement impressionné. C’est même l’une des plus importantes d’Écosse, n’est-ce pas ?

– Oui. Mon mari a toujours parfaitement su mener ses affaires, avoua modestement Betty. Il a pris sa retraite il y a cinq ans, et c’est maintenant notre fils William qui veille à la bonne marche de l’entreprise.

Puis, entre deux gorgées de thé, Mrs Dove ajouta :

– Et il faut bien le reconnaître, William semble avoir hérité des qualités de son père.

Discrètement, l’inspecteur jeta un coup d’œil interrogatif vers sa tante, comme s’il se demandait ce que cette probable millionnaire pouvait bien venir faire chez une vieille dame solitaire, isolée dans sa bicoque de l’ancien quartier portuaire.

Tante Midge fit mine d’ignorer son regard.

Dans un sourire complice, elle se tourna vers son amie :

– Avec Betty, nous nous sommes rapidement découvert des tas de points communs, lui dit-elle.

– Absolument ! renchérit Mrs Dove. Nous avons toutes les deux la même passion des voyages.

– Lors de l’une de nos premières discussions, enchaîna aussitôt tante Midge, nous nous sommes rendu compte qu’il y a dix ans, nous avions séjourné dans le même hôtel du Caire. Et ce durant la même semaine !

– Oui ! ne put s’empêcher de rire Betty. Et nous sommes toutes les deux tombées d’accord pour dire que ce soi-disant palace n’était qu’une effroyable gargote !

– Oui, souviens-toi comme ces horribles loukoums étaient gras ! pouffa tante Midge. Et leur goût rance, ils ont bien failli me rendre malade !

– Même les reproductions de la pyramide de Kheops, celles que le directeur nous avait offertes à notre arrivée, étaient fabriquées en Chine ! lui rappela Betty, et les deux dames se mirent à rire à gorge déployée.

Mais qu’est-ce que je fais là, moi ? s’interrogea soudain Sweeney. Dans quel traquenard suis-je tombé ? Je n’ai quand même pas roulé trois heures sous la pluie, depuis Édimbourg, pour écouter ces histoires destinées aux dames du troisième âge ? Et devant une tasse de thé, par-dessus le marché !

– Hem… Dites, se risqua la barbe rousse. Il me semble que vous souhaitiez me parler d’une affaire vous concernant, Mrs Dove ?

En un instant, la question de l’inspecteur coupa court à la franche hilarité des dames.

– Oui… Oui, c’est vrai, se ressaisit Betty Dove.

– Je peux vous laisser tous les deux, leur proposa tante Midge.

– Non Marjorie, la retint son amie. Au contraire, j’aimerais que tu restes. C’est… C’est que c’est assez délicat. Ta présence m’aiderait.

– Bien, comme tu voudras, se rassit la vieille dame.

Betty Dove commença par déposer sa soucoupe sur la table.

En observant la précision millimétrique de ses gestes, et sa subite concentration, Sweeney se dit qu’il devait effectivement s’agir pour la dame d’une affaire d’importance.

– Voilà, débuta-t-elle. Comme tout le monde, j’ai beaucoup entendu parler de vous, Mister Sweeney.

– Tout le monde, tout le monde… chercha l’inspecteur à minimiser sa célébrité.

– Mais si, ne soyez pas modeste. Vous êtes notre nouveau Sherlock Holmes, le flatta Mrs Dove.

– C’est trop gentil, se défendit Sweeney. Mais si vous me disiez plutôt quel est votre souci ? Je ne sais même pas si je suis en mesure de vous aider.

– Mais je n’ai plus que vous ! s’exclama aussitôt Betty. Vous êtes mon seul espoir ! Dès que j’ai appris votre lien de parenté avec Marjorie…

– C’est moi qui ai encouragé Betty à te parler, crut bon de préciser la vieille dame. Elle avait peur que tu ne sois devenu l’une de ces vedettes inaccessibles.

– Le problème n’est pas là, s’impatienta Sweeney. Le fait que la presse ait parlé de moi ne me donne aucun pouvoir particulier. Je ne suis qu’un fonctionnaire de police comme les autres… Je crois savoir qu’il s’agit de votre fille ? finit alors par abréger l’inspecteur.

– Oui… Oui, c’est bien ça, murmura Betty Dove en baissant la tête.

– Que lui est-il arrivé ? voulut l’aider le jeune homme. Est-ce qu’elle est décédée ?

Après un silence, Mrs Dove souffla :

– Oui… Ça fera exactement un an après-demain.

Sweeney et sa tante échangèrent un regard ému.

Betty Dove réussit à poursuivre :

– C’était dans la nuit du quatorze au quinze mai dernier. Elle allait avoir vingt-neuf ans… Vous vous rendez compte ? Ma toute petite fille, elle n’avait pas encore trente ans ! Mon bébé…

Instantanément, de grosses larmes roulèrent le long de ses joues.

– Si c’est trop difficile… préféra lui proposer Sweeney.

– Non… Non, ça ira, se reprit Betty, et elle essuya ses larmes du revers de la main. Il y a trop longtemps que j’attends de pouvoir en parler à quelqu’un.

– Comment s’appelait-elle ? la relança l’inspecteur.

– Pamela. Elle était publicitaire. Elle travaillait pour Eagle’s à Glasgow.

– Mmm… Le nom de la firme me dit quelque chose, confirma Sweeney. Et que s’est-il passé ?

– La police a prétendu qu’elle s’était suicidée ! s’écria soudain Betty Dove, sur le ton du reproche.

Ha, nous y sommes ! se dit aussitôt le jeune homme. J’aurais dû m’en douter ! Encore une de ces mères qui ne peut se résoudre à accepter la mort tragique de son enfant… Elle culpabilise, c’est normal. À la criminelle, des comme ça, on en reçoit tous les mois. Elles n’y croient pas. Ou plutôt, elles préfèrent ne pas y croire. C’est plus facile. Tout du moins au début… Elle ne va pas tarder à me dire que tout ça est impossible, que sa fille respirait la joie de vivre, qu’elle avait tout pour être heureuse, qu’il faut rouvrir l’enquête, etc… Elle va même sûrement me montrer des photos sur lesquelles sourit sa fille… Great Scott ! finit alors par pester Sweeney. Dans la police, on n’a pas tous les jours un métier facile !

Au même instant, Betty Dove haussa brusquement le ton :

– Regardez ! Mais regardez, Mister Sweeney ! et comme il l’avait prévu, la sexagénaire sortit de la poche de sa veste une photo en couleur. Elle la lui tendit aussitôt.

Poliment, l’inspecteur saisit le cliché, mais il ne prit même pas la peine d’y jeter un œil.

– Pamela n’avait aucune raison de faire ça ! continua sa mère. Elle avait tout réussi dans la vie : ses études, son métier… Elle était la publicitaire la plus en vue de sa firme. Les cafés Smoky par exemple, vous vous souvenez ?

– Ah oui ! Bonjour Smoky, bonjour la vie ! chantonna Sweeney sans même réfléchir.

– Eh bien les cafés Smoky, c’était elle ! clama Betty Dove. Et la campagne d’affichage pour les sous-vêtements Man’s Skin ?

– Celle où le monsieur se retrouve tout nu, avec un chapeau melon devant… euh, devant… hésita l’inspecteur.

– Ça aussi, c’était Pam ! le soulagea Mrs Dove… Alors vous voyez, comment une fille avec un tel humour peut-elle décider de se suicider ? Non Mister Sweeney, c’est impossible !

Puis elle ajouta :

– En plus, elle était amoureuse. Pam projetait d’épouser Oliver, un collègue rencontré chez Eagle’s. Non… Non ! répéta-t-elle. Comment croire à un suicide ? Regardez-la, regardez-la inspecteur !

Devant l’insistance de Mrs Dove, Sweeney se résolut à observer la photo qu’il tenait entre ses doigts.

Et là, alors qu’il s’apprêtait à observer d’un œil certes poli, mais rapide, ce visage inconnu, le jeune homme sentit son regard subitement happé par le sourire qu’il découvrait.

Car Pamela Dove n’était pas belle. Non, elle était… Elle était plus que cela… Elle était… Elle était… Envoûtante !

Brune, les cheveux mi-longs et lisses, les yeux rieurs, elle portait sur la photo un chemisier de couleur bleu dont on ne distinguait que les épaules.

Le visage tourné vers l’objectif, encadré par un paysage printanier – Un jardin ? songea Sweeney – la jeune femme aux yeux d’azur souriait. D’un sourire impossible à décrire, d’un sourire irréel, d’un sourire que l’on ne pouvait que… ressentir !

Mince ! Si je m’attendais ! réagit l’inspecteur, subjugué.

– Vous voyez bien ! enchaîna sa mère. Puis elle précisa encore :

– Quand je pense qu’on les a retrouvés tous les deux avec une balle dans la tête… Mon dieu ! Comment la police a-t-elle pu croire à ça ?

Sweeney resta figé.

Le moment de stupeur passé, il releva doucement le regard, puis il fixa Betty Dove droit dans les yeux :

– Comment ça « tous les deux » ?… Mrs Dove, est-ce que vous voulez bien me raconter ça ?

*

D’une voix blanche, Betty Dove reprit :

– Pamela se trouvait dans la voiture de son ami Oliver. Tous les deux avaient été tués d’un coup de feu dans la tempe. C’est Oliver qui tenait le pistolet.

– Mmm… fit entendre Sweeney. Et où les a-t-on découverts ?

– Sur la péninsule de Stranraer, s’empressa d’indiquer Mrs Dove, visiblement satisfaite d’avoir réussi à susciter la curiosité du jeune inspecteur. Est-ce que vous voyez où ça se trouve ?

– Bien sûr, confirma la barbe rousse. C’est sur le Firth of Clyde, de l’autre côté du pays. Face à la mer d’Irlande, n’est-ce pas ?

– Oui. Pam et Oliver travaillaient à Glasgow… Le quatorze mai au soir, ils ont quitté la ville ensemble et ils ont roulé sur près de cent miles, en direction du sud-ouest. On a retrouvé la voiture le lendemain matin, stationnée près d’une falaise surplombant la mer, à proximité du phare de Corsewall.

– Mmm… bourdonna encore Sweeney. Avant d’expliquer :

– Vous savez madame, le Firth of Clyde, ce n’est pas ma juridiction. Je n’y ai pas la moindre autorité. Si les collègues de Glasgow ont jugé que…

– Archie ! le coupa autoritairement tante Midge. Tu peux quand même faire un effort, voyons.

Agacé, le jeune inspecteur concéda :

– Bon… J’ai bien un camarade de promotion, Eddy Thurso, qui a obtenu sa première affectation à Glasgow, il y a dix-huit mois. Il faudrait que je lui en parle, histoire de voir si l’affaire lui dit quelque chose. Mais puisqu’il s’agit d’un suicide…

– Ce n’est pas un suicide ! s’insurgea aussitôt Betty Dove. Je n’ai pas cessé de le répéter à vos collègues de Glasgow. Mais personne ne m’a écoutée ! Aucune enquête n’a été menée. Ils se sont contentés de…

– Parce que vous soupçonnez quelqu’un ? la brusqua Sweeney.

– Euh… Je… Enfin… balbutia Mrs Dove.

– Madame, il faut bien comprendre comment fonctionne la police, reprit l’inspecteur. Si aucun élément ne permet de suspecter l’intervention d’une tierce personne, il est alors tout à fait logique de délivrer le permis d’inhumer. Et d’en rester là. Vous savez, nous avons malheureusement tellement de cas à traiter…

Puis Sweeney insista :

– Alors… Vous soupçonnez quelqu’un ?

– Eh bien… Eh bien… Eh bien, non ! reconnut Betty Dove.

L’inspecteur prit aussitôt une mine navrée, puis il rendit sa photo à la mère de Pamela.

– Mais… Mais vous me croyez au moins ? se mit à sangloter Mrs Dove. Vous avez vu son sourire, vous l’avez bien vu ? Jamais Pam ni Oliver n’auraient pu faire une chose pareille. On les a tués, Mister Sweeney… Je ne sais pas qui, un rôdeur, un fou, mais on les a tués. Ils n’ont pas pu faire ça ! Pas comme ça ! Ma fille ne m’a même pas écrit la moindre lettre !

D’un ton sec et professionnel, l’inspecteur demanda soudain :

– À qui appartenait le pistolet, Mrs Dove ?

– À… À ma fille, murmura Betty Dove, livide.

Sweeney, confus et désolé, baissa la tête. Un silence interminable s’installa autour de la table.

Lorsque l’inspecteur releva les yeux, son regard croisa instantanément celui de tante Midge.

Aussitôt, il réussit à y lire ce que la vieille dame avait à lui dire : D’accord tante, d’accord… comprit Sweeney. Je sais trop bien à quoi tu penses. Tu penses à mes parents, à la façon dont ils sont morts sur la lande, il y a vingt ans… Je n’oublie pas non plus. Je sais ce que l’histoire de Betty Dove te rappelle(1)…

Brusquement ému, et sans donner à Mrs Dove la moindre explication, le jeune homme lui dit alors :

– Ça ne va pas être simple…

– Que… Que vous voulez dire ? sursauta la dame, étonnée.

– Le plus dur sera de trouver un prétexte, continua-t-il.

– Pour quoi faire ? risqua Betty Dove, le cœur battant.

Mais Sweeney poursuivit son monologue :

– Si je veux pouvoir rendre visite à Eddy Thurso, il faudra que mon coéquipier McTirney me couvre. Parce que si jamais je raconte au commissaire ce que je m’en vais faire à Glasgow, je suis bon pour un blâme !

Mrs Dove, incrédule, n’osait pas encore se réjouir.

– Une demi-journée devrait me suffire, précisa l’inspecteur. Le temps de faire l’aller-retour. Eddy me sortira le dossier. J’y jetterai un coup d’œil et je vous dirai ensuite ce que j’en pense.

– Merci ! se libéra enfin Betty.

– Soyons clairs, Mrs Dove : il s’agit uniquement de vous aider à comprendre ce qu’il s’est passé. Il n’y a malheureusement rien de plus à attendre de ma démarche… Je ferai de mon mieux pour vous expliquer les circonstances de la mort de votre fille et j’espère que cela vous aidera pour faire votre deuil. Est-ce que nous sommes d’accord ?

– Merci, monsieur ! Merci mille fois ! jubila Betty Dove, avant de sourire de gratitude à son amie Marjorie.

– Nous sommes bien d’accord sur le sens de ma démarche ? préféra lui répéter l’inspecteur.

À cet instant, tante Midge se tourna vers son neveu et, avec un sourire désarmant, elle lui dit :

– Merci Archie !… Je suis si fière de toi !

Et voilà !… se désespéra Sweeney. Tu t’es encore fait avoir, mon vieux. Dans quel piège t’es-tu fourré ? Il suffit que ta tante t’invite à prendre le thé, qu’elle te présente une inconnue éplorée, que tu vois la photo d’une jolie fille – morte, en plus – pour que hop ! tu te lances dans une aventure qui finira sûrement par une remontée de bretelles chez Wilkinson. Quel âne tu fais ! Et tout ça pourquoi ? Pour confirmer à une mère que sa fille en avait marre d’une vie trop parfaite. Qu’elle a préféré mettre un terme à son vague à l’âme en compagnie d’un garçon tout aussi romantique qu’elle. Tu parles ! Et tante Midge qui n’en finit plus de me sourire… Elle m’a bien eu ! Elle m’invite pour le thé, et je repars de chez elle avec deux cadavres sur les bras ! En plus, cette histoire ne me dit rien qui vaille. C’est bizarre, comme si j’étais en train de glisser le long d’une pente… Et puis l’étrange sourire de cette Pamela Dove… songea encore le jeune inspecteur.

Intuitivement, Sweeney comprit qu’il n’allait pas tarder à regretter le thé offert par tante Midge.

(1) Lire Meurtre au dix-huitième trou.

Petits détails et… grosse colère !

L’agent de faction l’avait correctement renseigné. Le bureau de l’inspecteur Thurso était bien le dernier sur la gauche. Hissant sa barbe rousse jusqu’à la vitre, Sweeney parvint à entrevoir son jeune collègue : seul dans la pièce, Eddy téléphonait. Sans hésiter, le visiteur toqua contre la paroi.

Surpris, l’inspecteur Thurso leva les yeux. Reconnaissant son ami, il lui fit aussitôt signe d’entrer. Sweeney ouvrit la porte et vint s’asseoir sur la chaise que lui désignait son collègue. Pour ne pas le déranger, il déposa silencieusement son club de golf à même le sol, puis il attendit qu’Eddy ait achevé sa conversation. Manifestement, il était question d’une astreinte de week-end que l’on demandait à l’inspecteur Thurso d’assurer au pied levé.

La routine, songea Sweeney. C’est partout la même chose. Que ce soit chez moi à Edimbourg, ou ici à Glasgow, ce sont toujours les jeunes qui morflent. Refuse Eddy ! Envoie-le balader ! le soutint moralement la barbe rousse.

Mais les choses s’annonçaient mal pour l’occupant du bureau. Petit à petit, les : « Oui, je comprends… », ou bien encore les : « Je sais, commissaire… », prenaient le pas sur les : « Mais je croyais… » et autres « J’aurais préféré… ».

C’est fichu pour toi Eddy, estima Sweeney.

En attendant que son ami raccroche, l’inspecteur prit le temps d’observer son collègue de Glasgow.

Depuis l’école de police, Eddy n’avait pas changé. Et c’était sans doute ce qui surprenait le plus Sweeney. Thurso arborait toujours l’un de ces complets sombres, impeccablement taillés, qui, à son âge, lui donnaient plus l’air d’un bon élève que celui d’un futur haut responsable de la police. Car Sweeney n’en avait jamais douté : major de leur promotion, et surtout serviteur zélé de ses chefs, Eddy Thurso finirait tôt ou tard par occuper l’un des postes-clés du ministère.

Dire que dans une quinzaine d’années, ce fils de famille endimanché – on jurerait un employé de banque ! – a toutes les chances de devenir mon chef… Quelle blague !

Il est vrai qu’avec sa cravate trop rouge, pour donner l’illusion du dynamisme, un inévitable col blanc, une coupe de cheveux trop sage, et une raie à la Prince Charles, l’inspecteur Thurso s’affichait en parfait fossoyeur de l’esprit contestataire de sa génération. En tout cas, rien à voir avec l’aspect dégingandé de son visiteur ! Avec ses joues et son nez couverts d’une acné tardive, ses lèvres trop sèches et un regard plus apeuré qu’intelligent, le visage d’Eddy inspirait à Sweeney autant de sympathie que la moustache naissante d’une Mrs Trench, sa logeuse de George Street !

Bon, ça suffit ! finit par se reprocher la barbe rousse. Avoue-le Archie : tu es jaloux, voilà tout ! À l’école, dès que tu as compris qu’Eddy allait te souffler la première place, et que les filles de la promo se sont mises à le trouver plus intéressant que toi, tu as fait de ce pauvre Eddy le bouc émissaire de tes propres déceptions… Fais un effort mon vieux, se raisonna Sweeney. Tu as besoin de lui. Et puis, de toute façon, tu as promis à tante Midge…

Au même instant, la voix de l’inspecteur Thurso tira Sweeney de ses pensées. Le jeune homme annonça :

– Au revoir, commissaire ! et il raccrocha brusquement le combiné.

Puis il enchaîna aussitôt, un large sourire au coin des lèvres :

– Alors, mon vieux Sweeney ? Comment vas-tu ? Deux ans déjà ! Content de te revoir ! et il gratifia son ami d’une vigoureuse poignée de mains.

Mince ! se reprocha encore la barbe rousse. En plus, il est toujours aussi sympathique… Décidément, tout pour m’agacer !

– Euh… Ça va Eddy, ça va ! lui répondit son collègue. Et… Et toi ? improvisa-t-il.