Meurtre au dix-huitième trou - John-Erich Nielsen - E-Book

Meurtre au dix-huitième trou E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Une enquête palpitante dans le milieu du golf professionnel américain.

Amanda Nelson est morte... L'Américaine était la maîtresse de Will Tyron Jr, le n°1 mondial de golf. Elle était aussi la fille du général Boyle, le conseiller militaire du dernier Président des Etats-Unis. Beaucoup de passions autour de cette jeune femme. Trop sans doute : on lui a fracassé le crâne, avant de l'enterrer sous un bunker du parcours de St. Andrews...

"Quand je me souviens des débuts de cette affaire, je frémis encore... Je me dis qu'à ce moment-là, j'étais loin d'imaginer que mon enquête allait me conduire des côtes écossaises jusqu'en Géorgie, dans la moiteur du Sud américain, pour s'achever sur une lande irlandaise battue par les vents. Et là, si j'avais pu me douter de ce qui m'attendait... Bon sang ! Mes nerfs allaient être mis à rude épreuve..."
Inspecteur Sweeney - Police criminelle d'Edimbourg

Une première intrigue pour l'attachant inspecteur Sweeney, à découvrir de toute urgence !

EXTRAIT

Le commissaire dévisagea son nouvel inspecteur. Dire qu’il s’apprêtait à confier une affaire de cette importance à un débutant, à ce… à ce… Mince, songea Wilkinson, il ne ressemble à rien le jeunot !
En effet, le problème avec Sweeney, c’est que l’on ne pouvait rien en dire. À cause de cette… À cause de sa… En fait, Sweeney n’était qu’une barbe. Une barbe rousse, courte, mal peignée, mal taillée, mal foutue vraiment, qui éclipsait tout le restant de son apparence. Parce que Wilkinson avait beau chercher… Non, décidément, à part cet insupportable collier de barbe rousse…
De taille moyenne, Sweeney ne se distinguait par aucun signe particulier. Il ne portait pas de lunettes. Les traits de son visage étaient définitivement anéantis par l’omniprésence de cette auréole pileuse qui lui enflammait joues et menton ; ses yeux, noirs et minuscules, y apparaissaient comme immobiles, inexpressifs, tout juste ouverts-un-point-c’est-tout. Quant à ses vêtements… bah ! Un tee-shirt de couleur sombre, qui n’avait jamais croisé la route d’un fer à repasser, un pantalon de toile grise, qui ignorait les plis les plus élémentaires, et des chaussures brunes et tristes, semblables à celles d’un pasteur anglican. Un désastre ! La silhouette de Sweeney paraissait n’avoir pour seule finalité que de lui servir à déplacer son horripilante barbe rousse d’un point à un autre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un roman policier pour tous ceux qui ont eu un jour envie de tuer leur partenaire ! - Gold Magazine

Un roman d'enquête dans la meilleure tradition, sur une intrigue bien construite. Un nouveau héros à découvrir ! - Claude Le Nocher, Rayon Polar

Une intrigue mettant en scène les meilleurs joueurs du circuit américain. - Golf Européen

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Couchée sous le sable

– Vous jouez au golf, inspecteur ?

Les collègues l’avaient prévenu que le commissaire Wilkinson était un original. Mais là, tout de même, pour un premier entretien… Qu’allait-il bien pouvoir répondre à son supérieur ?

S’agissait-il d’une coutume locale, d’une sorte de bizutage consistant à lui souhaiter la bienvenue ? Le commissaire voulait-il se faire une idée de sa nouvelle recrue en jaugeant la qualité de son swing ? Cherchait-il un sparring-partner parmi ses subordonnés, alibi docile pour justifier auprès de sa femme de retours au bercail tardifs et alcoolisés ? Ou bien alors, supputation la plus improbable, mais aussi la plus dérangeante, l’ancien en pinçait-il pour la silhouette ferme et svelte du jeune inspecteur ? Tu parles d’une première affectation ! frémit Sweeney. Si j’avais su, plutôt que de choisir la criminelle à Édimbourg et de me taper les tordus de la capitale, je serais retourné pantoufler chez moi à Aberdeen, comme mon vieux pote Harry. J’aurais peut-être dû l’écouter, finalement…

– Alors, inspecteur ?

– Euh… Moi, vous savez, c’est plutôt le rugby commissaire. Mon père a même joué en équipe d’Écosse junior, répondit Sweeney d’un air satisfait, persuadé que sa réplique lui épargnerait les inquiétants scénarios qu’il venait d’échafauder.

Mais quel crétin ce Sweeney, il n’a rien compris ! se lamenta le commissaire Wilkinson, et il scruta les traits ravis du novice. Ça ne m’étonne pas. De nos jours, les mieux classés de l’école de police optent pour l’administration. Ça leur évite de se salir les mains et, en plus, c’est bon pour l’avancement. Moi, quand j’avais leur âge… Mais enfin…

– Ce n’est pas ce que je vous demandais, inspecteur. Asseyez-vous ! lui ordonna Wilkinson sur un ton passablement agacé, et il lui désigna le fauteuil aux accoudoirs élimés dont la police écossaise l’avait doté.

Oh là là, s’inquiéta Sweeney en observant la dilatation subite du cou de taureau de son supérieur. C’est bien ma veine, il m’a l’air remonté le patron. Et maintenant que je suis assis, ça risque de durer. Je ne vais pas tarder à savoir pourquoi les collègues le surnomment “Wilkinson-le-rasoir”…

Exaspéré, autant par la chaleur estivale qui plombait l’air de son bureau, que par la niaiserie désespérante d’un bleu qui s’imaginait qu’on l’invitait à taper dans la petite balle blanche, le commissaire Wilkinson se lança dans une diatribe interminable et enflammée contre le système de formation de la police écossaise, contre une hiérarchie qui l’avait poussé trop tôt à quitter le terrain, contre sa propre promotion qui, pour aussi brillante qu’elle fût, l’avait à jamais privé de ce qui faisait la noblesse de son métier, voire de sa vocation… et, pour finir, contre des inspecteurs qui ne mesuraient même pas la chance qu’ils avaient de vivre les plus belles années de leur carrière.

Pendant que Wilkinson s’évertuait à maudire son sort, soliloquant sans fin au point de justifier son surnom, Sweeney eut tout le temps de constater que l’embonpoint précoce du commissaire, l’agencement impeccable du mobilier de son bureau et, finalement, la disposition millimétrée du moindre des objets sur sa table, trahissaient au contraire sa profonde satisfaction d’occuper des fonctions dans lesquelles il pouvait invectiver à loisir les jeunes inspecteurs besogneux. À partir de ce moment, rassuré par la justesse de ses déductions, Sweeney parvint à écouter respectueusement son supérieur. Mais sans pour autant réussir à masquer un sourire où se lisait sa béate satisfaction.

– Ça vous amuse ce que je vous dis, inspecteur ?

– Euh… Non, bien sûr que non, commissaire. Mais je pensais que…

– Eh bien, il vous faut apprendre à penser mieux, Sweeney. Vous croyez vraiment que je prends la peine de convoquer mes inspecteurs dans le but d’organiser leurs loisirs ? J’ai d’autres chats à fouetter, je vous garantis ! et le col trop serré de la chemise de Wilkinson continua de se couvrir d’épaisses gouttes de sueur, perlant au rythme de ses ultimes récriminations contre un système qui lui affectait des débutants à une période de l’année où les plus expérimentés partaient en vacances.

– Vous comprenez, Sweeney. Si je pouvais vous mettre en doublure avec un ancien, je ne m’en priverais pas. Mais voilà, fin juillet, pendant que la moitié de l’équipe m’envoie les mêmes cartes postales stupides, couvertes de plages ou de palmiers idiots, il faut bien que ceux qui restent continuent d’expédier les affaires courantes. Alors, évidemment, si une urgence se présente…

– Vous parliez de golf, commissaire ? le relança Sweeney, dont les neurones engourdis venaient de se réveiller à l’évocation du terme prometteur d’urgence… Quel rapport avec une affaire criminelle ? ajouta-t-il aussitôt.

Wilkinson sourit enfin. Peut-être que le jeunot n’était pas si mal formé que ça, après tout.

*

Le commissaire dévisagea son nouvel inspecteur. Dire qu’il s’apprêtait à confier une affaire de cette importance à un débutant, à ce… à ce… Mince, songea Wilkinson, il ne ressemble à rien le jeunot !

En effet, le problème avec Sweeney, c’est que l’on ne pouvait rien en dire. À cause de cette… À cause de sa… En fait, Sweeney n’était qu’une barbe. Une barbe rousse, courte, mal peignée, mal taillée, mal foutue vraiment, qui éclipsait tout le restant de son apparence. Parce que Wilkinson avait beau chercher… Non, décidément, à part cet insupportable collier de barbe rousse…

De taille moyenne, Sweeney ne se distinguait par aucun signe particulier. Il ne portait pas de lunettes. Les traits de son visage étaient définitivement anéantis par l’omniprésence de cette auréole pileuse qui lui enflammait joues et menton ; ses yeux, noirs et minuscules, y apparaissaient comme immobiles, inexpressifs, tout juste ouverts-un-point-c’est-tout. Quant à ses vêtements… bah ! Un tee-shirt de couleur sombre, qui n’avait jamais croisé la route d’un fer à repasser, un pantalon de toile grise, qui ignorait les plis les plus élémentaires, et des chaussures brunes et tristes, semblables à celles d’un pasteur anglican. Un désastre ! La silhouette de Sweeney paraissait n’avoir pour seule finalité que de lui servir à déplacer son horripilante barbe rousse d’un point à un autre.

Étonnant pour un jeune homme, se dit encore Wilkinson. Une vraie dégaine d’étudiant attardé. Mais bon, il faudra s’y faire ; la nouvelle génération sans doute… se persuada finalement le commissaire.

*

– Bien, inspecteur Sweeney. On y va. Pour votre grande première, je pense que vous ne serez pas déçu, annonça d’emblée Wilkinson, et il plongea ses doigts potelés au cœur d’une pile de dossiers méticuleusement entassés. Sans même l’ébranler, il en extirpa une chemise cartonnée de couleur jaune qu’il ouvrit ensuite cérémonieusement, d’un geste ample aux forts relents d’aisselles. Puis il posa son regard sur la barbe de Sweeney.

– Prêt, inspecteur ? Vous avez de quoi noter ? l’interrogea-t-il comme il avait l’habitude de le faire à chaque fois qu’il chargeait l’un de ses limiers d’une nouvelle affaire.

À son grand étonnement, Sweeney sortit alors du fond de sa poche un objet minuscule, rectangulaire et métallique.

– Dictaphone commissaire, ça vous dérange ? On nous le recommande à l’école.

– Euh… Non, naturellement non, concéda Wilkinson, feignant d’être rodé aux méthodes prônées par ses collègues instructeurs.

– Mais… Mais vous prendrez des notes ensuite, au moins ?

– Bien sûr commissaire, une fois de retour à la maison, puis Sweeney déposa son appareil sur le rebord du bureau. « Clic », et la bande se mit à s’enrouler doucement sur elle-même. Wilkinson eut soudain l’impression que la modernité venait, sans crier gare, de s’emparer de l’espace jusqu’alors si bien ordonné, et si prévisible, de son bureau. En outre, il lui semblait que les deux orbites noires et creuses du dictaphone le fixaient, et que leur lente rotation n’avait pour seul objectif que de l’hypnotiser. Après quelques instants, mêlés d’hésitation et d’apathie, le commissaire parvint à détacher son regard de l’envoûtant appareil. Il pesta intérieurement contre les recommandations de l’école de police, puis il se décida enfin à entrer dans le vif du sujet :

– Hem… Alors… Oui, voilà. Il s’agit d’une femme, une Américaine de trente-deux ans, assassinée il y a deux semaines environ. Son corps n’a été retrouvé que six jours après le décès, sur le parcours du golf de St Andrews, et…

– Ah ! C’est pour ça que vous me demandiez si je jouais au golf. Mais, attendez commissaire, St Andrews se trouve au sud de Dundee. C’est dans leur zone de responsabilité, non ? En quoi est-ce que nous sommes…

– Vous permettez que je continue, inspecteur ? À ce rythme, la bande de votre… de votre machin, là, ne suffira jamais… C’est bon maintenant, je peux ?… l’interrogèrent solennellement les sourcils froncés d’un commissaire trop heureux de faire payer aussi vite au jeune Sweeney le coup du dictaphone.

– Je disais donc… reprit-il sur un ton sentencieux. La jeune femme se nommait Amanda Nelson. Elle était originaire du Wisconsin et domiciliée en Floride, à Palm Beach. Décédée des suites… Attendez, je lis… “d’un coup violent porté à la tempe”… mais pour les détails, vous verrez directement avec…

– Parce que c’est moi qui vais m’en occuper ?

– À votre avis ? le coupa sèchement la voix contrariée du commissaire… Ne soyez pas si impatient, Sweeney ! s’agaça son supérieur. Apprenez à écouter, bon sang ! C’est une qualité dans notre métier… Poser les questions, c’est une chose, mais s’imprégner des réponses, c’est encore plus essentiel. Je vous explique… La mort a été établie au mardi 13 juillet, mais le corps n’a été découvert que le lundi suivant, le 19 au matin, par l’un des jardiniers du golf. Sa disparition n’avait pas été signalée. Le plus cocasse, c’est que son meurtrier l’avait enterrée sous le sable d’un obstacle, un bunker. Vous voyez, ces espèces de larges trous qui servent à pourrir la vie des joueurs ?

– Euh… Oui, je devine à peu près. Et à Dundee, où est-ce qu’ils en sont ? Mobiles, indices, suspects ?… Une Américaine assassinée sur un parcours de golf, ça ne doit pas être bien difficile de déterminer comment elle…

– Justement si. C’est là que ça se corse. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous allons, ou plutôt vous allez, prendre le relais, inspecteur. Laissez-moi poursuivre dans l’ordre… Vous vous en doutez, nous n’avons pas de témoin direct et, ce qui est plus rare, quasiment personne à interroger. En effet, Amanda Nelson, la victime, si sa disparition n’a pas été signalée, possède tout de même un mari, un certain… Buddy… Buddy Nelson, et un père, le général Arthur Boyle, qui s’est manifesté le premier lorsque la presse a parlé d’une inconnue découverte sous le sable du prestigieux parcours de St Andrews.

– Prestigieux, prestigieux… Moi, il y a cinq minutes encore, ça ne me disait pas grand-chose, commissaire. Mais le mari, il est américain lui aussi, comme le père je présume ?… D’accord… Pourquoi n’a-t-il pas bougé ? La police américaine les a interrogés, tous les deux ?

– C’est la difficulté. Le mari, tout comme le père, sont déjà rentrés aux États-Unis. Même le corps a été rapatrié outre-Atlantique.

– Comment ça rentrés ? Parce que tous les deux se trouvaient en Écosse ?

– Eh oui, inspecteur, pour le British Open qui commençait deux jours après le meurtre. Intéressant, non ? Je vous l’avais dit que vous ne seriez pas déçu… Et le plus remarquable, c’est que ces deux précieux témoins avaient repris l’avion avant même que le cadavre ne soit découvert. C’est pour cette raison que les collègues de Dundee n’ont pu auditionner que les employés du golf, ou les personnes susceptibles d’avoir côtoyé madame Nelson pendant son séjour. On a procédé à son autopsie avant de la renvoyer à sa famille pour l’enterrement, et c’est à peu près tout.

– C’est marrant… On n’a jamais abordé un cas de ce genre à l’école de police… Mais, au fait commissaire, je ne vois toujours pas pourquoi c’est nous, à la criminelle d’Édimbourg, qui devrions nous en charger.

– Mais si, précisément inspecteur. C’est le deuxième étage de la fusée, s’empressa d’ajouter Wilkinson, soucieux de ménager ses effets.

D’un air gourmand, il reprit alors :

– Cette Amanda Nelson, vous savez, ce n’est pas n’importe qui.

– Connais pas.

– C’est vrai, si vous ne vous intéressez pas au golf… Son mari, Buddy, était jusqu’à l’année dernière le caddie du numéro un mondial, Will Tyron Junior ! s’exclama Wilkinson, persuadé que, cette fois, son inspecteur allait enfin réagir en entendant prononcer le nom d’une célébrité du sport.

Peine perdue.

– Désolé, commissaire. Connais pas non plus. Et c’est quoi un caddie ? le questionna Sweeney avec une ingénuité désarmante.

Dépité, Wilkinson comprit que la belle fusée qu’il croyait mettre sur orbite venait de faire long feu.

– Eh bien vous, dites donc, c’est quelque chose !… Ça vous arrive d’ouvrir un journal ou de regarder la télévision, inspecteur ?

– À vrai dire non, pas souvent. Pour me détendre, je préfère me passer un CD, écouter une compil’, pianoter sur mon portable, ou bien je sors en ville.

– Donc Will Tyron Junior, ça ne vous dit absolument rien ?

– Pas plus que le nom du capitaine de l’équipe nationale de curling.

– Bon… Visiblement, on n’y coupera pas… Allez, je reprends tout à zéro. La bande de votre engin, elle va suffire au moins ?

– J’ai deux heures d’autonomie, commissaire. Pas de souci.

– Ça nous en fait déjà un de moins, soupira Wilkinson, complètement désabusé… Essayons d’être clair. Le caddie, c’est le type qui porte les clubs de golf du joueur. Vu ?

– Jusque-là, je vous suis. On peut continuer.

– Les meilleurs mondiaux s’affrontent lors de grands tournois internationaux, un peu comme au tennis. Il y a un British Open, un U.S.Open, un Masters…

– Ah, d’accord… Ça, ça me parle commissaire. Alors Will Tyron Junior, c’est une sorte de Roger Federer de la petite balle blanche ?

– Splendide déduction, inspecteur ! Vous me rassurez… Et comme je vous le disais, Buddy Nelson était il y a quelques mois encore le caddie attitré de ce joueur. Ça va ?

– Oui. Mais pourquoi ne travaille-t-il plus pour lui à présent ?

– Très bien Sweeney, je constate avec plaisir que vous êtes de retour parmi nous… Il y a un peu moins d’un an environ, la presse a parlé d’une liaison extraconjugale entre Will Tyron Jr et… et ?… Je vous le donne en mille :…

– La femme de son caddie ?

– Bingo ! Amanda Nelson, la victime. Afin d’éviter de faire la une des tabloïds, Tyron Jr s’est séparé de Nelson dès la reprise de la saison actuelle. Et ce n’est pas tout.

– C’est déjà bien comme ça, commissaire. Non ?

– Il s’agit d’un élément important, inspecteur, qui motive le fait que l’on nous confie cette affaire. Je vous ai dit qu’Amanda Nelson était la fille du général Arthur Boyle, vous vous souvenez ?

– Euh… Oui.

– Évidemment, vous ne savez pas non plus qui c’est ?

– Ben…

– Le général Arthur Boyle est l’un des deux codirecteurs de l’USPGA, la Professional Golfers’ Association qui gère le circuit mondial de golf. Il s’agit de la plus grande organisation de sports au monde, 28.000 employés – ne mémorisez pas Sweeney, tout est dans le dossier – et un chiffre d’affaires largement supérieur à celui de la formule Un ou à celui du football. Vous voyez le tableau ? À côté de ça, Boyle, même s’il est aujourd’hui à la retraite, est l’ancien numéro deux du Pentagone. Pendant une année, il a même été le conseiller militaire du dernier président américain… Quand il a quitté l’uniforme, atteint par la limite d’âge, Boyle a rejoint la chaîne de magasins Wat Mall comme directeur général. Et en à peine trois ans, il a redressé les comptes de la firme pour en faire le leader mondial de l’agroalimentaire. C’est pour cette raison que, par la suite, le conseil d’administration de la PGA l’a élu à sa tête. Un sacré bonhomme, n’est-ce pas ?… Et donc, cette Amanda Nelson qui nous occupe, était sa fille.

– Eh bien ça, commissaire… Pas banal.

– Vous comprenez mieux pourquoi je vous parlais de votre “grande première”, inspecteur ?

– Mais commissaire, vous voulez vraiment que ce soit moi qui m’en charge ? Je préférerais continuer d’aider McTirney dans l’affaire des deux types qu’on a retrouvés noyés dans le port. Je connais bien les éléments de son enquête, je pourrais prendre la suite, et lui, si vous êtes d’accord…

– Du calme Sweeney, du calme. J’y ai bien réfléchi. Laissez McTirney régler le cas de ces sous-mariniers amateurs… En dépit des apparences, c’est un boulot assez simple que je vous demande. Même si vous devez travailler seul, cela conviendra parfaitement pour vous roder. En fait, tout ce que j’attends de vous, c’est que vous me fassiez la jointure pendant le mois d’août. Le service est à poil pendant les vacances, vous le savez bien. J’ai besoin de quelqu’un qui m’établisse le dossier sur des bases suffisamment solides jusqu’à ce que je retrouve mon effectif complet début septembre. À ce moment-là, on redistribuera les cartes. Je confierai l’affaire à deux vieux routiers, et il est probable qu’alors je vous laisserai retourner travailler avec l’inspecteur McTirney… Les règles du jeu vous semblent claires, Sweeney ?

– Dans ces conditions… Oui, commissaire. Mais vous disiez que les témoins principaux se trouvaient aux États-Unis. Je ne vois pas comment je pourrais déblayer efficacement le terrain s’il est impossible de…

– Et ça ? lui répondit Wilkinson radieux, et il déplia sous le nez médusé de Sweeney un papier carboné de couleur rose, d’un modèle que le jeune inspecteur n’avait encore jamais vu.

– Vous savez ce que c’est, inspecteur ?

Sweeney sentit son regard se figer, incapable d’aller au-delà des lettres en caractères gras qui surplombaient l’en-tête : INTERPOL !

– C’est… C’est génial, commissaire. Ça veut dire que… que je vais…

– Eh oui, sacré veinard. Vous allez faire un tour chez l’oncle Sam. Bon d’accord, pas longtemps. Cinq jours seulement. Dans ce délai, à vous de recueillir, en étroite coopération avec les services de police locaux bien sûr, les témoignages qui nous permettront de lancer les bonnes procédures à la rentrée… Toujours partant, Sweeney ?

– Si je m’attendais… C’est pour quand, commissaire ?

– Vous vérifierez avec le secrétariat administratif, ce sont eux qui font la paperasse. Ils ont encore besoin de certaines de vos coordonnées, carnet de vaccination, passeport, etc. A priori vous partez dans une dizaine de jours.

– Et où est-ce que je vais ?

– Ah oui, c’est vrai. Vous êtes sûrement déjà allé aux États-Unis ?

– Ben… Non, jamais.

– Mais vous n’en loupez pas une vous, décidément… État de Géorgie, Augusta, vous voyez où ça se situe ?

– …

– Sweeney, rappelez-moi de vous offrir un atlas pour votre anniversaire… Sud-est des States, tout près d’Atlanta. La Géorgie, les champs de coton, “Autant en emporte le vent”, vous y êtes cette fois ? Je continue… Nous avons pris contact avec le général Boyle. Du 11 au 14 août prochains, tous les joueurs et leurs caddies se retrouveront pour quatre jours à Augusta, à l’occasion de l’US Open. En dépit de l’importance majeure de ce tournoi, nous avons la bénédiction de Boyle et de la PGA pour auditionner tous les témoins nécessaires à notre enquête. L’officier de liaison américain qui vous “chapeautera” – il n’y a pas d’autre mot –, sera le lieutenant McDermott.

– Un Écossais ?

– Mais je n’en sais rien ! Vous lui demanderez vous-même… Beaucoup plus important : ne perdez jamais de vue que la victime, même si elle est décédée à St Andrews, est de nationalité américaine, et que vous irez interroger des citoyens américains sur le territoire américain. Et tout ça sous la menace d’une possible médiatisation de l’affaire, en raison de la personnalité de Boyle et plus encore de celle de Tyron Jr, l’amant présumé de la victime et ancien patron de son mari. En clair, on marche sur des œufs inspecteur. OK ?

– Ça, j’avais bien compris, commissaire.

– En outre, quand vous serez sur zone, compte rendu téléphonique quotidien, et je me fiche du décalage horaire ! À votre retour, rapport complet. Mais ça, vous devriez savoir faire puisque vous sortez d’école.

– Pas de problème, commissaire. Vu.

– Questions jusque-là ? Non ? Alors je vous résume le topo en trois mots : 1) Respect des consignes ; 2) Prudence ; 3) Initiative zéro, et cette partie-là de la bande, n’hésitez pas à vous la repasser vingt fois s’il le faut. C’est clair ?

– Très clair, commissaire.

– Bien. D’ici-là, dès que vous aurez réglé les formalités de votre départ, vous filerez à Dundee et vous prendrez contact avec l’équipe qui a commencé le boulot. Surtout Sweeney, surtout : du tact avec les gars de Dundee. Vous vous doutez bien qu’ils ont dû bigrement apprécier d’être dessaisis de l’affaire sans préavis. Les collègues risquent d’être à cran, et pourtant, ce sont leurs premières constatations qui serviront de socle à tout ce que l’on construira par la suite. Souvenez-vous de ça, inspecteur.

– OK.

– Très bien. Si vous avez le moindre besoin, venez me voir. Je vous confie le dossier, il est à vous dorénavant… Euh, Sweeney… Votre machin, là, sur mon bureau…

L’inspecteur s’empressa de replonger le dictaphone dans sa poche de pantalon, glissa sous son bras la précieuse chemise jaune estampillée “Amanda NELSON” et, enfin, il fit faire demi-tour à son collier de barbe rousse en direction de la sortie. Puis, encore abasourdi par l’incroyable responsabilité qui venait de s’abattre sur ses jeunes épaules, il referma dans son dos la porte de son supérieur.

Toujours incrédule, Sweeney s’arrêta un peu plus loin, au beau milieu du couloir exigu de la criminelle. Afin de se persuader définitivement de la réalité de la mission qui venait de lui être confiée, il compulsa sans même les lire les feuillets et les rapports qui s’entassaient de façon désordonnée dans le dossier cartonné.

Soudain, une pensée qui l’avait taraudé durant tout l’entretien finit par refaire surface dans son esprit : Ça y est ! Je sais à qui le commissaire Wilkinson me fait penser. Il ressemble à Mickey Rooney, l’acteur ! En plus jeune, mais en moins drôle aussi… et l’inspecteur Sweeney, définitivement rassuré sur ses talents de physionomiste, put regagner son bureau le cœur léger.

Entorse à l’étiquette

Sept heures. Le soleil se levait sur l’estuaire de l’Earn, tirant l’Écosse de sa torpeur. Ses rayons commençaient à glisser sur les draps encore plissés de la mer du Nord, dévoilant ses courbes d’opale. Nues et apaisées, les vagues étaient d’une rare beauté… Jamais Sweeney ne s’était lassé de ce spectacle.

La Ford Escort filait vers le sud, sa peinture verte et défraîchie insensible aux reflets de la lumière matinale. Seule la barbe rousse du jeune inspecteur semblait s’enflammer sous la caresse déjà chaude du jour naissant. Ébloui par son éclat, Sweeney se pencha alors sur sa gauche, puis il tira de l’anonymat de la boîte à gants une paire de Ray-Bans aux montures déglinguées. Il jeta un coup d’œil sur l’horloge à cristaux liquides du tableau de bord : “7 am”. Parfait, pensa-t-il, dans moins de quinze minutes, je serai à St Andrews.

*

… Sweeney avait passé la nuit précédente à Aberdeen, chez tante Midge. Il était allé lui confier Berthie, son teckel à pedigree, en prévision de son départ imminent pour les États-Unis.

Avant de quitter son studio d’Édimbourg, Sweeney avait pris la précaution d’appeler sa tante. Il lui avait demandé si, pendant une quinzaine de jours, elle pouvait accueillir son ratier perclus d’eczéma, le temps pour lui de mener à bien sa première mission. Puis il avait ajouté, flatteur, que tante Midge était de toute façon la seule personne à laquelle il faisait confiance pour s’occuper de Berthie. Enfin, grimpant d’encore un ou deux degrés sur l’échelle de l’hypocrisie, il lui avait également demandé si elle accepterait de le garder à dîner, ou même de l’héberger pour la nuit, avant qu’il ne reparte pour Dundee le lendemain matin.

Comme s’il ne savait pas que tante Midge était incapable de lui refuser quoi que ce soit… Comme s’il ignorait que son ancienne chambre à l’étage était toujours prête… Tous ces préliminaires n’étaient, finalement, qu’un jeu subtil entre Sweeney et sa tante, un code secret destiné à accroître leur plaisir mutuel de se retrouver.

Car tante Midge avait élevé Sweeney. Elle avait recueilli l’orphelin de cinq ans dans sa maison du quartier portuaire d’Aberdeen, installant le fils de son frère dans son unique chambre tapissée de jaune. Elle-même s’était contentée d’un lit jeté à la hâte dans la remise, derrière la cuisine.

La demeure en briques n’était pas grande. Elle avait appartenu au grand-père Sweeney, docker sur le port, et la tante célibataire en avait hérité à la mort du patriarche. Jamais elle n’aurait imaginé que sa solitude serait aussi vite comblée par l’irruption d’un jeune garçon que, dorénavant, elle avait appris à aimer comme son propre fils.

Tante Midge était si fière de la réussite d’Archie, elle avait tant prié et remercié Dieu pour sa réussite au concours d’entrée dans la police… Mais aussi, comme son neveu lui manquait à présent…

*

… La voiture finit de franchir le pont sur l’estuaire, et Sweeney pénétra dans le Fife. Une heure et demie plus tôt, après lui avoir servi un roboratif breakfast, tante Midge l’avait embrassé sur la joue. Puis, comme à l’accoutumée, elle lui avait recommandé d’être prudent sur la route. Mais elle savait parfaitement ce qui poussait Archie à la quitter de si bonne heure et à s’enfoncer seul dans la nuit.

À chaque fois qu’il partait d’Aberdeen, quelle que soit sa destination, le jeune homme se dirigeait tout d’abord vers l’ouest, par l’A93. Il roulait une vingtaine de minutes, longeant sur sa gauche le cours étroit et vigilant de la rivière Dee. Parvenu à Crathes Castle, il stationnait le vert usagé de sa Ford sur un parking le plus souvent boueux et continuait à pied sur la lande, son sens de l’orientation braqué vers le nord plus sûrement qu’une boussole. Indifférent au tracé des rares sentiers, et même au cœur de la pénombre, Sweeney savait qu’il la retrouverait.

Derrière un dernier mamelon d’herbe rase, abandonnée dans le creux d’un vallon, elle surgit enfin. En s’approchant, Sweeney étendit doucement la main, comme pour mieux l’appréhender. Puis il la toucha. Vingt ans déjà que la croix de granit se dressait là, digne et douloureuse.

Sweeney l’effleura de ses doigts, la caressa. Il ferma alors les yeux et, rien qu’en la frôlant, il parvint à en lire l’inscription gravée :

En mémoire de Jack et Rosa SWEENEYAssassinés sur la lande le 21 novembre 1984

L’année de ses cinq ans. P… ! Et chaque fois, ses doigts trop fragiles s’attardaient, comme pour tenter d’inscrire dans la pierre cette ligne à jamais manquante : le nom de cet enfant de salaud qui l’avait à jamais privé de ses parents ! Quel mal avaient bien pu faire ces deux amoureux, en se baladant au milieu des bouquets de bruyères, pour qu’on leur explosât le crâne de deux coups de fusil tirés à bout portant ? Sa vocation de policier s’enracinait dans cette question demeurée sans réponse.

Pour éviter de trop souffrir, Sweeney préférait s’imaginer que leur promenade n’avait jamais pris fin, qu’ils étaient peut-être toujours là, main dans la main, quelque part sur la lande… Puis, après avoir apposé une dernière fois la paume de sa main contre la pierre stérile et muette, Sweeney s’en retourna, poursuivant le cours de sa propre existence…

…Ce matin-là, en quittant Crathes Castle, il avait bifurqué vers la mer en direction de Stonehaven. Puis, une fois sur la voie rapide, sa destination plus au sud l’avait contraint à s’éloigner momentanément de la présence apaisante des vagues. En pénétrant dans Dundee assoupie, Sweeney avait jugé qu’il était encore trop tôt pour honorer le rendez-vous pris, trois jours auparavant, avec ses collègues Stirling et Moray.

Alors, plutôt que d’aller tuer un temps inutile et déjà mort sur le premier comptoir venu, à la gare ou sur le port, il songea qu’il serait plus judicieux de commencer par aller jeter un coup d’œil du côté du golf de St Andrews, là où l’on avait découvert le cadavre ensablé d’Amanda Nelson. Il n’en était désormais plus éloigné que d’une dizaine de minutes.

Le soleil levant continua d’accompagner Sweeney tout au long de son parcours sur le front de mer. Il finit par atteindre une pancarte où deux clubs de golf, croisés sur la poitrine d’un moine en robe de bure, précédaient l’inscription “St Andrews Links”. La pointe de la flèche invita l’inspecteur à tourner à gauche, puis Sweeney se laissa guider par la brise marine.

Après quelques dizaines de yards, un vaste parking s’offrit aux roues indécises de la Ford Escort. Sweeney choisit finalement de se ranger dans l’ombre protectrice du club house.

Claquant sa lourde portière, il sentit aussitôt la froideur matinale qui lui sautait sur le dos. L’inspecteur vit tous les poils de sa barbe se hérisser, comme glacés de surprise. Alors, d’un pas décidé, il se hâta de gagner la chaleur bienfaisante des premiers rayons du soleil.

*

– Hey, m’sieur ! Sortez d’là !

Surpris, Sweeney tourna la tête vers les bâtiments. Il vit alors surgir d’un hangar attenant, tel un diable de sa boîte, un homme au visage émacié, sec comme seuls savent l’être les habitants des Highlands.

L’employé gesticulait tellement que sa casquette de velours gris menaçait à tout instant de se dévisser du sommet de son crâne.

– Mais sortez d’là j’vous dis ! Oh, vous êtes sourd ? hurla-t-il encore. À travers l’odeur de gazon fraîchement coupé, l’homme brandit alors un inquiétant sécateur.

Sweeney, tétanisé par les imprécations et les mouvements de bras de celui qu’il imaginait être un jardinier, demeura figé sur place. Puis, soudain, la casquette grise se mit à progresser vers lui.

L’homme à la silhouette filandreuse paraissait avoir une cinquantaine d’années. Le front incliné au-dessus de ses bottes, comme pour mieux fendre l’air, il grommelait pour lui-même :

– C’est pas possible en c’moment… Y vont m’rendre fou. Faudra bientôt engager des vigiles ou quoi ?…

Parvenu à la limite de la surface d’herbe plus claire et lisse au centre de laquelle se tenait Sweeney, l’enragé stoppa net.

– Vous vous croyez où ? aboya-t-il. C’est privé ici. Vous avez pas vu les pancartes ?

– Eh bien… Si, justement. Je voulais simplement voir à quoi ressemble le trou d’un golf. J’ai vu le drapeau, là, et je suis venu jeter un coup d’œil. Je ne pensais pas que c’était interdit, se justifia l’inspecteur, embarrassé.

La casquette grise leva les yeux au ciel.

– On m’l’avait jamais faite celle-là ! Voir un trou… Allez, sortez du green maintenant. Au cas où vous l’auriez pas r’marqué, c’est pas encore l’heure des visites !

Rassuré par la touche d’humour du vieux jardinier, Sweeney accepta de s’éloigner du petit drapeau marqué d’un 18 et il sortit enfin ses chaussures du cercle de gazon vert. Puis, en se rapprochant du Cerbère de St Andrews, il respira tout à coup les effluves de mélange pour tondeuse dont les vêtements de ce dernier étaient imprégnés.

Malgré la bonne volonté manifestée par l’intrus, l’homme des Highlands ne décolérait pas :

– Mais qu’est-ce que vous foutez là, à cette heure ? Vous cherchez quoi ? Si vous êtes un curieux, ou un journaliste – c’est pareil –, j’vous préviens que j’vais appeler la police.

– Pas besoin, elle est déjà là, rétorqua Sweeney.

Le jeune homme farfouilla maladroitement dans son portefeuille – c’était la première fois qu’il sortait sa carte, après tout – et il parvint enfin à exhiber son insigne flambant neuf d’inspecteur de police.

– Inspecteur Sweeney. Police criminelle. Je viens au sujet de la jeune femme que l’on a retrouvée assassinée chez vous, il y a deux semaines.

La casquette grise se fit brusquement penaude à son tour.

– Ah bon ? À c’t’heure-là ? Faut prévenir, dites. J’peux pas d’viner moi. J’pensais que c’était réglé. J’ai déjà déposé quand vos collègues sont venus.

– L’enquête se poursuit, monsieur. Ce n’est pas si simple, vous savez. Est-ce que vous pourriez me montrer l’endroit où la victime a été découverte ?

– Euh… Y aurait pas d’problème pour ça, vu qu’c’est moi qui l’ai trouvée, mais…

– Ah, vous êtes le jardinier qui l’a découverte ? J’ai…

– Greenkeeper, m’sieur. Greenkeeper, pas jardinier. C’est loin d’êt’pareil.

– Oh, excusez-moi ! Je n’y connais rien en matière de golf. Vous auriez deux minutes pour m’indiquer l’endroit ?

– C’est qu’il faut plus de deux minutes, m’sieur. C’est pas à côté. Et puis y’a du boulot l’matin avant l’ouverture. On chôme pas… Bon. Bougez pas. J’vais voir mes gars. Ils commenceront par le Jubilee, le temps que j’revienne… Restez là, hein ? et Sweeney vit le grand échassier disparaître à nouveau sous le hangar.

Quelques instants plus tard, l’homme réapparaissait au volant d’une de ces ridicules voiturettes électriques que Sweeney n’avait vues jusqu’alors que dans les séries télévisées.

– Vous montez m’sieur ? J’vous ai dit qu’c’était pas à côté.

Légèrement intimidé, l’inspecteur embarqua à la gauche du greenkeeper. Il constata que les jambes trop longues de son chauffeur peinaient à s’affairer sous le volant. Pourtant, l’engin démarra sans un bruit et bondit sur un chemin qui semblait s’enfoncer dans une jungle parfaitement ordonnée de gazon bicolore, de petits drapeaux rouges et de trous invisibles. (Voir la Vidéo 1/6.)

– Désolé d’avoir braillé tout à l’heure, m’sieur. Mais quand j’vous ai vu en train d’vous balader sur le green du 18 de l’Old Course, j’ai bien cru dev’nir fou.

– Le Old Course ?

– Vous connaissez pas ? Non, vous rigolez ? Mais c’est le plus vieux parcours de golf au monde, m’sieur ! Ça fait six cents ans qu’on joue là. C’est même ici que les règles ont été inventées, alors vous imaginez…

– Non, pas vraiment.