Mon Destin: Mon Tourmenteur : tome 3 - Anna Zaires - E-Book

Mon Destin: Mon Tourmenteur : tome 3 E-Book

Anna Zaires

0,0
6,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Le destin nous voulait ennemis. J'ai fait de nous des amants.

Dans un monde différent, nous étions faits l'un pour l'autre.

Mais pas dans celui-ci.

Remarque : Pour un plaisir optimal, il est conseillé de lire d'abord la trilogie L'Enlèvement avant de commencer ce livre.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Mon Destin

Mon Tourmenteur : tome 3

par Anna Zaires

♠ Mozaika Publications ♠

Contents

Partie I

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Partie II

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Partie III

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Partie IV

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Chapitre 61

Chapitre 62

Chapitre 63

Chapitre 64

Chapitre 65

Chapitre 66

Chapitre 67

Chapitre 68

Épilogue

Extrait de L’Enlèvement

Extrait de Capture-Moi

Extrait de La captive des Krinars

À propos de l'auteur

Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les incidents sont le produit de l’imagination de l’auteur ou employés de manière fictive, et toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, des sociétés, des événements ou des lieux ne serait qu’une coïncidence.

Dépôt légal © 2018 Anna Zaires & Dima Zales

www.annazaires.com

Tous droits réservés.

Sauf dans le cadre d’une critique, aucune partie de ce livre ne peut être reproduite, scannée ou distribuée sous quelque forme que ce soit, imprimée ou électronique, sans permission.

Publié par Mozaika Publications, une marque de Mozaika LLC.

www.mozaikallc.com

Traduction : Laure Valentin

Couverture par Najla Qamber Designs

www.najlaqamberdesigns.com

e-ISBN : 978-1-63142-366-6

ISBN : 978-1-63142-367-3

Partie I

1

Sara

Des lèvres chaudes se posent sur ma joue, le baiser est plein de tendresse et doux malgré la barbe d’un jour qui effleure ma mâchoire.

— Réveille-toi, ptichka, murmure à mon oreille une voix à l’accent familier tandis que je proteste faiblement, à moitié assoupie, en enfouissant mon nez dans l’oreiller. C’est l’heure de partir.

— Hmm-mm.

Je garde les yeux fermés, réticente à l’idée d’abandonner mon rêve. Pour une fois, il était agréable, avec un lac ensoleillé, deux chiens tout fous et Peter en train de jouer aux échecs avec mon père. Les détails s’effacent déjà dans mon souvenir, mais le sentiment de légèreté et d’euphorie s’attarde, en dépit de la réalité qui s’insinue et du constat amer que ce rêve est irréel.

— Allez, mon amour.

Il dépose un tendre baiser sur la peau sensible sous mon oreille et d’agréables frissons se propagent dans mon corps.

— L’avion nous attend. Tu pourras dormir pendant le trajet du retour.

La fin du rêve s’estompe et je roule sur le dos, réprimant une grimace en éprouvant un reste de douleur dans l’épaule gauche. J’ouvre les yeux et rencontre le regard chaud et argenté de mon ravisseur. Il est penché sur moi, un sourire affectueux dessiné sur ses lèvres finement sculptées, et pendant un instant, l’exaltation légère que je ressentais se renforce.

Nous sommes en vie, et il est ici, avec moi. Je peux le toucher, l’embrasser, sentir sa présence. Son visage s’est affiné, creusé par la tension nerveuse et le manque de sommeil, mais sa perte de poids ne fait que mettre en valeur sa beauté virile saisissante. Elle accentue l’angle de ses pommettes à la forme exotique et souligne sa mâchoire carrée.

Il est splendide, cet assassin amoureux de moi.

Le meurtrier de mon mari qui ne me rendra jamais ma liberté.

J’ai le cœur serré, ma joie tempérée par l’oppression familière de la culpabilité et du dégoût de soi. Un jour viendra peut-être où mes sentiments ne seront plus aussi contradictoires, où je ne serai plus déchirée par le besoin que m’inspire cet homme qui m’a donné son cœur, mais pour l’heure, je ne peux pas oublier ce qu’il est ni ce qu’il a fait.

Je ne peux me défaire de la honte que j’éprouve à l’idée de tomber amoureuse de mon tourmenteur.

Peter perd son sourire et je sais qu’il comprend mes pensées, qu’il lit la culpabilité et la tension sur mon visage. Ces deux dernières semaines, depuis que je me suis réveillée ici, à la clinique, j’ai évité de penser à l’avenir et de m’attarder sur les circonstances de mon accident. J’avais trop besoin de Peter pour le repousser, et il avait besoin de moi. Pourtant, ce matin, nous retournons dans sa planque, au Japon, et je ne peux pas me cacher la tête dans le sable plus longtemps.

Je ne peux pas faire semblant que l’homme auquel je me raccroche comme à une bouée de sauvetage n’a pas l’intention de me garder captive pour le restant de mes jours.

— Non, Sara.

Sa voix est grave et douce à la fois, même si la chaleur argentée de son regard se change en acier glacial.

— Ne pense pas à ça.

Je cligne des paupières et mon visage se radoucit. Il a raison, ce n’est pas le moment. Je me hisse sur mon coude droit et réponds d’un ton neutre :

— Je devrais m’habiller. Si tu veux bien m’excuser…

Il se redresse, me laissant la place de m’asseoir. Contente de porter une blouse d’hôpital, je me glisse hors du lit et me précipite dans la salle de bain avant qu’il change d’avis et décide, tout compte fait, d’avoir cette conversation. Nous devons parler de ce qui s’est passé – d’ailleurs, la confrontation aurait dû avoir lieu depuis longtemps déjà –, mais je ne suis pas encore prête. Ces deux dernières semaines, nous avons été plus proches que jamais, et je n’ai pas envie de tourner la page.

Je ne veux pas considérer Peter comme mon adversaire, une fois de plus.

Tout en me brossant les dents, j’examine la cicatrice qui me barre le front, à l’endroit où un éclat de verre a laissé une longue plaie effilée. Les chirurgiens esthétiques ont fait un travail impeccable, car la balafre aurait pu me défigurer. Maintenant que les points de suture sont tombés, la cicatrice est beaucoup moins flagrante. Dans quelques semaines, ce ne sera plus qu’une fine ligne blanche, et dans deux ans, elle passera presque inaperçue, comme les restes d’hématomes qui apparaissent encore sur mon visage.

Quand l’enfant que Peter cherche absolument à me faire porter aura l’âge de poser des questions, il ne devrait plus rester aucune trace de ma désastreuse tentative d’évasion.

À cette pensée, je retiens mon souffle et pose une main sur mon ventre, comptant les jours avec effroi. Ça fait deux semaines et demie que nous avons couché ensemble sans protection dans une période potentiellement fertile, ce qui signifie que mes règles auraient dû commencer depuis quelques jours. Entre les opérations et les médicaments, je n’ai pas vraiment prêté attention au calendrier, mais en faisant le calcul à tête reposée, je me rends compte que j’ai du retard. Pas au point de céder à la panique, mais suffisamment pour m’en inquiéter sérieusement.

Je pourrais déjà être enceinte.

Mon premier réflexe, c’est de sortir en courant, trouver la première infirmière et lui demander un test sanguin. Je suis pratiquement certaine qu’ils m’ont fait un test de grossesse il y a deux semaines, quand on m’a amenée à la clinique après l’accident, mais les premières traces de hCG dans mon système sanguin n’ont pu apparaître que sept à douze jours après la conception. Le premier résultat étant négatif, ils n’avaient aucune raison de pratiquer un nouveau test.

Aucune raison, sauf que maintenant, mes règles ont du retard.

J’ai déjà la main sur la poignée de la porte quand je suspends mon geste. Dès l’instant où l’on me fera ce test, Peter sera au courant. Il aura accès aux résultats avant moi et cette idée me fait frémir. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu le moindre choix, pas le moindre contrôle sur quoi que ce soit dans notre relation, et j’ai besoin de sentir que je maîtrise quelque chose, même si ce n’est qu’une seule fois.

S’il y a un enfant, c’est dans mon corps qu’il grandit, et je veux décider du moment où j’annoncerai la nouvelle.

Ce n’est pas une décision rationnelle, je le sais. Peter n’est pas bête. Lui aussi est capable de compter les jours. S’il ne s’est pas encore rendu compte que mes règles tardaient à venir, il le constatera bien assez tôt, et il saura qu’il a gagné, que pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes liés l’un à l’autre par l’amas de cellules qui se développe peut-être déjà dans mon ventre.

Par le futur enfant d’un tueur traqué par les autorités du monde entier et de sa captive, l’objet de son obsession.

Une douleur sourde m’élance derrière l’œil gauche. La migraine est soudaine et fulgurante. Je ne peux plus éviter de penser à l’avenir, je ne peux plus me permettre d’aborder chaque jour comme il vient en me contentant d’espérer.

Je dois protéger ce bébé, mais j’ignore comment.

Je ne peux pas m’échapper et Peter ne me libèrera jamais.

2

Peter

Sara est plus calme que d’habitude quand nous quittons la clinique. Ses doigts fins sont froids dans ma main et je sais qu’elle nourrit des doutes à notre sujet. Son esprit en surchauffe énumère toutes les raisons qui rendent notre relation malsaine et inconcevable.

J’aimerais pouvoir la rassurer, lui exposer ma nouvelle idée et lui conseiller d’être patiente, mais je ne veux pas lui faire de promesses que je ne pourrai peut-être pas tenir. Mon plan élaboré comporte de nombreuses inconnues, et les risques d’échec sont plus grands que les chances de succès.

Si j’accepte la proposition que m’a faite Danilo Novak d’éliminer Julian Esguerra pour cent millions d’euros, mon équipe et moi aurons affaire à l’homme le plus dangereux que je connaisse.

En d’autres circonstances, je ne l’envisagerais même pas. Esguerra a juré de me tuer parce que j’avais mis sa femme en danger afin de le sauver, mais auparavant, j’ai travaillé un an pour lui en tant que consultant en sécurité afin d’obtenir la liste des personnes impliquées dans le massacre de ma famille. Je connais le trafiquant d’armes colombien, je sais qu’il est violent et impitoyable. Son organisation a balayé du revers de la main l’un des groupes terroristes les plus redoutables de l’histoire, et il a infligé des atrocités sans nom à ses autres ennemis. Avec son incommensurable richesse et ses contacts dans les gouvernements du monde entier, Esguerra est presque intouchable. Le complexe où il vit dans la jungle amazonienne est une véritable forteresse militaire. C’est justement pour ça que Novak m’offre une telle somme : parce qu’aucune personne saine d’esprit ne s’en prendrait à quelqu’un d’aussi puissant et implacable.

La seule raison pour laquelle j’envisage de mettre mon plan à exécution, c’est Sara.

Je dois me racheter pour l’accident qui a failli la tuer.

Je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour lui offrir la vie qu’elle mérite.

Anton est déjà à bord de l’avion quand les jumeaux et moi arrivons avec Sara. Dès qu’elle est bien installée, nous décollons. Le vol jusqu’au Japon dure quatorze heures. Une fois que nous sommes dans les airs, je retire les baskets de Sara et lui enroule une couverture autour des pieds en espérant que ce sera assez confortable pour lui permettre de faire une sieste.

Moi-même, je n’ai pas beaucoup dormi depuis l’accident, mais je tiens à ce qu’elle se repose et guérisse au plus vite.

Elle me dévisage de ses grands yeux noisette lorsque je tends le bras vers mon ordinateur portable, et je demande :

— Tu as faim, mon amour ?

Nous avons pris le petit déjeuner avant de quitter la clinique, mais elle n’a presque rien avalé et j’ai pris soin d’emporter des sandwiches supplémentaires pour le trajet.

Elle secoue la tête.

— Non, ça va. Merci.

Sa voix est mélodieuse et un peu rauque – une voix de chanteuse, je l’ai toujours dit. J’aimerais l’écouter toute ma vie, qu’elle parle ou qu’elle chante à pleins poumons l’une des chansons qu’elle aime tant. Mais surtout, j’aimerais l’entendre susurrer une berceuse à notre bébé, afin que l’enfant sache qu’il ou elle est protégé et aimé par ses parents.

Je m’efforce d’écarter cette image attrayante. Je n’imagine pas fonder une famille avec Sara maintenant… pas avec la mission si dangereuse qui m’attend.

Au fond, c’est une bonne chose qu’elle ne soit pas encore enceinte. Et tant que nous n’aurons pas franchi cet obstacle, je ferai en sorte que la situation ne change pas.

3

Peter

— Tu as fait quoi ?

Anton me regarde comme si j’avais perdu la boule, son menton barbu crispé par la stupeur. Comme moi, les gars se sont levés tôt malgré notre arrivée tardive hier soir, et j’ai décidé de leur annoncer notre prochaine mission avant le réveil de Sara.

— J’ai programmé une réunion avec Novak… je répète en cassant un œuf dans un bol avant d’y ajouter un peu de lait. Nous partirons à Belgrade au milieu du mois de décembre. Ce foutu Serbe est trop parano. Il a dit qu’il nous communiquerait en personne les détails sur les atouts qu’il possède au sein de l’organisation d’Esguerra. Il refuse de le faire par email ou par téléphone.

Yan, en costume élégant, est accoudé au plan de travail. Ses yeux verts expriment un léger amusement quand il croise les chevilles.

— Pourquoi la mi-décembre ? On est au début du mois de novembre.

Je hausse les épaules.

— Nous ne sommes pas pressés, et lui non plus.

Pourtant, ce n’est pas tout à fait exact. Novak souhaitait me rencontrer la semaine prochaine, mais c’est moi qui ai reporté le rendez-vous au mois suivant. Une fois que le mouvement sera lancé, nous ne pourrons plus l’arrêter et je ne suis pas encore prêt.

J’ai envie – non, j’ai besoin – de passer du temps avec Sara avant d’embarquer dans cette mission. Et puis, nos hackers sont sur la piste de Wally Henderson et ils pourraient le retrouver très bientôt. C’est le dernier nom de ma liste, et de loin le plus insaisissable. C’est aussi le général qui était responsable de l’opération de Daryevo – ce qui en fait donc la personne la plus directement coupable du massacre de ma femme et de mon fils. Sans l’accident de Sara, nous l’aurions pincé en Nouvelle-Zélande quand la photo de son épouse est apparue sur Instagram, postée par un insouciant propriétaire de cave à vin fier de sa clientèle. Malheureusement, le temps que je fasse un détour par la clinique suisse et que je me remette de mes émotions, alors que j’étais prêt à envoyer mes hommes capturer Henderson, il avait encore réussi à s’évanouir dans la nature. Mais cette fois, sa piste est encore fraîche et nos hackers savent exactement où chercher.

Nous allons retrouver Walter Henderson III et je pourrai mettre en pièces ce sookin syn, un membre après l’autre.

Ilya fronce les sourcils, et les tatouages de son crâne luisent dans la lumière du matin quand il s’assied sur un tabouret.

— Tu en es sûr, mec ? Cent millions, c’est alléchant, mais on parle d’Esguerra, là. Kent sera impliqué et…

— Kent peut aller se faire foutre.

Je casse l’œuf suivant avec une telle violence qu’il gicle sur le côté du bol.

— Cet enfoiré le mérite. Il a merdé avec Sara.

— Mais Esguerra ? dit Anton, une fois le choc initial passé. Ce type a toute une armée à sa botte, et ce bastion dans la jungle… Tu as dit toi-même qu’il était imprenable. Bon sang, mais comment veux-tu que…

— C’est pour ça qu’on a rendez-vous avec Novak, pour découvrir ce qu’il a en réserve.

Je commence à perdre patience.

— Je ne suis pas suicidaire, merde. On n’acceptera que si l’on a une chance d’en réchapper vivants.

— Vraiment ? fait Yan en traversant la cuisine pour aller s’asseoir sur un tabouret de bar à côté de son frère. Tu en es sûr ? Parce que Sara s’est blessée sous la surveillance de Kent.

Sa voix est mielleuse, mais je sais reconnaître un défi quand il se présente.

Je m’efforce de garder mon calme et rejoins l’évier pour laver les éclats d’œuf sur mes mains. Anton, qui me connaît le mieux, s’éloigne prudemment, mais les jumeaux Ivanov restent vissés sur leurs sièges. Ils dardent sur moi leurs regards verts identiques lorsque je contourne le bar d’un pas nonchalant pour m’approcher de Yan.

— Alors, comme ça, tu penses que je raisonne avec ma bite ? dis-je d’une voix aussi doucereuse que la sienne. Tu penses que je suis prêt à tous nous envoyer à la mort pour punir Kent d’être responsable de l’accident de Sara ?

Yan fait pivoter son tabouret vers moi.

— Je ne sais pas, répond-il d’un air légèrement amusé en dépit de ses yeux froids et impassibles. C’est ce que tu comptes faire ?

Mes lèvres ébauchent un sourire sinistre tandis que ma main droite se referme autour du couteau à cran d’arrêt dans ma poche.

— Et si c’était le cas ? je demande.

Yan soutient mon regard pendant quelques secondes tendues. La provocation plombe l’atmosphère de la pièce. J’apprécie Yan, mais je ne peux pas laisser passer son insoumission. Il savait à quoi il s’engageait quand il a rejoint cette équipe et il était parfaitement conscient que, pour participer à l’entreprise lucrative que je mettais sur pied, il allait devoir m’aider dans mes affaires personnelles. Tel était notre accord, et j’ai bien l’intention de persévérer dans cette voie, même si aujourd’hui c’est Sara qui motive mes actes et non plus ma femme et mon fils décédés.

— Yan.

La voix d’Ilya est sereine lorsqu’il se lève pour aller poser une main imposante sur l’épaule de son frère.

— Peter sait ce qu’il fait.

Yan garde le silence encore un moment, puis il incline la tête avec un sourire sévère.

— Oui, je n’en doute pas. Après tout, c’est lui le chef de cette équipe.

Ses paroles sont peut-être conciliantes, mais je ne suis pas dupe. Avec cette mission, je vais devoir marcher sur des œufs.

Et Yan pourrait vite me causer des complications.

4

Sara

Nous sommes attablés tous les cinq autour du petit déjeuner, et je ne peux m’empêcher de remarquer une certaine tension. J’ignore s’il s’est passé quelque chose avant que je descende, ou si tout le monde subit le décalage horaire comme moi, mais l’esprit de camaraderie que j’ai pu observer entre Peter et ses hommes ne semble pas de mise ce matin.

Au lieu d’échanger des plaisanteries et de me régaler par des anecdotes sur la Russie, les coéquipiers de Peter dévorent leurs omelettes en silence avant de se disperser promptement. Anton part faire des courses en hélicoptère, tandis que les jumeaux disparaissent dans les bois pour une session d’entraînement.

— Que se passe-t-il ? je demande à Peter une fois que nous restons seuls dans la cuisine. Vous vous êtes disputés ou quoi ?

— Ou quoi.

Il se lève pour débarrasser les assiettes vides.

— Disons simplement que tout le monde n’approuve pas la ligne de conduite que j’adopte.

— Quelle ligne de conduite ?

— J’envisage d’accepter une autre proposition – particulièrement payante.

Je me renfrogne et me lève pour l’aider à ranger les assiettes dans le lave-vaisselle.

— C’est dangereux ?

Son sourire est dénué d’humour quand il me répond :

— Notre vie est dangereuse, ptichka. Le travail que nous faisons n’en représente qu’une partie.

— Alors, pourquoi les gars ne sont-ils pas d’accord ?

Je pose l’assiette que je rinçais pour me tourner vers Peter en m’essuyant les mains sur un torchon.

— Ce boulot serait pire que vos expéditions habituelles à la Mission Impossible ?

Il sent que je suis inquiète et son regard d’acier se réchauffe.

— Tu n’as aucun souci à te faire, mon amour – ou du moins, pas pour le moment. On ne rencontre notre client potentiel qu’à la mi-décembre, et cette réunion nous permettra de décider si on accepte la mission ou non.

— Oh.

Si mes craintes sont apaisées, il a éveillé ma curiosité.

— Vous rencontrez ce client en personne ?

Comme Peter hoche la tête, je demande :

— Pourquoi ? En général, vous ne le faites pas, si ?

— Non, mais cette fois nous allons faire une exception.

Il n’a pas l’air de vouloir m’en dire plus et je décide de ne pas insister pour l’instant. Il reste encore plusieurs semaines avant la mi-décembre et il m’en parlera quand il sera prêt – et sans s’être disputé avec ses coéquipiers juste avant.

Nous terminons le débarrassage dans un silence agréable. Je n’en reviens pas que tout me paraisse si naturel : manger avec Peter et ses hommes, faire la vaisselle, parler de son travail. Peu importe que nous soyons au sommet d’une montagne inaccessible au Japon, avec trente centimètres de neige sur le sol au-dehors, et que le travail en question consiste en assassinats sanglants. Mon séjour loin d’ici – les quelques jours passés à Chypre avec les Kent, suivis par les deux semaines dans la clinique suisse – n’est déjà plus qu’un mauvais souvenir, une parenthèse éprouvante dans ma nouvelle vie.

Une vie qui devient plus douce et plus réelle à chaque jour qui passe, dans cet endroit reculé où je commence à me sentir chez moi.

J’attends la morsure douloureuse de la culpabilité et de la honte, mais je ne ressens qu’une lassitude résignée. J’en ai assez de me battre, contre moi et contre ces sentiments troublants, j’en ai assez de résister en faisant comme si l’homme qui me regarde avec ces yeux couleur métal n’était rien de plus que mon ravisseur – comme si je ne m’étais pas accrochée à lui, à la clinique, tel un bébé koala à sa mère. En me réveillant ce matin, seule dans un lit vide, j’ai eu envie de pleurer – et ça n’avait rien à voir avec l’absence prolongée de mes règles.

Je choisis de fermer la porte à cette pensée avant de me remettre à paniquer. Oui, maintenant, j’ai plusieurs jours de retard, mais il y a d’autres explications possibles. Le stress, par exemple, à la fois physique et émotionnel. Sans test de grossesse, et tant que je ne présente pas d’autres symptômes, il est encore trop tôt pour savoir s’il s’agit du contrecoup de l’accident ou des conséquences d’un rapport non protégé. Pour l’instant, comme je ne suis pas prête à aborder ce sujet avec Peter, je préfère ne pas y penser en espérant que tout s’arrange.

Si je suis enceinte, nous le saurons bien assez tôt, tous les deux.

— Ça va ? demande Peter.

Ses sourcils noirs sont froncés et je comprends que, sans m’en rendre compte, j’ai fait la grimace, comme si je souffrais.

— C’est juste le décalage horaire, dis-je pour dissiper ses inquiétudes, en lui adressant un sourire rayonnant. Tu sais, la durée du vol et tout ça.

— Ah.

Il lève sa grande main pour effleurer avec délicatesse la cicatrice qui guérit lentement sur mon front.

— Tu devrais te ménager pendant quelques jours. Tu n’es pas encore complètement remise, me dit-il avec une mine encore plus renfrognée. On aurait peut-être dû rester à la clinique plus longtemps.

J’éclate de rire en secouant la tête.

— Oh, non. Je trouve même qu’on y est restés une semaine de trop. Je vais bien. Je suis juste un peu fatiguée, c’est tout.

— D’accord.

Il n’a pas l’air convaincu et, sur un coup de tête, je me hisse sur la pointe des pieds pour embrasser la ligne pincée de sa bouche sensuelle.

Ce n’est qu’un baiser furtif et espiègle, mais il nous fait l’effet d’un coup de poing. Je ne sais pas pourquoi je l’ai fait, pourquoi l’embrasser pour le rassurer m’a paru la chose la plus naturelle du monde. Ce n’est pas une impulsion sexuelle, même si cet aspect-là me manque – il ne m’a pas prise depuis Chypre et mon corps a envie de caresses. Non, c’était une simple impulsion, un geste qui m’a semblé normal.

Peter est le premier à se ressaisir. Un sourire langoureux et enjôleur recourbe ses lèvres sculpturales et il passe un bras autour de ma taille pour m’attirer à lui. Son autre main se referme tout doucement sur le côté de mon visage, caressant ma joue de son pouce calleux.

— Sara…

Sa voix est grave et rauque, aussi ardente que la lueur dans son regard.

— Ma belle ptichka… Je t’aime tellement.

Mon cœur se serre et mes poumons peinent à trouver de l’air. Il m’a déjà dit qu’il m’aimait, mais jamais comme ça… jamais avec des sentiments aussi profonds. Tout mon corps en est ébranlé, car pour la première fois, je le crois.

Je le crois, et j’ai envie de pouvoir le lui dire en retour.

Cette prise de conscience est comme un coup de marteau sur mon crâne. Je me suis tellement battue pour éviter ça, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas tomber amoureuse de cet homme, pour lui échapper. Et pourtant, même si je cherchais à le fuir, je savais que c’était aussi moi-même que je fuyais, cette part d’ombre en moi qui désire abdiquer devant l’assassin de mon mari, céder au fantasme d’une vie heureuse aux côtés du meurtrier qui m’a arrachée à tous ceux que j’aime. J’ai résisté, je me suis enfuie et malgré tout, en cours de route, c’est quand même arrivé.

Je suis tombée amoureuse de lui.

Je suis tombée amoureuse de l’homme que je devrais haïr, un monstre dont je porte peut-être l’enfant.

Il soutient mon regard, et dans ses yeux je retrouve les mêmes attentes fiévreuses que je m’efforce d’étouffer chez moi. Il a besoin de moi, ce dangereux ravisseur, un tel besoin qu’il est prêt à tout pour m’avoir. Et pour une raison quelconque, cette idée ne me terrifie plus autant qu’avant.

Je ne sais pas si c’est de la transmission de pensées, ou si l’abstinence de ces deux dernières semaines et demie a été aussi difficile pour Peter que pour moi, mais le feu qui brûle dans son regard est plus vif, et le bras qui m’enserre la taille plus vigoureux, m’attirant contre son corps…

… Son corps ferme et très excité.

Mon propre corps se tend vers lui, mu par un désir animal, et mes mains se posent sur son large torse. J’ai envie de lui, tout comme j’avais envie de lui pendant toutes ces nuits à la clinique, où je dormais sagement pelotonnée dans ses bras. Il refusait de me toucher, à ce moment-là, à cause de mes blessures, mais je ne souffre plus – en tout cas, pas de l’accident.

Il penche la tête et j’accueille son baiser avide et inflexible. C’est exactement ce que je veux : être possédée par cet homme, connaître la violence de sa passion. Il n’est pas tendre et je ne le lui demande pas. Je le désire comme ça : brutal et presque incontrôlable. Je veux qu’il me consume par son envie, qu’il m’enflamme par sa convoitise débordante.

Sans que je m’en rende compte, mes mains se retrouvent dans ses cheveux noirs et j’agrippe ses mèches épaisses et soyeuses tout en lui rendant son baiser avec la même sauvagerie. Nos langues se défient tandis que nos corps se pressent l’un contre l’autre derrière la barrière de nos vêtements. À présent, j’ai le souffle court, tout comme lui lorsqu’il me soulève contre le plan de travail avant de retirer mon pantalon de yoga et mon string d’un coup sec. Puis il baisse la fermeture de son pantalon et sa queue épaisse s’enfonce en moi avec vigueur. La brutalité de la sensation m’arrache un cri. Si je n’étais pas déjà aussi humide, il m’aurait déchirée, mais le désir m’a rendue moite et quand il commence à aller et venir en moi, je referme les jambes autour de ses hanches pour mieux le recevoir, pour accepter tout ce qu’il me donne.

Mon corps ne met pas longtemps à se contracter, puis à monter en flèche vers l’apogée du plaisir, à un rythme étourdissant. Ses coups de reins prennent de la vitesse et ce rythme sauvage nous entraîne au bord de la folie.

— Oh, oui ! lâche-t-il en rejetant la tête en arrière quand l’orgasme l’ébranle.

Je hurle à mon tour, frissonnant d’un plaisir insoutenable, lorsque mes muscles internes se resserrent autour de sa queue saisie de spasmes. Son sperme chaud gicle en moi et mon corps accueille le plaisir interminable qui déferle en vagues successives.

Enfin, tout cesse et je prends conscience de la surface dure et lisse du plan de travail en quartz sous mes fesses, et du corps lourd de Peter qui pèse sur moi. Nous haletons tous les deux, et malgré son tee-shirt, je peux sentir la sueur de son dos sous mes doigts.

Nous venons juste de baiser sur le plan de travail de la cuisine, où n’importe qui aurait pu nous surprendre.

Nous nous sommes jetés l’un sur l’autre comme des animaux, comme si ça faisait des années et non des semaines que nous n’avions pas couché ensemble.

Un rire hystérique m’échappe, au moment même où Peter pousse un juron en se retirant. Devant sa mine sombre et orageuse alors qu’il remonte la fermeture de son jean, je repars de plus belle. Prise d’un fou rire spontané, je me laisse glisser du plan de travail sur mes jambes tremblantes, et aperçois mon pantalon et mon string sous le lave-vaisselle.

J’ai le bas du corps intégralement nu.

J’avais les fesses sur le plan de travail, comme une dinde prête à être fourrée.

Mon hilarité atteint des sommets et je me plie en deux, les larmes aux yeux. Peter me regarde comme si j’étais devenue folle, ce qui n’arrange rien. Je suis consciente du spectacle que j’offre, les fesses nues en train de m’esclaffer comme une idiote.

Au bout de quelques minutes, je finis par me calmer et j’envisage enfin de récupérer mes habits, mais Peter m’attrape par les épaules avant que je puisse me mettre à quatre pattes. Devant son visage renfrogné, je pars d’un nouvel éclat de rire.

— Tu… tu vas devoir le désinfecter, dis-je entre deux hoquets incontrôlables. Comme tu… tu cuisines ici…

Le rire m’empêche de parler, mais il a dû saisir l’essentiel, parce que ses yeux trahissent un amusement involontaire et ses lèvres frémissent. Bientôt, lui aussi rit aux éclats. Il y a toujours de la vaisselle sale partout, nous venons de baiser à la vue de tous, et son sperme coule le long de mes cuisses jusque sur le carrelage.

Nous nous calmons enfin et récupérons mon pantalon et mon string sous le lave-vaisselle. À force de rire, j’ai la gorge en feu et mal aux abdominaux, mais je me sens libérée, vidée de toute mon amertume et mon ressentiment. Pourtant, l’expression de Peter est toujours à l’orage lorsqu’il me conduit à l’étage pour une douche. Je demande :

— Qu’y a-t-il ?

Il ne répond pas tout de suite. Quand nous arrivons dans la salle de bain, il ouvre le robinet et entreprend de nous déshabiller. J’attends patiemment. Lorsque nous avançons sous le jet d’eau et qu’il commence à me laver le dos, il murmure enfin :

— Je t’ai fait mal ?

Je cligne des yeux et me retourne pour le regarder. C’est ce qui l’inquiète ? D’avoir été trop brutal ? Mon épaule gauche, déboîtée lors de l’accident, est encore endolorie, mais je suis certaine que notre échange vigoureux ne m’a pas fait le moindre mal.

— Non, bien sûr que non. Je te l’ai dit, tout va très bien.

Il me regarde sans conviction, puis il soupire en me serrant contre lui. Je ferme les yeux pour me protéger de l’eau qui ruissèle et referme les bras autour de son torse aux muscles fermes. Nous demeurons ainsi sans parler, l’un contre l’autre, et je me sens bien malgré l’inconvenance de notre relation.

J’ai l’impression que nous sommes à notre place, comme si c’était écrit.

5

Peter

Le lendemain matin, je me réveille avant Sara, comme j’en ai pris l’habitude dernièrement. Je la regarde dormir pendant quelques minutes avant de me forcer à sortir du lit.

J’ignore si je prends mes rêves pour des réalités, mais hier, c’était différent. J’ai eu l’impression que la trêve que nous avons tenté d’établir à la clinique durait encore. En général, après l’amour, je sens que Sara s’empresse de dresser des barrières en s’auto-flagellant, mais pas hier. Hier, je n’ai perçu aucun conflit intérieur chez elle. Après m’être assuré que je ne lui avais pas fait mal, j’ai cessé de me reprocher ma perte de contrôle – et l’oubli du préservatif, une fois de plus, malgré mes résolutions.

Maintenant, jouir en elle sans protection est devenu un réflexe et cet instinct refuse de se plier à la raison et d’attendre que la question d’Esguerra soit réglée.

Quoi qu’il en soit, je doute que nous ayons pris un risque hier soir. Sara doit approcher de la fin de son cycle, étant donné la date de ses dernières règles. Quand était-ce, déjà ? Il y a trois ou quatre semaines ? Je fronce les sourcils devant le miroir de la salle de bain tout en raclant le reste de mousse à raser, puis je pose le rasoir. Non, ça ne colle pas. Notre absence a duré près de trois semaines, et avant cela, elle n’a pas saigné pendant au moins…

Des coups sur la porte interrompent mes calculs.

— Peter ?

La voix de Sara, enrouée par le sommeil, est étrangement tendue.

— Yan aimerait te parler.

Merde. Je me passe une serviette sur le visage pour effacer tout résidu de mousse à raser avant de sortir précipitamment de la salle de bain. Sara est debout près du lit, enveloppée dans un peignoir épais qu’elle a dû enfiler à la hâte avant de répondre à Yan.

— Il te demande de descendre le plus tôt possible, dit-elle, le front creusé par une ride soucieuse. C’est urgent.

Je hoche la tête en enfilant mon jean. Je m’en doutais, car mes hommes n’ont pas pour habitude de frapper à la porte de notre chambre. Il a dû se passer quelque chose, mais je n’ai aucune idée de ce dont il s’agit. Impossible que les autorités aient retrouvé notre trace, pas plus que l’un de nos ennemis, et je ne vois pas quelle autre urgence pourrait susciter un tel empressement.

— Habille-toi, dis-je à Sara en rejoignant la porte. Il va peut-être falloir partir en vitesse.

Quand elle comprend, elle ouvre de grands yeux apeurés et se précipite vers sa garde-robe tandis que je dévale l’escalier.

Mes trois coéquipiers sont déjà là et se pressent autour de Yan, penché sur son ordinateur portable. Anton est en train d’écrire sur son téléphone.

— Qu’y a-t-il ? je demande sèchement.

Les jumeaux se tournent vers moi, la mine sombre.

— Sara est toujours en haut, n’est-ce pas ? fait Yan en jetant un œil indéchiffrable en direction des marches.

Je hoche la tête tout en franchissant la courte distance qui nous sépare en quelques enjambées.

— Que se passe-t-il ?

— Regarde, dit-il en tournant l’écran vers moi.

D’abord, je ne vois que la cuisine des parents de Sara, vieillotte et chaleureuse, avec ses appareils usagés et les herbes aromatiques sur le rebord de la fenêtre. Le vieux père de Sara, vêtu d’un peignoir, traîne des pieds dans la cuisine avec son déambulateur. Il se verse un café et sort un yaourt du réfrigérateur. Il a presque atteint la table de la cuisine avec son petit déjeuner quand la sonnerie d’un téléphone interrompt ce qui semblait être un matin paisible.

Avec précaution, Charles Chuck Weisman pose sa tasse à café sur le plan de travail et sort un portable de sa poche.

— Lorna ?

Sa voix est forte et assurée en dépit de son grand âge.

— Tu as oublié de vérifier…

Brusquement, il se tait. Malgré le grain de l’image, je peux le voir blêmir. Sous le choc, sa bouche s’ouvre et se referme sans prononcer un mot.

Il tend la main sur le côté dans un geste convulsif, mais rate la barre de son déambulateur. Je retiens mon souffle en le voyant tituber. À mon grand soulagement, il parvient à se rattraper au bord du plan de travail. Avec sa constitution fragile, une chute aurait pu le tuer.

— Où ça ? demande-t-il après une minute d’écoute attentive.

Enfin, il glisse de nouveau le téléphone dans sa poche et reste un moment debout, le menton tremblant, avant de se ressaisir et de se diriger péniblement vers la chambre pour s’habiller.

— Ça fait environ dix heures que la séquence a été enregistrée, dit Yan quand je lève les yeux de l’écran, prêt à le bombarder de questions furieuses. On vient de finir d’écouter l’intégralité de l’appel. Apparemment, la mère de Sara a eu un accident de voiture – un accident grave. Ils n’étaient pas sûrs qu’elle s’en sorte. Nos hackers accèdent aux fichiers de l’hôpital en ce moment même, mais les médecins des urgences sont connus pour leur lenteur à saisir leurs notes dans le système. La bonne nouvelle, c’est que le père de Sara est encore à l’hôpital – ou en tout cas, il n’est pas rentré chez lui.

— Je viens de contacter l’équipe américaine, dit Anton en écartant son téléphone. Ils sont en chemin vers l’hôpital. Nous en saurons plus dans quelque temps. Je leur ai recommandé d’être très prudents, je suis sûr que les fédéraux surveillent les lieux, au cas où Sara reviendrait.

Merde. Je ferme les yeux et me frotte les tempes pour désamorcer un début de migraine. Le pire cauchemar de Sara est devenu réalité : l’un de ses parents est blessé et elle n’est pas avec eux. Elle a toujours craint qu’il s’agisse de son père, à cause de ses problèmes cardiaques, et pourtant c’est sa mère, relativement jeune et en bonne santé (pour ses soixante-dix-huit ans). Sara sera dévastée, et tous les progrès que nous avons faits dans notre relation ces deux dernières semaines seront anéantis.

Elle ne me pardonnera jamais de l’avoir tenue à l’écart du lit de mort de sa mère. Cet événement va créer une faille entre nous, peut-être encore plus difficile à surmonter que la mort de son mari.

J’ouvre les yeux. Une douleur abyssale me tord les entrailles. Mes hommes m’observent avec un mélange de curiosité et de pitié, et je sais qu’ils comprennent. Ces derniers mois, ils ont appris à connaître Sara et ils l’apprécient. Ils ont vu à quel point elle était attachée à ses parents âgés, dont elle demandait des nouvelles tous les jours, regardant religieusement les vidéos que nous lui donnions.

Ils savent qu’elle sera détruite.

Elle s’en voudra autant qu’elle m’en voudra.

— Tenez-moi au courant dès que les Américains vous donnent des nouvelles ! j’ordonne d’une voix rauque avant de monter à l’étage.

Je dois intercepter Sara avant qu’elle descende.

Elle ne doit pas l’apprendre tant qu’on n’en saura pas plus.

6

Sara

J’expédie les préparatifs du matin, ne mettant que cinq minutes à me doucher et à me brosser les dents. Il me faut trois minutes supplémentaires pour m’habiller, puis je me demande quoi faire. Dois-je descendre pour savoir ce qui se passe ? Ou faire ma valise, au cas où il nous faudrait partir en catastrophe ?

Le pragmatisme l’emporte sur la curiosité et, dans le placard, je trouve un sac à dos que je commence à remplir avec les affaires nécessaires : trois ensembles de sous-vêtements propres, à la fois pour Peter et moi, puis des chaussettes, des jeans, des hauts et des pulls, pour tous les deux. Je suis sûre que Peter et ses hommes nous dégoteront de nouveaux habits si nous devons tout abandonner pour évacuer les lieux et rejoindre une planque différente, mais ce sera toujours utile d’avoir de quoi tenir quelques jours pour pouvoir se concentrer sur autre chose. Je n’ai toujours pas oublié le trajet en avion qui m’a amenée ici, quand ma seule option vestimentaire était la couverture dans laquelle Peter m’a enlevée et des habits d’homme extra-larges.

Si je pouvais éviter de nager dans le survêtement de Peter, ça m’arrangerait.

Une fois cette question écartée, je passe aux articles de toilette et glisse nos brosses à dents ainsi que le dentifrice dans un sachet en plastique refermable que je trouve sous le lavabo. Je suis en train de tout boucler, avec le rasoir de Peter et un tube de crème hydratante, lorsque je prends conscience de ma sérénité. Mes paumes sont moites et mon cœur bat la chamade, mais je ne suis pas plus stressée que si j’étais en retard pour prendre l’avion. Sans doute est-ce parce qu’au fond, je m’attendais à ce que cela arrive. Aussi doués que soient Peter et ses hommes pour échapper aux autorités, tôt ou tard, ils finiront par se faire prendre. Si ce n’est pas par le FBI ou par Interpol, alors ce sera par un criminel en quête de vengeance pour l’une ou l’autre de leurs cibles précédentes.

Même les barons de la drogue et les banquiers corrompus ont des proches qui les aiment.

Je retourne dans la chambre à la recherche d’une ceinture pour le jean de Peter quand il entre, la mine grave.

— Que s’est-il passé ?

Je laisse tomber le sac à dos sur le lit pour me ruer vers lui.

— Est-ce qu’on doit… ?

Il prend mon visage entre ses paumes calleuses et plaque ses lèvres sur les miennes. Son baiser vigoureux et avide en est presque violent. Nous n’avons pas fait l’amour après l’épisode de la cuisine – j’ai sombré tôt hier soir, à cause du décalage horaire, et Peter m’a gentiment laissé dormir –, mais je sens le désir contenu que trahit son baiser, ce feu sombre qui nous consume en permanence.

Après m’avoir allongée sur le lit, Peter arrache mes vêtements, puis les siens. Sans plus de préliminaires, il me pénètre de toute son épaisseur et me laboure avec vigueur. J’étouffe un cri, sous le choc, mais il ne s’arrête pas, ne ralentit pas. Ses yeux étincellent sauvagement quand il lève mes bras au-dessus de ma tête, emprisonnant mes poignets dans ses mains. Je me rends compte qu’aujourd’hui, il n’est pas uniquement animé par le désir. Il y a quelque chose en lui de féroce et de désespéré.

La réaction de mon corps ne tarde pas à se manifester, comme de l’huile qui prend feu. Après avoir serré les dents sous ses coups de reins impitoyables, je me sens basculer. L’instant d’après, je crie de plaisir en me désintégrant dans une extase inattendue. Il n’y a aucun soulagement dans l’orgasme, seul l’apaisement d’une tension impossible – et encore, c’est de courte durée. Une deuxième vague lui succède, aussi fulgurante que la première, et je me laisse aller aux spasmes insoutenables. Le plaisir m’ébranle tandis qu’il va et vient en moi sans relâche, m’entraînant vers la jouissance – et bien au-delà.

J’ignore combien de temps Peter me baise ainsi, mais quand il jouit, laissant gicler son sperme brûlant dans mon corps, j’ai la gorge à vif à force de hurler et j’ai perdu le compte du nombre d’orgasmes qu’il a réussi à arracher à mon corps fourbu. Les muscles fermes de son torse luisent de sueur quand il se retire, et je reste allongée là, pantelante, trop éblouie et épuisée pour bouger.

Il sort avant de revenir quelques instants plus tard avec une serviette humide, dont il se sert pour essuyer la substance entre mes jambes.

— Sara…

Sa voix est rauque, chargée d’émotion, lorsqu’il se penche vers moi et écarte une mèche de cheveux sur mon front moite.

— Ptichka, je…

Des coups contre la porte nous font sursauter en même temps.

— Peter.

C’est Yan, la voix aussi tendue que tout à l’heure.

— Il faut que tu entendes ça. Tout de suite.

Pestant tout bas, Peter se lève d’un bond et récupère son jean sur le sol, sur le tas de vêtements. Il l’enfile sans prendre la peine de mettre un caleçon. Le regard qu’il me lance par-dessus son épaule est bestial, presque noir, mais il sort de la chambre sans dire un mot.

Je m’assieds et grimace en sentant la douleur entre mes cuisses. Je me force à me lever et je me rince en vitesse avant de me rhabiller.

Sans savoir ce qui se passe, je commence à avoir un terrible pressentiment.

7

Peter

L’heure est grave. La preuve, c’est qu’aucun sourire suggestif ne m’accueille quand j’entre dans la cuisine, pieds et torse nus, avec une odeur de sexe qui me colle à la peau comme une eau de toilette primitive.

— Ça s’annonce mal, déclare Yan sans aucun préambule à mon approche. Un chauffard ivre l’a percutée sur le côté à une intersection et la voiture a fait trois tonneaux avant d’atterrir sur le toit. Elle a plus d’une dizaine d’os brisés et une hémorragie interne. Ils viennent de l’emmener au bloc pour une deuxième opération, mais c’est très grave. Étant donné son âge et l’étendue de ses blessures, ils craignent qu’elle ne survive pas.

Chaque mot qu’il prononce est un coup de poignard dans mon ventre.

— Et le père de Sara ? je demande, l’esprit en ébullition. Est-il…

— Jusqu’à présent, il tient le choc, mais sa pression sanguine est dangereusement haute.

Anton a le regard sombre.

— Ils ont essayé de l’envoyer se reposer chez lui, mais il refuse d’y aller. Quelques amis l’ont rejoint pour le soutenir, même s’ils ne peuvent pas faire grand-chose.

— Bien.

Je regarde mes coéquipiers. Dans leurs yeux, je trouve la certitude sans fard de ce qu’il me reste à faire.

Des bruits de pas légers dans l’escalier attirent mon attention et je me tourne pour voir Sara accourir au bas des marches, son visage en forme de cœur blême d’inquiétude.

— Que se passe-t-il ?

En chaussettes, elle s’avance sur le carrelage de la cuisine et s’arrête devant nous. Son regard noisette alterne entre mes coéquipiers et moi.

— Il est arrivé quelque chose ?

— Donnez-nous une minute, dis-je à mes gars.

Immédiatement, ils se séparent. Les jumeaux montent à l’étage tandis qu’Anton se dirige vers le placard de l’entrée.

— Tu veux que je prépare l’hélico ? demande-t-il en russe quand il passe près de moi.

Je hoche la tête sans quitter Sara des yeux. Elle semble de plus en plus soucieuse chaque seconde.

— Que s’est-il passé ? répète-t-elle en me rejoignant.

Je sais que je ne peux plus gagner du temps. Je m’approche et prends sa main délicate entre mes paumes. Aussi doucement que possible, je lui rapporte ce que je viens d’apprendre.

Son visage a perdu toutes ses couleurs quand j’ai fini mon discours et ses doigts sont froids comme de la glace entre les miens. Ses yeux sont encore secs, mais je sais que seule la stupéfaction la retient de s’effondrer. Mon bel oiseau vient de recevoir un coup violent, et si je ne réagis pas tout de suite, elle ne s’en remettra jamais.

Je vais la perdre.

Je le sais.

Je le sens.

C’est la chose la plus difficile que j’aie jamais faite, mais je finis par dire d’une voix atone :

— Je t’ai vue préparer tes affaires tout à l’heure. Tu es prête à partir ?

Elle cligne des yeux sans comprendre.

— Quoi ?

Elle a parlé d’une voix hébétée, mais son regard se concentre brusquement sur moi avec un espoir éperdu.

— Où ça ?

— Chez toi, dis-je.

La douleur accablante s’intensifie au creux de mon ventre, et une sensation de vide se propage jusqu’à mon cœur pour l’aspirer tout entier.

— Je te ramène, mon amour, avant qu’il soit trop tard.

8

Sara

Par le hublot de l’avion, je regarde les nuages en contrebas, mes pensées dispersées et mon cœur serré dans un étau douloureux. C’est peut-être le choc, mais tout s’est déroulé si vite que je n’arrive pas à le digérer. Ce qui s’est passé m’échappe, et un mélange d’émotions m’étouffe de l’intérieur.

Maman a eu un accident de voiture. Elle pourrait mourir.

Peter me ramène chez moi.

J’ai le souffle court. Chaque fois que j’inspire, ça me fait mal, comme si l’air dans la cabine était trop chargé. J’ai l’impression qu’il ne nous a fallu que quelques minutes pour sortir, pour monter dans l’hélicoptère et nous envoler, comme si c’était prévu, comme si nous en avions discuté avant de décréter que le moment était venu.

Le moment pour moi de rentrer.

Le moment pour maman de mourir.

Ma respiration est suspendue. Je peine à inspirer et je dois faire un effort pour remplir mes poumons, pour aspirer l’oxygène. Ma trachée me semble réduite à une tête d’épingle.

Le problème, c’est que nous n’en avons pas parlé. Pas du tout. Peter m’a appris la nouvelle, et rien de plus. Ensuite, nous nous sommes empressés de nous préparer, d’emporter ce dont nous avions besoin avant de monter dans l’hélicoptère. Une fois à l’intérieur, il a pris son téléphone pour régler quelques affaires, beaucoup en russe et un peu en anglais. J’ai perçu des bribes de conversation, mais j’étais trop déphasée pour les comprendre. Pour comprendre quoi que ce soit, en réalité. Comment peut-il me ramener alors qu’ils sont recherchés ? En sachant que, dès l’instant où je me montrerai, je serai peut-être emmenée dans un endroit où il ne me retrouvera jamais ?

Comment peut-il me laisser partir alors qu’il a juré de ne jamais le faire ?

J’ai envie de poser cette question à Peter, ainsi que beaucoup d’autres, mais il n’est pas à côté de moi. Il est sur la banquette, penché sur un ordinateur portable avec les jumeaux. Une salve de mots en russe me parvient, au débit rapide. Ils désignent quelque chose sur l’écran. Je sais qu’ils sont en train de prévoir la logistique de cette opération imprévue, de chercher un moyen de me déposer au nez et à la barbe des autorités.

Je pourrais me lever et exiger des réponses, mais je risquerais de les déstabiliser et de leur faire rater un élément crucial. La différence est ténue entre la vie et la mort, ou du moins entre une capture et la liberté. Je me contente de rester assise en regardant par le hublot, concentrée sur la tâche éreintante que me demande ma respiration.

Inspirer, expirer. Lentement, avec régularité. Dans l’atmosphère lourde de la cabine, je laisse dériver mes yeux sur les nuages cotonneux à l’extérieur. Leur quiétude m’aide à supporter l’idée que loin là-bas, à des milliers de kilomètres, maman passe sous le scalpel d’un chirurgien. Son corps frêle est ouvert, il saigne. J’ai vu des centaines d’interventions, j’ai moi-même réalisé des dizaines de césariennes et je sais ce que c’est. Sur la table d’opération, la chair humaine ressemble à de la viande que le docteur découpe, entaille et recoud. Il cherche à sauver une vie, et pourtant ce n’est pas une personne qu’il opère, mais un corps. Pour lui, il s’agit d’une mission, d’un défi à accomplir.

Mon ventre se noue, mon cœur se comprime et j’essuie ce qui me chatouille la joue. Ma main est humide.

Je ne savais pas que je pleurais, mais maintenant, je tente de me ressaisir et de me concentrer sur autre chose. Je chasse l’image mentale du corps de ma mère sur une table d’opération, le ventre ouvert. Et celle de papa dans la salle d’attente de l’hôpital, épuisé et en manque de sommeil, son cœur déjà fragile submergé et en surchauffe.

Pourquoi Peter fait-il cela ? J’essaie d’y réfléchir. C’est toujours mieux que les images qui se bousculent dans ma tête. Me laisse-t-il partir pour de bon, ou a-t-il l’intention de revenir me chercher ? Si tel est le cas, il doit prendre conscience que ce ne sera pas aussi facile de m’enlever une seconde fois. Il prend un risque énorme en me ramenant. Pourquoi ?

Est-ce possible qu’il se soit lassé de moi ?

Non. Je referme la porte à cette idée aussi pathétique que nocive. Peter a de nombreux défauts, mais l’inconstance n’en fait pas partie. Une fois qu’il a pris une décision, il ne dévie pas de sa trajectoire, qu’il s’agisse de venger sa famille ou de s’immiscer dans ma vie. Hier, il m’a dit qu’il m’aimait, et je l’ai cru. Je le crois encore.

Il ne me ramène pas pour se débarrasser de moi.

Il le fait pour moi. Parce qu’il m’aime.

Il m’aime suffisamment pour prendre le risque de me perdre.

Nous atterrissons sur une piste privée non loin de Chicago au moment où le soleil se couche. J’ignore les relations que Peter a dû faire jouer pour se passer de contrôle aérien, mais l’avion se pose sur le tarmac sans aucune interférence. Une berline neutre nous attend à notre descente de l’avion et Peter m’y escorte, me retenant le coude entre ses doigts puissants.

Son visage est en granite, plus dur et distant que jamais. Nous n’avons pas eu l’occasion de parler durant le vol, et j’ignore ce qu’il pense. Pendant la majeure partie du voyage, il était au téléphone ou discutait de l’organisation avec ses hommes, tandis que j’alternais entre des siestes agitées et des sanglots silencieux. Il y a quelques heures, nous avons appris que maman était sortie du bloc opératoire, malgré des signes vitaux encore fluctuants.

Ce n’est pas bon signe.

Nous nous arrêtons devant la voiture et j’aperçois un homme à la place du conducteur.

Je lève les yeux vers le visage fermé de Peter.

— Est-ce que tu vas…

— Il te déposera à l’hôpital, m’annonce-t-il d’une voix sèche et monocorde. Je ne t’accompagne pas.

C’est bien ce que je pensais, et pourtant ses paroles me lacèrent le cœur.

— Quand… fis-je avant de déglutir pour ravaler la boule qui me noue la gorge. Quand reviendras-tu me chercher ?

Il me dévisage et son masque dénué d’émotions se fendille.

— Dès que je le pourrai, ptichka, dit-il d’une voix vibrante. Putain ! Dès que je le pourrai.

Le nœud dans ma gorge prend de l’ampleur et des larmes me piquent de nouveau les yeux.

— Alors, je vais rester jusqu’à ce que maman guérisse ?

— Oui, et jusqu’à ce que j’en aie fini avec…

Il s’interrompt et prend une profonde inspiration.

— Peu importe. Tu en as déjà gros sur le cœur. Mais sache que je reviendrai te chercher.

Il plonge son regard dans le mien et prend mon visage entre ses grandes paumes.

— Tu m’entends, Sara ? Quoi qu’il arrive, tant qu’il me restera le moindre souffle, je reviendrai te chercher. Tu m’appartiens, ptichka. Tant que nous vivrons.

Je referme les mains autour de ses poignets vigoureux et des larmes brûlantes dévalent mes joues. Je soutiens son regard. Autrefois, ces paroles m’auraient terrorisée, mais à présent elles apaisent la douleur qui me comprime la poitrine. Je pourrai m’y raccrocher quand il partira et que mon nouveau monde – celui qui tourne exclusivement autour de lui – tombera en ruines.

Pendant de nombreux mois, j’ai cherché à rentrer chez moi, mais aujourd’hui je n’éprouve aucune joie, rien qu’un vide insoutenable dans le cœur, là où Peter s’est creusé une place sans pitié.

Il se penche et dépose un baiser sur mes joues baignées de larmes.

— Vas-y, mon amour.

Enfin, il me libère et recule.

— Tu n’as pas de temps à perdre.

Avant que je puisse lui répondre – lui dire ce que je ressens –, il tourne les talons et retourne vers l’avion, me laissant à côté de la voiture.

Me laissant rentrer chez moi, toute seule.