Un poison irlandais - John-Erich Nielsen - E-Book

Un poison irlandais E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

L'inspecteur Sweeney mène l'enquête en Irlande.

George Lawless est le ministre écossais de l'éducation. Bel homme, athlétique et toujours avenant, il est pour beaucoup d'observateurs le futur Premier ministre du pays.
Ou plutôt? « il était ». Car là, avec le canon d'un fusil G3 dans la bouche, et cette balle dans le crâne, il est à craindre que son avenir ne vienne brutalement de s'assombrir...
"Une affaire banale, même si le « suicidé » était un ministre ; des pistes multiples s'offraient à nous - jalousie politique, prostitution, activisme irlandais - mais j'en avais déjà démêlé de plus complexes.
En revanche, ce que j'ignorais, c'était à quel point la mort de Lawless était intimement liée à ma propre histoire, tissant une toile funeste entre Belfast et Edimbourg.
Ma vie allait s'en trouver bouleversée. Pour toujours..."
Inspecteur Archibald Sweeney - Police criminelle d'Edimbourg

Dans ce dixième épisode, Sweeney voit resurgir un fantôme de son passé : l'assassinat de ses parents sur la lande écossaise, en 1984.
Et quel rôle mystérieux joue sa nouvelle compagne, l'Irlandaise Ilona Daly ?

Découvrez une nouvelle aventure de l'inspecteur dans ce 10e tome, qui mêle vie amoureuse, enquête et rebondissements  !

EXTRAIT

Pour tenter de mettre un terme aux tracasseries du patron, visiblement trop heureux de passer ses nerfs sur son jeune subordonné, Sweeney se décala d’un pas afin d’apercevoir l’objet de leurs attentions.
Aussitôt, la vision d’un corps au crâne ensanglanté, allongé sur le lit, dissipa chez l’inspecteur toute envie de riposter aux critiques de Wilkinson. Le jeune policier fut impressionné par la grande taille du cadavre, probablement parce que l’homme portait un long costume bleu rayé, et que le fusil, qu’il tenait encore entre ses mains, courait du bas du bassin jusque dans la bouche. L’enquêteur s’efforça d’ignorer l’horreur rougeâtre qui auréolait la tête, pour se concentrer sur le visage : Une seule balle, jugea-t-il rapidement. Elle a dû se ficher dans l’oreiller ou peut-être même dans le mur, là derrière… Et puis c’est étrange, mais j’ai l’impression de le connaître. Oui, on dirait…
– C’est bien lui, le devança Wilkinson, comme s’il venait de lire dans ses pensées. C’est aussi pour ça que je suis là.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Les aventures de cet excellent inspecteur, qui ne ressemble à personne, sont passionnantes ! - Keltia

Un dixième opus particulièrement prenant. - Sharon, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Le ministre ne répond plus…

En ce matin de printemps, Sweeney descendait l’avenue d’un pas léger.

L’imposante silhouette du château d’Édimbourg, dressée sur sa gauche, privait encore West End(1) des bienfaits d’un soleil que le jeune inspecteur sentait poindre dans son dos. Dans moins de deux minutes, il atteindrait l’adresse indiquée par son coéquipier Ian McTirney.

Je crois que c’est la première fois que je me rends à pied sur une scène de crime, songea-t-il, un sourire au coin des lèvres. Puis, sans réfléchir, il fit tournoyer son club de golf avant de le redéposer sur son épaule. Un crime ? Un suicide plutôt, se ravisa-t-il en pensant aux quelques éléments que lui avait déjà transmis Ian par téléphone. Un homme découvert sur son lit, le canon d’une arme dans la bouche. Étonnant qu’ils fassent appel au CID(2) … À moins que quelque chose ne cloche. Nous verrons bien.

Sweeney chassa rapidement cette idée parasite lorsqu’il arriva dans Charlotte Square. Il y découvrit les façades des immeubles cossus, inondées d’une lumière jaune que rehaussait le vert éclatant des jardins alentour.

La ville revit, se réjouit-il. J’aime ressentir la fraîcheur et l’humidité d’Édimbourg, observer cette rosée qui luit sur les trottoirs et nimbe l’activité matinale des taxis et des bus.

Le château finit par disparaître dans son dos, et l’inspecteur pénétra doucement dans la pénombre de West End.

Pourquoi suis-je de si bonne humeur ? s’interrogea soudain le jeune Écossais. Avant de se répondre à lui-même : Je crois que c’est à peu près clair… Même si Ilona(3)était un peu « grognon » hier soir, en rentrant de ses cours à l’université, la suite fut beaucoup plus agréable… sourit-il encore.

…Il revit alors la belle Irlandaise, qui partageait de nouveau sa vie depuis trois mois, rentrer sans lui adresser la parole et s’installer devant l’ordinateur. Après avoir consulté quelques pages internet, puis sa messagerie, l’étudiante s’était finalement lovée sur le lit, sans dîner, la tête et ses boucles brunes coincées entre les genoux.

Elle doit être crevée de sa journée, lui avait pardonné son compagnon, sans oser lui demander la moindre explication. Puis, après avoir terminé de taper un dernier rapport, Sweeney était allé la rejoindre et il s’était blotti contre son dos.

Bon, s’était résigné le policier, c’est encore son fichu tempérament d’Irlandaise qui prend le dessus. Je finirai par m’y habituer… soupira-t-il, alors que le sommeil commençait à l’envahir. Mais, tout à coup, Ilona s’était retournée vers lui. Elle avait commencé à l’embrasser puis l’avait encouragé à la caresser.

Et là… sourit une nouvelle fois Sweeney, quelle nuit ! La jeune femme pouvait se révéler une amante fougueuse qui, à sa manière, savait lui faire ressentir à quel point elle tenait à lui, ainsi que la force du lien qui les unissait.

Nous n’avons jamais été aussi amoureux, réalisa l’inspecteur. Peut-être aussi parce que nous nous sommes déjà séparés deux fois et qu’ainsi, nous avons compris qu’il était finalement plus douloureux de nous perdre que de chercher à surmonter nos différences… Puis il s’imagina Ilona, qui devait déjà suivre son premier cours de la matinée, et il sentit son impatience de la retrouver ce jeudi soir.

Sweeney dépassa le consulat d’Allemagne. Dorénavant, l’immeuble où l’attendait McTirney n’était plus qu’à deux pas.

Le jeune homme eut également une pensée pour sa tante Midge dont la santé, depuis son opération de l’an passé(4), avait évolué très favorablement. Son cancérologue, le professeur Baine, évoquait même une probable rémission. Ce à quoi la vieille dame, inébranlable dans ses convictions, répliquait qu’elle l’avait toujours su puisque sa foi la soutenait et qu’elle n’avait jamais cessé de prier ! Même si son neveu ne pouvait s’empêcher de la taquiner au sujet de ce qu’il appelait ses « bondieuseries », il finissait cependant par lui envier cette force d’âme que, pour sa part, son esprit désespérément critique lui interdisait de partager.

Tout allait si bien en cette belle matinée de mars que le jeune Écossais se risqua même à échafauder des projets : Et si je postulais pour devenir inspecteur chef ?... Ilona a raison, cela me permettrait d’être plus autonome, ou de m’orienter vers une spécialité plus tranquille que la criminelle. Tante Midge m’en a parlé elle aussi : « C’est à l’âge du Christ que l’on prend de grandes décisions »… Tu parles, ironisa-t-il : avant de ressusciter, il faudrait déjà que je sois mort. Et après la nuit torride que je viens de passer, ce n’est pas l’impression que ça me donne !

Gorgé d’optimisme et de testostérone, sa canne de golf coincée sur l’épaule, Sweeney poursuivit son chemin tout en sifflotant les premières mesures du Flower of Scotland(5).

*

Sweeney parvint devant l’entrée d’un large immeuble victorien, haut de trois étages – curieux, songea l’inspecteur, les autres n’en ont que deux – dont la porte, encadrée par d’imposantes colonnes, était gardée par un agent en tenue.

Le jeune policier s’arrêta, essaya d’extirper son insigne de sa poche, mais l’homme à la casquette le devança :

– Pas la peine. Bonjour inspecteur, le salua-t-il. Je vous ai reconnu… C’est au second, lui indiqua-t-il en entrouvrant la porte.

Sweeney tint cependant à lui présenter son badge. Il remercia l’agent d’un signe de la main, puis il pénétra à l’intérieur de la demeure.

Le hall était relativement étroit, mangé sur la gauche par l’entrée d’un premier appartement et, sur la droite, par une rangée d’épaisses boîtes aux lettres.

Machinalement, l’enquêteur survola les différents noms – lequel est celui de la victime ? pensa-t-il – avant d’observer également : Pas d’ascenseur… Dommage qu’il n’y ait pas de gardien non plus. Ils sont toujours les yeux, les oreilles et la mémoire des lieux, ainsi qu’une précieuse source de renseignements. L’Écossais emprunta l’escalier de pierre grise, recouvert d’un tapis rouge aux motifs fleuris. Il ignora les portes boisées du premier, puis il finit par atteindre le second étage où l’attendait un nouveau policier.

– Bonjour inspecteur, l’identifia l’homme. Ils sont déjà là. Entrez.

– Salut Southwell, lui renvoya l’enquêteur. Il fait beau ce matin, déclara-t-il sans réfléchir, alors que l’agent lui ouvrait la porte.

Sweeney constata qu’aucun nom ne figurait sur la sonnette.

Au bout du couloir, il déboucha sur un grand salon, plus long que large, dans lequel un mobilier très moderne, composé de fauteuils et d’un canapé aux courbes futuristes, contrastait avec un plancher boisé, des murs tapissés de vert et un plafond moulé, plus typiques des immeubles du siècle passé.

De part et d’autre de la pièce s’affairaient déjà quatre ou cinq experts de la Scientifique qui, absorbés par leurs relevés, semblèrent ne même pas remarquer son arrivée. Beaucoup de monde pour un suicide… s’étonna l’enquêteur. Au centre, assise sur le bord d’un surprenant canapé noir et blanc au design épuré, il découvrit une policière, le bras posé sur l’épaule d’une jeune femme en larmes et manifestement éprouvée.

L’épouse de la victime ? envisagea Sweeney.

La femme agent aperçut le nouveau venu et, tout en lui indiquant une porte en face d’elle, elle lui dit simplement :

– C’est là, monsieur. Ils ont commencé.

L’inspecteur la remercia d’un hochement de tête et se dirigea vers ce qu’il devinait être la chambre. Il frappa puis entra aussitôt.

Immédiatement derrière la porte, le jeune homme eut alors la surprise de tomber, non seulement sur son coéquipier McTirney, mais aussi sur…

– Commissaire ? Vous êtes là ?

– Non, c’est mon hologramme, se moqua son supérieur… Vous pourriez au moins dire bonjour Sweeney, lui reprocha-t-il. Et puis, si je ne m’abuse, c’est encore vous qui habitez le plus près, lui fit-il remarquer en regardant sa montre.

– Euh… Oui, confirma le jeune homme. Je suis venu à pied, se défendit-il.

– Bizarre, j’ai toujours eu l’impression que la rue descendait depuis George Street, pas le contraire… continua-t-il d’insinuer.

Pour tenter de mettre un terme aux tracasseries du patron, visiblement trop heureux de passer ses nerfs sur son jeune subordonné, Sweeney se décala d’un pas afin d’apercevoir l’objet de leurs attentions.

Aussitôt, la vision d’un corps au crâne ensanglanté, allongé sur le lit, dissipa chez l’inspecteur toute envie de riposter aux critiques de Wilkinson. Le jeune policier fut impressionné par la grande taille du cadavre, probablement parce que l’homme portait un long costume bleu rayé, et que le fusil, qu’il tenait encore entre ses mains, courait du bas du bassin jusque dans la bouche. L’enquêteur s’efforça d’ignorer l’horreur rougeâtre qui auréolait la tête, pour se concentrer sur le visage : Une seule balle, jugea-t-il rapidement. Elle a dû se ficher dans l’oreiller ou peut-être même dans le mur, là derrière… Et puis c’est étrange, mais j’ai l’impression de le connaître. Oui, on dirait…

– C’est bien lui, le devança Wilkinson, comme s’il venait de lire dans ses pensées. C’est aussi pour ça que je suis là.

– Vous voulez dire… hésita Sweeney. C’est bien…

– George Lawless, le ministre de l’éducation et des sciences, lui confirma McTirney. Moi aussi, ça m’a fait drôle tout à l’heure… On en oublierait presque l’odeur, sourit-il encore.

Great Scott, le ministre ! finit par réaliser l’inspecteur. Ça alors, je me disais bien aussi… J’ai dû le croiser deux ou trois fois dans les rues du centre, se souvint-il. Il me semble qu’il portait toujours ce genre de costume très élégant et qu’il m’avait déjà paru très grand, près de deux mètres. Un costaud… En revanche, je n’aurais pas été capable de me souvenir de son nom. Merci Ian.

– Un… Un suicide ? réussit à formuler Sweeney.

– Bah oui, ça y ressemble, répliqua le commissaire, ironique. Mais bon, tant que le légiste ne l’aura pas confirmé…

– Le docteur McGraw n’est pas encore arrivé ? demanda l’enquêteur.

– Il a encore dû faire la fête hier soir, rigola McTirney.

– Vous n’y êtes pas, le rabroua sèchement Wilkinson. Cette nuit, McGraw était en banlieue ; un père de famille y a flingué sa femme et ses deux gosses. Le toubib est resté jusque vers trois heures, et lorsque je l’ai appelé ce matin, j’ai eu l’impression qu’il était encore dans le cirage. Il n’a pas beaucoup dormi – et moi non plus, précisa le commissaire – alors je lui ai conseillé de commencer par aller boire un café. Il ne devrait plus tarder, conclut-il.

– Ah d’accord, fit mine de comprendre Sweeney.

– Bon, vous m’énervez, lui renvoya son supérieur. Allez plutôt interroger la petite à côté, nous n’avons pas encore eu le temps de nous en occuper. Et puis je préférerais terminer les premières constatations avec votre équipier.

– Euh… Bien sûr, patron… Au fait, cette fille, qui est-ce ? Sa femme ?

– Non, c’est l’une des collaboratrices du ministre, précisa Ian McTirney. Une assistante… Elle nous a juste dit qu’elle était passée le chercher ce matin avant d’aller au ministère… C’est elle qui l’a découvert et qui a donné l’alerte.

– Allez voir ce que vous pouvez en tirer, lui ordonna son supérieur.

– D’accord, obtempéra Sweeney.

L’inspecteur fit demi-tour en prenant soin de refermer la porte dans son dos, puis il se dirigea vers la banquette où se trouvaient toujours la jeune femme éplorée et la policière en tenue.

– Vous permettez ? demanda-t-il à cette dernière qui, comprenant aussitôt sa requête, lui laissa sa place.

Doucement, Sweeney s’installa aux côtés du témoin. Enfin, après être parvenu à extirper un curieux petit boîtier gris de sa poche, il déclencha la bande de son dictaphone.

En entendant le « clic » sur sa droite, la jeune femme détourna le visage et finit par accorder son attention à cet inconnu qui venait de la rejoindre.

Tout d’abord, la collaboratrice de George Lawless douta que le nouveau venu fût un enquêteur. En effet, à la différence des deux premiers hommes en civil qui l’avaient déjà abordée, celui-ci ne portait ni costume ni cravate. Au contraire, un pull-over grossier et défraîchi qui surmontait un pantalon de toile sombre ainsi qu’une paire d’étranges brodequins, correspondaient peu à l’image qu’elle se faisait d’un officier de la police écossaise. Par ailleurs, le club de golf incongru que ce jeune homme venait de déposer sur le canapé, lui semblait au minimum inconvenant, voire menaçant. Enfin son visage, auréolé d’une barbe rousse courte et mal taillée, d’où n’émergeait qu’une paire de petits yeux noirs inexpressifs, lui faisait craindre que ce personnage ne fût, au final, qu’un vulgaire employé des pompes funèbres !

– Bonjour, mademoiselle. Inspecteur Sweeney, se présenta pourtant le jeune homme. Je souhaite vous poser quelques questions. Est-ce que cela vous gêne si j’enregistre notre entretien ? demanda-t-il encore, et il désigna le dictaphone dans sa main gauche.

– N… Euh, non… bredouilla l’assistante du ministre, à la fois surprise et tendue.

Encouragé par cette première réponse, Sweeney déposa l’appareil entre eux, sur le bord du canapé. Puis il s’efforça aussitôt d’oublier les genoux délicieux qui dépassaient de sous la jupe de la demoiselle, d’ignorer ses cheveux blonds, longs et bouclés, qui frôlaient son épaule, ainsi que le parfum sophistiqué qui semblait provenir de l’échancrure de son corsage, pour mieux se concentrer sur ses questions.

– Quel est votre nom, mademoiselle ? commença-t-il.

– Jane… Miss Jane Burton. Je travaille au cabinet.

– Vous êtes l’une des collaboratrices du ministre Lawless, c’est bien ça ?

– Oui. C’est George qui m’avait recrutée.

Elle l’appelle « George » ? nota Sweeney. L’ambiance est plutôt familiale au ministère de l’éducation. Surtout entre les ministres sexagénaires et les très jeunes femmes, suspecta-t-il.

– C’est vous, mademoiselle, qui êtes entrée la première ce matin ? poursuivit-il.

– Hem… Je ne sais pas. En tout cas, lorsque j’ai découvert George, j’ai tout de suite composé le 999(6) … Les premiers policiers et l’ambulance sont arrivés moins de cinq minutes après mon appel. Mais ils m’ont tout de suite confirmé qu’il était déjà trop tard pour l’aider.

Brusquement, le regard bleu clair de la jolie Jane se fixa droit devant elle, et deux grosses larmes coulèrent à nouveau le long de ses joues.

– Heu… Oui, je comprends, tenta de la réconforter Sweeney. Mais – pardonnez-moi pour toutes ces questions – pourriez-vous me dire pourquoi vous vous êtes présentée si tôt, ce matin, au domicile du ministre ?

– Je vous en prie, répondit Miss Burton après s’être passé un mouchoir sur le visage… Voilà, reprit-elle, au sein du cabinet, c’est moi qui suis chargée de la revue de presse quotidienne. C’est une tâche capitale ; en effet, ce travail nous permet de réagir au plus vite en cas d’événements inattendus qui nécessiteraient que le ministre prenne position… Ainsi, chaque matin, j’épluche les principaux titres de la presse écrite – quotidiens, hebdomadaires ou internet – mais aussi les chaînes info de la radio ou de la télé. Ma journée commence souvent dès cinq heures, vous savez, s’efforça-t-elle de sourire… J’élabore ensuite une synthèse que je transmets directement à George, en général vers six heures trente. C’est l’horaire auquel il aime prendre son petit déjeuner.

– Est-ce que vous prenez le café en sa compagnie ? s’étonna l’inspecteur.

– Oh non, se défendit-elle. Je l’appelle sur son portable, il ne l’éteint jamais. Même la nuit.

– Et alors, ce matin ? Pourquoi êtes-vous venue ? Je ne comprends toujours pas, la provoqua Sweeney.

– Eh bien, comme d’habitude, j‘ai voulu appeler George à l’heure prévue. Mais comme il ne répondait pas, j’ai de nouveau essayé à trois ou quatre reprises. Sans succès… Je me suis inquiétée, car ça n’arrive jamais. J’ai fini par l’appeler sur le fixe, même si George a horreur de ça, mais je ne réussissais toujours pas à le joindre. Alors j’ai préféré téléphoner à David, afin de…

– À qui ça ?

– David, David Greysmith. C’est le directeur de cabinet de George. Son bras droit en quelque sorte… Quand je l’ai joint un peu avant sept heures, il m’a dit qu’il était déjà arrivé au ministère, mais que lui non plus n’avait plus eu contact avec George depuis hier après-midi. Il ne s’était pas trop inquiété jusque-là puisque, lorsque c’est possible, les mercredis constituent les seules plages blanches du ministre. Nous avons interdiction d’y prendre le moindre rendez-vous, car c’est l’unique créneau où il demande à pouvoir « respirer » un peu… Mais là, quand j’ai dit à David que je ne l’avais toujours pas joint, et que George ne me rappelait pas, il m’a conseillé de passer à l’appartement pour vérifier si tout allait bien – c’est sur ma route quand je vais au bureau – puis de le rappeler si jamais il y avait un problème…

La jeune femme observa un long silence, avant d’ajouter :

– Mais là, je n’ai pas osé… C’est étrange, comme si j’étais responsable de cette terrible nouvelle... David doit encore croire que tout va bien.

Un profond soupir lui souleva la poitrine, et Sweeney craignit que Jane ne fondît à nouveau en larmes. Il reprit aussitôt :

– Donc, ce matin, c’est vous qui êtes montée à l’appartement. Mais qui vous a ouvert ?

– Je… J’ai les clés, répondit l’assistante. Mais comme tous les autres membres du cabinet. Ou même les deux chauffeurs, précisa-t-elle encore. En tout, nous devons être une douzaine environ… C’était une idée de George. Il souhaitait qu’en cas de besoin, nous puissions lui déposer sur le bureau du salon – là derrière, désigna-t-elle la table – tous les dossiers et rapports qui nous semblaient pertinents, sans forcément avoir à passer par David.

– Une marque de défiance vis-à-vis de son directeur de cabinet ?

– Non, pas du tout. George et David s’entendent très bien, et c’est ensemble qu’ils avaient convenu de cette modalité… Vous savez, précisa-t-elle, les ministres passent le plus clair de leur temps en déplacement, même dans un petit pays comme l’Écosse, tandis que les « DirCab » comme David continuent de gérer une multitude de désagréments quotidiens… Non, nous ne voyions George que deux à trois fois par semaine, rarement plus, et nos petits « dépôts » lui permettaient de rester au contact de nos idées et de nos suggestions. Nous représentions son think tank(7) comme il se plaisait à nous le répéter… En outre, George était un véritable bourreau de travail : nous savions que dès qu’il rentrait chez lui, même au milieu de la nuit parfois, il épluchait systématiquement nos dossiers, et si une réunion de travail était planifiée le lendemain matin, George était déjà capable de nous apporter une réponse argumentée. Il assimilait l’information comme personne. Je n’avais jamais vu ça, c’était un homme admirable… soupira-t-elle à nouveau.

– Miss Burton, la relança l’enquêteur, ce matin, lorsque vous…

– C’était ouvert, devança-t-elle sa question. Ça m’a surprise d’ailleurs. Car même si George ne voulait pas de fonctionnaires affectés à sa sécurité, il veillait toutefois à ne pas prendre le risque d’être importuné par un curieux, par un journaliste, ou par je ne sais qui encore.

– La porte était-elle entrouverte ? voulut savoir Sweeney.

– Euh… Non. Fermée, mais pas à clé.

– Alors c’est vous qui avez décidé d’entrer ? insista l’inspecteur.

– Eh bien, oui… En passant la tête, j’ai appelé George – j’étais gênée de pénétrer chez lui si tôt – mais il ne répondait pas. Il n’y avait personne dans le salon, ni même dans la cuisine… J’ai pensé que, peut-être, George était fatigué et qu’il dormait encore. La porte de la chambre était fermée… s’interrompit Jane, comme si elle ne souhaitait pas revivre le choc de sa découverte.

Sweeney tenta de l’aider :

– Vous avez finalement décidé d’ouvrir et vous l’avez trouvé, c’est bien ça ?

Jane secoua la tête, les yeux à nouveau embués de larmes, puis elle s’efforça de poursuivre :

– J’ai commencé par crier, j’ai hurlé, j’étais folle. Je ne savais pas quoi faire… Enfin, j’ai fini par penser à vous appeler, ainsi que les secours.

– Personne d’autre ?

– Non. Dès que vos collègues sont arrivés, ils se sont occupés du reste.

– Vous n’avez pas approché le corps du ministre ?

– J’étais terrorisée, je n’ai même pas osé entrer dans la chambre… Quand la patrouille est arrivée, j’étais encore tétanisée, là, sur le canapé. Enfin, les deux policiers m’ont demandé de leur remettre mon portable. Par sécurité, m’ont-ils indiqué.

– Les agents en tenue ? voulut confirmer l’enquêteur.

– Oui, c’est ça. Un très gentil monsieur avec une casquette. Il m’a dit qu’en vous attendant, il resterait en faction devant la porte.

Il doit s’agir de Southwell, devina Sweeney. Voilà pourquoi nous n’avons toujours aucun journaliste sur le dos. Bien joué, se réjouit-il encore. Avant de continuer :

– Miss Burton, le ministre était-il marié ou bien vivait-il seul ?

– George est célibataire. Divorcé, sans enfant, ajouta Jane. Je crois que son ex-femme habite Glasgow, mais je ne l’ai jamais rencontrée… Et pour ce que j’en sais, je dirais que cet appartement constituait son unique résidence ; je ne lui connais pas de maison de campagne. Demandez plutôt à David, lui est peut-être au courant.

– Mmm, merci… Savez-vous si quelqu’un d’autre, une femme de chambre par exemple, aurait pu passer avant vous ce matin ?

– Plus tôt encore ? Oh non, affirma-t-elle. J’étais là dès sept heures trente. D’ailleurs, il me semble que le ménage n’est fait qu’une seule fois par semaine, les vendredis après-midi.

À cet instant, le commissaire Wilkinson et McTirney sortirent de la chambre. Parlant à voix basse, ils traversèrent le salon et se dirigèrent vers la cuisine américaine, dans le prolongement du bureau du ministre.

– Hem… réagit l’inspecteur, et il détourna la tête. Merci beaucoup, Miss Burton. Ces premiers renseignements nous seront précieux, lui déclara-t-il, puis il éteignit son dictaphone. Excusez-moi, je dois rejoindre mon supérieur. Je reviendrai vous voir tout à l’heure.

Le jeune homme rempocha son appareil puis récupéra son club de golf, avant de se précipiter derrière ses collègues.

Interloquée, Jane Burton l’observa s’éloigner : Non, décidément, il ne ressemble à rien ce type… jugea-t-elle.

Wilkinson et McTirney s’étaient déjà accoudés sur le comptoir de la cuisine, dans le fond de l’appartement de George Lawless.

– Dommage qu’il n’y ait pas un reste de café par ici, regretta le commissaire, tout en balayant la pièce du regard. Je ne suis toujours pas réveillé, moi, ce matin, se désola-t-il encore.

Sweeney les rejoignit :

– Alors, est-ce que vous avez trouvé quelque chose ? leur demanda-t-il.

– Je dirais qu’il s’est flingué hier dans le courant de la journée, proposa McTirney. Mais le docteur nous en dira plus.

– Oui, j’aimerais quand même bien savoir ce qu’il devient celui-là, maugréa Wilkinson. Si ça continue, je vais finir par le rappeler pour lui sonner les cloches… Et vous ? se tourna-t-il vers son jeune subordonné. Qu’est-ce qu’elle raconte, la pin-up ministérielle ?

– Le plus important, commença Sweeney, c’est qu’elle déclare avoir trouvé la porte ouverte. Alors que, selon elle, le ministre veillait toujours à la fermer soigneusement. Toutefois, Miss Burton possédait les clés de l’appartement, mais comme tous les autres membres du cabinet ainsi que les chauffeurs.

– Ah bon ? releva Wilkinson. Il faudra vérifier si c’est vrai, et si c’est le cas, chercher à savoir qui d’autre encore aurait pu les détenir. On ne sait jamais.

– Mais dites commissaire, intervint l’inspecteur, il s’agit bien d’un suicide, non ?

– On est d’accord, ça en a tout l’air, lui confirma aussitôt son supérieur.

– Bon alors, qu’est-ce que nous fichons là ? Et pourquoi êtes-vous venu personnellement ? Parce que, même si George Lawless est une huile, tant que la piste criminelle n’est pas…

– Sweeney, le coupa le commissaire, vous croyez que ça m’amuse de venir jouer les détectives dès potron-minet, et de me farcir cette bouillie de cervelle en guise de petit déjeuner ?... Eh bien non ! s’agaça Wilkinson… Dès que la première patrouille a établi l’identité de la victime et qu’elle l’a communiquée au poste, la nouvelle est remontée comme une balle jusqu’à notre propre ministre. C’est lui qui m’a appelé tout à l’heure – en personne, je vous jure – pour que nous lui fournissions des éléments fiables dans le but d’éviter toute rumeur. Ainsi, le Premier ministre écossais pourra gérer au mieux l’inévitable choc médiatique que cette disparition ne manquera pas de susciter… Et puis les célébrités, Sweeney, avec toutes vos affaires passées, le ministre a dû se dire que nous étions encore les mieux placés. Je suis sûr que c’est pour ça qu’il nous a appelés. Grâce à vous inspecteur, conclut-il, le CID sera bientôt une annexe de la « mondaine » !

Ulcéré par ces reproches injustifiés, le jeune enquêteur était sur le point de lui répliquer vertement. Mais heureusement, le regard implorant de McTirney, dans le registre « Tu sais bien que dès qu’il est contrarié, le patron dit n’importe quoi ; ça lui passera. », réussit à l’apaiser et à le convaincre de remettre sa vengeance à plus tard.

D’ailleurs, Wilkinson enchaînait déjà :

– Bon Sweeney, qu’est-ce que vous avez appris d’autre ? À votre avis, à part la Miss, est-ce qu’une autre personne aurait pu rendre visite à notre client ?

– Je ne crois pas, répondit l’enquêteur. Manifestement – même s’il faudra encore attendre l’analyse des gars de la Scientifique – George Lawless ne semble pas avoir reçu de visite hier. Ni verre ni bouteille dans le salon, pas d’assiette ou de couverts supplémentaires de ce côté-ci de la pièce. Non, le suicide paraît évident.

– Dommage qu’il n’ait pas laissé de lettre, regretta McTirney.

– On en trouvera peut-être une, fit remarquer son jeune coéquipier. Dans son bureau, au ministère ou sur son ordi… Au fait, s’inquiéta-t-il soudain, si jamais la thèse du suicide se confirme, est-ce que nous devrons quand même poursuivre l’enquête, commissaire ?

– J’espère bien que non ! s’emporta Wilkinson. On refilera le bébé aux collègues de la territoriale, et basta. Comme si on n’avait pas d’autres chats à fouetter… Mais bon, pour ça, encore faudrait-il que le légiste nous confirme ce scénario. Qu’est-ce que fiche McGraw, mais qu’est-ce qu’il peut bien fiche ? !

Tandis que son supérieur s’obstinait à pester, Sweeney songea à vérifier une nouvelle hypothèse. Il retourna son club de golf, le tint à bout de bras, le manche tourné vers le visage, et il déclara :

– Mmoui… Si je ne me trompe pas, le ministre avait la main droite sur la détente, alors que la gauche maintenait le canon.

– Oui c’est ça, lui confirma McTirney, bien observé. Et alors ?

– Alors s’il était droitier, la position des mains est naturelle et logique. En revanche, si jamais Lawless était gaucher, on pourrait…

– Parce que tu penses vraiment, le coupa son coéquipier, que lorsqu’un mec se fait sauter la cervelle, il fait attention à tenir son flingue « logiquement » ? Eh Sweeney, se moqua-t-il, que la position des mains soit inversée ou non, ça ne change rien. Dès que McGraw nous aura confirmé la présence de poudre sur les doigts de Lawless, pour moi l’affaire sera pliée. C’est aussi simple que ça.

– Avec toi, tout est toujours simple… parut lui reprocher le jeune inspecteur.

– Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? protesta McTirney.

– Rien, je n’ai rien dit, se défaussa Sweeney… Et puis, reprit-il, cette arme, c’est quand même bizarre, non ?

– Quoi encore ? intervint cette fois Wilkinson.

– Ben oui, insista le barbu. Je n’ai pas rêvé : c’était bien un G3, là, dans la chambre. Un fusil de guerre de calibre 7,62. Où est-ce qu’un ministre – de l’éducation et des sciences en plus – a bien pu se procurer une telle pétoire ? Même si Lawless avait servi dans l’armée, je doute qu’on lui ait offert une telle « guitare » en guise de cadeau de départ, le chargeur et les cartouches en sus. Non, l’origine de cette arme pose problème.

Confronté aux doutes inattendus – et justifiés – du jeune Sweeney, le commissaire Wilkinson sentit monter en lui une sourde colère. Par chance, la porte de l’appartement s’ouvrit au même instant, et le docteur McGraw fit enfin son apparition.

– Ah, toubib ! se réjouit Wilkinson. C’est par là. Venez, je vous montre.

En voyant s’éloigner son supérieur, McTirney ne put s’empêcher d’adresser un sourire à son coéquipier : Toi, mon jeune ami, songea-t-il, sans même t’en rendre compte, tu viens d’échapper à une remontée de bretelles « façon Wilkinson » dont tu te serais souvenu longtemps.

– Sacré veinard… murmura-t-il.

Le jeune Écossais dévisagea son collègue sans comprendre.

*

Sweeney avala une dernière gorgée de thé, puis il reposa son mug au milieu des dossiers éparpillés sur son bureau. Depuis qu’Ilona avait emménagé dans son appartement de George Street, l’incitant à régler certains problèmes de rangement qu’il croyait insolubles, il semblait que le désordre l’avait pourtant poursuivi et, finalement, trouvé refuge sur sa table de la criminelle.

L’inspecteur ramassa son sand wedge, passa longuement le bout du manche dans sa barbe – ce qui l’aidait à réfléchir – et il se mit à observer son coéquipier McTirney, absorbé par la lecture d’un document qu’il tenait au-dessus de son propre bureau.