Le serment des Highlands  - John-Erich Nielsen - E-Book

Le serment des Highlands  E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Sur fond de lande, de tourbe et de château, une intrigue et des paysages... ébouriffants !

"Une randonnée dans le massif du Kintail, à l'ouest des Highlands, je suis toujours partant ! Pourtant, cette fois...
Sept disparus en moins de deux ans, sans qu'aucun corps n'ait jamais été retrouvé... Un fugitif armé d'un fusil, un projet pharaonique de parc animalier, et puis cet inquiétant berger, Pat McKenzie... Qui est-il vraiment ? Enfin, cette légende que nous a racontée le nouvel ami de tante Midge, l'historien Robert Butler : un dragon anglais, perdu dans la brume le 10 juin 1719, alors qu'il s'élançait à la poursuite de Highlanders rebelles... On prétend qu'il n'est jamais revenu ! Au début, j'ai souri... Mais cette nuit, prostré au fond de mon trou, j'ai peur : car il est là ! Il approche... Le cavalier de Glen Shiel me traque !"
Inspecteur Sweeney - Police d'Edimbourg

Cette 8e enquête de l'inspecteur Sweeney nous entraîne dans les mystérieuses montagnes d'Écosse !

EXTRAIT

– Trois fois, des clients sont partis du Cluanie Inn, et plus personne ne les a jamais revus.
– Je n’en ai pas entendu parler, s’étonna le policier. Effectivement, c’est étrange.
– Dans la région, ça doit bien faire cinq ou six disparitions en tout, continua d’expliquer Mrs Greene.
– Vraiment ? répliqua cette fois tante Midge.
Définitivement lancée, Mandy poursuivit :
– À chaque fois, les clients sont partis seuls. À la première disparition, pour être honnête, on ne s’est pas plus inquiétés que ça. N’est-ce pas, Jack ?
Son mari opina du chef.
– On a cru qu’il devait s’agir d’un accident, déclara-t-elle. Le jeune monsieur était parti randonner en direction du loch Cluanie, et tout le monde a pensé qu’il s’était noyé, ou bien qu’il s’était suicidé.
– Mais on n’a jamais retrouvé son corps, ajouta la voix grave du cuisinier.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Voilà un excellent roman d’enquête, à découvrir absolument ! - Claude Le Nocher, Rayon Polar

Je ne peux que conseiller ce roman qui comporte tout ce que je peux aimer dans mes lectures : une énigme, de l'émotion, des descriptions superbes, sans oublier une pointe d'humour qui ne gâche rien ! - Pampoune Lectures

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Les disparus du Cluanie Inn

Mercredi 7 juin

– Des rollmops ? s’indigna tante Midge. Tu as déniché des rollmops au buffet ?

Tout sourire, et indifférent au fumet redoutable que dégageait son assiette, l’inspecteur Sweeney reprit sa place à la table du petit déjeuner.

– Au contraire, c’est cool ! s’exclama le jeune homme. Voilà qui va me réconcilier avec le Cluanie Inn.

– Eh bien quoi ? protesta sa tante. Qu’est-ce qu’il a cet hôtel ?

– Question randonnée, je ne dis pas : c’est pratique, et le coin est joli. Mais quatre jours dans ce trou à rats… soupira le policier.

– Le site est magnifique, lui opposa tante Midge. Et je te rappelle, mon neveu, que tu étais parfaitement d’accord pour m’accompagner dans les Highlands. D’ailleurs, rien de tel que le grand air pour te remettre de l’effervescence de la grande ville… À Édimbourg, je ne sais pas ce que ton commissaire Wilkinson te fait faire, insinua-t-elle, mais je ne te trouve pas bonne mine.

– Vraiment ? releva son neveu, tout en se servant une nouvelle tasse de café. Il faut reconnaître que, durant ces six derniers mois, je n’ai pas dû avoir plus de trois ou quatre week-ends de liberté, admit-il.

– Tu vois ! clama la vieille dame, forte de cet avantage. À ce rythme-là, ils vous useront avant l’âge…

Mais, curieuse, elle chercha tout de même à savoir :

– Et pourquoi es-tu aussi fatigué ? Des enquêtes importantes ?

– Oh non, rien de sérieux. Sinon, tu t’en doutes, je t’aurais appelée. D’ailleurs, songea-t-il, moi qui comptais sur ce séjour pour lui parler d’Ilona, mieux vaut que j’attende encore un peu… Depuis l’année dernière(1), reprit-il, il ne s’est rien passé de bien excitant. La routine : des crimes crapuleux, des maris jaloux qui trucident leur épouse, des suicides… Beaucoup de suicides… répéta-t-il, l’air grave.

– C’est bien ce que je disais ! Tu es épuisé, crut-elle deviner à sa mine. J’ai bien fait de t’emmener avec moi. Parce que si je ne songeais pas à te faire prendre du repos, toi-même tu ne… Non ! s’écria-t-elle soudain. Pas de poisson au chien. Archie, voyons !

Trop tard. D’un seul coup, Sweeney venait de faire glisser deux longs filets de hareng dans la gueule de son teckel. À peine rassasiée par ce premier festin, la saucisse à quatre pattes se dressait déjà sur ses postérieures, réclamant une nouvelle portion à son maître.

– Berthie, descends ! gronda la vieille dame. Et toi, cesse de lui donner à manger à table. Ça ne se fait pas. Que vont dire les gens ?

L’air malicieux, Sweeney laissa lentement traîner son regard à travers la salle :

– Les gens ? Quels gens ? À part ce retraité qui nous tient compagnie, l’auberge est vide. Je te l’ai dit, tante : un trou à rats !

La vieille dame ne sut que répondre.

– Et puis, tu as vu ? enchaîna le jeune homme. Ce type mange avec son chapeau sur la tête. Marrant, on dirait le galurin de Sherlock Holmes !

– Tais-toi, tu me fais honte ! le tança tante Midge. Le monsieur va nous entendre… Et puis ce n’est pas un « galurin », comme tu dis si bien, mais un deerstalker, le corrigea-t-elle. C’est très élégant. Je trouve même que ça lui va très bien.

Le visage de son neveu s’illumina d’un large sourire.

– Eh bien quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? se défendit la vieille dame.

Sweeney continua de sourire, avant de finalement se lever :

– Je retourne au buffet, annonça-t-il. J’ai donné tout mon poisson à Berthie.

Pendant que le jeune homme s’éloignait, tante Midge ne put s’empêcher de l’observer : Après tout, sa tenue de randonneur lui va mieux que ses frusques habituelles. C’est vrai, si je le laissais faire, il finirait fagoté comme un archevêque anglican et, pis encore, vieux garçon ! C’est qu’il aura bientôt trente ans… Tandis que là, avec son coupe-vent bleu marine, son pantalon de trekking et ses chaussures de marche, sa silhouette est beaucoup plus sportive, plus élancée. Je suis même sûre qu’il pourrait plaire aux filles… Toutefois, relativisa-t-elle, tant qu’il ne mettra pas un peu d’ordre dans cette fichue barbe rousse ! Je lui ai dit cent fois de se raser, mais il ne veut rien entendre… Et puis ce satané club de golf ! Quelle manie aussi de se trimbaler partout avec une canne sur l’épaule. Et même pour aller chercher des rollmops ! On n’a pas idée… se désola-t-elle enfin.

– Tu aurais pu laisser ta canne dans la chambre, lui reprocha-t-elle, alors que Sweeney revenait avec une nouvelle assiette de hareng, son sand wedge en équilibre sur l’épaule gauche.

– Ah ?… Tu sais, je n’y pense même plus, se défendit-il en se rasseyant.

– De la mayonnaise ? s’offusqua la vieille dame en découvrant l’effroyable contenu de son assiette. Et du ketchup ? Tout ça sur des rollmops ? Archie, excuse-moi, mais à sept heures du matin, c’en est trop pour moi !

– Décidément… se renfrogna le jeune Écossais qui, dépité, préféra faire glisser sa splendide composition à ses pieds.

Son teckel, ravi, n’en fit qu’une bouchée.

– Pour cette fois, je te pardonne pour le chien, concéda sa tante, visiblement soulagée.

– Pas de quoi, grommela Sweeney.

– Parlons plutôt de ta journée, enchaîna tante Midge. Alors dis-moi, quel circuit de randonnée as-tu prévu pour aujourd’hui ?

– Et si nous commencions par la journée d’hier ? proposa son neveu. Après notre long périple depuis Aberdeen, puis la visite du château dans la foulée, nous sommes rentrés tard. Nous n’avons même pas eu le temps d’échanger nos impressions… Alors : Eilean Donan Castle(2), ça t’a plu ?

– Beaucoup ! s’empressa de confirmer tante Midge. Comme je te l’ai dit, et ça peut paraître surprenant, mais à mon âge, je n’avais encore jamais visité le château. C’est souvent son propre pays que l’on connaît le moins, sourit la vieille dame. Et toi ?

– Moi tu sais, les vieilles pierres… lui fit comprendre Sweeney.

– Ah bon ? Pourtant, il faisait si beau. Et puis dès l’arrivée, avec ce vieux pont qui enjambe le loch, les tours qui se reflètent dans l’eau, et les collines en toile de fond, j’ai trouvé l’endroit tellement… tellement romantique ! finit par s’emballer tante Midge.

– Mmm ? Sur le pont, j’ai surtout trouvé que le loch était infesté de midges(3), jugea pour sa part le jeune policier, en se frottant les bras.

– Mmoui, je vois. Trop touristique à ton goût, n’est-ce pas ?

– Peut-être… reconnut son neveu.

– Alors, pour aujourd’hui ? préféra-t-elle le relancer. Quel est ton programme ?

– Les Five Sisters of Kintail(4) ! s’exclama-t-il, l’air cette fois beaucoup plus enthousiaste. Je stationnerai la voiture au plus près du sentier de randonnée, puis je suivrai la ligne de crête avant de redescendre sur le loch Duich. Je pense en avoir pour sept à huit heures.

– Est-ce que tu seras là pour dîner ? s’inquiéta tante Midge.

– Oui, pas de problème. Le beau temps sera de la partie. Un peu de vent sur les sommets, mais je…

– La dernière fois que tu m’as fait ce genre de promesse, le coupa-t-elle, c’était aux Canaries. Et je me souviens très bien que ça ne s’est pas passé du tout, mais alors pas du tout !, comme tu l’escomptais(5), lui rappela-t-elle, la mine contrariée.

– Cette fois, lui sourit le jeune homme, aucun meurtrier ne viendra gâcher mon plaisir. Je serai seul… À ce propos, songea-t-il, est-ce que je peux te confier Berthie ?

– Mais bien sûr, accepta la vieille dame. Tu sais que ton chien adore faire la sieste sur mes genoux. Et puis, il n’est plus tout jeune lui non plus ; dorénavant, lui et moi, nous avons des intérêts communs.

– Je vois ! se mit à rire le policier. Et toi tante, qu’as-tu prévu ?

– Lecture. Je me suis mis un bon Elizabeth George de côté pour…

– Aïe ! ne put s’empêcher de se moquer son neveu.

– …que je savourerai, reprit-elle, seule sur un banc, en contemplant les paisibles montagnes que, pour ta part, tu vas t’échiner à gravir. Mais à chaque âge ses plaisirs, n’est-ce pas ? conclut-elle, péremptoire.

– Tu as certainement raison, acquiesça Sweeney en consultant sa montre. Bien, dit-il, il ne faut pas que je tarde.

Le jeune homme quitta de nouveau la table pour le buffet. Il y bourra son sac à dos de tranches de pain de mie, de saucisses et de fromage, puis il remplit sa bouteille thermos d’un thé brûlant. Enfin, il revint épauler son club de golf, embrassa son teckel sur la truffe, puis il voulut en faire de même sur la joue de sa tante.

– Ah non, pas après le chien ! le repoussa-t-elle.

Amusé, son inspecteur de neveu lui sourit et, après lui avoir adressé un dernier baiser de la main, le jeune homme se dirigea vers la porte du Cluanie Inn.

Lorsque soudain, dans son dos, retentit une voix féminine :

– Mister Sweeney ! Pardon, Mister Sweeney !

*

L’enquêteur se retourna vers Mandy Greene, la gérante de l’hôtel :

– Vous voulez ma clé, Mandy ? Je l’ai laissée à ma tante. Elle vous la…

– Non non, le détrompa la jeune femme. Je voudrais vous parler. Si c’est possible.

Le vert de ses yeux se fit plus insistant, et plus brillant encore.

Surpris, Sweeney commença par observer la responsable du Cluanie Inn. Dans sa robe longue aux motifs tartan bleu-vert, Mandy faisait un peu plus que son âge, qui ne devait toutefois pas excéder les trente-cinq ans. Légèrement potelée, mais très appétissante – à l’image de son corsage, jugea le policier –, la jeune femme, avenante, avait tout de suite inspiré de la sympathie à l’inspecteur. Enfin ses joues rondes, rehaussées par une coupe au carré presque rousse, vous donnaient spontanément envie de lui sourire.

Impossible qu’elle soit originaire de la région, songea Sweeney. Ce doit être, elle aussi, une Sassenach(6)comme ils disent par ici. Car quand on grandit dans les Highlands, la vie vous burine autant le corps que l’âme.

– Euh… Oui, si vous voulez, finit par se décider l’inspecteur. De quoi s’agit-il ?

– Je peux vous parler à table ? insista-t-elle. C’est… C’est que c’est assez délicat.

– Bien sûr, déclara son client, intrigué. Et Sweeney retourna s’installer aux côtés de tante Midge.

– Bonjour Miss Sweeney, salua-t-elle la vieille dame, en inclinant son décolleté au moment de s’asseoir.

– Bonjour Mrs Greene, lui répondit cette dernière, la mine presque aussi étonnée que son neveu. Que se passe-t-il ? Un problème ?

– Non aucun, la rassura la gérante, dans un sourire gêné. C’est moi… Enfin… hésita-t-elle. Enfin, c’est moi qui aurais besoin de vous.

– Ah ? s’intéressa Sweeney. Mais en quoi pouvons-nous vous être utiles ?

Mandy Greene inspira profondément, puis elle se lança :

– Voilà… Hier soir, après que vous avez rempli le registre, j’ai bien sûr lu votre nom, ainsi que votre profession. Et puis, en voyant votre club de golf, je me suis dit…

– Eh bien quoi ? s’amusa le policier. Le port du sand wedge n’est pas prohibé, que je sache !

– Évidemment non… répondit Mrs Greene, dans un petit rire nerveux. Mais je me suis dit que vous deviez être le célèbre inspecteur Sweeney, celui d’Édimbourg. Alors je…

– C’est donc ça ? la coupa tante Midge. Mon neveu est en vacances, madame. De quoi voulez-vous lui parler ? Je vous préviens, s’énerva-t-elle, si vous avez l’intention de lui…

– Tante ! l’interrompit le jeune homme. S’il te plaît, laisse finir Mrs Greene.

– Comme tu voudras… ronchonna la vieille dame.

Pour se donner une contenance, tante Midge attrapa Berthie, le posa sur ses genoux, et elle se mit à le caresser comme si elle s’intéressait à tout autre chose qu’à la conversation.

– Merci, lui renvoya son neveu. Avant de se retourner vers la jeune femme :

– Alors, Mandy ? Je vous écoute.

– Eh bien voilà, reprit-elle : il s’agit d’une affaire sur laquelle j’aimerais avoir votre avis. Nous…

En l’entendant prononcer le mot « affaire », ce fut cette fois au tour de Sweeney de l’interrompre :

– Mandy, ma tante a raison. Je suis en vacances, et ma juridiction ne va pas au-delà d’Édimbourg. Si vous avez un souci qui relève de nos services, adressez-vous au poste de police le plus proche. Mes collègues se feront un devoir de vous renseigner.

– Tu vois, j’te l’avais dit ! clama dans son dos une voix masculine aux accents vulgaires.

L’inspecteur se retourna et découvrit Jack Greene, le mari de la gérante, debout derrière le guichet de l’hôtel. À peine plus âgé que sa femme, Jack portait sa tenue blanche de cuisinier du Cluanie Inn. Moins intelligent que sa femme, il lui abandonnait volontiers la gestion administrative, et rébarbative, de l’établissement. Ce qui ne l’empêchait pas de préparer un succulent haggis dont Sweeney s’était délecté la veille au dîner. Toutefois, sa silhouette émaciée, son visage anguleux à la Jack Palance assorti d’une barbe de trois jours, et des cheveux très noirs, en faisaient un personnage résolument antipathique que l’on s’étonnait de voir associé à la généreuse Mandy.

Qu’est-ce qu’elle peut bien lui trouver ? pensa le jeune homme. En plus, avec son tablier douteux, ses mains d’étrangleur et son regard torve, il a tout l’air d’un détrousseur de voyageurs. Surtout dans une auberge isolée comme le Cluanie Inn…

L’inspecteur ne put s’empêcher de frissonner, comme si, déjà, une sourde inquiétude l’assaillait.

Mais lui en revanche, finit-il par se moquer, à la différence de Mandy, je jurerais que c’est un pur produit d’Inverpolly(7) !

– Tu vois, répéta le cuisinier. Laisse donc ces messieurs dames tranquilles.

Curieusement, cette incroyable dissonance entre les deux personnalités des époux Greene redonna à Sweeney l’envie d’écouter Mandy.

– Non, je vous en prie, se rattrapa le policier. Si vous voulez me faire l’honneur de me soumettre votre problème, je m’efforcerai de vous conseiller au mieux.

Le corsage de Mrs Greene se souleva de contentement. Pour sa part, tante Midge émit un profond soupir de désappointement.

– Dites-moi, l’encouragea Sweeney. Je vous écoute.

Mise en confiance, l’hôtelière prit une nouvelle fois son courage à deux mains :

– J’ignore ce que vous pourrez faire pour nous, commença-t-elle, et, d’ailleurs, c’est surtout votre avis que j’aimerais avoir…

– Oui. Je vous en prie, répéta l’inspecteur.

– Eh bien… hésita-t-elle encore. Voilà : des disparitions inexpliquées se sont produites dans la région.

– Ah ? fit entendre le jeune policier, manifestement intéressé.

– Pfui ! siffla tante Midge, plus méfiante.

– S’il te plaît… lui renvoya son neveu. Pardon Mandy, enchaîna-t-il, vous disiez ? Des disparitions ?

– Oui. À trois reprises déjà, des clients de l’hôtel sont sortis – pour une randonnée ou pour une visite, précisa la gérante –, pour ne plus jamais revenir !

Instantanément, tante et neveu se dévisagèrent, laissant leurs pensées converger vers l’inquiétant Jack Greene.

– Euh… Com… Comment ça ? balbutia Sweeney.

– Trois fois, des clients sont partis du Cluanie Inn, et plus personne ne les a jamais revus.

– Je n’en ai pas entendu parler, s’étonna le policier. Effectivement, c’est étrange.

– Dans la région, ça doit bien faire cinq ou six disparitions en tout, continua d’expliquer Mrs Greene.

– Vraiment ? répliqua cette fois tante Midge.

Définitivement lancée, Mandy poursuivit :

– À chaque fois, les clients sont partis seuls. À la première disparition, pour être honnête, on ne s’est pas plus inquiétés que ça. N’est-ce pas, Jack ?

Son mari opina du chef.

– On a cru qu’il devait s’agir d’un accident, déclara-t-elle. Le jeune monsieur était parti randonner en direction du loch Cluanie, et tout le monde a pensé qu’il s’était noyé, ou bien qu’il s’était suicidé.

– Mais on n’a jamais retrouvé son corps, ajouta la voix grave du cuisinier.

– C’est vrai, l’appuya Mandy. Aucune trace, rien… Je vous avoue, reprit-elle, que lorsque la famille est venue chercher ses affaires la semaine suivante, ça m’a fait un choc. Pour sa pauvre mère, ne pas avoir de ses nouvelles, je crois que c’était pire encore que de le savoir mort.

– C’est effectivement le cas, confirma Sweeney sur un ton professionnel. Avant d’ajouter :

– Et d’autres disparitions se sont produites après celle-là ?

– Mais oui ! lui répondit l’hôtelière, les yeux écarquillés. Six mois plus tard, une jeune femme – je me souviens qu’elle s’appelait Judith Brewster – est partie de chez nous en voiture, pour rejoindre Eilean Donan Castle. Le lendemain soir, on a retrouvé son Austin garée à Shiel Bridge, à quelques kilomètres à peine de l’auberge. Mais elle aussi, on ne l’a plus jamais revue.

– Évaporée ! lança Jack Greene, pour ponctuer les explications de sa femme.

– Décidément… commenta le jeune inspecteur. Et que vous ont dit mes collègues ?

– Euh… Rien en fait, répondit Mandy. Un policeman est venu mettre ses effets dans un sac, et…

– C’était Hickson, la coupa Jack. Je le connais bien. Il a dit qu’elle n’avait pas de famille proche, et qu’un adulte avait le droit d’aller et venir à sa guise. Tu parles ! râla le cuisinier.

– Et après ça, encore une ? poursuivit Sweeney.

– C’était il y a un mois et demi à peine, réagit aussitôt la gérante. Et personne ne m’a encore réclamé ses vêtements !

– J’ai mis ses valises dans la remise, précisa son mari. Quelqu’un finira bien par venir les récupérer.

– De qui s’agissait-il cette fois ? insista le policier.

– Ah oui, se souvint Mandy… Mrs Jones, une dame d’une cinquantaine d’années. Elle était partie pour gravir les Five Sisters, comme vous ce matin. On a retrouvé son véhicule près du loch Cluanie, mais…

– Était-elle seule ? demanda Sweeney.

– Ouais, répondit Jack dans son dos. Elle aussi. Et encore une fois, pas de corps. Les pompiers ont dragué le loch, mais ils n’ont rien trouvé.

– Mais ils ont quand même dit, compléta sa femme, qu’elle avait dû se noyer et que, si le corps ne remontait pas, c’est qu’il devait être pris dans les algues.

– Des algues dans le loch ? douta tante Midge.

– Y disent ça comme ça ! lâcha Jack. Tout ça parce qu’ils ne veulent pas s’emm… à la chercher !

La vulgarité du cuisinier força la vieille dame à baisser les yeux.

– Excusez mon mari, intervint Mrs Greene, mais nous sommes à bout. Regardez autour de vous : à cette époque de l’année, la salle devrait être pleine. Tout ça n’est pas bon pour l’hôtel. Des rumeurs ont fini par se répandre dans la région, jusqu’à l’office de tourisme. Les gens disent que le Cluanie Inn porte malheur.

– Y racontent que des conn… ! pesta de plus belle le cuisinier.

– Il est vrai que si j’avais su… murmura tante Midge, comme pour se venger de Jack Greene.

Afin de réchauffer l’ambiance, Sweeney s’efforça de plaisanter :

– Dites Mandy, si vous vouliez me dissuader d’aller randonner, c’est bien essayé.

– Oh pardon ! s’excusa la jeune femme. Pas du tout, Mister Sweeney.

– Tu vois, j’te l’avais bien dit ! maugréa de nouveau Jack. Ça ne servait à rien d’embêter monsieur avec ça. Toi aussi, avec tes idées…

Le ton méprisant du bonhomme acheva d’exaspérer l’inspecteur. Pour le contredire, Sweeney se retourna vers Mandy :

– Madame, vous m’avez bien dit qu’il s’était produit d’autres disparitions ?

– Oh oui, répliqua l’hôtelière, trop heureuse que le célèbre policier fasse abstraction des remarques de son mari. Cinq en tout, je crois.

– Mmm… Et, à chaque fois, les personnes n’ont jamais été retrouvées. C’est bien ça ?

– Oui, à chaque fois.

– Mmm… répéta le jeune homme. Des personnes seules ?

– Oui, toujours.

– Ne compte pas sur moi pour t’accompagner ! ironisa tante Midge.

Son neveu se contenta de lui sourire.

– Bien ! apprécia-t-il enfin.

Après un temps de réflexion, pendant lequel le regard de Mrs Greene se fit presque implorant, le policier d’Édimbourg reprit :

– Madame, quand a eu lieu la première disparition ?

Mandy retrouva le sourire, et sa poitrine se gonfla de soulagement :

– Il y a environ deux ans, répondit-elle. Et la dernière, comme je vous l’ai dit, c’était au printemps, vers la mi-avril.

– Je vois… murmura Sweeney pour lui-même. Toutefois, infléchit-il brusquement le ton, tout cela n’est pas anodin. Cinq disparitions similaires, en si peu de temps, et sans qu’un seul corps n’ait jamais été retrouvé, j’imagine que les gens doivent parler. Les gens doivent bien avoir une opinion, n’est-ce pas Mandy ?… N’est-ce pas ? la pressa-t-il.

– Euh… Oui… Oui, bien sûr.

– Alors ? Dites-moi !

– Les gens disent… hésita-t-elle encore.

– Oui, justement : que disent-ils, les gens ? Et vous Mandy, qu’en dites-vous ?

N’y tenant plus, la jeune femme lâcha :

– Le problème, en fait, c’est Malcolm Fergusson.

Jack Greene dodelina de la tête.

– Je vois… parut les encourager l’inspecteur. Avant de demander soudain :

– Et ce Fergusson, qui est-ce ?

L’intérêt de son neveu pour la conversation de Mrs Greene suscita chez tante Midge un nouveau soupir de réprobation.

– Et voilà, ça recommence… se désola-t-elle, tout en faisant mine de parler à Berthie.

Sweeney fit signe à la gérante de passer outre à ce mouvement d’humeur de sa tante avant, d’un hochement de tête, de l’inciter à poursuivre.

– C’était il y a environ deux ans, expliqua Mandy. Le jeune Malcolm Fergusson était l’un des gardes-chasse des McLeod, la grande famille du coin. Ils sont propriétaires d’Eilean Donan Castle, précisa-t-elle.

– Le nom du clan me dit quelque chose, reconnut le policier.

– Un mardi après-midi, reprit l’hôtelière, Malcolm est arrivé chez sa petite amie, Fiona Kelly, à Dornie. Il était fou de jalousie. Le samedi précédent, au cours d’une fête à Shiel Bridge, Fiona avait accordé une danse à un autre garçon. Elle et Malcolm s’étaient alors disputés, et Fergusson avait finalement décidé de repartir sans elle. Puis il ne l’avait même pas rappelée… Mais trois jours plus tard, lorsqu’il est revenu la voir à son domicile, il était armé de son fusil de chasse. Et dès que la petite lui a ouvert, il lui a tiré dessus, comme ça d’un coup, sous les yeux de son propre père !

– Mon dieu, quelle horreur ! sursauta tante Midge.

– Et elle est décédée ? voulut savoir Sweeney.

– Non, le renseigna Mrs Greene. Mais c’est tout comme… La balle a touché la colonne vertébrale. Fiona est paralysée à vie. Elle ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant. À vingt ans à peine, ça fait mal au cœur… Je la croise souvent, ajouta-t-elle, dans les boutiques de la région. La petite a le moral mais, par chez nous, trouver un emploi quand on est handicapé, ce n’est pas facile… Alors aujourd’hui, elle est toujours chez ses parents. J’en ai parlé avec eux, ils s’inquiètent pour son avenir.

– Mmm… enregistra l’inspecteur. Et ce Fergusson, qu’est-il devenu ?

– C’est bien ça le problème ! s’exclama Jack Greene.

– Je vous explique, préféra continuer sa femme. Après avoir tiré sur Fiona, Malcolm est rentré chez sa mère – elle aussi habite Dornie –, il a pris quelques affaires, un sac, des cartouches de fusil, de l’argent, et il est parti sur la lande.

– Il n’a pas été arrêté ? s’étonna l’inspecteur.

– Non, même pas. La police a envoyé des patrouilles avec des chiens, et même un hélicoptère, mais tout ça pour rien. Fergusson est resté introuvable. Aujourd’hui encore, personne ne sait où il se cache.

– Depuis deux ans ? douta Sweeney. Allons, il doit avoir quitté la région depuis longtemps. Le garçon a certainement trouvé refuge quelque part dans sa famille, au Royaume-Uni ou ailleurs, et il s’est fait oublier… Non, conclut l’inspecteur, il y a peu de risques pour que cette affaire de fugitif ait le moindre lien avec les disparitions que vous évoquez. Pour ma part, je pencherais plutôt pour des marécages ou des tourbières, proposa-t-il.

Jack Greene s’emporta :

– Des marécages ? Mais s’il y avait un seul marécage aussi dangereux par chez nous, il y a longtemps que les anciens le sauraient, vous n’croyez pas ?… Et puis que sont devenues les personnes disparues ? Elles se sont tout d’même pas volatilisées ! continua-t-il de s’énerver. Même si elles s’étaient perdues sur la lande, ou pire, qu’elles s’y étaient suicidées, depuis l’temps, on aurait bien retrouvé les corps. Non, pour moi, il y a autre chose… martela Greene, d’une voix mystérieuse.

– Autre chose ? releva Sweeney. Qu’est-ce que vous voulez dire ?

– Ce que je veux dire, reprit le cuisinier, en se redressant derrière son guichet pour se donner de l’importance, c’est que si vous écoutez les gens du coin, ils vous raconteront tous la même histoire : si des personnes disparaissent sur la lande de Glen Shiel, ce n’est pas à cause de Malcolm Fergusson, ou de marécages imaginaires. Non… Si vous voulez savoir pourquoi ils disparaissent, il faut être d’ici, et connaître la légende.

– La légende ? répéta le policier. Quelle légende ?

Mandy lança un regard lourd de reproches à son bougre de mari.

– Laissez, dit-elle. Jack est né dans la région – J’en étais sûr ! jubila Sweeney – et il croit dur comme fer aux boniments des vieilles sorcières de nos villages. Je…

– Il a peut-être raison d’y croire… résonna soudain, lointaine mais assurée, la voix de l’homme au chapeau, à l’autre bout de la salle.

Je l’avais presque oublié celui-là ! sursauta l’inspecteur.

– Pardon, vous disiez ? lui renvoya le jeune policier.

– Rien. Je suis désolé, s’excusa l’homme en se levant. On ne devrait jamais se mêler de la conversation d’autrui, ajouta-t-il. Puis il souleva son deerstalker, salua l’assistance, et il quitta la salle en direction de sa chambre.

Qu’est-ce que c’est que cette histoire de légende ? réfléchit Sweeney. Avant de décider aussitôt : Après tout, mieux vaut ne pas insister. Par ici, dans les Highlands, les gens entretiennent un tas de croyances saugrenues. En plus, avec le loch Ness dans les parages, et tous ces farfadets ou autres lutins qui gambadent sur la lande, il faut s’attendre au pire ! finit-il par sourire sans même s’en rendre compte.

– Archie, qu’est-ce qui t’amuse ? lui demanda sa tante.

– Rien, une idée comme ça… esquiva-t-il la question.

– Mister Sweeney, le relança toutefois Mandy Greene, quand je vous parle de Malcolm Fergusson, je suis sérieuse.

– Voyons madame, quel intérêt aurait un fugitif à faire disparaître d’innocents promeneurs ? Et si ce Fergusson est toujours là, à rôder sur la lande depuis deux ans, vous ne croyez pas qu’on l’aurait découvert depuis le temps ?

– Justement : c’est peut-être ce qui est arrivé aux disparus ! lui opposa Mandy.

Pendant un instant, la réplique fit mouche, et Sweeney resta muet.

– Si j’insiste, en profita Mrs Greene, c’est que j’ai mes raisons. En effet, Fergusson a bel et bien été vu sur la lande.

– Ah bon ? nota l’inspecteur. Et par qui ?

– Par Mary Jane Russell, répondit la jeune femme. Vous devez voir où se trouve son croft(8) : on l’aperçoit depuis l’A87, quand on se rend vers Eilean Donan Castle, juste avant Dornie, à environ deux cents mètres sur la droite.

– Oui, ça me dit quelque chose, confirma l’inspecteur.

– Mary Jane est dorénavant seule sur l’exploitation, précisa Mandy. Mais il y a dix-huit mois, elle a été agressée par Fergusson.

– Ça commence à dater, objecta son mari. Et puis la vieille n’a plus toute sa tête, fit-il remarquer, et il pointa son index à hauteur de la tempe.

– Bien sûr que si ! rétorqua sa femme. Elle m’avait raconté l’incident dans une boutique, quelques jours plus tard, et j’avais trouvé son histoire tout à fait crédible.

– Alors, qu’est-ce qu’elle vous a dit ? s’intéressa Sweeney, par pure opposition à Jack.

– C’était en hiver, reprit l’hôtelière. Cela faisait près de six mois que l’on n’avait plus entendu parler de Malcolm Fergusson. Ce soir-là, Mary Jane rentrait dans sa bergerie pour panser ses bêtes, lorsque tout à coup, alors qu’elle s’apprêtait à traire une brebis, un bruit bizarre a attiré son attention… Elle s’est dirigée vers les bottes de paille, au fond de la bergerie, et là, elle est tombée sur Fergusson qui ronflait ! Il s’est aussitôt réveillé. Il a poussé Mary Jane, l’a menacée, et il est reparti sur la lande, son fusil sous le bras. Depuis, je vous garantis que l’ancienne prend toujours soin de fermer la bergerie à clef !

– Vous croyez à cette mésaventure, l’interrogea l’inspecteur, ou bien c’est juste une histoire de bonne femme ?

– Mary Jane Russell n’est pas une originale, Mister Sweeney. Cela fait près de trente ans, depuis la mort de son mari et le départ de ses enfants, que la vieille dame fait tourner la ferme toute seule. Si elle n’avait plus la tête sur les épaules, il y a longtemps que son croft serait en ruine. Comme tous les autres d’ailleurs… regretta Mandy.

– Je vais aller la voir, décréta soudain le jeune homme. Son exploitation est sur ma route, juste avant les Five Sisters. Vous croyez que je peux lui rendre une petite visite ?

– Quoi ? protesta tante Midge. Tu ne vas quand même pas te mêler de ça ?

– Tante, j’en ai pour cinq minutes à peine. Et puis c’est sur mon chemin… Ne t’inquiète pas, je serai de retour pour dîner.

– Oui oui, tu m’avais dit ça aussi à Tenerife… persifla-t-elle à nouveau.

– Tante… se désola son neveu. Avant de se tourner une dernière fois vers Mandy :

– Mrs Greene, l’incident avec Mary Jane, c’était il y a dix-huit mois. Mais depuis, est-ce que quelqu’un d’autre a vu ce Fergusson ?

– Non, je ne crois pas… Oh, de temps à autre, il y a bien quelques ivrognes, ou des gamins, qui vous racontent qu’ils l’auraient croisé au détour d’un broch(9), un soir de brume. Mais ce ne sont que des histoires, et ça ne veut rien dire. Moi, je reste persuadée que Fergusson est toujours là.

– D’accord, préféra conclure le policier… Bon ! lança-t-il tout à coup en se levant. Il est temps que je me mette en route.